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Date : 20030120

Dossier : 2002-649-IT-I

ENTRE :

PIERRE RICHARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

P. R. Dussault, J.C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu selon la procédure informelle. Il s'agit d'un appel d'une cotisation pour l'année 2000 par laquelle le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a refusé à l'appelant le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique, prévu aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), réclamé à l'égard de son fils mineur.

[2]            Pour établir cette cotisation le Ministre a notamment tenu pour acquis les faits énoncés aux alinéas a) à h) du paragraphe 3 de la Réponse à l'avis d'appel.

a)              dans sa déclaration de revenu pour son année d'imposition 2000, l'appelant a, entre autres, réclamé le montant de 1 230 $ (7 234 $ x 17 %) à titre de crédit pour personne handicapée pour son fils, X (ci-après l' « enfant » )[1];

b)             l'appelant a fourni au Ministre un Certificat pour le crédit d'impôt pour personnes handicapées (T-2001) (ci-après, le « certificat » ) signé par Dr Marina Attié, Neuropsychologue (ci-après, le « médecin » ), en date du 11 octobre 2001;

c)              au certificat, le médecin diagnostiquait chez l'enfant le « Syndrome d'Asperger » ;

d)             l'appelant a envoyé au Ministre un « Rapport d'Évaluation neuropsychologique » signé par le médecin en date du 1er octobre 1999 (ci-après, le « rapport » );

e)              dans son rapport, le médecin mentionnait ce qui suit :

i)       pour l'observation de l'enfant : « nous sommes effectivement frappés par l'excellent niveau de langage, celui-ci n'étant toutefois ni monotone, ni ritualisé, les habiletés de communication nous apparaissent somme toute relativement adéquates » ;

ii)      pour les fonctions intellectuelles : « les résultats obtenus à l'épreuve d'intelligence WISC-III situent l'enfant tout à fait dans la moyenne pour son âge; il n'existe de plus aucune disparité entre le registre verbal et le registre non verbal; les échelles cognitives situent l'enfant dans la haute normalité (habilités linguistiques et habilités d'organisation perceptuelle) » ;

iii)     pour les fonctions linguistiques : « l'impression que dégage l'enfant, son niveau de vocabulaire est très supérieur à la moyenne » ;

iv)     pour les fonctions perceptuelles : « l'enfant manifeste ici un bon sens de l'observation » ;

v)      pour les fonctions attentionnelles et mnésiques : « l'enfant offre l'image d'un enfant calme, docile et appliqué dans sa façon d'aborder la tâche » ;

f)              suite au rapport, la représentante du Ministre a communiqué avec le médecin pour avoir plus de précision;

g)             le médecin a mentionné ce qui suit à la représentante du Ministre :

i)       elle connaît bien l'enfant, qui souffre du syndrome d'Asperger;

ii)      en général, l'enfant a un très bon fonctionnement scolaire, il est très appliqué avec un excellent niveau de langage;

iii)     l'enfant n'a pas besoin de plus de supervision que les enfants du même âge;

iv)     l'enfant comprend le concept de danger, s'occupe de ses soins personnels sans supervision;

h)             à la lumière de ce qui précède, le Ministre a déterminé que l'enfant de l'appelant n'avait pas de déficience mentale ou physique grave et prolongée dont les effets auraient été tels que sa capacité d'accomplir une des activités courantes de la vie quotidienne aurait été limitée de façon marquée.

[3]            L'appelant, madame Marina Attié, neuropsychologue et monsieur Patrick Major, ergothérapeute ont témoigné.

