Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20010723

Dossiers: 2000-975-CPP,

2000-97-6EI

ENTRE :

RANDY REBER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

Introduction

[1]      Les appels en l'instance ont été entendus sur preuve commune, du consentement des parties, le 2 novembre 2000 à Calgary (Alberta).

[2]      L'appelant interjette appel des décisions rendues par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) le 7 septembre 1999, selon lesquelles les emplois qu'il avait exercés pour Scuka Enterprises Ltd. (la « compagnie » ) du 2 novembre au 31 décembre 1998 et pour Scuka Enterprises (Alberta) Ltd. (aussi appelée la « compagnie » ) du 1er janvier au 11 mars 1999 étaient tous deux assurables au sens de la Loi sur l'assurance-emploi et ouvraient tous deux droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada (le « Régime » ), et ce, pour le motif suivant :

                   [TRADUCTION]

Il a été déterminé que l'emploi en question était un emploi assurable et ouvrant droit à pension pour le motif suivant : vous étiez employé aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, vous étiez un employé de Scuka Enterprises [(Alberta)] Ltd.

Les décisions, qui auraient été rendues conformément à l'article 93 de la Loi sur l'assurance-emploi et à l'article 27.2 du Régime, étaient fondées sur l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi et l'alinéa 6(1)a) du Régime. [3]      Les faits pertinents sont les suivants. L'appelant est ouvrier conducteur de grue et de grue à tour. Au cours des périodes en cause, il a été engagé par la compagnie pour ériger, utiliser, entretenir et démonter une grue sur le chantier de construction d'un hôtel dans la région de Lethbridge. Il a fait valoir qu'il avait été engagé à titre d'entrepreneur indépendant aux termes d'un contrat d'entreprise. Le ministre a déterminé qu'au contraire il avait été un employé travaillant aux termes d'un contrat de louage de services. C'est la question en litige en l'espèce. Le droit

[4]      La façon dont la Cour doit procéder pour déterminer s'il s'agit d'un emploi exercé aux termes d'un contrat de louage de services et, par conséquent, d'une relation employeur-employé, ou aux termes d'un contrat d'entreprise et, par conséquent, d'une relation avec un entrepreneur indépendant, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). La Cour d'appel fédérale a par la suite expliqué plus en détail le critère à appliquer dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099). Plusieurs décisions rendues subséquemment par la Cour canadienne de l'impôt, montrent comment les lignes directrices ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale s'est prononcée dans les termes suivants :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » . Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

[...] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] « l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations » et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : « Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents » .

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[5]      Les critères mentionnés par la Cour peuvent se résumer ainsi :

a)        le degré ou l'absence de contrôle de la part du prétendu employeur;

          b)       la propriété des instruments de travail;

          c)        les chances de bénéfice ou les risques de perte;

d)       l'intégration du travail du prétendu employé dans l'entreprise du prétendu employeur.

[6]      Je prends en considération également les propos que le juge MacGuigan a tenus dans l'arrêt Wiebe, précité, où il a approuvé l'approche adoptée par les tribunaux anglais :


C'est probablement le juge Cooke, dansMarket Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[7]      J'ajouterais à ces propos les remarques que le juge Décary a faites dans l'arrêt Charbonneau c. Canada (M.R.N.) [1996] C.A.F. no 1337, où il s'est exprimé pour la Cour d'appel fédérale :

Les critères énoncés par cette Cour [...] ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utiles de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail [...] ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise [...]. En d'autres termes, il ne faut pas [...] examiner les arbres de si près qu'on perde [...] de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

[8]      Dans l'affaire Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, C.A.F., no A-376-98, 11 mai 1999 ((1999) 249 N.R. 1), où la Cour d'appel fédérale a examiné de nouveau la question, le juge Létourneau a dit ceci :

[...] Ces critères jurisprudentiels sont importants mais, faut-il le rappeler, ils ne sauraient compromettre le but ultime de l'exercice, soit d'établir globalement la relation entre les parties [...] Cet exercice consiste à déterminer s'il existe entre les parties un lien de subordination tel qu'il faille conclure à l'existence d'un contrat de travail au sens de l'article 2085 du Code civil du Québec ou s'il n'existe pas plutôt entre celles-ci ce degré d'autonomie qui caractérise le contrat d'entreprise ou de service. [...]

