Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20011030

Dossiers : 2000-269-IT-I,

2000-323-IT-I,

2000-329-IT-I,

2000-342-IT-I,

2000-698-IT-I

ENTRE :

GEORGES YOUNES,

DENISE AUDETTE,

JULIEN AUDETTE,

FRANCE BENARD,

OTTAVIO SPIEZIA ,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

(prononcés oralement à l'audiencele 27 septembre 2001 à Montréal (Québec)

et modifiés pour les rendreplus clairs et plus complets)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Georges Younes, madame Denise Audette, monsieur Julien Audette, madame France Benard et monsieur Ottavio Spiezia interjettent appel à l'encontre de cotisations d'impôt sur le revenu établies par le ministre du Revenu national (ministre). Le ministre a refusé les crédits d'impôt demandés par ces appelants à l'égard de prétendus dons de bienfaisance effectués en faveur de l'Ordre Antonien Libanais des Maronites (l'Ordre). Le ministre prétend que les appelants n'ont pas fait véritablement les dons suivants :

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

Georges Younes

9 025 $

975 $

Denise Audette

3 000 $

3 500 $

Julien Audette

12 000 $

12 000 $

10 000 $

11 500 $

6 000 $

France Benard

5 000 $

5 000 $

1 600 $

3 000 $

Ottavio Spiezia

3 000 $

2 400 $

[2]            L'intimée reconnaît que certaines des cotisations ont été établies hors de la période normale de nouvelle cotisation et qu'elle a la charge d'établir que les appelants ont fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ou ont commis quelque fraude en produisant leurs déclarations de revenu. L'intimée reconnaît qu'elle a cette charge à l'égard de tous les appelants sauf quant à monsieur Spiezia et quant à madame Benard pour ce qui est de ses années d'imposition 1993 et 1995. Elle a aussi la charge de la preuve à l'égard des pénalités que le ministre a imposées en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) pour chacune des années d'imposition pertinentes.

Faits

Preuve de l'intimée

[3]            Deux représentants du ministre, soit un enquêteur du Service des enquêtes criminelles et une vérificatrice, ont décrit le stratagème frauduleux (stratagème) mis en place par l'Ordre. Dans certains cas, l'Ordre établissait en faveur d'un contribuable un reçu indiquant un don en argent d'un montant égal à la somme que ce contribuable lui avait versée par chèque et en même temps rendait au contribuable en espèces une partie de cette somme. Souvent, il s'agissait d'un remboursement de 80 % du montant apparaissant sur le chèque. Dans d'autres cas, l'Ordre établissait un reçu en faveur d'un contribuable en y indiquant un don d'un certain montant, alors que le contribuable n'avait rien versé ou avait versé une somme bien inférieure au montant indiqué, soit, généralement, 20 % de celui-ci. De plus, certains de ces reçus indiquaient faussement que le prétendu don avait été effectué au cours de l'année précédant celle où l'Ordre a reçu l'argent et a établi le reçu. En d'autres mots, les reçus étaient antidatés.

[4]            C'est l'épouse séparée de l'un des dirigeants de l'Ordre, une médecin, qui a dénoncé au ministre en mars 1994 l'existence du stratagème. Elle a reconnu, dans une déclaration qui, avec l'accord des appelants, a été produite à l'audience pour tenir lieu de son témoignage, qu'elle avait bénéficié de ce stratagème à l'égard de trois années d'imposition, soit 1988 à 1990 inclusivement. Pour ces années, elle aurait versé à l'Ordre un montant équivalent à 50% du montant du reçu.

[5]            À la suite de cette dénonciation, la vérificatrice du ministre est allée vérifier les registres comptables de l'Ordre de même que ses relevés bancaires. Son travail s'est effectué au cours des mois de septembre et d'octobre 1994 et son analyse lui a permis de conclure que la dénonciation du stratagème des faux reçus était bien fondée. Notamment, elle a constaté que les chèques de don fournis par des professionnels ayant des revenus assez substantiels étaient déposés à la banque et qu'il y avait des retraits importants dans les jours suivants, alors que, pour les dons effectués par des contribuables aux revenus plus modestes, les chèques déposés ne représentaient qu'une fraction du montant du reçu établi par l'Ordre.

[6]            Le dossier a alors été confié au Service des enquêtes criminelles, qui a effectué une perquisition le 8 novembre 1995. Lors de cette perquisition, le ministre a pu mettre la main sur des documents confirmant l'existence du stratagème mis en place par l'Ordre. Parmi ces documents, on retrouve un chiffrier électronique (Bibliorec) provenant d'un ordinateur de l'Ordre et fournissant des données pour 1993. Sur ce chiffrier, se trouvent 356 inscriptions visant 352 reçus, soit ceux numérotés de 32 à 383. Les inscriptions indiquent le nom du donateur, son numéro de téléphone, le numéro du reçu, le montant du prétendu don (avec indication, si le montant avait été versé en espèces, que tel était le cas), le montant à rembourser au donateur, le montant remboursé et le solde à rembourser, la part, si part il y avait, qui appartenait à l'Ordre, et souvent, le pourcentage que représentait le montant appartenant à l'Ordre par rapport au montant du prétendu don, ainsi que le nom codé de l'intermédiaire par lequel les " donateurs " avaient été mis en contact avec l'Ordre. Malheureusement pour le ministre, le chiffrier ne fournit pas la liste de tous les donateurs en faveur de qui l'Ordre a établi des reçus de don. Par contre, on y retrouve le nom de monsieur Julien Audette et des renseignements indiquant qu'il n'aurait versé réellement en 1993 que 15 % du montant du reçu pour dons de bienfaisance et que c'est par l'intermédiaire d'un certain Ralph (selon toute vraisemblance Ralph Nahas ) qu'il a été mis en contact avec l'Ordre.

