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Date: 20010905

Dossier: 2001-524-IT-I

ENTRE :

MARGARET LYNNE VANLAARHOVEN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey, C.C.I.

[1]            L'appelante, dans son avis d'appel en vertu duquel elle prétendait interjeter appel à l'encontre de ses cotisations fiscales pour les années 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998, a choisi la procédure informelle.

[2]            La preuve indiquait que la cotisation de 1998 constituait une cotisation portant qu'aucun impôt n'était payable. Par conséquent, l'appel de 1998 est annulé en raison d'un précédent établi depuis longtemps.

Questions

[3]            La Cour est saisie de quatre questions, à savoir :

(i)           les intérêts et les pénalités imposés en 1994 et 1995;

(ii)          pour ce qui est de 1996 et de 1997, l'appelante était-elle une agricultrice exploitant une entreprise avec une attente raisonnable de profit?

le cas échéant,

(iii)         l'appelante avait-elle le droit de déduire toutes les pertes ou seulement les pertes restreintes en vertu de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » )?

le cas échéant,

(iv)         certaines des dépenses déclarées constituaient-elles des dépenses en immobilisations ou des dépenses courantes?

Première question

[4]            L'appelante admet que sa déclaration de revenus T1 de 1994 n'a pas été produite avant l'été 1995, alors qu'elle aurait dû l'être au plus tard le 30 avril 1995 et que, lorsqu'elle a produit sa déclaration de revenus T1 de 1995 en avril 1996, elle n'a pas envoyé d'argent en même temps que sa déclaration même si elle en devait.

[5]            Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) allègue que ces déclarations n'ont pas été produites. Il a envoyé une demande formelle de production d'avis (TX14D) le 11 avril 1996 et le 13 novembre 1997 pour les années 1994 et 1995, respectivement, et a arbitrairement établi une cotisation à l'égard de l'appelante pour ces années le 18 mars 1999.

[6]            Je d'avis que l'appelante était un témoin crédible et que son témoignage était véridique et honnête. Son propre témoignage écarte toute raison valable pour éliminer les pénalités imposées. La question des intérêts n'est pas susceptible d'appel puisque ces derniers sont imposés en vertu de la Loi. Par conséquent, les appels portant sur les années 1994 et de 1995 sont rejetés.

Deuxième question

[7]            L'appelante a grandi à la ferme, qu'elle a quittée à l'âge de 18 ans. Celui qui est maintenant son époux a également grandi à la ferme.

[8]            Je conclus que l'appelante était bien informée au sujet des activités ovines et de l'exploitation d'une entreprise d'élevage de mouton. Le témoignage de l'appelante portant sur les coûts et les processus d'exploitation ainsi que sur le revenu potentiel découlant d'une entreprise ovine n'est pas contesté.

[9]            Ni le vérificateur ni l'agent des appels ne possédaient de connaissances en ce qui concerne l'exploitation d'une ferme ovine. L'année 1996 constituait la première année d'exploitation de ce qui pouvait être décrit comme une entreprise. Au cours de cette année, l'appelante a exploité l'entreprise avec un associé et, pendant cette période, elle occupait également un emploi à plein temps.

[10]          En 1997, la société de personnes a été dissoute et l'appelante a acheté un bien-fonds de cinq acres pour 326 000 $. Elle évaluait la valeur du terrain à 240 000 $, la maison qui y était située à 50 000 $ et les étables ainsi que les dépendances à 11 000 $. Ces évaluations ne sont pas contestées. Une grande partie du prix d'achat a été financée au moyen d'une hypothèque de premier rang. Elle affirme que la terre vaut aujourd'hui 750 000 $.

[11]          Selon la preuve qui a été déposée devant moi, je suis convaincu que l'appelante, en 2005, après la déduction pour amortissement, tirera de l'entreprise ovine un profit net avant impôt sur le revenu d'environ 6 000 $ et, en 2006, ce chiffre devrait se situer entre 45 000 $ et 50 000 $.

