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Dossier : 2001-3451(GST)G

ENTRE :

JOSEPH RIBKOFF INC.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu les 2, 3, 4 décembre 2002

et le 19 février 2003 à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Avocat de l'appelante :

Me Louis Tassé

Avocat de l'intimée :

Me Gérald Danis

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise concernant la période du 1er octobre 1993 au 31 octobre 1997, dont l'avis est daté du 15 décembre 1999 et qui porte le numéro T99-B-0082, est accordé, avec dépens en faveur de l'appelante, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal (Québec) ce 12e jour de juin 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


Référence : 2003CCI397

Date : 20030612

Dossier : 2001-3451(GST)G

ENTRE :

JOSEPH RIBKOFF INC.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]      Il s'agit d'un appel d'une cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ). Cette cotisation porte le numéro T99-B-0082 et concerne la période du 1er octobre 1993 au 31 octobre 1997.

[2]      Avant l'audition de cette affaire, le 28 novembre 2002 les parties ont produit à la Cour les admissions des parties. Le document est long mais il est important. On y lit à la fin les questions en litige. Voici ces admissions et questions en litige :

A.         Admissions conjointes

1)          L'avis de cotisation en litige fut émis le 15 décembre 1999 et porte le numéro T99-B-0082 pour les périodes de déclaration du 1er octobre 1993 au 31 octobre 1997.

2)          L'appelante a été cotisée pour un montant de 150 600,38 $, lequel se détaille comme suit :

Crédit de taxe sur intrants refusés :

78 912,45 $

Pénalité (art. 280 LTA) :

29 144,48 $

Pénalités (art 285 (LTA) :

19 728,11 $

Intérêts :

22 814,94 $

Montant dû selon la cotisation :

150 600,38 $

3)          Les crédits de taxe sur intrants ( « CTI » ) refusés à l'égard de chaque entreprise se détaillent comme suit :

SOUS-TRAITANT

CTI refusés

3093-5951 Québec inc

14 348,16 $

9004-3795 Québec inc

19 787,33 $

9007-6779 Québec inc

12 313,59 $

9020-1781 Québec inc

14 644,05 $

9020-1181 Québec inc

5 694,09 $

Chau Kim Choy enr. (Confection CKC)

2 823,66 $

3178447 Canada inc

2 797,76 $

Confection CNC

4 930,90 $

DKV

1 572,90 $

Total :

78 912,45 $

4)          À moins que la Cour canadienne de l'impôt ne vienne à la conclusion que les dispositions du paragraphe 298(4) LTA sont applicables, les périodes de déclaration suivantes sont prescrites au sens du paragraphe 298(1) LTA :

31 octobre 1993

2 649,57 $

31 novembre 1993

4 586,08 $

31 décembre 1993

2 866,04 $

31 janvier 1994

2 515,17 $

28 février 1994

1 731,31 $

31 mars 1994

2 659,79 $

30 avril 1994

2 883,16 $

31 juillet 1994

26, 18 $

31 août 1994

3 008,77 $

30 septembre 1994

1 950,37 $

31 octobre 1994

3 829, 07 $

30 novembre 1994

1 674,82 $

31 décembre 1994

1 602,93 $

31 janvier 1995

2 950,43 $

28 février 1995

1 312,61 $

31 mars 1995

3 503,78 $

30 avril 1995

3 005,45 $

31 mai 1995

2 214,01 $

30 juin 1995

2 140,40 $

31 juillet 1995

144,15 $

31 août 1995

3 496,52 $

30 septembre 1995

3 094,35 $

31 octobre 1995

3 275,18 $

Total :

57 120,14 $

5)          Vu les admissions des parties, la pénalité de 19 728,11 $ imposée en vertu de l'article 285 de la Loi sur la taxe d'accise doit être annulée.

B.         Admissions de l'appelante

            Après discussion entre les parties et sous réserve des admissions de l'intimée, l'appelante admet, et ce, exclusivement aux fins du présent appel, ce qui suit :

6)          elle ne sait pas si les fournisseurs du paragraphe 3 auraient confié eux-mêmes les contrats de confection de l'appelante à d'autres sous-traitants;

7)          que la société 9020-1181 Québec inc n'a jamais existé;

8)          que malgré des visites d'inspection par les employés de l'appelante à des endroits où des vêtements étaient confectionnés, l'appelante ne sait pas si les lieux visités auraient été tenus ou opérés personnellement par les fournisseurs en litige.

            Sans admission quant à sa connaissance desdits faits, l'appelante ne conteste pas et ne présentera aucune preuve pour contredire les allégués suivants de la Réponse à l'avis d'appel :

9)          les paragraphes 19, 23, 24, 26, 27, 28, 29, 30, 31 et 32 de la Réponse à l'avis d'appel;

10)        les alinéas 25(a), 25(b), 25(c), 25(d), 35(f), 35(k), 35(l), 35(m), 35(o), 35(q), 35(r) et 35(s) de la Réponse à l'avis d'appel.

C.         Admissions de l'intimée

            Après discussion entre les parties et sous réserve des admissions de l'appelante, l'intimée admet, et ce, exclusivement aux fins du présent appel, ce qui suit :

11)        que selon les pièces justificatives qui furent présentées à l'intimée relativement aux fournisseurs du paragraphe 3, l'appelante a effectivement remis des chèques en paiement desdites factures, incluant les taxes en vertu de la LTA et de la LTVQ, et que lesdits chèques furent encaissés;

12)        qu'elle n'a aucune preuve que l'appelante aurait su que les fournisseurs en litige auraient été ou non des sociétés ou entreprises dites « bidons ou sur papier » au sens du paragraphe 19 de la Réponse à l'avis d'appel;

13)        qu'elle n'a aucune preuve que l'appelante savait que l'émetteur des factures en litige n'aurait pas été le prestataire des services facturés et payés;

14)        que des travaux de confection de vêtement ont réellement été effectués pour l'appelante par des tiers, mais sans que le ou les tiers auteurs et fournisseurs des travaux ne soient identifiés;

15)        qu'elle n'a aucune preuve que l'appelante aurait reçu quoi que ce soit à titre de ristourne, rabais, diminution de prix ou avantage en provenance de tiers ou provenant des fournisseurs en litige, et ce, relativement aux fournitures et aux CTI en litige;

16)        qu'elle n'a aucune preuve que l'appelante aurait eu des employés « au noir » ou qu'une partie du salaire versé à ses employés n'aurait pas fait l'objet des déductions à la source appropriées;

17)        qu'elle n'a aucune preuve que l'appelante aurait participé de façon active au stratagème mentionné aux paragraphes 17 à 21 de la Réponse à l'avis d'appel.

