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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-2563(IT)I

ENTRE :

ROBERT G. SMALLEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 18 et 19 avril 2001 à Fredericton (Nouveau-Brunswick) par

l'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Avocat de l'appelant :       Me Bruce Russell

Avocat de l'intimée :         Me Ifeanyichukwu Nwachukwu

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 sont rejetés.


Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010921

Dossier: 2000-2563(IT)I

ENTRE :

ROBERT G. SMALLEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McArthur, C.C.I.

[1]      Robert G. Smalley (l'appelant) interjette appel à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1996 et 1997. Le ministre du Revenu national (le ministre) a rejeté la déduction de pertes de 22 613 $ et de 17 143 $, déclarées par l'appelant par la suite de l'exploitation de ce qu'il prétend être une entreprise de vente d'assurance, au motif qu'il n'avait pas d'attente raisonnable de profit.

[2]      Les faits, que j'accepte, proviennent principalement des arguments écrits de l'appelant et de l'intimée. L'appelant a pris sa retraite en 1989 d'un poste de directeur régional de l'Atlantique pour la Sun Life du Canada après une carrière de 36 ans dans l'industrie de l'assurance. Après sa retraite, il a offert des services d'expert-conseil à la Sun Life à partir de la fin de 1989 jusqu'au milieu de 1993 puis a vendu de l'assurance-vie pour la Sun Life à partir de la fin de 1993 jusqu'en 1997. Il a déclaré des pertes de la manière suivante :



Année

Commissions brutes

Dépenses totales

Revenu net (pertes)

1990

227 $

30 727 $

(30 500 $)

1991

1 693 $

17 420 $

(15 736 $)

1992

       0 $

17 191 $

(17 191 $)

1993

      0 $

21 043 $

(21 043 $)

1994

171 $

19 065 $

(18 894 $)

1995

165 $

21 460 $

(21 297 $)

1996

213 $

22 826 $

(23 039 $)

1997

285 $

19 497 $

(17 143 $)

Ce n'est qu'en 1996 que les pertes ont été rejetées.

[3]      Il possède de l'expérience dans la vente d'assurance-vie depuis 1953, même s'il a occupé des postes de gestionnaire auprès de la Sun Life dans le Canada atlantique pendant la majeure partie de sa carrière jusqu'en 1989, époque à laquelle il a pris sa retraite à contrecoeur.

[4]      Afin d'augmenter sa pension après sa retraite, il a agi à titre d'expert-conseil pour la Sun Life pendant quatre ans. Durant cette période, il n'a pas vendu d'assurance-vie. Il a mis fin à son entreprise infructueuse d'expert-conseil en 1993 et a commencé à vendre de l'assurance-vie à partir de sa résidence de Shediac Cape. Cette activité a été tout aussi magistralement infructueuse que son travail d'expert-conseil. Il a perdu environ 82 000 $ en quatre ans pendant lesquels il a travaillé comme expert-conseil et 80 000 $ en quatre ans pendant lesquels il a vendu de l'assurance. Tout au long de ces huit ans, il a profité d'une confortable pension et d'autres revenus supérieurs à 60 000 $ par an.

[5]      Pour son plan d'entreprise, il a rempli les formulaires fournis par la Sun Life pour tous ses agents de vente afin de planifier leur approche relative à la vente d'assurance-vie pour chaque année à venir. Il n'a pu respecter les objectifs qui y étaient prévus. Il a abordé et mené son entreprise de vente d'assurance-vie de façon professionnelle. Il se déplaçait en automobile pour se rendre dans ses régions désignées où il pouvait rencontrer grâce à des ententes préalables des « centres d'influence » dans l'espoir qu'on le mette sur la piste de clients prospères. Bien entendu, il rencontrait également les clients prospères. Il a donné des présentations à des clients potentiels qu'il avait auparavant présélectionnés. Il donnait environ une présentation par semaine.

[6]      Après avoir tiré un très faible revenu de cette entreprise en 1994, il a néanmoins cru qu'il avait établi des contacts et qu'il était devenu suffisamment connu de sorte que son entreprise ferait meilleure figure en 1995. Au cours de cette année, ses efforts de vente étaient concentrés dans la région de Moncton et la périphérie. Son revenu pour l'année n'était que de 165 $. Il a persévéré. En 1996, il a passé plus de temps à tenter de vendre de l'assurance-vie dans la région de Florenceville. À la fin de 1996, il n'avait gagné qu'un revenu de 213 $. Il a indiqué dans son témoignage que, s'il était déménagé dans la région de Florenceville, cela aurait aidé son entreprise à s'implanter dans une part du marché de l'assurance-vie. Son revenu pour cette année provenant de la vente d'assurance-vie, concentrée dans la région de Florenceville, ne totalisait que 285 $. Par conséquent, après quatre ans passés à tenter de rendre l'entreprise fructueuse, il a décidé d'abandonner. Au début de 1998, il a commencé à travailler en tant qu'agent immobilier dans la région de Florenceville et tire actuellement un petit profit de cette entreprise. Il a déclaré des pertes importantes après la première et la deuxième année de ce projet.

