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Dossier : 2003-1632(EI)

ENTRE :

JOHN P. SEHOVIC,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

THE BEER MAN INC.,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 11 février 2004 à Toronto (Ontario).

Devant : L'honorable Michael J. Bonner

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :

Me Craig Maw

Agent de l'intervenant :

Jim Devlin

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel est admis, et la décision du ministre est annulée.

Signé à Calgary (Alberta) ce 10e jour de mars 2004.

« Michael J. Bonner »

Le juge Bonner

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de juin 2004

Joanne Robert, traductrice


Référence : 2004CCI176

Date : 20040310

Dossier : 2003-1632(EI)

ENTRE :

JOHN P. SEHOVIC,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

THE BEER MAN INC.,

intervenante.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bonner

[1]      L'appelant interjette appel d'une décision rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) selon laquelle l'emploi que l'appelant a occupé chez The Beer Man Inc. ( « Beer Man » ) du 2 janvier 2000 au 5 novembre 2001 n'était pas un emploi assurable. Le ministre a conclu que le contrat en vertu duquel l'appelant travaillait n'était pas un contrat de louage de services.

[2]      L'appelant a fait valoir qu'il était un employé de Beer Man. Ce doit être le cas, a-t-il dit, car en Ontario, une entreprise peut fournir des services de livraison d'alcool (comme ceux que Beer Man fournit) seulement si elle détient un permis, et l'autorité qui délivre les permis interdit aux entreprises titulaires de permis d'avoir recours à des conducteurs qui ne sont pas des employés de l'entreprise.

[3]      La question est de savoir si, pendant la période où il a travaillé pour Beer Man, l'appelant y occupait un emploi assurable.

[4]      Beer Man est intervenue dans l'appel en faveur de la décision du ministre. Jim Devlin, propriétaire de l'entreprise Beer Man, a témoigné au nom de celle-ci.

[5]      Beer Man fournissait des services de livraison, et, au cours de la période visée, l'appelant a travaillé chez Beer Man comme conducteur.

[6]      Le ministre a fait valoir que sa décision reposait sur certaines constatations de fait. Dans l'ensemble, ces constatations sont exactes et donnent un bon aperçu de la situation. Cependant, il est à noter que les points l) et m) sont en cause et que le point d), qui se rapporte à la nature de l'embauche de l'appelant par le payeur (Beer Man), est la question fondamentale à trancher. Voici les constatations :

[TRADUCTION]

a)          Le payeur est une entreprise qui fournit des services de messagerie et de livraison de diverses marchandises, y compris de l'alcool, des aliments, de petites fournitures et des colis, ci-après appelés les « fournitures » ;

b)          Les clients, ci-après appelés les « clients » , appellent le payeur pour commander les fournitures;

c)          Une fois qu'il a reçu la commande des clients, le payeur envoie des conducteurs livrer les fournitures aux clients;

d)          L'appelant a été embauché par le payeur pour livrer les fournitures aux clients;

e)          Une fois qu'il avait reçu les ordres du payeur, l'appelant achetait et payait les fournitures à livrer aux clients, puis recouvrait auprès de ceux-ci les sommes payées pour les fournitures et les frais de livraison;

f)           L'appelant touchait 65 % des frais de livraison;

g)          L'appelant utilisait son propre véhicule pour livrer les fournitures aux clients;

h)          L'appelant assumait tous les frais relatifs à son véhicule, y compris les frais d'assurance, de réparation et d'entretien;

i)           Le payeur fournissait à l'appelant une lampe de poche, une radio et des carnets de reçus, pour lesquels il faisait payer à l'appelant 4 $ par jour;

j)           L'entreprise du payeur était exploitée du lundi au vendredi, de 9 h à 22 h, le samedi, de 9 h 30 à 22 h, et le dimanche, de 11 h à 18 h;

k)          Dans l'ensemble, l'appelant faisait quatre quarts de travail par semaine;

l)           L'appelant n'était pas tenu de fournir les services lui-même pour le compte du payeur et pouvait trouver quelqu'un d'autre pour le remplacer;

m)         L'appelant n'était pas supervisé par le payeur;

n)          Le payeur ne fournissait pas de bureau ni de lieu de travail à l'appelant;

o)          Le payeur ne fournissait pas de régime de soins médicaux ni de régime de prestations à l'appelant.

