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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

 

 

2003-254(IT)G

ENTRE :

NICOLETTE HOLBROOK,

appelante,

Et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appels entendus le 10 mars 2005, à Toronto, Ontario,

 

par l’honorable juge E. A. Bowie

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Ron C. Peterson

 

Avocat de l’intimée :

John Grant

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels des nouvelles cotisations d’impôt établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998, 1999 et 2000 sont rejetés, avec dépens.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d’octobre 2005.

 

 

 

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie


 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Référence: 2005CCI671

Date: 20051025

Dossier: 2003-254(IT)G

 

ENTRE :

 

NICOLETTE HOLBROOK,

appelante,

Et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

 

intimée.

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     Les présents appels visent les nouvelles cotisations d’impôt établies à l’égard des années d’imposition 1998, 1999 et 2000. La Cour doit déterminer si les montants que l’appelante a reçus au cours de ces années d’imposition au titre de la pension alimentaire pour enfants doivent être inclus dans le revenu de cette dernière. Pour trancher cette question, la Cour doit décider s’il y a une « date d’exécution » au sens de cette expression figurant au paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »)[1].

 

[2]     Les parties ne contestent pas les faits. L’appelante et M. Ricky Gorgan (l’« ancien conjoint ») se sont mariés en 1973, ont eu deux enfants et se sont séparés en janvier 1993. Ils vivent séparés depuis lors.

 

[3]     Le 2 juin 1994, le juge McIsaac, de la Cour de l’Ontario (Division générale) a rendu une ordonnance provisoire au sujet de la pension alimentaire à verser pour les enfants et pour la conjointe. Selon cette ordonnance, l’ancien conjoint était tenu de verser à l’appelante une pension alimentaire pour les enfants de 1 000 $ par mois, soit 500 $ pour chacun des enfants, à compter du 1er juin 1994.

 

[4]     Le 28 avril 1998, l’appelante et son ancien conjoint ont conclu un accord de séparation prévoyant que ce dernier verserait à l’appelante une pension alimentaire pour enfants de 1 000 $ par mois, soit 836 $ à titre de montant de base aux termes des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires (les « lignes directrices »)[2] et 164 $ à titre de dépenses spéciales et extraordinaires, le premier paiement devant être effectué le 1er mai 1998. Les paragraphes 16 et 18 de cet accord se lisent comme suit :

 

          [TRADUCTION]

 

16.       EFFET DU PRÉSENT CONTRAT FAMILIAL

 

a)         Les conjoints conviennent que les modalités du présent accord constituent un règlement intégral de toutes les réclamations qu’ils pourraient présenter l’un contre l’autre, exception faite :

 

                        i)          des réclamations découlant du présent accord;

                        ii)         d’une demande en vue d’obtenir un jugement de divorce.

           

b)         Les parties conviennent que la renonciation à toute pension alimentaire pour l’épouse prévue aux présentes constitue un règlement financier définitif.

 

c)         La présente clause peut être invoquée devant les tribunaux et constitue une défense complète contre toute autre revendication découlant de la cohabitation et du mariage des époux.

 

18.       L’ACCORD DE SÉPARATION CONTINUERA À PRODUIRE SES EFFETS APRÈS LE DIVORCE

 

            Si l’un des époux obtient un jugement de divorce, toutes les modalités du présent accord continueront à s’appliquer.

 

[5]     Le 28 mai 1999, le juge Klowak, de la Cour de l’Ontario (Division générale), a prononcé un jugement de divorce. Selon le jugement, l’ancien conjoint devait verser à l’appelante une pension alimentaire pour enfants de 1 000 $ par mois, soit le montant de base de 873 $ et un montant de 127 $ au titre des dépenses spéciales et extraordinaires, le premier paiement devant être effectué le 1er mai 1998.

 

[6]     Au cours de ses années d’imposition 1998, 1999 et 2000, l’appelante a reçu une pension alimentaire pour enfants de 1 000 $ le premier jour de chaque mois. Dans les déclarations de revenu qu’elle a produites pour ces années, l’appelante n’a déclaré aucun revenu au titre des montants de pension alimentaire pour enfants reçus après avril 1998; elle estimait qu’elle ne devait pas payer d’impôt sur ces montants en raison de l’effet combiné de certaines modifications qui avaient été apportées à la Loi en 1997 et de l’accord de séparation.

