Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date : 20011214

Dossier : 2000-5119-IT-I

ENTRE :

FERNANDE CHAMPOUX

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Pour l'appelante :                 L'appelante elle-même

                                                                                                             

Avocat de l'intimée :           Me Simon-Nicolas Crépin

Motifsdu jugement

(transcription révisée des motifs du jugement prononcés oralement à l'audience tenue le 18 octobre 2001

à Québec (Québec))

[1]            MONSIEUR LE JUGE : Je vous comprends tout à fait, madame. La seule chose, c'est que je pense que vous n'êtes pas dans le bon forum pour exprimer les difficultés auxquelles vous faites face. C'est bien dommage, mais ce n'est pas du pouvoir d'une cour de justice liée par la loi qui est passée par le Parlement et qui doit donc strictement l'appliquer, de se donner discrétion de l'appliquer ou de ne pas l'appliquer dépendant de son analyse d'un cas particulier. On doit l'appliquer dans tous les cas. Et je reconnais avec vous que ce n'est pas, de vivre sur un montant de 11 000 $ par année, pour une personne seule, que ce n'est pas quelque chose de facile à faire, certainement. Sauf que moi je n'ai pas d'autre choix, dans le forum que je préside, que d'appliquer la loi. Et le crédit qu'on vous a accordé, c'est le crédit auquel vous avez droit, rien de plus. Maintenant, je suis d'accord avec vous que c'est peut-être loin d'être suffisant pour bien du monde. Et je vais ajouter à ça que ce crédit, (cela a été transformé en crédit, il y a déjà plusieurs années; c'était une exemption de base auparavant) comporte une façon un peu différente de calculer. Mais il reste que ce crédit n'a pas été indexé avec l'augmentation du coût de la vie pendant plusieurs années. On vient tout juste de le faire au niveau fédéral.

[2]            L'APPELANTE : Oui, je sais ça. Je sais ça, oui.

[3]            MONSIEUR LE JUGE : On vient tout juste de réindexer ces montants-là au niveau fédéral et cela le sera au provincial uniquement pour l'année qui vient.

[4]            L'APPELANTE : Bien, eux autres, ils ont augmenté les montants, là. Ils ont augmenté de beaucoup, eux autres.

[5]            MONSIEUR LE JUGE : Oui, mais il reste que l'indexation comme telle a été, puisqu'on parle du niveau fédéral, restons-en là, a été supprimée pendant plusieurs années et elle l'a été pour tout le monde.

[6]            L'APPELANTE : Oui, je ...

[7]            MONSIEUR LE JUGE : On fait juste recommencer à indexer ces montants-là.

[8]            L'APPELANTE : Oui, je suis au courant de ça.

[9]            MONSIEUR LE JUGE : Pour qu'ils puissent être ajustés en fonction de l'augmentation du coût de la vie, justement. Pour bien des gens, vous allez me dire que ce n'est pas suffisant. Ce n'est peut-être pas suffisant, sauf que ce n'est pas à un juge de décider si c'est suffisant ou pas. La position dans laquelle on est, et que ce soit dans votre cas ou dans d'autres, c'est strictement d'appliquer la loi et on ne peut pas déroger à ça. Le forum qui est le plus approprié à vos revendications, c'est le forum politique. Vous allez me dire " ça ne bouge pas vite, et puis je suis toute seule puis... " Bien, vous n'êtes pas toute seule, il y a bien des groupes qui revendiquent, il y a des groupes anti pauvreté qui ont manifesté hier encore. C'est la façon de faire changer les choses, c'est de faire pression sur les gouvernements pour qu'ils adoptent des lois qui sont mieux adaptées aux besoins des gens qui font ces revendications-là dans la mesure où le gouvernement le juge nécessaire. Malheureusement vous m'expliquez tout ça; je compatis à votre situation, je la comprends. Je la trouve difficile effectivement, sauf que ça ne me donne pas plus de pouvoirs. Et cela ne me donne pas une juridiction particulière pour traiter de cas particuliers sur la base d'une situation financière personnelle qui est difficile. Cela ne me donne pas plus de discrétion pour interpréter la loi, comprenez-vous?

[10]          L'APPELANTE : Mais vous ne pouvez même pas donner une opinion qui ferait que le monde s'éveillerait ?