Il a ajouté plus loin :

[...] Un entrepreneur par exemple qui travaille en sous-traitance sur un chantier ne dessert pas ses clients, mais ceux du payeur, i.e., l'entrepreneur général qui a retenu ses services. Le fait que M. Blouin ait dû se présenter chez la demanderesse une fois par mois pour prendre ses feuilles de service et ainsi connaître la liste des clients à servir et, conséquemment, le lieu d'exécution de la prestation de ses services n'en fait pas pour autant un employé. L'entrepreneur qui exécute des tâches pour une entreprise, tout comme l'employé dans un contrat de travail, doit connaître les lieux où ses services sont requis et leur fréquence. La priorité d'exécution des travaux requise d'un travailleur n'est pas l'apanage d'un contrat de travail. Les entrepreneurs ou sous-entrepreneurs sont aussi souvent sollicités par divers clients influents qui les forcent à établir des priorités quant à leur prestation de services ou à se conformer à celles qu'ils dictent.

Et :

[...] Bien que les revenus de M. Blouin étaient calculés sur une base horaire, le nombre d'heures de travail était déterminé par le nombre de feuilles de services qu'il recevait de la demanderesse. Il n'y avait donc aucun revenu garanti pour M. Blouin et sa société. Contrairement aux techniciens oeuvrant comme employés à l'interne chez la demanderesse et dont la rémunération hebdomadaire était constante, les revenus de M. Blouin fluctuaient selon les appels de service. De fait, vers la fin de son contrat avec la demanderesse, M. Blouin ne faisait plus que l'équivalent de 40 heures par mois car il recevait peu de feuilles de service.

De plus, M. Blouin, qui utilisait son propre véhicule pour travailler, a dû assumer les pertes découlant d'un accident dans lequel il fut impliqué et se procurer un autre véhicule.

Les faits

[9]      Dans ses réponses aux avis d'appel, le ministre aurait admis les faits suivants, tirés de l'avis d'appel :

(i)                 Au cours de la période en cause, le nom du payeur était Scuka Enterprises Ltd. (du 2 novembre au 31 décembre 1998);

(ii)               l'appelant a fourni ses services en tant que conducteur de grue qualifié sur un chantier de construction à Lethbridge (Alberta);

(iii)             l'appelant a fourni les services personnellement, mais il n'était pas tenu de le faire;

(iv)             le payeur informait l'appelant lorsqu'on avait besoin de lui au chantier;

(v)               l'appelant fournissait les outils nécessaires à l'entretien de la grue à tour;

(vi)             l'appelant décidait lorsque des réparations à la grue étaient nécessaires et prenait des dispositions pour qu'elles soient effectuées;

(vii)           au cours de la période du 1er janvier au 11 mars 1999, le nom du payeur était Scuka Enterprises (Alberta) Ltd.

[10]     Pour prendre sa décision, le ministre se serait fondé, selon les réponses aux avis d'appel, sur les hypothèses de fait suivantes :

                   [TRADUCTION]

a)                   les faits admis ci-dessus;

b)                   l'appelant n'était pas lié au payeur;

c)                    le payeur est entrepreneur général en construction immobilière;

d)                    l'entreprise du payeur n'est pas saisonnière;

e)                    l'appelant n'avait pas investi dans le payeur ni ne détenait de participation financière dans celui-ci;

f)                     l'appelant a fourni des services au payeur pour un projet, soit la construction du Ramada Inn à Lethbridge (Alberta);

g)                    l'appelant avait notamment pour tâches :

(i)                   d'ériger la grue;

(ii)                 de vérifier et d'approuver la conception technique de la base de la grue;

(iii)                d'inspecter le lieu d'érection;

(iv)               de superviser le déchargement et l'assemblage de la grue;

(v)                 de faire fonctionner la grue (planifier et effectuer les levages);