[7]            Ce monsieur Nahas était non seulement le comptable de l'Ordre durant les années pertinentes mais il était aussi un voisin de monsieur et madame Audette, de madame Benard et de monsieur Spiezia, qui habitaient tous à Pierrefonds durant les années pertinentes. De plus, monsieur Nahas avait agi comme comptable de ces quatre appelants (quatre appelants). Devant la Cour, monsieur Audette a souligné qu'il préparait lui-même ses déclarations de revenu mais a dit que monsieur Nahas les vérifiait. Par contre, madame Audette a reconnu l'écriture de monsieur Nahas sur les déclarations de revenu présentées au ministre et produites en preuve par l'intimée. C'est aussi monsieur Nahas qui a servi d'intermédiaire entre l'Ordre et les quatre appelants.

[8]            En plus du témoignage de la médecin, il y a eu celui de deux autres contribuables qui ont reconnu à l'audience qu'ils avaient tenu compte, dans le calcul de leurs crédits d'impôt pour dons de bienfaisance, de montants supérieurs à ceux versés à l'Ordre et qu'ils avaient remis au ministre des faux reçus fournis par l'Ordre. Parmi les documents d'enquête produits par l'intimée, on retrouve des rapports d'entrevue de l'enquêteur dans lesquels un certain nombre de contribuables (environ 80, dont, dans certains cas, le nom n'apparaît même pas au Bibliorec) reconnaissent avoir participé au stratagème. Au nombre de ces documents figure une déclaration solennelle d'une dame Cedilot qui reconnaît avoir versé un montant inférieur à celui indiqué sur ses reçus pour les années 1991 à 1994 et qui affirme que c'est monsieur Ralph Nahas qui l'a incitée à donner ainsi à l'Ordre et que c'est à lui qu'elle remettait l'argent, en espèces. C'est aussi monsieur Nahas qui obtenait les reçus de don de bienfaisance et qui préparait ses déclarations de revenu. On retrouve aussi un rapport d'entrevue dressé par l'enquêteur à la suite à d'une rencontre avec une dame Mercier qui a aussi reconnu que monsieur Nahas lui avait proposé le stratagème, qu'elle lui remettait l'argent en espèces dans une enveloppe et que monsieur Nahas s'occupait d'obtenir les reçus de don de bienfaisance. Cette dame avait connu monsieur Nahas par l'intermédiaire de ses enfants, tout comme les Audette.

[9]            Lors de son témoignage, l'enquêteur a aussi révélé que plus de 1 000 donateurs avaient fait l'objet de nouvelles cotisations par lesquelles le ministre refusait des crédits d'impôt à l'égard de dons pour lesquels l'Ordre avait établi des reçus pour les années d'imposition 1989 à 1995. Moins de 100 contribuables auraient interjeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Tous les autres auraient soit accepté leurs cotisations, soit accepté l'offre de règlement faite à tous les contribuables au stade des oppositions.

[10]          L'enquêteur a également révélé qu'un certain nombre de donateurs qui avaient demandé des montants substantiels à titre de crédit d'impôt ont plaidé coupables à l'égard d'accusations criminelles relatives au stratagème portées contre eux en vertu de l'article 239 de la Loi.

Preuve des appelants

Georges Younes

[11]          Monsieur Georges Younes s'est décrit comme un consultant lorsqu'il a prêté serment au début de son témoignage. Il est d'origine libanaise et habite au Canada depuis 26 ans. Il est de religion grecque orthodoxe et ne fait donc pas partie de l'Ordre. Il a été évaluateur après sinistre et représentant de commerce dans une entreprise fournissant des services de rénovation. Durant les années pertinentes, soit 1990 et 1991, monsieur Younes habite à Kirkland. Il est marié depuis le 16 septembre 1990.

[12]          Monsieur Younes affirme avoir organisé un concert pour un ami d'enfance, un certain Joe Saadé, qui habitait en France. Ce dernier songeait à émigrer au Québec. Le concert devait être organisé avec la collaboration du père Joseph Kamar, un des pères de l'Ordre et une connaissance de monsieur Saadé. Ce concert a eu lieu le 22 décembre 1990 dans une salle du monastère de l'Ordre située à Outremont. Monsieur Younes avait convenu pour la location de cette salle de verser 2 000 $ à l'Ordre et de lui remettre 25 % des recettes du bar qui serait ouvert lors du concert. Dans une déclaration sur l'honneur, monsieur Saadé indique qu'il n'y avait qu'une quarantaine de personnes au concert. Selon lui, une tempête de neige avait empêché le public d'y être nombreux. Toutefois, monsieur Younes a produit un sommaire météorologique mensuel d'Environnement Canada révélant qu'il était tombé le 21 décembre 1990 une pluie verglaçante et que cette pluie verglaçante s'était transformée en pluie au cours de la journée du 22 décembre et qu'il y avait de la bruine entre 16 h et 22 h. Selon le souvenir de monsieur Younes, le prix des billets pour le concert s'élevait à 30 $. Par contre, le billet fourni par monsieur Saadé avec sa déclaration sur l'honneur indique un prix de 15 $ par personne. Selon monsieur Younes, environ 600 billets avaient été imprimés, dont 300 ont été remis au père Kamar, qui l'aurait assuré qu'il devait considérer ces billets comme vendus.

[13]          À la fin du concert, monsieur Younes aurait remis au père Kamar, pour la location de la salle, un chèque de 2 000 $ ainsi que 200 $ en espèces provenant des recettes du bar et aurait tenté d'obtenir le produit de la vente des billets vendus par le père Kamar. Ce dernier aurait alors indiqué qu'il n'était pas en mesure de le lui remettre parce que les acheteurs des billets pouvaient demander à être remboursés en raison des conditions climatiques de ce soir-là et que l'Ordre n'avait pas reçu le paiement de tous les billets. Monsieur Younes a reconnu ne pas savoir combien de billets l'Ordre avait prétendument vendus. Il ne savait même pas combien de billets avaient été vendus à la porte. Toutefois, le père Kamar aurait remis à monsieur Younes un " reçu officiel pour fins d'impôt " sur lequel on indiquait une donation de 10 000 $. Monsieur Younes explique le montant de ce reçu de la façon suivante. Ces 10 000 $ seraient constitués du total de trois montants : 2 000 $ remis par chèque et 200 $ (provenant des recettes du bar) en espèces pour la location de la salle, et le solde, soit 7 800 $, représenterait le produit de la vente des billets vendus par l'Ordre (260 billets à 30 $). Répondant à des questions que je lui ai posées, monsieur Younes a indiqué qu'en quittant le monastère le soir du 22 décembre 1990, il n'avait pas l'intention de donner à l'Ordre le produit de la vente de ces billets; il s'attendait à le recevoir par la suite. Il dit n'avoir jamais reçu cet argent et n'avoir jamais fait de démarches auprès du père Kamar pour le recouvrer, étant gêné de faire une telle demande à un représentant d'une église.

