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Date: 20011101

Dossier: 1999-3622-IT-I

ENTRE :

EDMOUR CHAMPAGNE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(prononcés oralement à l'audiencele 25 août 2000 à Montréal (Québec)

et modifiés pour plus de clarté)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Edmour Champagne conteste des cotisations pour les années d'imposition 1994 et 1995. Le ministre du Revenu national (ministre) a inclus dans le revenu de monsieur Champagne des montants additionnels en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), soit 10 000 $ pour 1994 et 11 452 $ pour 1995. Le ministre a aussi imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi à l'égard de ces deux montants. Finalement, à l'égard de l'année 1994, le ministre a ajouté un gain en capital imposable de 57 975 $ au revenu de monsieur Champagne.

[2]            Dans l'établissement de sa cotisation, le ministre s'est fondé sur les faits suivants énoncés au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel :

5. Pour établir et maintenir les nouvelles cotisations pour les années d'imposition 1994 et 1995, le ministre a tenu notamment pour acquis les faits suivants:

a)    lors de la production de ses déclarations de revenus pour les années d'imposition en litige, l'appelant a déclaré les revenus suivants :

Description

1994

1995

Revenus

- Revenus d'emploi

5 463 $

5 200 $

- Gain en capital imposable

75 000 $

   nil

b) au cours des années d'imposition en litige, l'appelant était actionnaire et employé de Garage Ed Champagne Inc. (ci-après, la "société");

c)    au cours des années d'imposition en litige, la société était un garage pour la réparation d'automobiles;

d) la majorité des travaux faits par la société l'était avec des particuliers;

e)    lors de la vérification pour les années d'imposition 1994 et 1995, le vérificateur a constaté que la comptabilité de l'entreprise de l'appelant était déficiente;

REVENUS ADDITIONNELS

f)    lors de sa vérification pour les années d'imposition en litige, le vérificateur a constaté que le poste encaisse avait été balancé par le compte "Dû à l'actionnaire" et qu'à chaque année le genre d'écriture suivante était passé aux livres de la société:

1994

Description

débit

crédit

- Encaisse

10 000 $

- Dû à l'actionnaire

10 000 $

1995

Description

débit

crédit

- Encaisse

11 452 $

- Dû à l'actionnaire

11 452 $

g) le vérificateur a demandé à l'appelant de fournir au ministre des détails sur la provenance des fonds d'investissements de 10 000 $ pour l'année d'imposition 1994 et de 11 452 $ pour l'année d'imposition 1995;

h) en aucun temps, l'appelant n'a été en mesure d'apporter des explications, telles: le(s) nom(s) de(s) personne(s) qui aurai(en)t avancé les fonds, de même que des preuves documentaires de mouvement d'argent (exemples: livret de dépôt, bordereau de dépôt, preuve de débours de la part du prêteur, ou autres);

i)     pour les années d'imposition en litige, étant donné que l'appelant n'a pu démontrer la provenance des fonds pour prouver ces investissements, le ministre a imposé les montants mentionnés au paragraphe g) ci-dessus comme des revenus additionnels dans la société et comme appropriation de fonds selon le paragraphe 15(1) de la Loi, pour l'appelant;

j)     en omettant ainsi de déclarer les revenus additionnels de 10 000 $ pour l'année d'imposition 1994, et de 11 452 $ pour l'année d'imposition 1995, l'appelant a fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenus produites pour les années d'imposition 1994 et 1995, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d'où il résulte que l'impôt que l'appelant aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans ses déclarations de revenus déposées pour ces années-là était inférieur au montant d'impôt effectivement payable pour ces années-là;

k)    en conséquence, par suite de l'omission par l'appelant de déclarer la totalité de ses revenus, des pénalités, d'un montant non inférieur à 100 $, égale à 50 % de ces différences d'impôt, c'est-à-dire des pénalités de 735,56 $ pour l'année d'imposition 1994, et de 745,12 $ pour l'année d'imposition 1995, ont été imposées à l'appelant, selon le paragraphe 163(2) de la Loi;

GAIN EN CAPITAL ADDITIONNEL

l)     l'appelant détenait dans la société, 70 (soixante-dix) actions ordinaires et 200 (deux cents) actions privilégiées (ci-après, les "actions");

m) l'appelant a fait le choix de déclarer un gain en capital sur les actions possédées en fin de journée le 22 février 1994, dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1994, de la façon suivante:

-J.V.M. des actions

au 22 février 1994:

