Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020207

Dossier : 2001-300-IT-I

ENTRE :

WILLIAM J. TROUPE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]               Il s'agit d'un appel sous le régime de la procédure informelle à l'encontre d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour l'année d'imposition 1999 de l'appelant. Dans le calcul de l'impôt à payer pour cette année, l'appelant a déduit, à titre de crédits d'impôt non remboursables, un crédit pour frais de scolarité de 888 $ et un crédit d'impôt pour études de 240 $ qui lui avaient été transférés, à titre de personne assumant les frais d'entretien, par sa fille, Amanda Christine Troupe, en vertu de l'article 118.9 de la Loi.

[2]               Dans la cotisation qu'il a établie à l'égard de l'appelant, le ministre n'a pas admis les crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études, qui s'élevaient à 1 128 $. Les raisons pour lesquelles le ministre n'a pas admis ces crédits sont énoncées comme suit au paragraphe 10 de la réponse à l'avis d'appel :

               [TRADUCTION]

               a)             durant toute la période en cause, l'appelant avait une fille, Amanda Christine Troupe, qui est née le 6 janvier 1987 (l' « enfant » );

               b)            de septembre à décembre 1999, l'enfant était inscrite à The School of Dance ( « L'École de danse » ) (l' « établissement » ) et suivait un cours appelé « Programme professionnel de ballet » (le « cours » );

               c)             l'établissement est inscrit comme établissement d'enseignement reconnu au sens du sous-alinéa 118.5(1)a)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » );

               d)            un montant de 888 $ a été payé à l'établissement pour l'inscription de l'enfant au cours et ledit montant a été indiqué sur le formulaire T-2202A (Certificat pour les frais de scolarité et le montant relatif aux études) remis par l'établissement;

               e)             le formulaire T-2202A indiquait également un montant total de 240 $ pour une période d'études à temps partiel allant de septembre à décembre 1999, et ledit montant était un montant relatif aux études pour ladite période;

               f)             les montants de 888 $ et de 240 $ susmentionnés respectivement aux alinéas 10d) et 10e) du présent document correspondent au total de 1 128 $ déduit par l'appelant comme frais de scolarité et montant relatif aux études qui ont été transférés par un enfant et qui sont mentionnés aux paragraphes 7 et 9 du présent document;

               g)            l'enfant n'avait pas atteint l'âge de 16 ans avant la fin de l'année d'imposition 1999;

               h)            il n'a pas été démontré qu'en suivant le cours, l'enfant travaillait à acquérir ou à améliorer la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle;

               i)              il n'est pas raisonnable de considérer que le motif de l'inscription de l'enfant à l'établissement consistait à lui permettre d'acquérir ou d'améliorer la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle.

[3]               La question du transfert, à l'un des parents, des crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études est traitée aux articles 118.5, 118.6 et 118.9 de la Loi, dont les passages pertinents, applicables pour l'année d'imposition en cause, sont reproduits ci-dessous :

ARTICLE 118.5 :       Crédit d'impôt pour frais de scolarité.

(1)            Les montants suivants sont déductibles dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

a)    si le particulier est inscrit au cours de l'année à l'un des établissements d'enseignement suivants situés au Canada :

        (i) établissement d'enseignement - université, collège ou autre - offrant des cours de niveau postsecondaire,

(ii) établissement d'enseignement reconnu par le ministre du Développement des ressources humaines comme offrant des cours - sauf les cours permettant d'obtenir des crédits universitaires - qui visent à donner ou à augmenter la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle,

le produit de la multiplication du taux de base pour l'année par les frais de scolarité payés à l'établissement pour l'année si le total de ces frais dépasse 100 $, à l'exception des frais :

          (ii.1) soit qui sont payés à un établissement visé au sous-alinéa (i) pour des cours qui ne sont pas de niveau postsecondaire,

          (ii.2) soit qui sont payés à un établissement visé au sous-alinéa (ii) si, selon le cas :

(A) le particulier n'avait pas atteint l'âge de 16 ans avant la fin de l'année,

(B) il n'est pas raisonnable de considérer que le motif de l'inscription du particulier à l'établissement consistait à lui permettre d'acquérir ou d'améliorer la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle,

[...]

