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Date: 20011220

Dossier: 2000-3248-IT-G

ENTRE :

S.T.B. HOLDINGS LTD.,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            On a demandé à la Cour de trancher une question de droit conformément à la règle 58(1)a) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) en se fondant sur un énoncé conjoint des faits. La requérante a libellé ses questions de droit comme suit :

(a)            Le paragraphe 245(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) exige-t-il que l'avis de cotisation ou de nouvelle cotisation renvoie explicitement à l'article 245 et/ou à la « Disposition générale anti-évitement » ( « DGAÉ » ) pour que le ministre puisse invoquer l'article 245?

               

(b)            Le paragraphe 245(7) de la Loi interdit-il au ministre d'invoquer l'article 245 à titre de moyen subsidiaire d'établir la cotisation?

[2]            Les enjeux de l'affaire sont présentés sous forme de deux questions, mais il s'agit surtout ici d'interpréter le paragraphe 245(7). Aucune autre loi, à l'exception possible du Code criminel du Canada, n'est aussi soigneusement décortiquée par des avocats besogneux à la recherche d'une erreur ou d'une ambiguïté afin d'assurer une victoire procédurale à leur client. Les dispositions qui semblaient claires au législateur deviennent confuses; ce qui était noir tourne au gris, voire au blanc. Les tribunaux sont très souvent appelés à éclaircir l'interprétation de la Loi, puisque la version CCH de la Loi et du règlement approche les 3 000 pages. L'obscurité fait partie des règles du jeu et c'est à nous de faire la lumière. Je n'aurais aucun mal à citer de nombreux exemples où la loi rend les contribuables, les avocats, le ministère de la Justice et les tribunaux aussi perplexes les uns que les autres en raison de structures alambiquées, de triples négatifs et de la multiplication des renvois et contre-renvois. L'article en cause ne me semble pas si compliqué que cela, seulement vague, mais sa simplicité même peut justifier différentes interprétations et faire régner une certaine confusion. L'interprétation avancée par la requérante représente une tentative courageuse et solidement argumentée d'étirer à outrance le sens des mots. Or, je ne suis pas disposé à admettre un tel degré de malléabilité.

[3]            Les seules parties de l'énoncé conjoint des faits qui sont pertinentes en l'espèce se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

[...]

1.8           Le 7 juillet 1994 ou aux environs de cette date, STB a produit une renonciation en la forme requise par l'intimée pour son année d'imposition 1990 (onglet 1).

1.9           Le 2 novembre 1994 ou aux environs de cette date, STB a produit une renonciation en la forme requise par l'intimée pour son année d'imposition 1991 (onglet 2).

1.10         Le 13 mai 1996, des avis de nouvelle cotisation ont été délivrés à STB pour ses années d'imposition 1990 et 1991 (onglet 3) relativement aux pertes de Newport.

1.11         Le 2 août 1996, un avis d'opposition a été déposé à l'égard de la nouvelle cotisation établie le 13 mai 1996 pour les années d'imposition 1990 et 1991 de STB (onglet 4).

1.12         Le 12 novembre 1996, des avis de révocation d'une renonciation ont été produits relativement aux années d'imposition 1990 et 1991 de STB (onglet 5).

1.13         Le 14 avril 2000, les avis de nouvelle cotisation du 13 mai 1996 relativement aux années d'imposition 1990 et 1991 de STB ont été corroborés par un avis de rectification qui, entre autres, confirme les arguments sur lesquels le ministre s'est fondé pour établir sa nouvelle cotisation (onglet 6).

[...]

1.16         Aucun autre avis de cotisation ou avis de nouvelle cotisation n'a de pertinence à l'égard des questions de droit soulevées par la requête déposée en vertu de la règle 58. Aucune autre cotisation ou détermination n'a été établie par le ministre relativement aux années d'imposition 1990 et 1991 de STB.

[4]            Je n'ai pas inclus les onglets, mais les principaux points à souligner à cet égard sont les suivants : les renonciations (onglet 1 et onglet 2) se rapportent à la Partie XVI (DGAÉ), les avis de nouvelle cotisation (onglet 3) ne renvoient pas à la DGAÉ et l'avis de ratification (onglet 6), lui, mentionne l'application de la DGAÉ.

[5]            Les questions de droit soulevées par l'application de la règle 58 trouvent leur réponse dans une interprétation du paragraphe 245(7) de la Loi, qui se lit comme suit :

Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, les attributs fiscaux d'une personne, par suite de l'application du présent article, ne peuvent être déterminés que par avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire ou que par avis d'un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11), en tenant compte du présent article.

[6]            Cet article ne peut être interprété séparément du reste. Il doit être mis en contexte et c'est pourquoi je reprendrai maintenant le paragraphe 245(7) en l'insérant entre les paragraphes 245(6) et (8) comme il se doit :


(6)           Dans les 180 jours suivant la mise à la poste d'un avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire, envoyé à une personne, qui tient compte du paragraphe (2) en ce qui concerne une opération, ou d'un avis concernant un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11) envoyé à une personne en ce qui concerne une opération, toute autre personne qu'une personne à laquelle un de ces avis a été envoyé a le droit de demander par écrit au ministre d'établir à son égard une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire en application du paragraphe (2) ou de déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11) en qui concerne l'opération.

(7)           Nonobstant les autres dispositions de la présente loi, les attributs fiscaux d'une personne, par suite de l'application du présent article, ne peuvent être déterminés que par avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire ou que par avis d'un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11), en tenant compte du présent article.

(8)           Sur réception d'une demande présentée par une personne conformément au paragraphe (6), le ministre doit, dès que possible, après avoir examiné la demande et par dérogation au paragraphe 152(4), établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ou déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11), en se fondant sur la demande. Toutefois, une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire ne peut être établie, ni un montant déterminé, en application du présent paragraphe que s'il est raisonnable de considérer qu'ils concernent l'opération visée au paragraphe (6).

L'argument de la requérante

[7]            Selon l'interprétation suggérée par la requérante à l'égard du paragraphe 245(7), celui-ci exigerait, en premier lieu, que dans le cadre de l'établissement de toute cotisation en application de la DGAÉ, le ministre indique clairement, dans l'avis de cotisation, que celle-ci est établie en application de la DGAÉ, et il interdirait, en deuxième lieu, d'invoquer l'article 245 à titre de moyen subsidiaire d'établir la cotisation.

