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Date: 19980923

Dossier: 97-2392(IT)I

ENTRE :

LOUISE BLAIS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Représentant de l'appelante : Bernard Brosseau, c.a.

Avocate de l'intimée : Me Valérie Tardif

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MOTIFS DU JUGEMENT

(rendus oralement le 2 juillet 1998

à Sherbrooke (Québec))

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]      Madame Louise Blais conteste des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1993 et 1994.

[2]      Le ministre a ajouté aux revenus d'emploi de madame Blais des montants additionnels de 918 $ pour 1993 et de 4 785 $ pour 1994 au titre de pourboires. Ces pourboires proviendraient du travail qu'elle a effectué pour un restaurateur (Chez Ronnie). Quant à elle, madame Blais soutient que ses pourboires devraient se limiter à 102 $ pour l'année 1993 et à 2 214 $ pour 1994.


Les faits

[3]      Pour établir sa cotisation, le ministre a tenu pour acquis certains faits qu'il a énoncés au paragraphe 5 de la réponse à l'avis d'appel. Ledit paragraphe 5 se lit comme suit :

a) au cours des années en litige, l'appelante était, entre autres, à l'emploi de la Société Chez Ronnie Bar Restaurant Inc. (ci-après, la « Société » );

b) au cours des années en litige, l'appelante était serveuse attitrée au service des repas au restaurant de la Société;

c) au cours des années en litige, l'appelante recevait un salaire de base et des pourboires de la Société;

d) des feuillets T-4 ont été émis au nom de l'appelante par la Société pour des montants de 793 $, pour l'année d'imposition 1993, et de 4 298 $, pour l'année d'imposition 1994;

e) l'appelante a déclaré les montants suivants dans ses déclarations de revenus pour les années 1993 et 1994 :

                                                            1993                 1994

Salaires de base :

Jeans Flo-Rican Inc.                                          9 204 $                         3 491 $

Bar le Shooter                                                      845 $

Chez Ronnie Bar Restaurant Inc.                           793 $            4 298 $

Auberge Royale                                                                          309 $

Pourboires :                                                           0 $                343 $

Prestations d'assurance-chômage                                               530 $


f) la méthode de calcul suivante a été utilisée pour établir le montant total de pourboires reçus par l'appelante, dans le cadre de son emploi Chez Ronnie Bar Restaurant Inc., pour chacune des années d'imposition 1993 et 1994 :

(A/B)X(CXD)

où :

A          représente le salaire annuel brut de l'appelante;

B           représente le salaire annuel brut de l'ensemble des serveuses attitrées au service des repas au restaurant;

C          représente les ventes de restaurant après taxes;

D          représente le pourcentage moyen des pourboires payés sur les ventes aux serveuses attitrées au restaurant de la Société;

g) le salaire annuel brut de l'appelante à la Société était de 793 $ pour l'année d'imposition 1993, et de 4 606 $ pour l'année d'imposition 1994;

h) le salaire annuel brut de l'ensemble des serveuses attitrées au service des repas au restaurant de la Société était de 51 092 $ pour l'année d'imposition 1993, et de 44 794 $ pour l'année d'imposition 1994;

i) l'ensemble des ventes de restaurant après taxes totalisait 526 244 $ pour l'année d'imposition 1993, et 443 766 $ pour l'année d'imposition 1994;

j) le pourcentage moyen des pourboires payés sur les ventes aux serveuses attitrées au restaurant de la Société était estimé à 11,24 % pour chacune des années 1993 et 1994;

k) le montant total des pourboires reçus par l'appelante a été établi à 918 $ pour l'année d'imposition 1993 et à 5 129 $ pour l'année d'imposition 1994;

l) par conséquent, des montants de pourboires non déclarés de 918 $ pour l'année d'imposition 1993 et de 4 785 $ pour l'année d'imposition 1994 ont été ajoutés aux revenus de l'appelante.


[4]      Madame Blais a admis tous ces faits, sauf l'alinéa 5 f) et les alinéas h) à l). La preuve qu'elle a fournie n'a pas contredit les faits qu'elle n'a pas admis.

[5]      Avant de commencer à travailler pour Chez Ronnie, elle a travaillé en 1993 environ deux mois au Bar le Shooter où, a-t-elle reconnu, elle a gagné de 35 $ à 50 $ de pourboires par soir.

[6]      Durant 1993 et 1994, Chez Ronnie est une entreprise qui exploite une discothèque, une salle à manger et un bar. Cette entreprise verse deux types de rémunération : les travailleurs qui agissent comme serveurs dans la salle à manger ou dans le bar reçoivent un salaire horaire de 5,13 $ de même que des pourboires; les travailleurs qui ne reçoivent pas de pourboires ou en reçoivent peu, comme les préposés au vestiaire, ont droit à un salaire horaire plus élevé, soit 5,85 $.