[11]          MONSIEUR LE JUGE : Non. On ne me demande pas mon opinion comme juge, on me demande de rendre un jugement sur la loi en fonction de... Et puisque vous m'avez parlé de Charte, je peux ajouter une chose, c'est qu'au Canada la Charte des droits et libertés ne couvre pas ce qu'on appelle les droits économiques de façon générale.

[12]L'APPELANTE : Bien, on dit qu'on a droit à la vie.

[13]MONSIEUR LE JUGE : À la vie, à la liberté et à la sécurité.

[14]L'APPELANTE : Oui.

[15]MONSIEUR LE JUGE : Mais l'analyse qu'en a fait la jurisprudence à l'heure actuelle, même du plus haut tribunal du pays, ça ne couvre pas les droits strictement économiques.

[16]L'APPELANTE : Mais, c'est là pour les droits, c'est universel, le Canada...

[17]MONSIEUR LE JUGE : Oui, c'est la déclaration universelle des droits des Nations-Unies, ce n'est pas la Charte canadienne des droits et libertés.

[18]L'APPELANTE : Mais on doit être inclus là-dedans puisque c'est universel.

[19]MONSIEUR LE JUGE : Oui, mais il n'y a pas de protection, comment pourrais-je dire, donc, de droits strictement économiques en termes de dollars ou de niveaux de revenus, de...

[20]L'APPELANTE : Oui, on ne peut pas mettre ça en ligne avec le crédit, que vous dites maintenant, on appelle ça un crédit; on ne peut pas mettre ça en ligne avec le crédit qu'on accorde. Le crédit qu'on accorde est de 6 700 $, c'est sûr qu'on ne peut pas mettre ça en ligne, mais seulement quand on me dit, au principe 9, on disait qu'on doit être protégé contre toute forme d'exploitation. Alors, selon moi c'est une forme d'exploitation, ça.

[21]MONSIEUR LE JUGE : En fait, c'est votre opinion. Moi, je ne pense pas que je puisse rendre un jugement de cette nature-là.

[22]L'APPELANTE : Non, mais si, dans les droits universels on dit - demander à quelqu'un ce qu'il ne peut pas donner, comment on peut appeler ça? C'est... Je ne sais pas, moi.

[23]MONSIEUR LE JUGE : Je comprends que votre situation est difficile, madame, mais il y a des gens qui sont dans une situation plus difficile que la vôtre.

[24]L'APPELANTE : Oui, je sais, il y en a qui sont dans la rue complètement, mais...

[25]MONSIEUR LE JUGE : Oui, c'est ça.

[26]L'APPELANTE : Bon, il y avait un autre article qui dit qu'on doit être protégé contre les pratiques qui peuvent pousser à toute forme de discrimination. La première fois que je suis venue, toute mon argumentation portait sur ça, la discrimination avec les assistés sociaux. Parce qu'eux autres, mais le juge m'avait dit carré que c'est parce qu'eux autres, les prestations, eux autres ils ne paient pas d'impôt parce quand ils reçoivent le relevé 5, j'ai été sur l'Aide sociale en attente de pension alimentaire après le divorce, alors je sais comment ça se passe. On reçoit le relevé 5 au début de l'année, à la fin de l'année ou au début de l'année, pour notre déclaration d'impôt si c'est nécessaire. Mais sur le relevé 5, les seuls montants qui paraissent c'est ce qu'on a reçu au foyer. Si on a fait changer nos prothèses dentaires, nos lunettes, notre frigo, ce n'est pas écrit dessus, donc il ne paie pas d'impôt. Puis c'est pour ça que l'avocat du ministère m'avait dit après - bon, monsieur le juge m'avait expliqué, il dit : " Oui, mais c'est correct, là il ne paie pas d'impôt, mais... " Lui il m'avait dit, il m'a fait comprendre parce qu'il dit : " Quand vous demandez pour changer vos prothèses dentaires, comment ça se passe? " Bien, j'ai dit " on fait une demande à l'Aide sociale, ils l'étudient. Si c'est valable, ils vont nous donner l'autorisation. On y va, puis, on présente notre carnet de santé, qu'on a tout le temps sur nous avec notre chèque, qu'on reçoit avec. On présente notre carnet de santé puis on a juste à signer. Ils prennent le numéro puis ils envoient le compte à l'Aide sociale. Alors, monsieur le juge avait dit que c'est pour ça qu'ils ne le mettent pas dans leur impôt. Parce qu'ils ne peuvent pas en disposer, ils ne l'ont pas. Mais cela ne change rien quand on vit, ça, parce que - "

[27]MONSIEUR LE JUGE : Non, je vous comprends. Mais là, on en est sur la question du crédit personnel de base.