[7]      Deux personnes ont témoigné à l'instruction de l'appel, c'est-à-dire l'appelant et Jim Devlin. Il est évident qu'ils se détestaient et qu'ils étaient disposés à permettre que leur aversion influence leurs témoignages.

[8]      À l'origine, l'entreprise de livraison était exploitée par l'appelant, sous le nom de « Arrow Express » . En 1997, l'appelant a vendu l'entreprise à Beer Man (ou peut-être à M. Devlin). Un résumé écrit plutôt sommaire de la convention de vente a été produit. En voici l'une des dispositions :

[TRADUCTION]

John Sehovic et Shauna Meyers[1] auront toujours la possibilité de travailler chez Arrow Express (pourvu que des quarts de travail soient disponibles sans qu'il ne soit nécessaire de mettre à pied des employés), à un ratio de rémunération de 35 % : 65 %.

[9]      L'appelant a produit un document d'information à l'intention des nouveaux conducteurs, qui lui aurait été remis au moment de son embauche chez Beer Man. Le document montre clairement que Beer Man se réservait le droit d'exercer un degré remarquable de contrôle à l'égard de la méthode de travail des conducteurs. Le document se lit en partie comme suit :

[TRADUCTION]

1.          Vous devez avoir un fonds de caisse de 100 $ pour commencer votre quart de travail. Vous devez vous assurer que vous avez de la monnaie pour un billet de 100 $ au début de chaque quart de travail.

2.          Nous avons des t-shirts ou des chandails obligatoires. Le seul chapeau que vous pouvez porter au travail est celui qui est fourni par la compagnie. Vous ne pouvez pas porter le chapeau au lieu du chandail. Le chandail est obligatoire pour chaque quart de travail. Vous pouvez porter les pantalons ou les shorts que vous voulez. Les seules exceptions sont les jeans coupés ainsi que les chemises ou les pantalons déchirés ou souillés. Comme vous êtes un représentant de la compagnie, vous devez vous présenter au travail dans une tenue respectable.

3.          Pas plus de 20 minutes et au moins 10 minutes avant votre quart de travail, vous devez nous envoyer un message radio ou nous appeler pour faire savoir que vous êtes prêt à partir. Lorsque vous êtes « prêt à partir » , cela signifie que vous portez votre uniforme, que vous avez votre fonds de caisse et que vous avez fait le plein de votre véhicule.

4.          Si le répartiteur vous dit de faire vos livraisons dans un certain ordre, vous devez respecter cet ordre. Il y a une raison pour cela. Habituellement, il y a des commandes plus anciennes que d'autres. Si nous ne vous indiquons pas d'ordre précis, vous devez commencer par le lieu de livraison le plus proche.

5.          Vous avez le droit d'avoir un passager dans le véhicule pendant votre quart de travail. Les passagers n'ont pas le droit de vous aider à prendre les marchandises et à les livrer ni d'envoyer des messages radio. Le seul moment où les passagers peuvent utiliser la radio est lorsque vous n'êtes pas à bord du véhicule et que nous essayons de vous joindre.

6.          Il est absolument interdit de tenir des propos grossiers sur les ondes de la radio.

7.          Vous pouvez faire des courses personnelles pendant votre quart de travail si nous n'avons pas de livraison pour vous pour le moment et que cela prendra quelques minutes seulement. Si vous pensez que nous ne pourrons communiquer avec vous pendant plus de cinq minutes, veuillez faire vos courses lors de vos jours de congé.

8.          Voici ce que vous devez avoir dans votre véhicule : un stylo, du papier, une carte routière (les cartes Map Art sont les meilleures) et, si vous voulez, une calculatrice.

