Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20030114

Dossier: 2001-2904-IT-I

ENTRE :

YVES ANDRÉ RIO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(prononcés oralement à l'audience

le 4 juin 2002, à Montréal (Québec),

et modifiés par la suite pour plus de clarté)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Yves André Rio conteste une cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard de l'année d'imposition 1999. Le ministre a refusé la déduction, qu'avait réclamée monsieur Rio dans le calcul de son revenu, d'une dépense de 10 500 $. Cette dépense a trait au loyer qu'il a versé pour un logement à Toronto lorsqu'il habitait dans cette ville durant l'année d'imposition 1999.

Faits

[2]            Monsieur Rio est un fonctionnaire du ministère du Revenu du Québec (ministère), qui, à la demande de son employeur mais sans y être tenu, a accepté d'être muté au bureau de Toronto pour y exercer ses fonctions de vérificateur des grandes entreprises. Il a déménagé à Toronto avec son épouse en mai 1992 et y est resté jusqu'au 1er août 1999. Pour l'indemniser des dépenses résultant de cette mutation, son employeur lui a remboursé ses frais de déménagement.

[3]            En ce qui a trait aux frais de séjour engagés à Toronto, la politique du ministère était de verser plusieurs types d'allocations mensuelles. Il y avait une allocation de logement dont le montant a été déterminé ainsi en 1999 : du montant de 3 450 $ retenu comme correspondant au coût d'un logement, on a soustrait 687 $ représentant le loyer raisonnable qu'une personne habitant à Montréal devait payer. En plus de l'allocation de logement, on a versé une allocation de fonction de 830,55 $ et une allocation de vie chère de 116,74 $.

[4]            Pour des raisons personnelles, monsieur Rio avait décidé de conserver son logement à Montréal, qui appartenait à ses parents et pour lequel il versait un loyer mensuel de 500 $. Il désirait notamment ainsi favoriser des séjours au Québec et faciliter les choses pour son épouse, qui avait à l'occasion des contrats à exécuter à Montréal.

[5]            À cette époque, un employé du ministère était muté, de façon générale, pour une période de trois ans, la mutation étant renouvelable pour deux autres années. On devait donc revenir au Québec au bout de cinq ans. En raison du peu d'intérêt que suscitaient chez certains employés du ministère de telles mutations, la politique a été modifiée pour permettre de demeurer plus longtemps à Toronto. Monsieur Rio y est resté sept ans. Certains ont même allongé leur séjour à 12 ans. Au cours des dernières années, la politique a été changée de nouveau pour forcer un retour au Québec au bout de cinq ans.

[6]            Monsieur Rio a indiqué que le loyer mensuel pour son logement de Toronto était de 1 500 $ et qu'il est demeuré le même de 1992 à 1999. N'eût été l'excellence de sa relation avec son propriétaire, son loyer aurait pu être plus élevé.

[7]            Au cours de la période de 1992 à 1999, il semble, même si cela n'était pas très clair, que la politique du ministère était de tenir compte de l'impôt à payer sur l'allocation de logement. Depuis quelques années, cependant, on indique de façon plus explicite et transparente que le montant de cette allocation tient compte de l'impôt que l'employé aura à verser sur celle-ci. D'ailleurs, en chiffres arrondis, le montant net de l'allocation de logement représente environ 2 700 $ (ce qui donne 1 350 $ après l'impôt calculé à 50 %) alors que le coût du loyer était, dans le cas de monsieur Rio, de 1 500 $. Il est donc raisonnable de croire que la politique poursuivie par le ministère consistait à prendre en considération l'impôt à payer, même si le montant accordé pouvait être insuffisant compte tenu du loyer effectivement versé à Toronto[1].

Position des parties

[8]            Dans son Avis d'appel, monsieur Rio n'a pas contesté l'inclusion dans son revenu de toutes les allocations versées par le ministère en 1999. Par contre, il avait demandé une déduction de 10 500 $ représentant le total des sept loyers mensuels qu'il a versés pour son logement de Toronto. Au début du procès, il a reconnu que le paragraphe 8(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) prévoit expressément qu'aucune dépense ne peut être déduite à moins qu'elle ne soit prévue expressément dans la Loi. Monsieur Rio a donc changé sa position et a prétendu plutôt que la somme de 10 500 $ n'aurait pas dû être incluse dans son revenu.

[9]            Pour l'intimée, peu importe que l'on considère les sommes versées par l'employeur de monsieur Rio comme étant un remboursement de dépenses ou comme une allocation, elles représentent un avantage imposable qui doit être ajouté au revenu de monsieur Rio tiré d'un emploi. Les deux principales décisions citées à l'appui de la position de l'intimée sont celle de mon collègue le juge Teskey dans l'affaire MacDonald c. Canada, [1992] A.C.I. no 299 (QL), et celle que j'ai rendue dans l'affaire Dionne c. Canada, [1996] A.C.I. no 1691 (QL).