[7]      Les travailleurs de Chez Ronnie sont payés par chèque tous les deux jeudis. Un talon de chèque est remis pour chaque type de rémunération même si un travailleur a droit aux deux types de rémunération pour la même période de rémunération.

[8]      Madame Blais commence son travail pour Chez Ronnie le 17 octobre 1993. Son témoignage a été plutôt évasif sur le type de services qu'elle a rendus au cours des deux années d'imposition pertinentes. Toutefois, une étude de ses talons de chèque nous fournit les renseignements suivants : durant ses deux premières semaines, elle reçoit un salaire horaire de 5,13 $; durant les huit semaines suivantes, un salaire horaire de 5,85 $. On peut donc présumer qu'elle a d'abord travailler comme serveuse et, par la suite, comme préposée au vestiaire.

[9]      À compter du 26 décembre 1993, au cours d'une même période de rémunération, elle cumule les postes de préposée au vestiaire et de serveuse de boissons alcoolisées. Elle se décrit comme « shooter girl » , selon l'expression utilisée dans son milieu. À ce dernier travail elle consacre généralement trois ou quatre heures le vendredi, aux heures où le bar est le plus achalandé. Au travail de préposée elle consacre environ une dizaine d'heures par semaine, réparties généralement sur deux ou trois jours.

[10]     À partir du 15 mai 1994, elle passe la plus grande partie de son temps comme serveuse dans la salle à manger. Toutefois, elle agit aussi comme préposée au vestiaire : environ cinq heures par semaine durant les deux dernières semaines du mois de mai, et environ deux heures et demie par semaine au cours du mois de juin. De façon occasionnelle, elle agit comme serveuse de boissons alcoolisées.

[11]     Dans son témoignage, madame Blais a affirmé qu'elle indiquait au dos de ses talons de chèque le montant des pourboires qu'elle avait gagnés durant les deux semaines de travail visées par ces talons. Ces montants représentent le total de tous les pourboires quotidiens qu'elle avait gagnés et qu'elle avait inscrits au dos de ses livrets de commande.

[12]     Madame Blais quitte son emploi avec Chez Ronnie le 1er octobre 1994. Chez Ronnie avait donné en concession à Auberge Royale l'exploitation de la salle à manger. Il semble que madame Blais a travaillé pour une courte période de temps pour cette nouvelle entreprise.

Analyse

[13]     Comme le ministre a établi sa cotisation dans les délais normaux, c'est madame Blais qui a le fardeau d'établir que les faits que le ministre a tenus pour acquis sont erronés, fardeau consistant principalement, en l'occurrence, à établir que les montants de revenus de pourboires étaient moins élevés que ceux indiqués par le ministre dans ses avis de cotisation.

[14]     Malheureusement pour madame Blais, je ne crois pas qu'elle ait réussi dans cette tâche. Je dois dire de façon générale que j'ai trouvé son témoignage plutôt évasif, notamment en ce qui a trait aux modalités de son emploi : le début, la durée et la fin de son travail; la description de ses tâches; le montant de ses pourboires; le nombre de tables à servir. De plus, elle a été assez évasive sur les circonstances qui ont entouré la signature de ses déclarations de revenus pour 1993 et 1994.

[15]     Dans la déclaration de revenus de 1993, elle n'a inclus aucun pourboire alors que des pourboires de 102 $ apparaissent au dos de ses talons de chèque. Dans la déclaration de 1994, seulement un montant de 343 $ apparaît au titre des pourboires, alors que les montants apparaissant au dos de ses talons de chèque s'élèvent à au moins 2 253 $.

[16]     De plus, certaines affirmations de madame Blais ont été contredites par certains éléments de preuve qui ont été offerts à la Cour. Madame Blais prétendait n'avoir gagné aucun pourboire comme préposée au vestiaire. Il est vrai que les talons de chèque visant la rémunération touchée par elle à titre de préposée au vestiaire pour l'année 1993 ne montrent aucun pourboire. Par contre, tous les talons de chèque pour l'année 1994 visant la rémunération reçue en cette qualité révèlent des pourboires gagnés par madame Blais.

[17]     Sur ses 40 semaines de travail pour Chez Ronnie en 1994, madame Blais en a travaillé environ 24 ¾ soit 12 périodes de rémunération ¾ à la fois comme préposée au vestiaire et comme serveuse. Si l'on examine les talons de chèque pour ces 12 périodes de rémunération, on constate que la majorité[1] des talons ayant trait à la rémunération versée pour le travail de préposée au vestiaire indique des pourboires qui, calculés sur une base horaire, sont plus élevés que les pourboires qui ont été versés à madame Blais comme serveuse à la salle à manger.

[18]     De plus, le témoignage de madame Blais a été contredit par celui de l'ex-propriétaire de Chez Ronnie, qui a indiqué que les préposés au vestiaire pouvaient se partager les pourboires laissés dans un petit plat près du vestiaire.