D.         Questions en litige

18)        Sous réserve de l'application du paragraphe 4 de l'article 298, est-ce que les périodes du 31 octobre 1993 au 31 octobre 1995 sont prescrites au sens du paragraphe 1 de l'article 298 de la Loi sur la taxe d'accise?

19)        Version suggérée par l'intimée : Dans le cadre du calcul de sa taxe nette, est-ce que l'appelante peut réclamer les CTI indiqués au paragraphe 3 des présentes, et ce, même si lesdites entreprises n'ont pas effectué les services ou travaux de couture?

            Version suggérée par l'appelante : Est-ce que l'appelante peut réclamer les CTI à l'égard des montants qu'elle a payés aux fournisseurs en litige, même si lesdits fournisseurs n'auraient pas effectué personnellement les services ou travaux de couture?

20         Dans la négative, est-ce que l'appelante est passible des pénalités imposées en vertu de l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise?

...

[3]      Les témoins de l'appelante ont été monsieur Robert Orsini, madame Michèle Méthot et monsieur Joseph Ribkoff. Ceux de l'intimée ont été madame Elfriede Gebhard, monsieur Gilles Bernard, monsieur Alain Comeau, madame Rachel Belzile, madame Cheng Ai, monsieur Kwok Wai Chan, madame Hui Zhen Feng et monsieur Johnson Sui Yin Kwok.

[4]      Monsieur Robert Orsini est gérant adjoint à la production. Il a expliqué le mode normal de la production. L'appelante confie habituellement les travaux d'assemblage des vêtements à des entreprises externes. La coupe des tissus peut être faite à l'externe comme à l'interne. La couture des échantillons est habituellement faite dans l'atelier de l'appelante.

[5]      L'appelante a quatre ou cinq designers qui voyagent à travers l'Europe et les États-Unis pour découvrir les nouveaux styles et les tissus. Elle a 25 démarcheurs. L'appelante emploie 150 à 200 employés.

[6]      La sélection des entrepreneurs se fait soit à la suite d'une proposition de leur part ou par le dépistage fait par l'appelante. L'appelante cherche à connaître les gens qui font du travail pour les autres maisons de vêtements de qualité. Une employée du groupe du contrôle de la qualité vérifie le travail fait sur quelques vêtements et donne son approbation. Cette personne se rend aussi dans le lieu de travail des entreprises pour en vérifier la propreté et la qualité de l'équipement.

[7]      L'appelante ne travaille pas toujours avec les mêmes entrepreneurs. Il y a des temps forts et d'autres plus calmes. De 1993 à 1997, l'appelante a fait affaires avec 265 entrepreneurs incluant les neuf entrepreneurs litigieux.

[8]      L'appelante a déposé comme pièce A-1 trois volumes de documents contenant 25 onglets. Le témoin s'est référé à la dixième feuille de l'onglet 11 pour donner un exemple d'un bon de commande. Ce bon est rempli chaque fois qu'un entrepreneur vient ramasser les tissus coupés pour la couture des vêtements. Le bon est signé par la personne qui vient faire la cueillette pour l'entrepreneur. On y indique la quantité de vêtements à faire, qu'un échantillon a été remis, le détail des boutons et tout autre renseignement nécessaire pour la confection des vêtements en question. Ce bon indiquait « Van » comme entrepreneur.

[9]      Le témoin explique au même onglet 11 un document intitulé « Rapport quotidien de réception » . Ce document sert à inscrire le nombre de vêtements livrés par l'entrepreneur. Un employé de l'appelante compte les vêtements et remet une copie du rapport à celui qui a livré les vêtements et une autre copie à la division de la comptabilité de l'appelante.

[10]     Avant que les vêtements ne soient livrés, une employée du groupe du contrôle de la qualité a inspecté les vêtements et, si elle est satisfaite, a signé un document d'approbation. Ce document doit être remis avec les vêtements lors de leur livraison.

[11]     La facture est faite à la suite de cette livraison de vêtements approuvés. Elle est faite au nom indiqué par l'entrepreneur. Le témoin admet qu'il arrive qu'une entreprise change de nom. Les raisons données sont habituellement des changements d'associés. Par exemple une personne peut donner comme explication qu'elle faisait affaires avec son frère et ne veut plus faire affaires avec lui.

[12]     Monsieur Orsini affirme qu'il n'était pas au courant à cette époque qu'il y avait un stratagème pour frauder le gouvernement. Il n'avait pas de raison de soupçonner ces entreprises. Elles fournissaient les papiers usuels et les places où elles faisaient affaires semblaient des endroits normaux pour ce genre d'entreprise.

Contre-interrogatoire

[13]     Monsieur Orsini relate qu'il est à l'emploi de l'appelante depuis 13 ans et a été dans l'industrie du vêtement depuis 17 ans.

[14]     C'est depuis 1990 que l'appelante utilisait les services de madame Levan. Monsieur Orsini est allé plusieurs fois au 9615 Papineau, local 390, la rencontrer. Il y avait là 15 à 20 machines pour différents types de couture et quatre machines à presser de bonne qualité. C'est le seul endroit où il l'a rencontrée. L'appelante ne travaille plus avec madame Levan car en 1997, celle-ci a fermé son entreprise. À cette adresse, il y a toutefois d'autres entrepreneurs dans la confection de vêtements.

[15]     Madame Levan venait aux lieux de l'appelante pour connaître le style du vêtement à coudre. L'entente sur le prix était verbale. Par la suite, ce n'est pas elle qui venait chercher les pièces à assembler. Elle envoyait un manutentionnaire. Sur les documents accompagnant les pièces à être assemblées le prix à l'unité se trouvait indiqué. La livraison des vêtements confectionnés se faisait tel que précédemment décrit. Une facture accompagnait la livraison.

[16]     Une des sociétés en litige est 9020-1781 Québec Inc. Les chèques de l'appelante faits à l'ordre de la société indique comme adresse le 9615 Papineau, local 390 (onglet 16 de la pièce I-3). Selon monsieur Orsini, l'appelante aurait fait affaires avec cette société de juin 1995 à mai 1996. Cela semble confirmé par les dépôts bancaires de cette société produits à l'onglet 12 de la pièce I-3.