PARAGRAPHE 118.6(2)

         (2) Crédit d'impôt pour études. Le montant obtenu par la formule suivante est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

A x B

où :

A       représente le taux de base pour l'année;

B        la somme des produits suivants :

a) 200 $ multipliés par le nombre de mois de l'année pendant lesquels le particulier est inscrit à un programme de formation admissible comme étudiant à temps plein d'un établissement d'enseignement agréé,

b) 60 $ multipliés par le nombre de mois de l'année (sauf ceux visés à l'alinéa a)) dont chacun est un mois pendant lequel le particulier est inscrit à un programme de formation déterminé d'un établissement d'enseignement agréé, aux cours duquel l'étudiant doit consacrer au moins 12 heures par mois.

Pour que le montant soit déductible, l'inscription du particulier doit être attestée par un certificat délivré par l'établissement - sur le formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits - et présenté au ministre et, s'il s'agit d'un établissement d'enseignement agréé visé au sous-alinéa a)(ii) de la définition de cette expression au paragraphe (1), le particulier doit avoir atteint l'âge de 16 ans avant la fin de l'année et être inscrit au programme en vue d'acquérir ou d'améliorer sa compétence à exercer une activité professionnelle.

ARTICLE 118.9 : Transfert à l'un des parents ou grands-parents.

      Dans le cas où, pour une année d'imposition, la personne qui est le père, la mère, le grand-père ou la grand-mère d'un particulier (à l'exception d'un particulier dont le conjoint déduit un montant à son égard pour l'année en application des articles 118 ou 118.8) est la seule que le particulier ait désignée par écrit pour l'année pour l'application du présent article, les crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études que le particulier lui a transférés pour l'année sont déductibles dans le calcul de l'impôt payable par la personne en vertu de la présente partie pour l'année.

[4]               Le ministre a établi à l'égard de l'appelant une cotisation basée sur le fait que l'appelant n'avait pas droit au transfert, par sa fille Amanda, des crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études parce que sa fille ne répondait pas aux deux exigences du sous-alinéa 118.5(1)a)(ii.2) et du paragraphe 118.6(2). La première exigence est que la fille de l'appelant ait atteint l'âge de 16 ans avant la fin de l'année d'imposition 1999. La deuxième exigence est qu'il soit raisonnable de considérer que le motif de son inscription à The School of Dance était de lui permettre d'acquérir ou d'améliorer la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle.

[5]               L'appelant a présenté des éléments de preuve en vue d'établir que sa fille satisfaisait à la seconde condition. Il admet que sa fille n'avait que 12 ans en 1999, mais il est d'avis que l'exigence en matière d'âge qui est prévue aux articles 118.5 et 118.6 de la Loi est discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ).

[6]               L'intimée est d'avis que l'appelant n'a pas démontré que le motif de l'inscription de sa fille Amanda à The School of Dance était de lui permettre d'acquérir la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle. L'avocat a argué qu'une personne raisonnable estimerait que le motif de l'inscription d'Amanda au cours de danse consistait davantage à lui permettre d'avoir un passe-temps ou une activité parascolaire qu'à lui permettre d'acquérir ou d'améliorer la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle au sens de la Loi. L'intimée soutient en outre que la division 118.5(1)a)(ii.2)(A), le paragraphe 118.6(2) et l'article 118.9 de la Loi ne contreviennent pas au paragraphe 15(1) de la Charte. Subsidiairement, l'avocat soutient que, si la Cour devait conclure que les dispositions contestées de la Loi sont discriminatoires en vertu de l'article 15 de la Charte, il s'agit d'une violation qui est justifiable dans le cadre d'une société libre et démocratique en vertu de l'article 1 de la Charte.

