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Date: 20020419

Dossier: 2001-1327-IT-I

ENTRE :

SHELDON WISEMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une cotisation datée du 14 janvier 2000 et établie par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) conformément à l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) à l'égard de retenues non versées, d'intérêts et de pénalités payables par Lacewood Studios Ltd. ( « Lacewood Studios » ), une société constituée en personne morale aux termes de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario le 25 mars 1993 et appartenant à Lacewood Television Productions Inc. ( « LTPI » ). Ces deux sociétés faisaient partie d'un groupe de sociétés ( « Groupe Lacewood » ) qui appartenaient toutes à l'appelant et à son épouse et qui faisaient affaires dans le domaine des médias et du cinéma d'animation. L'appelant était le seul administrateur ainsi que le président, le trésorier et le secrétaire de chacune des sociétés faisant partie du Groupe Lacewood, qui ont fait l'objet d'une ordonnance de séquestre le 9 mai 1997.

[2]            Pendant la période du 16 mars 1997 au 30 avril 1997, Lacewood Studios a omis de verser l'impôt fédéral sur le revenu au receveur général, entraînant l'établissement de la cotisation visée par l'appel, omission qui représente un montant total de 15 522,52 $. Lors de l'audience, l'avocate de l'intimée a admis que cette somme devait être réduite de 1 883,75 $ parce qu'un montant de 170,28 $ n'avait pas été établi par preuve de réclamation comme l'exige l'alinéa 227.1(2)c) de la Loi, tandis que le solde de 1 713,47 $ concernait des montants qui n'avaient pas été versés pendant la période subséquente à la faillite. La somme totale en litige est donc de 13 638,77 $.

[3]            L'appelant conteste la cotisation pour deux motifs. En premier lieu, il soutient qu'aucune action ou procédure visant le recouvrement d'une somme payable par lui en vertu du paragraphe 227.1(1) n'a été entamée dans les deux années à compter de la date à laquelle il a cessé pour la dernière fois d'être un administrateur de Lacewood Studios, comme l'exige le paragraphe 227.1(4) de la Loi. L'appelant affirme avoir démissionné de son poste d'administrateur de Lacewood Studios entre mai 1997, lorsqu'une pétition en vue d'une ordonnance de séquestre a été déposée à l'égard de la société, et juillet 1997, lorsqu'elle a été mise sous séquestre. Le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant le 14 janvier 2000, soit plus de deux ans après que l'appelant ait cessé d'être un administrateur de la société. Le ministre rétorque que l'appelant n'avait jamais cessé d'être un administrateur de Lacewood Studios et que le délai de prescription prévu au paragraphe 227.1(4) n'avait donc pas débuté.

[4]            Subsidiairement, l'appelant invoque le paragraphe 227.1(3) et prétend qu'il n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe 227.1(1) parce qu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables. L'intimée conteste ce point.

Dispositions législatives

SECTION 153 : Retenues.

(1) Toute personne qui verse au cours d'une année d'imposition l'un des montants suivants :

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération, à l'exception des sommes visées au paragraphe 212(5.1);

[...]

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l'impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l'année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière désignée.

ARTICLE 227.1: Responsabilité des administrateurs pour défaut d'effectuer les retenues.

              (1) Lorsqu'une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l'article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d'impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d'imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s'y rapportant.

              (2) Restrictions relatives à la responsabilité. Un administrateur n'encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a)     un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 223 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

b)      la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l'objet d'une dissolution et l'existence de la créance à l'égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

c)     la société a fait une cession ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et l'existence de la créance à l'égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l'ordonnance de séquestre.

              (3) Idem. Un administrateur n'est pas responsable de l'omission visée au paragraphe (1) lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

              (4) Prescription. L'action ou les procédures visant le recouvrement d'une somme payable par un administrateur d'une société en vertu du paragraphe (1) se prescrivent par deux ans à compter de la date à laquelle l'administrateur cesse pour la dernière fois d'être un administrateur de cette société.

Faits

[5]            Le 17 avril 1995, LTPI a conclu un contrat de consultation avec le distributeur international du Groupe Lacewood, Paragon Entertainment Corporation ( « Paragon » ), société torontoise cotée en bourse. L'accord créait une coentreprise appelée Lacewood Animation Productions Inc. ( « LAPI » ), dans laquelle les deux associés détenaient des parts égales et dont l'objet était de mener à bien toutes les activités du Groupe Lacewood. Aux termes du contrat, Paragon devait avancer des fonds de roulement pour couvrir les frais généraux et administratifs engagés par LTPI pour LAPI, ces avances devant être remboursées par LTPI ou par LAPI à même les gains excédentaires éventuels. On a embauché un directeur des finances d'expérience pour gérer les opérations financières au jour le jour des deux sociétés à l'égard des projets entrepris en vertu du contrat de consultation. Le directeur des finances avait notamment été chargé d'ouvrir et de maintenir des comptes bancaires distincts pour toute production de LTPI liée au contrat de consultation et d'établir des procédures appropriées en matière de rapports financiers. Le directeur des finances était autorisé à signer, conjointement avec l'appelant, tout document ayant trait à ces projets.