180 000 $

-PBR

80 000 $

-Produit de disposition

présumé:

180 000 $

-Gain en capital

visé par le choix:

100 000 $

- Gain en capital imposable

(100 000 $ X 75 %):

75 000 $

- Déduction

pour gain en capital

(100 000 $ X 75 %):

75 000 $

n) lors de la vérification pour les années d'imposition en litige, le représentant de l'appelant, Monsieur Fortunat Voyer, a affirmé au vérificateur qu'il avait fixé arbitrairement le produit de disposition désigné des actions à 180 000 $ et le PBR des actions à 80 000 $, pour engendrer un gain en capital de 100 000 $ sur lequel la déduction pour gain en capital serait réclamée;

o) le représentant n'a jamais soumis quelque preuve que ce soit relativement [au] PBR des actions;

p) selon l'analyse du bilan de la société par le vérificateur, le seul actif ayant de la valeur était la bâtisse et le terrain;

q) le ministre a déterminé la juste valeur marchande des actions en date du 22 février 1994, comme suit:

Description

Montant

- Actions ordinaires

95 000 $

- Actions privilégiées

2 000 $

Total

97 000 $

r)    le PBR réel des actions était comme suit:

Description

Montant

- Actions ordinaires

700 $

- Actions privilégiées

2 000 $

Total

2 700 $

s)    étant donné que:

i)               la juste valeur marchande des actions détenues par l'appelant dans la société, en date du 22 février 1994 et visé par son choix en vertu du paragraphe 110.6(19) de Loi, a été établie par le ministre à 97 000 $;

ii)              et que le montant désigné comme produit de disposition des actions de l'appelant, dépasse 11/10 du montant de cette juste valeur marchande;

ce choix ne peut être révoqué ni modifié, selon le paragraphe 110.6(28) de la Loi;

t)    conséquemment, le ministre a:

i)               déterminé un gain en capital présumé suite [à] la disposition réputée de ces actions, de 177 300 $ (voir calcul en annexe);

ii)              calculé un gain imposable additionnel de 57 975 $, qu'il a inclus aux revenus de l'appelant pour l'année d'imposition 1994;

iii)             et révisé le nouveau PBR des actions à 23 700 $.

Au début de la première journée d'audience le 12 juillet 2000, le procureur de monsieur Champagne a admis les faits énoncés aux alinéas 5 l), m), n), o), p) et r). L'admission quant à l'alinéa m) a été retirée au cours de l'audience. En ce qui a trait à l'alinéa q), le procureur a admis que le montant ne dépassait pas les chiffres retenus par le ministre. Quant aux alinéas s) et t), il s'agissait de questions de droit et non de fait; il n'y avait donc aucune admission à faire relativement à ces alinéas.

[3]            Monsieur Champagne n'a présenté aucune preuve au cours de l'audience pour contredire les faits énoncés aux alinéas a) à i). Les autres faits pertinents, révélés lors de l'administration de la preuve, seront mentionnés dans le cadre de mon analyse.

Analyse

Gain en capital imposable

•        Dispositions législatives

[4]            Je vais d'abord traiter de la question de l'inclusion du gain en capital imposable dans le revenu de monsieur Champagne. Les dispositions législatives pertinentes sont les paragraphes 110.6(19), (24) et (28) de la Loi qui édictent :

(19) Choix concernant les biens appartenant à un contribuable le 22 février 1994.Sous réserve du paragraphe (20), dans le cas où un particulier (sauf une fiducie) ou une fiducie personnelle (appelés chacun " auteur du choix " au présent paragraphe et aux paragraphes (20) à (29)) fait un choix, sur formulaire prescrit, pour que les dispositions du présent paragraphe s'appliquent à l'un des biens ou entreprises suivants, les présomptions suivantes s'appliquent :

a) s'il s'agit d'une immobilisation dont l'auteur du choix est propriétaire à la fin du 22 février 1994 (sauf [...]), l'immobilisation est réputée, sauf pour l'application des articles 7 et 35 et du sous-alinéa 110(1)d.1)(ii) :

(i) d'une part, avoir fait l'objet d'une disposition par l'auteur du choix à ce moment pour un produit de disposition égal au plus élevé des montants suivants :

[...]

(ii) d'autre part, avoir été acquise de nouveau par l'auteur du choix immédiatement après ce moment à un coût égal à l'un des montants suivants :

[...]

