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Dossier : 2000‑2864(IT)G

ENTRE :

ANCHOR POINTE ENERGY LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Requête entendue le 8 juin 2006, à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Devant : L'honorable juge en chef D. G. H. Bowman

 

Comparutions :

 

Avocats de l'appelante :

Me Craig Sturrock

Me Terry Gill

 

 

Avocates de l'intimée :

Me Wendy Burnham

Me Deborah Horowitz

________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

          La réponse à la question soumise en application de l'article 58 des Règles est : « À l'intimée ».

 

          Les dépens afférents à la présente requête suivent l'issue de la cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juillet 2006.

 

 

« D. G. H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de septembre 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2006CCI424

Date : 20060721

Dossier : 2000‑2864(IT)G

ENTRE :

ANCHOR POINTE ENERGY LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge en chef Bowman

 

[1]     Il s'agit en l'espèce de trancher une question en application de l'alinéa 58(1)a) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale). La question soumise à la Cour par consentement des parties est la suivante :

 

[TRADUCTION]

 

À qui incombe la charge de prouver l'exactitude des hypothèses de fait sur lesquelles le ministre du Revenu national s'est appuyé la première fois lors de la ratification d'une nouvelle cotisation en application du paragraphe 165(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu?

 

[2]     Il convient d'exposer brièvement le contexte dans lequel s'inscrit la présente affaire. Selon l'avis d'appel, les sociétés remplacées par l'appelante ont acheté des données sismiques de différents vendeurs.

 

[3]     Les paragraphes 12 à 19 de l'avis d'appel sont ainsi rédigés :

 

[TRADUCTION]

 

12.       Chaque société remplacée a acheté les données sismiques dans l'intention de les utiliser en vue de déterminer l'existence, la localisation, l'étendue ou la qualité de gisements de pétrole et de gaz naturel au Canada, et c'est bien à cette fin que les données ont servi.

 

13.       Les activités d'exploration entreprises par l'appelante et les sociétés qu'elle a remplacées en liaison avec les données sismiques comprennent ce qui suit :

 

(a)        des analyses géologiques, géophysiques et techniques des données sismiques afin d'établir s'il existe des zones productives possibles;

 

(b)        l'analyse du territoire disponible;

 

(c)        la conclusion d'accords d'affermage;

 

(d)        l'acquisition de concessions de pétrole et de gaz naturel;

 

(e)        le forage de puits.

 

14.       Dans le calcul de son revenu sous le régime de la partie I de la Loi, chaque société remplacée :

 

(a)        a traité le prix d'achat à titre de « frais d'exploration au Canada » (« FEC ») et a ajouté cette somme à ses « frais cumulatifs d'exploration au Canada » (au sens de ces expressions selon le paragraphe 66.1(6) de la Loi) en 1991;

 

(b)        a déduit des frais cumulatifs d'exploration au Canada en application du paragraphe 66.1(3) de la Loi pour son année d'imposition 1991 de la façon suivante :

 

Société remplacée

Somme déduite

 

 

Anchor Pointe I

328 000 $

Anchor Pointe II

820 000 $

Anchor Pointe III

164 000 $

Anchor Pointe IV

164 000 $

Anchor Pointe V

164 000 $

 

15.       Par des avis de nouvelle cotisation, le ministre a établi à l'égard de l'appelante de nouvelles cotisations d'impôt pour son année d'imposition 1991 dans lesquelles il a réduit ses FEC de la manière suivante :

 

Date de l'avis de nouvelle cotisation

Réduction des FEC

 

 

17 février 1994

de 328 000 $ à 92 000 $

4 mars 1994

de 820 000 $ à 229 000 $

4 mars 1994

de 164 000 $ à 46 000 $

4 mars 1994

de 164 000 $ à 46 000 $

4 mars 1994

de 164 000 $ à 46 000 $

 

16.       Afin de justifier les nouvelles cotisations, le ministre mentionne, dans les formulaires explicatifs T7W‑C et ses lettres de proposition, que l'appelante avait uniquement droit à une déduction jusqu'à concurrence de la juste valeur marchande des données sismiques établie par l'unité de l'Évaluation de biens mobiliers. Aucun autre motif n'a été donné à l'appui des nouvelles cotisations.

 

17.       Par des avis datés du 10 mars 1994 et du 14 mars 1994 respectivement, l'appelante s'est opposée à la nouvelle cotisation de février et aux nouvelles cotisations de mars.

 

18.       Par des avis datés du 28 mars 2000, le ministre a ratifié ses nouvelles cotisations en affirmant ce qui suit :

 

(a)        Les données sismiques acquises en vue d'une revente ou d'un octroi de permis ne sont pas admissibles à titre de FEC au sens de l'alinéa 66.1(6)a) de la Loi.

 

(b)        De plus, même si les activités satisfaisaient au critère relatif à l'objet énoncé à l'alinéa 66.1(6)a) de la Loi, vous avez omis d'établir que la juste valeur marchande des données sismiques en cause correspondait à celle visée par la déduction [...]

 

19.       Le ministre a initialement soulevé l'argument subsidiaire énoncé au paragraphe 18(a) ci‑dessus dans l'avis de ratification du 28 mars 2000, lequel a été délivré après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1991 de l'appelante, telle que cette période est établie suivant le paragraphe 152(3.1) de la Loi.

 

[4]     Les alinéas 10(q), (r) et (z) de la réponse à l'avis d'appel énoncent ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

(q)        API, APII, APIII, APIV et APV n'ont pas acheté les données sismiques en vue de déterminer l'existence, la localisation, l'étendue ou la qualité d'un gisement de pétrole ou de gaz;

 

(r)        les données sismiques n'ont pas été utilisées pour l'exploration;

 

(z)        les données sismiques achetées par API, APII, APIII, APIV et APV ne sont pas admissibles à titre de frais d'exploration au Canada (« FEC ») au sens de l'alinéa 66.1(6)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »).

 

[5]     Ces « hypothèses » se fondent sur la décision Global Communications Limited c. La Reine, no A‑426‑97, 18 juin 1999, 99 D.T.C. 5377, de la Cour d'appel fédérale. L'appelante a présenté une requête afin d'obtenir la radiation de certaines parties de la réponse. Dans le cas des alinéas (q) et (r), ces hypothèses ne pouvaient avoir été formulées au moment d'établir les cotisations puisque la décision Global n'avait pas encore été rendue. Dans les motifs qu'il donne à l'appui de sa décision portant radiation des alinéas (q), (r) et (z), le juge Rip affirme :

 

[7]        Le ministre a alors ratifié les nouvelles cotisations « en se fondant sur les conclusions énoncées dans l'affaire Global », d'après le « rapport sur une opposition ou un appel » de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (« ADRC ») en date du 17 mars 2000. Le ministre était d'avis qu'aucune preuve n'indiquait que les données sismiques achetées par les « corporations » remplacées devaient être utilisées par les « corporations » elles‑mêmes pour fins d'exploration pétrolière et gazière.