[8]            Dans ses remarques préliminaires à son interprétation du paragraphe 245(7), la requérante indique que les dispositions relatives à la DGAÉ sont de caractère extraordinaire puisqu'elles permettent au ministre de substituer ses politiques au libellé du texte de la loi. Sous le régime de l'autocotisation, le contribuable doit être capable de savoir avec suffisamment de confiance quand et comment de telles dispositions sont invoquées. Les dispositions prudemment libellées de la DGAÉ imposent donc au ministre le lourd fardeau de s'assurer qu'il est clair que la DGAÉ entre en jeu au stade de la cotisation. La requérante soutient que le paragraphe 245(7) établit un processus en deux étapes : d'abord, la DGAÉ doit être appliquée; ensuite, les attributs fiscaux doivent être déterminés par le biais d'un « avis de nouvelle cotisation en application de l'article 245 » . Le paragraphe 245(7) prévoit que les avis fondés sur l'application de la DGAÉ ne peuvent être établis que « par suite de l'application » de la DGAÉ. Ayant été interrogé à ce sujet, l'avocat de la requérante a suggéré que l' « application » de la DGAÉ consisterait pour le ministre à envisager d'invoquer la DGAÉ avant d'établir la cotisation. À mon avis, c'est là qu'achoppe l'argument de la requérante. J'y reviendrai plus tard dans mon analyse.

[9]            La requérante a spécifiquement renvoyé aux derniers mots du paragraphe 245(7), « compte tenu du présent article » en affirmant qu'ils seraient superflus s'il n'était pas nécessaire de mentionner l'article 245 dans la cotisation établie en application de la DGAÉ. La requérante a reconnu que le paragraphe 245(7) entre en ligne de compte suite à une demande soumise au ministre par une autre personne en vertu du paragraphe 245(6) en vue d'obtenir des redressements corrélatifs, mais la requérante n'a pas limité le paragraphe 245(7) à une telle application. Elle se rapporte aux mots du juge en chef adjoint Bowman dans l'affaire John N. Gregory c. Canada, [2000] A.C.I. no 158, en soutenant qu'ils justifient une application générale du paragraphe 245(7). Au paragraphe 3, le juge en chef adjoint Bowman indique :

[...] Les parties s'entendent sur le fait que la DGAÉ a été appliquée lors du calcul de la cotisation et que les conséquences fiscales de son application ont été déterminées au moyen d'un avis de nouvelle cotisation. J'ai expressément soulevé ce point avec l'avocat concerné parce qu'il est clair que, à la lumière du paragraphe 245(7), à moins qu'elle ne soit appliquée au moyen d'une cotisation, la DGAÉ ne peut être invoquée dans le cadre d'un appel devant la présente cour dans une situation comme celle en l'espèce; elle ne saurait justifier une cotisation établie en-dehors de son application.

[10]          À l'appui de son argument qu'il faut mentionner l'application de la DGAÉ sur l'avis de cotisation ou de nouvelle cotisation, la requérante invoque le processus pouvant être déclenché par une autre personne en vertu des paragraphes 245(6), (7) et (8). Sinon, estime la requérante, comment une autre personne saurait-elle que la DGAÉ pourrait éventuellement influencer ses attributs fiscaux, justifiant une demande de sa part en vertu du paragraphe 245(6)? L'avocat ou la requérante est-il assujetti à une forme quelconque d'obligation fiduciaire d'aviser une autre personne au sujet d'un avis de cotisation? Comment satisfaire à cette obligation si l'avis ne mentionne même pas l'application de la DGAÉ? L'avocat qui a un client pouvant bénéficier d'une demande faite en application du paragraphe 245(6) ne saura pas forcément qu'il doit le prévenir.

[11]          En ce qui concerne son hypothèse que le paragraphe 245(7) interdit au ministre d'invoquer la DGAÉ à titre de moyen subsidiaire d'établir la cotisation, la requérante présente l'argumentation suivante : la DGAÉ ne s'applique que si un contribuable s'est conformé à la lettre des dispositions pertinentes de la Loi; en fait, la cotisation ne peut être fondée que sur une seule hypothèse. Le ministre doit faire son choix entre une cotisation fondée sur le non-respect de dispositions précises de la Loi ou une cotisation fondée sur le respect de la Loi mais le non-respect de la DGAÉ. La requérante soutient que la DGAÉ est trop complexe pour être traitée subsidiairement. Elle indique également que, s'il était possible d'invoquer la DGAÉ subsidiairement, cela rendrait le paragraphe 245(6) inopérant, car, dans bien des cas, quand une autre personne apprendrait que la DGAÉ a été invoquée, il serait déjà trop tard. Enfin, la requérante affirme qu'en invoquant, dans ce cas particulier, la DGAÉ à titre de moyen subsidiaire d'établir la cotisation, on obtient un résultat numérique différent, ce qui est interdit.

Position de l'intimée

[12]          En ce qui concerne l'application générale du paragraphe 245(7) à tous les contribuables par opposition à une application plus limitée, l'intimée soutient que ce paragraphe se limite à une demande présentée par une autre personne. Les motifs invoqués sont les suivants :

L'intimée affirme que ni le libellé, ni le contexte, ni l'objet du paragraphe 245(7) ne justifie l'interprétation proposée par la requérante. En outre, l'interprétation du paragraphe 245(7) par la requérante, d'après l'intimée, est contraire aux autres dispositions de la Loi et contredit ainsi les règles de droit établies quant aux exigences d'avis et l'aptitude pour le ministre d'utiliser un moyen subsidiaire d'établir une cotisation à l'endroit d'un contribuable. L'intimée a attiré mon attention sur le contexte du paragraphe 245(7). Les paragraphes 245(6), (7) et (8) montrent que le législateur reconnaît qu'une cotisation établie en application de la DGAÉ risque d'avoir des répercussions sur d'autres personnes. La détermination nécessaire pour établir une nouvelle cotisation à l'endroit d'un contribuable peut avoir des effets favorables ou défavorables sur une autre personne. L'adoption de dispositions prévoyant un recours pour d'autres personnes a trouvé son écho dans les renseignements supplémentaires relatifs aux mesures de réforme fiscale de 1987 qui accompagnaient la publication de l'article 245 dans sa version préliminaire :

                               [TRADUCTION]

En général, la règle proposée dans le livre blanc prévoit qu'une opération d'évitement, selon la définition, serait ignorée aux fins fiscales, et que la situation fiscale d'un contribuable serait déterminée de façon aussi raisonnable que possible en l'occurrence. La définition d'une opération d'évitement a introduit dans la législation le critère du but commercial et une doctrine des opérations intermédiaires. Des dispositions spéciales ont été incluses afin de permettre à d'autres personnes concernées par une opération d'évitement de demander des mesures de redressement en leur faveur.