(24) Présentation du choix. Le formulaire concernant le choix prévu au paragraphe (19) doit être présenté au ministre dans les délais suivants :

a) l'auteur du choix étant un particulier, sauf une fiducie :

(i) si le choix vise une entreprise de l'auteur du choix, [...]

(ii) dans les autres cas, au plus tard à la date d'exigibilité du solde applicable au particulier pour l'année d'imposition 1994;

[...]

(28) Interdiction de révocation ou de modification. Le choix fait en application du paragraphe (19) ne peut être révoqué ni modifié si le montant indiqué dans le formulaire concernant le choix dépasse 11/10 de l'un des montants suivants :

a) si le choix vise un bien autre qu'une participation dans une société de personnes, la juste valeur marchande du bien à la fin du 22 février 1994;

b) si le choix vise une participation, [...]

                                                                                                                                                                            [Je souligne.]

•        Le formulaire et le guide

[5]            Il est reconnu par la procureure de l'intimée et par son témoin, la mandataire du ministre qui a signé la Réponse à l'avis d'appel, que le formulaire prescrit pour les fins du choix prévu au paragraphe 110.6(19) de la Loi est le T664 et que ce formulaire n'a pas été joint par monsieur Champagne à sa déclaration quand il l'a produite, ni n'a été transmis à une date ultérieure. Ce formulaire est un document imprimé recto verso sur lequel on retrouve les cinq étapes à accomplir pour faire le choix prévu au paragraphe 110.6(19) de la Loi. Au début de ce formulaire, on indique qu'un exemplaire dûment rempli du formulaire doit être produit au plus tard à la date d'échéance. De plus, on y indique que" pour plus de précisions sur le choix et sur la façon de remplir le présent formulaire, reportez-vous à la Trousse pour exercer un choix sur les gains en capital ", soit un guide qui a été produit sous la cote I-3 lors de l'audience.

La dernière étape, indiquée au verso de ce formulaire, est, à mon avis, très importante. Il s'agit de l'attestation, qui est ainsi conçue :

Moi, (nom en lettres majuscules) demeurant au (adresse en lettres majuscules) choisis de faire appliquer les dispositions du paragraphe 110.6(19) de la Loi de l'impôt sur le revenu à chaque bien décrit ci-dessus, et j'atteste que les renseignements donnés ici sont exacts et complets sous tous les rapports.

[6]            À la page 1 du guide, on décrit comment exercer le choix :

Pour exercer ce choix, vous devez produire le formulaire T664, Choix de déclarer un gain en capital sur un bien possédé en fin de journée le 22 février 1994.

                                                                                                [Je souligne.]

[7]            À la page 6 du même guide, on donne à nouveau essentiellement les mêmes renseignements sous la rubrique " Comment faire le choix? ", en y ajoutant cependant ce qui suit :

Votre choix peut viser la totalité ou certaines de vos immobilisations. Même si vous choisissez de déclarer un gain en capital pour plusieurs immobilisations, vous ne produisez qu'un formulaire. Toutefois, nous considérerons que vous avez produit un choix distinct pour chaque bien.

Si vous choisissez de déclarer un gain en capital pour une immobilisation admissible de votre entreprise, votre choix doit porter sur toutes les immobilisations admissibles de l'entreprise.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[8]            De plus, à la page 7 du guide, sous la rubrique " Quelle est la date limite pour l'exercice du choix? ", on indique ce qui suit :

Normalement, vous devez exercer le choix au plus tard le 30 avril 1995. Vous exercez un choix en remplissant le formulaire T664, Choix de déclarer un gain en capital sur un bien possédé en fin de journée le 22 février 1994. " Vous devriez joindre le formulaire T664 à votre déclaration de revenus pour 1994.

Si vous produisez votre déclaration par voie électronique (TED), vous devez nous envoyer sur support papier votre formulaire de choix. Pour plus de précisions, consultez l'agent qui a établi votre dossier électronique.

[Je souligne.]

[9]            À la page 8 du guide, se trouvent énoncés les risques que peut comporter la décision d'un contribuable d'exercer le choix :

Si, lorsque vous faites un choix, le montant que vous désignez comme produit de disposition est supérieur à la juste valeur marchande du bien en fin de journée le 22 février 1994, nous pourrions refuser d'annuler ou de modifier votre choix. Pour plus de renseignements, reportez-vous à la rubrique " Annulation ou modification de votre choix " à la page 19 du chapitre 3. Si vous faites un choix concernant une immobilisation admissible de votre entreprise, votre participation ou vos actions d'une entité intermédiaire, reportez-vous au tableau qui commence à la page 19.