[17]     La pièce I-3 révèle que cette société a été dûment constituée le 9 mai 1995, qu'une déclaration annuelle a été produite en 1995 auprès de l'inspecteur général des institutions financières, qu'une formule d'enregistrement pour les fins de la TPS a été produite auprès du Ministère du Revenu du Québec (le « Ministère » ) en mai 1995, qu'elle a été inscrite à partir du 17 mai 1995, qu'elle a obtenu un numéro de compte et qu'elle a fait des déclarations mensuelles jusqu'en décembre 1995.

[18]     Selon un document écrit d'une comptable agissant pour cette société, à chaque mois elle envoyait au Comité paritaire des vêtements pour dames une déclaration selon les renseignements fournis par le client (onglet 11 de la pièce I-3). À la demande du client au mois de mars 1996, elle a avisé le ministère que cette société avait cessé ses opérations le 30 novembre 1995.

[19]     Les chèques de l'appelante concernant une autre société litigieuse soit 9020-1181 Inc. indique comme adresse 3905 Isabelle, suite 105 (onglet 4 de la pièce I-2). Le témoin affirme que madame Levan n'a jamais été à cette adresse.

[20]     La facture paraissant à la page 14 de l'onglet 4 de la pièce I-2 est faite au nom de Création Bovary. Selon le témoin, il s'agissait d'une mère et d'une fille travaillant comme entrepreneures pour l'appelante. Le frère avait travaillé à l'emploi de l'appelante. Le reçu de réception est fait au nom de Levan. Le chèque est fait au nom de 9020-1181 Inc.

[21]     La pièce I-10 concerne la société 3178447 Canada Inc. Les chèques de l'appelante mentionnent comme adresse 1000 St-Antoine, local 701. Selon monsieur Orsini, le nom de la personne contact était « madame Bovary Bou » .

[22]     Monsieur Orsini déclare qu'en ce qui concerne la société 9007-6779 Québec Inc. (pièce I-4), l'appelante a fait affaires avec ce sous-traitant de mars 1995 à la fin de juillet 1995. La personne contact était madame Levan. L'adresse était le 9615 Papineau # 390 et les chèques de l'appelante mentionnent cette adresse.

[23]     Comme l'appelante avait beaucoup d'entrepreneurs, elle utilisait sur les documents de routine le nom de la personne contact comme Van ou Bovary plutôt que le nom d'une société à numéro qui n'aurait rien signifié.

[24]     Les questionnaires concernant les diverses sociétés litigieuses ont été remplis par monsieur Orsini. Il a eu l'information du bureau de la comptabilité de l'appelante et de la section de la production.

[25]     Le témoin a expliqué que madame Levan a fait du travail pour diverses sociétés. C'était elle qui établissait les factures. Ces factures étaient toujours approuvées par le directeur à la production de l'appelante, monsieur Morris Abrahams.

[26]     Monsieur Orsini savait que certains entrepreneurs utilisaient les services de sous-traitants alors que d'autres entrepreneurs faisaient tout dans leurs propres locaux.

[27]     En réinterrogatoire, monsieur Orsini a affirmé qu'il n'avait pas de raison de croire que madame Levan n'était pas derrière les corporations aux noms desquelles elle facturait. Les factures des sociétés litigieuses ont été au montant de un million de dollars sur un total de 51 millions de dollars.

[28]     Le deuxième témoin de l'appelante a été madame Michèle Méthot. Elle travaille chez l'appelante à titre d'agent de contrôle de la qualité. Elle a commencé à travailler en 1994. Son travail consiste à se rendre chaque matin chez les entrepreneurs où les vêtements sont assemblés et vérifier que les instructions soient respectées. Elle peut conseiller les entrepreneurs. Pour un contrat donné elle peut aller trois ou quatre fois chez l'entrepreneur.

[29]     L'avocat lui demande de regarder le document à la page 221 de la pièce I-5. Cette pièce concerne la société 9004-3795 Québec Inc. Il s'agit des instructions aux entrepreneurs. Le nom qui paraît en haut à gauche est Van. Pour madame Méthot, il s'agit de madame Levan où elle faisait le contrôle de la qualité au 9615 Papineau. Il y avait une dizaine de machines et 12 à 18 personnes. La gérante ou la propriétaire de l'entreprise était madame Levan. Il s'agissait d'une très bonne couturière.

[30]     Le même exercice est fait avec la pièce I-10 à la page 169, pièce concernant la société 3178447 Canada Inc. Le nom qui paraît est celui de madame Bovary. Selon madame Méthot, le local était situé sur l'avenue Mont-Royal. Il y avait huit machines et deux presses et de huit à dix employés. Le chèque pertinent paraissant à la page 121 fait au nom de la société 3178447 Canada Inc. porte l'adresse du 1000 St-Antoine, pièce 701. Elle n'est jamais allée à cette adresse.

[31]     Sa liste d'entrepreneurs varie entre 20 à 35 entrepreneurs et cette liste varie aux trois ou six mois. Elle n'a pas vu seulement les entrepreneurs en litige, elle en a vu plusieurs autres. Il n'y avait pas de différence de contrôle entre ceux qui ont été refusés et ceux qui ont été accordés. Sur sa liste, c'est souvent le nom de la personne en charge de la société qui est inscrit plutôt que le nom de cette société.

[32]     À la fin de la journée elle téléphone chez l'appelante pour indiquer quels sont les lots qui sont acceptés.      Elle donne sa feuille de vérification à l'entrepreneur quand le travail est terminé. Aucun lot ne peut être livré sans cette feuille.

[33]     En contre-interrogatoire elle admet qu'elle n'est jamais allée au 3905 Isabelle, suite 105, ni au 9087A Iberville, ni au 7512 Champagnard, Montréal, 4826 de Coutois, pièce 304 et le 1000 Saint-Antoine, pièce 701. Ces adresses sont les adresses des sièges sociaux de certaines sociétés litigieuses. Elle connaît bien le 3737 Crémazie : elle y va présentement pour plusieurs sous-traitants mais pas pour madame Levan.

[34]     Madame Elfriede Gebhard, vérificatrice à Revenu Québec a été le premier témoin de l'intimée. Elle a commencé son travail de vérification auprès de l'appelante en avril 1999. Il s'agissait d'une vérification restreinte au sens qu'elle n'a recherché que les transactions faites avec les entreprises litigieuses. Le montant des CTIs refusés est de 78 912,45 $.