 

[8]        Si le fisc avait initialement établi de nouvelles cotisations appliquant les motifs énoncés dans la décision Global Communications, il aurait refusé toutes les déductions de FEC indiquées par les « corporations » remplacées. L'ADRC a toutefois admis des déductions de FEC, ne refusant que la partie de la déduction de FEC liée à la partie du coût des données sismiques qui était en sus de la juste valeur marchande. L'auteur du « rapport sur une opposition ou un appel » reconnaît ceci : « notre point de vue sur le droit est que de nouvelles cotisations à la hausse à l'égard d'années frappées de prescription ne doivent pas être établies. Cela signifie que nous ne pouvons accroître le montant de l'impôt à payer [...] nous ne pouvons établir une nouvelle cotisation refusant les FEC admis par voie de vérification [...] pour l'année d'imposition 1991. »

 

[9]        Les notifications de ratification (ci‑après appelées les « notifications » ou la « notification ») envoyées à la requérante disaient que les nouvelles cotisations avaient été ratifiées en se fondant sur ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Des données sismiques achetées pour fins de revente ou d'octroi de permis ne sont pas admissibles au titre de frais d'exploration au Canada (« FEC ») au sens de l'alinéa 66.1(6)a) de la Loi.

 

De plus, même si les activités répondaient au critère de l'objet qui est énoncé à l'alinéa 66.1(6)a) de la Loi, vous n'avez pas établi que les données sismiques en cause avaient la juste valeur marchande de 328 000 $ que vous aviez indiquée.

 

[10]      En d'autres termes, la principale raison pour laquelle les nouvelles cotisations ont été ratifiées tient aux motifs énoncés dans l'arrêt Global Communications; le fondement initial des nouvelles cotisations est devenu le fondement subsidiaire des ratifications. La requérante a interjeté appel et, dans son avis d'appel, elle alléguait que les « corporations » remplacées n'avaient pas payé un prix excessif pour les données sismiques. La requérante niait également le fondement premier des ratifications, en disant que les données sismiques avaient été achetées « pour être utilisées en vue de déterminer l'existence, la localisation, l'étendue et la qualité de gisements de pétrole et de gaz naturel au Canada et ont été utilisées à cette fin ». La requérante a en outre décrit les activités d'exploration exercées par elle et les « corporations » remplacées par elle relativement aux données sismiques.

 

[...]

 

[26]      La Couronne a une sérieuse obligation qui est d'énoncer honnêtement et intégralement les hypothèses effectives sur lesquelles le ministre s'est fondé en établissant la cotisation, qu'elles appuient ou non la cotisation. Le fait d'alléguer dans la réponse à l'avis d'appel que le ministre s'est fondé sur des hypothèses qu'il ne peut avoir formulées n'est pas une façon de satisfaire à cette obligation.

 

[27]      Les alinéas 10q), r) et z) de la réponse devraient être supprimés. Contrairement à ce qu'affirme le procureur général, il n'est pas vrai que, en établissant la cotisation, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait formulées dans ces alinéas. Cela représente à mon avis un recours abusif à la Cour. Le processus de cotisation peut inclure à la fois l'établissement de la cotisation et le réexamen de celle‑ci pouvant conduire à une ratification de cotisation, mais la mention d'une cotisation proprement dite est la mention d'une mesure administrative distincte d'une ratification.

 

[28]      Je trouve vraiment dérangeant que le procureur général inclue constamment des conclusions de droit parmi les hypothèses de fait prétendument formulées par le ministre en établissant une cotisation. L'alinéa 10z) représente une de ces conclusions de droit qui n'ont pas leur place parmi les hypothèses de fait du ministre et qui devraient être supprimées de toute façon.

 

[29]      Dans sa réponse, la Couronne n'a pas à se limiter à alléguer des hypothèses de fait formulées par le ministre en établissant la cotisation, comme elle a tendance à le faire. Conformément au paragraphe 49(1) des Règles, une réponse indique non seulement « les conclusions ou les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé en établissant sa cotisation », mais aussi « tout autre fait pertinent ». Pour ce qui est des faits énoncés aux alinéas 10q) et r), il n'y a aucune raison pour laquelle le procureur général n'aurait pu les énoncer ailleurs dans l'« exposé des faits » de la réponse de l'intimée.

 

[6]     Il a refusé de radier les autres parties de la réponse. Les deux parties ont interjeté appel à la Cour d'appel fédérale, qui a rejeté l'appel et l'appel incident.

 

[7]     Le juge Rothstein de la Cour d'appel fédérale a tenu les propos suivants :

 

[21]      La Couronne soutient que les mots « [TRADUCTION] En établissant de nouvelles cotisations » au paragraphe 10 s'entendent du « [TRADUCTION] processus d'établissement de l'impôt à payer ». Le ministre peut considérer que le processus dans son ensemble, à compter de sa première action après le dépôt d'une déclaration jusqu'à sa dernière – en l'occurrence la ratification d'une nouvelle cotisation –, constitue le processus d'établissement de l'impôt à payer. La Loi de l'impôt sur le revenu, toutefois, prévoit des actions spécifiques que le ministre peut prendre, soit l'établissement d'une cotisation, l'établissement d'une nouvelle cotisation et la ratification. La Loi ne recourt pas à l'expression « processus d'établissement de l'impôt à payer ».

 

[22]      L'établissement d'une nouvelle cotisation et la ratification sont des actions distinctes que le ministre exerce. Il découle d'une nouvelle cotisation la modification d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation antérieure. Il découle d'une ratification que la cotisation ou la nouvelle cotisation antérieure demeure inchangée. La Couronne induit en erreur en affirmant que le ministre s'est fondé sur certaines hypothèses en établissant une nouvelle cotisation, alors qu'il l'a plutôt fait en ratifiant une nouvelle cotisation.