On retrouve des renseignements essentiellement similaires dans le passage suivant à la page 19 :

Annulation ou modification de votre choix

Si vous désignez un produit de disposition pour un bien qui est supérieur à 110 % de sa juste valeur marchande en fin de journée le 22 février 1994, nous ne vous permettrons pas d'annuler ou de modifier votre choix sur ce bien. Pour cette raison, vous devriez faire attention de ne pas désigner un produit de disposition supérieur à la juste valeur marchande.

Jurisprudence

[10]          La nécessité de produire un formulaire de choix pour se conformer aux dispositions de la Loi a déjà été reconnue dans la jurisprudence. Dans The Queen v. Adelman, 93 DTC 5376, les faits se rapprochaient à bien des égards de ceux en l'espèce. Cette affaire soulevait aussi une question concernant un formulaire de choix utilisé pour les fins du calcul du gain en capital. Il s'agissait d'un choix relatif au coût aux fins de l'impôt, ce qu'on appelle communément le " choix relatif au coût au jour de l'évaluation ", qui était de façon générale le 31 décembre 1971.

[11]          Je cite le résumé que l'on retrouve au début de la décision Adelman :

Included in the taxpayer's 1985 tax return was a schedule incorporating calculations using Valuation Day values as the adjusted cost base for certain common shares. The prescribed Form T-2076 for use in making the Valuation Day election under subsection 26(7) I.T.A.R., however, was not included with that return. In reassessing the taxpayer for his 1985 taxation year, the Minister proceeded on the basis that the taxpayer had failed to make the Valuation Day election [...]

The taxpayer's appeal to the Tax Court of Canada was allowed. The Crown appealed to the Federal Court — Trial Division. [...]

[...] The Tax Court Judge had considered himself bound by another decision of the Tax Court of Canada in Trynor et al. v. M.N.R. (88 DTC 1294). There, it had been decided that the requirement under subsection 26(7) I.T.A.R. (that the taxpayer "shall" make the Valuation Day election on prescribed form) is directory rather than mandatory.

[12]          Les dispositions pertinentes étaient le paragraphe 26(7) des Règles de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le revenu (RAIR) et l'article 4700 du Règlement de l'impôt sur le revenu (Règlement), qui édicte ainsi la façon de produire le formulaire en question :

Tout choix exercé par un particulier en vertu du paragraphe 26(7) des Règles de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le revenu doit être exercé en produisant auprès du Ministre la formule prescrite.

[13]          Voici l'analyse qu'a faite le juge Strayer dans l'affaire Adelman, à la page 5378 :

Section 11 of the Interpretation Act provides as follows:

11. The expression "shall" is to be construed as imperative and the expression "may" as permissive.

Subsection 3(1) of that Act provides as follows:

3. (1) Every provision of this Act applies, unless a contrary intention appears, to every enactment, whether enacted before or after the commencement of this Act.

This means that the requirement in section 11 that "shall" is to be construed as imperative should apply in the interpretation of every "enactment" unless a contrary intention appears in that "enactment". By virtue of subsection 2(1) of the Interpretation Act

"enactment" means an Act or regulation or any portion of an Act or regulation. . . .

and

"regulation" includes [a] . . . form . . . made or established

(a) in the execution of a power conferred by or under the authority of an Act . . .

[...]

We may therefore apply the requirements of sections 11 and 3 of the Interpretation Act — to the effect that "shall" is to be interpreted as imperative unless found in an enactment where the context indicates otherwise — to the interpretation of section 4700 of the Income Tax Regulations. As noted above, that section says that an election under subsection 26(7) of the Income Tax Application Rules, 1971 "shall" be made by filing the prescribed form. Is there any basis for interpreting this as directory only? An authoritative statement of the criteria for treating "shall" as other than imperative may be found in the decision of the Supreme Court of Canada in Re Manitoba Language Rights, where the following statement was made:

As used in its normal grammatical sense, the word "shall" is presumptively imperative. [...] It is therefore incumbent upon this Court to conclude the Parliament, when it used the word "shall" in s. 23 of the Manitoba Act, 1970, intended that those sections be construed as mandatory or imperative, in the sense that they must be obeyed, unless such an interpretation of the word "shall" would be utterly inconsistent with the context in which it has been used and would render the section irrational or meaningless. [...]

[...]