[12]          À toutes fins pratiques, il s'agira du seul revenu de l'appelante.

Le droit

[13]          La décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Moldowan c. Sa Majesté La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213) fait autorité. Le juge Dickson, tel était alors son titre, a déclaré ce qui suit aux pages 487 et 488 (DTC : à la page 5216) :

À mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensemble trois catégories d'agriculteur :

(1)            le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribuable, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années où il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;

(2)            le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévue au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;

(3)            le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.

Le paragraphe 13(1) suppose l'existence d'un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et de quelqu'autre source et il renvoie donc à la 1re catégorie. Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie : le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à 5 000 $. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit pertinente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale « source » de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'appartenir à la 1re catégorie uniquement parce qu'elle reçoit un héritage. D'autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement.

Il a également déclaré ce qui suit aux pages 485 et 486 (DTC : à la page 5215) :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. [...]

[14]          La décision Moldowan a été examinée en détail par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Morrissey, C.A.F., no A-648-86, 21 décembre 1988 (89 DTC 5080). Le juge Mahoney a déclaré ce qui suit à la page 5084 :

Selon une bonne application du test proposé dans l'arrêt Moldowan, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on considère improbable la rentabilité de l'entreprise agricole en dépit du temps et des capitaux que le contribuable peut et veut bien lui consacrer, la conclusion à tirer selon le fardeau de la preuve en matière civile doit être que l'agriculture n'est pas une source principale de revenu pour l'agriculteur en question. Pour constituer un revenu dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui est reçu doit être de l'argent ou quelque chose de convertible en argent. Sans rentabilité réelle ou possible, l'agriculture ne peut être une source principale du revenu du contribuable même si la concession qu'il s'adonnait à l'agriculture avec une expectative raisonnable de profit équivaut à une concession que la preuve peut ne pas confirmer, à savoir que l'agriculture constitue au moins une source de revenu pour le contribuable.

[15]          Le juge Strayer, tel était alors son titre, dans l'affaire Mohl c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-109-86, 11 avril 1989 (89 DTC 5236), après avoir cité les affaires Moldowan et Morrissey, a déclaré ce qui suit à la page 6 (DTC : à la page 5238) :

[...] pour qu'une personne puisse prétendre que l'agriculture constitue une principale source de revenu, elle doit démontrer non seulement qu'elle s'y est engagée sérieusement pour ce qui est du temps qu'elle y a consacré et de l'argent qu'elle y a investi, mais également qu'elle pouvait raisonnablement s'attendre à en tirer des bénéfices appréciables. J'emploie l'expression « bénéfices appréciables » parce qu'il ressort de l'arrêt Morrisey qu'on ne peut ignorer l'ampleur des bénéfices anticipés et que cela signifie selon moi que l'on doit tenir compte des montants relatifs que le contribuable compte tirer de l'agriculture et d'autres sources. À moins que le montant que le contribuable s'attend raisonnablement à tirer de l'agriculture soit important par rapport aux autres sources de revenu, l'entreprise agricole sera au mieux considérée comme une « entreprise secondaire » à laquelle la restriction imposée aux pertes s'appliquera, en vertu du paragraphe 31(1).

[16]          En 1991, dans la décision La Reine c. Roney, C.A.F., no A-1086-88, 11 mars 1991 (91 DTC 5148), la Cour d'appel fédérale a examiné les décisions Moldowan (précitée), Morrissey (précitée) et Sa Majesté la Reine c. Graham, [1985] 2 C.F. 107 (85 DTC 5256). Le juge d'appel Desjardins a déclaré ce qui suit à la page 18 (DTC : à la page 5155) :

Contrairement à ce qu'a dit le juge de première instance, les frais d'établissement ne peuvent être considérés comme le fondement d'un motif subsidiaire de décision. Le montant dont la déduction est permise dépend de la catégorie à laquelle le contribuable appartient.

