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Date: 20011217

Dossiers: 1999-1965-IT-G, 1999-1749-IT-G

ENTRE :

ANTHONY JURAK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Louise Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels de cotisations établies par le ministre du Revenu national (le " Ministre ") en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[2]            L'appel portant le numéro 1999-1749(IT)G concerne le transfert d'une propriété, en date du 16 septembre 1991, par 151041 Canada Inc. (" 151041 "), à l'appelant au prix de 1 025 000 $ alors que selon le Ministre la valeur marchande en était de 1 252 500 $. L'appelant a été cotisé en fonction de cette valeur. Le rapport de l'expert du Ministre indique une valeur de 1 346 750 $.

[3]            L'appel portant le numéro 1999-1965(IT)G concerne une remise de dette, en date du 6 août 1992, sur le solde du prix de vente de cette propriété. Le solde était de 428 405,48 $ incluant les intérêts, le montant payé fut de 251 025 $.

[4]            L'intimée a déposé, avec le consentement de la partie appelante, un livre de documents comme pièce I-1, constitué de 35 onglets, à l'exception des onglets 7, 8, 23 et 31 qui ont été retranchés.

[5]            Snazz Corporation (" SNAZZ ") est détenue par 151041. Les actions votantes de cette dernière sont détenues par madame Paulette Massicotte, qui est la conjointe de fait de l'appelant. Il est admis qu'il existe un lien de dépendance entre l'appelant, 151041 et SNAZZ.

[6]            SNAZZ a payé en 1988 à 151041 un dividende de 1 650 000 $. La cotisation de Snazz n'a pas été produite mais un certificat du Ministre en date du 26 octobre 1990 déclare la dette au montant de 406 667,93 $ (onglet 32 de la pièce I-1). SNAZZ n'a pas contesté sa dette fiscale.

[7]            L'intimée a établi, en date du 23 novembre 1993, une cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi, à l'encontre de 151041, au montant de 291 057,45 $ pour la dette fiscale de SNAZZ (onglet 10 de la pièce I-1). L'avis de cotisation indique qu'en vertu du paragraphe 160(1), il y a eu un transfert de propriété par SNAZZ à 151041 par le paiement d'un dividende au montant de 1 650 000 $ dans l'année fiscale se terminant le 31 décembre 1988. La société 151041 n'a pas interjeté appel auprès de cette Cour après la ratification du Ministre.

[8]            L'appelant a été cotisé le 6 juin 1995 en vertu de l'article 160 de la Loi (onglets 1 et 2 de la pièce I-1), au sujet d'un transfert de propriété de 151041 à l'appelant le 16 septembre 1991. La partie intimée a confirmé que le montant maximal réclamé à l'encontre de l'appelant est de 291 057,45 $, soit le montant de la cotisation de 151041.

[9]            La propriété vendue le 16 septembre 1991 par 151041 à l'appelant est une maison située au 558 de l'avenue Roslyn à Westmount. Cette propriété servait de résidence familiale à l'appelant et à sa famille. Le prix de vente de 1 025 000 $ était payable 625 000 $ comptant et quant au solde de 400 000 $, il était payable sept ans plus tard, soit en septembre 1998, avec intérêt au taux de 8 p. 100 composé annuellement.

[10]          Le Ministre a soutenu au moment de la cotisation que la juste valeur marchande de la résidence au 16 septembre 1991 était de 1 252 500 $, et qu'en conséquence, l'appelant s'est vu conférer un avantage de 227 500 $ (onglet 2 de la pièce I-1, cotisation du 6 juin 1995).

[11]          Le Ministre soutient que l'appelant, en réglant le 6 août 1992 une dette de 428 405,48 $ contre un montant de 251 025 $, s'est vu conférer un avantage de 177 380,48 $ (onglet 1 de la pièce I-1, cotisation du 6 juin 1995).

[12]          En ce qui concerne ce deuxième appel, soit celui concernant la juste valeur marchande de la dette au 6 août 1992, la partie appelante a informé la Cour qu'elle acceptait la valeur à laquelle était arrivé l'expert de l'intimée, soit monsieur Duc Nguyen, au montant de 395 245 $. L'avocate de l'intimée a aussi informé la Cour qu'en ce qui concerne l'appel concernant la remise de dette, l'expert de l'intimée ayant diminué la valeur marchande de cette dette, le montant de la cotisation devrait être réduit à 144 222 $.