I am unable to say that giving the word "shall" in section 4700 of the Regulations an imperative meaning would be irrational or meaningless. It does not seem at all irrational for the Regulations to require that a taxpayer clearly express his election not only to establish the cost of his first property disposed of after valuation day to be its value on valuation day but also to accept that all other property owned by him before 1972, when disposed of in the future, should have attributed to it an acquisition cost equal to its value on valuation day. It is not irrational for the Minister to be satisfied, through the use of the prescribed form, that the taxpayer understands the implications of his election.

[Je souligne.]

[14]          Cette décision du juge Strayer a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Adelman v. Her Majesty the Queen, 97 DTC 5529.

[15]          Il y a aussi deux autres décisions de la Cour d'appel fédérale, rendues dans les affaires Attorney General of Canada v. MacIsaac et al., 2000 DTC 6020 et Partanen v. The Quee,n 99 DTC 5436. Ladite cour y a aussi conclu que le formulaire prescrit était obligatoire pour les fins de l'application de l'article 118.3 traitant du crédit d'impôt pour personnes handicapées. Le paragraphe 118.3(1) de la Loi édicte que, pour que l'on puisse déduire ce crédit, certaines conditions doivent être réunies, dont les suivantes :

a.2) l'une des personnes suivantes atteste, sur formulaire prescrit, qu'il s'agit d'une déficience [...]

b) le particulier présente au ministre l'attestation visée à l'alinéa a.2).


[16]          Il est aussi instructif de consulter la version anglaise de ces dispositions parce que leur libellé est assez semblable à celui que j'ai à interpréter :

Where

[...]

a.2) [...] a medical doctor [...] has certified in prescribed form that the impairment is [...]

b) the individual has filed for taxation year the certificate described in paragraph (a.2).

[17]          Il faut noter qu'au paragraphe 118.3(1) de la Loi, on n'utilise pas le mot " shall " mais on dit simplement " where [...] the individual has filed ". Un libellé semblable se retrouve au paragraphe 110.6(19) de la Loi qui édicte : " Subject to subsection (20), where an individual [...] elects in prescribed form to have the provisions of this subsection apply in respect of [...] ".

[18]          Si on adopte le sens usuel des termes employés, on réalise que la présomption énoncée au paragraphe 110.6(19) de la Loi ne s'applique que dans le cas où un particulier fait un choix sur formulaire prescrit. Si aucun choix n'est fait, la présomption ne doit pas s'appliquer.

[19]          Même si on pouvait avoir un doute sur le libellé du paragraphe 110.6(19) de la Loi — ce qui n'est pas mon cas — le paragraphe 110.6(24) précise que le formulaire " doit " être présenté au ministre dans les délais prévus à ce paragraphe. Comme cela a été dit dans l'affaire Adelman (précitée), il n'y a pas de motif ici de croire qu'il est déraisonnable d'appliquer le sens impératif des mots " doit " et " shall ". Il est normal que le législateur ait voulu s'assurer que le contribuable ne fait pas de choix par inadvertance et qu'il réalise bien toutes les conséquences de son geste. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'il peut y avoir des conséquences fiscales très onéreuses si le contribuable choisit un montant supérieur à la juste valeur marchande. Ici, si le paragraphe 110.6(19) de la Loi s'appliquait et que le choix avait été celui que le ministre a tenu pour avéré, il y aurait un gain en capital imposable de 57 975 $ alors que, si le choix avait été fait correctement ou s'il n'y en avait pas eu, il n'y aurait eu aucun montant à inclure dans le revenu du contribuable.

[20]          En plus de l'impôt que monsieur Champagne aurait à payer sur ce gain en capital imposable de 57 975 $ en 1994, il y aurait probablement d'autres conséquences fiscales onéreuses lors d'une disposition subséquente des actions puisque le prix de base rajusté (PBR) est réputé égal non pas au montant du produit de disposition en 1994, mais ici à un montant bien inférieur, soit 23 700 $. Cela aurait comme conséquence que monsieur Champagne réaliserait un gain en capital additionnel même si la disposition se faisait à la juste valeur marchande établie au 22 février 1994. Il pourrait y avoir en quelque sorte une double imposition.

