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2001-935(EI)

ENTRE :

NOËLLA POIRIER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

CHARLES-GUY LANGFORD

LES BATEAUX MADELEINE ENR.,

intervenant.

Appel entendu le 20 août 2001 aux Îles de la Madeleine (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelante :                                L'appelante elle-même

Avocat de l'intimé :                             Me Simon-Nicolas Crépin

          Pour l'intervenant :                     L'intervenant lui-même

JUGEMENT

L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


Date : 20011026

Dossier : 2001-935(EI)

ENTRE :

NOËLLA POIRIER,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

CHARLES -GUY LANGFORD s/n

LES BATEAUX MADELEINE ENR.,

intervenant.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]      Monsieur Charles-Guy Langford a comparu à titre d'intervenant, es-qualité d'employeur émetteur du relevé d'emploi à l'origine du présent appel.

[2]      Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 15 décembre 2000 concernant une prestation de travail effectué par l'appelante pour le compte et bénéfice de l'intervenant, son conjoint, du 19 juin au 14 juillet 2000.

[3]      Le travail décrit au relevé d'emploi a été exclu des emplois assurables à cause du lien de dépendance entre l'appelante et le payeur, conjoint de cette dernière, le tout conformément à la Loi sur l'assurance emploi, (la « Loi » ).

[4]      L'intimé s'est appuyé sur l'alinéa 5(2)i), le paragraphe 5(3) et sur l'article 93(3) de la Loi sur l'assurance emploi ainsi que sur les articles 251 et 252 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[5]      L'intimé a aussi conclu qu'il y avait eu un arrangement entre l'appelante et son conjoint dans le but de qualifier cette dernière aux prestations d'assurance emploi.

[6]      À l'appui de la détermination, l'intimé a pris pour acquis les faits suivants :

a)          Charles-Guy Langford exploitait depuis 20 ans une entreprise de construction de bateaux;

b)          le payeur exploitait son entreprise de construction de bateaux sur une base saisonnière d'avril à juin;

c)          Charles-Guy Langford est l'époux de l'appelante;

d)          le payeur avait un atelier situé à 75 pieds de la résidence du payeur et de l'appelante;

e)          pour l'année 2000, les revenus bruts du payeur totalisaient environ 20 000 $ soit la vente de 2 bateaux, un pour 6 200 $ et un autre pour 5 000 $, l'affilage de couteaux pour 5 000 $ et la vente d'accessoires de bateaux pour 1 000 $;

f)           pour l'année 2000, le payeur avait vendu ses 2 bateaux avant l'embauche de l'appelante, soit le 24 mai 2000 et le 13 juin 2000;

g)          l'appelante était enseignante à temps partiel à l'éducation aux adultes;

h)          pour la période en litige, l'appelante avait été embauchée comme secrétaire et réceptionniste;

i)           les tâches de l'appelante consistaient à répondre au téléphone et à la correspondance;

j)           le téléphone du payeur était le même que celui de la résidence;

k)          le payeur n'avait jamais, avant la période en litige, embauché une secrétaire;

l)           le payeur accomplissait les tâches de l'appelante avant et après la période en litige;

m)         l'appelante recevait une prétendue rémunération brute de 400 $ par semaine de travail, soit 10 $ l'heure pour 40 heures;

n)          l'appelante était prétendument rémunérée en argent liquide;

o)          en réalité, sauf pour des reçus signés par l'appelante, il n'y a pas de preuve du versement du salaire à l'appelante;

p)          le 18 août 2000, le payeur émettait un relevé d'emploi à l'appelante pour la période commençant le 19 juin 2000 et se terminant le 14 juillet 2000 indiquant 160 heures assurables et une rémunération assurable totale de 1 600 $;

q)          pour l'année 2000, l'appelante avait obtenu de la Commission Scolaire des Îles, deux relevés d'emploi qui totalisaient 284 heures assurables;

r)           l'appelante avait besoin de 420 heures assurables pour se qualifier à recevoir des prestations d'assurance emploi;

s)          compte tenu des faibles revenus du payeur et de la nature des opérations, l'emploi de l'appelante était un emploi de complaisance;

t)           le payeur et l'appelante ont conclu un arrangement afin de qualifier l'appelante à recevoir des prestations d'assurance emploi.

