Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[traduction française officielle]

97-3818(IT)I

ENTRE :

DIMITRI SCHERBAKOV,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 1er juin 1999, à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge suppléant D. R. Watson

Comparutions

Représentant de l'appelant :                           W. C. Foreman

Représentant de l'intimée :                             R. Constantineseu (stagiaire)

JUGEMENT

          L'appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 1999.

« D. R. Watson »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2002.

Philippe Ducharme, réviseur


[traduction française officielle]

Date: 19990614

Dossier: 97-3818(IT)I

ENTRE :

DIMITRI SHERBAKOV,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Watson, C.C.I.

[1]      Le présent appel a été entendu à Edmonton, en Alberta, le 1er juin 1999, sous le régime de la procédure informelle.

[2]      En produisant ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant a déclaré un revenu total de 15 303 $, de 16 259 $ et de 24 876 $ respectivement. Dans les nouvelles cotisations qu'il a établies à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition en cause, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a majoré le revenu total de la façon suivante :    


Annexe A

Dimitri Sherbakov

Écart de l'avoir net :

1992

1993

1994

Écart de l'avoir net après redressement selon l'annexe B2

71 087,06 $

13 455,37 $

75 831,15 $

Moins les montants perçus par suite du remboursement des dépenses par Trak Reforestation Inc.

12 300,00 $

4 800,00 $

4 800,00 $

Moins les mises de fonds au titre des dépenses agricoles antérieures

7 622,00 $

321,00 $

-

Écart inexpliqué de l'avoir net résultant d'un emploi ou d'un travail autonome, tel qu'il a été déterminé par le vérificateur

51 165,06 $

8 334,37 $

71 031,15 $

Écart négatif du revenu total tel qu'il a été convenu au cours de l'examen du premier avis d'opposition, selon l'annexe B3

(24 973,01)

(4 477,00)

(17 884,03)

Écart positif du revenu total révisé tel qu'il a été convenu au cours de l'examen de l'avis d'opposition original

26 192,05

3 857,37

53 147,12

Revenu total déclaré

15 303,00

16 259,00

24 876,00

Revenu total tiré de toutes les sources

41 495,05

20 116,37

78 023,12

Inclusion de revenu en raison des dépenses remboursées par Trak Reforestation Inc.

12 300,00

4 800,00

4 800,00

Plus les mises de fonds au titre de l'exploitation agricole

7 622,00

321,00

-

Montant total ajouté au revenu

19 922,00

5 121,00

4 800,00

Revenu total révisé

61 417,05 $

25 237,37 $

82 823,12 $


[3]      En établissant ces nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

         [TRADUCTION]

a)                   pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant a détenu 50 p. 100 des actions de Trak Reforestation Inc. ( « Trak » );

b)          pendant toutes les périodes pertinentes, Trak a exercé des opérations forestières;

c)          pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant a été un employé de Trak;

d)          au cours des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, Trak a remboursé à l'appelant des sommes qu'il avait versées au nom de l'entreprise (les « remboursements » );

e)          Trak a déduit les remboursements de ses revenus à titre de frais d'automobile et de déplacement;

f)           l'appelant a également déduit de son revenu tiré d'un travail autonome les dépenses de Trak au titre des remboursements;

g)          dans les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, les remboursements qu'a effectués Trak s'élevaient à 12 300 $, à 4 800 $ et à 4 800 $ respectivement;

h)          les revenus tirés d'un travail autonome par l'appelant au cours des années d'imposition 1992, 1993 et 1994 ont été versés par Trak;

i)           en percevant les remboursements et, par la suite, en déduisant ces mêmes sommes de son revenu tiré d'un travail autonome, l'appelant a reçu des avantages de Trak, dont les montants sont énoncés à l'alinéa g) ci-dessus (les « avantages » ), en sa qualité d'actionnaire de Trak ou, subsidiairement, en sa qualité d'employé de Trak;

j)           dans ses déclarations de revenus des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant a omis de déclarer ces avantages;