[7]               L'article 1 et le paragraphe 15(1) de la Charte se lisent comme suit :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

A - Le motif de l'inscription de la fille de l'appelant à The School of Dance

[8]               Je traiterai d'abord de la question de savoir si le motif de l'inscription d'Amanda à l'école de danse était de lui permettre d'acquérir la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle. L'appelant a fait témoigner Mme Merrilee Worsfold-Hodgins, qui est connue sous le nom de Merrilee Hodgins, et qui est codirectrice artistique à The School of Dance depuis 23 ans. Mme Hodgins a expliqué que son école est un établissement d'enseignement reconnu par le ministre du Développement des ressources humaines comme offrant des cours qui visent à donner ou à augmenter la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle. L'école offre trois programmes distincts : un programme récréatif, un programme de formation professionnelle (divisé en trois sections: ballet classique, danse moderne et formation en enseignement) et un programme public, subventionné, pour le mieux-être de la communauté. The School of Dance n'est reconnue aux fins de la Loi que relativement au programme de formation professionnelle, dans le cadre duquel Amanda suit des cours de ballet classique.

[9]               D'après Mme Hodgins, contrairement à ce qu'il en est pour de nombreuses autres professions, la formation ne peut, dans le cas de la danse, commencer quand un élève a terminé ses études secondaires et est prêt à entrer à l'université. Elle a expliqué que la formation en ballet classique commence normalement à l'âge de 10 ans et dure environ huit ou neuf années. À l'âge de 17 à 19 ans, les élèves entreprennent normalement leur carrière professionnelle, qui peut durer jusqu'à l'âge de 30 ans. Après cela, bien des danseurs et danseuses passent à la formation universitaire ou se recyclent pour entreprendre de nouvelles carrières basées davantage sur le savoir intellectuel (voir la pièce A-3).

[10]             Tous les élèves qui demandent à être admis aux programmes de formation professionnelle de The School of Dance doivent passer des auditions rigoureuses, s'étalant sur un mois, afin d'être acceptés et les élèves sont évalués annuellement avant que leur réadmission ne soit confirmée (voir la pièce A-3). Le programme récréatif ne comporte aucune de ces exigences : n'importe qui peut suivre les cours offerts dans le cadre du programme de ballet récréatif.

[11]             Dans le programme professionnel, il convient que, à l'âge de 10 ans, les élèves étudient environ quatre heures par semaine. Lorsque les élèves ont atteint l'âge de 14 ans, les leçons ont lieu chaque jour et durent d'environ une heure et demie à deux heures (c'est-à-dire environ 14 à 16 heures par semaine). On s'attend à ce que les élèves inscrits en danse suivent non seulement le programme annuel, qui va généralement de septembre à juin inclusivement, mais aussi un programme de formation de quatre semaines pendant l'été. Les élèves inscrits au programme récréatif ne fréquentent l'école qu'une heure par semaine et n'ont pas à suivre le programme d'été. Il y a moins d'élèves par classe dans le programme professionnel (entre 7 et 15 élèves) que dans le programme récréatif (25 élèves par classe).

[12]             Amanda était dans le programme professionnel de troisième année ( « PP3 » ) à The School of Dance en 1999 et, lors de l'audience en 2001, elle était dans le programme professionnel de cinquième année ( « PP5 » ) (voir la pièce A-4). Elle avait précédemment été reçue aux examens de la Royal Academy of Dance ( « Académie royale de danse » ) pour les deuxième, troisième et quatrième années. En 1999, elle s'entraînait pendant dix heures par semaine. En 1998 et en 1999, elle a participé au programme d'été de la division professionnelle du Royal Winnipeg Ballet ( « Ballet royal de Winnipeg » ), qui n'acceptait des élèves que par voie d'auditions. Amanda a expliqué que seulement 120 élèves (dont elle-même) avaient été acceptés dans ce programme sur un total de 1 500 élèves ayant passé une audition. Ce programme d'été comportait une formation intensive en ballet. Amanda a en outre dansé dans Casse-Noisette avec le Royal Winnipeg Ballet en 1999 et avec Les Grands Ballets Canadiens en l'an 2000. Elle a eu de nombreuses répétitions en vue de ces spectacles. Elle danse maintenant 15 ou 16 heures par semaine. Elle a dit bien clairement qu'elle tient beaucoup à la danse et qu'elle applique énormément d'énergie à devenir une danseuse professionnelle. Amanda fréquente en outre à temps plein une école secondaire qui fournit le soutien nécessaire pour permettre à des élèves ayant atteint un haut niveau dans les arts ou l'athlétisme de poursuivre avec succès leurs buts tant scolaires qu'artistiques ou athlétiques.

