Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2004-2522(GST)I

ENTRE :

HAWKINS TAXIDERMISTS OF CANADA LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Appel entendu le 22 avril 2005, à Winnipeg (Manitoba)

Devant : L'honorable juge J.E. Hershfield

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

M. Tom Heisinger

Avocate de l'intimée :

Me Tracey Telford

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis daté du 24 mars 2004 portait le numéro 09CR0600026, est accueilli sans dépens, et la cotisation est renvoyée au ministre du

Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et qu'il établisse une nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 2005.

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de décembre 2005.

Sara Tasset


Référence : 2005CCI376

Date : 20050708

Dossier : 2004-2522(GST)I

ENTRE :

HAWKINS TAXIDERMISTS OF CANADA LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

[1]      L'appelante exploite une entreprise de taxidermie au Canada. Ses fournitures de taxidermie à des non-résidents ont fait l'objet d'une cotisation pour la période allant du 1er juin 2000 au 31 août 2000 en vertu des dispositions de la Loi sur la taxe d'accise relatives à la TPS (la « Loi » ), qui exigent que la taxe sur les produits et services (TPS) soit perçue et versée pour la fourniture de services (et non la fourniture de marchandises).

[2]      Il n'est pas contesté que l'appelante a effectué une fourniture au Canada à des chasseurs non résidents qui lui ont livré des pièces de gibier abattu au Canada (les « spécimens » ) afin qu'elles soient montées sous forme d'animaux d'apparence vivante. Les pièces naturalisées ont été exportées sans que la TPS soit perçue ou versée.

[3]      L'appelante se fonde sur les articles 4 et 12 de la partie V de l'annexe VI de la Loi qui, s'ils sont applicables, détaxeraient les fournitures en question. L'intimée invoque l'article 7 de la partie V de cette annexe qui, s'il est applicable, permettrait de refuser la détaxation de ces fournitures.

[4]      Les articles 4 et 12 sur lesquels s'appuie l'appelante sont rédigés comme suit :

4.                La fourniture :

a)          d'un service, sauf un service de transport, relatif à un bien meuble corporel habituellement situé à l'étranger qui est importé provisoirement dans le seul but de permettre l'exécution du service et qui est exporté dans les meilleurs délais une fois le service exécuté;

b)          d'un bien meuble corporel fourni avec le service visé à l'alinéa a).

[...]

12.       La fourniture d'un bien meuble corporel (sauf un produit transporté en continu au moyen d'un fil, d'un pipeline ou d'une autre canalisation), dans le cas où le fournisseur, selon le cas :

a)       expédie le bien à une destination à l'étranger, précisée dans le contrat de factage visant le bien;

b)       transfère la possession du bien à un transporteur public ou à un consignataire qui a été chargé d'expédier le bien à une destination à l'étranger par l'une des personnes suivantes :

(i) le fournisseur pour le compte de l'acquéreur,

(ii) l'employeur de l'acquéreur;

c)        envoie le bien par courrier ou messager à une adresse à l'étranger.

[5]      L'alinéa 7e) invoqué par l'intimée dispose ce qui suit :

7.          La fourniture d'un service au profit d'une personne non-résidente, à l'exclusion des fournitures suivantes :

[...]

e)          un service lié à un bien meuble corporel qui est situé au Canada au moment de l'exécution du service;

[6]      Afin d'éviter l'application de l'alinéa 7e), l'appelante affirme qu'il y a vente ou fourniture d'un bien meuble corporel assujettie à l'article 12. Cette thèse de l'appelante se fonde sur les scénarios suivants :

a)        soit que la propriété du spécimen est transférée à l'appelante avant qu'elle n'effectue une fourniture, de sorte qu'au moment de la livraison du produit final au chasseur, il y a vente d'un bien meuble corporel à un non-résident, vente qui est détaxée par le jeu de l'article 12;

b)       soit que la valeur du spécimen, lorsque celui-ci est livré à l'appelante, est négligeable et que le chasseur achète un produit nouvellement fabriqué à l'aide de nouvelles matières, ce qui le distingue du bien livré à l'appelante; la fabrication et la livraison de ce nouveau bien meuble corporel est une fourniture détaxée par l'application de l'article 12.