[13]          Le paragraphe 245(6) confère aux autres contribuables un moyen de demander que le ministre établisse une cotisation à leur égard en tenant compte de l'opération qui a donné lieu à la cotisation en application de la DGAÉ établie à l'encontre du premier contribuable à l'égard de qui le ministre a refusé d'accorder des avantages fiscaux en raison de l'application de la DGAÉ. Le paragraphe 245(8) impose ensuite au ministre l'obligation d'examiner la demande à la lumière du paragraphe 245(6) et d'établir une cotisation ou une nouvelle cotisation à l'égard de cette autre personne. Le paragraphe 245(7) se trouve entre deux dispositions qui traitent de rajustements pour d'autres personnes. Étant inséré entre le paragraphe (6) et le paragraphe (8), il doit donc avoir trait lui aussi aux rajustements pour d'autres personnes.

[14]          La présence de l'expression « par suite de l'application du présent article » au paragraphe 245(7) concorde avec la notion qu'il est censé parler de rajustements pour d'autres personnes, puisqu'il veut dire que l'article 245 s'est déjà appliqué (au contribuable qui s'est vu refuser un avantage fiscal en vertu du paragraphe 245(2)).

[15]          Une note technique concernant le paragraphe 245(7) confirme qu'il traite de la question des rajustements pour d'autres personnes. Celle-ci se lit comme suit :

                               [TRADUCTION]

Le nouveau paragraphe 245(7) de la Loi prévoit qu'une personne ne peut invoquer le paragraphe 245(2) pour déterminer son revenu, son revenu imposable ou son revenu imposable gagné au Canada, l'impôt ou tout autre montant payable par une personne ou remboursable à celle-ci en vertu de la Loi et tout autre montant qui est, au sens de la Loi, pertinent aux fins du calcul sus-mentionné, sauf en cas de demande de rajustement en vertu du paragraphe 245(6). Ainsi, une personne ne pourra invoquer les dispositions du paragraphe 245(2) pour rajuster son revenu ou tout autre montant susmentionné à moins de demander le rajustement suivant les procédures décrites au paragraphe 245(6).

[16]          En ce qui concerne l'exigence de déclaration explicite sur l'avis de cotisation annonçant l'application de la DGAÉ, l'intimée rejette cette position, car ni le libellé, ni le contexte, ni la raison d'être du paragraphe 245(7) ne traite d'une telle exigence. Il faudrait qu'une telle exigence soit clairement énoncée.

[17]          L'intimée soutient que l'omission de mentionner une disposition de la Loi dans un avis de cotisation n'invalide pas un avis de cotisation valide par ailleurs, car une cotisation est établie en vertu de la Loi dans son ensemble. En outre, elle affirme que rien n'oblige le ministre à communiquer les détails d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation. Par ailleurs, tout manquement au niveau de l'avis envoyé au contribuable pourra être corrigé à l'étape de l'avis de ratification (voir Raymond Kirby et La Succession de Daniel Lee c. Le ministre du Revenu national, C.C.I., no 90-2656(IT), 14 novembre 1991 ([1991] 2 C.T.C. 2639).

[18]          L'intimée conclut son argument relativement à la première question en évoquant l'affaire Société canadienne des pneus Michelin Ltée c. Le ministre du Revenu national, TCCE, no AP-93-333, 22 mars 1995 ([1995] G.S.T.C. 17). L'article 274 de la Loi sur la taxe d'accise est une Disposition générale anti-évitement identique à celle de l'article 245 de la Loi. Dans cette affaire, il a été déterminé que la disposition équivalente, soit le paragraphe 274(7) de la Loi sur la taxe d'accise, n'impose pas d'obligation relative aux avis qui soit différente de celle qui est imposée au ministre d'informer un contribuable des motifs de la nouvelle cotisation en invoquant un autre article de la Loi sur la taxe d'accise.

[19]          Enfin, l'intimée a rejeté toute notion que le paragraphe 245(7) ferait du recours à l'article 245 un moyen de cotisation primaire uniquement. L'intimée a invoqué l'affaire Louis Riendeau c. Sa Majesté La Reine, C.A.F., no A-639-89, 17 juin 1991 (92 DTC 5416) relativement à la proposition que la question à trancher lors d'un appel fiscal est le montant de l'impôt, non la pertinence des motifs de la cotisation, et que l'obligation fiscale n'est pas réduite par une cotisation incorrecte ou incomplète.

[20]          L'article pertinent de la DGAÉ (le paragraphe 245(2)) ne contient rien qui limiterait son application à un moyen de cotisation primaire et, par sa nature même, la DGAÉ ne doit s'appliquer que s'il a été déterminé que les opérations sont conformes aux autres dispositions de la Loi. L'intimée indique que cette cour a reconnu que la DGAÉ peut être invoquée subsidiairement, en reprenant à l'appui les observations du juge en chef adjoint Bowman dans l'affaire Gregory :

Il ne m'est pas nécessaire, aux fins de la présente requête, de présenter les faits que les parties ont allégués et qui ont donné lieu à la demande de déduction pour pertes. Il suffit de dire que le ministre du Revenu national a rejeté cette demande de déduction. Dans la réponse à l'avis d'appel modifié, un certain nombre d'hypothèses subsidiaires sont alléguées par le ministre pour justifier le rejet de la demande de déduction. Après avoir plaidé tous les autres moyens subsidiaires justifiant le rejet de la demande de déduction pour pertes, le ministre a plaidé subsidiairement que l'opération constituait une opération d'évitement au sens de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu, la soi-disant « disposition générale anti-évitement » (la « DGAÉ » ). Les parties s'entendent sur le fait que la DGAÉ a été appliquée lors du calcul de la cotisation et que les conséquences fiscales de son application ont été déterminées au moyen d'un avis de nouvelle cotisation. [...]

[21]          D'autre part, il s'avère que, dans toutes les affaires tranchées concernant la DGAÉ, sauf deux, celle-ci a été invoquée comme moyen subsidiaire d'établir une cotisation.

[22]          Bien qu'il ne s'applique pas à l'année visée par l'appel, l'intimée a mentionné le paragraphe 152(9), promulgué en juin 1999, qui autorise les arguments subsidiaires à tout moment après la période normale de nouvelle cotisation.

[23]          Enfin, l'intimée allègue qu'il n'existe aucune différence par rapport au montant refusé dans cet appel lorsqu'on a recours aux moyens subsidiaires d'établir la cotisation.