[4]            L'appelant a longuement témoigné concernant l'affection neurologique dont souffre son fils et qu'il a identifié comme étant le syndrome d'Asperger. Dans une lettre datée du 10 octobre 2000 que l'appelant et sa conjointe, la mère de l'enfant, faisaient parvenir aux intervenants de deuxième année de l'école fréquentée par l'enfant dans le but de les informer et de les sensibiliser à la situation, les caractéristiques de cette déficience sont résumées de la façon suivante, (pièce A-2) :

Le 10 octobre 2000

               

À tous les intervenants de 2e année du Centre Académique de Lanaudière,

X est affecté d'un problème neurologique appelé syndrome d'Asperger. L'Asperger est une forme légère d'autisme. Les personnes affectées par ce syndrome possèdent une intelligence égale ou supérieure à la moyenne. Ils peuvent donc, avec un encadrement légèrement adapté, poursuivre leurs études normalement et ce, même s'ils présentent certaines caractéristiques qui les rendent parfois excentriques ou bizarres aux yeux de la plupart des gens. Nous désirons vous faire part des caractéristiques particulières affectant le comportement de X afin que vous puissiez mieux le comprendre et, de ce fait, l'aider en le préparant bien face à ces facteurs anxiogènes.

CARACTÉRISTIQUES

-       Anxiété face aux situations inconnues et aux changements;

       Comment prévenir ou réagir :

       -        L'avertir à l'avance lors d'un changement à l'horaire et lui expliquer en détail le déroulement de l'activité modifiée.

-       Grande sensibilité du goût, de l'odorat (dédain marqué pour certains aliments) et de l'ouïe (certains bruits peuvent devenir intolérables, d'où une augmentation de l'anxiété);

       Comment prévenir ou réagir :

       -        Nous avons convenu qu'il lui serait plus approprié de manger chez lui deux fois par semaine (lundi et jeudi) et il apporte son dîner pour les trois autres jours.

-       Manque de tact dans les relations interpersonnelles (X préfère s'isoler et préfère se balancer à toute autre activité);

       Comment prévenir ou réagir :

       -        Il est acceptable que X ait envie de jouer seul. Il est préférable de respecter ce choix.

-       Gestes faits avec les mains;

       Comment prévenir ou réagir :

       -        Ces gestes sont incontrôlés et il est recommandé de le laisser faire.

-       Motricité globale défaillante (peut transparaître lors des cours d'éducation physique, d'arts martiaux et de danse);

       Comment prévenir ou réagir :

       -        On peut l'aider à apprendre comment exécuter les activités physiques lorsqu'il a besoin d'aide;

-       Enfin vous noterez que X se passionne pour certains sujets tels l'électricité, les ordinateurs, les lampadaires et le réseau routier. Ceci est normal chez les enfants du syndrome d'Asperger;

X est conscient que ces caractéristiques le distinguent des autres et il a conséquemment une moindre estime de soi. Il pourrait être approprié d'amener X à jouer un rôle tutorial dans des activités où il démontre des aptitudes distinctives (à l'ordinateur par exemple).

Nous avons retenu les services d'une phycho-éducatrice (Jocelyne Viens) et d'un ergothérapeute (Patrick Major) qui travaillent présentement avec X afin de l'aider à surmonter les difficultés mentionnées ci-haut. L'intervention de Jocelyne s'effectue « sur le terrain » . C'est la raison pour laquelle elle travaille à l'école, une journée par semaine, pendant l'heure du lunch. Le travail de Patrick s'effectue à la maison.

Si vous désirez obtenir des informations supplémentaires à ce sujet, vous trouverez ci-joint de la documentation concernant le syndrome d'Asperger. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me contacter (au numéro de téléphone indiqué ci-après).

La compréhension dont vous faites part à l'égard de X lui sera bénéfique toute sa vie durant et nous vous en sommes très reconnaissants.

Merci ce votre collaboration,

...

[5]            Au cours des années en litige l'enfant fréquentait et fréquente toujours l'école qui est une école régulière privée. Selon l'appelant, X est intelligent et a d'ailleurs d'excellents résultats scolaires.