k)          durant les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant était propriétaire d'une ferme, qu'il exploitait dans les environs de Plamondon, en Alberta;

l)           dans ses déclarations de revenus des années d'imposition 1992 et 1993, l'appelant a déduit des montants totalisant 7 622 $ et 321 $ respectivement au titre des mises de fonds (les « mises de fonds » ) relatives à l'exploitation agricole;

m)         le ministre a refusé la déduction de ces mises de fonds;

n)          le ministre a ajouté le coût correspondant aux mises de fonds au coût en capital des biens agricoles qu'utilisait l'appelant en vue de tirer un revenu agricole;

o)          le ministre a procédé au redressement des déductions pour amortissement des années d'imposition 1992, 1993 et 1994 après avoir reclassé les mises de fonds, comme l'indique l'annexe C;

p)          le revenu que l'appelant a tiré de toutes sources pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 a été sous-évalué de 26 192,05 $, de 3 857,37 $ et de 53 147,12 $ respectivement;

q)          le revenu que l'appelant a tiré de toutes sources pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 s'élevait à 41 495,05 $, à 20 116,37 $ et à 78 023,12 $ respectivement;

r)           dans ses déclarations de revenus des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant n'a pas inclus tous les revenus qu'il avait tirés au cours de ces années;

s)          pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant a omis de tenir les registres et livres de compte voulus relativement aux activités d'exploitation agricole et forestière;

t)           on a déterminé les montants sous-évalués qui figurent à l'alinéa 6p) ci-dessus en utilisant la méthode de la cotisation selon l'avoir net. (Une copie de l'état de l'avoir net personnel figure aux annexes B1 à B3.)

[4]      Au cours de l'audition de l'appel, le représentant de l'appelant a admis les allégations figurant aux alinéas a), d) à g), k) à o), s) et t) et nié celles figurant aux alinéas b), c), h) à j) et p) à r). Le ministre s'est appuyé sur l'article 3, les paragraphes 9(1), 15(1) et 152(4) et (7) et les alinéas 6(1)a), 18(1)b) et 20(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) ainsi que sur les parties XI et XVII du Règlement de l'impôt sur le revenu (le « Règlement » ) et il affirme, dans la réponse à l'avis d'appel :

[traduction]

9.          [...] que, au cours des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant, en sa qualité d'actionnaire de Trak, a reçu les avantages de celle-ci et que le ministre a inclus ces avantages à bon droit dans son revenu, conformément à l'article 3 et au paragraphe 15(1) de la Loi.

10.        Subsidiairement, il affirme que, au cours des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant a reçu ces avantages en sa qualité d'employé de Trak et que ces avantages ont été à bon droit inclus dans son revenu, conformément à l'article 3 et à l'alinéa 6(1)a) de la Loi.

11.        Il affirme également que, pour les années d'imposition 1992 et1993, l'appelant a sous-évalué son revenu tiré de l'exploitation agricole en déduisant les mises de fonds de son revenu, montants qui ne sont pas déductibles aux termes de l'alinéa 18(1)b) de la Loi, mais qui servent au calcul des déductions pour amortissement, conformément à l'alinéa 20(1)a) de la Loi et aux parties XI et XVII du Règlement.

12.        De plus, il soutient que l'appelant a sous-évalué son revenu tiré de toutes sources, pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, de 26 192,05 $, de 3 857,37 $ et de 53 147,12 $ respectivement, comme on l'a déterminé en utilisant la méthode de la cotisation selon l'avoir net (voir les annexes ci-jointes). Il soutient que, pour ces années d'imposition 1992, 1993 et 1994, ces montants ont été à bon droit inclus dans le revenu de l'appelant, conformément à l'article 3 et aux paragraphes 9(1) et 152(4) et (7) de la Loi.