[7]      En se fondant sur l'article 4, l'appelante fait valoir également que les spécimens qui lui sont livrés devraient être considérés habituellement situés à l'extérieur du Canada. Une distinction est faite entre les animaux abattus au Canada et la carcasse qui, dit-on, se trouve temporairement au Canada pour y être traitée par un taxidermiste. Cependant, une telle distinction ne peut pas être faite à la lumière du libellé de l'article. L'article 4 ne permet la détaxation que des spécimens provisoirement importés au Canada afin d'y être naturalisés puis retournés au client non résident. Les animaux abattus à l'étranger et envoyés à l'appelante pour l'exécution de services de taxidermie seraient détaxés en vertu de cette disposition. Cependant, lorsqu'il s'agit du montage d'animaux abattus au Canada, l'article 4 ne peut s'appliquer, car aucune des pièces d'animal servant à créer le montage ne sont importées[1].

[8]      À propos des arguments de l'appelante relatifs à l'application de l'article 12, l'intimée soutient que les spécimens restent toujours la propriété du chasseur non résident à moins qu'il soient abandonnés et, qu'en conséquence, conformément à l'alinéa 7e), une fourniture assujettie au taux de 7 % est effectuée chaque fois qu'il n'y a pas eu abandon. Il y a une fourniture de service, soit le traitement du spécimen et la création d'un montage artistique à l'aide de ce spécimen. Il s'agit de la fourniture d'un service lié à un bien meuble corporel situé au Canada au moment de l'exécution du service, et l'alinéa 7e) s'applique donc. Le fait que le service rehausse la valeur du bien et intègre de nouvelles matières ne change pas la nature de la fourniture pour qu'elle soit non plus la fourniture d'un service mais la fourniture d'un bien meuble corporel. L'intimée fait valoir aussi que la fourniture de composants fait partie d'une seule et unique fourniture et ne peut être séparée en tant que fourniture détaxée d'un bien meuble corporel.

[9]      Un dirigeant de l'appelante a témoigné à l'audience. Il a expliqué que les activités de l'appelante comprennent les quatre fournitures suivantes :

(1)      la fourniture de composants de taxidermie à des fins autres que le montage d'un animal naturalisé;

(2)      le montage d'animaux naturalisés au moyen de spécimens abattus à l'extérieur du Canada;

          (3)      le montage de poissons naturalisés;

(4)      le montage d'animaux naturalisés au moyen de spécimens abattus au Canada.

[10]     Les trois premiers aspects de l'entreprise peuvent être réglés d'emblée[2] :

(1)      la fourniture de fournitures de taxidermie (matières fabriquées et composants présumément vendus à d'autres taxidermistes) dans un but autre que le montage d'animaux ou de poissons naturalisés constitue la vente d'un bien meuble corporel. À ce titre, la vente de ces composants et matières à des non-résidents serait détaxée conformément à l'article 12;

(2)      comme nous l'avons mentionné plus haut, les spécimens importés au Canada pour y être naturalisés puis exportés à l'intention d'un chasseur non résident seraient détaxés conformément à l'article 4;

(3)      à l'audience, l'intimée a admis que les montages de poissons n'étaient pas assujettis à la TPS parce qu'ils constituent la vente d'un bien meuble corporel. Il s'agit d'une concession appropriée, parce que la vaste majorité des poissons naturalisés ne sont pas faits à partir de la peau d'origine du poisson mais fabriqués par l'appelante à 100 % avec des composants qu'elle fournit[3]. Le montage de poisson est un produit fabriqué, c'est-à-dire une réplique vendue à des non-résidents qui est détaxée conformément à l'article 12.

[11]     Les autres fournitures et la plus grande partie des activités de l'appelante ont trait au montage de divers types d'animaux et d'oiseaux envoyés par des pavillons de chasse et des pourvoiries au Canada. Dès réception, les spécimens (présumément dépecés et écharnés dans une certaine mesure la plupart du temps) sont transformés et traités par l'appelante. Le traitement des peaux, par exemple, nécessite le mélange et l'application de traitements chimiques mis au point par l'appelante depuis trois générations, quoiqu'elle a aussi recours à des tanneurs externes. Lorsqu'un spécimen est de mauvaise qualité, le chasseur a le choix d'en disposer, de le faire rapiécer ou réparer ou bien, dans certains cas, d'obtenir un spécimen de remplacement[4]. Après le traitement initial d'un spécimen d'animal satisfaisant, l'appelante crée un montage d'après les indications données dans la commande écrite du chasseur.

[12]     Après la livraison du spécimen à l'appelante, le chasseur précise le type de montage désiré sur un bon de commande de l'appelante envoyé au client non résident à son adresse personnelle ou transmis par voie électronique à partir du site Web de l'appelante. Le bon de commande constitue un accusé de réception du spécimen dépecé et de son numéro d'identification de licence. Il fait état des choix de montage, des prix et de l'acompte qui doit être versé avant le début du montage. Si le bon de commande et l'acompte ne sont pas reçus, le spécimen est mis au rebut ou utilisé afin de rapiécer ou de réparer d'autres montages.