[13]             Vu la preuve qui m'a été présentée, je conclus que l'appelant a démontré qu'il est raisonnable de considérer que le motif de l'inscription d'Amanda à The School of Dance était de lui permettre d'acquérir ou d'améliorer la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle.

[14]             L'avocat de l'intimée soutient que la participation d'un enfant de 12 ans à des activités comme des leçons de ballet est plus susceptible d'être un passe-temps qu'une occupation menant à un emploi, compte tenu du fait que, dans un tel cas, [TRADUCTION] « la période d'emploi n'aura pas lieu à une époque raisonnablement rapprochée » .

[15]             Sur la foi de la preuve qui a été présentée, il ne semble pas qu'Amanda participait au programme de ballet professionnel tout simplement comme passe-temps ou comme activité parascolaire. Mme Hodgins a fait une nette distinction entre le programme récréatif et le programme de formation professionnelle. Au niveau PP3 (auquel Amanda était en 1999), de 10 à 12 heures de formation par semaine sont nécessaires. En ce qui concerne l'admissibilité aux crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études selon les articles 118.5 et 118.6, je ne vois aucune exigence que le particulier finisse par tirer un revenu de l'activité professionnelle en vue de laquelle il reçoit une formation, ou du moins n'y a-t-il pas d'exigence que le fait de gagner un tel revenu « ait lieu à une époque raisonnablement rapprochée » comme l'arguait l'intimée. Il ressort clairement de la preuve que l'on ne peut devenir danseur ou danseuse de ballet sans suivre des cours de ballet et, comme l'a dit Mme Hodgins lors de son témoignage, ces cours doivent être entrepris à un jeune âge (à 10 ans). Sans une formation professionnelle entreprise à un jeune âge, la fille de l'appelant ne pourrait devenir une danseuse de ballet professionnelle.

[16]             De plus, il y a des auditions à passer dans le cas du programme professionnel, et ce n'est pas tout le monde qui est accepté, contrairement à ce qu'il en est dans le cas du programme récréatif. Ainsi, les enfants qui sont choisis pour le programme professionnel sont ceux qui, de l'avis de The School of Dance, ont une bonne chance de devenir des danseurs professionnels. Selon moi, sur la foi de la preuve présentée par Mme Hodgins, il a été satisfait à l'exigence objective qu'il soit raisonnable de considérer que le motif de l'inscription de la fille de l'appelant à The School of Dance était de lui permettre d'acquérir ou d'améliorer la compétence nécessaire à l'exercice d'une activité professionnelle. Je ferais également remarquer que c'est un point qui semble avoir été accepté sans hésitation dans l'affaire Sandford c. Canada, [1998] A.C.I. no 934.

B - La question relative à la Charte

[17]             Bien que la fille de l'appelant réponde à l'une des conditions imposées par les articles 118.5 et 118.6 de la Loi, elle ne satisfait pas à l'autre condition, c'est-à-dire qu'elle n'avait pas atteint l'âge de 16 ans à la fin de 1999. L'appelant soutient que la division 118.5(1)a)(ii.2)(A), le paragraphe 118.6(2) et l'article 118.9 de la Loi sont discriminatoires au sens du paragraphe 15(1) de la Charte.