 

[7]     Dans ses cotisations initiales, le ministre n’avait pas inclus les montants de pension alimentaire pour enfants dans le revenu de l’appelante. Mais une nouvelle cotisation avait par la suite été établie à l’égard des trois années afin d’ajouter à ses revenus des montants de pension alimentaire pour enfants de 8 000 $, de 12 000 $ et de 12 000 $ respectivement.

 

[8]     Le litige découle des modifications qui ont été apportées à la Loi en 1997, par suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Thibaudeau c. La Reine[3]. Avant ces modifications, la Loi prévoyait que les paiements de pension alimentaire pour enfants qui satisfaisaient aux exigences législatives pouvaient être déduits par le payeur mais devenaient imposables pour le bénéficiaire. Même si, dans l’arrêt Thibodeau, la Cour suprême a confirmé la validité de ce régime législatif sur le plan constitutionnel, le législateur a néanmoins modifié la Loi de manière à ce que, de façon générale, les versements pour le soutien des enfants ne soient plus déductibles pour le payeur ni imposables pour le bénéficiaire. Ces modifications, qui sont entrées en vigueur en 1997, s’appliquaient aux paiements de pension alimentaire pour enfants fixés par ordonnance judiciaire ou par un accord de séparation comportant une « date d’exécution » postérieure à avril 1997. L’expression « date d’exécution » a été ajoutée par les modifications législatives de 1997. Cette définition figure au paragraphe 56.1(4) de la Loi.

 

[9]     La formule permettant de calculer les montants de pension alimentaire à inclure dans le revenu selon le nouveau régime figure à l’alinéa 56(1)b) de la Loi, qui se lit comme suit :

 

56.(1)   Without restricting the generality of section 3, there shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year,

 

(a)        [...]

 

(b)        the total of all amounts each of which is an amount determined by the formula

A - (B + C)

where

A         is the total of all amounts each of which is a support amount received after 1996 and before the end of the year by the taxpayer from a particular person where the taxpayer and the particular person were living separate and apart at the time the amount was received,

B          is the total of all amounts each of which is a child support amount that became receivable by the taxpayer from the particular person under an agreement or order on or after its commencement day and before the end of the year in respect of a period that began on or after its commencement day, and

C         is the total of all amounts each of which is a support amount received after 1996 by the taxpayer from the particular person and included in the taxpayer's income for a preceding taxation year;

 

56.(1)   Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a) […]

 

b) le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

 

A - (B + C)

où :

            A         représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l'année d'une personne donnée dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension,

 

 

B          le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

C         le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu'il a incluse dans son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

 

[10]    La disposition B de cette formule exclut du revenu du bénéficiaire les montants de pension alimentaire pour enfants qui sont recevables « aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement » et « relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement ». C’est la définition se trouvant au paragraphe 56.1(4) qui permet de déterminer si un accord ou une ordonnance comporte une « date d’exécution » :

 

"commencement day" at any time of an agreement or order means

(a)        where the agreement or order is made after April 1997, the day it is made; and

(b)        where the agreement or order is made before May 1997, the day, if any, that is after April 1997 and is the earliest of

            (i)         the day specified as the commencement day of the agreement or order by the payer and recipient under the agreement or order in a joint election filed with the Minister in prescribed form and manner,

            (ii)        where the agreement or order is varied after April 1997 to change the child support amounts payable to the recipient, the day on which the first payment of the varied amount is required to be made,

 

            (iii)       where a subsequent agreement or order is made after April 1997, the effect of which is to change the total child support amounts payable to the recipient by the payer, the commencement day of the first such subsequent agreement or order, and

          

           (iv)        the day specified in the agreement or order, or any variation thereof, as the commencement day of the agreement or order for the purposes of this Act.