[21]          L'argument de la procureure et de son témoin, selon lequel monsieur Champagne a effectué son choix en produisant l'annexe 3 de sa déclaration de revenu et le formulaire T657 m'apparaît totalement mal fondé. Ces formulaires étaient nécessaires pour le calcul du gain en capital ainsi que pour le calcul de la déduction du gain capital prévue à l'article 110.6 de la Loi, mais ils ne constituaient pas le formulaire visé par les paragraphes 110.6(19) et (24) de la Loi. La procureure et le témoin soutiennent que le ministre pouvait trouver dans ces formulaires les renseignements pertinents lui permettant de conclure qu'il y avait eu choix. Tout d'abord, j'aimerais noter que le même argument avait été présenté par le contribuable dans l'affaire Adelman (précitée) et que le ministre avait quand même conclu que le choix n'avait pas été fait validement. Comme dans Adelman le ministre a refusé au contribuable le bénéfice du choix prévu au paragraphe 26(7) RAIR relativement au coût, il serait tout à fait injuste qu'on arrive à une conclusion différente ici — comme l'a d'ailleurs fait remarquer le procureur de monsieur Champagne.

[22]          À mon avis,il y a en l'espèce un autre motif défavorable à la thèse de l'intimée. De façon expresse, non seulement le paragraphe 110.6(19) de la Loi requiert qu'un formulaire prescrit soit produit, mais il exige que le particulier ait fait un choix pour que " les dispositions du présent paragraphe s'appliquent à l'un des biens ou entreprises suivants ". À l'annexe 3 et au formulaire T657, il n'y a absolument aucune mention d'une attestation de ce genre. Pareille attestation se retrouve uniquement au formulaire T664. Par conséquent, l'une des conditions requises pour l'application du paragraphe 110.6(19) n'a pas été remplie et il n'y a aucune autre disposition de la Loi dont l'effet serait de faire en sorte qu'une disposition des actions de Garage Ed. Champagne Inc. (GEC) détenues par monsieur Champagne soit réputée avoir eu lieu. Ces actions n'ayant fait l'objet d'aucune disposition, aucun gain en capital imposable n'a à être inclus dans le revenu de monsieur Champagne.

Revenu non déclaré

[23]          Relativement à la deuxième question en litige, la disposition pertinente de la Loi est la suivante :

15(1) La valeur de l'avantage qu'une société confère, à un moment donné d'une année d'imposition, à un actionnaire [...] est incluse dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année [...]

[24]          Ici, le ministre a considéré que GEC avait conféré un avantage à monsieur Champagne lorsque cette société a porté au crédit de cet actionnaire, au compte " Dû à un actionnaire ", le montant de 10 000 $ en 1994 et celui de 11 452 $ en 1995 et il a inclus ces montants dans le revenu de monsieur Champagne. En d'autres mots, par ses écritures comptables, GEC reconnaissait devoir à monsieur Champagne 10 000 $ pour l'année 1994 et 11 452 $ pour l'année 1995 et ce dernier pouvait retirer cet argent de GEC sans avoir à l'inclure dans ses revenus et à payer l'impôt qui en découlerait.

[25]          Au moment de l'établissement de la cotisation, aucune preuve n'a été fournie au ministre que ces sommes avaient été avancées à GEC par monsieur Champagne. Lors de la deuxième journée d'audience devant cette Cour, le 22 août 2000, soit plus d'un mois après la première journée, le comptable de GEC qui avait préparé ses états financiers a témoigné pour expliquer que monsieur Champagne avait toujours refusé de donner au ministre les renseignements nécessaires quant aux avances parce que, selon lui, l'argent déposé auprès de GEC et crédité au compte " Dû à un actionnaire " représentait des prêts consentis par le frère de monsieur Champagne, soit monsieur Michel Champagne. Ce dernier avait jusque-là refusé que son nom " paraisse ". Le comptable a décrit monsieur Michel Champagne comme une personne à la retraite. Par contre, lors de son témoignage, monsieur Michel Champagne a reconnu qu'il travaillait à longueur d'année dans son propre garage situé à un mille de sa maison. Même au cours des deux dernières années, il a continué à travailler, mais chez GEC.

[26]          À l'appui de ses allégations, le comptable a produit des reçus signés par un représentant de GEC qui reconnaissaient des prêts reçus de monsieur Michel Champagne. Pour l'exercice 1994, il y avait trois reçus totalisant 10 000 $. Pour l'année 1995, il y en avait sept totalisant 9 000 $. Ces reçus étaient datés entre décembre 1993 et octobre 1995, mais avaient tous été établis après le 12 juillet 2000, la première journée d'audience. Selon le comptable, chaque reçu pouvait se rapporter à de multiples petits prêts que monsieur Michel Champagne aurait consentis lors de la vente de marchandises à GEC ou lors de la fourniture de services à cette dernière. Certains des prêts auraient été déposés directement dans le compte bancaire de GEC. Par contre, il n'y a pas de preuve que la signature apparaissant sur les bordereaux de dépôt est celle de monsieur Michel Champagne.