[18]             L'objet du paragraphe 15(1) a été résumé comme suit par le juge Iacobucci dans l'affaire Law c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, à la page 549 :

L'objet

(4)            En termes généraux, l'objet du par. 15(1) est d'empêcher qu'il y ait atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles au moyen de l'imposition de désavantages, de stéréotypes ou de préjugés politiques ou sociaux, et de promouvoir une société dans laquelle tous sont également reconnus dans la loi en tant qu'êtres humains ou que membres de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect et la même considération.

(5)            Il doit absolument y avoir un conflit entre l'objet ou les effets de la loi contestée et l'objet du par. 15(1) pour fonder une allégation de discrimination. L'existence d'un tel conflit doit être établie au moyen de l'analyse de l'ensemble du contexte entourant l'allégation et le demandeur.

[19]             La Cour suprême du Canada a énoncé certaines des grandes lignes directrices aux fins d'une analyse en vertu du paragraphe 15(1). Ces lignes directrices constituent des points de repère pour un tribunal appelé à déterminer s'il y a violation du droit à l'égalité, indépendamment de toute discrimination, garanti par la Charte à un demandeur.

[20]             L'approche adoptée et appliquée régulièrement par la Cour suprême du Canada quant à l'interprétation du paragraphe 15(1) est centrée sur trois questions principales qui sont énoncées dans l'affaire Law, précitée, à la page 548, à savoir :

(A)           La loi a-t-elle pour objet ou pour effet d'imposer une différence de traitement entre le demandeur et d'autres personnes?

(B)            La différence de traitement est-elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

(C)            La loi en question a-t-elle un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d'égalité?

[21]             En conséquence, un tribunal appelé à statuer sur une allégation de discrimination en vertu du paragraphe 15(1) doit répondre aux trois questions suivantes, qui sont énoncées dans l'affaire Law, précitée, aux pages 548 et 549 :

(A)           La loi contestée : a) établit-elle une distinction formelle entre le demandeur et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou b) omet-elle de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà dans la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d'autres personnes en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles?

(B)            Le demandeur fait-il l'objet d'une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

et

(C)            La différence de traitement est-elle discriminatoire en ce qu'elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qui a par ailleurs pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération?

1. Différence de traitement

[22]             La question préliminaire énoncée par le juge Iacobucci dans l'affaire Law, précitée, consiste à déterminer si les dispositions contestées - à savoir, en l'espèce, la division 118.5(1)a)(ii.2)(A), le paragraphe 118.6(2) et l'article 118.9 de la Loi - établissent une distinction, en raison d'une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, entre l'appelant en tant que demandeur et une autre personne ou un autre groupe de personnes, créant ainsi une différence de traitement. Cette étape de l'examen ne porte pas sur la question de savoir si la distinction dans le traitement est discriminatoire (affaire Law, précitée, à la p. 552).

[23]             Pour répondre à cette question, il faut trouver l'élément de comparaison approprié en déterminant la différence de traitement et les motifs de distinction. Dans la détermination de l'élément de comparaison pertinent, la Cour suprême dit que le point de départ naturel consiste à tenir compte du point de vue du demandeur. C'est généralement le demandeur qui choisit la personne, le groupe ou les groupes avec lesquels il désire être comparé aux fins de l'analyse relative à la discrimination, déterminant ainsi les paramètres de la différence de traitement qu'il allègue et qu'il souhaite contester (Law, à la p. 532).

[24]             En l'espèce, l'appelant n'a pas indiqué de groupes de comparaison. Toutefois, comme il s'agit d'un appel sous le régime de la procédure informelle et que l'appelant est un profane, il s'agit probablement d'un cas dans lequel il peut être approprié que le tribunal aide à définir le groupe de comparaison. Dans l'affaire Law, le juge Iacobucci a dit, à la page 532 :

[...] Le tribunal ne peut manifestement pas, de son propre chef, évaluer un motif de discrimination que n'ont pas invoqué les parties et à l'égard duquel aucune preuve n'a été produite : voir Symes, précité, à la p. 762. Cependant, dans le cadre du ou des motifs invoqués, je n'exclurais pas le pouvoir du tribunal d'approfondir la comparaison soumise par le demandeur lorsque le tribunal estime justifié de la faire.