À son avis, lorsque le juge Dickson a déclaré dans l'affaire Moldowan : « [...] D'autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement. » , il faisait référence à un agriculteur de catégorie (1).

[17]          En fonction de ces principes ainsi que de la preuve qui a été déposée devant moi, je suis convaincu que les activités prévues seront rentables en 2005 et, selon les circonstances de l'espèce, je ne considère pas que la période de démarrage est excessive.

[18]          Ainsi, je conclus que l'appelante exploitait une entreprise en 1995 et en 1996.

Troisième question

[19]          Selon la preuve qui a été déposée devant moi et le fait que l'appelante occupait un emploi à plein temps en 1996, je conclus que les dispositions du paragraphe 31(1) de la Loi s'appliquent et que l'appelante n'a droit qu'à des pertes restreintes pour cette année.

[20]          Toutefois, pour ce qui est de 1997, l'appelante a modifié son orientation professionnelle et a consacré presque tout son temps, ses efforts et son capital à ses activités agricoles, et toutes ses autres activités productives de revenu étaient réduites au minimum. Ainsi, elle est devenue une agricultrice de catégorie (1) et avait le droit de déduire de son revenu pour cette année toutes les dépenses courantes. L'entreprise ovine, à partir de 1997, constituait le centre de son travail et constituera sa principale source de revenu.

Quatrième question

[21]          Ayant décidé que, pour l'année 1996, l'appelante n'avait droit qu'à des pertes restreintes en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi, je n'ai pas à déterminer quelle partie des dépenses déclarées pour cette année représentait des dépenses en immobilisations ou des dépenses courantes puisque le ministre a reconnu que les dépenses courantes excédaient le montant restreint.

[22]          Pour 1997, le ministre a déterminé que, sur le montant de 56 630 $ déclaré à titre de dépenses, 30 406 $ de cette somme représentait des dépenses en immobilisations et qu'un autre montant de 8 137 $ déclaré à titre d'utilisation de la résidence à des fins professionnelles n'était pas déductible puisque les frais de bureau à domicile peuvent seulement être déduits du profit tiré d'une entreprise. Les autres dépenses de 17 487 $ ont été rejetées.

[23]          De toute évidence, les dépenses déclarées de 8 275 $ relatives aux réparations effectuées à l'immeuble et à la ferme et de 1 667 $ pour défricher et niveler la terre sont des dépenses en immobilisations. Cela ne laisse qu'un montant de 20 464 $ déclaré pour le contrat personnalisé et pour le travail en cours. Je ne suis pas convaincu que le fait de classer cette dépense comme une dépense en immobilisations est erroné. L'argent devait être dépensé pour que l'entreprise ovine soit exploitée sur le bien-fonds et, par conséquent, il est de la nature d'une immobilisation. L'appelante récupérera le montant de 30 406 $ au moment où elle vendra le bien, puisque la valeur de la terre a plus que doublé depuis l'achat et que ce montant fait partir de son prix de base rajusté.

[24]          Un jugement sera rendu qui annulera l'appel de 1998 et qui rejettera les appels de 1994 et de 1995. L'appel de 1996 est admis, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelante n'a droit qu'à des pertes agricoles restreintes pour cette année en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi.


[25]          L'appel de 1997 est admis avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelante a le droit de déduire du revenu toutes ses dépenses agricoles courantes de 17 487 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de septembre 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de janvier 2003.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-524(IT)I

ENTRE :

MARGARET LYNNE VANLAARHOVEN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 26 juillet 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge Gordon Teskey

Comparutions

Représentante de l'appelante :                            L'appelante

Avocate de l'intimée :                                           Me Jasmine Sidhu

JUGEMENT

                Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1994 et 1995 sont rejetés;

Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi pour les années d'imposition 1996 et 1997 sont admis, avec frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les motifs du jugement ci-joints.

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 1998 est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de septembre 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 15e jour de janvier 2003.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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