[27]          Le comptable a aussi produit des factures pour des biens et services fournis à GEC, sur lesquelles on retrouve généralement une mention indiquant paiement en espèces. Le nom de monsieur Michel Champagne ne figure que sur un de ces documents, et il n'a pas été prouvé que c'est sa signature. Le fait qu'une facture porte une mention indiquant paiement en espèces ne fait pas la preuve que l'argent devait provenir nécessairement d'un tiers comme monsieur Michel Champagne. Sur certaines factures, on voit un espace réservé pour la signature du client. Je n'ai vu aucune signature de monsieur Michel Champagne sur ces documents. À l'occasion, cet espace reste vide ou on y retrouve le nom d'une autre personne, comme celui d'un certain monsieur Bellemare.

[28]          Le comptable affirme s'être assis avec Michel Champagne pour repérer et analyser ces documents. Par contre, lors de son témoignage, Michel Champagne a affirmé ne pas connaître ce comptable, sauf pour l'avoir entrevu rarement chez GEC et pour avoir passé tout au plus 10 minutes avec lui pour signer des papiers en vue de l'audition de ces appels. Retrouver les factures pour lesquelles monsieur Michel Champagne aurait avancé l'argent a certainement nécessité plusieurs heures de travail puisque aucune mention, sauf celles dont j'ai déjà fait état, n'indique la provenance des fonds ayant servi à payer lesdites factures. Dans ces circonstances, on ne peut conclure que le témoignage de Michel Champagne corrobore celui du comptable. Au contraire, il fait naître de sérieux doutes.

[29]          Tout d'abord, le nom de la personne qui a signé au nom de " Garage Edmond [sic] Champagne " les reçus dont il est question n'a pas été déterminé. En outre, le comptable n'était pas présent lorsque les prêts ont été consentis. La plus grande partie de son témoignage ne constitue que du ouï-dire. Il ne peut donc confirmer de façon probante l'existence des prêts.

[30]          De plus, selon l'analyse que je fais des états financiers pour les années 1993 à 1995, les allégations du comptable ne sont pas corroborées. À la note 4 du bilan pour l'année 1994, je constate que le montant de l'" Emprunt dû à un particulier [1]" pour les années 1993 et 1994 s'élève à 22 381 $. À la note 5 du même bilan, sous la rubrique " Évolution de la situation financière ", au poste " Activités de financement ", on fait état de l'émission d'un billet de 22 381 $ pour l'année 1993, et de rien pour l'année 1994. En ce qui a trait au poste " Dû à un actionnaire ", à la note 4 du bilan de 1994, on voit que le compte passe de 1 125 $ en 1993 à 7 992 $ pour l'année 1994. On a produit, lors de l'audience, un extrait du grand livre qui fournit les détails des ajustements apportés à ce compte pour l'année 1994. Il y a eu une série de retraits apparaissant comme des débits totalisant 3 333 $. Au crédit, on retrouve une écriture de régularisation au 30 novembre 1994 — date qui correspond à la fin de l'exercice financier de GEC — qui porte sur le montant de 10 000 $ et sur la foi de laquelle le ministre a établi le montant de l'avantage.

[31]          À la note 4 du bilan de 1995, au poste " Emprunt dû à un particulier ", on remarque que le montant de 22 381 $ déjà mentionné demeure inchangé. Bien entendu, il n'y a aucune mention de modification à la note 5 du bilan sous la rubrique " Évolution de la situation financière ", au poste " Activités de financement ". En ce qui a trait au compte " Dû à un actionnaire ", il passe de 7 792 $ en 1994 à 13 264 $ en 1995. Malheureusement, on n'a produit aucun document pouvant expliquer cette variation survenue dans ce compte au cours de l'année 1995.