[25]             L'avocat de l'intimée fait valoir dans ses observations écrites que l'appelant conteste la division 118.5(1)a)(ii.2)(A) et le paragraphe 118.6(2) par le biais de l'article 118.9 de la Loi. Comme l'appelant a choisi de présenter une demande en son nom propre, le groupe de comparaison pertinent doit comprendre le groupe auquel le crédit est transféré. Dans ce cas-ci, le crédit est transféré au parent. De l'avis de l'intimée, les groupes de comparaison appropriés seraient donc, d'une part, les parents qui ont des enfants de moins de 16 ans inscrits à une école visée aux articles 118.5 et 118.6 de la Loiet à qui sont refusés les crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études transférés par leur enfant et, d'autre part, les parents qui ont des enfants de plus de 16 ans inscrits à une telle école et à qui sont accordés les crédits d'impôt.

[26]             Cette base de comparaison me semble raisonnable.

[27]             L'intimée admet que l'application de la division 118.5(1)a)(ii.2)(A) et du paragraphe 118.6(2) crée une différence de traitement entre ces deux groupes de comparaison, ce qui pourrait constituer une négation du droit au même bénéfice de la loi en vertu de la première étape de l'analyse en matière d'égalité.

2. Motifs énumérés ou motifs analogues

[28]             L'âge est l'un des motifs de discrimination énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte. L'appelant allègue qu'il était non admissible aux crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études en raison de l'âge de sa fille et que l'utilisation de l'âge comme critère de distinction était discriminatoire. L'appelant ne base son allégation de discrimination sur aucun autre motif que l'âge.

[29]             L'intimée affirme que le fait d'être le parent d'un enfant de moins de 16 ans ne représente pas un motif énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte. Toutefois, en appliquant le raisonnement tenu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358, à la page 397 - où il a été accepté qu'un particulier a la qualité requise pour soulever une question de discrimination fondée sur le sexe de son parent canadien si ses propres droits sont tributaires du sexe de ce parent - l'intimée est disposée à admettre qu'il est raisonnable de conclure que la demande de l'appelant résulte d'une distinction dont le fondement est le motif énuméré de l'âge.

[30]             En l'espèce, l'appelant demande un crédit qui lui a été transféré par sa fille en application de l'article 118.9 de la Loi. Comme l'appelant est la seule personne que sa fille ait désignée, il devient la personne qui est en droit de demander les crédits en vertu des articles 118.5 et 118.6 et il est donc directement touché par un refus de lui accorder ces crédits basé sur une distinction fondée sur l'âge. En d'autres termes, la fille de l'appelant n'est concernée que dans la mesure où les droits de l'appelant sont tributaires de l'âge de sa fille.

[31]             On peut donc dire ici que les dispositions contestées de la Loi établissent une distinction qui est fondée sur l'âge, à savoir un motif de discrimination énuméré au paragraphe 15(1) de la Charte.

3. Discrimination

[32]             Comme j'ai conclu que l'appelant a fait l'objet d'une différence de traitement fondée sur un motif énuméré, la dernière question à trancher est de savoir si les dispositions contestées de la Loi ont un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d'égalité. En l'espèce, la question soulevée est de savoir si les distinctions en matière d'âge établies par les articles 118.5 et 118.6 de la Loi imposent à l'appelant en tant que parent d'un enfant de moins de 16 ans un désavantage qui constitue de la discrimination selon le paragraphe 15(1) de la Charte.