[35]     La seule société non validement enregistrée aux fins de la TPS est la 9020-1181, elle portait le numéro d'un Club Price. Les autres étaient toutes inscrites, mais n'avaient pas fait les déclarations requises en conformité avec la Loi. Elles pouvaient cependant avoir fait quelques déclarations.

[36]     En contre-interrogatoire elle a confirmé qu'elle n'avait pas calculé la proportion des affaires faites avec les entreprises litigieuses sur toutes les transactions. Elle l'avait fait lors d'une vérification chez une autre entreprise et le Ministère lui avait dit cela n'avait pas d'importance que tout devait être refusé.

[37]     Monsieur Gilles Bernard, directeur du Bureau de lutte contre l'évasion fiscale (le « BLEF » ) a été le deuxième témoin de l'intimée. Monsieur Bernard est le directeur du BLEF depuis un an et demi. À l'époque, il était le chargé de projet.

[38]     Monsieur Bernard a relaté qu'il y a 25 ans, il y avait des entreprises avec des travailleuses salariées en usine. Maintenant, il y a peu de travailleuses salariées mais des travailleuses autonomes à domicile. Le BLEF a été créé principalement pour contrer les stratagèmes de l'évasion fiscale. Le plan de lutte aurait été annoncé dans le discours sur le budget de mai 1996.

[39]     Un document décrivant les modes possibles d'enquête dans l'industrie du vêtement a été produit à l'onglet 1 de la pièce I-1. Il est daté d'octobre 1996. Ce document mentionne comme prémisses que le travail clandestin est important dans le secteur et que les entrepreneurs utilisent fréquemment un accommodateur qui effectue de la fausse facturation. Les CTIs seront refusés s'il y a collusion entre le fournisseur et le donneur d'ouvrages.

[40]     Le témoin admet que l'entrepreneur à qui un contrat est confié n'a pas à l'exécuter lui-même. Dans le cas des sociétés litigieuses c'est le contexte normal des affaires qui fait défaut.

[41]     Le budget de 1996 a fait état de travail au noir dans l'industrie du vêtement. Mais ce n'est qu'après la période en litige que l'appelante et les autres manufacturiers de vêtements ont été mis au courant du stratagème établi au moyen de sociétés apparemment conformes.

[42]     Il a relaté que les autorités fiscales avaient mis en place une procédure afin de contrer la répétition d'un tel stratagème. Les mandataires dans l'industrie du vêtement doivent produire leurs déclarations de taxe de façon mensuelle depuis janvier 2002, au niveau de la TVQ. Les donneurs d'ouvrage doivent déclarer les contrats d'entreprise accordés durant le mois. Le Ministère va croiser l'information entre les donneurs d'ouvrage et les entrepreneurs pour une administration efficiente. À l'époque en litige, une société n'avait pas à produire sa déclaration avant un an. Elle pouvait faire de grands dommages.

[43]     Le témoin explique qu'au niveau de l'information que le Ministère peut fournir à des acquéreurs de services est d'indiquer si la société est enregistrée. Le service d'information du Ministère n'aurait pas le droit de dire si une société a un problème. Selon lui, c'est à l'acquéreur de services de s'assurer que la facture représente la vérité.

[44]     Monsieur Alain Comeau est enquêteur à Revenu Québec, Direction des enquêtes spéciales à Montréal. Son travail d'enquête a commencé en mai 1997.

[45]     Son témoignage a été long et détaillé. Pour les fins de la présente affaire, je vais en faire un bref résumé. Monsieur Comeau a décrit le système de fraude qui aurait été mis en place par monsieur Kwong Kwan Ma et madame Kam Suk Ma. Ces derniers ont procédé à l'incorporation des sociétés litigieuses. Ils utilisaient comme administrateurs des asiatiques souvent nouvellement arrivés au Canada qui ne comprenaient pas toujours leurs obligations en tant qu'administrateur d'une société. Les Mas leur faisaient signer les différents documents d'incorporation et bancaires. Que leur promettaient-ils, la preuve ne l'a pas révélé.

[46]     Monsieur Comeau a retracé les dépôts de ces sociétés litigieuses dans les comptes bancaires de ces sociétés et les retraits de ces sommes d'argent pour des bureaux de change soit Cofo et GSM et en dernier Mas Métal. Ce dernier bureau de change serait contrôlé par monsieur Ma. Monsieur Comeau ne croit pas que les deux autres bureaux de change aient intentionnellement participé à la fraude des Mas. Mas Metal contrôlait les mouvements de fonds des dix sociétés. Les sociétés avaient toutes un compte de banque à la Banque Royale et les adresses étaient généralement celles de monsieur et madame Ma.

[47]     Le témoin a mentionné que certaines sociétés ont fait quelques déclarations minimes. Elles se sont données des airs de légalité. La durée de vie de ces sociétés était d'environ neuf mois à un an.

[48]     Le témoin a confirmé qu'il n'avait pas rencontré monsieur et madame Levan, ni madame Bovary.

[49]     Madame Rachel Belzile est directeur de compte à la Banque Royale du Canada. Toutes les entreprises litigieuses avaient un compte de banque à sa banque. Elle avait remarqué que les dépôts provenaient de manufacturiers de vêtements. Elle était étonnée de ne pas voir de chèques de remise des taxes ni de chèques de paie. Au début de l'année 1996, elle a envoyé une lettre à chacune de ces entreprises demandant à rencontrer les dirigeants pour mieux connaître les activités de l'entreprise. À la suite de cette lettre, il n'y a eu que très peu de transactions dans les comptes et elle a pu fermer l'ensemble des comptes en novembre 1996.

[50]     Il y a eu par la suite le témoignage de quelques administrateurs des sociétés litigieuses. Madame Cheng Ai s'est décrite comme une femme à la maison vivant à Toronto. L'avocat de l'intimée réfère le témoin aux pièces I-10 et I-3 concernant les sociétés 3178447 Canada Inc. et 9020-1781 Québec Inc. Elle confirme que le numéro de sécurité sociale est le sien. Elle relate qu'un de ses amis lui a présenté monsieur Ma qui lui a offert d'être présidente d'une société. Ce qu'elle a accepté. Elle a signé les chèques que monsieur Ma lui apportait pour sa signature. Il l'a rencontrée à Toronto une fois par mois pendant six mois.

[51]     À l'onglet 10 de la pièce I-3 se trouve une déclaration de madame Cheng lors d'une entrevue avec monsieur Comeau. Cette entrevue avait eu lieu à Scarbourough, Ontario. Elle se souvient de cette entrevue et d'avoir signé la déclaration.