(vi)               d'assurer l'entretien de la grue, c'est-à-dire d'effectuer des inspections et des rajustements quotidiens ainsi que des inspections hebdomadaires et mensuelles;

(vii)              de démonter la grue, c'est-à-dire d'en superviser le démontage et le chargement et de collaborer à ces tâches;

h)                   l'appelant est ouvrier conducteur de grue et de grue à tour;

i)                     l'appelant est titulaire d'un certificat d'ouvrier conducteur de grue à tour et d'un certificat d'ouvrier conducteur de grue;

j)                     l'appelant n'a pas fourni les services en tant que travailleur syndiqué;

k)                   pour la période du 2 novembre au 31 décembre 1998, l'appelant a été rémunéré par Scuka Enterprises Ltd.;

l)                     pour la période du 1er janvier au 11 mars 1999, l'appelant a été rémunéré par Scuka Enterprises (Alberta) Ltd.;

m)                 l'appelant touchait 36 $ l'heure;

n)                   l'appelant était payé toutes les deux semaines;

o)                   l'appelant était payé par chèque;

p)                   l'appelant remettait des factures au payeur;

q)                   l'appelant a reçu les paiements suivants en 1998 et 1999 :


Date de                    Période                 Montant Date du        No du chèque

la facture                                                                                paiement

                                                         

17 nov. 1998           2 au 15 nov.            3 852 $                   19 nov. 1998           3498

2 déc. 1998              15 au 30 nov.          4 086 $                9 déc. 1998              3528

21 déc. 1998            1er au 15 déc.          3 960 $ 21 déc. 1998            3549

3 janv. 1999            16 au 31 déc.          2 880 $                   6 janv. 1999            3570

17 janv. 1999          1er au 15 janv.         3 492 $                   20 janv. 1999          53

2 fév. 1999              16 au 31 janv.         4 266 $                   2 fév. 1999              57

16 fév. 1999            1er au 15 fév.           3 528 $                   17 fév. 1999            72

3 mars 1999             16 au 28 fév.           3 132 $                   4 mars 1999             78

12 mars 1999           1er au 11 mars         3 186 $                   15 mars 1999           90

r)                    l'appelant n'avait pas un horaire de travail fixe;

s)                    lorsqu'il avait besoin de ses services, le payeur en avisait l'appelant;

t)                     l'appelant restait sur le chantier jusqu'à ce que ses tâches prévues pour la journée soient terminées;

u)                   il n'existait aucun contrat écrit entre l'appelant et le payeur;

v)                   aucun autre travailleur ne fournissait au payeur les mêmes services que l'appelant;

w)                 l'assurance contre les accidents du travail était souscrite par le payeur;

x)                   l'appelant n'engageait aucune dépense dans l'exécution de ses tâches, mais il engageait des dépenses aux fins de l'utilisation d'une automobile et d'un téléphone ainsi que diverses autres dépenses;

y)                   l'appelant devait accorder la priorité au payeur au regard de ses services;

z)                    le superviseur de chantier du payeur surveillait le travail de l'appelant;

aa)                le superviseur de chantier du payeur vérifiait la qualité du travail de l'appelant;

bb)               le superviseur de chantier du payeur prenait les décisions finales concernant le projet en cause;

cc)                le payeur fournissait la grue, dont il était propriétaire, et souscrivait une assurance à cet égard;

dd)               le payeur fournissait à l'appelant les travailleurs dont il avait besoin pour assembler et démonter la grue;

ee)                la grue vaut approximativement 80 000 $;

ff)                   les pièces de la grue, les élingues de levage, l'huile et la graisse étaient fournies par le payeur;

gg)                l'appelant ne percevait pas la TPS auprès du payeur.

[11]     L'appelant a témoigné pour son compte. Il a admis toutes les hypothèses de fait, sauf celles énoncées aux alinéas s), t), v), y), z), bb), dd) et ff).

[12]     Pour ce qui est des alinéas s) et t), l'appelant a affirmé avec beaucoup de fermeté que, lorsque ses services étaient requis sur le chantier, la compagnie l'en informait, mais qu'il décidait lui-même si la grue pouvait être utilisée en toute sécurité, compte tenu des conditions météorologiques ou de toute autre raison.