[33]             Dans l'affaire Law, précitée, qui concernait le fait que des prestations de survivant du Régime de pensions du Canada avaient été refusées à une veuve de moins de 45 ans, le juge Iacobucci a dit que, relativement parlant, les adultes de moins de 45 ans n'ont pas continuellement subi le genre de discrimination à laquelle ont fait face certaines minorités distinctes et isolées du Canada (Law, à la page 555). Je pense que l'on peut en dire autant de parents d'enfants de moins de 16 ans. Pour cette raison, l'appelant aura plus de difficultés à démontrer que la distinction législative en cause viole sa dignité humaine. En fait, l'appelant n'a présenté aucune preuve à cet effet. L'appelant n'a pas démontré que l'objet ou l'effet des dispositions législatives contestées viole sa dignité humaine de façon à constituer de la discrimination.

[34]             Il a été dit dans l'affaire Thibaudeau c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 627, que l'essence même de la Loi de l'impôt sur le revenu est d'établir des distinctions de manière à produire des recettes pour l'État tout en conciliant équitablement une gamme d'intérêts nécessairement divergents (pp. 676 et 702). Le juge Gonthier a poursuivi en disant, à la page 676 :

[...] Dans cette perspective, le droit au même bénéfice de la loi ne saurait signifier que chaque contribuable a un droit égal de recevoir les même sommes, déductions ou avantages mais seulement un droit d'être également régi par la loi.

[...]

[...] il ne faudrait donc pas confondre le concept d'équité fiscale, qui vise la meilleure répartition du fardeau fiscal compte tenu des besoins du fisc, de la capacité de payer des contribuables et des politiques économiques et sociales de l'État avec la notion de droit à l'égalité qui veut, comme je l'exposerai en détail ci-dessous, qu'un membre d'un groupe ne soit pas désavantagé en raison d'une caractéristique personnelle non pertinente partagée par ce groupe.

[35]             Par les crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études dont il est question aux articles 118.5, 118.6 et 118.9, on vise à accorder un allégement fiscal aux étudiants (ou à la personne assumant les frais d'entretien) en reconnaissant les frais de scolarité et les autres dépenses qu'ils doivent engager pour faire des études postsecondaires ou pour recevoir une formation en matière d'employabilité dans un établissement reconnu où sont offerts des cours permettant d'acquérir des compétences professionnelles (voir le paragraphe 7 de l'affidavit signé par Donald Phillip Wilson, économiste à la Division de l'impôt des particuliers de la Direction de la politique de l'impôt du ministère des Finances - pièce R-1).

[36]             D'après M. Wilson, le critère relatif à l'âge de 16 ans est une façon claire et efficace de limiter l'aide fiscale aux études postsecondaires et à la formation professionnelle (pièce R-1, paragraphes 9 et 15). En fait, l'âge de 16 ans a été utilisé dans la Loi comme point de démarcation concernant les crédits d'impôt pour frais de scolarité et pour études afin de correspondre aux exigences provinciales voulant que tous fassent des études secondaires jusqu'à un certain âge obligatoire (16 ans dans la plupart des provinces canadiennes) avant de passer à une formation professionnelle ou à des études postsecondaires (pièce R-1, paragraphes 10 et 11). De l'avis de M. Wilson, le choix de l'âge de 16 ans est donc raisonnable dans le contexte d'un régime fiscal national à assiette large (pièce R-1, paragraphe 21).

[37]             Il se peut que les dispositions législatives en cause imposent un désavantage aux parents d'enfants de moins de 16 ans qui suivent une formation en vue de devenir des danseurs professionnels. Il est toutefois peu probable que ce soit un désavantage important, eu égard au contexte de la législation. Dans l'affaire Thibaudeau, précitée, le juge Gonthier a dit au sujet du système d'inclusion et de déduction qui existait à l'époque relativement aux pensions alimentaires pour enfants (à la page 696) :

[...] D'une part, une loi doit être évaluée selon la généralité des cas auxquels elle s'adresse. Le désavantage qu'elle peut engendrer dans des cas d'exception alors qu'elle bénéficie à l'ensemble d'un groupe légitime ne justifie pas de conclure qu'elle cause préjudice.

