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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2002-621(IT)I

ENTRE :

YVONNE HENRY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 22 juillet 2002 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge L. M. Little

Comparutions

Pour l'appelante :                                 L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :                            Me A'Amer Ather


JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 10e jour d'octobre 2002.

« L. M. Little »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de juillet 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20021010

Dossier: 2002-621(IT)I

ENTRE :

YVONNE HENRY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Little, C.C.I.

A. LES FAITS

[1]      L'appelante est née en Jamaïque. En 1993, l'appelante et son fils de 10 ans ont immigré au Canada à titre de résidents permanents.

[2]      En 1993, l'appelante et son fils vivaient avec la soeur et le beau-frère de l'appelante à Toronto.

[3]      L'appelante et son fils ne pouvaient plus continuer à vivre avec la soeur de l'appelante et, en 1994-1995, ils ont déménagé dans un logement qui était loué par une amie de l'appelante. L'appelante payait 300 $ par mois pour sa part du loyer.

[4]      L'amie de l'appelante a été expulsée en Jamaïque par les autorités de l'immigration canadienne et l'appelante n'avait pas les moyens de payer le loyer de 650 $ par mois.

[5]      Vers l'époque où l'amie de l'appelante a été expulsée en Jamaïque, l'appelante a rencontré Lloyd Dean dans un autobus. Peu après qu'ils se soient rencontrés pour la première fois, l'appelante a demandé à M. Dean s'il était intéressé à partager l'appartement avec elle et celui-ci a accepté.

[6]      M. Dean a déménagé dans l'appartement de l'appelante en 1995 et il payait environ la moitié du loyer. En 1996, l'appelante a donné naissance à une fille. Lloyd Dean était le père de l'enfant.

[7]      L'appelante a produit des déclarations de revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999 dans lesquelles elle a indiqué qu'elle était célibataire.

[8]      De 1996 à 2000, l'appelante a reçu des prestations fiscales pour enfants du gouvernement du Canada pour son fils et sa fille. Le montant des prestations fiscales pour enfants que recevait l'appelante n'était fondé que sur le revenu touché par l'appelante.

[9]      En 1998, un agent de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l' « ADRC » ) a communiqué avec l'appelante par téléphone. Au cours de la conversation, l'agent a demandé à l'appelante si elle vivait avec Lloyd Dean. L'appelante a répondu : [traduction] « Nous vivons ensemble » .

[10]     Le 19 mai 2000, des avis de prestations fiscales pour enfants ont été émis pour les années de base 1996, 1997 et 1998. L'effet final desdits avis était de combiner le revenu de l'appelante à celui de Lloyd Dean et de réduire le montant des prestations fiscales pour enfants auxquelles l'appelante avait droit.

[11]     Le 18 août 2000, des avis de prestations fiscales pour enfants ont été émis pour les années de base 1998 et 1999. L'effet final desdits avis était de combiner le revenu de l'appelante à celui de Lloyd Dean et de réduire le montant des prestations fiscales pour enfants auxquelles l'appelante avait droit.

[12]     Par suite des avis émis par l'ADRC, l'appelante a été obligée de rembourser une bonne partie des prestations fiscales pour enfants qu'elle avait reçues pour son fils et sa fille.

[13]     L'appelante soutient que la relation qu'elle avait avec Lloyd Dean n'était rien de plus qu'un accord de « partage de logement » et que, par conséquent, elle ne devrait pas avoir à produire des déclarations de revenu sur le fondement qu'elle vivait en union de fait avec Lloyd Dean.

B. LA QUESTION EN LITIGE

[14]     L'appelante vivait-elle en union de fait avec Lloyd Dean durant les années d'imposition 1997, 1998, 1999 et 2000 ?

C. ANALYSE

[15]     Les dispositions légales relatives aux prestations fiscales pour enfants portent que le revenu du conjoint doit être pris en considération. Le paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) est ainsi libellé :

(4) Idem. Dans la présente loi :

a) les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) et du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné;

b) la mention du mariage vaut mention d'une union conjugale entre deux particuliers dont l'un est le conjoint de l'autre par l'effet de l'alinéa a);

c)    les dispositions applicables à une personne mariée s'appliquent à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a);

d) les dispositions applicables à une personne non mariée ne s'appliquent pas à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a).

[16]     Cette définition nous pousse à examiner le sens de l'expression « union conjugale » , c'est-à-dire à déterminer à quel moment on peut considérer que deux personnes vivent en union conjugale.