Analyse

[24]          Pour commencer, j'aborderai l'interprétation du paragraphe 245(7) en général avant de traiter de manière plus précise des deux questions à trancher. La DGAÉ est un outil à la disposition du ministre pour établir des cotisations : ce n'est pas un outil de planification pour le contribuable. Contrairement au reste de la Loi, que le contribuable peut invoquer sous le régime de l'autocotisation, la DGAÉ ne représente pas un mécanisme qui serait à la disposition du contribuable, sauf dans les circonstances décrites aux paragraphes 245(6), (7) et (8). Cela n'a rien à voir avec le libellé du paragraphe 245(7), mais tout à voir avec la nature même de la DGAÉ. C'est une disposition anti-évitement, et elle n'est pas intitulée « mesure de planification fiscale » . C'est effectivement une mesure exceptionnelle, comme l'a suggéré la requérante, mais cette mesure est un outil mis à la disposition du ministre et non un bâton mis dans ses roues.

[25]          Il est difficile d'imaginer qu'un contribuable ferait une opération à une fin déterminée puis établirait sa déclaration en arguant que la DGAÉ pourrait produire des attributs fiscaux différents de ceux qu'il concevait. La seule situation où ce serait possible, c'est si le ministre établit une cotisation à l'égard d'une opération mettant en jeu la DGAÉ et que le contribuable décide alors de profiter de l'application de la DGAÉ dans la mesure où elle s'applique à sa situation. C'est ici, à mon avis, que le paragraphe 245(7) entre en jeu. En effet, d'après le paragraphe 245(7), ce contribuable ne pourrait établir son autocotisation de cette façon. Pour limiter encore plus le contribuable, les paragraphes 245(6), (7), et (8) pris ensemble ont pour effet de limiter les redressements possibles aux seuls contribuables qui ont pu être lésés par l'application précédente de la DGAÉ relativement à cette même opération à laquelle ils étaient parties prenantes.

[26]          Je vois le paragraphe 245(7) comme une directive visant le contribuable et non comme une formalité à laquelle serait assujetti le ministre. La seule façon pour le contribuable d'activer l'application de la DGAÉ, une fois que le ministre l'a déjà appliquée, serait par le biais d'une demande déposée en vertu du paragraphe 245(6). Le paragraphe 245(7) dispose que les attributs fiscaux pour un tel contribuable ne peuvent être déterminés que par un avis de cotisation (donc, à l'instigation du ministre) en application de la DGAÉ. Seul un contribuable qui a participé à la même opération que celle ayant fait l'objet d'une cotisation en application de la DGAÉ peut, avant l'expiration d'un certain délai, demander un rajustement. Le ministre doit répondre à une telle demande en établissant une cotisation dans les plus brefs délais.

[27]          Interprétés de la façon décrite ci-dessus, les paragraphes 245(6), (7) et (8) sont relativement clairs. Or, l'interprétation la plus claire doit l'emporter. Lorsqu'on essaie de disséquer ces dispositions, les mots se transforment en un casse-tête aux morceaux éparpillés. Lorsque des dispositions sont claires et dénuées d'ambiguïté, il a été suggéré par certains qu'il n'est pas nécessaire de recourir à l'application plus exhaustive des principes de l'interprétation juridique nécessaires pour résoudre toute ambiguïté. Pourquoi donc se prêter à une telle analyse? Eh bien, malgré mon opinion fondamentale que ces dispositions sont claires et doivent s'appliquer de la façon décrite ici, l'estimé avocat de la requérante a présenté des arguments solides en faveur d'une interprétation plus large de ces dispositions. Il s'appuie notamment sur des déclarations émises en cette cour, en particulier dans l'affaire Gregory[1], et sur celles de l'affaire Michelin Tires (Canada) Ltd., qui semblent corroborer son interprétation. J'admets qu'une interprétation différente puisse se justifier à certains égards, et qu'il existe un degré d'ambiguïté. Je dois donc mener une analyse plus détaillée selon les principes d'interprétation législative qui ont été résumés dans une décision récente rendue dans l'affaire Enterprises Ludco Ltée c. Canada, 2001 C.S.C. 62, comme suit :

36            La règle moderne en matière d'interprétation législative a été énoncée de manière succincte par E.A. Driedger dans l'ouvrage Construction of Statutes (2e éd., 1983), à la p. 87 :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. [...].

37            C'est cet extrait qui « résume le mieux » la méthode privilégiée aux fins d'interprétation d'une disposition législative : Rizzo & Rizzo Shoes (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux par. 21 et 23. Il en est ainsi pour l'interprétation de tout texte de loi et il convient de signaler que notre Cour a maintes fois cité et approuvé cet extrait célèbre, tant en matière fiscale que dans d'autres domaines. [...]

38            Par ailleurs, les tribunaux appelés à interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu doivent se rappeler qu'ils jouent un rôle distinct de celui du législateur. En l'absence d'un texte législatif clair, il n'est pas souhaitable que les tribunaux innovent : Banque royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, au par. 112. La promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit plutôt être laissée au législateur : Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au par. 41. Comme l'a récemment expliqué le juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au par. 43 :

La Loi est un texte législatif complexe au moyen duquel le législateur tente d'établir un équilibre entre d'innombrables principes. La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à l'égard d'une disposition claire de la Loi, une intention non explicite [...]. En concluant à l'existence d'une intention non exprimée par le législateur sous couvert d'une interprétation fondée sur l'objet, l'on risque de rompre l'équilibre que le législateur a tenté d'établir dans la Loi. [Références omises.]

[28]          Il semblerait qu'il ne suffise pas d'établir que des dispositions sont claires pour satisfaire au critère de l'interprétation législative. Pour cette raison et pour les motifs déjà indiqués, je considérerai la technique moderne d'interprétation législative qui se fonde sur un examen du sens grammatical et ordinaire des mots, du contexte et de l'objectif législatif des dispositions.