[14]          Monsieur Younes affirme avoir versé à monsieur Saadé une somme de 6 900 $ en espèces pour sa prestation et avoir assumé les frais de séjour de monsieur Saadé, qui a habité chez lui pendant une quinzaine de jours. Il aurait peut-être aussi versé des honoraires à deux musiciens québécois qui accompagnaient monsieur Saadé lors du concert. Selon monsieur Younes, ce concert lui aurait occasionné des pertes dépassant 10 000 $. Son comptable lui aurait dit qu'il serait plus avantageux de déduire cette perte comme une perte d'entreprise. Ayant demandé la déduction de dépenses importantes dans le calcul de son " revenu total ", monsieur Younes ne pouvait bénéficier du crédit d'impôt pour dons de bienfaisance qu'à l'égard d'un montant de 5 069 $ de dons. Il devait donc reporter une partie du solde, soit 4 602 $, sur l'année 1991, et le reste aurait été utilisé par son épouse. Monsieur Younes a tout de même préféré utiliser le reçu de dons de bienfaisance que lui avait remis le père Kamar. Selon monsieur Younes, le reçu de l'Ordre avait une valeur probante plus certaine.

[15]          À la suite d'une nouvelle cotisation refusant à monsieur Younes une partie importante des dépenses susmentionnées dont il avait demandé la déduction, ce qui avait comme conséquence d'augmenter son " revenu net ", le ministre a calculé à nouveau le crédit d'impôt pour dons de bienfaisance à l'égard d'un montant de 9 025 $ pour 1990 et de 975 $ pour 1991. Consécutivement à la découverte du stratagème, le ministre a établi le 7 août 1997 des nouveaux avis de nouvelle cotisation pour les années d'imposition 1990 et 1991, qui refusaient à monsieur Younes les crédits pour dons de bienfaisance relativement au reçu établi par l'Ordre. Le ministre a aussi imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

Preuve des quatre appelants

[16]          Madame Audette s'est décrite lors de son assermentation comme étant une gérante adjointe, monsieur Audette a dit occuper un poste de directeur responsable des produits; madame Benard a dit qu'elle était conseillère touristique, et monsieur Spiezia, qu'il était adjoint au gérant du rayon boucherie dans une épicerie. Monsieur Spiezia habite depuis novembre 1993 dans la même maison que madame Benard, mais au sous-sol. Même si l'une est séparée depuis 1990 et l'autre divorcé depuis février 1993, ils ne semblent pas vivre en union conjugale. Madame Benard et le couple Audette m'ont semblé se connaître depuis plusieurs années. Madame Benard a reconnu être collègue de l'épouse de monsieur Nahas et bien connaître la famille de ce dernier.

[17]          Chacun des quatre appelants a affirmé avoir donné en entier les sommes apparaissant sur les reçus établis par l'Ordre. Ils ont tous affirmé avoir voulu venir en aide aux enfants du Liban, victimes de la guerre. Aucun des quatre n'est d'origine libanaise ni n'a de parent au Liban. Aucun n'est maronite.

Analyse

[18]          Lors de sa plaidoirie, maître Lessard, procureure de l'intimée, a exposé correctement les principes de droit relatifs à la charge de la preuve et les règles concernant l'appréciation de la preuve circonstancielle. Dans son recueil de jurisprudence, on retrouve la décision de la Cour suprême du Canada dans Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, où, à la page 378, madame la juge L'Heureux-Dubé affirme : " Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités ". En ce qui concerne le fardeau de la preuve dans les affaires où il est question de l'application d'une pénalité civile, il y a le passage suivant tiré de l'arrêt Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164, à la page 169, arrêt auquel s'est référée madame la juge L'Heureux-Dubé dans Hickman Motors :

Chaque fois qu'il y a une allégation de conduite moralement blâmable ou qui peut revêtir un aspect criminel ou pénal et que l'allégation se présente dans le cadre d'un litige civil, le fardeau de la preuve qui s'applique est toujours celui de la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[19]          Quant à l'appréciation de la preuve, la procureure a cité notamment à cet égard l'auteur Jean-Claude Royer, La preuve civile, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, en particulier le paragraphe 175, à la page 100 :

La preuve directe est préférée à la preuve indirecte — La preuve directe est celle qui porte immédiatement sur le fait litigieux. La preuve indirecte, indiciaire ou par présomption a pour objet des faits pertinents qui permettent d'inférer l'existence du fait litigieux.

[...]

La preuve testimoniale directe est supérieure à la preuve par présomption. Cette règle n'est toutefois pas absolue. Dans certaines circonstances, le tribunal peut préférer une preuve indiciaire à une preuve directe.

Elle a aussi cité une décision de la Cour d'appel du Québec, Légaré v. The Shawinigan Water and Power Co. Ltd., [1972] C.A. 372, dans laquelle le juge en chef Tremblay s'est exprimé comme suit :

Légaré adresse au premier juge deux reproches principaux.

Il lui fait grief d'avoir mis de côté son témoignage et celui de Bureau, alors qu'ils n'étaient pas contredits. Mais, les tribunaux ne sont pas tenus de croire les témoins, même s'ils ne sont pas contredits par d'autres témoins. Leur version peut être invraisemblable par suite de circonstances révélées par la preuve ou par suite des règles du simple bon sens. Le maintien et l'attitude du témoin sont aussi des facteurs importants.