[6]            Lors de son témoignage, l'appelant a particulièrement insisté sur les problèmes de perception de son fils qui se traduisent par des comportements sociaux anormaux et une très grande anxiété, que tant les parents que les intervenants, à la maison comme à l'école, tentent de corriger par l'apprentissage répété de scénarios sociaux et l'instauration d'une routine de vie propice à sécuriser l'enfant. Selon l'appelant, il s'agit en fait de tenter de programmer des comportements qui sont déficients à la base quant aux relations de l'enfant avec les autres et quant à sa perception de certaines réalités qui génèrent de l'anxiété chez lui, lui font perdre le contrôle et le rendent colérique. L'appelant a précisé que la colère est surtout verbale, mais qu'elle peut aussi s'exprimer physiquement, particulièrement face à son jeune frère, mais toutefois sans violence excessive. À titre d'exemple, la peur de rester seul, la peur que les parents ne viennent pas le chercher à l'heure précise à l'école, la peur du noir, la peur des portes fermées ou verrouillées, la peur de se blesser en jouant, somme toute la peur de tout nécessite une présence, une supervision et des efforts soutenus pour prévoir et organiser la vie de l'enfant de façon à réduire son niveau d'anxiété. Toutefois, l'appelant affirme que son fils est intelligent et qu'il est manipulateur au point même de parler de suicide pour exprimer son désaccord face à une punition par exemple. Toutefois, aucun geste n'aurait été posé en ce sens. À l'aide d'un court extrait vidéo, l'appelant a aussi exposé le problème de maniérisme de l'enfant qui se traduit par un battement incontrôlé des mains. L'appelant a également expliqué les problèmes de motricité de l'enfant.

[7]            Madame Marina Attié, neuropsychologue, a complété le formulaire T2201F, d'une part en répondant « non » à la question suivante : « Votre patient est-il capable de réfléchir, de percevoir et de se souvenir, à l'aide de médicaments ou d'une thérapie si nécessaire? (Par exemple, il peut gérer ses affaires personnelles ou s'occuper de ses soins personnels sans supervision) » . D'autre part, elle a répondu « oui » à la question suivante : « La déficience est-elle suffisamment grave pour limiter, en tout temps ou presque, l'activité essentielle de la vie quotidienne, même si le patient utilise des appareils appropriés, prend des médicaments ou suit une thérapie? » (Voir pièce A-3)

[8]            Suite à une demande des autorités fiscales, madame Attié a aussi complété un questionnaire plus élaboré. Les réponses données aux questions posées sont reproduites en italique :

...

FACULTÉS MENTALES (ENFANT) :

Votre patient savait-il faire la distinction dans le temps (jour ou nuit, saisons)?                       Difficultés d'organisation temporelle.

Votre patient avait-il une notion du danger en rapport avec son âge?        Oui.         ...

Votre patient pouvait-il saisir une simple directive dans un environnement familier?               Oui.         ...

Votre patient pouvait-il mettre à profit les erreurs commises? Non.             Veuillez expliquer :                 Susceptible de commettre des erreurs dans ses interactions avec les pairs qu'il peut difficilement corriger et dont il ne prend pas toujours conscience. Besoins d'un entraînement aux habilités sociales.

Votre patient pouvait-il s'occuper lui-même de ses soins personnels selon ce à quoi on s'attend d'un enfant de son âge? Oui.       ...

Si vous avez répondu non à l'une des questions ci-dessus, veuillez indiquer si l'incapacité se présentait i) parfois, ii) fréquemment, iii) tout le temps ou presque :

Veuillez indiquer pour quelle(s) année(s) ou période(s) cela a été le cas.    Trouble diagnostiqué en 1999 mais d'origine congénitale.

Votre patient nécessitait-il une surveillance supplémentaire à l'école?        Oui.         Si oui, quelle était la nature et la fréquence de la surveillance (p.ex. ratio surveillant/élève)?                      Besoin de support en psychologie et/ou psychoéducation pour aider l'enfant à gérer ses comportements anxieux et troubles de socialisation.

La restriction des capacités de votre patient a-t-elle eu une incidence sur ses progrès scolaires?         Oui.                 Si oui, veuillez préciser :       Beaucoup de difficultés d'intégration sociale. Parfois dysfonctionnel au plan du comportement en raison de crises d'angoisse imprévisibles.

Veuillez décrire une journée normale de votre patient (en dehors de l'environnement scolaire) et préciser le degré requis de surveillance :         Besoin de supervision à l'école comme à la maison.