[13]     Une fois la commande envoyée, les membres d'une équipe d'une douzaine de taxidermistes qualifiés employés par l'appelante, chacun ayant une formation et de l'expérience dans un des domaines de la taxidermie, rassemblent les peaux traitées de même que les cornes ou le panache, etc. du spécimen à l'aide de composants fabriqués spécialement conçus à cette fin et d'un mannequin fabriqué aussi spécialement conçu pour créer une oeuvre d'apparence vivante[5]. Quelques semaines avant la touche finale et la livraison du montage, le paiement entier est exigé. Sinon, il arrive souvent que l'appelante expose le montage et le vende pour son propre compte. Le représentant de l'appelante à l'audience a soutenu que c'était conforme à une pratique commerciale courante dans l'industrie, suivant laquelle la propriété est considérée être transférée au taxidermiste. C'est comme si le chasseur renonce à son droit à l'égard du bien, soit dès le début (à la livraison à l'appelante), en conservant le droit d'acheter le montage s'il paie le prix complet, soit au moment de l'intégration du bien au montage final.

[14]     Le bon de commande donne des instructions très détaillées quant au produit final que désire le chasseur. Les montages sont faits d'après les spécifications du client. La commande précise les composants ou matières qui seront fournis. Il peut s'agir d'un tapis (peau d'ours) doté d'une tête complète ou non. Il peut s'agir encore d'un montage partiel ou de grandeur réelle ou bien d'une tête et d'un panache (chevreuil ou orignal). Les variations et les combinaisons possibles pour une surprenante diversité d'animaux ne peuvent toutes être énumérées. Brièvement, disons que ce qui est le plus pertinent, c'est le degré de fabrication qui entre dans la création des montages. À un point tel, de fait, que la peau de l'animal ou la partie de son corps pourrait souvent sembler un composant très mineur, quoique très important pour le chasseur, du produit final. L'appelante fabrique les formes de la tête et du corps (des mannequins dans une grande variété de positions), des museaux artificiels, des fonds d'oreilles et des mâchoires munies de dents et de langues artificielles. Seuls les yeux artificiels sont importés. Si nécessaire, l'appelante se sert de pièces tirées de ses propres stocks de spécimens abandonnés. Autrement dit, les animaux naturalisés sont constitués en grande partie de composants fournis par l'appelante. En outre, bon nombre de montages supposent la reproduction de l'habitat naturel pour les spécimens de grandeur réelle.

[15]     Le prix des montages reflète le coût de revient de toutes ces fournitures corporelles pour l'appelante. Entre 40 et 50 % environ du coût des montages sont imputables aux composants fabriqués fournis par l'appelante; de 50 à 60 % du coût est attribuable à la main-d'oeuvre. L'appelante affirme qu'aucune valeur ne peut être attribuée au spécimen fourni par le chasseur. Sauf de rares exceptions, notamment dans le cas d'un grizzly ou d'un ours polaire, j'accepte le témoignage non réfuté de l'appelante sur ce point. Un vaste nombre de spécimens ne seraient guère plus que des tas de poils ou des morceaux de fourrure sans valeur à l'usine.

[16]     Le point en litige dans la présente affaire serait facilement résolu si les éléments de preuve corroboraient la première affirmation de l'appelante, c'est-à-dire que la peau ou la partie du corps de l'animal devient d'une manière quelconque la propriété de l'appelante à un moment donné avant le transfert du montage au non-résident. Dans ce cas, le transfert constituerait clairement la fourniture (la vente) d'un bien meuble corporel. Cependant, je ne vois rien qui m'amène à conclure qu'il y a un transfert de propriété quel qu'il soit à l'appelante par le chasseur, qui est le propriétaire légal de la carcasse[6]. Supposer un tel transfert légal en invoquant une pratique commerciale apparaît assez présomptueux en l'absence d'arguments de nature juridique établissant une distinction entre l'acte de dépôt, les privilèges et les droits de propriété personnels. Puisque le législateur accorde aux chasseurs plusieurs options, entre autres le retour des peaux traitées, on peut en conclure que, s'il n'y a aucune mesure d'abandon, les spécimens demeurent la propriété des chasseurs. Bien que de solides arguments semblent effectivement militer en faveur d'un transfert de la propriété advenant un abandon, ce fait n'aide en rien l'appelante, car la question relative à la TPS dans le présent appel ne survient que dans les cas où il n'y a pas d'abandon. De toute manière, le fardeau de la preuve incombe à l'appelante, et celle-ci ne s'en est pas acquittée sur ce point. Voilà qui m'amène à l'autre argument de l'appelante.