[29]          Pour commencer, afin d'écarter le sens ordinaire du paragraphe 245(7), il faut décrire les différentes interprétations données aux expressions « par suite de l'application du présent article » et « compte tenu du présent article » . Le sens ordinaire de « par suite de l'application du présent article » suggère-t-il que les dispositions de la DGAÉ ont déjà été appliquées? Qu'est-ce qu'on veut dire par « application » ? La requérante soutient que l' « application » concerne seulement le fait pour le ministre d'envisager une cotisation et d'en discuter avec le contribuable avant d'établir celle-ci. Pour ma part, je ne comprends pas comment ce genre de réflexion et de communication pourrait constituer une application. Le ministre peut envisager la DGAÉ, en parler au contribuable et puis décider de ne pas appliquer la DGAÉ. Dans le sens ordinaire du terme, il est impossible de voir en quoi cela constituerait une application de l'article. Comme on l'a déjà dit, l'article représente un outil à la disposition du ministre pour établir une cotisation. Il s'ensuit que l'application de l'article n'est effective qu'à l'établissement de la cotisation. En ce sens, « par suite de l'application » , selon une interprétation normale, signifie : par suite d'une cotisation établie selon la DGAÉ. Les attributs fiscaux pour une personne, par suite de l'application de l'article, doivent donc être des attributs fiscaux différents de ceux prévus dans l'application d'origine de la DGAÉ, c'est-à-dire qu'ils se rapportent à une application subséquente. Cela interdit au contribuable d'établir son autocotisation en appliquant la DGAÉ.

[30]          Les derniers mots du paragraphe 245(7), « compte tenu du présent article » ( « involving the application of this article » dans la version anglaise de la Loi), visent probablement à apporter des éclaircissements, mais j'ai du mal à comprendre l'essence de cette clarification. Un avis de cotisation subséquemment établi par le ministre doit « tenir compte » de la DGAÉ. Il semble oiseux d'affirmer qu'une cotisation établie en vertu de la DGAÉ doit tenir compte de la DGAÉ. Pourtant, si l'on faisait abstraction de ces derniers mots, le ministre serait-il en droit d'établir un avis de cotisation supplémentaire conformément à une demande faite en vertu du paragraphe 245(6) à l'endroit d'un contribuable sans que ce soit en tenant compte de la DGAÉ? Lorsqu'on essaye de conférer à ces mots une telle autorité, ils deviennent passablement absurdes. Par conséquent, j'estime que ces mots ne constituent pas une directive à l'intention du ministre, mais qu'ils ont une valeur proprement descriptive.

[31]          Si l'on débarrasse le paragraphe 245(7) de mots qui ne sont pas absolument essentiels, il dit, tout simplement : « Les attributs fiscaux d'une personne, par suite de l'application du présent article, ne peuvent être déterminés que par avis de cotisation compte tenu du présent article » . Ce n'est pas une phrase interminable, mais lorsqu'on essaie de l'analyser pour en dégager le sens ordinaire, elle se transforme en noeud gordien. Je pense qu'il s'agit d'une disposition extraordinaire dénuée de sens commun, à moins de trancher au vif du noeud gordien et de comprendre que la dernière partie ne se rapporte qu'à l'avis de cotisation établi à la suite d'une demande déposée en vertu du paragraphe 245(6). C'est ainsi que l'on peut rétablir un sens ordinaire à la phrase. Je conclus donc que le paragraphe 245(7) ne peut s'interpréter que de manière à refuser aux contribuables le droit d'établir une autocotisation en invoquant une application précédente de la DGAÉ.

[32]          D'après l'interprétation avancée par la requérante, le paragraphe 245(7) n'a pas uniquement pour objectif d'interdire à un contribuable d'établir une autocotisation en fonction d'une application précédente de la DGAÉ, mais également de s'appliquer à toute cotisation établie en vertu de la DGAÉ en disposant que le ministre doit faire référence par écrit à la DGAÉ lorsqu'il en tient compte. Si j'acceptais une telle interprétation, je devrais comprendre les mots « par suite de l'application » comme signifiant « dans l'application » , autrement dit, comme faisant partie de l'application. Or, le libellé ne dit rien de tel.

[33]          Le problème posé par le libellé de ce texte consiste à savoir si l'article est censé viser toutes les applications de la DGAÉ, c'est-à-dire que ce serait une formalité procédurale imposée au ministre, ou s'il s'agit d'une directive émise à l'intention des contribuables pour les empêcher d'établir une autocotisation fondée sur une application précédente de la DGAÉ (sous réserve du seul recours de l'autre personne mentionné au paragraphe 245(6)). Lorsque la requérante essaie d'étirer le sens ordinaire des mots afin d'imposer au ministre une formalité procédurale consistant à mentionner explicitement la DGAÉ dans les avis, elle infère que l'article n'oblige pas le contribuable mais bien le ministre. Ce faisant, elle fait abstraction du contexte de la DGAÉ, qui constitue un outil de cotisation pour le ministre. Je reviens maintenant à la question du contexte.

[34]          Comme la nuit et le jour se suivent, le paragraphe (7) s'insère entre le paragraphe (6) et le paragraphe (8). On pourrait dire avec exagération, et je ne me gêne pas pour le faire, que le paragraphe (7) est pris en sandwich entre les paragraphes (6) et (8). Or, cette position est significative. Les dispositions touchant la DGAÉ sont exceptionnelles dans le contexte du régime de l'autocotisation, car elles font savoir au contribuable que, malgré ses belles manigances théoriquement conformes à toutes les autres dispositions de la Loi, il pourrait être assujetti à un impôt supplémentaire par le jeu de la DGAÉ. Il aura beau se contorsionner dans tous les sens pour se conformer à ces autres dispositions, il ne pourra invoquer la DGAÉ pour établir son autocotisation. La seule exception permettant à un contribuable d'invoquer lui-même la DGAÉ est explicitement prévue au paragraphe 245(6): si la DGAÉ s'applique à une opération à laquelle le contribuable avait pris part, et s'il désire alors recevoir une cotisation ou une nouvelle cotisation, il peut en faire la demande conformément au paragraphe 245(6). En vertu du paragraphe 245(8), le ministre doit répondre à cette demande dès que possible. Un contribuable ne peut simplement établir une autocotisation en se fondant sur une application précédente de la DGAÉ (paragraphe 245(7)). Il y a une interaction entre ces trois paragraphes. Si le paragraphe 245(7) n'existait pas, il serait encore possible de faire une demande, mais rien n'interdirait au contribuable d'établir tout bonnement son autocotisation. Il s'agit donc effectivement, comme le suggère le titre du paragraphe 245(7), d'une exception à l'un des fondements du régime fiscal canadien, et j'ai nommé l'autocotisation.