Dans quelle mesure votre patient parvenait-il à fonctionner au quotidien? Veuillez indiquer l'importance du retard et dans quel(s) domaine(s).                Pas de troubles d'apprentissage au moment de l'évaluation mais plusieurs atypies comportementales nécessitant un suivi psychologique ou psychiatrique.

Votre patient devait-il prendre des médicaments ou recevoir des soins thérapeutiques en rapport avec sa limitation? Veuillez préciser :               À déterminer par le pédopsychiatre.

Les médicaments ou les soins thérapeutiques ont-ils amélioré sa capacité de réfléchir, de percevoir et de se souvenir? Veuillez préciser :           Je n'ai pas effectué de relance après l'évaluation diagnostique. Règle générale, ces enfants peuvent progresser avec une intervention soutenue bien que le handicap soit permanent et impose certaines limites.

Quelles sont, d'après vous, les perspectives d'avenir de ce patient (p.ex. il finira ses études, travaillera ou vivra de manière autonome)?              Pourra finir ses études et être relativement autonome, quoique toujours fragile sur le plan affectif (dépression) en raison de ses difficultés à être fonctionnel sur le plan psychosocial.

Veuillez fournir, si possible, toute autre information médicale pertinente.

Autres commentaires :

Un rapport complet a été fourni aux parents.

...

[9]            Madame Attié a effectivement procédé à une évaluation neuropsychologique de l'enfant en septembre 1999. Son rapport détaillé, en date du 1er octobre 1999, a été soumis en preuve (voir pièce I-1). Pour les fins de la présente affaire, je ne reproduis que deux extraits sous les titres « Motif de consultation » et « Recommandation » :

MOTIF DE CONSULTATION

L'enfant nous est référé par le psychologue consultant pour un bilan cognitif dans le but d'apporter un éclairage supplémentaire sur les troubles comportementaux observés. En effet, il s'agit d'un enfant qui entreprend une première année en secteur régulier et bien que le rendement scolaire soit jusqu'à présent très adéquat, on s'interroge sur une certaine marginalité dans son développement psychosocial auquel s'ajoutent certaines bizarreries du comportement. X présenterait de plus des difficultés motrices.

...

CONCLUSION ET RECOMMENDATIONS

Nous sommes en présence d'un jeune garçon d'intelligence normale et pour lequel les fonctions simultanées d'intégration et de raisonnement nous paraissent bien préservées, tant dans le registre verbal que non verbal. L'enfant présente des compétences particulières sur le plan du langage expressif : excellent niveau de vocabulaire, formulations claires et bien articulées. Ceci contraste avec des difficultés sur le plan de l'interprétation des situations sociales qui expliquent l'échec très marqué au sous test des histoires en images et les difficultés observées aux épreuves de jugement (WISC-III) et d'absurdités (Stanford-Binet). D'ailleurs, X demeure très malhabile au niveau des interactions sociales et il présente des préoccupations exagérées pour des domaines d'intérêt peu habituels chez les enfants de son âge. Rappelons également les maniérismes moteurs. De plus, les comportements anxieux, surtout suscités par les changements de routine. Tout ceci n'est pas sans évoquer un syndrome d'Asperger, bien que cet enfant nous ait étonné par l'adéquacité de son contact relationnel en relation dyadique, étant capable de réciprocité et d'empathie. Un bilan plus approfondi de cette symptomatologie pourrait donc être effectué par le Dr. Laurent Motron, psychiatre à l'Hôpital Rivière-des-Prairies.

Quoiqu'il en soit, nous pensons que plusieurs interventions pourraient être mises en place en milieu scolaire et qu'elles auraient sûrement un impact très positif sur le développement psychosocial de X. Les grandes lignes de cette intervention visent essentiellement à :

·     encourager, structurer et enseigner les activités de socialisation;

·     diversifier son répertoire d'intérêts;

·     préparer l'enfant aux changements de routine, aux séparations;

·     permettre une meilleure gestion de l'anxiété.