[20]          Dans un premier temps, il est important de préciser qu'il ne s'agit pas ici de poursuites criminelles : personne n'est accusé de rien. La question est de savoir si les cinq appelants ont droit à leurs crédits d'impôt pour dons de bienfaisance. Il faut aussi déterminer si des pénalités civiles sont justifiées en raison de la présence dans les déclarations des appelants de faux énoncés attribuables notamment à une faute lourde.

[21]          Chaque appel doit être décidé en fonction de la preuve faite devant le tribunal. Par exemple, dans l'affaire Ghadban c. La Reine (1999-4736(IT)I, décision rendue oralement et non publiée), le contribuable prétendait aussi avoir fait des dons à l'Ordre. Après avoir entendu son témoignage, j'en suis venu à la conclusion qu'il avait effectivement fait les dons. Ce n'est pas parce que l'Ordre " vendait " des faux reçus qu'il faut nécessairement conclure que tous les donateurs de l'Ordre ont utilisé de faux reçus. Par contre dans les affaires Abouantoun et al. (2000-286(IT)I, 2000-238(IT)I et 2000-663(IT)I), j'ai conclu que les contribuables avaient participé au stratagème. Je dois mentionner toutefois que dans leur cas, contrairement à ce qu'il en était dans Ghadban, l'intimée avait produit des éléments de preuve qui rattachaient leurs dons au stratagème de l'Ordre. En particulier, le nom de ces contribuables apparaissait dans le Bibliorec.

[22]          Ici, j'ai entendu le témoignage des cinq appelants et des témoins présentés par l'intimée. À mon avis, il faut distinguer entre les appels de monsieur Younes et ceux des quatre appelants. Les circonstances entourant leurs demandes de crédits d'impôt pour dons de bienfaisance sont très différentes.

Georges Younes

[23]          À mon avis, l'intimé n'a pas réussi à faire la preuve que monsieur Younes avait participé au stratagème. Je n'ai pas été convaincu selon la prépondérance des probabilités que monsieur Younes avait acheté un faux reçu pour dons de bienfaisance à un coût de 20 % du montant y indiqué, comme le prétend l'intimé. Il y a, bien évidemment, tout d'abord le témoignage de monsieur Younes qui affirme n'avoir jamais été mis au courant du stratagème. Il y a aussi le fait que monsieur Younes n'aurait obtenu qu'un seul reçu. Il n'y a pas plusieurs prétendus dons pour plus d'une année d'imposition comme c'est le cas des autres appelants. De plus, le nom de monsieur Younes n'apparaît pas dans le Bibliorec puisque les données que l'on y retrouve ne concernent que l'année 1993. Le prétendu don de monsieur Younes aurait eu lieu en 1990.

[24]          Même s'il n'a pas participé au stratagème, cela ne signifie pas qu'il a droit à son crédit d'impôt pour dons de bienfaisance et que la pénalité imposée par le ministre est injustifiée. Monsieur Younes a affirmé avoir remis un chèque de 2 000 $ et la somme de 200 $ en espèces en paiement de la salle au monastère de l'Ordre, qu'il avait louée dans le but d'y présenter un concert d'un ami d'enfance. Quand j'ai demandé à monsieur Younes de m'expliquer comment il pouvait avoir demandé un crédit d'impôt pour don de bienfaisance à l'égard de ce loyer, il m'a répondu que toute somme remise à une église représentait pour lui un don de bienfaisance. Quand on reçoit une contrepartie pour l'argent remis à une personne, il ne peut être question de donation, même si le bénéficiaire du paiement est une oeuvre de bienfaisance. Une donation suppose l'appauvrissement du patrimoine du donateur au profit de celui du donataire.

[25]          Aussi, lorsqu'il a quitté le père Kamar à la fin de la soirée du 22 décembre 1990, monsieur Younes n'avait aucune intention de donner à l'Ordre le produit de la vente des billets pour le concert. De plus, même si monsieur Younes croit que le père Kamar a vendu environ 260 billets à 30 $ chacun, cela ne prouve pas que le père Kamar a recueilli une somme de 7 800 $ pour ces billets. Tout d'abord, la seule preuve probante du prix des billets est le billet produit sous la cote A-10 et qui établit ce prix à 15 $. Comme il n'y avait pas de sièges réservés, il est peu vraisemblable que l'on ait vendu certains des billets au double du prix des autres billets. Il ne ressort pas du tout de la preuve qu'il s'agissait d'un concert bénéfice en faveur de l'Ordre. De toute façon, si tel avait été le cas, ce sont les acheteurs des billets qui auraient pu en tirer un avantage fiscal. De plus, le fait que seulement 40 personnes se soient présentées au concert le 22 décembre 1990 soulève un sérieux doute quant à la vente d'un nombre aussi important de billets par le père Kamar. Rappelons aussi que, contrairement à ce que dit la déclaration écrite de monsieur Saadé, il ne faisait pas tempête de neige le soir du 22 décembre 1990 mais plutôt il tombait de la bruine.

[26]          Par conséquent, je ne crois pas que le reçu établi par l'Ordre confirme l'existence d'un don de 10 000 $ et je conclus que monsieur Younes n'a pas effectué un tel don en faveur de l'Ordre[1]. Ici, monsieur Younes ne s'est pas appauvri lorsqu'il a versé à l'Ordre 2 200 $ puisqu'il a obtenu en contrepartie de cette somme la jouissance d'une salle de concert. Quant au solde, soit la somme de 7 800 $, la preuve est insuffisante pour que l'on puisse conclure que l'Ordre a réalisé de telles recettes sur la vente des billets; par conséquent, monsieur Younes ne peut établir qu'il a effectivement renoncé à une telle somme en faveur de l'Ordre.