[28]L'APPELANTE : Oui, c'est ça, je - -

[29]MONSIEUR LE JUGE : Comme je vous ai dit, là, ce crédit-là, on peut argumenter au niveau économique que ce n'est pas suffisant; que ça devrait être le double ou que ça devrait être le triple, ou que ça devrait être un montant X. Ce que je vous dis, c'est que factuellement le Parlement a pris une décision arrêtée de ne pas indexer ce montant-là pendant plusieurs années. On vient de changer ça, ça va l'être dorénavant. Et je ne pense pas qu'on revienne à l'ancien système avant longtemps. On vient juste de commencer à le réindexer et c'est sûr que ça va aider un peu. Ça n'aide pas, ça n'aide jamais suffisamment. Tout le monde se plaint, tout le monde se plaint, et les gens qui sont moins fortunés et les gens qui le sont un peu plus, qui paient trop d'impôts de toute façon à tous les niveaux. Alors, cela, c'est un argument qui peut tenir au niveau politique, mais qui ne peut pas tenir au niveau juridique pour autant que le Parlement a passé des lois que nous, on est obligés d'appliquer. Et la situation en est là actuellement.

[30]L'APPELANTE : Autrement dit, ici la Cour est seulement, elle existe seulement pour voir si une chose ça été fait, pour voir si les lois de l'impôt sont appliquées?

[31]MONSIEUR LE JUGE : Pour voir si la cotisation est conforme à la loi. La cotisation que vous avez reçue, est-ce qu'elle est conforme à la loi ou si elle n'est pas conforme à la loi. Si elle n'est pas conforme, on accorde l'appel. Si elle est conforme, bien, malheureusement on doit le rejeter. Et c'est la seule juridiction de la Cour parce que c'est une cour très spécialisée, sa seule juridiction en matière d'impôt sur le revenu fédéral, c'est de vérifier si la cotisation qui a été faite est fondée ou n'est pas fondée. Y a-t-il des choses qui ne sont pas correctes dans cette cotisation en fonction de la loi telle que le Parlement l'a passée ? Ce n'est pas à nous à les changer, les lois, puis à dire : " Ah bien, ce matin, là, je vais prendre le cas de madame. Je suis très sympathique à son cas puis je vais décider que dans son cas, je ne l'applique pas. " Bien non.

[32]L'APPELANTE : Oui, mais c'est qui qui décide de changer les lois? C'est le...

[33]MONSIEUR LE JUGE : Ce sont les parlementaires. Ce sont les parlementaires . . .

[34]L'APPELANTE : L'assemblée législative?

[35]MONSIEUR LE JUGE : ... Ce sont les députés à la Chambre des communes et puis ce sont les sénateurs qui les votent, les lois. Alors, c'est à ce niveau-là, vous m'avez dit vous-même que vous avez déjà écrit à votre député.

[36]L'APPELANTE : Pardon ?

[37]MONSIEUR LE JUGE : Vous m'avez dit vous-même que vous avez déjà écrit à votre député. Bien, c'est au niveau législatif que ça se passe. Quand on est rendu au niveau judiciaire, il s'agit de contrôler si le gouvernement a fait " sa job " comme il le faut. Est-ce que la cotisation qu'ils ont faite est correcte ou pas correcte, en fonction de la loi telle qu'elle existe. Alors, avec les explications que vous m'avez données, je suis bien obligé de répondre que oui, elle est correcte. Puis, je suis obligé de rejeter l'appel et ce n'est pas à moi à la changer la loi.

[38]L'APPELANTE : Pardon ?

[39]MONSIEUR LE JUGE : Je n'ai pas à envoyer mon message au Parlement. C'est justement ce qu'on appelle le principe de retenue judiciaire, c'est de se mêler de ses affaires puis de décider sur quoi on a à décider. Pour le reste, on n'a pas de juridiction, puis on a rien à dire.