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

a)         si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b)         si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

(i)         le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix  présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

(ii)        si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii)       si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d’exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

 

            (iv)       le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

 

[11]    L’avocat de l’appelante a soutenu que les paiements de pension alimentaire pour enfants effectués après le 28 avril 1998 étaient recevables aux termes de l’accord de séparation qui avait été conclu à cette date et qui prévoyait que les paiements de pension alimentaire pour enfants devaient être effectués à compter du 1er mai 1998. Cet accord, selon l’avocat, correspond à l’« accord » visé à la définition figurant à l’alinéa 56.1(4)a). L’appelante soutient par conséquent que la date d’exécution est le 28 avril 1998, soit la date d’établissement de l’accord, et que tous les paiements de pension alimentaire pour enfants effectués par la suite sont exclus du revenu de l’appelante.

 

[12]    L’avocat de l’appelante a qualifié l’accord de séparation d’accord [TRADUCTION] « global » et [TRADUCTION] « autonome » que les conjoints avaient conclu afin qu’il remplace – ce qu’il avait d’ailleurs fait – tout accord ou toute ordonnance antérieurs, y compris l’ordonnance provisoire rendue en 1994. L’avocat a affirmé que l’ordonnance de 1994 n’était qu’une ordonnance provisoire et que les droits ou obligations qu’elle prévoyait avaient cessé d’exister lorsque les conjoints avaient signé l’accord de séparation, le 28 avril 1998. À l’appui de cet argument, l’avocat invoque les clauses 16 et 18 de l’accord de séparation (voir le paragraphe 4, ci-dessus). Tout paiement effectué après le 28 avril 1998 était donc exigible uniquement aux termes de cet accord et n’avait aucun lien avec quelque ordonnance ou accord antérieur. L’accord de séparation de 1998 constitue donc l’« accord » pour l’application de la définition de « date d’exécution » figurant à l’alinéa 56.1(4)a).

 

[13]    Subsidiairement, l’appelante fait valoir qu’il y a, aux termes de la définition figurant au sous-alinéa 56.1(4)b)(iv), une date d’exécution, à savoir le 1er mai 1998, « le jour précisé dans l’accord ou l’ordonnance », et ce, peu importe que les paiements aient été effectués aux termes de l’accord de séparation ou du jugement de divorce. L’avocat de l’appelante soutient que, dans un cas comme dans l’autre, il y a bel et bien une date d’exécution, de sorte que les montants de pension alimentaire pour enfants, soit les montants versés à partir du 1er mai 1998, sont assujettis au nouveau régime législatif et qu’ils ne doivent donc pas être inclus dans le revenu du bénéficiaire.

 

[14]    Au paragraphe 6 de ses arguments écrits, Me Peterson invoque la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dangerfield c. La Reine[4] :

 

[TRADUCTION]

 

6.         Selon le deuxième volet de l’argumentation de l’appelante, si une pension alimentaire est recevable aux termes d’une ordonnance rendue avant mai 1997, il y a donc une date d’exécution pour l’application du sous-alinéa 56.1b)(iv). Il est clair, à la lecture du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dangerfield, que, si le langage employé exprime clairement l’intention des parties (paragraphe 6 de l’onglet 2, p. 8, et paragraphe 3 de l’onglet 3) et s’il est clair que les parties souhaitaient que le nouveau régime s’applique à eux, ainsi que Mme Holbrook nous l’a confirmé, il y a dès lors une date d’exécution (Dangerfield, page 3).

 

Dans l’affaire Dangerfield, il n’y avait pas d’accord de séparation, et le seul jugement ou la seule ordonnance ayant trait à la pension alimentaire pour enfants était daté  du 21 avril 1997 et prévoyait qu’un montant était :

 

[TRADUCTION]

 

 […] payable le premier jour de chaque mois, à compter du 1er mai 1997.

 

D’autres dispositions du jugement ont pris effet immédiatement. Dans ce contexte, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’intention du juge de créer une date d’exécution (le 1er mai 1997) était claire et que les mots [TRADUCTION] « pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu » n’étaient pas nécessaires pour faire en sorte que le jugement soit visé au sous-alinéa 56.1(4)b)(iv).