[6]            D'après le témoignage de l'appelant, le directeur des finances a été nommé par Paragon. Il s'agissait de Steve Jarosz, qui était vice-président responsable des finances chez Paragon. À partir de ce moment, il a entretenu des rapports réguliers avec le service de la comptabilité du Groupe Lacewood, avec le personnel de ce service et avec l'appelant. Selon l'explication de l'appelant, un déficit de trésorerie a été créé par les nouvelles activités de Paragon, qui finançait les besoins d'exploitation bruts toutes les semaines ou toutes les deux semaines.

[7]            À l'automne 1996, Paragon a manifesté un intérêt à devenir copropriétaire du Groupe Lacewood tout entier. À partir de ce moment, d'après le témoignage de l'appelant, malgré l'absence de changement officiel, le personnel comptable du Groupe Lacewood a commencé à rendre compte à Steve Jarosz des questions financières au jour le jour.

[8]            Aux dires de l'appelant, une entente a été conclue à la fin de 1996 (quoiqu'elle n'a pas été produite en preuve) aux termes de laquelle Paragon avait l'intention de devenir propriétaire de 75 p. 100 du Groupe Lacewood; l'appelant et son épouse n'auraient conservé que 25 p. 100. Paragon a ensuite envoyé des employés aux bureaux du Groupe Lacewood à Ottawa pour photocopier tous les dossiers. L'appelant a déclaré que les employés de Paragon ont alors commencé à agir comme s'ils contrôlaient le Groupe Lacewood, même si l'affaire restait encore à conclure. À la même époque, Paragon a préparé une notice d'offre en vue d'offrir et de vendre dans le public des bons de souscription de Paragon dans le but d'obtenir environ 10 000 000 $. L'un des objectifs de la notice d'offre, on peut y lire (voir pièce A-3 aux pages 3 et 4), était que Paragon mobilise des fonds en vue d'acquérir tous les avoirs de LAPI et certains avoirs de services apparentés à LAPI.

[9]            Dans ce contexte, Paragon a analysé les activités du Groupe Lacewood et s'est penché sur certaines questions financières liées à celui-ci. Dans une lettre envoyée par Richard Borchiver, président de Paragon, à l'appelant le 19 mars 1997 (pièce A-2), M. Borchiver affirmait qu'il y avait plusieurs problèmes touchant les activités de Lacewood et il exprimait ses inquiétudes relativement au manque de viabilité du plan d'affaires actuel. M. Borchiver abordait également la question du passif et des dettes considérables de Lacewood. Il suggérait que l'appelant et lui devaient [TRADUCTION] « travailler de concert pour établir des paramètres préétablis pour les productions lors des contrats futurs » et qu'un système de signature de chèques et d'approbations quotidiennes devrait être mis sur pied pour l'ensemble des productions et des affaires de la société. Du même coup, il exprimait sa volonté de discuter de la bonne administration de ces questions commerciales importantes avec l'appelant et avec Jonathan Slan, directeur général de Paragon, à toutes les deux semaines.

[10]          Lors du contre-interrogatoire, l'appelant a expliqué que M. Borchiver parlait dans cette lettre (pièce A-2) du manque de viabilité du plan proposé à l'origine par Paragon à l'égard des activités prévues de Lacewood si jamais Paragon obtenait une part dans le Groupe Lacewood. Il a cependant reconnu que les opérations du Groupe Lacewood après la signature du contrat de coentreprise avec Paragon ne pouvaient être poursuivies sans l'apport de fonds de roulement par Paragon. En ce qui concerne les questions financières spécifiques soulevées par M. Borchiver (relativement à l'endettement considérable de Lacewood), l'appelant a expliqué que cela n'empêchait pas la conclusion de l'accord avec Paragon. À son avis, Paragon ne cherchait qu'à obtenir des renseignements et des précisions afin de savoir quand et comment elle pourrait recouvrer son investissement dans le Groupe Lacewood. Quant à la demande de M. Borchiver d'établir un mécanisme d'approbation régulière des chèques, l'appelant a affirmé que c'était une demande normale, puisque Paragon avançait des fonds de roulement au Groupe Lacewood.