[13]     En ce qui concerne l'alinéa v), le ministre a eu raison d'affirmer que la compagnie n'avait pas d'autre travailleur fournissant les mêmes services que l'appelant. Ce dernier s'était cependant entendu avec un ami pour qu'il le remplace comme conducteur de la grue si, pour une raison quelconque, il était incapable de se présenter au travail. Dans les faits, cela ne s'est jamais produit.

[14]     Quant à l'alinéa y), l'appelant est d'avis qu'il pouvait quitter le travail à son gré, la grue étant alors mise hors service. Il est clair, cependant, que l'appelant devait dans ce cas prendre des dispositions avec le superviseur du chantier relativement au temps d'inactivité, ou encore qu'il devait trouver un remplaçant.

[15]     Pour ce qui est de l'alinéa z), la preuve a révélé que, grâce à ses compétences, l'appelant avait obtenu deux certificats d'ouvrier que, de toute évidence, le superviseur du chantier n'avait pas. Ainsi, l'appelant, une fois engagé, devait faire en sorte que la grue soit assemblée de façon sécuritaire et que, par la suite, elle soit utilisée en toute sécurité. Sa décision, par exemple, de ne pas utiliser la grue en raison de forts vents, était définitive. Néanmoins, il devait tous les jours discuter avec le superviseur du chantier ou ses délégués de l'usage dont il serait fait de la grue. Par conséquent, le superviseur indiquait ce dont il avait besoin avant les travaux de construction et le moment où il en avait besoin, et l'appelant se conformait à ces exigences dans les limites dictées par sa propre compétence professionnelle. C'est là la mesure dans laquelle la façon dont il effectuait son travail était contrôlée par le superviseur, qui s'attendait à ce qu'il soit satisfait à ses exigences, sous réserve des questions de sécurité qui, elles, relevaient de la compétence exclusive de l'appelant. Si, toutefois, l'appelant ne s'était pas conformé aux exigences permettant la réalisation du projet, il aurait été congédié et un autre conducteur aurait été engagé.

[16]     Ceci m'amène à la question de savoir qui prenait ultimement les décisions. Le ministre a affirmé à l'alinéa bb) que c'était le superviseur du chantier. Il ressort clairement de la preuve, cependant, que tel n'était pas le cas lorsqu'il était question de sécurité. Si, toutefois, il fallait hisser deux charges, le superviseur du chantier déterminait laquelle des deux serait hissée en premier, sous réserve des questions de sécurité. C'est lui aussi qui tranchait relativement au nombre de jours travaillés sur le chantier, aux congés, etc.

[17]     En ce qui concerne l'alinéa dd), l'appelant a contesté l'hypothèse de fait du ministre selon laquelle la compagnie fournissait les travailleurs pour assembler ou démonter la grue. Dans les faits, il semble que ce soit l'appelant qui ait choisi ces travailleurs, mais que ce soit la compagnie qui les ait payés. L'appelant ne les engageait pas lui-même comme employés ou sous-entrepreneurs. Il faisait appel à eux uniquement pour le compte de la compagnie. Par conséquent, je considère que cette hypothèse du ministre est juste.

[18]     Pour ce qui est de l'alinéa ff), il ressort clairement de la preuve que toutes les pièces importantes de la grue étaient fournies par la compagnie, comme l'indique l'hypothèse du ministre. Cependant, il est vrai qu'à une occasion l'appelant a fourni des plaquettes de frein d'une valeur de 15 $, qu'il a payées de sa poche. Aucune preuve n'a été déposée concernant des élingues ou de l'huile et de la graisse.

[19]     Il ressort clairement de l'ensemble de la preuve que l'appelant possédait le savoir-faire nécessaire pour régler toutes les questions se rapportant à la grue. L'entrepreneur, qui n'avait apparemment jamais utilisé la grue avant la réalisation de ce projet, se fiait dans une large mesure au savoir-faire de l'appelant. Ce dernier a supervisé l'assemblage de la grue du début à la fin et a dû donner son approbation en signant des documents techniques. Il a utilisé, pour serrer au couple des boulons spéciaux sur la grue, des outils spéciaux qu'il avait empruntés à un ami pour 40 $, somme qu'il a payée lui-même. Il a serré les boulons en question au couple selon des normes spéciales. Il tenait un journal à cet égard. D'autres personnes, qui ont été engagées par la compagnie, se sont chargées du levage des pièces de la grue et de leur mise en place sous la supervision de l'appelant, qui a ensuite achevé le travail de boulonnage des pièces.