À cet égard, nous demeurons disponibles pour échanger avec le milieu scolaire sur les interventions concrètes à privilégier pour atteindre de tels objectifs.

Nous référons finalement X en ergothérapie dans l'espoir de le rendre un peu plus habile sur le plan moteur. Le professeur d'éducation physique devrait être informé des difficultés présentées par l'enfant dans ce registre, de façon à lui permettre d'adapter son programme lorsque cela est possible, en fonction des limites de l'enfant.

[10]          Lors de son contre-interrogatoire, l'appelant a affirmé n'avoir pas consulté de pédopsychiatre comme le recommandait madame Attié puisqu'il avait déjà consulté des professionnels à plusieurs reprises. Plutôt que d'ajouter au traumatisme de l'enfant par de nouveaux tests, il a dit avoir privilégié l'intervention par scénarios sociaux de façon à combler certaines carences, ce qui a d'ailleurs, selon lui, donné des résultats.

[11]          Dans son témoignage, madame Attié a insisté sur les problèmes de perception de l'enfant qui a, selon elle, beaucoup de difficulté à interpréter le langage non verbal ce qui le rend inadéquat au niveau des relations sociales et génère une anxiété anormale. Bien que madame Attié ait reconnu que le diagnostic du syndrome d'Asperger était normalement réservé à un psychiatre, elle y a tout de même fait référence pour désigner ce qu'elle a qualifié comme étant des « troubles envahissants du développement » nécessitant un encadrement particulier. Selon elle, la difficulté à percevoir le langage non verbal engendre l'anxiété chez l'enfant, lequel, lorsqu'il est envahi par ces émotions, devient incapable de réfléchir ou de se souvenir. Toutefois, c'est non sans hésitation que madame Attié a confirmé les réponses données sur le formulaire T2201F (pièce A-3).

[12]          Monsieur Patrick Major a témoigné sur ses interventions comme ergothérapeute auprès de l'enfant qu'il a vu à quelques 35 reprises à la maison. Il a fait état des difficultés de motricité de l'enfant et de son travail à cet égard. Il a également expliqué le problème de l'enfant à comprendre les relations sociales et plus particulièrement à comprendre les réactions des autres et à respecter les règles établies qui constituent des obstacles, des contraintes ou des exigences qui le rendent anxieux. Monsieur Major a expliqué l'utilisation de scénarios sociaux pour aider l'enfant à comprendre les règles sociales en insistant sur le fait que le processus est long et doit être constamment répété. Il a aussi fait état des difficultés de perception engendrant des peurs incontrôlées chez l'enfant, comme celles concernant les portes fermées.

[13]          Les représentants de l'appelant soutiennent que la déficience mentale dont souffre l'enfant rencontre les critères énoncés aux articles 118.3 et 118.4 de la Loi. De plus, cette déficience a fait l'objet de l'attestation requise sur le formulaire prescrit par madame Attié, neuropsychologue.

[14]          Les représentants de l'appelant s'appuient principalement sur l'interprétation des dispositions concernant le crédit pour déficience mentale ou physique retenue dans l'affaire Radage c. Canada, [1996] A.C.I. no 730 (Q.L.), interprétation confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Johnston c. Canada, [1998] A.C.F. no 169 (Q.L.). Bien qu'ils estiment que la perception, la réflexion et la mémoire constituent des activités distinctes, ils soulignent néanmoins l'interrelation qui existe entre elles. Si les difficultés de l'enfant de l'appelant se rattachent davantage à la fonction de perception en ce qu'il est toujours incapable de percevoir le langage non verbal, cette incapacité et l'anxiété qu'elle provoque affectent ses autres facultés, soit la réflexion et la mémoire. Selon eux, l'incapacité est permanente et ses effets peuvent se faire sentir de façon imprévisible de sorte que l'on peut affirmer que la déficience est toujours présente et ne peut être corrigée sans y consacrer un temps excessif.