[27]          Comme il a établi ses cotisations en 1997, c'est-à-dire au-delà de la période normale de nouvelle cotisation, le ministre devait au préalable prouver que monsieur Younes avait fait un présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou avait commis quelque fraude en produisant sa déclaration de revenus[2]. Il est utile de traiter, en même temps que cette question, celle de l'application de la pénalité prescrite au paragraphe 163(2) de la Loi. Ce paragraphe édictait :

163(2)          Faux énoncés ou omissions

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde dans l'exercice d'une obligation prévue à la présente loi ou à un règlement d'application, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse — appelé " déclaration " au présent article — rempli ou produit pour une année d'imposition conformément à la présente loi ou à un règlement d'application, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total :

[...]

[28]          Dans l'affaire Venne c. Canada, [1984] A.C.F. no 314 (84 DTC 6247, version anglaise), le juge Strayer a analysé ces deux questions. Voici ce qu'il affirme relativement à la cotisation au-delà de la période normale de nouvelle cotisation:

Je suis convaincu qu'il suffit au Ministre, pour invoquer son pouvoir en vertu de l'alinéa 152(4) a)(i) de la Loi, de démontrer la négligence du contribuable, à l'égard d'un ou plusieurs éléments de sa déclaration de revenus au titre d'une année donnée. Cette négligence est établie s'il est démontré que le contribuable n'a pas fait preuve de diligence raisonnable. C'est sûrement là le sens des termes "présentation erronée des faits, par négligence", en particulier avec d'autres motifs comme l'inattention ou l'omission volontaire qui font référence à un degré de négligence plus élevé ou à une mauvaise conduite délibérée.

[Je souligne.]

Par contre le juge Strayer affirme que la tâche de l'intimée est plus difficile pour ce qui est de l'imposition d'une pénalité :

Il convient de souligner que, pour que la pénalité soit applicable, il faut un degré de culpabilité plus élevé, soit avec connaissance réelle, soit avec faute lourde, que ne l'impose le paragraphe 152(4) pour que soient réouvertes des cotisations antérieures de plus de quatre ans, la simple négligence étant suffisante apparemment dans ce dernier cas.

[Je souligne.]

Il explique ainsi ce que constitue une faute lourde :

La "faute lourde" doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

[Je souligne.]

[29]          À mon avis, il ne paraît pas plausible que monsieur Younes ait pu croire qu'il avait le droit de déduire comme don de bienfaisance un loyer versé à une église. En 1990, monsieur Younes habitait au Canada depuis une quinzaine d'années. Il occupait des emplois dans le domaine des affaires, travaillant notamment dans l'évaluation après sinistre et comme représentant de commerce dans le domaine des services de rénovation. Rien n'indique que monsieur Younes n'avait pas le jugement nécessaire pour se rendre compte que l'on ne fait pas de don lorsqu'on reçoit une contrepartie pour l'argent versé.

[30]          De plus, je m'explique mal que son comptable ait pu lui suggérer de déduire comme perte d'entreprise la perte subie relativement à l'organisation du concert. Ce concert a été le seul organisé par monsieur Younes. Tout ce qu'il espérait était de récupérer ses dépenses. Il ne l'a pas fait dans le but de tirer un bénéfice de cette activité. Il l'a fait pour aider un ami. Dans de telles circonstances, on n'exploite pas d'entreprise, car il n'y a pas de source de revenu. Il est regrettable que monsieur Younes n'ait pas fait témoigner son comptable pour jeter de la lumière sur les discussions qui avaient eu lieu entre eux. Les explications les plus plausibles concernant la recommandation du comptable m'apparaissent être celles-ci : ou bien monsieur Younes n'a pas fourni tous les renseignements pertinents à son comptable ou il l'a fait et le comptable, dans l'exécution de son travail, n'a pas fait preuve de professionnalisme et a enfreint la déontologie.

[31]          Le fait que monsieur Younes ne pouvait pas déduire de perte d'entreprise pourrait aussi expliquer qu'il n'ait pas tenté de déduire sa perte et qu'il ait préféré utiliser un " reçu officiel pour fins d'impôt " établi par une église, estimant qu'un tel reçu lui offrait de meilleures chances de ne pas susciter de contestation de la part des autorités fiscales. Par conséquent, j'en conclus que monsieur Younes a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenus pour l'année 1990 et l'année 1991. Par conséquent, il est clair que monsieur Younes a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire, ce qui permettait au ministre d'établir ses cotisations au-delà de la période normale de nouvelle cotisation.

[32]          Par contre, au niveau du calcul de la pénalité, je suis prêt à admettre que monsieur Younes ait pu croire avoir droit à un crédit d'impôt pour don de bienfaisance à l'égard d'une partie du montant de 10 000 $. Je suis prêt à reconnaître que monsieur Younes a pu croire que le père Kamar et l'Ordre avaient pu vendre un certain nombre de billets pour le concert et conserver le produit de la vente pour les oeuvres de bienfaisance de l'Ordre. Compte tenu du faible nombre de personnes présentes lors du concert, compte tenu des conditions climatiques, qui n'étaient pourtant pas aussi catastrophiques que celles décrites par monsieur Joe Saadé, et compte tenu du fait que le concert devait avoir lieu à une date aussi rapprochée du temps des fêtes, monsieur Younes pouvait croire que le père Kamar avait vendu 100 des 300 billets qu'on lui avait confiés. Comme la preuve a révélé que le prix des billets était de 15 $, je conclus que monsieur Younes pouvait croire que le montant retenu par le père Kamar et l'Ordre s'élevait à 1 500 $ (15 $ x 100) et qu'il avait droit à un crédit d'impôt à l'égard de ces 1 500 $. Il est vrai qu'en quittant le père Kamar le 22 décembre 1990, il n'avait pas l'intention de donner cette somme à l'Ordre. Toutefois, ayant abandonné toute démarche pour en obtenir le paiement, il pouvait s'être résigné à en avoir fait don à l'Ordre, d'autant plus qu'il était reparti ce soir-là avec un reçu officiel aux fins de l'impôt.