[20]     Il appert que, en plus des outils de serrage au couple qu'il a apportés au travail, l'appelant était propriétaire également de certaines machines de calibrage électriques, d'une valeur de 150 $, et d'outils de base - clés, tournevis, pinces et pompes à graisse.

[21]     L'appelant a déclaré que c'était la première fois qu'il acceptait un travail non assujetti à une convention collective, qu'il élargissait ses horizons pour travailler à son compte, et qu'il voulait lancer sa propre entreprise. Il n'était titulaire d'aucun permis d'exploitation d'une entreprise. Il a déclaré qu'il appelait son entreprise Hooker Enterprises. Or, il n'a accompli aucun geste officiel à cet égard. Il n'a souscrit aucune assurance. C'est en gros ce qui ressort de son témoignage.

Application à la preuve des quatre volets du critère

[22]     Il est clairement établi en droit que la Cour doit considérer non pas le titre que des parties donnent à une relation de travail, mais la substance de l'entente qu'elles ont conclue. Si elles décident de donner un nom à leur entente, la Cour doit évidemment respecter ce choix, à condition que la preuve ne révèle aucune raison de l'écarter. Si, toutefois, l'essence véritable de l'entente ne correspond pas au titre que lui ont donné les parties, la Cour doit considérer la substance de l'entente. Dans ce cas-ci, je remarque qu'il n'y a aucune preuve claire que les parties elles-mêmes aient donné un nom à leur entente. Le contrat prévoyait un taux horaire de 36 $ pour le travail effectué. Ce contrat a été conclu verbalement, rien n'ayant été mis sur papier. L'appelant avait choisi de qualifier l'entente de contrat d'entreprise.

[23]     Contrôle : je n'ai pas oublié que ce n'est pas tant le contrôle véritablement exercé par le payeur qui importe dans ce genre de situation, mais bien le droit d'exercer un tel contrôle. Plus un travailleur est qualifié et spécialisé dans son domaine de travail, moins il sera susceptible de faire l'objet d'un contrôle quotidien. Cependant, c'est le droit d'exercer un contrôle sur ce travail que la Cour doit considérer.

[24]     En l'espèce, il est clair que l'appelant décidait dans une large mesure de la façon d'utiliser la grue. Il pouvait décider à tout moment d'en interrompre l'utilisation pour des raisons de sécurité. Je doute qu'il ait pu imposer une telle interruption, du moins durant une longue période, pour quelque autre raison. La compagnie déterminait dans une large mesure, par l'intermédiaire du superviseur de chantier, les chargements que la grue hissait ou ramenait au sol un jour donné. En outre, si la compagnie souhaitait interrompre l'utilisation de la grue pour une période donnée, elle pouvait le faire sans que l'appelant puisse y faire quoi que ce soit.

[25]     Par conséquent, il me semble que la compagnie exerçait un contrôle important, qui lui était réservé dans ce genre de situation tout en étant assujettie à un droit de regard de l'appelant, qui exerçait ce droit de regard dans les limites de ses compétences professionnelles. Dans l'ensemble, je tends à penser que cet aspect du critère fait pencher la balance en faveur d'une relation employeur-employé.

[26]     Outils et équipement : la grue elle-même était fournie par la compagnie. Elle constituait la principale pièce d'équipement. De toute évidence, si l'appelant s'était présenté au chantier avec sa propre grue, il aurait probablement exploité sa propre entreprise. Cependant, ce ne fut pas le cas. Il a apporté certains outils qu'il a loués ou empruntés d'un ami pour 40 $, ainsi qu'un équipement de calibrage électrique, dont il a estimé la valeur à 150 $; il avait aussi des clés, des pinces et des tournevis. Sa situation à cet égard est semblable à celle d'un chauffeur de camion ou d'un menuisier qui exécute les tâches normales de son travail. L'appelant n'a pas investi de sommes considérables dans des outils ou de l'équipement pour exécuter son travail, alors qu'il est clair que la compagnie l'a fait.