[11]          Paragon a finalement réussi à obtenir environ 10 000 000 $ à la fin de mars 1997 grâce à son appel public. Toutefois, elle n'a jamais conclu l'entente avec le Groupe Lacewood. Au lieu de cela, aux dires de l'appelant, Paragon a eu recours à une procédure en faillite pour prendre le contrôle du Groupe Lacewood (y compris Lacewood Studios, qui appartenait à LTPI). D'après le témoignage de l'appelant, cette manoeuvre l'a pris au dépourvu.

[12]          En 1996, Lacewood Studios avait une cinquantaine d'employés. En 1997, le nombre d'employés a diminué de façon importante, à environ 27 employés. L'appelant a déclaré qu'un compte en fiducie distinct n'avait jamais été ouvert pour les retenues à la source sur les salaires des employés. Il a reconnu que, même si Paragon avançait des fonds à cette époque, les chèques étaient encore émis par le Groupe Lacewood et qu'il devait signer les chèques pour les approuver. Bien que l'appelant ait signé tous les chèques émis sur le compte de Lacewood Studios et qu'il les ait vérifiés pour s'assurer qu'ils étaient autorisés en bonne et due forme, il ne pouvait se rappeler avoir signé des chèques émis au receveur général pour les retenues à la source en mars et avril 1997.

[13]          D'après l'appelant, lorsque Paragon a commencé à faire affaires avec le Groupe Lacewood en 1995, et d'autant plus à la fin de 1996, quand Paragon prévoyait d'acquérir 75 p. 100 du Groupe Lacewood, elle a pris le contrôle du Groupe Lacewood. Il est bon de dire ici que Lacewood Studios faisait affaires depuis 1993 et que l'appelant avait toujours surveillé et contrôlé la gestion et les finances du Groupe Lacewood depuis sa création. Lorsque Paragon est apparue sur la scène, elle a déposé suffisamment de fonds dans le compte de Lacewood chaque semaine pour couvrir les besoins d'exploitation bruts, y compris le versement des retenues à la source au receveur général. L'appelant a donc supposé que les mécanismes de contrôle établis sous l'autorité de Paragon feraient en sorte que des chèques seraient émis de la façon nécessaire pour couvrir les retenues à la source. C'est en fait ce qui s'est produit jusqu'à la mi-mars 1997, moment où Lacewood Studios a omis d'effectuer les versements relatifs aux retenues à la source pendant trois périodes de suite (de la mi-mars 1997 à la fin avril 1997).

[14]          D'après l'appelant, pendant la période où Paragon contrôlait les choses, il a reçu les états de l'évolution de la situation financière et les registres des chèques, qui comprenaient notamment les chèques pour les versements au gouvernement, et qu'il ne s'était pas aperçu que les versements des retenues à la source n'avaient pas été effectués en mars et avril 1997. Rien d'inhabituel ou de différent ne s'est produit qui aurait pu le porter à croire que cela se produisait. Il a témoigné que Paragon contrôlait la gestion financière du Groupe Lacewood et qu'il avait été exclu de ce contrôle. Paragon finançait la trésorerie, son conseil d'administration avait du prestige, et le Groupe Lacewood était à sa merci. À son avis, il ne pouvait en faire plus pour éviter l'omission d'effectuer les versements que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans ces circonstances.

I)              Premier argument : Période de prescription en vertu du paragraphe 227.1(4) de la Loi

[15]          Le paragraphe 227.1(4) dispose que l'action ou les procédures en vertu du paragraphe 227.1(1) pour le recouvrement d'une somme payable par un administrateur se prescrivent par plus de deux ans après que l'administrateur cesse d'être un administrateur de la société. La question à trancher ici est donc de savoir quand l'appelant a cessé pour la dernière fois d'être un administrateur de Lacewood Studios, si tel est le cas.

[16]          Il faut examiner la législation applicable à la constitution en société pour déterminer si un administrateur a cessé d'être un administrateur lorsqu'un syndic de faillite a pris le contrôle de la société en faillite. (Voir l'affaire La Reine c. Kalef, C.A.F., no A-11-95, 11 mars 1996 (96 D.T.C. 6132).)

[17]          En l'espèce, Lacewood Studios a été constituée en société aux termes de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario. Les dispositions pertinentes de cette loi sont libellées comme suit :

ARTICLE 121

Fin du mandat d'un administrateur

                121. (1) Le mandat d'un administrateur prend fin lorsque se produit l'un des événements suivants :

                a) il décède ou, sous réserve du paragraphe 119(2), il démissionne;

                b) il est destitué en vertu de l'article 122;

                c) il devient inhabile aux termes du paragraphe 118(1).