[52]     Monsieur Kwok Wai Chan est gérant de restaurant. L'avocat de l'intimée se réfère à la pièce I-5, concernant la société 9004-3795 Québec Inc. Il se rappelle qu'il était venu à Montréal pour établir une société à la demande de monsieur Ma et ouvrir un compte de banque. Il reconnaît sa signature à l'onglet 2 de la pièce I-5 sur un formulaire d'inscription pour la TPS. Il a signé à titre de président de la société. Le numéro d'assurance sociale est le sien. À l'onglet 6 de cette même pièce, il y a la déclaration de monsieur Chan à monsieur Comeau.

[53]     Madame Hui Zhen Feng s'est décrite comme femme au foyer. L'avocat s'est référé à la pièce I-6 concernant la société 3093-5951 Québec Inc. Elle se souvient d'avoir signé des chèques pour une société à la demande de monsieur Ma. Elle relate qu'elle est allée avec madame Ma ouvrir un compte de banque à Brossard. Elle a signé le formulaire d'inscription à la TPS paraissant à l'onglet 2 de la pièce I-6. La déclaration de madame Feng à monsieur Comeau est à l'onglet 4 de cette même pièce.

[54]     Monsieur Johnson Sui Yin Kwok est comptable à Montréal. Il se souvient d'avoir rencontré monsieur et madame Ma et d'avoir préparé des documents pour demander la constitution en société de quelques sociétés. Il indique qu'il a accepté sur une base temporaire que l'adresse de son bureau soit l'adresse par exemple de la société 3178447 Canada Inc. Cette adresse qui n'est plus l'adresse de son bureau actuel est le 1000 Saint-Antoine Ouest, suite 701.

[55]     Monsieur Joseph Ribkoff le président directeur général de l'appelante et son unique actionnaire a témoigné au début du jour des plaidoiries. Il n'avait pu assister aux trois jours d'audience pour cause d'une grippe grave. Il avait pu lire les notes sténographiques avant son témoignage.

[56]     Il a expliqué que l'appelante est en affaires depuis 46 ans. Lui-même est dans l'industrie du vêtement depuis 51 ans. L'appelante a environ 200 employés, à l'époque des événements, elle en avait environ 150.

[57]     Il s'est référé à la demande de son avocat au paragraphe 8 de l'Avis d'appel qui donne le montant des ventes pour les années 1993 à 1997 comme suit :

1993

31 822 314 $

1994

41 885 811 $

1995

61 265 936 $

1996

66 911 811 $

1997

62 023 297 $

[58]     Les états financiers de l'appelante se trouvent aux onglets 3 à 8 de la pièce A-1. Les montants ne sont pas contestés.

[59]     À une question de son avocat lui demandant s'il participait aux associations reliées à l'industrie du vêtement, il a répondu qu'il ne s'était jamais tellement mêlé à ces associations. Il n'a jamais non plus établi son entreprise près des lieux où se trouvaient en grande partie les autres manufacturiers.

[60]     Les locaux de l'appelante sont situés à Dorval, comme ils l'étaient à l'époque en litige.

[61]     De toutes ces années en affaires il n'a jamais eu de problèmes ni avec l'impôt ni avec les taxes. Il y a 14 ou 15 ans, il y a eu des cas assez répandus d'un stratagème d'achats de fausses factures. L'appelante a été vérifiée. Les vérificateurs ont constaté qu'elle n'avait pas participé à ce stratagème.

[62]     Monsieur Ribkoff considère que les cotisations dont son entreprise a été le sujet c'est la culpabilité par association. Il n'était pas au courant du stratagème en question. Ce n'est pas à lui à faire les enquêtes. Il s'agit d'une entreprise qui se conforme aux lois. Les paiements sont toujours faits par chèques. La préoccupation de l'entreprise est avec la qualité. Lui, sa tâche principale est de déterminer ce que sera le produit de demain et sa mise en marché.

[63]     Il ne participe pas au choix des entrepreneurs. Il ne connaît pas madame Levan. Ses employés ont agi de bonne foi en se fiant aux inscriptions du gouvernement à l'égard de ces entreprises. L'entreprise a facturé les sociétés selon les noms donnés par ceux qui ont rendu les services à l'appelante.

[64]     En contre-interrogatoire, il mentionne qu'il exerce un contrôle serré sur son organisation et qu'aucun employé ne participerait intentionnellement à des actions illégales.

Arguments

[65]     L'avocat de l'appelante fait d'abord noter que monsieur Ribkoff est outré qu'on l'associe à ce genre de fraude et ne peut comprendre qu'on lui demande de faire la police pour le gouvernement alors que c'est le gouvernement qui émet les numéros de TPS.

[66]     L'avocat rappelle que l'appelante est une société qui a un chiffre d'affaires très important, entre 30 et 65 millions de dollars pendant les années en litige. Elle fait affaires avec beaucoup d'entrepreneurs, soit environ 265. Tous les paiements sont faits par chèques. Tous les entrepreneurs faisaient l'objet de mesures de contrôle identiques. La proportion des entrepreneurs refusés par le Ministre est de 3 p. 100 et si l'on parle de l'aspect monétaire des travaux confiés à ces entrepreneurs la proportion de 2,2 p. 100.

[67]     Il rappelle aussi que l'appelante n'a jamais eu de problèmes de taxe de vente ou d'impôt en 45 ans et que son président, monsieur Ribkoff aurait congédié sur-le-champ tout employé qui aurait voulu participer à un stratagème quelconque.

[68]     Il fait noter que l'enquête relative au stratagème a duré plus de quatre ans et que les manufacturiers n'ont pas été mis en garde dès le début de l'enquête. Il rappelle que l'intimée a admis que l'appelante ne savait pas que les entrepreneurs étaient des sociétés de façade. Il n'y a aucune preuve que l'appelante ait eu un quelconque avantage que ce soit dans cette affaire.

[69]     L'avocat de l'appelante se réfère à l'onglet 3 du cahier A : un rapport préparé par le BLEF. À la page 11 de ce rapport se trouve l'analyse de l'enquêteur concernant la société 3093-5951 Québec Inc. où on lit la conclusion suivante : « ... Les contrats se seraient transigés par l'intermédiaire du président d'une autre entreprise (Couture Levan), M. LeVan Cuong, et le contrôle de la qualité aurait eu lieu dans les locaux de Couture LeVan, à tel point que les donneurs d'ouvrage croyaient que M. LeVan Cuong dirigeait les destinées de 3093-5951. ... »

[70]     L'avocat fait noter que cette même conclusion se trouve à l'égard de plusieurs des autres sociétés litigieuses.