[40]L'APPELANTE : Ici, dans l'avis de cotisation, on écrivait que - j'espère que je me trompe pas de titre. J'avais lu quelque part que les personnes maintenant avaient, en matière d'équité, c'est ici à la page 2 : " Dans le cadre de l'initiative en matière d'équité, nous prenons d'importantes mesures pour protéger vos droits. Nous nous engageons à continuer d'améliorer nos programmes et nos services. Vous trouverez des renseignements... " Bon. En matière d'équité parce que à l'endos de nos feuilles de déclaration, on parle toujours de ça, là. Bon. Moi je pense que la fois que la personne m'avait marqué zéro, supposons que je l'aurais accepté, ça aurait fait quoi?

[41]MONSIEUR LE JUGE : Que vous auriez accepté quoi? Vous auriez laissé...

[42]L'APPELANTE : Bien, il m'a fait une cotisation.

[43]MONSIEUR LE JUGE : Oui ?

[44]L'APPELANTE : Puis moi j'avais écrit et j'avais exposé mon point de vue à ceux qui font le calcul.

[45]MONSIEUR LE JUGE : Oui.

[46]L'APPELANTE : Lui il a dit : " Vous l'avez demandé "; j'ai son nom, mais là, aujourd'hui je ne l'ai pas pris en note, là. " Je sais que vous avez raison. Je vous l'accorde. " Moi, je lui ai téléphoné puis j'ai dit : " Il va-tu avoir un rebound, un autre va-tu prendre ça, pitonner sur l'ordinateur puis dire non ça ne marche pas, puis briser ce que vous... " Là, il a pensé et il ne savait pas. Bien, j'ai dit : " Dans ce cas-là, rayez-le. " Mais supposons que je l'aurais accepté, là?

[47]MONSIEUR LE JUGE : Oui.

[48]L'APPELANTE : Parce qu'on dit, il a dit : " Moi, c'est en vertu de l'équité " parce que j'avais parlé de ça, là. Puis il dit, lui il a dit ... Alors, à ce moment-là on n'aurait pas pu dire " je conteste la façon que votre cotisation est faite ", il avait décidé. J'ai lu ça comme ça, là, dans le cadre de l'initiative en matière d'équité. Lui, il avait pris une initiative.

[49]MONSIEUR LE JUGE : Oui, bien, je vais vous expliquer ce que c'est. Cela est assez, malgré tout, assez restreint. C'est un pouvoir qui a été conféré au ministère du Revenu au niveau fédéral, à l'Agence des douanes et du revenu du Canada maintenant, dans certaines circonstances de permettre de revenir en arrière, jusqu'en 1985 en fait, pour accorder des déductions qui n'auraient pas été accordées dans le passé mais auxquelles les gens avaient droit, première chose. Deuxième chose, pour enlever les intérêts dans certaines circonstances. Et troisième chose, pour enlever les pénalités dans certaines circonstances. Alors, je ne vous donnerai pas vingt-cinq exemples, je vais vous en donner un.

[50]L'APPELANTE : Oui.

[51]MONSIEUR LE JUGE : Le ministère a cotisé rapidement et revient à la charge, trois ans plus tard alors qu'on s'aperçoit qu'une erreur manifeste a été commise. Et on va accepter, sur demande du contribuable, d'enlever les intérêts. Alors, on réclame plus d'impôts au contribuable, avec intérêts parce que manifestement on s'est trompé, etc., et le contribuable dit : " Oui, mais c'est de votre faute, moi je suis dans... " etc., puis on s'aperçoit qu'effectivement il y a eu des erreurs. On a dit au contribuable une chose, on lui a dit une deuxième chose, une troisième chose; tout le monde était mêlé. Bon, je grossis l'exemple, on va accepter à ce moment-là, oui, on va cotiser le contribuable à nouveau pour lui réclamer le montant d'impôt qu'il doit vraiment, mais on va accepter d'enlever les intérêts. Bon. Alors, ça c'est l'initiative en matière d'équité. Ça a débuté au milieu des...

[52]L'APPELANTE : Ça fait pas longtemps qu'on voit ça en tout cas.

[53]MONSIEUR LE JUGE : Oui, ça date du milieu des années 80, en 85.