[17]     Selon cet argument, le chasseur fait l'achat d'un produit nouvellement fabriqué au moyen de nouveaux composants qui est distinct du bien livré à l'appelante. La propriété antérieure d'un composant du produit final est soit non pertinente, soit d'une importance et d'une valeur tellement négligeables qu'elle n'a aucune incidence sur la nature de la fourniture. Il s'ensuit que la fourniture est la livraison d'un bien meuble corporel nouvellement fabriqué, fourniture qui est détaxée conformément à l'article 12.

[18]     L'intimée estime que l'essence de la seule et unique fourniture faisant l'objet du contrat est l'expertise et le talent reflétés dans la qualité d'exécution, c'est-à-dire la main-d'oeuvre qui entre dans la fourniture. Autrement dit, la fourniture effectuée est essentiellement un service et non pas un bien meuble corporel. L'intimée invoque l'arrêt Robertson c. Canada,[7] où la Cour canadienne de l'impôt a conclu que la taxidermie n'était pas la fourniture d'un bien meuble corporel mais plutôt la fourniture d'un service et, par conséquent, qu'elle n'était pas détaxée en vertu de l'alinéa 7e). Même si les faits dans l'affaire Robertson sont semblables à ceux du présent appel, il y a des différences. La principale est que M. Robertson, concurrent de l'appelante, ne fabriquait pas ses composants dans la même mesure que l'appelante et n'exerçait aucune activité distincte de vente de fournitures de taxidermie. En outre, il semble qu'il y ait eu dans l'affaire Robertson moins d'éléments de preuve qu'en l'espèce au sujet du degré de fabrication entrant dans la taxidermie. L'analyse faite dans cet arrêt n'a donc vraisemblablement pas comporté l'examen de l'autre argument avancé dans le présent appel. J'effectuerai donc maintenant une analyse des règles de droit dans ce domaine en tenant compte de la teneur des intrants matériels de l'appelante.

[19]     Lorsqu'il y a adjonction d'un bien par le travailleur au bien d'un client (comme c'est le cas ici), en règle générale, le bien du travailleur se rattache au bien du client et devient la propriété de ce dernier par accession. C'est ce qu'on appelle un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux. Il s'agit de la fourniture d'un service et non de la vente de marchandises. C'est ce qu'établit clairement une riche jurisprudence au Canada ayant suivi les principes énoncés dans l'arrêt britannique Robinson v. Graves[8]. Unjugement canadien en matière d'impôt sur le revenu particulièrement intéressant a été rendu dans l'affaire Crown Tire Services Ltd. c. La Reine[9], cité avec l'approbation de la Cour suprême dans l'arrêt Will-Kare Paving and Construction Ltd. c. Canada[10]. Dans l'affaire Crown Tire, le tribunal devait déterminer si le bénéfice de l'entreprise était tiré de la fabrication ou de la transformation de marchandises destinées à la vente, ouvrant alors droit à un taux d'imposition avantageux. L'appelante, Crown Tire, appliquait des bandes de caoutchouc aux vieux pneus des clients et fabriquait des pneus rechapés. En confirmant que le bien de Crown Tire (les bandes de caoutchouc) était transféré par accession lorsqu'il était ajouté au bien du client, le tribunal s'est appuyé sur la règle générale : lorsqu'un travail effectué sur le bien du client implique l'adjonction de matériaux du travailleur à ce bien, le contrat est un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux. Par conséquent, dans cette affaire, il n'y avait aucun bénéfice tiré de marchandises destinées à la vente. Pour confirmer l'application de ce point de vue aux faits dans cette affaire, le juge Strayer (tel était alors son titre) s'est fondé à la page 224 sur la preuve indiquant que les bandes de roulement des pneus n'étaient pas vendues sans être fixées au pneu du client. En l'espèce, contrairement aux affaires Crown Tire et Robertson, l'appelante exerce des activités de vente distinctes à l'égard des matériaux qui sont intégrés aux montages fournis aux chasseurs à partir de leurs spécimens. Bien que cette conclusion appuie la thèse de l'appelante, elle ne peut être déterminante en soi. Une analyse approfondie s'impose. Je me reporterai à l'arrêt Will-Kare en tant que jugement marquant pour aborder cette analyse en m'appuyant sur les principes généraux de la common law qui permettent de distinguer un contrat de vente de marchandises et un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux. Je m'inspire des principes d'interprétation énoncés dans cette affaire parce que j'estime qu'ils sont appropriés pour interpréter les dispositions applicables de la Loi relatives à la TPS qui sont examinées dans le présent appel même si l'arrêt Will-Kare concernait l'interprétation des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[20]     Je souligne ici que l'analyse fondée sur la common law (en vue de déterminer s'il existe un contrat de vente de marchandises ou un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux) semble porter à croire nécessairement que la fourniture est une seule et unique fourniture. Cette remarque est importante. Dans le contexte de la TPS, cette conclusion doit être tirée expressément. Une fois qu'on a déterminé qu'une fourniture est une seule et unique fourniture, la seule conclusion qui favorisera l'appelante est que cette seule et unique fourniture est une vente de marchandises. Bien que le transfert d'un bien par accession soit une fourniture de marchandises aux fins de la TPS[11], ce n'est pas le cas lorsqu'une fourniture donnant lieu à un transfert par accession fait partie d'une seule et unique fourniture d'ouvrage et de matériaux. Dans un tel cas, la fourniture distincte, soit le transfert du bien par accession, n'est pas reconnue pour les besoins de la TPS.