 

[15]    L’avocat a mentionné le paragraphe 6 de l’onglet 2, p. 8, et le paragraphe 3 de l’onglet 3, qui sont respectivement les clauses de l’accord de séparation et les dispositions du jugement de divorce qui suivent :

 

          [TRADUCTION]

 

          Accord de séparation

 

6.         CLAUSES FINANCIÈRES : PENSION ALIMENTAIRE

 

a)  Le conjoint devra verser à la conjointe, le premier jour de chaque mois à compter du 1er mai 1998, 1 000 $ par mois au titre des aliments pour les enfants. Le montant de la pension alimentaire correspond au montant de base, soit 836 $, et au montant de 164 $ au titre des dépenses spéciales ou extraordinaires. Les parties conviennent que, pour l’application des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires, le revenu annuel de la conjointe s’élève à 47 559,60 $ et que le revenu annuel du conjoint est de 61 166,14 $. Les parties conviennent également que la conjointe paie des frais de garde d’enfants qui, aux termes du par. 7(1) des lignes directrices, sont évalués à 230 $ par mois.

 

b)  L’obligation du conjoint de verser une pension alimentaire pour enfants subsistera tant que les enfants seront des enfants à charge au sens de la Loi sur le divorce; il est bien entendu improbable que l’enfant Benjamin Jakob Gorgan cessera d’être un enfant à charge, compte tenu de son invalidité.

 

c)  Les conjoints conviennent, en ce qui a trait à leur obligation commune de veiller au bien-être de leurs enfants, que chacun d’eux continuera de souscrire, pour les enfants, toute garantie supplémentaire qu’il peut obtenir par l’intermédiaire de son employeur.

 

Jugement de divorce

 

3.         LA COUR ORDONNE (après avoir conclu que le revenu annuel de la requérante s’élevait à 47 559,60 $ et celui de l’intimé, à 64 166,14 $, pour l’application des lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires et qu’il y avait paiement de frais de garde d’enfants qui, aux termes du par. 7(1) des lignes directrices, étaient évalués à 230 $ par mois) ce qui suit en vertu de la Loi sur le divorce :

 

(i)         à compter du 1er mai 1998, l’intimé versera mensuellement à la requérante, à titre de pension alimentaire pour enfants, la somme de 1 000 $, et ce, tant que les enfants seront des enfants à charge au sens de la Loi sur le divorce;

 

(ii)        cette somme correspond au montant de base mensuel de 873 $ visé à l’al. 3(1)a) des lignes directives et au montant de 127 $ visé à l’article 7 des lignes directrices;

 

(iii)       les parties veilleront à souscrire, pour les enfants, toute garantie supplémentaire qu’ils peuvent obtenir par l’intermédiaire de leur employeur.

 

(iv)       les frais de scolarité et les frais pour les livres aux fins de l’enseignement postsecondaire aux enfants seront partagés à parts égales entre les parties.

 

Ces deux documents ont toutefois été établis après mai 1997, de sorte qu’ils ne peuvent satisfaire au passage de l’alinéa b) de la définition qui précède le sous-alinéa (i). L’arrêt Dangerfield ne peut donc aucunement s’appliquer à l’affaire qui nous occupe.

 

[16]    L’avocat de l’appelante soutient que le législateur voulait modifier le régime des pensions alimentaires pour enfants, notamment en faisant en sorte que toutes les ordonnances de pension alimentaire pour enfants rendues après avril 1997 soient fondées sur les lignes directrices et que les montants prévus par celles-ci soient fixés en fonction du fait qu’ils ne seraient pas imposables. Le montant de la pension alimentaire pour enfants prévu au paragraphe 6 de l’accord de séparation de 1998 et le montant indiqué dans le jugement de divorce ont tous deux été fixés d’après les lignes directrices fédérales. L’avocat fait valoir qu’il serait alors injuste et contraire à l’intention du législateur d’assujettir ces paiements à un impôt aux termes de l’ancien régime. Je n’accorde cependant aucun poids à cet argument, étant donné qu’il est évident que le montant fixé à 1 000 $ par mois, autant dans l’accord de séparation que dans le jugement de divorce, n’était pas fondé sur les lignes directrices, mais qu’il correspondait plutôt au montant convenu par les parties. Dans chaque cas, le montant précisé dans les lignes directrices était inférieur à 1 000 $, et les parties ont simplement ajouté, au titre des dépenses spéciales et extraordinaires, un montant qui correspondait exactement au montant nécessaire pour que le paiement totalise 1 000 $ par mois, montant qui avait d’abord été fixé dans l’ordonnance provisoire. Si l’équité et le sens commun devaient dicter le résultat, celui-ci ne serait sûrement pas un transfert de l’incidence fiscale de l’appelante à l’ancien conjoint sans qu’il y ait diminution du montant à payer mensuellement.