[17]     Ma collègue la juge Lamarre Proulx offre une analyse très utile de la signification de l'expression « union conjugale » dans l'affaire Sylvie Milot c. La Reine, C.C.I., n ° 94-2925(IT)I, 10 mai 1995, [1996] 1 C.T.C. 2247. La juge Lamarre Proulx dit, à la page 2250 :

Les auteurs ontariens Payne et Payne dans leur livre Introduction to Canadian Family Law, Carswell, 1994, se sont référés au jugement du juge Kurisko dans Molodowich v. Penttinen 17 R.F.L. (3d) 376. Je cite ces auteurs aux pages 38 et 39 parce qu'il me semble qu'il s'agit d'une excellente synthèse des éléments qui doivent s'appliquer pour déterminer si deux personnes vivent en union conjugale :

[traduction]

Ce ne sont pas toutes les situations dans lesquelles un homme et une femme vivent ensemble et ont des rapports sexuels qui feront naître, aux termes de la loi, des droits et des obligations alimentaires. Comme l'a fait remarquer le juge Morrison de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse :

Je crois il est exact de dire que, pour qu'il y ait union de fait, il doit exister des relations stables qui comportent non seulement des rapports sexuels, mais aussi l'engagement des intéressés l'un envers l'autre. Il faudrait normalement qu'ils vivent sous le même toit, qu'ils se partagent les tâches et les responsabilités du ménage et qu'ils se soutiennent financièrement.

On trouve dans un jugement de la Cour de district de l'Ontario un énoncé plus précis de ce qui constitue de la cohabitation ou des relations conjugales ou assimilables au mariage. Le juge Kurisko de la Cour de district y dresse en effet la liste suivante des points pertinents :

(Remarque : Je ferai référence aux points cités par le juge Kurisko de la Cour de district et j'insérerai les commentaires qu'a faits l'appelante lorsque ces questions lui ont été posées au procès.)

1. Logement

a) Les intéressés vivaient-ils sous le même toit?

Commentaire :       Oui.

b) Couchaient-ils dans le même lit?

Commentaire :       L'appelante a dit : [traduction] « lorsque nous avions deux chambres, nous devions dormir ensemble. Mais lorsque nous sommes déménagés dans le logement de trois chambres, j'ai pu, bien entendu, prendre une chambre avec ma fille, et lui en avait une et y passait le plus clair de son temps, et mon fils avait l'autre chambre. » (Transcription, page 111.)

c) Y avait-il quelqu'un d'autre qui habitait chez eux?

Commentaire :       Le fils et la fille de l'appelante.

2. Comportement sexuel et personnel

a) Les intéressés avaient-ils des rapports sexuels? Si non, pourquoi?

Commentaire :       L'appelante a dit que lorsqu'elle disposait de sa propre chambre, ils avaient des rapports sexuels de manière très irrégulière. L'appelante a affirmé que durant les dernières années, elle n'avait de rapports sexuels avec M. Dean que lorsqu'elle y était forcée.

b) Étaient-ils fidèles l'un à l'autre?

Commentaire :       L'appelante a dit que M. Dean avait des amies mais qu'il ne les amenait pas à l'appartement.

c) Quels étaient leurs sentiments l'un pour l'autre?

Commentaire :       La réponse de l'appelante à cette question était [traduction] « NÉANT » .

d) Existait-il une bonne communication entre eux sur le plan personnel?

Commentaire :       L'appelante déclare que « non » .

e) Prenaient-ils leurs repas ensemble?

Commentaire :       L'appelante a affirmé que M. Dean emportait toujours sa nourriture dans sa chambre et y prenait ses repas, et qu'il ne mangeait pas avec la famille.

f) Que faisaient-ils pour s'entraider face aux problèmes ou à la maladie?

Commentaire :       L'appelante a dit qu'elle s'occupait de ses problèmes et que M. Dean ne l'avait jamais aidée d'aucune façon.

g) S'offraient-ils des cadeaux à des occasions spéciales?

Commentaire :       L'appelante a dit que, à l'exception du cadeau de Noël que M. Dean lui avait offert lorsqu'il avait déménagé dans l'appartement en 1995, il ne lui avait jamais offert de cadeau.

3. Services

Comment les intéressés agissaient-ils habituellement en ce qui concerne :

a) la préparation des repas;

Commentaire :       L'appelante a affirmé qu'elle préparait pratiquement tous les repas. Elle a fait savoir que M. Dean, à de rares occasions, achetait de la nourriture d'un restaurant de mets à emporter et l'apportait à l'appartement.

b) le lavage et le raccommodage des vêtements;

Commentaire :       L'appelante a dit qu'elle lavait et raccommodait ses vêtements et ceux de ses enfants, et que M. Dean lavait lui-même les siens.

c) les courses;

Commentaire :       L'appelante a témoigné qu'elle achetait pratiquement tous les produits d'épicerie avec son propre argent. Elle a dit que M. Dean achetait à l'occasion du boeuf ou du poulet, mais jamais d'autres produits.

d) l'entretien.

Commentaire :       L'appelante a dit qu'il s'agissait de sa responsabilité. Elle a dit qu'elle-même ou son fils voyaient aux problèmes d'entretien de l'appartement ou téléphonaient au concierge. L'appelante a affirmé que M. Dean ne les aidait pas à régler les questions relatives à l'entretien.

4. Relations sociales

a) Les intéressés participaient-ils ensemble ou séparément aux activités du quartier et de la collectivité?

Commentaire :       L'appelante a répondu « séparément » . Elle a dit que M. Dean sortait souvent seul.

         L'appelante a dit : [traduction] « Il vivait sa vie et moi la mienne. » Elle a également déclaré que M. Dean partait souvent en vacances aux États-Unis ou ailleurs, mais qu'il ne lui demandait jamais de l'accompagner.