[15]          L'avocat de l'intimée relève pour sa part des contradictions entre le formulaire, le rapport et le témoignage de madame Attié. Il note également que la distinction faite entre la perception du langage verbal et non verbal est une distinction qui n'est pas établie dans la Loi. Il soutient, en se fondant sur l'analyse du juge Bowman dans l'affaire Radage, que la perception désigne la réception et la reconnaissance de l'ensemble et non seulement d'une partie des données sensorielles sur le monde extérieur. Il souligne que madame Attié a noté à son rapport que l'enfant était calme, posait des questions et pouvait initier une conversation. Il rappelle aussi que l'enfant est actuellement en quatrième année, qu'il n'a subi aucun retard et que l'appelant lui-même a témoigné que son fils avait d'excellents résultats scolaires. La preuve démontre également que l'enfant peut utiliser un ordinateur de sorte que, si effectivement il ne peut percevoir certaines choses, cela affecte certes son comportement social, mais ne signifie pas qu'il ne peut rien percevoir et qu'il est toujours ou presque toujours incapable de penser et de réfléchir. Somme toute, l'avocat de l'intimée estime que la preuve démontre que le formulaire T2201F, rempli par madame Attié, ne reflète pas la réalité.

[16]          Bien que l'avocat de l'intimée ait rappelé que chaque cas est un cas d'espèce il s'est quand même référé aux décisions dans les affaires Case c. Canada, [1996] A.C.I. no 216 (Q.L.) et Congo c. Canada, [1996] A.C.I. no 671 (Q.L.), présentant des situations de comportement social plus graves que celle en cause dans le présent dossier et où il a été décidé que la déficience mentale diagnostiquée n'était pas suffisamment grave pour donner droit au crédit.

[17]          Les exigences de base pour avoir droit au crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique sont qu'un particulier ait une déficience mentale ou physique grave et prolongée et que les effets de cette déficience soient tels que la capacité du particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne soit limitée de façon marquée : alinéas 118.3(1)a) et a.1) de la Loi. L'alinéa 118.3(1)a.2) exige l'attestation d'une telle déficience par un professionnel désigné et l'alinéa 118.3(1)b) exige la présentation au Ministre de l'attestation requise pour une année d'imposition.

[18]          L'alinéa 118.4(1)a) précise qu'une déficience est prolongée si elle dure au moins 12 mois d'affilée ou s'il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elle dure au moins 12 mois d'affilée.

[19]          L'alinéa 118.4(1)b) établit que la capacité d'un particulier d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne est limitée de façon marquée si, même avec des soins thérapeutiques et l'aide des appareils et des médicaments indiqués, il est toujours ou presque toujours aveugle ou incapable d'accomplir une activité courante de la vie quotidienne sans y consacrer un temps excessif.

[20]          L'alinéa 118.4(1)c) présente une liste des activités considérées des activités courantes de la vie quotidienne pour un particulier. Parmi ces activités, le sous-alinéa 118.4(1)c)(i) traite de la perception, de la réflexion et de la mémoire.

[21]          Enfin, l'alinéa 118.4(1)d) énonce qu'il est entendu qu'aucune autre activité, y compris le travail, les travaux ménagers et les activités sociales ou récréatives, n'est considéré comme une activité courante de la vie quotidienne.

[22]          Comme l'a fait remarquer le juge Bowman lors de son analyse dans l'affaire Radage, la perception, la pensée ou la réflexion et la mémoire sont des concepts qui ne peuvent être facilement définis en quelques phrases. Toutefois, malgré cette difficulté, le juge Bowman reconnaissait la nécessité d'établir certains critères ou lignes directrices qui aient une signification dans la vie de tous les jours de façon à pouvoir appliquer les articles 118.3 et 118.4 de la Loi. Par ailleurs, s'il reconnaissait que la détermination d'une déficience exigeait une étude cas par cas et que l'évaluation de la gravité d'une telle déficience relevait du bon sens, il n'en a pas moins souligné un certain nombre de principes juridiques sur lesquels cette détermination devait être fondée. Ces principes sont formulés aux pages 17 et 18 du jugement dans les termes suivants :

...