 

[23]      Alléguer l'existence d'hypothèses confère comme avantage important à la Couronne de renverser le fardeau de preuve, de sorte que le contribuable doive réfuter les hypothèses du ministre. Les faits allégués comme hypothèses doivent être précis et exacts afin que le contribuable sache bien clairement ce qu'il lui faudra prouver. Il n'y a aucune raison pour que l'exigence de précision et d'exactitude ne s'applique pas à l'énoncé exact par la Couronne des circonstances ayant donné lieu aux hypothèses, soit l'établissement d'une cotisation, l'établissement d'une nouvelle cotisation ou la ratification d'une cotisation. Pour ces motifs, c'est à juste titre que le juge Rip a conclu que les alinéas 10q), r) et z) étaient inexacts et qu'il fallait les supprimer de la réponse.

 

[24]      Le juge Rip a supprimé l'alinéa 10z) pour un motif additionnel. Il estimait que cet alinéa représentait « une de ces conclusions de droit qui n'ont pas leur place parmi les hypothèses de fait du ministre ».

 

[25]      J'estime également que les déclarations ou conclusions juridiques n'ont pas leur place dans l'énoncé des hypothèses de fait du ministre. Il en découlerait pour le contribuable le fardeau de réfuter une déclaration ou conclusion juridique et, bien sûr, cela ne doit pas être. Le critère juridique à appliquer n'a pas à être prouvé par les parties comme s'il s'agissait d'un fait. Les parties doivent présenter leurs arguments relativement au critère juridique, mais c'est à la Cour qu'il incombe en bout de ligne de trancher les questions de droit.

 

[26]      Toutefois, il serait plus exact de qualifier l'hypothèse formulée à l'alinéa 10z) de conclusion mixte de fait et de droit. La conclusion selon laquelle des données sismiques achetées ne sont pas admissibles au titre de FEC au sens de l'alinéa 66.1(6)a) requiert d'appliquer le droit aux faits. L'alinéa 66.1(6)a) énonce le critère à respecter pour qu'une déduction au titre de FEC soit admissible. Pour décider si l'achat de données sismiques en l'espèce satisfait à ce critère, il faut établir si les faits y satisfont ou non. Le ministre peut présumer les éléments de fait d'une conclusion mixte de fait et de droit. S'il souhaite le faire, toutefois, il devra extraire les éléments de fait présumés, de façon à ce que le contribuable sache exactement quelles hypothèses de fait il doit réfuter pour avoir gain de cause. Il ne convient pas que les faits présumés soient enfouis dans une conclusion mixte de fait et de droit.

 

[27]      En l'espèce, il semble que les hypothèses que renferment les alinéas 10q) et r) constituent les éléments de fait de la conclusion mixte de droit et de fait de l'alinéa 10z). Si la conclusion de l'alinéa 10z) comporte d'autres éléments de fait, le ministre aurait dû les extraire et les énoncer explicitement.

 

[28]      Si les alinéas 10q) et r) avaient été allégués correctement, on ne pourrait s'y objecter. Toutefois, les alinéas 10q), r) et z) n'ont pas été allégués de manière exacte. Le juge Rip les a supprimés à juste titre. Comme le révèle la lecture de ses motifs, les seules raisons pour lesquelles le juge Rip a supprimé les alinéas 10q), r) et z) étaient l'inexactitude et l'allégation de conclusions de droit. Selon moi, il n'a pas dit qu'on ne pouvait alléguer les hypothèses de fait formulées en ratifiant une nouvelle cotisation. Le ministre peut tirer des hypothèses de fait, après avoir lu l'avis d'opposition déposé par un contribuable ou une affaire tranchée subséquemment, comme Global. Il n'y a aucun motif, selon moi, pour qu'on ne puisse inclure de telles hypothèses dans la réponse de la Couronne. Il faut toutefois alléguer ces hypothèses de manière exacte.

 

[8]     La Couronne a ensuite produit une réponse modifiée par laquelle elle a ajouté le paragraphe 9.1. À l'origine, le paragraphe 10 était ainsi rédigé : [TRADUCTION] « Lorsqu'il a établi les nouvelles cotisations, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes. » La modification avait pour effet de supprimer les termes [TRADUCTION] « a établi les nouvelles cotisations » et de les remplacer par les termes [TRADUCTION] « a ratifié les nouvelles cotisations ». En outre, les modifications visaient à supprimer quelques occurrences du terme [TRADUCTION] « prétendu », ainsi que le paragraphe (2), lequel avait été radié par le juge Rip.

 

[9]     Au cours de l'audience portant sur la question dont je suis saisi, les parties ont produit un exposé conjoint des faits énonçant pour l'essentiel les faits susmentionnés. Voici le texte des paragraphes 12 et 13 de l'exposé conjoint des faits :

 

[TRADUCTION]

 

12.       La réponse modifiée mentionne ce qui suit au paragraphe 10 :

 

Lorsqu'il a ratifié les nouvelles cotisations, le ministre s'est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

[...]

 

(q)        API, APII, APIII, APIV et APV n'ont pas acheté les données sismiques en vue de déterminer l'existence, la localisation, l'étendue ou la qualité d'un gisement de pétrole ou de gaz;

 

(r)        les données sismiques n'ont pas été utilisées pour l'exploration [...]

 

13.       Le ministre a initialement formulé les hypothèses de fait énoncées aux alinéas 10(q) et (r) de la réponse modifiée lorsqu'il a ratifié les nouvelles cotisations visées par l'appel, soit après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation établie au paragraphe 152(3.1) de la Loi.

 

[10]    Il est plutôt intéressant que la réponse modifiée ne précise nulle part exactement ce sur quoi le ministre s'est appuyé lorsqu'il a établi les cotisations. Elle semble montrer que toutes les hypothèses ont été formulées à l'étape de la ratification. Qu'advient‑il alors de la charge de la preuve relativement à toutes les autres hypothèses qui n'ont pas été radiées? Il ne m'appartient pas de trancher cette question en l'espèce. Je dois plutôt décider si l'appelante a l'obligation initiale de réfuter une conclusion tirée par le ministre et sur laquelle il s'est fondé pour ratifier les cotisations, mais qui n'était pas une hypothèse ayant servi à établir celles‑ci. L'hypothèse voulant que les données sismiques n'aient pas été achetées en vue de déterminer une localisation existante, l'étendue ou la qualité d'un gisement de pétrole ou de gaz ne constitue pas un fondement supplémentaire à celui utilisé pour établir la cotisation. Elle est incompatible avec ce fondement. La cotisation qui permet la déduction de frais d'exploration au Canada (« FEC »), mais qui en réduit le montant, reconnaît implicitement que la somme constitue des FEC, même si elle restreint la déduction. La cotisation qui refuse toute déduction au titre de FEC pour le coût des données sismiques parce que ces données n'ont pas été achetées pour l'exploration et ne constituent donc pas des FEC est totalement incompatible avec une déduction qui est restreinte à la juste valeur marchande des données. La question en l'espèce est celle de savoir si le nouveau fondement invoqué à l'appui du refus en est un que le ministre a initialement l'obligation de prouver.