[54]L'APPELANTE : Oui, bien, à l'endos de nos cahiers qu'on prenait nos, c'était inscrit, là, mais...

[55]MONSIEUR LE JUGE : Oui, mais cela veut dire qu'on pourrait revenir en arrière puis vous accorder une déduction à laquelle vous aviez droit. Puis, malgré le fait que cela puisse être prescrit, une déduction à laquelle vous aviez droit pour une année quelconque. Mais là, ce qu'on vous donne, on vous donne ce à quoi vous avez droit. Vous avez droit au montant personnel de base, il est fixé à un montant, on le connaît le montant; c'est celui-là qui a été appliqué d'après ce que je peux voir dans votre cas. Alors, il n'est pas question de donner un montant additionnel, puis sur la base de ce principe-là, ça ne permet pas aux fonctionnaires de faire ce qu'ils veulent, de cotiser ou de ne pas cotiser suivant la sympathie qu'ils ont ou non pour le cas.

[56]L'APPELANTE : Puis que lui il avait trouvé que j'avais exposé mon, j'avais avec ma déclaration, j'avais expliqué le cas, là, avec les assistés sociaux puis tout, puis lui il trouvait que c'était, que j'avais raison.

[57]MONSIEUR LE JUGE : Que ça avait du bon sens, lui il vous a fait justice lui-même.

[58]L'APPELANTE : Il trouvait que j'avais raison, oui.

[59]MONSIEUR LE JUGE : Oui, mais je ne dis pas que sur le fond vous n'avez pas raison, je ne dis pas que... Je ne me prononce pas sur, je ne donne pas d'opinion sur le fait que ces montants personnels de base ou montants pour équivalent à marié, ou pour les enfants à charge, etc...

[60]L'APPELANTE : Non, je comprends.

[61]MONSIEUR LE JUGE : Je ne dis pas que les sommes sont correctes et que ça satisfait tout le monde, je ne porte pas un jugement de valeur là-dessus. Je vous dis simplement que c'est là puis si on vous l'a donné, c'est en fonction de la loi et on a appliqué la loi. Puis moi, je constate qu'on l'a appliquée, donc je n'ai pas grand-chose d'autre à faire. Je n'ai pas, moi, de... Ce n'est pas parce qu'on est juge qu'on a tous les pouvoirs.

[62]L'APPELANTE : À l'avenir il faudrait peut-être, quand on nous demande si, quand on écrit suite à une décision " si vous n'êtes pas d'accord ", il me semble que pour éviter que nous on vienne ici et que ça dérange, il me semble qu'on devrait l'inscrire, ça.

[63]MONSIEUR LE JUGE : Bien, si vous n'êtes pas d'accord dans le sens que vous n'êtes pas d'accord au sens moral ou au sens de valeurs, ou au sens économique, ce n'est pas ça que ça veut dire. Vous n'êtes pas d'accord au niveau juridique, autrement dit, vous, vous êtes persuadée qu'en fonction de la loi vous avez droit à quelque chose puis on ne vous l'a pas accordé. Quand vous n'êtes pas d'accord, c'est ça que ça signifie.

[64]L'APPELANTE : Moi, en fonction de la loi...

[65]MONSIEUR LE JUGE : Parce que c'est un débat qui est juridique, c'est en fonction de la loi.

[66]L'APPELANTE : Oui, c'est en fonction de la loi mais juste la Loi d'impôt, pas les autres lois.

[67]MONSIEUR LE JUGE : Non, la Charte canadienne des droits et libertés s'applique aussi au niveau fédéral.

[68]L'APPELANTE : Mais la Charte des droits et libertés, elle, est-ce qu'elle a un lien avec la Charte proclamée par les Nations-Unies? Est-ce que ça c'est valide?

[69]MONSIEUR LE JUGE : Bien, dans le sens que ça a un lien, c'est une - vous avez parlé d'abord de la déclaration universelle des droits de l'homme...

[70]L'APPELANTE : Oui.

[71]MONSIEUR LE JUGE : ... ensuite vous m'avez parlé de la déclaration sur les droits de l'enfant; ça n'a pas de...

[72]L'APPELANTE : Mais c'est parce que celle-là, elle ne s'explique plus.

[73]MONSIEUR LE JUGE : Ça n'a pas de lien direct. La Charte canadienne...