[35]          Enfin, pour conclure l'analyse touchant l'interprétation législative du paragraphe 245(7), je dois aborder la question de l'objectif visé par le législateur. J'admets que les notes techniques n'ont comme but que d'informer, mais je dois mentionner la note technique relative au paragraphe 245(7), qui confirme qu'il ne s'applique qu'à une demande d'une autre personne. Cette note technique est citée plus haut, au paragraphe 15 des présents motifs. On n'y lit pas que l'article engage le ministre, mais bien au contraire qu'il vise le contribuable. J'estime que les mots élargissent la portée du paragraphe 245(7), au-delà de la situation d'une autre personne visée par une opération faisant l'objet de la cotisation établie conformément à la DGAÉ, pour interdire même au contribuable concerné par la cotisation initiale établie conformément à la DGAÉ d'établir une autocotisation en invoquant la cotisation initiale établie conformément à la DGAÉ pour la même opération.

[36]          Les notes explicatives du projet de loi C-139 rendent plus claires ces mesures exceptionnelles; elles sont citées au paragraphe 12 ci-dessus.

[37]          Il est intéressant de noter que le paragraphe 245(6) se rapporte spécifiquement à un avis de cotisation « en application du paragraphe (2) » , alors que le paragraphe 245(7) mentionne un avis de cotisation « compte tenu du présent article » . Or, si le législateur avait eu l'intention de restreindre la latitude du ministre à invoquer le paragraphe 245(2) en lui imposant une procédure aussi lourde que celle avancée par la requérante, il aurait sûrement mentionné spécifiquement l'application du paragraphe 245(2). Le fait qu'il ne l'ait pas fait dans le cadre du paragraphe 245(7) ne suggère aucune intention que ce paragraphe particulier représente une limitation générale du paragraphe 245(2). Le paragraphe 245(7) ne contient rien de tel. Il ne peut être envisagé que comme une interdiction aux contribuables d'établir une autocotisation en invoquant une application précédente de la DGAÉ. Le mécanisme général de la Loi consiste en un processus à deux étapes : une autocotisation, puis une cotisation établie par le gouvernement. Le paragraphe 245(7) s'écarte de ce mécanisme pour limiter le processus à cette dernière étape uniquement. Tout avis de cotisation établi par suite d'une demande faite en vertu du paragraphe 245(6) doit tenir compte de la DGAÉ.

[38]          Maintenant que nous avons établi que le paragraphe 245(7) ne s'applique que dans le sens d'une directive visant le contribuable, en quoi cela nous aide-t-il à répondre à la première question? Le ministre doit-il indiquer sur tout avis de cotisation établi conformément à la DGAÉ que celle-ci est invoquée? La réponse est non, le paragraphe 245(7) ne contient aucune formalité procédurale dans ce sens. Si la cotisation est établie par suite d'une demande en vertu du paragraphe 245(6), je ne puis imaginer pourquoi le ministre ne mentionnerait pas dans l'avis qu'il invoque la DGAÉ, puisque c'est là l'essence de la demande de cotisation. Même s'il n'existe aucune exigence en ce sens, j'estime que le ministre devrait être en mesure de prouver que la DGAÉ était invoquée au moment d'établir l'avis. J'insiste sur le fait que cette opinion ne vise que les avis établis par suite d'une demande faite en vertu du paragraphe 245(6).

[39]          L'argumentation de la requérante reposait sur le libellé du paragraphe 245(7), en particulier les mots « involving the application of this section » (compte tenu du présent article). Vu mon interprétation du paragraphe 245(7) à titre de directive aux contribuables, l'argument de la requérante à cet égard se limite à une cotisation établie par suite d'une demande présentée en vertu du paragraphe 245(6). Je ne pense pas que les mots « compte tenu » ( « involve » dans la version anglaise de la Loi) signifient « énoncés par écrit » comme l'a suggéré la requérante. Le mot anglais « involve » , d'après le Canadian Oxford Dictionary, signifie « imply » (suggérer) ou « entail » (entraîner). Or, il ne se dégage de ces termes aucune exigence relativement à une déclaration écrite. Ce mot n'évoque donc aucune forme de communication entre les parties.

[40]          La requérante invoque également les paragraphes 245(6), (7) et (8) relativement à la façon dont le ministre doit établir une cotisation initiale en vertu du paragraphe 245(2). En vertu du paragraphe 245(6), une autre personne a 180 jours suivant la mise à la poste de l'avis de cotisation pour demander sa propre cotisation concernant une opération à laquelle le ministre a appliqué la DGAÉ. Comment l'autre personne sait-elle qu'un avis a été mis à la poste, et comment sait-elle que l'avis est établi « en application du paragraphe 245(2) » , puisqu'il n'a pas été envoyé à l'autre personne? Si l'on présume que l'autre personne est tellement engagée dans l'opération visée qu'elle prend connaissance de l'avis, comment saura-t-elle que le ministre a tenu compte de la DGAÉ si l'avis ne le mentionne pas? La requérante craint également que l'avocat d'un contribuable contrevienne à son obligation fiduciaire envers l'autre personne si cette dernière n'est pas avisée. Ces inquiétudes font ressortir les imperfections inhérentes à l'article. En pratique, l'autre personne ayant pris part à une opération à l'égard de laquelle le ministre a tenu compte de la DGAÉ sera sans doute consciente du fait que l'opération est remise en question, même si c'est par l'intermédiaire de la cotisation établie à l'égard d'un autre contribuable engagé dans l'opération. Dans bien des cas, il est probable que l'autre personne et le contribuable visé par la cotisation entretiennent des liens de dépendance. Toutefois, cela n'exclut pas la possibilité qu'une autre personne sans lien de dépendance soit tenue dans l'ignorance du fait que l'opération est visée par une cotisation établie conformément à la DGAÉ.

[41]          À cause de ces problèmes, doit-on conclure qu'il va de soi que le ministre doit indiquer de façon explicite sur l'avis de cotisation que celui-ci est établi conformément à la DGAÉ? Je ne le pense pas. Si l'avis de cotisation ne mentionne rien, il existe deux scénarios possibles : soit que le ministre a tenu compte ou n'a pas tenu compte de la DGAÉ. S'il n'en a pas tenu compte, aucun des problèmes mentionnés ne se pose. Si le ministre en a tenu compte, soit le contribuable visé par la cotisation le sait, soit il ne le sait pas. Si le contribuable le sait, il doit décider, ou son avocat doit décider, d'aviser ou non une autre personne. Or, ce serait la même chose si le contribuable avait reçu un avis indiquant clairement que la cotisation était établie conformément à la DGAÉ.