9.          Peu importe depuis combien de temps vous habitez ici, vous devez avoir une carte routière. Il y aura toujours des rues que vous devrez chercher sur votre carte. Essayez d'abord de repérer la rue sur la carte, puis, si vous n'y arrivez pas, demandez au répartiteur de vous aider. En essayant de trouver la rue vous-même, vous gagnerez du temps et vous aurez plus de facilité à vous en souvenir la prochaine fois que vous aurez à vous y rendre.

10.        Lors de votre premier quart de travail, on vous dira quels sont les frais de livraison. Si vous n'êtes pas sûr, demandez au répartiteur.

11.        Si pour une raison ou pour une autre vous ne pouvez faire votre quart de travail, vous devez vous occuper de trouver un remplaçant. Le répartiteur doit être informé à l'avance de tout changement d'horaire.

12.        Si vous souhaitez vous absenter pendant votre quart de travail, vous devez d'abord en informer le répartiteur par radio, puis attendre sa réponse. Si vous devez vous absenter pendant plus de cinq minutes, veuillez nous fournir un numéro de téléphone où nous pourrons vous joindre.

13.        Lorsque nous vous disons de passer prendre une commande, vous devez nous informer par radio que vous avez bien reçu notre message. Vous devez aussi nous envoyer un message radio une fois que vous êtes passé prendre la commande. Vous devez nous envoyer un message radio lorsque vous avez livré TOUTES les commandes que nous vous avons attribuées. Lorsque vous utilisez la radio, veuillez d'abord écouter pour vérifier que personne d'autre n'est en train de parler.

14.        Si vous pensez que le répartiteur s'est trompé et a passé votre tour pour une commande, faites-lui savoir. Si c'est le cas, il corrigera son erreur. Ce genre d'erreur survient de temps à autre et n'est pas voulu.

Maniement et protection du matériel radio

•            Vous êtes responsable du matériel radio qui vous est prêté. Veuillez en prendre soin comme s'il vous appartenait; les radios coûtent environ 1 000 $ chacune.

•            Ne déposez aucune boisson près de la radio.

•            S'il y a du matériel qui est endommagé, N'essayez PAS de le réparer. Veuillez l'apporter au bureau pour faire faire les réparations nécessaires.

•            Débranchez le cordon d'alimentation et l'antenne si vous sortez la radio du véhicule.

•            N'accrochez pas votre micro au rétroviseur, car cela risque d'endommager les fils.

•            Pour ne pas endommager le cordon de l'antenne, veuillez l'accrocher à une porte ou à une fenêtre que vous n'utilisez pas.

•            Vous pouvez fixer la radio dans votre véhicule. Si vous préférez ne pas le faire, vous devrez nous rapporter le matériel radio quand vous serez en congé. Nous préférons que vous fixiez la radio dans votre véhicule, car cela réduit les dommages causés par l'usure. Si vous le faites, vous n'aurez pas à rapporter le matériel radio quand vous serez en congé.

[10]     La page suivante du document d'information donne un aperçu de ce sur quoi est fondé le point de vue de l'intervenant, selon lequel l'appelant était un travailleur indépendant. La page se lit comme suit :

                  

[TRADUCTION]

COMMISSION DES ACCIDENTS DU TRAVAIL

            Veuillez noter qu'étant donné que vous devez nous payer à la fin de votre quart de travail (plutôt que d'être payé par nous), vous êtes considéré comme un travailleur indépendant. Par conséquent, vous N'aurez PAS droit à des prestations si vous vous blessez au travail. Chaque conducteur est tenu de remplir un simple formulaire indiquant qu'il sait qu'il N'a PAS droit à ce genre de prestations par l'intermédiaire de la compagnie. Ce formulaire demeurera au dossier (personne n'en recevra de copie), à moins que vous n'essayiez de faire une demande de prestations.