         Au cours du procès, l'échange suivant a eu lieu :

[traduction]

Le juge - Soutenez-vous que vous ne faisiez que partager un appartement et que vous ne viviez pas comme mari et femme... ?

L'appelante - Certainement, c'est tout ce que nous faisions. (Transcription, page 60.)

b) Quelle était la nature des rapports de chacun d'eux avec les membres de la famille de l'autre et comment agissaient-ils envers ces derniers, et inversement, quel était le comportement de ces familles envers les intéressés?

Commentaire :       L'appelante a dit qu'après leur déménagement dans un appartement de trois chambres, les enfants d'un mariage antérieur de M. Dean venaient de temps en temps souper à l'appartement. À ces occasions, M. Dean préparait généralement le repas.

5. Attitude de la société

         Quelle attitude et quel comportement la collectivité avait-elle envers les intéressés, considérés individuellement et en tant que couple?

Commentaire :       L'appelante a dit que : [traduction] « Les gens de la collectivité savaient que nous vivions ensemble mais ils ne nous voyaient pas ensemble. » Elle a déclaré : [traduction] « Il sort toujours de son côté et moi du mien. »

         L'appelante a également affirmé qu'elle fréquentait l'église mais que M. Dean n'y allait jamais avec elle.

6. Soutien (économique)

a) Quelles dispositions financières les intéressés prenaient-ils pour ce qui était de fournir les choses nécessaires à la vie (vivres, vêtements, logement, récréation, etc.) ou de contribuer à les fournir?


Commentaire :       L'appelante a dit que M. Dean ne payait qu'environ la moitié du loyer et les frais de gardiennage pour sa fille. Elle a dit qu'il achetait rarement de la nourriture et n'achetait jamais de vêtements pour sa fille. L'appelante a également témoigné que M. Dean n'a jamais acheté de meubles pour l'appartement et qu'il n'a jamais assumé les dépenses liées aux loisirs ou aux divertissements de l'appelante et de sa fille. Elle a en outre affirmé qu'elle payait personnellement les factures de services publics et les autres dépenses liées à l'appartement.

b)      Quelles dispositions prenaient-ils relativement à l'acquisition et à la propriété de biens?

Commentaire :       Tel qu'il a été mentionné précédemment, l'appelante payait tous les meubles et ne possédait pas d'automobile ou d'autres éléments d'actif. Elle a dit que le seul meuble acheté par M. Dean était un lit d'enfant pour sa fille.

c) Existait-il entre eux des arrangements financiers particuliers que tous deux tenaient pour déterminants quant à la nature de leurs relations globales?

Commentaire :       L'appelante soutient que, selon elle, la relation générale était fondamentalement le partage du loyer. L'appelante a témoigné que, à l'époque où ils ont commencé à partager l'appartement, elle espérait pouvoir établir une relation normale avec M. Dean. Néanmoins, au cours de la période où ils ont partagé le logement, elle a conclu que cela était impossible. L'appelante a dit qu'elle avait découvert que M. Dean était très méchant et très froid avec elle et avec sa famille et qu'en 2000 elle l'avait forcé à quitter son appartement.

7. Enfants

L'appelante a déclaré que M. Dean était le père de sa fille.

[18]     Après analyse des commentaires susmentionnés, j'en suis arrivé à la conclusion que l'appelante a établi une union de fait avec Lloyd Dean en 1995 et que celle-ci s'est poursuivie en 1996 et 1997. Toutefois, je conclus du témoignage de l'appelante que cette union de fait s'est dissolue à un certain moment en 1997. Il s'ensuit qu'en 1998, 1999 et 2000, il n'existait entre l'appelante et Me Dean qu'une relation de partage de loyer.

[19]     Avant de régler les présents appels, je me dois d'examiner une question technique. L'avocat de l'intimée, Me Ather, a déclaré que les avis d'opposition de l'appelante pour les années d'imposition 1996 et 1997 n'avaient pas été produits à temps. Me Ather a affirmé que l'appelante avait dépassé d'un an et demi le délai de prorogation final pour ces années. Me Ather a déclaré que, en ce qui concerne les avis émis le 18 août 2000 pour les années d'imposition 1998 et 1999, l'appelante avait dépassé de trois ou quatre jours le délai prescrit.

[20]     Bien que la Cour canadienne de l'impôt n'ait pas le pouvoir de proroger le délai prescrit par la Loi en vue de permettre à l'appelante de produire un avis d'opposition dans les délais prévus par la Loi, je demande au ministre d'accepter les avis d'opposition produits par l'appelante en réponse aux avis émis le 18 août 2000 pour les années d'imposition 1998 et 1999.

[21]     Je demande également au ministre d'effectuer une remise d'impôt en vertu de l'article 22 de la Loi sur la gestion des finances publiques, en effectuant une remise du montant d'impôt approprié visé par les cotisations de l'appelante pour la période allant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2000.

[22]     Les appels seront rejetés selon ce qui précède, sous réserve de la demande faite au ministre d'effectuer une remise d'impôt pour les années d'imposition 1998, 1999 et 2000.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 10e jour d'octobre 2002.

« L. M. Little »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de juillet 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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