 

[11]    Il importe de mentionner qu'il peut exister, du moins en théorie, des motifs de ratification incompatibles avec les motifs initiaux étayant la cotisation et qu'il peut aussi exister des motifs qui ne sont pas incompatibles, mais qui sont complémentaires. Je n'ai pas l'intention, dans mon examen de cette question, d'établir une distinction entre un motif de cotisation incompatible et un motif de cotisation complémentaire. Dans les présents motifs de l'ordonnance, je traiterai les deux genres de motifs de la même façon en ce qui concerne la charge de la preuve.

 

[12]    La charge de la preuve en matière de litiges fiscaux fait l'objet d'une jurisprudence et d'une doctrine abondantes. De fait, cette question a probablement accaparé beaucoup plus de temps et d'attention qu'elle ne le mérite. J'ai déjà fait part de ce point de vue dans une note en bas de page figurant dans la décision The Cadillac Fairview Corporation Limited c. La Reine, no 92‑2529(IT)G, 6 mars 1996, 97 D.T.C. 405, à la page 407 (C.C.I.) (conf. par no A‑282‑96, 25 janvier 1999, 99 D.T.C. 5121 (C.A.F.)) :

 

L'appelante a plaidé que les paiements avaient été faits en vertu des garanties, et cette allégation a été niée. L'avocat de l'appelante a argué que, le ministre n'ayant pas plaidé qu'il avait « présumé » que les paiements n'avaient pas été faits en vertu des garanties, il incombait au ministre d'établir que les paiements n'avaient pas été faits en vertu des garanties. La question est, sinon une pure question de droit, du moins une question mixte de droit et de fait. Quoi qu'il en soit, l'hypothèse fondamentale formulée à l'étape de la cotisation était que l'appelante n'avait pas droit à la déduction de perte en capital demandée et qu'il lui incombait d'établir les multiples points juridiques lui donnant droit à la déduction demandée. Dans les appels en matière d'impôt sur le revenu, on perd trop de temps sur les questions de fardeau de la preuve et l'on perd trop de temps en conjectures quant à savoir ce que le ministre peut avoir ou n'avoir pas « présumé ». Je ne crois pas que le jugement M.N.R. v. Pillsbury Holdings Ltd., [1964] D.T.C. 5184, ait complètement transformé les règles de pratique et de procédure ordinaires. La règle habituelle – et je ne vois aucune raison pour laquelle elle ne devrait pas s'appliquer dans les appels en matière d'impôt sur le revenu – est énoncée dans Odgers' Principles of Pleading and Practice, 22e édition, à la p. 532 :

 

[TRADUCTION]

 

Le « fardeau de la preuve » désigne l'obligation pour une partie d'établir le bien‑fondé de sa cause. Il incombe à la partie A lorsque celle‑ci, faute de présenter des éléments de preuve, verra le jugement prononcé contre elle. En règle générale (mais pas invariablement), le fardeau de la preuve incombe à la partie qui, dans son acte de procédure, affirme la question, une proposition négative étant généralement impossible à prouver. Ei incumbit probatio qui dicit, non qui negat. (La preuve incombe à celui qui affirme, non à celui qui nie.) La proposition affirmative est généralement, mais pas nécessairement, avancée par la partie qui, la première, a soulevé la question. Ainsi, en règle générale, il incombe au demandeur d'établir tous les faits qu'il a énoncés dans la Déclaration, et il incombe au défendeur de prouver tous les faits qu'il a plaidés par voie d'aveu complexe, par exemple en matière de fraude, d'exécution, de libération, d'annulation, etc.

 

[13]    Il n'en demeure pas moins que la charge de la preuve dans les affaires fiscales occupe une place relativement unique dans la jurisprudence canadienne. À l'exception de certaines dispositions légales précises touchant le fardeau de la preuve (le paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, par exemple), presque toutes les règles en la matière, tant sur le plan de leur origine que de leur évolution, sont établies par les juges. Selon la règle habituelle, le contribuable qui conteste une cotisation a l'obligation de « réfuter le fait principal sur lequel l'imposition était fondée » (décision Johnston v. M.N.R., [1948] R.C.S. 486, 3 D.T.C. 1182, le juge Rand, à la page 1183). Il convient de répéter ici l'énoncé classique maintes fois cité :

 

[TRADUCTION]

 

Bien qu'on en parle, aux termes du paragraphe 63(2), comme d'une action prête pour le procès ou l'audience, l'instance est un appel à l'encontre de l'imposition; de plus, puisque l'imposition se fonde sur certains faits et certaines dispositions de la loi, soit ces faits soit l'application de la loi est contesté. Tout fait de ce genre constaté ou présumé par le répartiteur ou le ministre doit alors être admis tel qu'il a été traité par ces personnes, à moins qu'il ne soit contesté par l'appelant. En l'espèce, si le contribuable avait eu l'intention de contester le fait qu'il subvenait aux besoins de son épouse au sens des Règles mentionnées, il aurait dû soulever cette question dans son acte de procédure et la charge lui serait revenue, comme à tout appelant, de démontrer que la conclusion formulée ci‑dessous n'était pas justifiée. À cette fin, il aurait pu déposer une preuve devant la Cour, même si cette preuve n'avait pas été présentée au répartiteur ou au ministre, mais la charge lui revenait de réfuter le fait principal sur lequel l'imposition était fondée.

 

[14]    Dans ce passage, on insiste sur les faits que le répartiteur de l'impôt a constatés ou présumés.

