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Date: 20011206

Dossier: 2001-51-IT-I

ENTRE :

MARJOLAINE DIONNE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle concernant le calcul de la prestation fiscale pour enfants à l'égard de l'année de base 1999. La question en litige est de savoir si le revenu net du conjoint de fait de l'appelante doit être pris en compte dans le calcul du revenu modifié, au sens de ce terme à l'article 122.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[2]            Par avis de prestation fiscale pour enfants daté du 20 juillet 2000, le ministre du Revenu national (le " Ministre ") a établi à une somme de 32,33 $ la prestation fiscale à laquelle l'appelante avait droit pour sa fille Josia, à l'égard de l'année de base 1999.

[3]            Pour établir cette prestation fiscale, le Ministre s'est fondé sur les faits décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel (la " Réponse ") comme suit :

a)              l'appelante est la mère d'une fille prénommée Josia dont la date de naissance est le 1er mars 1984;

b)             l'appelante et monsieur Guy Morrissette habitent ensemble depuis au moins le mois de septembre 1998;

c)              l'appelante, dans son avis d'opposition daté du 11 septembre 2000, affirmait qu'elle avait un conjoint de fait à la fin du mois de décembre 1999;

d)             le revenu net du conjoint de fait de l'appelante, monsieur Guy Morrissette, totalisait, à l'égard de l'année d'imposition 1999, la somme de 62 328 $;

e)              à l'égard de l'année d'imposition 1999, le revenu net familial totalise la somme de 72 871 $;

f)              suite à la prise en compte du revenu net familial dans le calcul des prestations fiscales pour enfants de l'appelante, à l'égard de l'année de base 1999, le Ministre a établi, à une somme annuelle de 32,33 $, les prestations fiscales pour sa fille, Josia;

[4]            L'appelante a témoigné. En ce qui concerne la date de naissance de sa fille, mentionnée à l'alinéa 5 a) de la Réponse, elle l'a corrigée pour le 30 mars 1984. Elle a admis l'alinéa 5 b). En ce qui concerne l'alinéa 5 c), elle l'admet en autant que la phrase se termine après : " affirmait qu'elle avait un conjoint de fait. " Elle n'avait pas indiqué les mots : " à la fin du mois de décembre 1999 ", dans son avis d'opposition. Toutefois, selon son témoignage, monsieur Guy Morrissette et elle-même ont été conjoints de fait durant l'année 1999 et le sont également présentement.

[5]            Elle a nié l'alinéa 5 d), parce qu'elle croyait que le revenu de monsieur Morrissette était supérieur à la somme mentionnée. Elle a également nié l'alinéa 5 e), parce qu'elle ne considère pas que le revenu de 72 871 $ soit le revenu net familial. Elle a nié l'alinéa 5 f).

[6]            L'appelante a expliqué qu'en 1998, avant que monsieur Morrissette ne vienne partager sa vie, elle payait 490 $ de loyer. Elle recevait 325 $ par mois en allocations familiales fédérale et provinciale, 125 $ par trimestre pour le remboursement de la TPS et 200 $ d'aide provenant du programme Apport du Québec, pour les familles à modestes revenus.

[7]            Quand monsieur Morrissette est venu vivre avec elle, ils ont partagé le loyer à deux, ainsi que les frais de la nourriture. Toutefois, en ce qui concerne le câble et le téléphone, c'était elle qui les payait. Maintenant, ils sont déménagés dans un loyer plus cher, un loyer de 745 $ par mois, pour lequel elle paye 200 $ par mois. Toutefois, elle indique qu'elle partage toujours la nourriture à moitié. Elle paye ses propres vêtements et paye les dépenses de sa fille. Elle trouve donc injuste le calcul du revenu familial car il ne représente pas la réalité économique de ce ménage en ce qui la concerne.

[8]            Dans son avis d'appel ainsi que dans son témoignage, elle a exposé que sa fille n'est pas l'enfant de son conjoint de fait et que son conjoint de fait a déjà des obligations envers ses propres enfants. Son conjoint de fait n'a aucun droit vis-à-vis sa fille et sa fille est entièrement à sa charge. Elle a besoin de la prestation fiscale pour enfants pour subvenir aux besoins primaires de sa fille, soit la nourrir, la vêtir et l'éduquer. Les besoins de sa fille se sont plutôt accrus puisqu'elle est maintenant au Cégep.

[9]            Madame Louise Girard était l'agent aux appels le 26 septembre 2000 quand elle a communiqué avec l'appelante. Elle a produit comme pièce I-3 la version écrite d'un document électronique montrant le revenu net de monsieur Guy Morrissette pour l'année 1999. Ce revenu est de 62 328 $. L'avis d'opposition de l'appelante a été produit comme pièce I-2.