[71]     L'avocat fait donc valoir que les agents du Ministre ont eux-mêmes constaté dans le cadre de leur enquête que les donneurs d'ouvrage quand ils faisaient affaires avec ces sociétés, pensaient que c'était monsieur Levan ou madame Levan qui les dirigeaient.

[72]     Il fait aussi noter que les agents d'enquête ont confirmé que les entrepreneurs se sont donnés une apparence de légitimité.

[73]     Il rappelle que la personne qui paye la taxe à un fournisseur ne peut savoir des autorités fiscales si ce fournisseur rend compte de la taxe qu'il perçoit. La seule information que la personne peut obtenir est de savoir si le numéro de TPS est valide ou non. La seule personne qui a le pouvoir d'enquête c'est l'intimée.

[74]     L'avocat fait valoir qu'il n'y a aucune preuve que la société n'ait pas été de bonne foi. Rien n'empêche une personne de faire affaires sous plusieurs noms ou d'avoir plusieurs sociétés. Les sociétés doivent rendre compte. Il faut se rappeler que si l'on demandait pourquoi changer de nom, on donnait comme explication que le frère ou l'associé voulait quitter l'entreprise. Comment un manufacturier qui fait affaires avec un entrepreneur, qui va sur les lieux de production, qui conclut des contrats, qui reçoit les vêtements, comment peut-il se douter qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond? Les entrepreneurs avec lesquels l'appelante faisait affaires étaient des inscrits. À l'époque les numéros étaient tous valides.

[75]     L'avocat fait aussi valoir qu'il n'y a eu aucune enquête spécifique concernant l'appelante.

[76]     Au niveau de la prescription, il s'agit de la période du 31 octobre 1993 au 31 octobre 1995. La partie prescrite représente un peu plus de 70 p. 100 de la réclamation totale des CTIs, soit 57 120 $ sur 78 912 $. Lorsque l'intimée veut ouvrir une année prescrite, l'intimée a le fardeau de prouver qu'il y a eu présentation erronée des faits par négligence, omission volontaire ou fraude. Ce n'est pas le cas ici. Il n'y a eu aucune intention.

[77]     Pour sa part, l'avocat de l'intimée s'appuie sur l'alinéa 169(4)a) de la Loi et sur l'article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (le « Règlement » ). Il soutient que l'exigence de « renseignements suffisants » à l'alinéa 169(4)a) de la Loi et le détail des renseignements visés à l'article 3 du Règlement permettent au Ministre de refuser les CTIs. Il fait valoir que le fournisseur indiqué sur la facture n'est pas le fournisseur des services. Il n'a rendu aucun service à l'appelante, que les services ont été rendus par quelqu'un d'autre, un tiers dont on ne connaît pas le nom, qui n'a pas été identifié. Le paiement a été fait à une personne qui n'était pas le fournisseur.

[78]     L'avocat de l'intimée dit qu'il ne doute pas que monsieur Orsini et monsieur Ribkoff aient agi honnêtement, mais il fait état que ces sociétés étaient des sociétés de façade et peu importe que l'acquéreur de services ait été de bonne ou mauvaise foi, il ne peut réclamer des CTIs pour le paiement de services non effectués par la personne qui facture. Comme on ne voit aucun lien contractuel entre la société émettrice de la facture et les travailleurs autonomes ou les sous-traitants, il n'y a pas de services rendus par l'émettrice. Selon l'article 169 de la Loi, il doit y avoir une prestation de services entre l'acquéreur et le fournisseur pour donner droit à une demande de CTIs.

[79]     L'avocat de l'intimée fait une analogie avec un faux billet d'argent. C'est celui qui prend le faux billet comme un billet valide qui en supporte la perte. Ces sociétés à qui l'appelante a fait le paiement des taxes n'étaient pas des sociétés valides.

[80]     Il rappelle que dans le cas de la société 9010-1181, elle n'avait pas d'existence corporative et elle n'avait pas demandé de numéro d'inscription, son numéro d'inscription était celui d'une autre personne corporative.

[81]     En réplique, l'avocat de l'appelante fait valoir que tout ce que le paragraphe 169(1) mentionne est que l'acquéreur inscrit peut réclamer un crédit de taxe sur la taxe qui a été versée relativement à un bien ou à un service qui a été acquis dans le cadre d'une activité commerciale et que c'est ce que l'appelante réclame.

Analyse et conclusion

[82]     Le paragraphe 169(1) de la Loi se lit comme suit :

Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d'une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu'elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l'importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable :

A x B

où :

A          représente la taxe relative à la fourniture, à l'importation ou au transfert, selon le cas, qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu'elle soit devenue payable;

B :

(a)         dans le cas où la taxe est réputée, par le paragraphe 202(4), avoir été payée relativement au bien le dernier jour d'une année d'imposition de la personne, le pourcentage que représente l'utilisation que la personne faisait du bien dans le cadre de ses activités commerciales au cours de cette année par rapport à l'utilisation totale qu'elle en faisait alors dans le cadre de ses activités commerciales et de ses entreprises;

(b)         dans le cas où le bien ou le service est acquis, importé ou transféré dans la province, selon le cas, par la personne pour utilisation dans le cadre d'améliorations apportées à une de ses immobilisations, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne utilisait l'immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après sa dernière acquisition ou importation de tout ou partie de l'immobilisation;

(c)         dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l'a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

[83]     L'alinéa 169(4)a) de la Loi se lit comme suit :

L'inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

a)          il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

...