[19]     Ne tient donc pas l'argument de madame Blais selon lequel le ministre lui a imputé des pourboires pour des périodes de travail durant lesquelles elle travaillait comme préposée au vestiaire et n'avait aucune possibilité de toucher des pourboires. Même si pour 1993 cet argument était retenu, le revenu additionnel de 918 $ pourrait se rapporter à des pourboires que madame Blais a gagnés au Bar le Shooter et qu'elle n'a pas déclarés. Comme elle l'a reconnu elle-même, elle a gagné entre 35 $ et 50 $ de pourboires par soir à cet établissement. Il est donc raisonnable de conclure que madame Blais a gagné des pourboires d'au moins 918 $ en 1993.

[20]     Voici comment j'arrive à ce chiffre. Madame Blais a gagné une rémunération de 845 $ provenant du Bar le Shooter. À un taux horaire de 5,13 $, cela représente 164 heures. Si l'on présume une journée de travail de sept heures, cela donne 23 jours de travail. En utilisant le montant minimum quotidien de pourboires qu'elle a reconnu avoir reçu, soit 35 $, cela donne des pourboires de 823 $ pour son travail au du Bar le Shooter. Si j'ajoute uniquement le montant des pourboires qu'elle a reconnu avoir reçus de Chez Ronnie en 1993, soit 102 $, cela donne un total de 925 $ de pourboires pour l'année 1993.

[21]     Il est bien évident que si on tenait compte du fait que pendant ses deux premières semaines de travail pour Chez Ronnie elle a travaillé comme serveuse, on pourrait supposer que le montant des pourboires provenant de cet établissement était beaucoup plus élevé que 102 $.

[22]     De plus, j'ai trouvé le témoignage de madame Blais ni persuasif ni crédible quant aux montants des pourboires qu'elle aurait indiqués sur ses talons de chèque. Au contraire, la preuve révèle que madame Blais n'a pas divulgué ses revenus de pourboires. Elle a reconnu gagner des pourboires allant de 35 $ à 50 $ par soir lorsqu'elle travaille comme serveuse au bar (ou « shooter girl » ), alors que ses talons ne montrent, en moyenne, qu'environ de 10 $ à 12 $ par soir. À 12 $ par soir, si on présume un simple pourboire de 0,50 $ par verre, elle n'aurait servi que 24 verres dans une période d'environ trois heures, entre 23 h et 2 h. Cela me paraît peu réaliste. Des pourboires totalisant 50 $ représentent un pourboire de 0,50 $ par verre pour 100 verres de boisson, ce qui me paraît plus raisonnable pour une soirée de week-end, aux heures où le bar est le plus achalandé.

[23]     Elle n'a déclaré de pourboires pour ni l'un ni l'autre de ses deux emplois de serveuse en 1993, c'est-à-dire celui au Bar le Shooter et celui exercé à l'établissement Chez Ronnie. De plus, elle n'a pas déclaré de pourboires relatifs à son travail en 1994 à l'Auberge Royale.

[24]     Quant au montant estimé par le vérificateur du ministre, il m'apparaît tout à fait raisonnable. Le vérificateur, pour déterminer le montant des pourboires à être attribué à madame Blais, n'a tenu compte que des ventes liées à l'exploitation de la salle à manger et n'a pas inclus les ventes de boissons alcoolisées. Il a présumé que madame Blais n'avait été engagée que comme serveuse dans la salle à manger. Le vérificateur n'a pas tenté d'estimer non plus les pourboires provenant du Bar le Shooter et de l'Auberge Royale. Or, la preuve a révélé que madame Blais a travaillé comme serveuse de boissons alcoolisées entre le 26 décembre 1993 et le 15 mai 1994. Il aurait donc pu lui attribuer des pourboires encore plus élevés.

[25]     Monsieur Dumontais a reconnu que le taux de 11,24 pour 100 de pourboires utilisé par le vérificateur du ministre lui apparaissait raisonnable pour les ventes de la salle à manger; ce montant serait même bas par rapport aux ventes dans le bar.


[26]     Il n'y a aucune preuve qui démontre le caractère déraisonnable de cette évaluation. D'ailleurs, le représentant de madame Blais n'a pas contesté le pourcentage utilisé par le vérificateur, ni la proportion du chiffre d'affaires qu'on a attribuée à madame Blais. Son seul véritable argument était le fait qu'une partie du travail se rattachait à des tâches ne donnant pas droit à des pourboires. Or, comme je l'ai déjà mentionné plus haut, cet argument n'est pas appuyé par les faits mis en preuve.

[27]     Pour tous ces motifs, les appels de madame Blais pour les années d'imposition 1993 et 1994 sont rejetés, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de septembre 1998.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :       97-2392(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Louise Blais

                                                          et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  2 juillet 1998

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                    5 août 1998

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :                              Bernard Brosseau, c.a.

Pour l'intimé(e) :                        Me Valérie Tardif

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                   Nom :          

                   Étude :                  

Pour l'intimé(e) :                        Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada



[1] C'est le cas de 14 semaines de travail sur 24.

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