 

[17]    Ce ne sont cependant pas simplement l’équité et le sens commun qui dictent le résultat, mais plutôt les dispositions de la Loi, lesquelles sont ambiguës, malgré les règles établies récemment par la Cour suprême du Canada à l’égard de la définition de cette expression dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex[5]. Je vois bien qu’il semble, d’après le libellé de l’alinéa a) de la définition, que, si la dernière ordonnance ou l’accord de séparation « autonome » portant sur la question du montant de la pension alimentaire qui sera versée à l’égard des enfants a été établi après avril 1997, les paiements sont alors assujettis au nouveau régime et qu’ils ne doivent pas être inclus dans le revenu du bénéficiaire ni ne peuvent être déduits du revenu du payeur. Cependant, si telle était son intention en adoptant les modifications, le législateur n’aurait pas édicté le sous-alinéa b)(iii) de la définition, puisque cette disposition serait redondante. De toute évidence, l’alinéa a) s’applique uniquement lorsque l’accord ou l’ordonnance initiale prévoyant les montants exacts à payer au titre de la pension alimentaire pour enfants est établi après avril 1997.

 

[18]    C’est en ce sens que la Cour d’appel fédérale a résolu cette ambiguïté dans l’arrêt Kennedy c. Canada[6], une décision à laquelle je suis tenu de souscrire. Le juge Sexton a résumé les faits de l’affaire Kennedy comme suit :

 

[2]        En 1991, Mme Kennedy et son mari étaient séparés et la Cour de l’Ontario (Division générale) était saisie d’un litige relatif à la séparation. En mars 1991, une ordonnance provisoire concernant la garde des enfants et la pension alimentaire pour enfants a été rendue, avec le consentement de M. Kennedy. L’ordonnance prévoyait notamment des versements hebdomadaires de pension alimentaire pour chacun des enfants du couple. L’ordonnance fixait le montant de la pension alimentaire, sans toutefois prévoir d’augmentations en fonction du coût de la vie.  

[3]        En décembre 1991, le litige a été réglé par un accord écrit intitulé « Procès-verbal de transaction ». Cet accord exigeait notamment que M. Kennedy verse chaque semaine à Mme Kennedy, pour chacun des enfants, le montant indiqué dans l’ordonnance rendue précédemment. Il prévoyait cependant également que le montant serait rajusté chaque année en fonction du coût de la vie et précisait la formule à utiliser à cette fin.

[4]        Le 24 septembre 1997, la Cour de l’Ontario (Division générale) a rendu, à la demande de Mme Kennedy, un jugement prévoyant le versement d’une pension alimentaire pour enfants égale aux montants indiqués dans le procès-verbal de transaction et payables suivant les modalités, y compris le rajustement en fonction du coût de la vie, qui y étaient stipulées.

 

[19]    La Cour était appelée à trancher la question de savoir si les montants reçus par Mme Kennedy en 1997 et en 1998 au titre de la pension alimentaire pour enfants étaient assujettis à l’ancien ou au nouveau régime. La réponse à cette question dépendait de la réponse à la question de savoir si le jugement de septembre 1997 avait créé une date d’exécution au sens de la Loi; la Cour d’appel fédérale a conclu que ce n’était pas le cas. S’exprimant au nom de l’ensemble des juges, le juge Sexton a déclaré ceci :

 

[10]      La question en litige en l’espèce est de savoir si le jugement de 1997 a créé une date d’exécution au sens de la définition contenue au paragraphe 56.1(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, de sorte que les versements de pension alimentaire pour enfants reçus par Mme Kennedy ne seraient pas imposables entre ses mains.