[7]      En début de l'audition, l'appelante et son conjoint intervenant, ont exprimé de fortes récriminations sur la façon dont ils avaient été traités lors de l'étude de leur dossier. Ils ont ainsi soutenu avoir été l'objet de discrimination, à certaines occasions; à d'autres, selon leur témoignage, ils ont dû composer avec l'indifférence totale et l'absence de collaboration.

[8]      Après avoir fait état de leurs critiques et griefs très sévères, l'appelante a expliqué qu'elle travaillait généralement à temps partiel comme enseignante aux adultes pour le compte et bénéfice d'une commission scolaire.

[9]      En l'an 2000, elle avait accumulé 284 heures assurables à l'emploi de la Commission Scolaire des Îles, des suites de quoi un relevé d'emploi fut émis, lequel ne permettait pas qu'elle touche des prestations d'assurance emploi.

[10]     Elle a soutenu que le nombre d'heures manquantes pour se qualifier aux prestations n'avait pas été un facteur déterminant à l'origine de son acceptation de travailler pour son conjoint. Selon elle, seuls les besoins de l'entreprise expliquaient son embauche.

[11]     Elle a expliqué que ses tâches, durant la période en litige, avaient consisté à répondre au téléphone, s'occuper de la correspondance, faire les commandes, répondre aux clients, assumer les différentes tâches relatives à la paperasse et la comptabilité.

[12]     À la fin de la période, soit le 14 juillet 2000, un relevé d'emploi attestant 160 heures de travail fut émis, le tout ayant pour effet de qualifier l'appelante aux prestations d'assurance emploi.

[13]     Des suites de l'émission du relevé d'emploi, elle a indiqué avoir attendu six semaines avant de soumettre sa demande de prestations. Sa demande fut suivie de l'émission de quelques chèques après quoi, elle a fait une demande pour recevoir également les prestations auxquelles elle aurait eu droit si elle avait présenté sa demande dans les délais prescrits.

[14]     Des suites de cette demande, les prestations ont cessé et une demande pour récupération des prestations déjà versées lui a été envoyée, à laquelle fut ajoutée une sévère pénalité de 801 $ (pièce A-4), ainsi que l'ajout de plusieurs heures au nombre d'heures requises pour se qualifier à nouveau aux prestations dans le futur. Le tout a eu pour effet de disqualifier sa demande à la suite d'un rappel par son ex-employeur, la Commission Scolaire des Îles.

[15]     La preuve a aussi révélé que l'appelante et son conjoint avaient voulu obtenir des informations relativement au statut de l'appelante face à l'assurance emploi, cela ressort clairement du contenu de la lettre en date du 11 juillet 2001 qui se lisait comme suit : (pièce A-2)

...

Faisant suite à notre conversation téléphonique de cet après-midi, la présente est pour savoir, si en tant qu'employeur, je dois soustraire les cotisations à verser à l'assurance emploi pour mon épouse? Elle travaille depuis quatre semaines comme secrétaire réceptionniste, avec un horaire de 40 hres/semaine; et ce, au bureau de la compagnie. Je tiens à préciser qu'elle n'a pas de part dans cette compagnie.

            J'apprécierais recevoir une réponse, cette semaine car les déductions doivent être versées vendredi le 14 juillet.

...

[16]     Monsieur Jean-Claude Favron, agent des enquêtes au ministère du Développement des ressources humaines Canada « Ministère » , a d'ailleurs confirmé que l'appelante et son conjoint intervenant avaient bel et bien semblé de bonne foi et avaient voulu connaître l'étendue de leurs droits et obligations face à l'assurance emploi, suite aux tâches effectuées par l'appelante pour le compte et bénéfice de son conjoint.

[17]     Monsieur Langford, a mentionné que l'enquête découlant de la demande de révision avait été très sommaire; qu'il a évalué à quelques minutes la durée de l'entrevue téléphonique, seule initiative à leur connaissance à l'origine de la détermination faisant l'objet du présent appel.

[18]     Bien que le législateur ait exclu des emplois assurables, tout travail effectué par une personne ayant un lien de dépendance avec son employeur, il a aussi prévu que l'exclusion pouvait être écartée et le travail devenir assurable si, à la suite de l'évaluation et analyse de toutes les conditions, modalités et circonstances, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) arrivait à la conclusion qu'il s'agissait d'un contrat de travail semblable et comparable à celui qui aurait été conclu par des personnes n'ayant aucun lien de dépendance entre elles.