            Vous pouvez prendre des dispositions pour verser de l'argent dans un régime d'assurance contre les accidents du travail, pour verser des cotisations d'AE et des cotisations au RPC, pour faire retenir de l'impôt sur votre paie, etc., mais cela relève de votre propre responsabilité!

[11]     Enfin, le document d'information énonce des directives précises à l'intention des conducteurs en ce qui concerne la livraison d'alcool :

[TRADUCTION]

Livraison d'alcool

            Nous ne fournissons pas de services aux personnes mineures!! La politique de la compagnie et celle de la Régie des alcools de l'Ontario exigent que nous demandions une pièce d'identité à toute personne qui semble être agée de moins de 25 ans. Si jamais vous livrez de l'alcool à une personne mineure, vous serez carrément congédié. De plus, nous ferons tout notre possible pour que des poursuites soient intentées contre vous dans toute la mesure permise par la loi. Si vous avez le moindre doute à propos de l'âge d'une personne, demandez-lui une pièce d'identité.

            Voici la procédure à suivre pour effectuer une livraison :

            Lorsque vous arrivez devant la porte, déposez l'alcool à côté de vous. Demandez l'argent au client et remettez-lui le bloc-notes pour qu'il le signe. Une fois que le client vous a donné l'argent et vous a rendu le bloc-notes, demandez-lui une pièce d'identité, si vous le jugez nécessaire. Si le client vous montre une pièce d'identité valide, écrivez le numéro (p. ex. le numéro de permis de conduire) dans votre bloc-notes et rendez la monnaie au client, de même que l'alcool. Si le client n'a pas de pièce d'identité, rendez-lui son argent MOINS les frais de livraison. C'est la seule façon de vous faire payer! Prenez l'alcool et allez-vous-en. L'alcool est récupérable; vous ne resterez pas « pris » avec. Tous les clients DOIVENT signer le bloc-notes lors de chaque livraison. C'est la personne qui reçoit l'alcool qui doit signer le bloc-notes. Pas de signature, pas de boisson, SANS EXCEPTION!!!!!! Vous devez vérifier que le client signe son nom au complet et non un pseudonyme, comme « Mickey Mouse » ou « John Doe » . Dans le bloc-notes, il y a une ligne que vous pouvez utliser pour inscrire ou faire inscrire le nom du client si jamais sa signature est illisible. Chaque bloc-notes que vous rapportez est examiné page par page. Si nous trouvons des signatures illisibles ou de faux noms, vous devrez retourner chez le client et corriger le problème. Il est donc important de bien vérifier la signature la première fois. Les formes d'identification acceptables sont mentionnées dans la vidéo de formation que vous devez regarder si vous êtes embauché les cartes d'identité à photo délivrées par un gouvernement. Nous acceptons les bouteilles vides quand nous faisons une livraison. Vous devez accepter les bouteilles vides en tout temps. Le seul moment où vous pouvez refuser les bouteilles vides est lorsque votre véhicule est plein ou, dans le cas d'un immeuble d'appartements, lorsque vous ne pouvez transporter toutes les bouteilles vous-mêmes jusqu'à l'entrée et que le client ne vous aide pas à le faire. Si le client est prêt à vous aider, vous devez prendre les bouteilles vides. Vous devez donner au client 2 $ par caisse de 24 bouteilles, 1 $ par caisse de douze bouteilles, et 0,50 $ par caisse de six bouteilles. Le reste, vous pouvez le garder pour avoir pris les bouteilles.