Idem

                (2) La démission d'un administrateur prend effet à la date de réception par la société d'un écrit à cet effet ou à la date postérieure qui y est indiquée.

[18]          L'appelant a déclaré qu'il avait envoyé une lettre de démission à Paragon à un moment donné entre mai 1997 et juillet 1997. Il a témoigné qu'il avait envoyé cette lettre à Paragon parce que cette société exerçait le contrôle de fait sur le Groupe Lacewood à l'époque. Il ne voulait pas envoyer la lettre à lui-même à titre d'administrateur unique. Il a ajouté qu'il avait présenté sa démission après la présentation de la pétition en vue d'une ordonnance de séquestre, dans l'espoir que Paragon se raviserait. L'appelant a également déclaré avoir perdu sa copie de la lettre de démission lorsque le séquestre-gérant Deloitte & Touche a pris possession des dossiers du Groupe Lacewood en juillet 1997.

[19]          L'intimée a déposé la pièce R-4, une lettre de l'appelant datée du 21 septembre 1999 dans laquelle l'appelant affirme au paragraphe 10 que [TRADUCTION] « suite aux actions de Paragon, Deloitte & Touche a été nommée séquestre-gérant de la société le 9 mai 1997 ou vers cette date, date à laquelle j'ai démissionné à titre de dirigeant et d'administrateur de la société » . Dans son témoignage, l'appelant a affirmé avoir démissionné après le 9 mai 1997. Il dit qu'il y avait une certaine confusion quant à la date indiquée dans la pièce R-4 parce qu'une ordonnance de la Cour rendue en juillet 1997 rendait la faillite rétroactive au 9 mai 1997. Même si l'appelant affirme avoir continué à agir en tant qu'administrateur du Groupe Lacewood après le 9 mai 1997, il dit qu'il a sûrement démissionné avant sa mise en séquestre en juillet 1997.

[20]          L'intimée a également déposé le bilan de Lacewood Studios en date du 8 août 1997 (voir pièce R-5). À la deuxième page de ce document, l'appelant affirme certifier l'exactitude du bilan par affidavit à titre de président de Lacewood Studios. L'intimée a également déposé la pièce R-6, une lettre datée du 10 décembre 1997 envoyée par l'appelant à M. Saunders chez Deloitte & Touche. Dans ce document, l'appelant déclare démissionner à titre de dirigeant et d'administrateur de différentes sociétés faisant partie du Groupe Lacewood, sans toutefois faire mention de Lacewood Studios. M. Saunders, un syndic de faillite à l'emploi de Deloitte & Touche, a témoigné au procès qu'au mieux de ses connaissances, cette lettre en date du 10 décembre 1997 était la seule lettre de démission envoyée par l'appelant.

[21]          Par conséquent, la version de l'appelant était contradictoire, comme l'a souligné l'intimée, et aucune preuve autre que le témoignage intéressé de l'appelant n'a été présentée pour soutenir la crédibilité de l'affirmation de l'appelant qu'il avait cessé d'être administrateur de Lacewood Studios au cours de la période de mai à juillet 1997[1]. L'appelant est un avocat et la pièce R-6 montre qu'il connaît bien la marche à suivre pour remettre une lettre de démission. Selon ce qui précède et la décision rendue dans l'affaire Kalef, précitée, l'appelant n'a pas démontré qu'il avait cessé, à quelque moment que ce soit, d'être administrateur de la société en vertu de l'article 121 de la Loi sur les sociétés par actions de l'Ontario. Par conséquent, le délai de prescription prévu au paragraphe 227.1(4) n'a jamais débuté.

II)             Deuxième argument : Diligence

[22]          Le paragraphe 227.1(3) dispose que l'administrateur n'est pas responsable en vertu du paragraphe 227.1(1) « lorsqu'il a agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables » . La norme de soin, de diligence et d'habileté requise par le paragraphe 227.1(3) a été définie comme suit par le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Soper c. La Reine, [1998] 1 C.F. 124 (C.A.F.), à la page 155 (97 D.T.C. 5407, à la page 5416) :

[...] La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

[23]          En ce qui concerne plus précisément l'obligation d'agir, le juge Robertson a déclaré à la page 160 (D.T.C. : à la page 5418) qu'à son avis :

[...] l'obligation expresse d'agir prend naissance lorsqu'un administrateur obtient des renseignements ou prend conscience de faits qui pourraient l'amener à conclure que les versements posent, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel.