[32]          Monsieur Edmour Champagne n'a jamais témoigné au cours de l'une ou l'autre des deux journées d'audience. Il n'y a donc aucune preuve de la part d'un dirigeant ou d'un actionnaire de GEC que des prêts ont été consentis par monsieur Michel Champagne en faveur de GEC. Les reçus établis plus de cinq à sept années après que les prêts auraient été consentis n'ont pas de valeur probante pour établir l'existence de ces prêts ou n'en ont que très peu. Il n'y a que le témoignage de monsieur Michel Champagne qui ait pu établir l'existence de ces prêts. Or, son témoignage a été si hésitant, si réticent et si vague qu'il ne m'a pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que ces prêts avaient été consentis par lui à GEC. Ce comportement est d'autant plus surprenant qu'il était présent à l'audience lorsque le comptable a témoigné pour expliquer sa version des faits. Il a été impossible d'obtenir de monsieur Michel Champagne des réponses claires, précises et convaincantes indiquant qu'il avait véritablement prêté de l'argent à GEC. Sur les questions importantes, le procureur de monsieur Champagne a été incapable d'obtenir des réponses détaillées. Il fallait qu'il formule des questions très suggestives et, même dans ces circonstances, il y avait quand même des hésitations et des réticences de la part de monsieur Michel Champagne. Sur les questions moins importantes et accessoires, il était un peu plus volubile, mais à peine plus. Quand on lui a demandé pourquoi il aurait refusé que son nom paraisse, il a éludé cette question en répondant que son frère et lui s'étaient toujours entraidés.

[33]          Monsieur Michel Champagne ne savait pas combien d'argent il avait prêté à son frère ou à GEC : il ne gardait pas de registres ou de notes écrites où était consigné le montant de ses prêts, ce qui est plutôt surprenant, à mon avis. L'argent venait le plus souvent de sommes gardées chez lui et non de son compte bancaire : donc il n'y a aucune trace qui puisse confirmer l'existence de tels prêts. Il a affirmé avoir été remboursé au moyen de pièces de matériel qu'il pouvait utiliser dans le cadre du travail de débosselage qu'il effectuait dans son propre garage. Il a aussi indiqué qu'il ne savait pas combien de pièces on lui avait remises en remboursement de ces prêts.

[34]          À mon avis, monsieur Edmour Champagne a échoué dans la tâche qu'il avait de démontrer qu'il n'avait reçu aucun avantage lorsque GEC avait porté à son crédit les sommes de 10 000 $ en 1994 et de 11 452 $ en 1995.

La pénalité

[35]          C'est le ministre qui avait la tâche d'établir que monsieur Champagne avait fait sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de revenu produites pour les années d'imposition 1994 et 1995, ou qu'il avait participé ou consenti ou acquiescé à un faux énoncé ou à une omission.

[36]          À mon avis, le ministre a échoué dans cette tâche. Il n'a fait témoigner ni son vérificateur ni monsieur Champagne. De plus, les circonstances de cet appel ne sont pas telles qu'il soit raisonnable d'inférer que monsieur Champagne savait qu'il recevait un avantage imposable lorsqu'on créditait d'une somme le compte " Dû à un actionnaire " et qu'il savait aussi que cette somme devait être incluse dans son revenu. Il faut se rappeler, comme je viens de le mentionner, qu'il s'agit d'écritures comptables effectuées par le comptable de GEC et la preuve n'a pas été faite que monsieur Champagne en connaissait la signification. De plus, il faut ajouter que seulement une somme de 3 300 $ a été reçue par monsieur Champagne en 1994, le reste de l'avantage se trouvant porté à son crédit dans le compte " Dû à un actionnaire ". Il n'y a pas non plus de preuve suffisante pour démontrer que les sommes en question provenaient de revenus non déclarés par GEC.

[37]          Pour tous ces motifs, les appels de monsieur Champagne sont admis et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que monsieur Champagne n'a pas effectué un choix valide en vertu du paragraphe 110.6(19) de la Loi, que son revenu doit être diminué d'un montant de gain en capital imposable de 57 975 $ pour l'année 1994 et que les pénalités pour les années 1994 et 1995 doivent être annulées, le tout sous réserve de l'application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.

[38]          Monsieur Champagne a droit à une somme forfaitaire de 1 000 $ comme dépens pour son appel relatif à 1994.

Signé à Montréal, Québec, ce 1er jour de novembre 2001.

" Pierre Archambault "

J.C.C.I.

NO DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-3622(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 EDMOUR CHAMPAGNE

                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 22 août 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                      le 30 août 2000

COMPARUTIONS :

                Pour l'appelant :                    Me Jean R. Prince

Pour l'intimée :                       Me Pascale O'Bomsawin

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

                Pour l'appelant(e) :

                                                Noms :                    

                                                Étude :                    

                Pour l'intimé(e) :                    Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1] Avec la mention " sans aucune modalité de remboursement de prévu ".

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