[13]          Au début de l'audience, l'avocat de l'appelant a fait une requête, en vertu de l'article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les " Règles "), qui se lit comme suit :

58(1)        Une partie peut demander à la Cour,

a)             soit de se prononcer, avant l'audience, sur une question de droit soulevée dans une instance si la décision pourrait régler l'instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement l'audience ou résulter en une économie substantielle des frais;

b)             soit de radier un acte de procédure au motif qu'il ne révèle aucun moyen raisonnable d'appel ou de contestation de l'appel,

(2)            Aucune preuve n'est admissible à l'égard d'une demande,

a)             présentée en vertu de l'alinéa (1)a), sauf avec l'autorisation de la Cour ou le consentement des parties;

b)             présentée en vertu de l'alinéa (1)b).

(3)            L'intimée peut demander à la Cour le rejet d'un appel au motif que,

a)             la Cour n'a pas compétence sur l'objet de l'appel;

b)             une condition préalable pour interjeter appel n'a pas été satisfaite;

c)              l'appelant n'a pas la capacité légale d'intenter ou de continuer l'instance,

et la Cour peut rendre jugement en conséquence

[14]          L'avocat de l'appelant s'est référé à la décision du juge Tremblay de cette Cour dans l'affaire Nanini c. La Reine, [1994] A.C.I. no 426 (Q.L.). Dans cette affaire, une corporation avait payé un dividende à une autre corporation qui a été cotisée en vertu de l'article 160 de la Loi. Par la suite, les actionnaires de la deuxième corporation ont été cotisés en vertu de l'article 160 pour un dividende reçu de cette deuxième corporation. Le juge était d'avis que le bénéficiaire d'un premier transfert ne peut pas devenir l'auteur d'un transfert engageant la responsabilité d'un nouveau bénéficiaire. Selon l'avocat de l'appelant, les faits de la présente affaire sont identiques en ce sens qu'ils impliquent une application en cascade de l'article 160. Il se réfère aux paragraphes 58, 59, 66 et 67 des motifs de cette décision :

...

58             Quant à savoir si le bénéficiaire d'un premier transfert peut lui-même devenir auteur d'un transfert engageant la responsabilité d'un nouveau bénéficiaire, la Cour n'est pas convaincue par l'argument de la procureure de l'intimée que ce mécanisme serait prévu dans les dernières lignes du paragraphe 160(1) :

... mais aucune disposition du présent paragraphe n'est réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de toute autre disposition de la présente loi.

59             En réalité, la Cour ne voit tout simplement pas comment cette phrase peut être interprétée dans le sens qu'un bénéficiaire peut lui-même devenir auteur du transfert, rendant solidaire un autre bénéficiaire et ainsi de suite en cascade.

...

66             De plus, l'article 160 est déjà en soi assez exorbitant du droit commun que si le législateur avait voulu le faire en cascade, il l'aurait dit spécifiquement.

67             Étant donné la conclusion à laquelle la Cour est arrivée précédemment, à savoir qu'il ne peut y avoir d'application en cascade de l'article 160, il n'est pas nécessaire de me prononcer sur les deux autres points.

[15]          L'avocat de l'appelant fait valoir que selon la décision de cette Cour dans l'affaire Nanini, SNAZZ l'auteur du transfert, a transféré sa dette à 151041, la bénéficiaire du transfert. La bénéficiaire du transfert, considérant la façon dont l'article 160 est rédigé, ne peut pas devenir elle-même un auteur de transfert au sens de l'article 160.

[16]          L'avocate de l'intimée a informé la Cour qu'elle n'avait pas été prévenue de cette requête. Elle fit valoir qu'une requête devait se présenter selon les délais prescrits, qu'elle ne voyait pas qu'en de telles circonstances, qu'une décision puisse être rendue et que cette décision puisse abréger substantiellement l'audience ou résulter en une économie substantielle des frais.

[17]          La requête a été refusée parce qu'elle n'avait pas été présentée dans les délais prescrits. La Cour a informé l'avocat de l'appelant qu'évidemment il ne lui était pas interdit de plaider au fond la pertinence de cette décision.