[74]L'APPELANTE : Mais est-ce que c'est reconnu, ça ?

[75]MONSIEUR LE JUGE : ...est inscrite dans la Constitution et est supérieure en terme hiérarchique à la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce qui veut dire, sans élaborer trop au niveau juridique, que certaines dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu pourraient être invalidées effectivement en utilisant la Charte canadienne.

[76]L'APPELANTE : Parce que moi j'ai entendu dire un jour que toutes les lois doivent, ils appellent ça passer le test de la Charte.

[77]MONSIEUR LE JUGE : Oui.

[78]L'APPELANTE : Selon moi, elle ne le passe pas, le test de la Charte, la Loi sur l'impôt.

[79]MONSIEUR LE JUGE : Oui, c'est exact. C'est exact.

[80]L'APPELANTE : Selon moi.

[81]MONSIEUR LE JUGE : Moi je pense que oui, mais ...

[82]L'APPELANTE : Bien, elle ne peut pas - elle, elle n'est pas assez expliquée pour que j'appuie mon dire d'une façon formelle. Mais celle-là, elle est assez expliquée.

[83]MONSIEUR LE JUGE : Là, vous me parlez de la déclaration des droits de l'enfant.

[84]L'APPELANTE : Des droits. Oui, mais si c'est valide. Moi je ne sais pas si c'est encore valide ici, là.

[85]MONSIEUR LE JUGE : Oui, oui c'est valide dans le sens que ce n'est pas la loi du pays, mais...

[86]L'APPELANTE : Mais c'est universel, c'est marqué.

[87]MONSIEUR LE JUGE : Oui, oui ça a été déclaré par les Nations-Unies effectivement.

[88]L'APPELANTE : Mais si c'est universel puis si j'ai droit à ça, comment l'autre loi peut être juste dans mon cas? Je ne parle pas dans tous les cas. J'ai un fils qui vient d'avoir une grosse augmentation de salaire, là. J'ai dit, 8 000 $ par année. Moi je pense souvent à l'impôt puis j'ai dit : " Tu vas en avoir comment dans tes poches de ça? " parce qu'il est rendu à un niveau pas mal... " Ah, la moitié. " Puis lui, ça lui dérangeait pas parce que qu'il avait 4 000 $ de plus pour vivre.

[89]MONSIEUR LE JUGE : Il y a des gens que ça dérange de donner la moitié de leur augmentation de salaire au gouvernement.

[90]L'APPELANTE : Pardon ?

[91]MONSIEUR LE JUGE : J'ai dit il y a des gens que ça dérange.

[92]L'APPELANTE : Bien oui, mais lui, je veux dire, ça ne l'empêchera pas de vivre, là.

[93]MONSIEUR LE JUGE : Lui, il en a assez pour vivre.

[94]L'APPELANTE : Bien, je veux dire, il a 4 000 $ de plus.

[95]MONSIEUR LE JUGE : Oui, je comprends.

[96]L'APPELANTE : Il a dit, je lui ait dit ça, moi, " Il va t'en rester 4 000 $ ", bien, il a dit : " S'ils m'en avaient donné 4 000 $, j'en aurais eu 2 000 $. "

[97]MONSIEUR LE JUGE : C'est ça.

[98]L'APPELANTE : C'est ça, mais je veux dire, lui, ça le dérange pas, là, dans son cas à lui parce qu'il vit pareil, là, il ne va pas être empêché de rien faire toute l'année, lui, à cause de ça, là. Fait que c'est pour ça, là. Mais moi je dis tout le temps, la Loi de l'impôt, si on la met à côté de ça, moi je dis qu'elle n'est pas juste. Mais la valeur de ça, je ne le sais pas. La Charte, je le sais parce qu'elle a été faite, c'est récent, c'est chez nous, j'en ai eu connaissance, c'est signé par Pierre-Elliott Trudeau, là. Ça, je sais, mais c'est pas assez expliqué, là. Ils disent " droit à la vie ".

[99]MONSIEUR LE JUGE : À la vie, à la liberté et à la sécurité. On vous référait à l'article 7, madame.