 

[15]    La règle relative à la charge de la preuve est antérieure à la décision Johnston. Dans l'arrêt Anderson Logging Co. c. British Columbia, [1925] R.C.S. 45, à la page 50, le juge Duff mentionne :

 

[TRADUCTION]

 

Examinons d'abord l'affirmation relative au fardeau. Si, en appel devant le juge de la Cour de révision, il ressort des faits véritables qu'on peut remettre en question l'application de la disposition pertinente, en principe, il semblerait que la Couronne ne doive pas avoir gain de cause. Cela semble nécessairement découler du principe selon lequel les lois qui imposent une charge au sujet ont, en raison d'une pratique bien établie, été interprétées et appliquées. Toutefois, en ce qui a trait à l'examen des faits, l'appelante se trouve dans la même situation que tout autre appelant. Elle doit prouver que la cotisation contestée n'aurait pas dû être établie, c'est-à-dire que les faits permettent d'alléguer de façon affirmative que la cotisation n'était pas permise par la loi fiscale ou que les faits jettent sur l'affaire un doute tel qu'en ce qui touche les principes invoqués, la cotisation doit être rejetée. Bien entendu, les faits véritables peuvent être établis par une preuve directe ou des conclusions probables. L'appelante peut présenter des faits constituant une preuve prima facie non réfutée; mais quand on se demande si cela a été fait, il est important de ne pas oublier, le cas échéant, que l'appelante a une connaissance spéciale sinon exclusive des faits; toutefois cette dernière considération ne doit pas, pour des raisons évidentes, être poussée trop loin.

 

[16]    Le troisième arrêt de la Cour suprême traitant de la charge de la preuve est Hickman Motors Limited c. La Reine, [1997] 2 R.C.S. 336, 97 D.T.C. 5363, où le juge L'Heureux‑Dubé tient les propos suivants aux paragraphes 91 à 98 :

 

K. Le fardeau de preuve

 

91        Comme je l'ai signalé, l'appelante a produit une preuve claire et non contredite, alors que l'intimée n'a produit absolument aucune preuve. À mon avis, le droit sur ce point est bien établi et l'intimée ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve pour les raisons suivantes.

 

92        Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 95, et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions : (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l'É.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu'a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

 

93        L'appelant s'acquitte de cette charge initiale de « démolir » l'exactitude des présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.R.N., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.). En l'espèce, l'appelante a produit une preuve qui respecte non seulement la norme prima facie, mais, selon moi, une norme encore plus sévère. À mon avis, l'appelante a « démoli » les présomptions suivantes : a) la présomption de l'existence de « deux entreprises », en produisant une preuve claire de l'existence d'une seule entreprise; b) la présomption qu'il n'y a « aucun revenu », en produisant une preuve claire de l'existence d'un revenu. Il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre : voir par exemple MacIsaac c. M.R.N., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. M.R.N., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.). Comme je l'ai déjà dit, aucune partie de la preuve produite par l'appelante en l'espèce n'a été contestée ni contredite. Par conséquent, à mon avis, l'appelante a « démoli » les présomptions sur l'existence de « deux entreprises » et sur le fait qu'il n'y a « aucun revenu ».

 

94        Lorsque l'appelant a « démoli » les présomptions du ministre, le « fardeau de la preuve [...] passe [...] au ministre qui doit réfuter la preuve prima facie » faite par l'appelant et prouver les présomptions : Magilb Development Corp. c. La Reine, 87 D.T.C. 5012 (C.F. 1re inst.), à la p. 5018. Ainsi, dans la présente affaire, la charge est passée au ministre, qui doit prouver ses présomptions suivant lesquelles il existe « deux entreprises » et il n'y a « aucun revenu ».

 

95        Lorsque le fardeau est passé au ministre et que celui‑ci ne produit absolument aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause : voir par exemple MacIsaac, précité, où la Cour d'appel fédérale a infirmé le jugement de la Division de première instance (à la p. 6381) pour le motif que le « témoignage n'a été ni contesté ni contredit, et aucune objection ne lui a été opposée ». Voir aussi Waxstein c. M.R.N., 80 D.T.C. 1348 (C.R.I.); Roselawn Investments Ltd. c. M.R.N., 80 D.T.C. 1271 (C.R.I.). Se reporter également à Zink, précité, à la p. 653, où, même si la preuve « échappait à la logique et présentait de graves lacunes de fond et de chronologie », l'appel du contribuable a été accueilli parce que le ministre n'a présenté aucune preuve quant à la source de revenu. Dans la présente affaire, je remarque que la preuve ne contient aucune « lacune » de ce genre. Par conséquent, puisque le ministre n'a produit absolument aucune preuve et que personne n'a soulevé le moindre doute quant à la crédibilité, l'appelante est fondée à obtenir gain de cause.

 

96        Dans la présente affaire, sans qu'aucune preuve ne leur ait été présentée, le juge de première instance et la Cour d'appel ont tous deux voulu transformer les présomptions non fondées et non vérifiées en « conclusions de fait », commettant ainsi des erreurs de droit sur la charge de la preuve. Mon collègue le juge Iacobucci exerce de la retenue à l'égard de ces soi‑disant « conclusions concordantes » des cours d'instance inférieure, mais, bien que je sois tout à fait d'accord de façon générale avec le principe de retenue judiciaire, dans la présente affaire, deux décisions incorrectes ne sauraient en faire une bonne. Même si nous sommes en présence de « conclusions concordantes », la preuve non contestée et non contredite réfute positivement les présomptions du ministre : MacIsaac, précité. Comme le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt l'a noté dans Gelber c. M.R.N., 91 D.T.C. 1030, à la p. 1033, « [le ministre] n'est pas l'arbitre de ce qui est fondé ou non en matière de droit fiscal ». Le juge Brulé de la Cour canadienne de l'impôt dans Kamin, précité, a observé à la p. 64 :

 

[...] le ministre devrait pouvoir réfuter cette preuve [prima facie] et présenter des arguments à l'appui de ses présomptions.

 

[...]

 

Le ministre n'a pas carte blanche pour établir les présomptions qui lui conviennent. À l'interrogatoire principal, on s'attend qu'il puisse produire des preuves plus concrètes que de simples présomptions pour réfuter les arguments de l'appelant. [Je souligne.]

 

97        À mon avis, ces affirmations sont applicables à la présente affaire : l'intimée, dont les opinions ont été contestées par la preuve principale, n'a rien présenté de plus concret que de simples présomptions et n'a avancé aucun fondement. Elle a choisi de ne réfuter aucun des éléments de preuve de l'appelante. Par conséquent, elle ne s'est pas acquittée de son fardeau de preuve.

 

98        Je remarque que, en confirmant les présomptions non prouvées du ministre, mon collègue le juge Iacobucci peut paraître renverser le courant jurisprudentiel ci‑dessus mentionné sans fournir explicitement de justification à cette fin. En toute déférence pour l'opinion contraire, je suis d'avis que les modifications dans la jurisprudence relative à la charge de la preuve en droit fiscal devraient être remises à plus tard. De plus, vu les faits de la présente affaire, sanctionner l'absence totale de preuve de l'intimée pourrait sembler déraisonnable et peut‑être même injuste étant donné que l'appelante s'est conformée à une jurisprudence bien établie pour ce qui est de son fardeau de preuve.