[18]          Le premier témoin de l'appelant a été monsieur Michel Bourassa, évaluateur agréé, qui a témoigné à titre de témoin expert. Au mois de septembre 1991, selon lui, la juste valeur marchande de la propriété était à 1 017 000 $. Il a retenu pour cette évaluation la méthode de comparaison paritaire. Il a estimé la valeur du terrain à 45 $ le pied carré. Il a expliqué que dans cette section de Westmount qui n'est pas le haut Westmount, la valeur du terrain est plus basse. La valeur marchande du terrain d'une superficie de 11,000 pieds carrés serait de 499 500 $, pour un taux unitaire de 45 $ le pied carré.

[19]          En ce qui concerne les comparables prises par l'évaluateur de l'intimée, monsieur Bourassa indique que les propriétés utilisées sont, à l'exception d'une, situées dans le haut Westmount. Il s'agit de propriétés acquises pour leur vue et où les propriétés sont homogènes. La propriété qui fait exception est située sur la rue Holton et est à peu près comparable. Le prix est différent de ceux des autres.

[20]          La description du bâtiment ne varie pas de l'un à l'autre des deux experts. Il s'agit d'une résidence unifamiliale de trois étages et un sous-sol. Il n'y a pas de grenier. La qualité de la construction est excellente. L'année de construction est de 1907. Elle a été rénovée dans les années 1980. La superficie au sol est de 2 118 pieds carrés et la superficie habitable de 5 682 pieds carrés, excluant le sous-sol. La bâtisse est en excellente condition. L'évaluateur de l'appelant note en ce qui concerne les suppléments et caractéristiques permanents : " On retrouve dans cette propriété une salle de jeu avec projecteur et écran géant mural, cuisinière, four, lave-vaisselle et broyeur encastré, cinq foyers, aspirateur central, système d'alarme, sauna, bain tourbillon, dispositif d'ouverture automatique de porte de garage, solarium, climatisation générale et puits de lumière. "

[21]          Monsieur Bourassa fait noter que ses comparables sont géographiquement proches du sujet alors que celles de l'expert du Ministre en sont plus loin. En ce qui concerne la valeur du terrain, il fait aussi noter que l'évaluateur du Ministre indique 40 $ le pied carré pour toutes ses comparables.

[22]          L'évaluateur de l'appelant explique que dans l'environnement de la propriété, il y a des propriétés semi-attachées. Ces propriétés ont un prestige moindre et diminuent la valeur des terrains environnants. Si l'on prend comme comparaison des propriétés situées dans le haut Westmount, la valeur du terrain sera plus élevée. Il faut prendre cet élément en considération sinon le prix de vente du bâtiment lui-même devient trop élevé. Il faut prendre la valeur du terrain tel qu'elle est et, au lieu de mettre 40 $ le pied carré partout, il faut mettre sa valeur réelle, c'est-à-dire 60 $ ou 80 $ le pied carré selon le site. Cela augmente la valeur du terrain et ce qui reste du prix de vente, excluant la valeur marchande du terrain, c'est la valeur attribuable au bâtiment. Cette valeur étant moindre, elle donne des taux au pied carré moindres également, qui une fois multipliée par la superficie de la propriété en question donne une valeur qui serait inférieure à celle trouvée par l'évaluateur du Ministre. Monsieur Bourrassa soutient qu'en 1991, le marché était tombé alors qu'en 1988 et 1989, il s'agissait du sommet du marché.

[23]          Plus le terrain est grand, plus petite en est sa valeur unitaire. On regarde une propriété, on évalue la valeur du terrain, on a un taux, un bâtiment, une valeur résiduaire au bâtiment. Cette valeur résiduaire au bâtiment, ça vaut combien au pied carré? C'est une méthodologie qui est fort simple à appliquer, c'est celle qu'il faut appliquer pour les propriétés résidentielles. Alors que l'expert du Ministre a pris la superficie du bâtiment et du terrain, les a additionnées et a divisé le prix de vente par la superficie pour retrouver un taux unitaire de 300 $ le pied carré. À l'avis de monsieur Bourassa, il faut plutôt considérer pour chacune des transactions la valeur du terrain et celle du bâtiment.

[24]          Le deuxième témoin a été l'appelant. Quand il a acquis la propriété de 151041, il ne savait pas que SNAZZ ou 151041 étaient des débiteurs fiscaux. Il a expliqué comment s'était fait la remise de dette à 251 000 $. Il a eu une rencontre avec un agent aux comptes d'une banque à la suggestion de son avocat. Il lui a demandé quelle serait la valeur réelle d'un emprunt de 400 000 $ à 8 p. 100 s'il était payé immédiatement. La réponse qui lui aurait été faite est ce montant de 251 000 $. La compagnie qui était la propriété de sa femme avait besoin d'argent. Il lui a dit qu'il lui paierait immédiatement ce que valait le prêt.