[21]     Il ne fait aucun doute en l'espèce que l'appelante n'a effectué qu'une seule et unique fourniture. Dans l'affaire O.A. Brown Ltd. c. Canada[12], le critère permettant de conclure qu'il y avait une seule et unique fourniture, et non pas plusieurs, se fondait, de façon générale du moins, sur l'interdépendance des fournitures. Les éléments d'un ensemble complet qui ne peuvent être raisonnablement séparés constituent une seule et unique fourniture. Si les composants acquis en vertu d'un seul et unique contrat auprès d'un seul et unique fournisseur ont une valeur pour le consommateur uniquement quand ils sont combinés, la fourniture est une seule et unique fourniture. Le contrat en l'espèce vise clairement la fabrication du montage final de l'animal. Les éléments de la fourniture effectuée par l'appelante - l'expertise, le talent et les qualités artistiques nécessaires pour combiner ses matériaux et le spécimen du chasseur - sont tout à fait interdépendants et ne peuvent être raisonnablement séparés lorsque les chasseurs ont livré leurs spécimens et commandé un montage d'animal.

[22]     La conclusion suivant laquelle il y a une seule et unique fourniture ne détermine pas en soi la nature de cette fourniture. L'analyse relative à la fourniture unique pourrait permettre d'établir l'essence de cette fourniture, mais pour le moment, je soulignerai que cette conclusion recoupe un peu, quoique pas complètement, le critère énoncé dans la common law pour décider si le contrat est une vente de marchandises ou la fourniture d'ouvrage et de matériaux[13]. Il est préférable, à mon avis, d'examiner la question sous l'angle de la vente de marchandises.

[23]     Je suis convaincu qu'il y a ici deux composants du bien meuble corporel très pertinents liés à la fourniture. Le premier est le bien du chasseur et le second, le bien de l'appelante. Dans l'arrêt Robinson v. Graves, le lord juge Greer a statué que, dans le cas où les matériaux n'ont relativement pas d'importance comparativement à la main-d'oeuvre, le contrat est un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux[14]. Même si cette décision n'a pas énoncé expressément qu'il n'est alors pas important de savoir qui détient ou fournit les matériaux, les faits permettent de tirer une telle inférence. Les matériaux dans l'affaire Robinson v. Graves étaient une toile et des peintures à l'huile; le service fourni était la confection d'un portrait. Dans ce cas, il n'est pas important de savoir qui détenait ou produisait les matériaux ou bien si le travailleur les vendait à d'autres clients dans le cadre d'une entreprise de vente distincte. L'essence même de la fourniture dans l'affaire Robinson v. Graves était le fait de peindre un portrait. C'était clairement l'objet principal du contrat et le but principal des parties, de sorte que les matériaux fournis avaient relativement peu d'importance. Ceci étant dit, on ne pouvait conclure que le contrat visait l'achat de matériaux. Cependant, lorsque les matériaux pertinents sont fournis par les deux parties au contrat, l'objet de l'analyse pourrait changer.