 

[17]    Enfin, il y a le récent arrêt Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, de la Cour suprême du Canada, qui intéresse la Loi de l'impôt sur l'exploitation minière de l'Ontario. Aux paragraphes 25 et 26, le juge LeBel mentionne ce qui suit :

 

25       Les parties ne s'entendent pas sur la question de l'attribution du fardeau de la preuve en l'espèce. Le fardeau de la preuve que dicte la Loi de l'impôt sur l'exploitation minière est décrit au par. 8(7). Ce paragraphe incorpore par renvoi le par. 80(18) de la Loi sur l'imposition des corporations, L.R.O. 1990, ch. C.40 (devenue la Loi sur l'imposition des sociétés), qui prévoit que :

 

sous réserve des modifications qui y sont apportées ou d'une annulation prononcée à la suite d'une opposition ou d'un appel et sous réserve d'une nouvelle cotisation, la cotisation est réputée valide et lie les parties malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute instance à ce sujet introduite aux termes de la présente loi.

 

Il incombe donc au contribuable d'établir que les conclusions de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé pour établir la cotisation sont erronées. Ce fardeau de la preuve est identique à celui qui s'applique en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, par. 152(8) : voir V. Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax (8e éd. 2004), p. 35; Johnston c. M.N.R., [1948] R.C.S. 486.

 

26        PDC et les juges majoritaires de la Cour d'appel citent l'arrêt Notre‑Dame de Bon‑Secours à l'appui de la thèse selon laquelle il appartient à la partie qui invoque une disposition législative de démontrer qu'elle peut s'en prévaloir. Plus particulièrement, le juge Gonthier conclut, à la p. 15 :

 

Le fardeau de preuve repose donc sur le fisc lorsqu'on est en présence d'une disposition qui impose une charge fiscale et sur le contribuable dans le cas d'une disposition qui porte exemption de taxe.

 

Il s'agissait là d'une remarque incidente que le juge Gonthier a formulée en expliquant la règle traditionnelle selon laquelle une mesure législative fiscale doit recevoir une interprétation stricte. Il voulait simplement dire que la présomption résiduelle en faveur du contribuable – qui découle de la règle de l'interprétation stricte – était un concept différent de celui du fardeau de la preuve. Il n'était pas question du fardeau de la preuve dans l'affaire dont le juge Gonthier était saisi et celui‑ci a fait sa remarque de manière incidente sans mentionner les arrêts de principe sur le fardeau de la preuve en matière fiscale. Les règles fondamentales de l'attribution du fardeau de la preuve dans ce domaine demeurent valides. Je ne puis admettre qu'en faisant cette remarque le juge Gonthier a voulu renverser la jurisprudence établie. Il appartient au contribuable de réfuter les présomptions de fait du ministre, mais le concept du fardeau de la preuve ne s'applique pas à l'interprétation d'une loi, qui constitue nécessairement une question de droit : Johnston.

 

[18]    J'ai renvoyé à ces quatre arrêts de la Cour suprême du Canada parce que ce sont eux qui ont établi ou réaffirmé les règles fondamentales en ce qui concerne la charge de la preuve en matière de cotisations fiscales. Certes, ces règles ont fait l'objet d'un certain peaufinage, mais celui‑ci a eu lieu à l'intérieur du cadre établi par la Cour suprême du Canada. Comme le juge L'Heureux‑Dubé l'a déclaré dans l'arrêt Hickman Motors, les modifications à la jurisprudence relative à la charge de la preuve en droit fiscal devraient être remises à plus tard. Je ne crois pas qu'elle entendait par là qu'il fallait laisser aux tribunaux d'instance inférieure la tâche de modifier les règles énoncées par la Cour suprême du Canada. Si les règles doivent être modifiées, seule la Cour suprême devrait le faire.

 

[19]    Comme je l'ai déjà mentionné, les règles ont fait l'objet de certaines mises au point nécessaires. L'une d'entre elles se trouve dans la décision M.N.R. v. Pillsbury Holdings Limited, [1965] 1 R.C.É. 676, 64 D.T.C. 5184, où le juge Cattanach de la Cour de l'Échiquier a affirmé ce qui suit, à la page 686, tandis qu'il examinait les hypothèses formulées par le ministre :

 

[TRADUCTION]

 

La pertinence de cette allégation est illustrée dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 186 [3 D.T.C. 1182], où le juge Rand, qui s'exprimait au nom des juges majoritaires, a dit ce qui suit à la page 189 :

 

Tout fait de ce genre constaté ou présumé par le répartiteur ou le ministre doit alors être admis tel qu'il a été traité par ces personnes, à moins qu'il ne soit contesté par l'appelant.

 

(Le mot « appelant » de cette citation peut être remplacé par le mot « intimé » aux fins du présent appel.) En réponse à l'allégation du ministre selon laquelle celui‑ci s'était fondé sur les hypothèses de fait énoncées au paragraphe 6 de l'avis d'appel lorsqu'il a établi la cotisation à l'égard de l'intimé, l'intimé aurait pu :

 

a) contester l'allégation du ministre selon laquelle il avait fait ces hypothèses de fait;

 

b) se charger de prouver que l'une des hypothèses était fausse, ou plusieurs;

 

c) prétendre que, même si les hypothèses étaient justifiées, elles n'étayaient pas la cotisation.

 

(Le ministre aurait pu, de toute évidence, invoquer dans son avis d'appel, en sus de l'argument fondé sur les faits qu'il avait constatés ou qu'il présumait lorsqu'il a établi la cotisation à l'égard de l'intimé, des faits nouveaux ou d'autres faits qui pourraient étayer la cotisation. S'il avait invoqué ces faits nouveaux ou d'autres faits, il aurait eu sans doute le fardeau de les prouver. En tout état de cause, le ministre n'a pas choisi en l'espèce de se servir de ce moyen subsidiaire, et il s'est fondé sur les hypothèses de fait qu'il avait formulées au moment de la cotisation.)

 

L'intimé n'a pas contesté l'allégation du ministre voulant qu'il ait fait les hypothèses énoncées au paragraphe 6 de l'avis d'appel au moment d'établir la cotisation. Il n'a pas non plus tenté de montrer que les hypothèses étaient mal fondées en fait. L'intimé a toutefois présenté à la Cour des éléments de preuve visant à établir exactement quels étaient les faits et il a soutenu que ces faits n'étayaient pas les cotisations.