Je pense que le même raisonnement peut s'appliquer ici.

[38]             Comme le juge Binnie l'a dit dans l'affaire Granovsky c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703, à la page 734 :

   La question n'est donc pas seulement de savoir si l'appelant a été privé d'un avantage financier, ce qui est le cas, mais plutôt de savoir si cette privation favorise l'opinion que les individus souffrant d'une déficience temporaire sont « moins capables ou [...] moins [dignes] d'être reconnus ou valorisés en tant qu'êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne qui méritent le même intérêt, le même respect et la même considération » . [souligné dans l'original]

[39]             La différence de traitement imposée par la Loi ne favorise pas l'opinion que les parents d'enfants de moins de 16 ans ne méritent pas le même intérêt, le même respect et la même considération. En fait, dès que l'enfant atteint l'âge de 16 ans, les crédits d'impôt sont disponibles pour lui ou l'un de ses parents, pourvu qu'il soit satisfait à toutes les autres conditions. Cette différence temporaire de traitement ne favorise pas l'opinion que les personnes faisant partie de cette catégorie sont moins capables ou moins dignes d'être reconnues ou valorisées en tant qu'êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne. Compte tenu du contexte contemporain et historique qui entoure la différence de traitement et les personnes qu'elle touche, la disposition législative en cause ne promeut pas de stéréotypes relativement aux parents d'enfants de moins de 16 ans, ne les exclut pas et ne les dévalorise pas. Elle diffère simplement le droit à un crédit d'impôt jusqu'à ce que l'enfant ait atteint l'âge de 16 ans, et ce, dans le but économique d'accorder un allégement fiscal aux particuliers poursuivant des études postsecondaires ou une formation professionnelle et dans le but social d'obliger les personnes de moins de 16 ans à fréquenter une école primaire ou secondaire à temps plein (pièce R-1, paragraphes 20 et 21).

[40]             Il convient ici de citer le juge La Forest, qui, dans l'affaire McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, disait au sujet de l'âge et de la répartition d'avantages (à la page 297) :

         La vérité est que, bien qu'il faille se méfier des lois qui ont des effets préjudiciables inutiles sur les personnes âgées en raison de suppositions inexactes quant aux effets de l'âge sur les capacités, il y a souvent des motifs sérieux de conférer des avantages à un groupe d'âge plutôt qu'à un autre dans la mise sur pied de grands régimes sociaux et dans la répartition des bénéfices.

[41]             Dans de telles circonstances, lorsque la législation ne porte pas atteinte à la dignité de ceux qu'elle exclut de par son objet ou ses effets, il est loisible au législateur de se servir de l'âge comme d'un « indicateur » des besoins à long terme (Law, à la p. 560) ou, comme dans ce cas, dans le cadre de grands régimes sociaux.

[42]             Dans les circonstances présentes et vu l'objet du paragraphe 15(1) de la Charte, je ne vois aucune violation de la dignité humaine. Les distinctions contestées ici n'impliquent pas un refus d'accorder les bénéfices de l'État en raison d'hypothèses stéréotypées quant au groupe démographique dont l'appelant se trouve être membre. Vu le contexte social, politique et juridique de la demande, je dois donc conclure que les distinctions en matière d'âge établies aux articles 118.5 et 118.6 de la Loi ne sont pas discriminatoires.

[43]             Comme j'ai conclu que les dispositions législatives contestées ne violent pas le paragraphe 15(1) de la Charte, il n'est pas nécessaire de se pencher sur l'article 1 de la Charte.

[44]             Dans les circonstances, je dois donc rejeter l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de février 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de décembre 2002.

Yves Bellefeuille, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-300(IT)I

ENTRE :

WILLIAM J. TROUPE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 11 septembre 2001 à Ottawa (Ontario) par

l'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                                            Me Pascal Tétrault

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1999 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de février 2002.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de décembre 2002.

Yves Bellefeuille, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.