[24]     Lorsqu'un travail est fait sur les marchandises du client, il est plus probable qu'il s'agira d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux, même si les matériaux pertinents sont ajoutés par le travailleur. C'est ce qu'a confirmé l'arrêt Crown Tire. Bien que cette décision soit fondée sur des facteurs comme l'absence d'une source de revenu importante tirée des ventes sans lien avec les services, elle ne renferme aucun principe permettant d'analyser les différents facteurs lorsqu'on détermine la possibilité que l'accession puisse amener une conclusion opposée, ce qui est essentiellement l'argument subsidiaire de l'appelante. En conséquence, lorsque les marchandises du travailleur et celles du client jouent toutes deux un rôle fondamental dans la création d'un produit, l'accession peut aller dans les deux directions. Les matériaux du travailleur pourraient se fusionner aux marchandises du client ou les marchandises du client pourraient se fusionner aux fournitures de biens corporels du travailleur.

[25]     Dans l'ouvrage Benjamin's Sale of Goods, 6e éd., on peut lire ce qui suit au paragraphe 44, à la page 37 :

[TRADUCTION]

Lorsqu'un article doit être fabriqué et que tous les matériaux sont fournis par la personne pour qui le travail doit être fait, il est évident qu'il ne peut y avoir aucune vente à moins qu'il y ait un transfert particulier de matériaux suivi du rachat du produit. Si chaque partie fournit certains matériaux ou composants, le tribunal doit déterminer laquelle des parties a fourni les « principaux matériaux » ; il s'ensuit alors que les matériaux fournis par l'autre partie sont transférés par accession au propriétaire des principaux matériaux. On a statué que la question de savoir quels sont les principaux matériaux relève de l'ensemble des circonstances et que leur valeur relative n'est pas déterminante. [Notes de bas de page omises.]

Les auteurs formulent ensuite une analogie qui doit être soulignée. Lorsqu'un écrivain apporte un manuscrit à un éditeur et que celui-ci crée un livre à partir de matériaux qui sont sa propriété, y a-t-il vente d'un bien ou fourniture d'ouvrage et de matériaux quand le produit final est livré à l'écrivain? Les auteurs de l'ouvrage Benjamin's Sale of Goods estiment qu'il serait exceptionnel de conclure que l'éditeur a été engagé dans le cadre d'un contrat de vente de marchandises. Si l'employeur fournit les principaux matériaux, le contrat doit être un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux. Au paragraphe 46, les auteurs énoncent ensuite que, dans le cas où le travail ou le talent entrent en jeu dans la fabrication des marchandises livrées, il est possible, et souvent correct, de considérer que le contrat vise « essentiellement » les services du travailleur. À mon point de vue, ce principe général est utile quand les deux parties au contrat fournissent des matériaux qui pourraient être vus comme les principaux matériaux dans l'exécution du contrat. S'il est difficile de décider quels sont les principaux matériaux, l'importance du talent et de l'expertise du travailleur pourrait être déterminante afin qu'on puisse décider s'il s'agissait de la fourniture d'un service.

[26]     La notion de « principaux matériaux » est utile dans le présent appel. J'ai précisé plus tôt que le montage d'un poisson était la fourniture d'un bien meuble corporel même si la peau véritable du poisson est employée dans la naturalisation. La peau du poisson n'a aucune importance relativement au mannequin, aux laques, aux peintures et aux autres matières connexes ainsi qu'au talent et aux qualités artistiques que nécessite la fabrication du montage. Une preuve nous en convainc, soit que la plupart des montages de poissons vendus sont des répliques n'utilisant pas la peau des poissons. Lorsque la peau du poisson est employée, elle se fusionne au bien de l'appelante. Le transfert de la peau de poisson à l'appelante survient par accession et le montage est ensuite vendu au client.

[27]     Dans le cas d'autres montages d'animaux, il manque des preuves similaires quant au peu d'importance des spécimens ou des pièces que fournit le chasseur. Les exemples de commandes de montages utilisant des remplacements de spécimens endommagés et de ventes de spécimens abandonnés semblent être l'exception. Il n'y a aucune preuve neutre du point de vue de l'appelante, soit que ses matériaux constituent les principaux matériaux liés à ses services. De fait, les éléments de preuve indiquent le contraire. Pour ce qui est des montages d'animaux, l'appelante ne pourrait exercer finalement aucune activité si les chasseurs ne concluaient pas de contrats visant la naturalisation de leurs biens, c'est-à-dire leurs spécimens. Les spécimens sont les principaux matériaux. Bien que la fourniture de marchandises par l'appelante soit importante, les spécimens des chasseurs revêtent une importance primordiale pour les chasseurs et l'appelante. Celle-ci ne s'est certainement pas acquittée de son obligation de prouver le contraire.