[27]     À mon avis, cet aspect du critère correspond bien davantage à un contrat de louage de services qu'à un contrat d'entreprise conclu avec un entrepreneur indépendant.

[28]     Bénéfices et pertes : plus l'appelant accumulait d'heures de travail, plus il pouvait gagner d'argent. On ne peut parler ici de bénéfices au sens de cet aspect du critère. Il ne pouvait subir de pertes, au sens de pertes d'entreprise, il ne risquait de perdre aucun capital ni aucun investissement et, dans le cadre de son travail, il ne pouvait pas perdre d'argent. Il ne souscrivait aucune assurance. S'il avait été négligent dans l'exécution de ses tâches, il aurait pu être poursuivi, mais nul doute qu'il l'aurait été à titre d'employé et que c'est la compagnie elle-même qui aurait été responsable de sa négligence. Il n'y a absolument rien dans la preuve qui donne à penser que l'appelant pouvait réaliser des bénéfices ou subir des pertes à la manière d'une entreprise. Cet aspect du critère indique clairement à mon avis que nous sommes en présence d'un employé qui travaillait aux termes d'un contrat de louage de services.

[29]     Intégration : finalement, il faut considérer les circonstances de l'affaire pour déterminer à qui l'entreprise appartient. De toute évidence, la compagnie exploitait une entreprise pour son compte. Elle était un entrepreneur et travaillait à la construction d'un hôtel. La question doit cependant être considérée du point de vue de l'appelant. Ce dernier était conducteur d'une grue. Le faisait-il dans le cadre de sa propre entreprise ou dans le cadre de l'entreprise de la compagnie? De toute évidence, la réponse à cette question dépend des circonstances. La compagnie n'avait jamais utilisé de grue auparavant. Elle n'avait aucune expérience dans ce domaine. L'appelant avait manifestement de l'expérience dans ce domaine; c'est la raison pour laquelle la compagnie l'avait engagé. Il n'y a aucune preuve qui donne à entendre que l'appelant ait à quelque moment que ce soit travaillé à un titre autre que celui d'employé. En fait, la preuve a démontré qu'il avait toujours travaillé comme employé. Certes, il y a toujours une première fois pour tout, mais il n'y a rien qui indique que la façon dont l'appelant effectuait son travail dans le cadre de ce projet ait été différente de la façon dont il avait toujours travaillé auparavant. Il travaillait comme conducteur de grue, et rien dans la preuve n'indique que, dans le cadre de ce projet, il ait agi de manière à devenir entrepreneur indépendant - si tel avait été le cas, on aurait pu dire qu'il exploitait une entreprise pour son compte. Il me semble que son entreprise était complètement intégrée à celle de la compagnie et en dépendait entièrement. Cet aspect du critère indique très clairement, à mon avis, qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services.

Conclusion

[30]     Si, au lieu de considérer isolément chacun des critères, qui confirment tous l'existence d'un contrat de louage de services en l'espèce, je les envisage collectivement, je ne vois rien d'autre qu'un employé, fort compétent il est vrai, travaillant pour un employeur. À mon avis, le ministre a pris les bonnes décisions et, en conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Calgary (Alberta), ce 23e jour de juillet 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-975(CPP)

ENTRE :

RANDY REBER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Randy Reber (2000-976(EI)) le 2 novembre 2000 à Calgary (Alberta), par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  Ronald Peterson

Avocate de l'intimé :                            Me Gwen Mah

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Calgary (Alberta), ce 23e jour de juillet 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-976(EI)

ENTRE :

RANDY REBER,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Randy Reber

(2000-975(CPP)) le 2 novembre 2000 à Calgary (Alberta), par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  Ronald Peterson

Avocate de l'intimé :                            Me Gwen Mah

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Calgary (Alberta), ce 23e jour de juillet 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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