[84]     L'article 3 du Règlement précité se lit comme suit :

Les renseignements visés à l'alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

a)          lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l'égard d'une ou de plusieurs fournitures est de moins de 30 $ :

(i)          le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l'intermédiaire,

(ii)         si une facture a été remise pour la ou les fournitures, la date de cette facture,

(iii)        si aucune facture n'a été remise pour la ou les fournitures, la date à laquelle il y a un montant de taxe payée ou payable sur celles-ci,

(iv)        le montant total payé ou payable pour la ou les fournitures;

b)          lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l'égard d'une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et de moins de 150 $ :

(i)          le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l'intermédiaire et le numéro d'inscription attribué, conformément au paragraphe 241(1) de la Loi, au fournisseur ou à l'intermédiaire, selon le cas,

(ii)         les renseignements visés aux sous-alinéas a)(ii) à (iv),

(iii)        dans le cas où la taxe payée ou payable n'est pas comprise dans le montant payé ou payable pour la ou les fournitures :

(A)        ou bien, la taxe payée ou payable pour toutes les fournitures ou pour chacune d'elles,

(B)        ou bien, si une taxe de vente provinciale est payable pour chaque fourniture taxable qui n'est pas une fourniture détaxée, mais ne l'est pas pour une fourniture exonérée ou une fourniture détaxée :

(I)         soit le total de la taxe payée ou payable selon la section II de la partie IX de la Loi et de la taxe de vente provinciale payée ou payable pour chaque fourniture taxable, ainsi qu'une déclaration portant que le total pour chaque fourniture taxable comprend la taxe payée ou payable selon cette section,

(II)        soit le total de la taxe payée ou payable selon la section II de la partie IX de la Loi et de la taxe de vente provinciale payée ou payable pour toutes les fournitures taxables, ainsi qu'une déclaration portant que ce total comprend la taxe payée ou payable selon cette section,

(iv)        dans le cas où la taxe payée ou payable est comprise dans le montant payé ou payable pour la ou les fournitures et que l'une ou plusieurs de celles-ci sont des fournitures taxables qui ne sont pas des fournitures détaxées :

(A)        une déclaration portant que la taxe est comprise dans le montant payé ou payable pour chaque fourniture taxable,

(B)        le total (appelé « taux de taxe total » au présent alinéa) des taux auxquels la taxe a été payée ou était payable relativement à chacune des fournitures taxables qui n'est pas une fourniture détaxée,

(C)        le montant payé ou payable pour chacune de ces fournitures ou le montant total payé ou payable pour l'ensemble de ces fournitures auxquelles s'applique le même taux de taxe total,

(v)         dans le cas où deux fournitures ou plus appartiennent à différentes catégories, une mention de la catégorie de chaque fourniture taxable qui n'est pas une fourniture détaxée;

c)          lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l'égard d'une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

(i)          les renseignements visés aux alinéas a) et b),

(ii)         soit le nom de l'acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(iii)        les modalités de paiement,

(iv)        une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

[85]     En vertu de l'article 165 de la Loi, l'acquéreur d'une fourniture doit payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe sur la valeur de la contrepartie de la fourniture. En vertu du paragraphe 211(1) de la Loi, la personne qui effectue une fourniture taxable doit à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada percevoir la taxe payable par l'acquéreur. En vertu du paragraphe 169(1) de la Loi, une personne inscrite a droit à un crédit de taxe sur les intrants relativement aux biens et services acquis pour les fins de son entreprise.

[86]     La preuve a révélé que l'appelante a bien acquis des services pour les fins de son entreprise et que ce sont ces services qu'elle a payés avec la taxe en sus.

[87]     Il est bien connu et cela a été admis par les témoins de l'intimée que la personne qui contracte n'a pas à exécuter le service elle-même à moins d'une clause spécifique à ce sujet. Elle peut donner en sous-traitance tout ou partie du contrat.

[88]     Dans la présente affaire, ce qui importait à l'appelante était que les services soient de la qualité requise. Elle n'a pas vérifié si ceux qui étaient sur place quand elle allait faire ses vérifications d'usage sur la qualité étaient les employés ou non des sociétés avec qui elle faisait affaires. Elle n'a pas non plus vérifié si ces sociétés tenaient les registres normaux d'une entreprise. Elle s'est comportée avec ces sociétés comme avec les autres sociétés avec qui elle faisait affaires.

[89]     L'appelante a payé des factures qui à leur face même lui paraissaient vraies. Elles indiquaient tous les détails requis.

[90]     L'appelante ne savait pas que les sociétés qui émettaient les factures ne se conformaient pas à la Loi, car ces sociétés avaient toutes les apparences de la légalité. Je dis que l'appelante ne savait pas car l'élément d'intention n'a pas été pris en compte par le Ministre. Il n'y a pas eu de preuve spécifique à ce sujet ni d'une part ni de l'autre.

[91]     Il faut noter qu'au départ l'enquête du BLEF faisait état de facturation de complaisance impliquant la collusion du donneur d'ouvrage (onglet 1 de la pièce I-1). L'enquête faisait état aussi de services et produits fictifs impliquant également l'intention de participer à un stratagème.

[92]     Cependant la cotisation de l'appelante s'est faite sans qu'aucune enquête ne se fasse sur ses intentions délictueuses. Toutes les taxes relatives aux services fournis par les sociétés litigieuses lui ont été refusées sans qu'aucune question, quant aux relations contractuelles entre l'appelante et ces sociétés, ne lui soit posée.

[93]     Je pars donc de la prémisse que l'appelante a été trompée par une entreprise irrespectueuse des lois dirigée par monsieur et madame Ma. Est-ce que l'appelante doit supporter le fardeau économique de cette tromperie organisée sous le couvert d'un mandat de Sa Majesté de percevoir la taxe?

[94]     Il est étrange de constater dans cette affaire qu'il semblerait qu'aucun administrateur des sociétés litigieuses ni aucune des personnes qui ont participé et dirigé le stratagème utilisant des sociétés de façade n'aient été cotisés pour les taxes perçues et non remises

[95]     L'avocat de l'intimé affirme que c'est à l'appelante de supporter le fardeau économique de la tromperie et il se réfère par analogie à la fausse monnaie. C'est le détenteur de la fausse monnaie qui perd et non pas l'État.

[96]     Cette analogie peut peut-être valoir pour la société détenant un faux certificat de constitution et ayant utilisé le numéro de TPS d'une autre société. J'y reviendrai. Mais pour les sociétés validement constituées et qui ont obtenu des numéros de TPS, il me semble que l'analogie qui doit plutôt se faire est avec le système des déductions à la source sous la Loi de l'impôt sur le revenu.

[97]     L'article 153 de cette loi prévoit que toute personne qui verse notamment un salaire doit en déduire la somme fixée selon les modalités réglementaires et la remettre au Receveur général. Cette personne en vertu du paragraphe 222(4) de cette loi est réputée détenir cette somme en fiducie pour Sa Majesté.