Les quatre appelants

[33]          Dans le cas des quatre appelants, j'ai été convaincu selon la prépondérance des probabilités qu'ils avaient participé au stratagème de l'Ordre et qu'ils avaient fait l'acquisition de faux reçus de dons de bienfaisance. Les éléments de preuve appuyant cette conclusion sont les suivants.

[34]          Tout d'abord, il y a le fait qu'aucun de ces quatre appelants n'a fait de don, ou qu'ils n'ont fait que des dons minimes, à d'autres oeuvres de bienfaisance. Ainsi, de 1988 à 1998 les Audette auraient fait sur une période de 5 années des dons à l'Ordre totalisant 58 000 $ alors que le total de tous leurs dons à d'autres oeuvres de bienfaisance durant les 11 années n'a pas dépassé 420 $. Dans le cas de madame Benard, ses prétendus dons[3] en faveur de l'Ordre totaliseraient 14 600 $ pour les années 1990 à 1998 alors que ses autres dons pour la même période se limitaient à 25 $. Quant à monsieur Spiezia, ses prétendus dons[4] à l'Ordre s'élèvait à 5 400 $ pour la période de 1990 à 1998 alors qu'il n'a effectué aucun autre don de bienfaisance au cours de cette période.

[35]          De plus, les prétendus dons de chacun des quatre appelants représentent un pourcentage appréciable de leurs revenus nets disponibles, c'est-à-dire le montant de leurs revenus totaux, déduction faite notamment de leurs cotisations au régime d'épargne-retraite et au régime des rentes du Québec et des montants d'impôt retenus à la source par leur employeur. Pour monsieur Audette, ses prétendus dons à l'Ordre représenteraient entre 22 % et 27 % de son revenu net disponible pour les années pertinentes. Pour madame Audette, le chiffre se situe entre 22 % et 23 %, pour madame Benard, entre 10 % et 16 %, et pour monsieur Spiezia, entre 14 % et 23 %. Il faut aussi tenir compte du fait que le couple Audette et madame Benard avait chacun trois enfants durant la période pertinente. Dans le cas de madame Benard, ses prétendus dons auraient totalisé 14 600 $ pour quatre années d'imposition alors que son revenu net annuel disponible au cours de cette période variait entre 15 255 $ et 34 741 $, qu'elle était divorcée et qu'elle avait à l'occasion de la difficulté à percevoir la pension alimentaire pour ses enfants.

[36]          Dans le cas de monsieur Spiezia, il faut mentionner qu'il devait verser une pension alimentaire à son ex-conjointe pour ses enfants. Par exemple, en 1994, son revenu net disponible était de 12 773 $ alors qu'il prétend avoir fait un don de 3 000 $ à l'Ordre. Monsieur Spiezia a tenté d'expliquer qu'il avait l'argent pour effectuer ce don parce que sa mère lui avait donné, à lui comme à son frère, 5 000 $ en 1994. Or, selon les revenus déclarés par la mère de monsieur Spiezia, celle-ci n'avait que des revenus très modestes. Il est donc fort surprenant dans ces circonstances que monsieur Spiezia, dont le revenu net disponible n'était que de 12 773 $ en 1994 et de 17 256 $ en 1995, ait pu effectuer des dons aussi importants que 3 000 $ en 1994 et 2 400 $ en 1995.

[37]          En outre, le montant des prétendus dons pour lesquels les quatre appelants ont demandé des crédits d'impôt représente un pourcentage très élevé du montant maximum qu'ils avaient le droit de déduire. Dans le cas de monsieur Audette, les dons à l'Ordre représentent entre 90 % et 98 % du montant maximum admissible pour les fins du calcul des crédits d'impôt (soit 20 % du revenu net) pour les années 1991 à 1993. Pour les années 1989 et 1990, les prétendus dons représentaient entre 60 % et 66 % du maximum. En ce qui concerne madame Audette, les dons représentaient 81 % et 86 % du montant maximum. Pour ce qui est de madame Benard, ses prétendus dons représentaient entre 38 % et 70 % du maximum. Quant à monsieur Spiezia, le pourcentage se situait à 46 % et à 75 % dans son cas.

[38]          Un autre élément troublant dans les appels des quatre appelants est le fait qu'il n'y a aucune preuve établissant l'existence des dons; il n'y a aucun chèque, ni aucun représentant du prétendu donataire pour confirmer la réception de tels dons. Malheureusement pour les quatre appelants, ils auraient tous effectué leurs dons en espèces. De plus, tous prétendent avoir utilisé de l'argent déposé dans des coffres ou des coffres-forts pour expliquer le fait que leurs relevés bancaires n'étaient ou n'auraient été d'aucune utilité pour corroborer les sorties de fonds appuyant leurs allégations de dons effectués en faveur de l'Ordre. Il est pour le moins surprenant que les appelants aient versé des sommes aussi importantes en espèces. Notamment, monsieur Audette allègue qu'il a remis en un seul versement en espèces 12 000 $ en 1990, 10 000 $ en novembre 1991 et 10 000 $ en 1992. Il en est de même pour madame Benard en ce qui concerne ses dons de 5 000 $ en 1991 et en 1992. C'est beaucoup d'argent dans un coffre-fort! Un chèque (certifié, au besoin) ou une traite bancaire aurait certainement constitué un mode plus courant de paiement pour des dons aussi importants. Des paiements en espèces s'expliquent mieux pour des dons de moindre importance. Évidemment, les quatre appelants ont affirmé que les reçus établis par l'Ordre constituaient la preuve de leur donation. Toutefois, la preuve accablante présentée par l'intimée révèle que l'Ordre avait mis en place un stratagème consistant à faire des faux reçus. Les reçus ont donc peu de valeur probante.