[42]          Et si le contribuable ne savait pas que le ministre avait tenu compte de la DGAÉ? À mon avis, un cas rare, mais non impossible. Il existe deux situations où ce cas pourrait se présenter. La première, c'est que le ministre applique la DGAÉ mais omette d'en informer le contribuable. La deuxième, c'est que le ministre, rendu au stade de l'avis de cotisation, n'a pas encore décidé s'il appliquera la DGAÉ. Ce deuxième scénario est le plus probable des deux. Toutefois, dans un tel cas, on ne pourrait faire valoir que le ministre doit indiquer sur l'avis de cotisation que celui-ci est établi en application de la DGAÉ, puisqu'il ne le sait pas encore à ce moment-là. Cette question soulève le problème que le contribuable ne peut pas se prévaloir du paragraphe 245(6). J'en parlerai bientôt. En fin de compte, le seul argument à l'appui de la thèse voulant qu'il soit sous-entendu, aux paragraphes 245(6), (7) et (8), qu'un avis doit porter une déclaration écrite, c'est que cela permettrait d'éviter une situation où le ministre aurait décidé d'appliquer la DGAÉ sans prévenir la requérante. Je pense qu'une telle situation serait rare, mais c'est en fait ce que la requérante suggère en l'espèce. Je sais que la DGAÉ avait fait l'objet de discussions entre la requérante et le ministère avant la cotisation (voir, par exemple, les renonciations qui renvoient à la Partie XVI). La requérante suggère qu'en ne mentionnant pas la DGAÉ dans l'avis de cotisation, l'intimée lui a donné à penser qu'il n'était plus question de la DGAÉ. Je ne suis pas convaincu que la requérante n'était pas au courant de l'application de la DGAÉ. Si la requérante pensait que la DGAÉ ne s'appliquait pas, elle avait certainement eu l'occasion de se détromper en lisant le libellé de l'avis de ratification, où la DGAÉ était expressément mentionnée.

[43]          En fait, cela nous ramène à la question légitime de savoir comment, dans le scénario limité qui vient d'être décrit, l'autre personne peut se prévaloir du recours prévu au paragraphe 245(6). Si la requérante n'a pris conscience que bien après l'expiration du délai de 180 jours mentionné au paragraphe 245(6) du fait que le ministre avait tenu compte de la DGAÉ en établissant l'avis de cotisation, l'autre personne ne peut-elle plus rien faire? On peut certes demander une prolongation d'un an après l'expiration de la période de 180 jours, mais le problème pourrait persister et l'autre personne se trouverait à perdre son droit à un redressement sans l'avoir voulu. La réponse de la requérante, c'est qu'il n'est possible d'éviter ce dilemme qu'en mentionnant explicitement la DGAÉ dans l'avis de cotisation. Cela ne résout toutefois pas le problème de l'autre personne qui n'est pas prévenue de l'existence de l'avis, même si celui-ci mentionne effectivement la DGAÉ.

[44]          Même en acceptant comme argument l'omission de mentionner la DGAÉ dans l'avis de cotisation, la cotisation reste tout de même valide. Je citerai le paragraphe 152(8), qui se lit comme suit :

152(8)    Sous réserve de modifications qui peuvent y être apportées ou d'annulation qui peut être prononcée lors d'une opposition ou d'un appel fait en vertu de la présente Partie et sous réserve d'une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire nonobstant toute erreur, vice de forme ou omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s'y rattachant en vertu de la présente loi.

En outre, comme l'a indiqué le juge Dussault dans l'affaire Majoca Inc. c. Sa Majesté La Reine, 98 D.T.C. 1130, au paragraphe 15 :

Je ne crois pas que la seule omission de mentionner une disposition de la Loi dans un avis de cotisation ait pour effet de rendre nulle une cotisation par ailleurs valide surtout lorsqu'il est clairement indiqué dans l'avis de quelle responsabilité fiscale il s'agit et que cela n'est aucunement susceptible d'entraîner de confusion.

De même, le juge en chef adjoint Bowman a expliqué, dans l'affaire RMM Canadian Enterprises Inc. c. Sa Majesté La Reine, C.C.I., no 94-1732(IT)G, 10 avril 1997 (97 DTC 302), qu'un renvoi est fait à une disposition de la Loi dans un avis de cotisation plutôt que pour des raisons de commodité, mais

[...] cela ne fait qu'indiquer la disposition législative en vertu de laquelle la présumée obligation prend naissance. La cotisation en soi est établie en vertu de la Loi dans son ensemble.

Enfin, dans l'affaire Louis Riendeau c. Sa Majesté La Reine, C.A.F., no A-639-89, 17 juin 1991 (91 DTC 5416), le juge Stone affirmait :

Comme les décisions et les dispositions législatives qui ont été citées par le juge Cullen le montrent bien, c'est la Loi de l'impôt sur le revenu (R.S.C. 1952, c. 148) qui crée l'assujettissement à l'impôt, pas un avis de cotisation. L'assujettissement d'un contribuable au paiement de l'impôt est le même, peu importe que l'avis de cotisation soit erroné ou ne soit jamais expédié.[...]

Citant l'affaire Belle-Isle v. Minister of National Revenue, 63 DTC 347, le juge Stone poursuit :

                               [TRADUCTION]

En ce qui concerne les dispositions susmentionnées, l'article de la Loi aux termes duquel une cotisation est établie importe peu. Ce qui importe, c'est si de l'impôt est dû.

[45]          En général, rien n'interdit au ministre de citer des dispositions législatives à l'appui d'une cotisation, même si celles-ci n'étaient pas mentionnées dans l'avis de cotisation ou de nouvelle cotisation[2]. Toutefois, trois mises en garde tempèrent cette proposition :

1.              Le ministre ne peut modifier la cotisation de manière substantielle, mais seulement ajouter un fondement législatif supplémentaire à l'appui de la cotisation; le montant de l'obligation du contribuable ne peut changer.

2.              Le contribuable doit être informé de cet argument supplémentaire dès que possible, pas la veille du procès et certainement pas devant la Cour d'appel.

3.              Il incombe à la Couronne de convaincre la Cour que les dispositions de la Loi qu'elle vient d'invoquer appuient la cotisation.

[46]          En dehors du fait que, d'après moi, les dispositions touchant la DGAÉ, en elles-mêmes par implication ou par interprétation du paragraphe 245(7), doivent être mentionnées dans les avis de cotisation établis en application de la DGAÉ, je suis convaincu que le reste de la Loi et la jurisprudence font prévaloir le droit du ministre d'invoquer la DGAÉ après l'établissement de l'avis de cotisation, sous réserve des mises en garde ci-dessus.