[100]L'APPELANTE : Oui, mais droit à la vie, liberté et sécurité, ça, bien, ma liberté, si on inclut liberté, là, moi, ma liberté est brimée à longueur d'année, mais moi, c'est pas toujours ça qui... Je veux dire, moi je ne peux pas argumenter là-dessus. Moi, c'est surtout le droit à la vie. Est-ce que j'ai le droit que le monde me tue pas? Est-ce que j'ai le droit... L'enfant à naître, on n'a pas le droit à l'avortement; droit à la vie, est-ce que c'est ça que cela veut dire? Je ne le sais pas ce que...

[101]MONSIEUR LE JUGE : Avant tout, c'est ça, oui.

[102]L'APPELANTE : Bon. Mais c'est ça, là. Mais pour moi, dans mon cas à moi, là, elle fait quoi, cette loi-là? Moi, je ne peux pas dire, elle ne me dérange pas beaucoup, là.

[103]MONSIEUR LE JUGE : Non.

[104]L'APPELANTE : Je veux dire, elle ne dit pas grand-chose.

[105]MONSIEUR LE JUGE : Non, parce que ça assure des droits fondamentaux minimums.

[106]L'APPELANTE : C'est vague.

[107]MONSIEUR LE JUGE : Je pense que vous êtes au-delà du minimum, là.

[108]L'APPELANTE : C'est vague.

[109]MONSIEUR LE JUGE : Je pense que vous êtes au-delà du minimum, là.

[110]L'APPELANTE : Pardon?

[111]MONSIEUR LE JUGE : Vous n'en avez peut-être pas beaucoup financièrement, mais vous êtes au-delà du minimum.

[112]L'APPELANTE : Mais le minimum, c'est-tu le seuil de la pauvreté qui le définit?

[113]MONSIEUR LE JUGE : Hein?

[114]L'APPELANTE : Est-ce que c'est le seuil de pauvreté qui définit? Non?

[115]MONSIEUR LE JUGE : Bien, le seuil de la pauvreté c'est défini par Statistiques Canada en tenant compte d'un certain nombre de facteurs. Mais ...

[116]L'APPELANTE : Mais c'est encore le gouvernement.

[117]MONSIEUR LE JUGE : Oui oui. Bien oui.

[118]L'APPELANTE : Je trouve ça drôle que... C'est sûr que si on se met à la place de mon fils, le seuil de la pauvreté quand il fait sa déclaration, ça ne le dérange pas, que ce soit six ou quinze mille, parce qu'il lui reste toujours assez d'argent en bout de ligne, là. Mais dans mon cas à moi, c'est une autre affaire.

[119]MONSIEUR LE JUGE : Non, je comprends, madame.

[120]L'APPELANTE : Puis c'est ...

[121]MONSIEUR LE JUGE : Comme je vous dis, je ne peux rien faire là-dessus.

[122]L'APPELANTE : Mais ça là, cette loi-là, si on me dit que c'est valide puisqu'elle est universelle et puis... Elle s'explique mieux, ça fait que je ne suis pas capable avec le mot. La loi qu'ils ont faite, quand on regarde ça, on ne peut pas dire qu'elle est juste.

[123]MONSIEUR LE JUGE : Non, parce que là, vous vous référez à la déclaration sur les droits de l'enfant. Je ne peux pas faire de relation entre ça et votre situation de toute façon.

[124]L'APPELANTE : Elle est inspirée par les droits de l'homme.

[125]MONSIEUR LE JUGE : Oui, mais je ne peux pas faire de relation entre ça et votre situation économique.

[126]L'APPELANTE : Puis vous n'avez même pas l'autorité, vous ne pouvez même pas donner un avis comme quoi qu'il pourrait les éveiller un petit peu. Dire, parce qu'il y a beaucoup de monde, là ...

[127]MONSIEUR LE JUGE : Non. Le seul avis que je peux donner, madame, c'est de dire, compte tenu de la Charte canadienne des droits et libertés, que ces dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu ne sont pas valides. Et je ne pense pas que vous m'avez fait la démonstration de ceci aujourd'hui.

[128]L'APPELANTE : Ne sont pas valides?

[129]MONSIEUR LE JUGE : L'article 7 auquel vous ne vous êtes pas référée, mais moi je vais vous en parler puisque c'est celui-là manifestement auquel vous pouvez possiblement faire référence. On a dit que cela ne couvrait pas les droits économiques.