[25]          L'appelant donne à peu près la même raison pour expliquer l'achat de la maison. Sa femme avait besoin d'argent pour son entreprise et, lui, avait de l'argent, alors il a acheté la maison. Il dit qu'il avait payé ce qu'elle valait à ce moment : il y a des maisons semi-attachées en face et dans les environs, et le fleuve, on le voit du troisième étage, et dans ce troisième étage, on ne peut se tenir debout pour une grande partie parce que le toit est à angle.

[26]          Il a expliqué qu'en 1989, sa femme, Paulette Massicotte, avait acheté la maison pour un prix de 2 400 000 $. Elle était alors sur le point d'accoucher et c'est lui qui a signé le document pour elle (onglet 35, contrat d'achat par Paulette Massicotte en date du 6 mars 1989). Par la suite, elle a transféré la propriété de la maison à 151041. À l'onglet 5 se trouve le transfert de Paulette Massicotte à 151041 de la propriété sise au 558 avenue Roslyn en date du 11 avril 1990. La propriété est décrite comme étant libre d'hypothèque. Le prix d'achat est de 1 $.

[27]          À l'onglet 6 se trouve le contrat de vente en date du 16 septembre 1991 de 151041 à l'appelant. La propriété est encore libre de toute hypothèque, le prix est de 1 025 000 $, une somme de 625 000 $ a été payée et il demeure une balance de 400 000 $ à être payée dans sept ans au taux d'intérêt de 8 p. 100 par année. L'acheteur accorde une hypothèque au vendeur égale à 20 p. 100 de la balance du prix de vente.

[28]          L'appelant a décrit les réparations qu'ils ont fait faire à la maison : le toit a été remplacé et des pièces ont été repeintes. L'ancien propriétaire, qui avait acheté cette maison en 1985, avait, lui aussi, fait des réparations. Il avait refait le garage, les salles de bain et la cuisine. Lors de l'achat en 1989, la maison était en bon état. Le vendeur lui a dit qu'il avait fait des réparations pour environ 600 000 $. Cependant, ils ont trouvé quand ils ont commencé à habiter la maison que l'isolation des murs n'était pas bien faite et que la facture du chauffage était extrêmement élevée. Quelques années par la suite, ils ont voulu faire l'isolation, mais on leur a dit que ce serait extrêmement difficile à faire. À l'interrogatoire préalable, il avait mentionné que le vendeur lui avait dit qu'il avait dépensé 1 000 000 $, mais en regardant plus attentivement tout ce qu'il a fait, l'appelant a de la difficulté à croire que ce montant n'était pas gonflé. Dans le grenier, il y avait quatre petites chambres avec une salle de bain, au deuxième étage, trois chambres à coucher. Il y avait une salle de bain dans le sous-sol, une au rez-de-chaussée, deux à l'étage des chambres et une à l'étage du grenier. La piscine était déjà là quand la maison a été achetée et elle avait été installée par le propriétaire précédent. La piscine avait un fond en vinyle que l'appelant a dû changer après l'achat. La maison a été vendue le 2 avril 2001 pour 2 350 000 $ à des gens qui, comme eux, étaient tombés en amour avec la maison.

[29]          Monsieur Jean Martin, évaluateur agréé, a témoigné pour la partie intimée. Il est membre de l'Ordre des évaluateurs agréés depuis 1981. Il explique d'entrée de jeu que le troisième étage est un étage où il y a quatre chambres à coucher, dont une, a un foyer et où on peut très bien circuler. Ce sont des chambres de bonne grandeur.

[30]          Il a utilisé comme comparables des propriétés désirables, des propriétés de luxe. Il n'a pas pris une propriété simplement parce qu'elle était sur la même rue ou parce qu'elle a été vendue à une date spécifique. Monsieur Martin dit que s'il avait à faire un ajustement en ce qui concerne le prix du terrain, pour lui la valeur du terrain serait de 40 $ et non de 45 $, et dans le haut Westmount, le maximum serait probablement 60 $ mais pas 80 $.