[11]      L’appelante a fait valoir que, comme elle devait obtenir un jugement afin d’obtenir une procédure d’exécution pour forcer son mari à payer les augmentations relatives au coût de la vie, l’ordonnance de 1997, qui a été rendue après avril 1997, a créé une date d’exécution au sens de l'alinéa a) de la définition du paragraphe 56.1(4).

[12]      Je ne peux souscrire à cette interprétation de la loi. L’obligation de payer la pension alimentaire a été créée par l’ordonnance rendue par la Cour de l’Ontario en 1991, et celle de payer les augmentations relatives au coût de la vie, par le procès-verbal de transaction signé en 1991. Le jugement de 1997 n’a eu aucune incidence sur ces obligations. Ce jugement a peut-être facilité la perception des sommes par Mme Kennedy, mais les obligations elles-mêmes existaient bien avant avril 1997. Mme Kennedy n’avait pas besoin d’obtenir le jugement de 1997 pour contraindre son mari à payer. Elle aurait pu intenter une action devant la Cour de l’Ontario pour faire respecter les modalités du procès-verbal de transaction.

[13]      Il me semble que, même si la définition de « date d’exécution » au paragraphe 56.1(4) aurait pu être plus claire, l’objet de la loi est de faire en sorte que le nouveau régime s’applique aux ordonnances ou aux accords établis après avril 1997 qui créent effectivement de nouvelles obligations. Les obligations créées sous l’ancien régime demeurent assujetties aux anciennes dispositions. C’est ce que confirme d’ailleurs le sous-alinéa b)(ii), qui prévoit que l’accord ou l’ordonnance qui fait l’objet d’une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants crée une nouvelle date d’exécution; dans ce cas, une nouvelle obligation est créée par suite de la modification apportée après avril 1997. Il en est de même du sous-alinéa b)(iii), qui prévoit qu’un accord ou une ordonnance subséquent établi après avril 1997 ayant pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants crée une date d’exécution.

[14]      La Cour de l’impôt a déjà interprété la loi de cette façon dans le passé. Voir Katsoras c. Canada, [2002] A.C.I. no 254 (C.C.I.), aux paragraphes 8 à 10; Pieper c. Canada, [2004] A.C.I. no 256 (C.C.I.), au paragraphe 6; Bolt c. Canada, [2002] A.C.I. no 401 (C.C.I.), au paragraphe 9; Price c. Canada, [2001] A.C.I. no 355 (C.C.I.), au paragraphe 9.

 

[20]    Je remarque que la Cour a conclu, dans le passage cité ci-dessus, que l’obligation de payer une pension alimentaire pour enfants a été créée par l’ordonnance provisoire et que l’obligation de payer les augmentations relatives au coût de la vie a été créée par le procès-verbal de transaction, même si celui-ci constituait le premier accord global conclu par les parties. C’est ce qui ressort clairement des motifs de jugement rendus par le juge Mogan, de cette cour[7] :

 

[TRADUCTION]

[11]      L’appelante et CMK ont signé le procès-verbal de transaction (pièce A-2) en décembre 1991. Je suis convaincu que l’appelante a obtenu le jugement de la Cour de l’Ontario (Division générale) en septembre 1997 (pièce A-3) dans l’espoir que les montants de pension alimentaire pour enfants ne soient pas imposables, étant donné que le jugement a été rendu après le 1er mai 1997. Son avocat, Me MacPherson, croyait de toute évidence, si l’on se fie au quatrième paragraphe de sa lettre citée au paragraphe 10 ci-dessus, que ces montants ne seraient pas imposables.

[12]      Le présent appel porte sur les montants de pension alimentaire pour enfants que l’appelante a reçus de CMK en 1998 et en 1999. Le jugement de la Cour de l’Ontario du 24 septembre 1997 (pièce A-3) crée-t-il une « date d’exécution » en ce qui concerne ces paiements? La réponse se trouve à la définition de cette expression reproduite au paragraphe 9 ci-dessus. Les montants de base s’élevant à 80 $ par enfant par semaine, plus un rajustement de vie chère en date du 26 mars 1992 (et modifié annuellement par la suite), ont été fixés dans le procès-verbal de transaction (pièce A-2) signé en décembre 1991. Étant donné que ce procès-verbal de transaction a été conclu bien avant mai 1997, et que les paiements en question ont été effectués aux termes de ce procès-verbal, le jugement de septembre 1997 ne saurait, en lui-même, être visé à l’alinéa a) de la définition de l’expression « date d’exécution ».