[130]L'APPELANTE : Ah, ça ne couvrait pas les droits économiques?

[131]MONSIEUR LE JUGE : Non. C'est le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Et à l'heure actuelle, la façon dont cela a été interprété par les plus hauts tribunaux du pays, c'est que ça ne couvre pas les droits économiques. Alors, moi, ce que j'ai à faire après ça, c'est de me dire : est-ce que la cotisation qu'on a faite à madame est conforme à la loi. Alors, oui, elle est conforme à la loi parce qu'on vous a donné toutes les déductions auxquelles vous aviez droit.

[132]L'APPELANTE : Oui, ça, je doute pas, là. Je veux dire, est conforme à leur loi.

[133]MONSIEUR LE JUGE : Bien oui, mais ...

[134]L'APPELANTE : À leur loi.

[135]MONSIEUR LE JUGE : ... c'est la loi du pays, Madame.

[136]L'APPELANTE : Oui, mais les chartes aussi...

[137]MONSIEUR LE JUGE : Ce n'est pas leur loi, c'est la loi qui vous couvre, qui couvre maître Crépin puis les gens ici dans la salle, puis moi aussi.

[138]L'APPELANTE : Oui, je sais. Je sais, je sais, je sais, je sais. Mais c'est ça que je veux dire là, mais est-ce que si on ... Supposons, des fois je me dis je vais aller à une autre Cour.

[139]MONSIEUR LE JUGE :                        Vous pouvez aller à une autre Cour, mais il n'y en a pas d'autres qui ont une juridiction de première instance en matière d'impôt au fédéral.

[140]L'APPELANTE : Pour reconnaître si la loi est juste ou pas juste, comprenez-vous? Quelqu'un qui trancherait pour dire est-ce qu'ils ont le droit de faire cette loi-là? Est-ce qu'ils ont le droit de... Des fois je pense à ça. Mais c'est ... Si, comme je vois ici, c'est sûr que ... Ça me rentre pas dans la tête qu'il peut pas y avoir au pays, un endroit où c'est que quelqu'un va reconnaître ça, ça se peut quasiment pas.

[141]MONSIEUR LE JUGE : Bien, c'est au niveau du Parlement que l'action est la plus directe à faire. Il y a beaucoup de gens dans votre situation qui font des manifestations, qui écrivent à leur député, qui font pression, etc., pour faire changer les lois. Parce qu'on...

[142]L'APPELANTE : Ils en faisaient avant que je commence à faire ça, puis...

[143]MONSIEUR LE JUGE : Ils en font encore puis...

[144]L'APPELANTE : ...mais cela n'avançait pas plus.

[145]            MONSIEUR LE JUGE : ...ils n'ont pas fini, mais ça avance un petit peu quand même. Tranquillement ça avance. On vient de la modifier justement, sur le sujet sur lequel vous discutez aujourd'hui, on vient de modifier la loi à cet égard-là pour à nouveau indexer ces montants-là de façon à tenir compte de l'inflation.

[146]            L'APPELANTE : C'est récent parce que j'en ai eu connaissance... En tout cas, je vous remercie.

[147]            MONSIEUR LE JUGE : Alors, madame, malheureusement je dois rejeter votre appel, pour les raisons que je vous ai données. Je vous remercie.

Transcription révisée à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2001.

" Pierre Dussault "

J.C.C.I.

NO DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-5119(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 FERNANDE CHAMPOUX

                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 18 octobre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT ORAL :                          le 18 octobre 2001

DATE DU JUGEMENT ÉCRIT :                         le 24 octobre 2001

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT :             le 14 décembre 2001

COMPARUTIONS :

                Pour l'appelante :                                   L'appelante elle-même

                Pour l'intimée :                                       Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

                Pour l'appelante :

                                                Nom :                                      

                                                Étude :                                    

                Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

Dossier : 2000-5119(IT)I

ENTRE :

FERNANDE CHAMPOUX,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

CERTIFICATION DE LA TRANSCRIPTION

          Je demande que la copie ci-jointe, telle que révisée, de la transcription des motifs de la décision prononcée oralement à l'audience au Palais de Justice, 300, boulevard Jean-Lesage, Québec (Québec), le 18 octobre 2001, soit déposée.

Signée à Ottawa, Canada, ce 14e jour de décembre 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


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