[5]      Les questions que la présente cour est appelée à trancher sont, d'après le paragraphe 7 de la réponse à l'avis d'appel, celles de savoir :

[traduction]

a)          si l'appelant, en sa qualité d'actionnaire de Trak ou, subsidiairement, en sa qualité d'employé de Trak, a reçu de celle-ci des avantages dans les années d'imposition 1992, 1993 et 1994;

b)          si les mises de fonds sont déductibles ou représentent des dépenses ou des débours en capital pour les années d'imposition 1992 et 1993;

c)          si le revenu de l'appelant tiré de toutes sources, pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, a été sous-évalué de 26 192,05 $, de 3 857,37 $ et de 53 147,12 $respectivement.

[6]      Il incombe à l'appelant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la nouvelle cotisation du ministre était erronée en fait et en droit. Il est tenu de présenter une preuve suffisante ou fiable justifiant la conclusion selon laquelle il a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le ministre avait commis une erreur.

[7]      Le juge Bowman, de la présente cour, déclarait ce qui suit dans l'arrêt Anthony A. Ramey c. Canada, C.C.I., no 91-547(IT)G, le 20 avril 1993 (93 DTC 791), à la page 5 (DTC : à la page 793) :

[...] Estimer le revenu annuel d'un contribuable à partir de la valeur de son actif net est une méthode insatisfaisante et imprécise.    C'est un instrument grossier que le ministre doit utiliser en dernier ressort.    Une cotisation d'actif net repose sur une comparaison de l'actif net du contribuable, à savoir la valeur de l'actif moins le passif au début d'une année, avec son actif net à la fin de l'année.    À la différence ainsi obtenue, on ajoute les dépenses qu'il a engagées pendant l'année.    Le montant obtenu est réputé être le revenu du contribuable, sauf preuve contraire.    Ces cotisations peuvent être inexactes dans une mesure indéterminée, mais elles sont valables jusqu'à preuve de leur inexactitude.    Il est quasi impossible de les contester à la pièce.    La seule façon vraiment efficace de les contester est de procéder à une reconstitution complète du revenu du contribuable pour l'année.   

[8]      Dans l'arrêt Luay Zalzalah c. La Reine, A.C.F. no 1003 (95 DTC 5498), le juge Heald affirmait ce qui suit au paragraphe 4 (DTC : à la page 5499) :

            Le demandeur reconnaît franchement qu'il n'a pas tenu de registres ou livres de comptes au cours des années d'imposition dont il s'agit. Cet aspect a également été soulevé au cours de l'instance introduite devant la Cour canadienne de l'impôt et Mme le juge Lamarre Proulx a déclaré[1] que :

le Ministre ne peut et ne devrait pas autoriser des déductions qui ne peuvent être établies à l'aide de preuves documentaires. Cela entraînerait l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le domaine de l'arbitraire.

Je suis d'accord avec cette façon de considérer les choses. De la même façon, dans l'affaire Holotnak c. La Reine[2], le juge Cullen a examiné le sens de l'article 230 et déclaré ce qui suit :

            L'article 230 de la Loi impose aux contribuables de tenir les registres et livres de compte voulus. Le terme « voulu » n'est pas défini, mais il semblerait que ces livres de compte soient obligatoirement de nature à appuyer toute déduction du contribuable aux fins de l'impôt.

            La preuve du fait que les dépenses ont été engagées afin de gagner un revenu doit être faite par le contribuable (Wellington Hotel Holdings Limited c. M.N.R., 73 DTC 5391). Plus précisément, en ce qui concerne les cotisations, il incombe au contribuable de prouver que les hypothèses et les cotisations du ministre sont erronées (le juge Strayer dans Schwarz c. La Reine, 87 DTC 5274), qui citait Johnston c. M.N.R., [1948] R.C.S. 486). L'affaire Schwarz (précitée) traitait aussi d'un cas où les achats du demandeur n'étaient étayés par aucune pièce justificative. Comme l'explique le juge Strayer, il incombe au contribuable de prouver que la nouvelle cotisation du ministre du Revenu national est incorrecte, car c'est lui qui est le mieux placé pour prouver ce qui s'est effectivement passé.