[13]      Selon l’alinéa b) de la définition de « date d’exécution », il y a quatre conditions qui permettraient de créer une date d’exécution pour l’appelante après avril 1997. L’appelante et CMK n’ayant jamais présenté de choix conjoint au ministre, la condition prévue au sous-alinéa (i) ne peut être remplie. La pièce A-3 ne modifiait pas le montant de la pension alimentaire payable à l’appelante à l’égard des enfants, de sorte que le sous-alinéa (ii) ne peut s’appliquer. Après avril 1997, il n’y a eu aucune entente ou ordonnance modifiant le montant total payable au titre de la pension alimentaire pour enfants, de sorte que la condition prévue au sous-alinéa (iii) n’est pas remplie. Il n’y a eu aucune entente ou ordonnance précisant une « date d’exécution » quelconque pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, de sorte que le sous-alinéa (iv) ne peut s’appliquer.

 

[21]    Les montants de pension alimentaire pour enfants payables aux termes d’un accord ou d’une ordonnance établi avant avril 1997 seront assujettis à l’ancien régime ou au nouveau régime selon que les parties auront présenté ou non un choix conjoint au ministre sur le formulaire prescrit (sous-alinéa b)(i) de la définition) ou que le montant des paiements aura été modifié après avril 1997, aux termes soit d’une modification apportée à l’accord ou à l’ordonnance (sous-alinéa b)(ii)) soit d’un accord ou d’une ordonnance établi subséquemment (sous-alinéa b)(iii)). En l’espèce, il y a un accord subséquent ainsi qu’une ordonnance subséquente, mais ni l’un ni l’autre n’a pour effet de modifier l’obligation alimentaire globale envers les enfants qui a été créée en juin 1994 par l’ordonnance provisoire ni de créer une nouvelle obligation. Il n’y a donc pas de date d’exécution, de sorte que l’ancien régime continue à s’appliquer. Telle est selon moi la substance de la décision rendue dans l’arrêt Kennedy.

 

[22]    L’avocat de l’appelante a invoqué avec insistance les clauses de l’accord de séparation qui sont reproduites au paragraphe [4] ci-dessus. Il affirme que les paiements ont été effectués aux termes de cet accord après mai 1998, puisque celui-ci supplantait l’ordonnance provisoire et qu’il continuait à s’appliquer après le prononcé du jugement de divorce. Les parties ne peuvent toutefois pas, en matière de pension alimentaire pour enfants, conclure un accord dans le but de se soustraire à la compétence des tribunaux, que ce soit après ou avant que ceux-ci exercent cette compétence. C’est ce qu’expliquait le juge Beaubier dans le jugement Morin c. La Reine[8], au paragraphe 9 :

 

[TRADUCTION]

 

[9]        M. Morin et Mme Foster ne peuvent convenir de supprimer ou d’abroger de quelque autre manière les droits d’un tiers, à savoir un enfant, en ce qui concerne la pension alimentaire fixée par ordonnance du tribunal. Toute modification doit être apportée par une autre ordonnance judiciaire. Ce qui est tout à fait différent d’un accord prévoyant la réduction de la pension alimentaire à verser à un époux. La juge Wilson a expliqué la différence, au plan juridique, entre l’entretien d’un conjoint et l’entretien des enfants, dans le passage qui suit du jugement Richardson v. Richardson, que le juge Sopinka, s’exprimant au nom de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada, a cité en l’approuvant dans l’arrêt Willick v. Willick, 1994 CanLII 28 (C.S.C.), [1994] 3 R.C.S. 670 :

 