[12]     L'appelant a affirmé qu'après avoir vendu l'entreprise en 1997, il a commencé à travailler pour M. Devlin comme répartiteur. Plus tard, il est devenu conducteur. Il avait apparamment compris, au moment de son embauche, qu'il serait considéré comme un entrepreneur indépendant. L'appelant a expliqué qu'en tant que conducteur pour Beer Man : a) il utilisait son propre véhicule pour faire les livraisons; b) il avait obtenu sa propre assurance automobile; c) il se préparait un fonds de caisse de 200 $ avec son propre argent, qu'il utilisait pour acheter les marchandises commandées par les clients; d) il se présentait au bureau de Beer Man au début de chaque quart de travail ainsi qu'à la fin de son quart de travail pour remettre l'argent; e) il assumait le risque de perte des frais de livraison si le client n'acceptait pas la livraison ou si les marchandises qu'il transportait étaient volées; f) à la fin de chaque quart de travail, il payait des frais pour le matériel radio, dont le montant dépendait du nombre d'appels qu'il avait pris au cours de son quart de travail; g) une fois, il a été remplacé par Mme Meyer; h) il a produit ses déclarations de revenus pour les années d'imposition 2000 et 2001 en tant que travailleur indépendant parce qu'il « ne voulait pas provoquer des remous » .

[13]     Les éléments de preuve de Jim Devlin n'ont pas été très utiles. Il s'agissait en gros d'anecdotes qui, apparamment, allaient selon lui appuyer une conclusion selon laquelle les conducteurs de Beer Man étaient des entrepreneurs indépendants. M. Devlin a essayé de faire fi du document d'information à l'intention des nouveaux conducteurs en faisant valoir que c'était une directive qu'il avait établie pour lui seul. Il a dit que le document n'avait jamais été remis à quiconque. Il semble peu probable que M. Devlin se soit donné la peine de rédiger un tel document s'il n'avait pas l'intention de le distribuer aux nouveaux conducteurs. Compte tenu de la preuve prise dans son ensemble, je suis convaincu, peu importe si le document a été distribué ou non, que les modalités qui y sont énoncées constituent la base de la relation entre Beer Man et ses conducteurs.

[14]     Les conducteurs de Beer Man choisissaient les quarts de travail qu'ils voulaient faire selon une liste affichée par Beer Man de temps à autre.

[15]     M. Devlin a soutenu que les conducteurs avaient le droit d'engager des remplaçants pour faire les livraisons à leur place. Je ne suis pas convaincu que les conducteurs avaient un tel droit absolu. D'une part, les activités de Beer Man étaient réglementées par un organisme provincial qui insistait pour que les conducteurs regardent une vidéo de formation réalisée par cet organisme. D'autre part, il semblerait difficile d'imposer un uniforme ou un code vestimentaire à des remplaçants sélectionnés au hasard. Cela me porte à conclure que les remplaçants ne pouvaient être choisis que parmi le groupe existant des conducteurs de Beer Man visés au numéro 11 du document d'information à l'intention des nouveaux conducteurs.

[16]     L'arrêt de principe traitant de la distinction entre un contrat de services et un contrat de louage de services (emploi) est l'affaire 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59. Dans cette affaire, le juge Major a examiné les critères qui ont été appliqués dans la jurisprudence, y compris le critère de contrôle, le critère à quatre volets[2] et le critère d'organisation ou d'intégration. Il a conclu qu' « aucun critère universel ne permet de déterminer, de façon concluante, si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant » et a ajouté qu' « il faut toujours déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles » . Il a jugé que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations Ltd. c. Minister of Social Security, [1968] 3 All. E.R. 732, est convaincante. Aux paragraphes 47 et 48, le juge Major indique ce qui suit :

            Bien qu'aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l'employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses assistants, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu'à quel point il peut tirer profit de l'exécution de ses tâches.

            Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n'y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l'affaire.

[17]     Lorsque l'on examine de tels cas, il est également utile de se reporter au passage ci-dessous, tiré des motifs du jugement du président Jackett dans l'affaire Alexander v. M.N.R., 70 DTC 6006, à la page 6011 :

[...] D'une part, un contrat de travail est un contrat en vertu duquel une partie, le préposé ou l'employé, convient, pour une période déterminée ou un temps indéfini, et à temps complet ou à temps partiel, de travailler pour l'autre partie, le commettant ou l'employeur. D'une part, un contrat de louage de services est un contrat en vertu duquel une partie accepte d'effectuer pour une autre un certain travail très précis, stipulé au contrat. Un contrat de travail n'envisage ordinairement pas l'exécution d'un travail particulier mais stipule ordinairement, par contre, l'exécution d'un travail ou d'une tâche nettement délimitée et n'exige ordinairement pas que le contractant exécute personnellement quelque chose.