a)              L'intention du législateur semble être d'accorder un modeste allégement fiscal à ceux et celles qui entrent dans une catégorie relativement restreinte de personnes limitées de façon marquée par une déficience mentale ou physique. L'intention n'est pas d'accorder le crédit à quiconque a une déficience ni de dresser un obstacle impossible à surmonter pour presque toutes les personnes handicapées. On reconnaît manifestement que certaines personnes ayant une déficience ont besoin d'un tel allégement fiscal, et l'intention est que cette disposition profite à de telles personnes.

b)             La Cour doit, tout en reconnaissant l'étroitesse des critères énumérés aux articles 118.3 et 118.4, interpréter les dispositions d'une manière libérale, humaine et compatissante et non pas d'une façon étroite et technique. Dans l'affaire Craven c. La Reine, 94-2619(IT)I, je disais :

L'application des critères inflexibles de l'article 118.4 ne permet pas à la Cour d'user de son bon sens ou de faire montre de compassion dans l'interprétation des dispositions relatives au crédit d'impôt pour personnes handicapées prévu par la Loi de l'impôt sur le revenu -- dispositions qui doivent être appliquées avec compassion et bon sens.

Dans cette affaire-là, j'estime avoir énoncé le critère d'une manière trop étroite. Depuis, j'ai entendu de nombreuses causes relatives au crédit d'impôt pour déficience, et ma pensée a évolué. Mon point de vue actuel sur l'approche à adopter est énoncé avec plus de justesse dans des jugements comme Noseworthy c. La Reine, 95-1862(IT)I, Lawlor c. La Reine, 95-1585(IT)I, Hillier c. La Reine, 95-3097(IT)I, et Lamothe c. La Reine, 95-2868(IT)I et 95-3949(IT)I. Pour donner effet à l'intention du législateur, qui est d'accorder à des personnes déficientes un certain allégement qui atténuera jusqu'à un certain point les difficultés accrues avec lesquelles leur déficience les oblige à composer, la disposition doit recevoir une interprétation humaine et compatissante. L'article 12 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

c)              S'il existe un doute quant à savoir de quel côté de la limite se situe une personne demandant le crédit, on doit accorder à cette personne le bénéfice du doute.

d)             Les significations que j'ai tenté d'attribuer aux termes « la perception, la réflexion [la pensée] et la mémoire » correspondent davantage à des lignes directrices qu'à des définitions, soit :

La perception :        Réception et reconnaissance de données sensorielles sur le monde extérieur d'une manière raisonnablement conforme à l'expérience humaine commune.

La pensée :              Compréhension, sélection, analyse et organisation rationnelles de ce que la personne a perçu et formulation de conclusions y afférentes ayant une utilité pratique ou une valeur théorique.

La mémoire :            Activité mentale consistant à emmagasiner des données perçues et à les récupérer d'une manière qui permette à la personne d'accomplir raisonnablement l'activité qu'est la pensée.

Dans ces lignes directrices, j'ai souligné la nécessité de reconnaître la manière dont une fonction dépend des autres et la nécessité de chercher à relier l'usage de ces fonctions à un résultat significatif dans la vie quotidienne.

e)              Enfin, il faut considérer-et c'est le principe le plus difficile à formuler-les critères à employer pour en arriver à déterminer si la déficience mentale est d'une telle gravité que la personne a droit au crédit, c'est-à-dire que la capacité de cette personne de percevoir, de penser et de se souvenir est limitée de façon marquée au sens de la Loi. Il n'est pas nécessaire que la personne soit complètement automate ou dans un état anoétique, mais la déficience doit être d'une gravité telle qu'elle imprègne et affecte la vie de la personne au point où cette dernière est incapable d'accomplir les activités mentales permettant de fonctionner d'une manière autonome et avec une compétence raisonnable dans la vie quotidienne.

[23]          Dans l'affaire Johnston précitée, le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale approuvait l'approche retenue par le juge Bowman dans l'affaire Radage précitée selon laquelle les dispositions concernant le crédit d'impôt pour déficience mentale ou physique devaient recevoir une « interprétation humaine et compatissante » tout en soulignant cependant que ces dispositions ne s'appliquent « qu'aux personnes gravement limitées par une déficience » .