[19]     L'analyse et évaluation s'inscrivent dans le cadre du pouvoir discrétionnaire que le législateur a confié au Ministre.

[20]     Or, ce Tribunal ne peut intervenir lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été adéquatement exercé. En d'autres termes, il est essentiel de démontrer, par une prépondérance de la preuve, que l'intimé a agi d'une manière arbitraire ou déraisonnable lors de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[21]     La preuve a aussi révélé que la grande majorité des faits pris pour acquis étaient véridiques; par contre, les conclusions énoncées aux sous-paragraphes s) et t) sont tout à fait inappropriées et déraisonnables.

[22]     L'intimé a-t-il exercé pour autant sa discrétion de manière irréprochable ou d'une manière juste ou équitable? Je ne le crois pas.

[23]     Les sous-paragraphes s) et t) illustrent de manière très claire des sentiments indicatifs à l'endroit de l'appelante. Cette sévérité ressort également du contenu de la pièce A-4 faisant bel et bien partie du dossier de l'appelante. Ni son témoignage, ni celui de l'intervenant, ni au surplus le témoignage de monsieur Favron, agent responsable de l'enquête au premier niveau, seule personne ayant fait une enquête sur le terrain, ne permettent ou ne justifient de conclure, comme il l'a été fait dans cette lettre, que l'appelante a fait sciemment une fausse déclaration, des suites de quoi une pénalité de 801 $ a été ajoutée au trop payé de 1 187 $.

[24]     La sévérité de la pénalité est carrément déraisonnable, eu égard aux circonstances et la preuve alors disponible. Il s'agit d'un élément largement suffisant, quant à moi, démontrant une malice à l'endroit de l'appelante, ou tout au moins des sentiments défavorables à un traitement objectif de son dossier.

[25]     La sévérité de la pénalité explique sans l'ombre d'un seul doute l'absence de collaboration dont ont bénéficié l'appelante et son conjoint, lors du traitement de leur dossier. Rien dans la preuve ne permettait, ni ne justifiait une réaction aussi disproportionnée à des faits qui n'avaient dans les circonstances rien d'anormal.

[26]     La preuve a révélé que l'appelante n'avait pas suffisamment d'heures pour avoir droit aux prestations d'assurance emploi. Son conjoint exploitait une petite entreprise et il était tout à fait légitime, raisonnable de penser obtenir les heures manquantes en travaillant pour l'entreprise de ce dernier.

[27]     La prépondérance de la preuve est à l'effet que l'appelante n'a pas bénéficié d'une enquête judicieuse, raisonnable et appropriée, d'où je m'attribue le droit de réévaluer les faits.

[28]     La preuve a révélé que l'intervenant était propriétaire d'une très petite entreprise ayant eu dans le passé et à quelques reprises seulement, un employé, et ce pour de très courtes périodes. Il a été aussi démontré que la construction de bateaux s'effectuait sur une période très précise de l'année, à savoir spécifiquement au cours de la période hivernale. Les revenus de l'entreprise étaient marginaux et ne justifiaient de toute évidence pas l'embauche d'une personne, à un moment où la période de construction de bateaux était à peu près terminée, et cela de l'aveu même des intéressés. Au moment de la période en litige, l'intervenant avait et pouvait avoir la disponibilité pour accomplir les tâches décrites par l'appelante, d'autant plus qu'il exécutait ce travail lorsque l'appelante n'était pas disponible.

[29]     L'appelante n'avait pas, selon son propre témoignage, les connaissances pour conseiller, orienter et répondre aux clients, dont les besoins et préoccupations étaient très techniques. Le payeur intervenant avait ou devait avoir la disponibilité pour exécuter le travail décrit par l'appelante.

[30]     La preuve a aussi établi que l'appelante a été payée en argent comptant. Je comprends qu'il n'y a pas d'obligation pour un employeur de payer ses employés par chèque. Cependant, il est très malhabile de rémunérer une personne, dont le statut peut s'avérer problématique et faire l'objet d'une analyse serrée quant à l'existence d'un véritable contrat de louage de services, en argent comptant surtout si les faits et circonstances soulèvent déjà certains soupçons.