Analyse

[10]          Les définitions de " conjoint visé " et " revenu modifié " sont ainsi définis à l'article 122.6 de la Loi :

" conjoint visé " — Personne qui, à un moment donné, est le conjoint d'un particulier dont il ne vit pas séparé à ce moment. Pour l'application de la présente définition, une personne n'est considérée comme vivant séparée d'un particulier à un moment donné que si elle vit séparée du particulier à ce moment, pour cause d'échec de leur mariage pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend ce moment.

" revenu modifié " — Quant à un particulier pour une année d'imposition, le total des montants qui représenteraient chacun le revenu pour l'année du particulier ou de la personne qui était son époux ou conjoint de fait visé à la fin de l'année si aucun montant n'était inclus dans le calcul de ce revenu au titre d'un gain provenant d'une disposition de bien à laquelle s'applique l'article 79.

[11]          Le paragraphe 252(4) de la Loi prévoit que les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable visent également la personne de sexe opposée qui vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de 12 mois :

(4)            Dans la présente loi :

a)             les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposée qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) et du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné;

...

[12]          La présomption de paiement en trop qui en d'autres termes est le calcul de la prestation fiscale canadienne pour enfants se trouve au paragraphe 122.61(1) de la Loi. On y lit que le revenu modifié est pris en compte dans le calcul du paiement en trop ou de la prestation fiscale canadienne pour enfants. Le revenu modifié, selon la définition ci-dessus, signifie le total du revenu de l'appelante et de celui de son conjoint de fait.

[13]          L'appelante fait valoir que le calcul du revenu familial tel qu'exigé par la Loi ne tient pas compte de la réalité contemporaine en matière d'union conjugale. Les couples se forment et se reforment et chaque conjoint a son propre bagage familial. Il a souvent ses propres enfants et obligations personnelles. Plusieurs conjoints, dont eux, tiennent à garder leur autonomie dans la gestion de leur propre patrimoine. Il n'est donc pas approprié d'additionner les deux revenus quand la contribution aux charges familiales ne se fait pas au prorata des revenus.

[14]          L'appelante fait aussi valoir que le Code civil du Québec ne prévoit aucune obligation de la part d'un conjoint de fait à l'égard de l'autre conjoint de fait et par conséquent, encore moins à l'égard de l'enfant de l'autre conjoint.

[15]          L'avocat de l'intimée s'est référé à la décision Granger c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1986] 3 C.F. 70, une décision de la Cour d'appel fédérale. Il s'est aussi référé à une décision de cette Cour dans Feigenbaum c. Canada, [1999] A.C.I. no 945 (Q.L.). Ces décisions veulent qu'une cour ne peut pas modifier la Loi. Elle doit rendre jugement selon les dispositions de la Loi.

Conclusion

[16]          Dans les circonstances de cet appel et selon la preuve présentée, je suis d'avis que le calcul du revenu modifié ne représente pas la réalité économique du revenu familial à la disposition de l'appelante et de son conjoint de fait. Le revenu modifié additionne les deux revenus. Or, telle n'est pas l'entente financière entre l'appelante et son conjoint de fait. En cela, l'appelante fait valoir que leur entente n'est pas différente de bien des ententes d'autres conjoints de fait.

[17]          Ainsi que le mentionne l'appelante, il arrive que les ententes de partage entre des conjoints de fait qui ne sont pas les deux parents des enfants vivant avec eux ne soient pas les mêmes que celles afférentes à une famille traditionnelle, particulièrement dans les cas où chacun des conjoints de fait a ses propres enfants et qu'il est accepté de part et d'autre par les conjoints de fait que seul le parent a des obligations et des droits à l'égard de son enfant.

[18]          La Loi cependant ne prévoit pas ces nuances qu'il serait peut être souhaitable de lui voir inscrire dans les cas où les conjoints de fait ont chacun leurs enfants et n'entendent pas participer à l'éducation et au soutien de l'enfant de l'autre, préférant réserver leur propre patrimoine à leurs propres enfants. Il paraît injuste dans ces circonstances d'ajouter au revenu du parent de l'enfant le revenu total de l'autre conjoint vu qu'il n'y a aucune participation dans l'éducation et le soutien financier de l'enfant. Ceci paraît contraire au but poursuivi par le législateur dans l'établissement de la prestation fiscale canadienne pour enfant. Il appartient toutefois au législateur de modifier la Loi. La Loi étant ce qu'elle est présentement, l'appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de décembre 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2001-51(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Marjolaine Dionne et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 26 novembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 6 décembre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                  l'appelante elle-même

Pour l'intimée :                       Me Dany Leduc

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                       Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

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