[24]          Dans la présente affaire, il s'agit essentiellement d'évaluer la gravité de la déficience. Tout en ayant à l'esprit les principes énoncés par le juge Bowman dans l'affaire Radage reproduits ci-haut, je ne peux conclure que le fils de l'appelant était, au cours de l'année en litige, même avec les soins thérapeutiques indiqués, « toujours ou presque toujours incapable » d'accomplir les activités se rapportant à « la perception, la réflexion et la mémoire sans y consacrer un temps excessif » . Le rapport neurologique détaillé complété par madame Attié et plus particulièrement ses conclusions et recommandations reproduites au paragraphe [9] ci-haut ne supportent pas une telle conclusion. Les réponses données au questionnaire et reproduites au paragraphe [8] ci-haut ne le font pas non plus. Je ne reprendrai ici que les observations directement en relation avec l'amélioration possible de la condition ainsi que celles relatives aux perspectives d'avenir. Ainsi à la page 3 du questionnaire (pièce I-2) madame Attié affirmait :

...

Je n'ai pas effectué de relance après l'évaluation diagnostique. Règle générale ces enfants peuvent progresser avec une intervention soutenue bien que le handicap soit permanent et impose certaines limites.

...

Pourra finir ses études et être relativement autonome quoique toujours fragile sur le plan affectif (dépression) en raison de ses difficultés à être fonctionnel sur le plan psychosocial.

[25]          L'appelant lui-même a affirmé dans son témoignage que l'intervention de l'ergothérapeute et l'utilisation de scénarios sociaux avaient donné certains résultats. Qui plus est, on sait que l'enfant fréquentait et fréquente toujours une école régulière, qu'il n'accuse aucun retard et qu'il a même, selon le témoignage de l'appelant, d'excellents résultats. Dans son rapport, madame Attié a notamment conclu non seulement que l'enfant avait une intelligence normale, mais également que « les fonctions simultanées d'intégration et de raisonnement » paraissaient « bien préservées tant dans le registre verbal que non verbal » . Elle a aussi noté « des compétences particulières sur le plan du language expressif : excellent niveau de vocabulaire, formulation claire et bien articulée » . On pourrait ajouter certaines habilités particulières, notamment au niveau du fonctionnement des ordinateurs. Par ailleurs, je signale que les parents n'ont pas jugé opportun de suivre la recommandation de madame Attié de consulter un psychiatre. Cela ne signifie certes pas que l'enfant ne présente aucune déficience ou qu'il soit sans problème. Mais, il faut rappeler que la présence, l'encadrement et les interventions tant à la maison qu'à l'école ont aussi su atténuer les effets des difficultés identifiées comme l'a affirmé l'appelant. Somme toute, j'estime que l'ensemble de la preuve apportée ne permet pas de conclure à une déficience grave au point tel, que l'enfant est « toujours ou presque toujours » incapable d'accomplir les activités reliées « à la perception, la réflexion et la mémoire sans y consacrer un temps excessif » comme la Loi l'exige.

[26]          En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 2003.

« P. R. Dussault »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002-649(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Pierre Richard et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE

le 22 novembre 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :

le 20 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :

Christian Sarailis

Sarah Cosgrove

Pour l'intimée :

Me Mounes Ayadi

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelant :

Nom :

Étude :

Pour l'intimé(e) :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

Date : 20030120

Dossier : 2002-649(IT)I

ENTRE :

PIERRE RICHARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

_______________________________________________________________

Appel entendu le 22 novembre 2002 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions :

Représentants de l'appelant :

Christian Sarailis

Sarah Cosgrove

Avocat de l'intimée :

Me Mounes Ayadi

_______________________________________________________________

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de l'année d'imposition 2000 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 2003.

« P. R. Dussault »

J.C.C.I.



[1]            À la demande des représentants de l'appelant, le prénom de l'enfant mineur est gardé confidentiel. Dans les différents documents auxquels il est fait référence, le prénom est simplement remplacé par X.

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