[9]      Au cours des années en cause, l'appelant a tiré un revenu de trois sources différentes : premièrement, de Trak, une petite entreprise familiale exploitée en copropriété par l'appelant et Feoktist Semerikov, son beau-frère, sur une base saisonnière (du 1er mai à la mi-novembre), entreprise qui plantait des arbres et espaçait les arbres aux termes de contrats de reforestation conclus avec le gouvernement; deuxièmement, d'une entreprise d'exploitation forestière, de la mi-novembre à avril, exploitée en partenariat avec son père et deux de ses frères; troisièmement, de son exploitation agricole de 100 acres située dans une petite communauté religieuse, à environ 13 km de Plamondon, en Alberta.

[10]     L'appelant a mis un terme à ses études à l'âge de 14 ans pour travailler dans l'exploitation agricole familiale. En raison de son niveau de scolarité peu élevé, il a fait appel aux services de deux comptables, qui étaient responsables de tenir ses livres, ses registres et ses comptes. L'un d'eux était responsable de la comptabilité de Trak, tandis que l'autre s'occupait de ses finances personnelles et de la comptabilité des entreprises exploitées en partenariat. Il prenait des notes lorsqu'il investissait des fonds personnels dans Trak ou dans des entreprises exploitées en partenariat, et les remettait aux comptables. Il ne conservait aucun registre ou document pour lui-même.

[11]     Pour ce qui est de Trak, l'appelant et son beau-frère, Feoktist, investissaient fréquemment des fonds personnels dans l'entreprise en vue du paiement des dépenses engagées par celle-ci et s'attendaient à être remboursés ultérieurement. Les notes qu'il prenait étaient remises au comptable. Cela s'était fréquemment produit parce que Trak était exploitée dans une région éloignée et que de 10 à 30 employés travaillaient pour l'entreprise selon l'époque. Son beau-frère et lui retiraient au besoin des fonds du compte bancaire de l'entreprise pour payer à la fois les dépenses d'entreprise et leurs frais de subsistance personnels et ceux de leur famille.

[12]     En ce qui concerne l'entreprise d'exploitation forestière, l'appelant, son père et ses deux frères ont tous les quatre retiré des fonds du compte bancaire de cette entreprise exploitée en partenariat et, lorsqu'ils recevaient des fonds personnels, ils les investissaient dans l'entreprise. Ici encore, l'appelant prenait des notes, qu'il remettait à l'autre comptable. L'appelant ne conservait aucun registre ou document personnel relativement aux sommes avancées à cette entreprise ou aux sommes engagées à titre de dépenses d'entreprise ou de dépenses personnelles.

[13]     Vers la fin de l'année 1995 ou au début de l'année 1996, lorsque l'appelant a fait l'objet d'une vérification de la part de Revenu Canada, il a suggéré au vérificateur de communiquer avec ses comptables en vue d'obtenir les renseignements dont il avait besoin. Plus tard, l'appelant a décidé de changer de comptables, retenant les services du cabinet Equity Tax Management, situé à Edmonton, en Alberta. À l'audience, aucun des deux anciens comptables n'a témoigné et l'appelant n'a présenté en preuve aucun livre, grand livre ou quelque autre document à l'appui. Le témoignage de l'appelant et celui de son frère Platon étaient fondés sur ce dont ils se souvenaient des événements qui s'étaient produits au cours des trois années en cause et, naturellement, ces témoignages étaient plus vagues et incomplets que fiables.

[14]     Compte tenu de toutes les circonstances, y compris les témoignages de l'appelant, de son frère et du vérificateur de Revenu Canada, les aveux et la preuve documentaire produite par l'intimée, à la lumière de la jurisprudence bien établie, je suis convaincu que l'appelant n'a pas réussi à s'acquitter de la charge qui lui incombait, soit établir, selon la prépondérance des probabilités, que les nouvelles cotisations du ministre étaient erronées en fait et en droit.


[15]     Par conséquent, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de juin 1999.

« D. R. Watson »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2002.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]    Dossier no 88-863 (IT) - page 4 des motifs.

[2]    87 DTC 5443, aux pages 5446 et 5447.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.