[39]          Restent les témoignages des quatre appelants eux-mêmes, qui ont tous affirmé avoir donné en entier les montants indiqués sur les reçus. Toutefois, il est permis de douter de leur crédibilité. Ils ne se sont pas toujours exprimés avec franchise au cours de leur témoignage. Notamment, les quatre ont été interrogés à l'égard de la lettre que chacun d'eux avait transmise au procureur de l'intimée et dans laquelle il énonçait les motifs pour lesquels il refusait une demande de modification de la réponse à l'avis d'appel de l'intimée. Lorsqu'on leur a demandé si cette lettre avait été rédigée avec l'aide d'une autre personne, monsieur Audette et madame Benard ont chacun affirmé l'avoir écrite seul, sans l'aide de personne. Quant à madame Audette, c'est son mari qui l'aurait rédigée, alors que monsieur Spiezia affirmait n'avoir obtenu de l'aide que d'un collègue de travail pour rédiger la lettre en français. Quoiqu'il parle et comprenne le français, monsieur Spiezia a préféré s'exprimer en anglais devant la Cour. Or, toutes ces lettres sont presque identiques. Il est beaucoup plus vraisemblable qu'une de ces lettres a servi de modèle pour les trois autres ou qu'un modèle préparé par une tierce personne, par exemple, monsieur Nahas, le comptable des quatre appelants, a été utilisé pour rédiger chacune des lettres. Il faut par ailleurs noter que monsieur Nahas n'a pas témoigné lors de l'audience : selon monsieur Audette, il n'aurait pas eu beaucoup de crédibilité parce qu'il avait été trouvé coupable de fraude fiscale en raison de sa participation au stratagème[5].

[40]          De plus, dans le cas de monsieur Audette, il faut rappeler que son nom apparaît dans le Bibliorec. Ce document révèle que monsieur Audette a versé 15 % du montant du reçu établi par l'Ordre pour 1993. En outre, le prénom de monsieur Nahas apparaît dans la colonne des intermédiaires et c'est lui qui aurait présenté monsieur Audette à l'Ordre, comme le confirme d'ailleurs monsieur Audette lui-même. Rappelons que monsieur Nahas était à la fois voisin du couple Audette, comptable de l'Ordre et celui qui révisait et remplissait les déclarations de revenu de monsieur et de madame Audette.

[41]          Un autre fait troublant ressort du témoignage de monsieur et madame Audette et de celui de madame Benard. Tous les trois ont affirmé s'être présentés le 31 décembre au bureau de l'Ordre pour effectuer leurs dons. Ainsi, madame Audette s'y serait présentée le 31 décembre 1991 et 1992, monsieur Audette s'y serait rendu le 31 décembre 1993 et madame Benard y aurait été le 31 décembre 1991. Tout d'abord, il est surprenant, sinon invraisemblable, que ces trois appelants se soient déplacés la veille du jour de l'An de Pierrefonds à Outremont pour effectuer leurs dons à l'Ordre. Il est beaucoup plus vraisemblable qu'ils ont fait comme mesdames Cedilot et Mercier, qui avaient remis l'argent en espèces à monsieur Nahas, et que c'est ce dernier qui s'est occupé d'obtenir les reçus de l'Ordre.

[42]          De plus, une analyse effectuée par la vérificatrice du ministre appuie sa conclusion que les reçus du 31 décembre de ces appelants, comme certains des autres reçus, sont antidatés. Celui du 31 décembre 1991 remis à madame Audette et portant le numéro 2301 fait parti du carnet contenant les reçus numérotés de 2301 à 2325. Or, le chèque de don pour le lequel l'Ordre a établi le reçu portant le numéro 2304 et daté du 31 décembre 1991 n'a été déposé à la banque que le 24 avril 1992. Le reçu du 31 décembre 1992 de madame Audette porte le numéro 1246. Or, les chèques pour lesquels l'Ordre a établi les reçus 1229 et 1249 en date du 31 décembre 1992 n'ont été déposés à la banque que le 5 mai 1993.

[43]          Une analyse similaire a été effectuée par la vérificatrice du ministre à l'égard du reçu 996 en date du 22 décembre 1992 remis à monsieur Julien Audette. Sa vérification lui a permis de constater que le chèque pour lequel l'Ordre a établi le reçu 978 en date du 31 décembre 1992 n'a été déposé que le 5 mai 1993. Le fait que les montants de don à l'égard desquels monsieur Audette a calculé des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance pour les années 1992 et 1993 correspondent à 95 % et à 98 % du montant maximum admissible laisse croire qu'il avait obtenu ses reçus après la fin de l'année parce que cela lui permettait de calculer plus précisément le montant de son revenu net, calcul nécessaire pour déterminer le montant maximal déductible aux fins des crédits d'impôt.

[44]          Dans le cas de madame Benard, elle a obtenu un reçu en date du 31 décembre 1991 qui porte le numéro 2116. Or, la vérificatrice a pu constater que les chèques pour lesquels l'Ordre a établi les reçus 2107 à 2109 en date du 31 décembre 1991 n'ont été déposés que le 25 mars 1992.

[45]          Par ailleurs, dans le cas de monsieur Spiezia, son reçu pour l'année 1994 indiquant un montant de 3 000 $ porte le numéro 1156 et est daté du 11 octobre 1994. Monsieur Spiezia affirme avoir personnellement remis cette somme en espèces au bureau de l'Ordre. Or, durant ce mois-là, la vérificatrice du ministre était sur place en train de procéder à la vérification des livres de l'Ordre et avait demandé à l'Ordre de lui faire la preuve des sommes détenues en espèces dans son coffre-fort. Elle a été incapable d'obtenir une telle preuve. De plus, l'analyse des dépôts bancaires de l'Ordre ne révèle aucune trace de ce don de 3 000 $ puisque l'Ordre ne consignait que les dépôts de l'argent qui lui avait été remis par chèque.

[46]          Il est troublant aussi de constater que monsieur Spiezia et madame Benard, qui vivaient sous le même toit, ont chacun obtenu pour l'année 1995 un reçu en date du 5 décembre 1995 portant dans un cas le numéro 1581, et dans l'autre, le numéro 1582, et qu'ils ont affirmé s'être présentés en personne à Outremont sans s'y rencontrer. Madame Benard déclare n'avoir su que monsieur Spiezia (tout comme les Audette) avait fait des dons à l'Ordre que quand elle a reçu de la Cour des avis d'audition.