[98]     Selon la jurisprudence de cette Cour, il n'appartient pas à l'employé de s'assurer que l'employeur effectue les remises. Je cite le juge McArthur de cette Cour dans Manke c. Canada, [1998] A.C.I. no 759 (Q.L.) au paragraphe 19 :

L'appelant a droit aux crédits dès que les retenues sont effectuées, et cela, pour deux raisons. Premièrement, bien qu'il puisse ne pas avoir reçu le montant de l'impôt retenu, le ministre le reçoit certainement par détermination de la loi dès que les retenues sont effectuées. Aux fins de l'article 153, l'employeur doit retenir les sommes fixées selon les modalités réglementaires et remettre ces sommes au receveur général au titre de l'impôt payable par l'employé pour l'année et, comme le juge Sarchuk l'a signalé dans l'affaire Ashby, précité, [[1995] A.C.I. no 1379 (Q.L.)], l'employeur est le mandataire de la Couronne aux fins de la remise. Deuxièmement, à mon avis, ce serait imposer une charge trop lourde aux contribuables que d'exiger qu'ils s'assurent que le montant des retenues effectuées par leur employeur est remis à la Couronne pour avoir droit à un crédit au titre de ces retenues. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le ministre formule l'hypothèse qu'aucune relation employeur-employé n'existe, il lui est loisible d'établir une cotisation à l'égard du contribuable en tenant pour acquis qu'aucune retenue n'a été effectuée. Cependant, il existe des cas où il apparaît clairement au ministre qu'il existait bel et bien une relation employeur-employé et que l'employeur a effectué les retenues sur le salaire de l'employé, mais qu'il n'en a pas remis le montant. Dans la présente affaire, le ministre ne peut s'attendre à ce que le contribuable s'assure que la remise a été faite. Il est beaucoup mieux placé que le contribuable pour exiger la remise des déductions. Aux termes des paragraphes 227(9.4) et 227(10.1), l'employeur qui ne remet pas un montant retenu conformément à la Loi doit payer ce montant à la Couronne, et le ministre peut établir une cotisation à l'égard de l'employeur pour ce montant. Par conséquent, la Loi prévoit explicitement un moyen pour le ministre de percevoir le montant en question auprès de son mandataire si celui-ci omet d'effectuer la remise

[99]     Il est intéressant de lire le communiqué de presse émis par Finances Canada en date du 7 avril 1997, concernant le projet de modification législative faisant suite à la décision récente de la Cour suprême du Canada dans l'affaire de Sa Majesté la Reine c. La Banque Royale du Canada/Banque Royale c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411. À la lecture du communiqué, on peut en déduire facilement que dans l'esprit des autorités fiscales les retenues à la source et la TPS sont de nature similaire. Je cite la première partie du troisième paragraphe :

Le ministre a indiqué qu'il est important d'établir la priorité absolue des droits de l'État étant donné que les retenues à la source non versées font partie du traitement brut des salariés et sont détenues en fiducie en vue de leur versement au receveur général. En outre, les retenues à la source sont automatiquement portées au crédit des salariés à titre des impôts payés pour l'année et sont remises aux provinces qui adhèrent aux accords de perception fiscale, au titre des impôts provinciaux payables par ces salariés. Dans le même ordre d'idées, les crédits de taxe sur les intrants accordés aux fournisseurs sous le régime de la TPS sont appliqués en réduction de la TPS impayée même si le montant net de TPS demeure impayé. ...

[100] L'appelante a payé la taxe sur les services au mandataire de Sa Majesté. Il s'agissait de sociétés valides. C'est leur comportement qui n'était pas valide. Je suis d'avis que ce n'est pas à elle à supporter le fardeau économique de la tromperie organisée par les mandataires de Sa Majesté, en me fondant sur la décision de cette cour dans Manke (supra) qui elle-même se rapporte à d'autres décisions et à la décision que j'ai rendue dans Centre de la Cité Pointe Claire c. La Reine, [2001] A.C.I. no 674 (Q.L.), décision à laquelle m'a référée l'avocat de l'appelante.

[101] S'il y avait eu connaissance, connivence ou collusion, de la part de l'appelante, comme l'avaient pensé les enquêteurs au départ, la décision serait tout autre. L'entente sur les faits est claire : il n'y a aucune preuve de connaissance, connivence ou collusion entre l'appelante et ces sociétés.

[102] Il me faut aussi prendre en considération que la proportion du chiffre d'affaires de l'appelante avec ces sociétés sur son chiffre d'affaires total a été minime soit 2 p. 100, que les employés de l'appelante se sont comportés à l'égard de ces sociétés comme ils se comportaient avec les autres entrepreneurs et que l'avocat de l'intimée a lui-même constaté à la fin des témoignages, qu'il s'agissait de gens qui avaient agi honnêtement.

[103] Il me faut maintenant traiter du cas de la société dont le certificat d'incorporation était falsifié et qui a utilisé le numéro du compte TPS d'une autre société. L'avocat de l'intimée a utilisé la notion du faux billet de banque mais sans se référer à la loi ou à la jurisprudence pertinentes. Je croirais imprudent dans ces circonstances de suivre cette voie car je ne peux comparer les deux régimes.

[104] Ici, il s'agit d'un régime où un acquéreur de services doit payer la taxe au fournisseur du service qui la perçoit à titre de mandataire de Sa Majesté. Encore une fois, ce sont des services réels qui ont été rendus à l'appelante. Elle les a payés ainsi que la taxe en toute bonne foi. La jurisprudence fiscale qui existe relativement au numéro d'inscription attribué concerne plutôt l'absence d'inscription. Ce n'est pas la situation présente. Ici la taxe a été payée à une société portant un numéro d'inscription valide mais attribué à une autre société. Est-ce à l'acquéreur de bonne foi de supporter la fraude d'un fournisseur? Je n'en suis pas convaincue. Je crois que les principes qui s'appliquent à l'égard des déductions à la source et à l'égard du mandat peuvent également s'appliquer dans le cas de la taxe perçue et non remise par une société portant un numéro d'enregistrement qui n'est pas le sien, mais qui, apparemment, est le sien.


[105] L'appel est en conséquence accordé avec dépens en faveur de l'appelante.

Signé à Montréal (Québec) ce 12e jour de juin 2003.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


RÉFÉRENCE :

2003CCI397

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-3451(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Joseph Ribkoff Inc. et La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :

les 2, 3 et 4 décembre 2002

et le 19 février 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'hon. juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :

le 12 juin 2003

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Louis Tassé

Avocat de l'intimée :

Me Gérald Danis

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Nom :

Me Louis Tassé

Étude :

Fasken Martineau DuMoulin s.r.l.

Montréal (Québec)

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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