[31]          Il a retenu deux indices, soit la valeur par pièce et la valeur par pied carré du bâtiment. La valeur par pièce retenue est de 61 800 $, soit celle de la rue Holton qui était la plus basse de ses comparables. La valeur par pièce de la propriété en question est le résultat de 61,800 $ x 15 pièces, soit une valeur de 927 000 $.

[32]          La valeur par pied carré du bâtiment est le résultat du prix de vente divisé par la superficie du bâtiment. Selon les résidences comparables qu'il a choisies, cette valeur moyenne est de 300 $. La valeur par pied carré de la propriété est de 300 $ x 5 760 pieds carrés, pour un résultat de 1 728 000 $.

[33]          La moyenne de ces deux résultats est de 1 327 500 $, ce qui est la valeur marchande de la propriété.

[34]          En contre-interrogatoire, il a dit qu'il avait évalué la propriété du 558 avenue Roslyn deux fois. La première fois, il est arrivé à la conclusion qu'elle valait 1 252 500 $ en date de septembre 1991. La deuxième fois, elle a été évaluée à 1 346 000 $. La cotisation de 227 500 $ est fondée sur la première valeur.

Arguments

[35]          L'avocat de l'appelant reprend son argument concernant l'affaire Nanini (supra), à l'effet qu'il ne peut y avoir de cotisations en cascade en vertu de l'article 160. Comme autre argument, l'avocat de l'appelant rappelle qu'en 1988, SNAZZ a payé un dividende à 151041. Au moment du paiement du dividende, SNAZZ avait des dettes fiscales pour les années 1986 à 1988. 151041 a été cotisé pendant l'année fiscale 1994. La vente de la maison par 151041 à l'appelant s'est produite dans l'année 1991 et la remise de la dette en 1993. L'avocat de l'appelant fait donc valoir que lorsque l'appelant a acheté la maison en 1991, 151041 n'avait pas encore été cotisée. Elle ne l'a été que deux ans après, soit en 1993. Elle n'était donc pas encore débitrice fiscale au moment du transfert.

[36]          L'avocate de l'intimée s'est référée à deux décisions de cette Cour où des cotisations en cascade avaient eu lieu et qui ont été acceptées comme validement faites, soit Zobay v. Canada, [1996] T.C.J. No. 1455 (Q.L.) et White v. Canada, [1994] T.C.J. No. 1042 (Q.L.). Dans cette dernière décision, au paragraphe 17 des motifs, il y a aussi l'explication qu'une dette fiscale existe avant même la cotisation qui vient la constater.

Conclusion

[37]          Le paragraphe 160(1) de la Loi se lit comme suit :

160(1)      Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance — Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes :

a)             son conjoint ou une personne devenue depuis son conjoint;

b)             une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c)              une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent :

d)             le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e)              le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i)             l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii)            le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

[38]          Malgré toute la déférence que j'ai pour le savant juge Tremblay, je ne peux le suivre dans sa décision Nanini (supra). Cette interprétation n'a pas été reprise par les juges de cette Cour. Le bénéficiaire d'un transfert peut devenir lui-même l'auteur d'un transfert sujet à l'application du paragraphe 160(1) de la Loi si au moment du deuxième transfert, il est lui-même débiteur fiscal soit de son propre chef ou en tant que débiteur solidaire avec le premier auteur.

[39]          En ce qui concerne le deuxième argument, soit que lors de la vente de la propriété par 151041 en septembre 1991, 151041 n'avait pas encore été cotisée et qu'ainsi elle n'était pas débitrice fiscale même si elle était déjà bénéficiaire de SNAZZ, il ne peut non plus être accepté. C'est un principe reconnu en droit fiscal que ce n'est pas la cotisation qui crée la dette fiscale mais l'application de la Loi. La cotisation ne fait que constater la dette. Ce qui compte, c'est que 151041, au moment du transfert qu'elle a effectué, ait été la bénéficiaire d'un transfert de la part de SNAZZ, qui elle-même au moment de ce transfert était une débitrice fiscale.

[40]          Je me réfère à cet égard aux propos du juge Garon de cette Cour dans Dauphinais c. Sa Majesté la Reine, 94 DTC 1148, à la page 1151, où il décrit la jurisprudence établie à cet égard :

En effet, la jurisprudence établit qu'une cotisation n'est qu'un moyen de procédure ou administratif établi pour la détermination de l'impôt payable. Les décisions dans les affaires Parsons et al v. M.N.R. (83 DTC 5329) et Dominion of Canada General Insurance Company v. The Queen (84 DTC 6197) appuient nettement cette conclusion.