[47]          De plus, il faut mentionner que non seulement chacun des quatre appelants connaissait monsieur Nahas, le comptable de l'Ordre, mais c'est ce dernier qui préparait leurs déclarations de revenus. Comme le révèle la déclaration solennelle de madame Cedilot et le rapport de l'entrevue avec madame Mercier, monsieur Nahas avait recommandé à ces personnes l'achat de faux reçus de dons de bienfaisance établis par l'Ordre. Il est donc fort vraisemblable que monsieur Nahas a agi de même avec les quatre appelants.

[48]          Un autre petit élément de preuve concernant monsieur Spiezia qui s'ajoute à tout le reste, est le fait que ce dernier a commencé à demander des crédits d'impôt pour des dons de bienfaisance faits à l'Ordre à partir de 1994, l'année suivant celle où il a emménagé sous le même toit que madame Benard.

[49]          Finalement, on peut mentionner le fait que les quatre appelants semblent avoir fait peu de démarches pour obtenir de l'Ordre des éléments de preuve corroborant leurs allégations lorsque le ministre leur a refusé les crédits d'impôt. Au contraire, pour avoir accès à certains documents, comme leurs relevés bancaires, il a fallu que les procureurs de l'intimée leur envoient un subpoena.

[50]Comme je l'ai décidé dans l'affaire Abouantoun[6] (précitée), il faudrait faire preuve d'aveuglement pour ne pas conclure qu'il s'agit en l'espèce de cas d'achat de faux reçus de don de bienfaisance. Il ne s'agit pas en réalité de dons; il s'agit plutôt d'un simulacre de dons. Pour les quatre appelants, il ne peut être question de dons parce que je ne peux déceler aucune intention libérale de leur part, c'est-à-dire une intention d'appauvrir leur patrimoine pour enrichir l'Ordre. Tout ce qui a été fait c'est la vente et l'achat d'un bout de papier qui devait procurer aux appelants, frauduleusement, ou à tout le moins, de façon indue, un avantage fiscal.

[51]Ayant conclu que les quatre appelants n'ont pas effectué de véritables dons, il faut décider si le paragraphe 163(2) de la Loi s'applique aux faits de leurs appels. Comme on l'a vu plus haut, ce paragraphe impose une pénalité à toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration pour une année d'imposition, ou y participe, y consent ou y acquiesce.

[52]          L'intimée prétend que dans la mesure où l'on conclut que les quatre appelants ont participé au stratagème et qu'ils connaissaient bien le contenu de leur déclaration, il faut conclure aussi qu'il y a lieu d'appliquer la pénalité. Je partage ce point de vue. Selon la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que les quatre ont sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans leurs déclarations de revenu en demandant des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance et en fondant ces demandes de crédits sur des faux reçus qu'ils ont achetés. Il faudrait faire preuve d'aveuglement volontaire pour ne pas réaliser qu'on ne peut avoir droit à 100 % de tels crédits lorsqu'on n'a donné que de 15 % à 20 % du montant du reçu. À mon avis, la pénalité est pleinement justifiée dans le cas des quatre appelants. Il va donc sans dire que le ministre a établi selon la prépondérance des probabilités que monsieur et madame Audette ainsi que madame Benard ont fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou ont commis quelque fraude en produisant leurs déclarations. Le ministre pouvait en conséquence établir des cotisations au-delà de la période normale de nouvelle cotisation.

[53]          Pour tous ces motifs, les appels de monsieur et madame Audette et ceux de madame Benard et de monsieur Spiezia sont rejetés. Les appels de monsieur Younes sont admis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en prenant pour acquis que monsieur Younes n'avait droit à aucun crédit d'impôt pour don de bienfaisance à l'égard du prétendu don de 10 000 $ fait à l'Ordre mais, pour les fins du calcul de la pénalité et uniquement pour ces fins, en prenant pour acquis qu'il avait droit à un crédit d'impôt pour un don de bienfaisance de 1 500 $. Par conséquent, la pénalité ne doit être calculée que par rapport à un crédit d'impôt pour don de bienfaisance s'élevant à 8 500 $.

Signé à Montréal, Québec, ce 31e jour d'octobre 2001.

" Pierre Archambault "

J.C.C.I.

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :                2000-269(IT)I

2000-323(IT)I

                                                                                2000-329(IT)I

2000-342(IT)I

                                                                                2000-698(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 GEORGES YOUNES,

                                                                                DENISE AUDETTE,

                                                                                JULIEN AUDETTE,

                                                                                FRANCE BENARD,

                                                                                OTTAVIO SPIEZIA

                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    10, 11, 12 et 27 septembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      2 octobre 2001

COMPARUTIONS :

                Pour les appelants :                              Les appelants eux-mêmes

                Pour l'intimée :                                       Me Simon Crépin

                                                                                Me Nathalie Lessard

                Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] De plus, le reçu établi par l'Ordre avait peu de valeur probante. Voir le paragraphe 38 in fine.

[2] Le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi disposait :

                   (4) Cotisation. Sous réserve du paragraphe (5), le ministre peut, à un moment donné, fixer l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou pénalités payables en vertu de la présente partie par un contribuable, ou donner avis par écrit, à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition, qu'aucun impôt n'est payable pour l'année, et peut, selon les circonstances, établir des nouvelles cotisations, des cotisations supplémentaires ou des cotisations d'impôt, d'intérêts ou de pénalités en vertu de la présente partie :

a) à un moment donné, si le contribuable ou la personne produisant la déclaration:

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi [...]

[3] Effectués sur 4 années.

[4] Effectués sur 2 années.

[5] Après que la preuve et les plaidoiries furent terminées mais avant de rendre oralement ma décision, j'ai reçu de monsieur Nahas une lettre marquée " personnel et confidentiel ". J'ai décidé qu'il serait inapproprié d'en prendre connaissance.

[6] Voir en particulier les paragraphes 25 à 28.

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