 

[20]    Cette affirmation ne s'écarte pas des règles établies par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Johnston et Anderson Logging. Elle ne fait que les préciser quelque peu.

 

[21]    Les règles ont été précisées à certaines autres occasions. Par exemple, les hypothèses non alléguées n'ont pas pour effet de faire porter la charge de la preuve sur le contribuable (R. c. Bowens, no A‑507‑94, 20 février 1996, 96 D.T.C. 6128 (C.A.F.)), mais il est répréhensible pour l'intimé d'omettre d'alléguer des hypothèses qui aident l'appelant. Ce dernier peut utiliser de telles hypothèses non alléguées pour étayer sa cause : Holm et al. c. La Reine, no 2002-575(IT)G, 9 décembre 2002, 2003 D.T.C. 755 (C.C.I.). Le ministre n'est pas tenu de prouver qu'il a agi sur le fondement des hypothèses alléguées. Il lui suffit de l'affirmer. L'assertion selon laquelle le ministre a agi sur le fondement des hypothèses ainsi que les hypothèses alléguées elles‑mêmes sont prouvées à moins que l'appelant ne les réfute. On suppose que, dans la réponse à l'avis d'appel, l'intimé a allégué avec une totale honnêteté les faits sur lesquels il s'est appuyé pour établir la cotisation. Autre précision qui se dégage peu à peu : l'« inversion du fardeau » touchant à l'obligation du contribuable de démolir les hypothèses n'emporte pas, en toute équité, obligation pour ce dernier de réfuter les hypothèses de fait dont le ministre a particulièrement ou exclusivement connaissance (décision Holm, précitée).

 

[22]    Je me penche maintenant sur la question de savoir si les conclusions de fait qui fondent la ratification de la cotisation, lorsqu'elles sont différentes ou en sus des conclusions de fait à l'origine de la cotisation, doivent être réfutées par le contribuable ou prouvées par le ministre.

 

[23]    Il est utile de comparer la fonction du ministre à l'étape de la cotisation avec celle qu'il assume à l'étape de l'opposition. À l'étape de la cotisation, le répartiteur de l'impôt examine les faits, procède à certaines déterminations de fait et de droit et établit la cotisation. Comme le président Thorson l'a déclaré dans la décision Pure Spring Co. Ltd. v. M.N.R., [1946] R.C.É. 471, 2 D.T.C. 844 à la page 857 :

 

[TRADUCTION]

 

Il existe une différence entre une cotisation et un avis de cotisation. L'une est une mesure et l'autre est un document. La nature de la cotisation a été clairement expliquée par le juge en chef adjoint Isaacs d'Australie dans l'arrêt Federal Commissioner of Taxation v. Clarke ((1927), 40 C.L.R. 246, à la page 277) :

 

Une cotisation n'est qu'une constatation et l'établissement d'une obligation.

 

Il avait déjà expliqué cette définition dans la décision The King v. Deputy Federal Commissioner of Taxation (S.A.); ex parte Hooper ((1926), 37 C.L.R. 368, à la page 373) :

 

Une « cotisation » n'est pas un morceau de papier. Il s'agit d'une mesure officielle ou d'une exécution. Elle représente l'évaluation du commissaire, après avoir examiné toutes les circonstances pertinentes, y compris parfois sa propre opinion, en ce qui concerne le montant d'impôt que doit régler un certain contribuable. Lorsqu'il a terminé son évaluation des montants, il envoie, par la poste, un avis appelé « Avis de cotisation » [...] Toutefois, ni le document envoyé ni l'avis qu'il fournit ne constitue la « cotisation ». Cette dernière est et demeure une mesure prise par le commissaire.

 

C'est l'opinion que l'on s'est faite et non les documents sur lesquels elle est fondée qui constitue une des circonstances pertinentes de la cotisation. À mon avis, la cotisation constitue la conclusion finale de l'examen de tous les facteurs correspondant à l'obligation fiscale, évalués de différentes façons, et l'établissement du résultat final lorsque tous les calculs nécessaires ont été effectués.

 

[24]    C'est de la cotisation que le contribuable interjette appel à la Cour après avoir produit une opposition. Lorsque le contribuable s'oppose à une cotisation en application du paragraphe 165(1), le ministre assume l'obligation que lui impose le paragraphe 165(3) :

 

(3) Sur réception de l'avis d'opposition, le ministre, avec diligence, examine de nouveau la cotisation et l'annule, la ratifie ou la modifie ou établit une nouvelle cotisation. Dès lors, il avise le contribuable de sa décision par écrit.

 

[25]    Manifestement, on insiste sur la cotisation que le ministre peut ratifier ou modifier ou sur la nouvelle cotisation qu'il peut établir.

 

[26]    Le droit d'interjeter appel d'une cotisation à la Cour est assujetti à la production d'un avis d'opposition. Que le ministre ratifie ou non la cotisation, l'appel vise cette dernière. Si le législateur avait voulu que le contribuable interjette appel de la ratification, il avait toute latitude pour le préciser.

 

[27]    Je suis arrivé à la conclusion que les règles établies par la Cour suprême du Canada en matière de contestation d'une cotisation et suivies depuis des décennies sont à ce point bien établies qu'il serait inopportun d'imposer au contribuable le fardeau supplémentaire de démolir d'autres « hypothèses » ou conclusions de fait énoncées par le ministre au moment de ratifier la cotisation à l'étape de l'opposition. L'inversion du fardeau de la preuve dans les litiges fiscaux et l'abondante jurisprudence élaborée en la matière sont uniques. Je ne suis pas disposé à fouler aux pieds ces règles en ajoutant une dimension entièrement nouvelle au fardeau qu'assume déjà le contribuable. Si les règles doivent être modifiées, il appartient au législateur ou à la Cour suprême du Canada de le faire. Il n'existe aucune raison, que ce soit en principe, en droit, en équité ou selon le bon sens, pouvant me justifier d'obliger un contribuable à assumer le fardeau supplémentaire de démolir les nouvelles raisons soulevées par le ministre lors de ce qui constitue, pour l'essentiel, un examen administratif de la cotisation. Alléguer que le ministre, lorsqu'il a ratifié la cotisation, s'est appuyé sur certaines « hypothèses » peut dans certaines circonstances se révéler un renseignement utile, mais cela n'impose aucun fardeau supplémentaire au contribuable. Il s'agit simplement d'une assertion relative à d'autres faits ou d'autres motifs sur lesquels le ministre s'est appuyé lors de son examen administratif de la cotisation. Malgré le grand respect que j'éprouve envers le juge Cattanach, je ne puis reconnaître l'exactitude de la remarque incidente qu'il a formulée dans la décision Parsons c. M.R.N., [1984] 1 C.F. 804, voulant que le nouvel examen, par le ministre, de la cotisation à l'étape de l'opposition « continue de faire partie intégrante du processus d'établissement de la cotisation ». Cette remarque incidente est incompatible avec les propos tenus par le juge Rip au paragraphe 27 des motifs qu'il a prononcés dans la présente affaire et qui sont reproduits plus haut. Cette partie de ses motifs a été implicitement confirmée par le juge Rothstein de la Cour d'appel fédérale.