[10]          Dans la première décision, le juge Teskey a conclu, à la page 4, que les décisions rendues dans les affaires McNeill c. Canada, [1987] 1 C.F. 119, 86 DTC 6477 (angl.), Splane v. The Queen, 90 DTC 6442 (angl.), Phillips v. M.N.R., 90 DTC 1274 (angl.), et Côté c. M.R.N., 91 DTC 259, ne pouvaient s'appliquer à des faits semblables à ceux en l'espèce. Le juge Teskey s'exprimait ainsi à la page 4 :

[...] Toutefois, les quatre décisions susmentionnées sont tout à fait distinctes de la présente espèce. Il s'agissait dans chaque cas d'un paiement forfaitaire unique, visant le remboursement d'une perte précise. En l'espèce, l'appelant touchera des versements mensuels tant qu'il sera affecté au bureau de Toronto et qu'il habitera dans un secteur désigné, sous réserve des redressements mentionnés aux paragraphes 2, 3 et 4 du bulletin. Il importe peu que le bénéficiaire achète ou loue une résidence ou qu'il habite gratuitement chez ses parents. Les seuls critères justifiant l'obtention de ce qu'on appelle l' « allocation de logement » , sont que l'employé a été muté à Toronto et qu'il habite dans le secteur désigné.

Au paragraphe suivant, il ajoutait :

Compte tenu de la preuve qui m'a été soumise et de la décision rendue par le juge Noël dans l'affaire Ranson, je suis convaincu que les paiements ici en cause constituent une allocation au sens de l'alinéa 6(1)b) de la Loi et qu'il ne s'agit pas d'un remboursement.

[11]          De l'affaire Dionne, le procureur de l'intimée a cité en particulier le passage au paragraphe 55 dans lequel je concluais que, pour déterminer s'il existe une perte ou un préjudice subi par un contribuable, il faut adopter le point de vue du contribuable considéré par rapport à ses concitoyens de la ville où il habite et non pas par rapport aux habitants de son lieu d'origine (là où il vivait avant la mutation). Je reproduis ici le passage en question :

[55] À mon avis, il me semble plus juste de comparer ce contribuable par rapport à ses nouveaux concitoyens pour déterminer s'il subit réellement un préjudice en raison de son emploi. Comme le reconnaît l'adage bien connu : « À Rome, il faut vivre comme les Romains. » C'est aussi l'approche qu'a suivie mon collègue le juge Bonner dans Gernhart v. The Queen, [1996] 3 C.T.C. 2369, 96 D.T.C. 1672.

Analyse

[12]          À mon avis, les décisions MacDonald et Dionne sont pertinentes dans l'appréciation des faits pertinents de cet appel et dans l'application des règles fiscales pertinentes pour décider du sort de l'appel. On n'est pas ici en présence d'un contribuable qui est appelé à vivre de façon temporaire, à savoir quelques semaines ou même quelques mois, dans une autre ville que son lieu de résidence. Il s'agit ici plutôt d'un contribuable qui a décidé de déménager pour une période minimale de trois ans. Bien évidemment, des circonstances imprévisibles auraient pu écourter ce séjour. Dans les faits, toutefois, le séjour à Toronto a duré sept ans, soit de 1992 à 1999.

[13]          Dans un tel contexte, je crois qu'il est important de déterminer si monsieur Rio a subi un préjudice dont l'indemnisation ne serait pas imposable. Pour résoudre cette question, il faut comparer sa situation avec celle des autres résidants de Toronto. De ce point de vue-là, monsieur Rio n'a pas subi de préjudice et, par conséquent, l'indemnité qu'il a reçue du ministère constituait une allocation pour frais personnels et de subsistance qui doit être incluse dans son revenu en vertu de l'alinéa 6(1)a) de la Loi[2].


[14]          Même si, dans l'affaire Dionne, il s'agissait d'un contribuable qui habitait dans une région éloignée du Grand Nord canadien, je ne crois pas que la règle selon laquelle l'allocation de subsistance ou le remboursement de frais de subsistance sont à ajouter au revenu tiré d'un emploi doit être interprétée différemment selon qu'il s'agit d'une personne habitant dans une région éloignée ou d'une personne habitant dans une des grandes villes canadiennes.

[15]          Pour ces motifs, je conclus que l'appel de monsieur Rio doit être rejeté.

Signé à Drummondville (Québec), ce 14e jour de janvier 2003.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.No DU DOSSIER DE LA COUR :                            2001-2904(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 YVES ANDRÉ RIO

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    4 juin 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      12 juin 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Pour l'intimée :                                                       Me Mounes Ayadi

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :                                                   

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada



[1] Il faut se rappeler qu'il y avait d'autres allocations que recevait monsieur Rio.

[2] Cet alinéa est ainsi rédigé :

Éléments à inclure à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi

6. (1)     Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

a) Valeur des avantages - la valeur de la pension, du logement et autres avantages quelconques qu'il a reçus ou dont il a joui au cours de l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi, à l'exception des avantages suivants :

        [...]

                                                                                                                        [Je souligne.]

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.