[24]          En l'espèce, l'appelant est un professionnel doté d'un sens aigu des affaires. Il a été déterminé qu'une personne expérimentée en affaires ou en questions financières sera sans doute tenue à une norme plus élevée qu'une personne qui n'a pas d'expérience en affaires. (Voir Smith c. La Reine, C.A.F., no A-154-00, 26 mars 2001 (2001 D.T.C. 5226) au paragraphe 10.)

[25]          Même si l'appelant a affirmé qu'il pensait que Paragon exerçait le contrôle de fait sur le Groupe Lacewood, ce qui n'est pas corroboré par la preuve documentaire à mon avis, ce ne serait pas suffisant pour dégager l'appelant de ses responsabilités en tant qu'administrateur. En effet, il a été affirmé dans l'affaire Canada (Procureur général) c. McKinnon, [2001] 2 C.F. 203 (C.A.F.) au paragraphe 53 (2000 DTC 6593 au paragraphe 51) « qu'une fois que la banque contrôle les chèques tirés par la compagnie, [cela ne veut pas dire que] les administrateurs de cette dernière ne sont plus indirectement responsables du défaut de versement à Revenu Canada des retenues à la source » .

[26]          En l'espèce, l'appelant avait encore une présence active au sein du Groupe Lacewood à l'époque où la société a omis de verser les retenues à la source. Même si Paragon avait avancé des fonds de roulement au Groupe Lacewood durant les deux années précédentes et surveillait les activités du Groupe Lacewood, l'appelant non seulement est demeuré dans son poste d'administrateur, mais a également eu à approuver et à signer tous les chèques tirés sur le compte de Lacewood. Par ailleurs, il ressort clairement de la lettre envoyée par M. Borchiver, président de Paragon, en mars 1997 (pièce A-2) que l'appelant devait participer de façon régulière aux discussions sur les décisions à prendre relativement aux activités du Groupe Lacewood. Vu ces circonstances, l'appelant ne peut à bon droit soutenir qu'il avait été exclu par Paragon de la direction et des décisions financières touchant les sociétés faisant partie du Groupe Lacewood, qu'il possédait encore.

[27]          L'appelant a témoigné qu'il se fiait à Paragon pour gérer les activités du Groupe Lacewood. Cependant, pour éviter que sa responsabilité ne soit engagée à titre d'administrateur, il devait montrer qu'il avait pris des mesures tangibles pour empêcher le manquement. À titre de cosignataire des chèques, il aurait dû remarquer qu'aucun chèque n'avait été émis au receveur général à la mi-mars 1997, car les versements se faisaient toujours deux fois par mois. La même observation vaut pour le mois d'avril 1997.

[28]          Je suis d'accord avec l'avocate de l'intimée que le contrôle des affaires financières de la société par un tiers, si tant est qu'il y avait contrôle, ne dégageait pas l'appelant, en tant qu'administrateur de Lacewood Studios, de l'obligation de se tenir au courant des affaires financières de la société et d'agir conformément à la Loi à l'égard des obligations financières de la société.

[29]          À mon avis, l'appelant aurait pu soupçonner que la société n'avait pas versé les retenues à la source conformément à la Loi, et il n'a pas exercé un contrôle adéquat sur les obligations de Lacewood Studios. Une personne raisonnable dans la même situation et avec le même degré de connaissance et d'expérience aurait, à mon avis, agi différemment.

[30]          Pour ces motifs, l'appel est accueilli et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, mais seulement pour tenir compte des montants que l'intimée admet et qui sont mentionnés au paragraphe 2 des présents motifs.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'avril 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de décembre 2002.

Yves Bellefeuille, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1327(IT)I

ENTRE :

SHELDON WISEMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 14 décembre 2001 à Ottawa (Ontario) par

l'honorable juge Lucie Lamarre.

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                          Me Harold J. Feder

Avocate de l'intimée :                                          Me Rosemary Fincham

JUGEMENT

                L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 14 janvier 2000 et qui porte le numéro 06031, est admis, sans dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, mais seulement pour tenir compte des montants admis par l'intimée, en égard au fait que l'appelant est solidairement responsable, avec Lacewood Studios Inc., de verser le montant de 13 638,77 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour d'avril 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de décembre 2002.

Yves Bellefeuille, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           Voir l'affaire Lino Mastromonaco c. La Reine, C.C.I., no 1998-9(IT)G, 8 novembre 1999 (2000 D.T.C. 1539), conf. par C.A.F., no A-801-99, 1er mai 2001 (2001 D.T.C. 5298), où l'on dit que le juge de première instance a le loisir d'invoquer l'absence de preuve documentaire quand il en arrive à une opinion sur la crédibilité d'un contribuable.

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