Cette corrélation [entre la pension alimentaire versée au conjoint et celle versée aux enfants] ne devrait pas cependant nous amener à en exagérer l’importance ou à oublier les fondements juridiques différents des droits à une pension alimentaire. Le fondement juridique de la pension alimentaire de l’enfant est l’obligation mutuelle qu’ont les parents de subvenir aux besoins de leurs enfants. Cette obligation devrait être assumée par les parents proportionnellement à leurs revenus et moyens financiers respectifs : Paras v. Paras, précité […] La pension alimentaire de l’enfant, comme les droits de visite, est un droit subjectif de l’enfant : Re Cartlidge and Cartlidge, [1973] 3 O.R. 801 (T. fam.). Pour cette raison, le conjoint ne peut aliéner le droit de son enfant à des aliments dans une convention. Le tribunal peut toujours intervenir pour fixer le niveau approprié des aliments à verser à l’enfant […] De plus, parce qu’il s’agit d’un droit de l’enfant, le fait que le conjoint bénéficie indirectement des aliments versés à l’enfant ne saurait justifier une révision à la baisse des aliments accordés.                                                 

[Soulignement ajouté.]

 

Dans le jugement Pelech c. Pelech, 1987 CanLII 57 (C.S.C.), [1987] 1 R.C.S. 801, rendu à la même époque que la décision Richardson, la Cour suprême a énoncé le principe qui suit, d’ailleurs souvent cité :

 

[l]e principe de l'arrêt Hyman selon lequel les parties ne peuvent écarter par contrat la compétence du tribunal en matière alimentaire conjugale constitue un précepte bien établi du droit canadien.

 

Même si cette affaire portait sur l’entretien d’un conjoint plutôt que sur l’entretien des enfants, s’il est vrai que les parties ne peuvent se soustraire à la compétence des tribunaux au moyen d’accords sur l’entretien d’un conjoint, il s’ensuit qu’on ne peut se soustraire à la compétence du tribunal en contractant un accord portant sur l’entretien des enfants.

 

[23]    L’intention du législateur n’était de toute évidence pas de transférer le fardeau fiscal dans le cas des conjoints qui ont conclu un accord relatif à la pension alimentaire pour enfants avant l’entrée en vigueur du nouveau régime, mais plutôt de mettre en place ce nouveau régime uniquement à l’égard de l’obligation alimentaire envers les enfants qui est imposée ou contractée pour la première fois, ou dont le montant est rajusté, après avril 1997, sauf si les parties non seulement s’entendent par écrit, mais aussi produisent le formulaire prescrit. L’avocat de l’appelante a voulu faire témoigner sa cliente sur un accord qu’elle aurait conclu verbalement avec son ancien conjoint, accord faisant état de leur intention en ce qui concerne l’incidence fiscale des paiements de pension alimentaire pour enfants devant être effectués après la passation de l’accord de séparation de 1998. J’ai exclu ce témoignage, étant donné qu’un tel accord peut être valable uniquement s’il respecte le sous-alinéa b)(i) de la définition, c’est-à-dire si les parties présentent un choix conjoint sur le formulaire prescrit. Il est tout à fait clair qu’aucun tel choix conjoint n’a été effectué en l’espèce.

 

[24]    Les appels sont rejetés, avec dépens.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour d’octobre 2005.

 

 

E. A. Bowie

Le juge Bowie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de février 2006.

 

 

 

 

Philippe Ducharme, traducteur

 

 

 

 


 

 

RÉFÉRENCE :

2005CCI671

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2003-254(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Nicolette Holbrook

et Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mars 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT RENDUS PAR :

 

L’honorable juge E. A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 octobre 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Ron C. Peterson

 

Avocat de l’intimée :

John Grant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

Ron C. Peterson

 

Cabinet :

Ron C. Peterson

 

Pour l’intimée :

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 



[1]           L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, telle que modifiée.

 

[2]           DORS/97-175.

[3]           [1995] 2 R.C.S. 627.

[4]           [2004] 2 C.T.C. 24; 2003CAF480.

[5]           [2002] 2 R.C.S. 559.

[6]           [2004] A.C.F. no 2122.

[7]           [2003] 4 C.T.C. 2263; 2003CCI338.

[8]           [2004] 5 C.T.C. 2452; 2004CCI584.

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