[7]      Les deux parties déclarent que l'unique question consiste à savoir si l'appelant avait une attente raisonnable de profit à l'égard de ses activités de vente d'assurance-vie en 1996 et en 1997.

Position de l'appelant

[8]      L'appelant a soutenu qu'il avait une attente raisonnable de profit pour chacune des années 1996 et 1997 à l'égard de la vente d'assurance-vie. L'appelant croit qu'il s'est engagé dans son activité de façon déterminée et professionnelle. Il possédait beaucoup d'expérience. Il souhaitait augmenter son revenu de pension et il n'y avait aucun élément personnel.

[9]      L'entreprise a échoué, et, rétrospectivement, l'appelant a regretté de s'être engagé dans l'exploitation de l'entreprise. Il a perdu un montant d'argent important en tentant de rendre ce projet fructueux. L'appelant admet qu'au moment de démarrer son entreprise de vente d'assurance et d'investissements en 1994, il n'était pas adéquatement préparé à réellement se rendre sur le terrain et à vendre des produits, puisque son champ de compétence était l'administration. Après coup, l'appelant admet que son échec est principalement dû à son inexpérience et à des attentes démesurées.


Position de l'intimée

[10]     L'intimée soutient que la vente d'assurance-vie par l'appelant ne comportait pas d'attente raisonnable de profit. L'appelant ne possédait pas les connaissances ni l'expérience d'un vendeur à domicile puisque ses antécédents et son entreprise commerciale se trouvaient dans le domaine de la gestion. L'appelant ne s'est pas doté d'un plan d'entreprise qui projetait les recettes annuelles et le taux prévu de croissance de son activité pour les années en litige.

Analyse

[11]     La question de savoir s'il y avait une attente raisonnable de profit constitue principalement une question de fait. Il convient davantage de se demander s'il y avait une entreprise plutôt que s'il y avait une attente raisonnable de profit.

[12]     L'intimée reconnaît que la vente d'assurance-vie par l'appelant ne constituait pas un passe-temps appelant un examen plus approfondi comme on l'a indiqué dans l'affaire Tonn c. Canada (C.A.), [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001). L'intimée est à juste titre préoccupée par la grande disparité entre les recettes totales de 2 754 $ et les pertes déclarées de 164 843 $ de 1990 à 1997. Il aurait été plus réaliste de contester le caractère raisonnable des dépenses de l'appelant au moyen d'un renvoi à l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu comme l'a proposé le juge d'appel Linden dans l'affaire Tonn, précitée, à la page 96 (DTC : à la page 6009)[1].

[13]     L'intimée a appelé trois témoins : Susan Buck, Jackie Lohnes et Charlotte Magasi. Le témoignage de Mme Buck, en sa qualité de vérificatrice pour les années d'imposition 1994 et 1995, révèle qu'elle a commencé à vérifier les dépenses de M. Smalley mais qu'elle a établi une nouvelle cotisation à son égard au motif qu'il n'avait pas d'attente raisonnable de profit. Elle a indiqué dans son témoignage qu'elle n'avait pas de raison de ne pas croire le témoignage de M. Smalley selon lequel ce dernier a mis un terme à son entreprise d'expert-conseil en 1993 et qu'il a démarré son entreprise de vente d'assurance-vie en 1994. Elle a également indiqué dans son témoignage qu'elle n'a pas été en mesure de confirmer le moment où les objectifs de l'entreprise ont été modifiés. Mme Buck a également reconnu que, normalement, une période de démarrage est autorisée pour les cas d'attente raisonnable de profit et qu'une période raisonnable à cet égard serait d'environ quatre ans, bien que chaque cas soit différent. Mme Lohnes, qui remplissait la fonction d'agente des appels, a reconnu que l'entreprise était passée de l'offre de services d'expert-conseil à la vente d'assurance-vie. Mme Magasi a reconnu que, lorsqu'une entreprise est modifiée, une nouvelle période de démarrage devrait être accordée.

[14]     J'accepte le témoignage de l'appelant selon lequel, pendant les années 1994 à 1996, il a tenté de vendre de l'assurance-vie de la manière traditionnelle. Il a effectué des visites impromptues, établi des contacts et en a fait le suivi. Il n'utilisait pas d'ordinateur portatif et n'a pas vendu de fonds communs de placement. Un vendeur d'assurance très prospère du Nouveau-Brunswick, M. Pickett, a indiqué dans son témoignage que l'approche de l'appelant était commune dans l'industrie pendant la période pertinente. Durant le milieu des années 90, l'industrie de l'assurance-vie était en évolution. De nombreux agents d'assurance-vie de la Sun Life ont quitté l'entreprise. Un mouvement s'est amorcé en vertu duquel les activités sont passées des succursales aux bureaux à domicile. La Sun Life offrait un soutien commercial beaucoup moindre. Les produits de cette dernière étaient plus difficiles à vendre.