[28]     Je soulignerai que ma conclusion, soit que les principaux matériaux en l'espèce sont les spécimens, ne dépend pas de la valeur relative des intrants, de la source de profit, de l'identité du fabricant des composants utilisés par l'appelante pour donner « vie » aux spécimens des chasseurs ni de l'importance relative des activités de vente de fournitures de taxidermie par l'appelante. Le critère appliqué consiste simplement à prendre en considération l'importance des matériaux mêmes. Un montage de poisson est une vente de marchandise parce que la peau du poisson n'est pas le principal matériau. Le montage d'autres animaux est une fourniture d'ouvrage et de matériaux parce que les spécimens sont les principaux matériaux. S'il existe un doute quelconque au sujet de la validité de cette conclusion, l'importance du talent du travailleur en l'espèce m'amènerait aussi à conclure que la fourniture de montages d'animaux est une fourniture d'ouvrage et de matériaux. Les matériaux utilisés par l'appelante sont simplement le moyen par lequel le taxidermiste exprime son talent et, à ce titre, sont de nature accessoire. Par conséquent, il n'y a aucune vente de marchandises qui serait détaxée en vertu de l'article 12. La fourniture de montages d'animaux est un service exclu de la détaxation conformément à l'alinéa 7e).

[29]     Avant de conclure, je mentionnerai que l'appelante a également soulevé des points comme l'incidence du manque d'uniformité dans les pratiques de cotisation, les changements rétroactifs apportés à ces pratiques et la mauvaise communication de ces pratiques. Je n'ai relevé aucune preuve corroborant ces assertions. De fait, à mon avis, les preuves indiquent le contraire. Les changements apportés aux pratiques de cotisation, le cas échéant, étaient de nature prospective. Il n'y a eu aucun problème de communication, et la seule incohérence au chapitre des pratiques de cotisation que je constate aurait pu se produire si la cotisation de l'appelante n'avait pas été établie sur les mêmes bases que la cotisation de son concurrent Robertson.

[30]     Par conséquent, l'appel est accueilli, sans dépens, uniquement à l'égard des fournitures suivantes à des non-résidents : la fourniture de montages de poissons, la fourniture de montages d'animaux à partir de spécimens importés de l'extérieur du Canada, la fourniture de montages d'animaux créés à partir de spécimens non fournis par l'acheteur et la fourniture de composants de taxidermie dans un but autre que la création d'un montage d'animal.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juillet 2005.

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de décembre 2005.

Sara Tasset



[1] À leur arrivée de divers endroits au Canada, les spécimens sont généralement traités par l'appelante avant son premier contact avec le chasseur. Les commandes sont prises par la suite en ligne ou par télécopieur. Les spécimens ne peuvent être exportés à moins d'être traités. À l'occasion, la commande visera le retour de spécimens traités. Dans de tels cas, l'alinéa 7e)empêchera la détaxation de la fourniture.

[2] Bien que les poissons naturalisés aient été assujettis à un taux de 7 % dans la nouvelle cotisation visée par le présent appel, il ne me semble pas que la vente séparée de fournitures de taxidermie à des non-résidents ou la fourniture à des non-résidents du montage de spécimens abattus à l'étranger aient été l'objet d'une nouvelle cotisation en conséquence. Au cas où elles l'auraient été, j'en fais mention dans la conclusion de mes motifs.

[3] Même lorsque des peaux de poisson sont utilisées, la preuve a montré que la peau constituait un élément négligeable du produit fini. Dans les deux cas, le fini extérieur reflète l'interprétation artistique du taxidermiste qui reproduit le poisson sous forme de trophée (ou de [TRADUCTION] « permatrophée » pour reprendre le terme utilisé par l'appelante).

[4] Les preuves ne donnent aucune précision sur les clients qui auraient obtenu des spécimens de remplacement. Il serait cependant logique, d'après le témoignage de l'appelante, de présumer que celle-ci pourrait avoir en sa possession des spécimens abandonnés ou de peu de valeur, même des montages impayés mais terminés ou près de l'être, qui pourraient être substitués à des spécimens de mauvaise qualité de la même espèce. Dans de tels cas, l'article 12 entraînerait clairement la détaxation de la fourniture.