[47]          Je ne suis pas prêt à dire qu'une imperfection dans les rouages des dispositions concernant le recours d'autres personnes aux paragraphes 245(6), (7) et (8) constitue un motif suffisant de déroger au processus normal d'établissement des cotisations. Un aspect essentiel de cette conclusion, c'est que le ministre ne reçoit pas le pouvoir d'invoquer la DGAÉ après l'établissement de l'avis de cotisation afin de modifier la responsabilité fiscale. La requérante suggère que c'est ce qui s'est produit en l'espèce, puisque la responsabilité fiscale changeait suivant l'application de la DGAÉ. La preuve qui m'a été présentée n'était pas suffisante pour me permettre de trancher cette question et, d'ailleurs, il n'est pas nécessaire pour moi de le faire pour répondre aux deux questions de droit soulevées dans la présente demande. Il reviendra au juge d'instance d'en décider.

[48]          Enfin, je veux mentionner l'affaire Michelin Tires (Canada) Ltd., une décision du Tribunal canadien du commerce extérieur, entérinée par la Cour fédérale, en particulier le passage suivant :

Les avocats de l'appelant ont soutenu qu'il en va autrement lorsqu'il est question de la RGAÉ et que le Ministre est tenu d'informer le contribuable aux termes du paragraphe 274(7) de la Loi, au moment d'établir la cotisation ou la nouvelle cotisation (ou aux termes du paragraphe 68.2(2), de la Loi, au moment d'effectuer la détermination ou la nouvelle détermination), qu'il applique la RGAÉ. Le Tribunal n'est pas convaincu que le paragraphe 274(7) de la Loi ajoute quoi que ce soit à l'obligation habituelle pour le Ministre d'aviser un contribuable des raisons pour lesquelles sa demande de remboursement est rejetée. Le paragraphe 274(7) de la Loi prévoit simplement que, si la RGAÉ est appliquée, ce doit être au moyen d'un avis de cotisation, de nouvelle cotisation, de détermination ou de nouvelle détermination. Selon le Tribunal, cette obligation n'est pas différente de celle prévoyant que l'impôt à payer doit être déterminé de la même façon aux termes d'autres articles de la Loi.[ ...][3]

[49]          L'avocat de la requérante m'a demandé d'accorder moins d'importance à cette affaire, car l'avis de détermination (équivalent à un avis de cotisation) avait été établi avant la modification de la loi faisant que l'article 274 devenait pertinent en l'espèce. Le ministre n'aurait pas su qu'il fallait invoquer la DGAÉ. J'arrive à la même conclusion que dans l'affaire Michelin Tires (Canada) Ltd., mais par des voies différentes. La cause Michelin semble suggérer une application générale du paragraphe 274(7) à chaque cotisation, position avec laquelle je ne suis pas d'accord pour les motifs indiqués. Je ne m'appuie pas sur cette affaire pour affirmer que la réponse à la première question est négative.

[50]          En ce qui concerne la deuxième question, quel est l'impact de mon interprétation du paragraphe 245(7) sur la réponse? Suite à mon interprétation du paragraphe 245(7), j'estime qu'il n'a aucune pertinence à l'égard de cette deuxième question. Le ministre n'a aucun choix à faire, il ne doit soupeser aucune alternative dans sa décision. Je conviens avec l'intimée que, de par sa nature même, la DGAÉ est un moyen subsidiaire d'établir la cotisation. Je me réfère ici aussi aux constatations du juge Stone, déjà citées, dans l'affaire Riendeau.

[51]          J'admets que le paragraphe 245(6) peut devenir inopérant dans des situations limitées où la DGAÉ est invoquée subsidiairement. À titre d'exemple, lorsque le ministre n'invoque la DGAÉ qu'après avoir établi l'avis de cotisation. Il incombe au Parlement de reconnaître cette conséquence et de modifier la loi s'il le juge nécessaire. Quant à moi, je n'ai pas à interpréter la loi de façon incompatible avec sa signification, son contexte et son objet ordinaires en vue de corriger une erreur du législateur, si c'en est bien une.

[52]          La requérante soutient qu'en invoquant la DGAÉ subsidiairement, on obtient un résultat numériquement différent. Comme je l'ai déjà mentionné, cela ne signifie pas que la Loi interdise le recours à la DGAÉ comme moyen subsidiaire d'établir la cotisation. Par contre, cela oblige le juge d'instance à décider si le moyen subsidiaire d'établir la cotisation qui a été adopté par l'intimée produit en fait la même dette fiscale.


[53]          Pour résumer, je ne puis accepter l'interprétation large que la requérante veut donner au paragraphe 245(7) selon laquelle chaque cotisation établie en application de la DGAÉ est assujettie à une formalité procédurale. D'après moi, il interdit aux contribuables d'invoquer une application précédente des dispositions de la DGAÉ pour établir une autocotisation à l'égard de la même opération. D'après cette interprétation, je ne trouve rien dans le paragraphe 245(7) qui oblige le ministre de mentionner explicitement l'article 245 dans un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation ou qui lui interdise d'établir la cotisation par un moyen subsidiaire. Je réponds par la négative à chacune des questions soulevées dans la demande. Les frais de la demande feront partie des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de décembre 2001.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de décembre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3248(IT)G

ENTRE :

S.T.B. HOLDINGS LTD.,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Demande entendue le 23 novembre 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique),

par l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions

Avocat de la requérante :                   Me Gordon S. Funt

Avocat de l'intimée :                           Me Robert Carvalho

ORDONNANCE

Sur demande à la Cour introduite par la requérante en vue de trancher une question de droit conformément à la règle 58(1)a) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) pour les motifs indiqués dans les présents motifs de l'ordonnance :

(a)            le paragraphe 245(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ) n'exige pas qu'un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation renvoie explicitement à l'article 245 et/ou à la « Disposition générale anti-évitement » ( « DGAÉ » ) pour que le ministre puisse invoquer l'article 245; et

               

(b)            le paragraphe 245(7) de la Loi n'interdit pas au ministre d'invoquer l'article 245 à titre de moyen subsidiaire d'établir la cotisation.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de décembre 2001.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de décembre 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1] La décision dans l'affaire Gregory a été renversée en appel pour des motifs qui n'avaient rien à voir avec les observations de l'avocat en l'espèce.

[2] On trouvera un sommaire intéressant de ces principes dans les commentaires du juge Rip dans l'affaire General Motors Acceptance Corp. du Canada c. Sa Majesté la Reine, [1999] A.C.I. no 502.

[3] Dans les versions anglaises, le paragraphe 274(7) de la Loi sur la taxe d'accise est identique au paragraphe 245(7) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

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