[15]     Je suis d'accord avec l'avocat de l'appelant pour dire que, en l'espèce, la nature et le caractère des dépenses de l'appelant n'ont pas été remis en question. L'article 67 de la Loi n'a pas été invoqué. L'unique question concernait l'attente raisonnable de profit. La nature des dépenses peut avoir une certaine pertinence dans la détermination de la question de savoir s'il y avait un élément personnel, mais cette option n'a pas été poursuivie. On a mentionné le fait que l'appelant a déclaré des frais de déplacement alors qu'il était en voyage de noces. Cependant, il a plus tard retiré ces dépenses en expliquant qu'il s'agissait d'une erreur.

[16]     Je considère comme avéré que l'appelant a commencé à vendre de l'assurance-vie à la fin de 1993. Il a entrepris cette activité en croyant qu'elle serait rentable. Il s'agissait d'une entreprise. Il avait une attente raisonnable de profit. L'intimée soulève la question de la période de démarrage. Pendant combien de temps devrait-il être autorisé à déduire ces dépenses qui étaient exorbitantes en comparaison avec son revenu? De 1993 jusqu'à la fin de 1997, il a déclaré un revenu total de 834 $ de son entreprise. Pendant la même période, il a déclaré des pertes de plus de 100 000 $. Ces pertes ont augmenté rapidement de 1994 à 1996 inclusivement.

[17]     Il n'y a pas de doute que l'attribution d'une période de démarrage fait partie intégrante de l'attente raisonnable de profit. Voir l'affaire Tonn, précitée, aux pages 106 et 107 (DTC : page 6014). Il s'agit de savoir à quel moment on devrait fixer une limite. L'appelant a commencé la nouvelle entreprise de vente d'assurance-vie à la fin de 1993. Il n'a eu aucun revenu en 1993, mais a déclaré des dépenses de 21 043 $. Ses pertes en 1994 s'élevaient à 18 900 $ et ont augmenté en 1995 à 21 300 $ (montant arrondi à 100 $ près). Pendant ces années, son revenu en 1994 était de 171 $ et il a même été plus bas en 1995, soit 165 $. Un homme ou une femme d'affaires raisonnable possédant l'expérience de l'appelant aurait certainement conclu que « assez, c'est assez » et qu'il était temps de mettre un terme à l'entreprise. Je conclus qu'après décembre 1995, l'appelant ne pouvait plus être considéré comme exploitant une entreprise et ayant une attente raisonnable de profit. Il y avait autre chose que la vente d'assurance qui le poussait à continuer. Il savait ou aurait dû savoir à la fin de 1995 que la vente d'assurance ne constituait pas une entreprise rentable. À ce moment, il était déraisonnable sinon scandaleux de continuer. Il peut se compter chanceux d'avoir pu déduire ce qui semble être des dépenses déraisonnables pendant plusieurs années.


[18]     Les appels pour les années d'imposition 1996 et 1997 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de février 2003.

Mario Lagacé, réviseur



[1]                À mon avis, lorsque le Ministère désire contester le caractère raisonnable des transactions d'un contribuable, il peut tout simplement, dans la plupart des cas, invoquer l'article 67, qui énonce qu'une dépense peut être déduite uniquement dans la mesure où elle est raisonnable dans les circonstances. Il n'est pas tenu d'appliquer le critère plus rigide de l'arrêt Moldowan. En fait, dans bien des cas, le recours à l'article 67 conviendra peut-être mieux. C'est ce qu'a fait remarquer le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, à plusieurs reprises. Ainsi, dans Cipollone (N.) c. Canada [Voir Note 28 ci-dessous], la contribuable a cherché à déduire différentes dépenses élevées dans le cadre de son entreprise de « thérapie de l'humour » . Malgré la nature inhabituelle de l'entreprise, le juge Bowman a décidé que celle-ci était honnête et n'était donc pas visée par le critère de l'arrêt Moldowan. Il a ajouté ce qui suit:

Ses pertes étaient considérables, mais pas parce que son entreprise n'avait pas une expectative raisonnable de profit, ou qu'elle ne dépensait pas d'argent pour tirer ou produire un revenu d'une entreprise. Je considère comme un fait établi qu'elle dépensait de l'argent pour faire un profit et que son expectative de profit était raisonnable, si elle avait choisi de déduire des dépenses raisonnables. Le problème réside non pas dans l'absence d'expectative raisonnable de profit, car des entreprises de ce genre peuvent être assez lucratives, mais plutôt dans la tentative de déduire des dépenses déraisonnables.

La façon dont le juge Bowman a examiné le problème dans cette décision semble très logique et pourrait être appliquée à l'avenir dans des litiges semblables à cette affaire.

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