[5] Le dictionnaire Canadian Oxford Dictionary définit la taxidermie comme étant l'art de préparer, de rembourrer et de monter les peaux d'animaux, d'oiseaux, etc. dans des poses d'apparence vivante. Une telle définition tient compte de l'aspect artistique du processus mais pas du fait que le produit final est un produit fabriqué, à cause du terme [TRADUCTION] « rembourrer » . La mention du « rembourrage » des peaux d'animaux jette un éclairage trompeur sur la véritable nature de la fourniture, mise en lumière par la preuve dans le cadre du présent appel, preuve dont j'accepte l'exactitude.

[6] Loi sur la conservation de la faune, C.P.L.M., ch. W-130, article 86, et Friedberg c. Canada, [1999] A.C.F. no 1255 (CAF).

[7][2002] G.S.T.C. 13. (C.C.I.).

[8][1935] 1 K.B. 579. Voir par exemple Reg Rad Tech Ltd. v. The Queen, 90 DTC 6350; Dixie X-Ray Associates Ltd. c. Canada, [1988] 2 C.F. 89 (C.F., 1ère inst.); Preload Company of Canada v. Regina (1958), 13 D.L.R. (2d) 305 (C.A. Sask.), confirmé [1959] R.C.S. 801 (C.S.C.).

[9][1984] 2 C.F. 219 (C.A.F.).

[10][2001] 1 R.C.S. 915 (C.S.C.). L'arrêt Will-Kare est important parce qu'il a établi que, dans les affaires touchant l'impôt sur le revenu, la common law prévalait lorsqu'il fallait décider s'il y avait une vente. Dans plusieurs décisions en matière d'impôt sur le revenu, les tribunaux avaient conclu que des « marchandises destinées à la vente » s'entendaient aussi de marchandises fournies à des clients à titre onéreux indépendamment de la prestation d'un service lié à la fourniture de ces marchandises. C'est donc dire que ces arrêts mettaient de côté les règles de droit générales, soit que ce lien doit être pris en considération pour que la fourniture ne constitue pas simplement une fourniture d'ouvrage et de matériaux qui n'est pas une vente de marchandises. Ces décisions ont été infirmées par l'arrêt Will-Kare, qui a confirmé la nécessité de déterminer si un contrat vise la vente de marchandises ou la fourniture d'ouvrage et de matériaux en appliquant les principes de common law comme dans l'affaire Crown Tire.

[11] Une « fourniture » au sens de l'article 123 s'entend de la livraison de biens ou de la prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation. Le transfert de matériaux par accession constitue donc le transfert d'un bien meuble corporel.

[12] [1995] A.C. I. no 678.

[13] La différence possible entre une conclusion relative à l'essence de la fourniture dans une analyse portant sur le caractère unique ou mixte de la fourniture et une conclusion relative à la nature du contrat, à savoir s'il s'agit d'un contrat de vente de marchandises ou d'un contrat de fourniture d'ouvrage et de matériaux, peut être une question de perspective. On a tendance dans le présent appel à adopter le point de vue du chasseur. Pour le chasseur, le spécimen est un composant d'importance cruciale, tout comme le talent du taxidermiste. Les matériaux du taxidermiste sont probablement quelque peu accessoires au montage final commandé. Par ailleurs, un taxidermiste comme l'appelante considère le contrat principalement comme l'assemblage spécialisé et artistique de ses propres composants fabriqués. Pour les besoins de la TPS, la perspective du fournisseur pourrait être pertinente. C'est la responsabilité du fournisseur de prélever la taxe sur ses fournitures qui est en cause. L'article 165 impose à l'acquéreur la responsabilité de verser la taxe sur la valeur de la contrepartie de la fourniture. Au paragraphe 25 de l'arrêt O. A. Brown, le juge Rip, citant d'autres décisions, pose la question (existence d'une seule et unique fourniture ou de plusieurs fournitures) comme suit : Qu'est-ce que le contribuable a fourni en contrepartie de la somme qu'il exigeait? Par ailleurs, la fourniture est un contrat entre le fournisseur et l'acquéreur. La perspective de ce dernier ne peut être laissée de côté. L'analyse sera en fin de compte objective. L'approche fondée sur la common law, préconisée dans l'arrêt Will-Kare, repose clairement sur une analyse objective lorsqu'on doit déterminer l'essence du contrat. Comme nous le décrirons plus loin dans les présents motifs, cette approche fondée sur la common law tient compte de l'importance relative des matériaux mêmes. Il est utile, du moins en l'espèce, d'examiner l'importance des matériaux particuliers par rapport à la fourniture.

[14]L'arrêt Robinson v. Graves est considéré déterminant sur ce point et a prévalu sur des opinions contradictoires exprimées dans d'autres décisions. Voir la note 8.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.