[18]     En appliquant les critères, on remarque d'abord que Beer Man avait le droit d'exercer un contrôle à l'égard de presque tous les aspects de la méthode de travail des conducteurs. Le document d'information est clair sur ce point.

[19]     Ensuite, il convient de souligner que les conducteurs n'avaient pas vraiment le droit d'engager des remplaçants pour faire le travail à leur place. Les conducteurs ne se trouvaient pas dans une position semblable à celle d'un homme d'affaires, comme un entrepreneur-électricien, un plombier ou un entrepreneur, qui a généralement le droit d'engager une personne compétente pour effectuer le travail qu'il a entamé.

[20]     Si l'on considère les critères de l'investissement, de la possibilité de profit et du degré de risque financier, il convient de noter que l'appelant était tenu de fournir, d'assurer et d'utiliser son propre véhicule, et ce, à ses propres frais et à ses propres risques. Les conducteurs devaient aussi payer les frais de location quotidiens exigés par Beer Man. Tous ces éléments de coût étaient considérables et, dans une certaine mesure, pouvaient être contrôlés par le conducteur. Les éléments financiers de l'entente laissent entrevoir l'existence d'un contrat de services.

[21]     En revanche, je constate que ce n'est pas l'appelant, mais plutôt Beer Man qui avait le droit de fixer les frais de livraison exigés aux clients. La part en pourcentage des frais de livraison qui revenait à l'appelant a été établie une fois pour toutes, semble-t-il, dans l'entente de 1997. Ainsi, Beer Man contrôlait un élément important de la source de revenus de l'appelant. Si l'appelant voulait augmenter ses revenus, la seule option qui s'offrait à lui était de faire plus de livraisons.

[22]     Je pense pouvoir dire que les indices découlant des éléments financiers de l'entente ne vont pas dans le même sens; par conséquent, ils s'annulent.

[23]     En règle générale, un entrepreneur indépendant est censé fournir et utiliser les outils dont il a besoin pour exécuter la tâche qui lui a été confiée. Dans le cas présent, comme il a déjà été mentionné, l'appelant fournissait son propre véhicule. De plus, compte tenu de l'arrangement de location conclu avec Beer Man, l'appelant se trouvait à fournir le matériel radio.

[24]     À mon avis, lorsque l'on considère l'arrangement dans son ensemble, il est évident que l'appelant travaillait pour Beer Man en vertu d'un contrat de louage de services. La principale responsabilité de l'appelant consistait à passer prendre les marchandises et à les livrer aux clients de Beer Man. L'appelant devait effectuer le travail lui-même, et Beer Man exerçait sur lui un degré élevé de contrôle à l'égard de la manière d'exécuter les fonctions. Les critères relatifs aux outils et aux éléments financiers ne montrent que vaguement qu'il s'agit d'un contrat de services, et, lorsqu'ils sont considérés dans le contexte de l'arrangement intégral, ils s'annulent. Le contrat était axé sur le temps et la main-d'oeuvre fournis par l'appelant. Celui-ci n'avait pas pour tâche de vendre des résultats sous la forme d'une multitude de livraisons individuelles. L'appelant était un employé de Beer Man.

[25]     Par conséquent, l'appel sera admis, et la décision du ministre sera annulée.

Signé à Calgary (Alberta) ce 10e jour de mars 2004.

« Michael J. Bonner »

Le juge Bonner

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de juin 2004

Joanne Robert, traductrice



[1]           Mme Meyers est la compagne de l'appelant.

[2]           Critère comprenant les quatre éléments suivants : (1) le contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) la possibilité de profit; et (4) le risque de perte, tels qu'ils sont énoncés dans l'arrêt Montrealv. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161, p. 169.

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