[31]     De façon globale, je ne crois pas qu'un tiers dans les mêmes circonstances aurait bénéficié d'un contrat de travail à peu près semblable. À la lumière de la preuve, je crois que l'appelante a effectivement pu exécuter un travail pour le compte et bénéfice de son conjoint. Je ne crois cependant pas que le travail ait été aussi intense et assidu que la description indiquée au relevé d'emploi. Les explications quant aux modalités de paiements, quant à la pertinence et justification de la durée de l'emploi n'ont pas été très convaincantes et certainement pas suffisantes pour relever le fardeau de la preuve qui leur incombait.

[32]     Conséquemment, je suis d'avis que la prépondérance de la preuve, dont le fardeau incombait à l'appelante, n'a pas établi qu'un contrat de travail semblable aurait pu exister n'eut été du lien de dépendance. En d'autres termes, je crois que l'entente de travail a été façonnée par la considération de plusieurs ingrédients n'ayant rien à voir avec ceux qui doivent constituer un véritable contrat de louage de services. Un véritable contrat de louage de services origine essentiellement du besoin fondamental de l'entreprise de faire exécuter une prestation de travail par une personne qualifiée, moyennant une rémunération conforme au marché pour la durée requise par le besoin.

[33]     En l'espèce, les faits n'ont rien d'exceptionnels et surviennent très fréquemment, particulièrement lorsqu'une personne est privée de recevoir des prestations à cause du nombre insuffisant d'heures assurables.

[34]     Lorsqu'une telle personne compte parmi les siens le propriétaire d'une entreprise, il n'est pas illégal d'envisager exécuter un travail moyennant une rémunération pour obtenir les heures manquantes, en autant toutefois que cela ne soit pas un stratagème.

[35]     Lorsqu'une entreprise n'a pas un réel besoin de main d'oeuvre, elle n'embauche pas, même s'il s'agit d'un parent immédiat. Si une entreprise a un besoin réel, elle embauche pour la durée de son besoin à un salaire qui correspond à la qualité et quantité de travail exécuté requis; rien de plus et rien de moins.

[36]     Tout contrat de travail qui ne répond pas à ces critères rigides de nature essentiellement économique, a de forte chance de ne pas être reconnu comme un véritable contrat de louage de services.

[37]     En l'espèce, la prépondérance de la preuve n'a pas démontré qu'il s'agissait d'un contrat de louage de services, puisque le travail exécuté par l'appelante n'était absolument pas essentiel et fondamental à la bonne marche de l'entreprise. Cette dernière avait une capacité très réduite de payer la rémunération. Les faits et circonstances ayant entouré l'exécution du travail militent fortement pour une conclusion à l'effet qu'il s'agissait d'un emploi de convenance, ce qui ne veut pas dire pour autant que l'appelante n'ait effectué aucun travail.

[38]     Cette même prépondérance de la preuve n'a cependant jamais établi que l'appelante et son conjoint s'étaient concertés dans le but d'agir illégalement. Le contenu de la lettre en date 11 juillet 2000 réfute totalement cette interprétation.

[39]     Conséquemment, il n'y avait pas lieu de pénaliser l'appelante, d'où je recommande très fortement que son dossier fasse l'objet d'une révision administrative pour qu'il soit tenu compte de cette absence de mauvaise foi et de ce qui m'apparaît être une exagération grossière, eu égard aux faits et circonstances entourant ce dossier.

[40]     Je suis cependant conscient que cette recommandation déborde la juridiction qui m'est attribuée, ce qui m'empêche de pouvoir conclure de manière coercitive.

[41]     L'analyse des faits permettant de conclure que des tiers n'auraient pas conclu un contrat de travail semblable, bien que justifiée et appropriée, ne permet pas automatiquement de conclure à la mauvaise foi, à la concertation et à l'abus justifiant de lourdes pénalités. En l'espèce, les faits ne justifiaient aucunement les pénalités imposées, très révélatrices cependant de l'approche retenue.

[42]     Pour ce qui est du bien-fondé de l'appel, il doit être rejeté puisque la prépondérance de la preuve n'a pas démontré que des personnes sans lien de dépendance auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :       2001-935(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Noëlla Poirier et MRN

et Charles-Guy Langford s/n

Les bateaux Madeleine Enr.

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Îles de la Madeleine (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 20 août 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable Juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                    le 26 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                       L'appelante elle-même

Avocat de l'intimé :                    Me Simon-Nicolas Crépin

Pour l'intervenant:                      L'intervenant lui-même

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Pour l'intimé :                            Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

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