 

[28]    Outre la très grande valeur jurisprudentielle des quatre arrêts de la Cour suprême du Canada, il existe d'autres raisons militant contre le fait d'imposer au contribuable l'obligation de réfuter de nouvelles « hypothèses » énoncées par le ministre à l'étape de l'opposition. Ce n'est qu'une simple question d'équité procédurale. Tout joue déjà en faveur de la Couronne si on tient compte de la présomption d'exactitude des cotisations, du droit de la Couronne d'alléguer des hypothèses non prouvées et de l'inversion du fardeau de la preuve. Je ne vois aucune raison d'ajouter encore aux avantages de la Couronne en étendant ce fardeau inversé aux « hypothèses » formulées à l'étape de la ratification. Ce point de vue a été fort bien présenté par William I. Innes dans l'article intitulé Will‑o'‑the‑Wisps and Other Exotic Tax Species: Recent Developments in the Rules of Crown Pleading in Tax Litigation, volume XI, no 2, Tax Litigation, à la page 686 :

 

[TRADUCTION]

 

[...] La raison de principe sous‑jacente à l'inversion du fardeau de la preuve est manifeste : lorsque le contribuable a une connaissance particulière des faits, il serait tout simplement injuste d'exiger du ministre qu'il établisse ces faits. Si le ministre émet des hypothèses erronées, le contribuable possède les connaissances nécessaires pour démontrer cette erreur. Or, la prémisse sous‑jacente à la règle veut que le ministre formule de telles hypothèses de fait lorsqu'il établit une cotisation (ce qui, à mon sens, peut être fait à l'étape de la cotisation, de la nouvelle cotisation initiale ou de la nouvelle cotisation subséquente à un avis d'opposition). Lorsque les hypothèses sont énoncées au moment de la ratification d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation lors du processus d'opposition, l'équité de ce processus est, dans le meilleur des cas, douteuse. Le processus d'opposition peut durer plusieurs années dans les affaires plus complexes (un peu plus de six ans dans l'affaire Anchor Pointe). Permettre au ministre d'attendre et de choisir minutieusement parmi les récents développements jurisprudentiels ceux qu'il souhaite faire valoir pour étayer le raisonnement présenté à l'appui de la cotisation ou de la nouvelle cotisation sous prétexte d'émettre des hypothèses que le contribuable doit ensuite réfuter paraît constituer un fardeau indûment inquiétant à faire subir à ce dernier. De toute évidence, la Couronne doit pouvoir alléguer ces faits et ces arguments (sous réserve de la question de la prescription, qui est abordée plus loin) dans la mesure où il lui incombe de produire des éléments de preuve étayant ces allégations. Cependant, permettre à la Couronne de lancer après coup de telles allégations à titre d'hypothèses semble aller bien au‑delà du raisonnement fondé sur l'« égalité des chances » qui sous‑tend la règle initiale, en plus de faire pencher nettement la balance en faveur de la Couronne.

 

[29]    On pourrait penser que ma conclusion selon laquelle l'intimée assume l'obligation de prouver les faits qui étayent la ratification comporte une certaine anomalie.

 

[30]    Le paragraphe 12 de l'avis d'appel, qui est reproduit plus haut, mentionne ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

12.       Chaque société remplacée a acheté les données sismiques dans l'intention de les utiliser en vue de déterminer l'existence, la localisation, l'étendue ou la qualité de gisements de pétrole et de gaz naturel au Canada, et c'est bien à cette fin que les données ont servi.

 

[31]    L'allégation est niée par l'intimée. Dans une instance ordinaire, il devrait incomber à la personne qui allègue un fait de prouver celui‑ci, comme il est énoncé dans la note en bas de page figurant dans la décision Cadillac Fairview et reproduite plus haut au paragraphe 12 des présents motifs. On pourrait être tenté de dire : « Si vous présentez une demande, vous devez établir les éléments constitutifs nécessaires pour étayer le bien‑fondé de votre droit. » Apparemment, ce n'est pas comme ça que les choses fonctionnent dans le mystérieux monde des litiges fiscaux. Le principe voulant que le contribuable ait l'obligation de démolir les hypothèses avancées à l'étape de la cotisation semble écarter le principe énoncé dans l'ouvrage Odgers (précité). On pourrait expliquer cette conclusion en apparence singulière en affirmant que le ministre, lorsqu'il a établi la cotisation en cause, a implicitement admis l'allégation formulée au paragraphe 12 de l'avis d'appel et que, même s'il peut avoir le droit de retirer cette admission en ratifiant la cotisation sur le fondement d'un motif incompatible avec l'admission, ce n'est que justice qu'il incombe à l'intimée de prouver que celle‑ci est erronée.

 

[32]    La réponse à la question soumise en application de l'article 58 des Règles est : « À l'intimée ».

 

[33]    Les dépens afférents à la présente requête suivront l'issue de la cause.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de juillet 2006.

 

 

« D. G. H. Bowman »

Le juge en chef Bowman

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de septembre 2008.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


RÉFÉRENCE :

2006CCI424

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2000‑2864(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Anchor Pointe Energy Ltd. c.

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 8 juin 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :

L'honorable juge en chef D. G H. Bowman

 

DATE DE L'ORDONNANCE ET DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

 

Le 21 juillet 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

 

Me Craig Sturrock

Me Terry Gill

 

Avocates de l'intimée :

Me Wendy Burnham

Me Deborah Horowitz

 

AVOCAT(S) INSCRIT(S) AU DOSSIER :

 

Avocat de l'appelante :

 

 

Nom :

Thorsteinssons LLP

 

Cabinet :

3 Bentall Centre, 27e étage

595, rue Burrard

C.P. 49123

Vancouver (C.‑B.) V7X 1J2

 

 

 

Avocat de l'intimée :

 

Me John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

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