De plus, la décision du juge Noël dans l'affaire Simard-Beaudry Inc. and Simard & Frères Cie Ltée ([1971] C.F. 396), va plus loin dans un sens en ce qu'elle établit que la cotisation ne fait que constater l'obligation de payer l'impôt sur le revenu car l'obligation fiscale elle-même est créée par la Loi. Le passage suivant du jugement du juge Noël est particulièrement au point:

[IL] me paraît être que l'économie générale de la Loi de l'impôt sur le revenu veut que ce soit le revenu imposable qui crée la dette du contribuable et non pas la cotisation ou une nouvelle cotisation. En effet, en principe, la dette existe dès le moment où le revenu est gagné et même si la cotisation survient une ou plusieurs années après que le revenu imposable est gagné, la dette est censée avoir pris naissance à ce moment. Les nouvelles cotisations émises ici, en date du 14 août 1969, pour un revenu gagné dans les années anté-rieures, me paraissent être, tout au plus, qu'une confirmation ou constatation des montants dûs pour ces années antérieures. La cotisation, en effet, à mon sens, ne crée pas la dette, mais ne fait, tout au plus, qu'en affirmer son existence.

Ce principe a été réitéré par la Cour d'appel fédérale dans la décision Riendeau et Sa Majesté la Reine (91 DTC 5416). La juge Stone s'exprime ainsi au nom de cette Cour :

Comme les décisions et les dispositions législatives qui ont été citées par le juge Cullen le montrent bien, c'est la Loi de l'impôt sur le revenu qui crée l'assujettissement à l'impôt, pas un avis de cotisation. L'assujettissement d'un contribuable au paiement de l'impôt est le même, peu importe que l'avis de cotisation soit erroné ou ne soit jamais expédié. ...

De ce qui précède, il est incontestable que la cotisation ne crée pas l'obligation ou la dette fiscale.

[41]          Il me faut conclure, selon les circonstances de fait ci-haut décrits, qu'au moment de la vente 151041 était débitrice fiscale même si elle n'avait pas encore été cotisée.

[42]          Donc, la cotisation dont l'appel porte le numéro 1999-1965(IT)G doit être confirmée. Pour les raisons données au paragraphe 12 de ces motifs, le montant de la cotisation doit être réduit à 144 222 $. L'appel est accordé sur cette base avec dépens en faveur de l'intimée.

[43]          En ce qui concerne la juste valeur marchande de la propriété en septembre 1991, je suis d'avis que la démarche suivie par l'évaluateur de l'appelant me paraît être celle qui est la plus adéquate pour estimer les propriétés résidentielles. Je crois qu'on ne peut pas se fonder exclusivement sur l'aspect désirable d'une demeure, mais qu'il faut aussi prendre en compte la valeur des terrains et le milieu environnant. Le site déterminera habituellement la valeur des terrains. L'homogénéité de l'environnement sera un facteur important dans la valeur totale d'une propriété résidentielle.

[44]          L'appel portant le numéro 1999-1749(IT)G est accordé, avec dépens en faveur de l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de décembre 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-1965(IT)G et 1999-1749(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Anthony Jurak et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    les 20 et 21 juin 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 17 décembre 2001

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelant :          Me Louis-Frédéric Côté

Avocate de l'intimée :          Me Valérie Tardif

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :       Me Louis-Frédéric Côté

                                Étude :     Mendelhson, Rosentzveig Schacter

                                                Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :                    Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

1999-1965(IT)G et 1999-1749(IT)G

ENTRE :

ANTHONY JURAK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus les 20 et 21 juin 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocat de l'appelant :                                   Me Louis-Frédéric Côté

Avocate de l'intimée :                                    Me Valérie Tardif

JUGEMENT

          L'appel, portant le numéro 1999-1965(IT)G, à l'encontre de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), dont l'avis est daté du 6 juin 1995 et portant le numéro 28006, est admis aux seules fins de réduire le montant de la cotisation à 144 222 $. Les frais sont en faveur de l'intimée.

          L'appel, portant le numéro 1999-1749(IT)G, à l'encontre de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi dont l'avis est daté du 6 juin 1995 et portant le numéro 28005 est accordé. Les frais sont en faveur de l'appelant.

Le tout selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de décembre 2001.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.


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