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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2062(IT)I

ENTRE :

DAVID AMBURY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 13 juin 2002, à Thunder Bay (Ontario), par

l'honorable juge E.A. Bowie

Comparutions

Avocat de l'appelant :                 Me T. Michael Strickland

Avocate de l'intimée :                 Me Tracey Harwood-Jones

JUGEMENT

          Les appels interjetés contre des cotisations d'impôt établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juillet 2002.

« E.A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juillet 2003.

Erich Klein, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020719

Dossier: 2001-2062(IT)I

ENTRE :

DAVID AMBURY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

[1]      Il s'agit d'appels interjetés à l'égard de nouvelles cotisations d'impôt établies pour les années d'imposition 1998 et 1999. Dans ces nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national a rejeté la position de l'appelant selon laquelle il avait le droit dans le calcul de son revenu de déduire les montants qu'il avait payés à titre de pension alimentaire pour enfant. Les appels ont été entendus à Thunder Bay (Ontario) sous le régime de la procédure informelle.

[2]      Les faits ne sont pas contestés. L'appelant est le père naturel d'un enfant. Lui et la mère de l'enfant n'ont jamais été mariés et n'ont jamais vécu ensemble maritalement. L'appelant a reconnu son obligation de subvenir aux besoins de l'enfant et, en 1996, lui et la mère ont conclu un accord écrit qui prévoyait qu'il ferait à celle-ci des paiements périodiques dans ce but. L'accord a été déposé à la Cour de justice de l'Ontario (Division provinciale). Le contribuable a effectué les paiements qui étaient exigés de lui en vertu de cet accord et, dans le calcul de son revenu pour l'année, a demandé la déduction de ces sommes en vertu de l'article 60 de la Loi de l'impôt sur le revenu[1](la « Loi » ). Le ministre a refusé ces déductions, ce qui a donné lieu au présent appel.

[3]      La question en litige est très restreinte. L'alinéa 60b) de la Loi prévoit qu'un contribuable peut déduire des montants de pension alimentaire selon la formule qui y est énoncée.

60    Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

b) le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

                                           A - (B + C)

où :

A    représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 [...]

[Le reste de la formule n'est pas pertinent pour les présents appels.]

La question qui se pose est de savoir si les sommes que l'appelant a versées peuvent être considérées comme comprises dans la définition de l'expression « pension alimentaire » . Celle-ci est définie au paragraphe 56.1(4) pour l'application des articles 56 et 60.

56.1(4) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a)     le bénéficiaire est le conjoint ou l'ancien conjoint du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

b)     le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

Ainsi, afin d'être déductibles, les paiements de pension alimentaire doivent avoir été faits et être à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue conformément aux lois de l'Ontario. Me Strickland affirme que cette exigence a été remplie en l'espèce du fait de l'application des paragraphes 35(1) et (2) de la Loi sur le droit de la famille[2]de l'Ontario et par l'application de la définition d'ordonnance alimentaire figurant à l'article 1 de la Loi de 1966 sur les obligations familiales et l'exécution des arriérés d'aliments[3] (la « Loi OFEAA » ). Ces dispositions se lisent comme suit :

Loi sur le droit de la famille

35(1)     La partie à un contrat familial ou à un accord de paternité peut déposer le contrat ou l'accord auprès du greffier de la Cour de l'Ontario (Division provinciale) ou de la Cour unifiée de la famille. Il y joint un affidavit précisant que le contrat ou l'accord est valide et n'a pas été annulé ou modifié par un tribunal ou par un accord.

35(2)     La disposition alimentaire qui figure dans un contrat ou un accord déposé de cette façon peut, comme s'il s'agissait d'une ordonnance du tribunal où le contrat ou l'accord a été déposé :

a)       être mise à exécution;

b)       être modifiée en vertu de l'article 37;

c)      sauf dans le cas d'une disposition alimentaire à l'égard d'un enfant, être augmentée en vertu de l'article 38.

Loi sur les obligations familiales et l'exécution des arriérés d'aliments

1(1)       Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

            [...]

« ordonnance alimentaire » Disposition contenue dans l'ordonnance qui est rendue en Ontario ou ailleurs et exécutoire en Ontario, et qui a trait au versement de sommes d'argent à titre d'aliments ou d'entretien. S'entend notamment de la disposition portant, selon le cas, sur :

a)       le versement périodique d'une somme d'argent, notamment chaque année, pour une durée indéterminée ou limitée ou jusqu'à l'arrivée d'un événement donné;

b)       le versement d'une somme forfaitaire ou la remise d'une telle somme à un fiduciaire;

c)       le versement d'aliments ou le paiement d'entretien relativement à une période antérieure à la date de l'ordonnance;

d)       le versement à un organisme d'une somme à titre de remboursement de la prestation ou de l'aide procurée à une partie en vertu d'une loi, y compris une prestation ou une aide accordée avant la date de l'ordonnance;

e)       l'acquittement des frais reliés aux soins prénatals et à la naissance d'un enfant;

f)        la désignation irrévocable par le conjoint titulaire d'une police d'assurance-vie ou d'un droit dans un régime d'avantages sociaux de l'autre conjoint ou d'un enfant comme bénéficiaire;

g)       Le versement d'intérêts ou le paiement de frais juridiques ou autres découlant de l'obligation alimentaire ou d'entretien.

S'entend en outre d'une disposition semblable contenue dans un contrat familial ou un accord de paternité qui est exécutoire aux termes de l'article 35 de la Loi sur le droit de la famille.

Me Strickland prétend que ces dispositions, pour utiliser ses mots, élèvent l'accord en vertu duquel les paiements ont été effectués au rang d'une ordonnance d'un tribunal rendue conformément aux lois de la province de l'Ontario.

[3]      À noter également sont les paragraphes 21(1) et (8) de la Loi OFEAA.

21(1)     Une ordonnance de retenue des aliments est réputée avoir été rendue à l'égard d'une ordonnance alimentaire visée au paragraphe (8) si, selon le cas :

a)       Le bénéficiaire demande que le directeur exécute l'ordonnance alimentaire aux termes de la présente partie et le directeur estime qu'il est pratique de le faire;

b)       le directeur estime qu'il est opportun d'exécuter l'ordonnance alimentaire aux termes de la présente partie.

21(8)     Le présent article ne s'applique qu'aux ordonnances alimentaires déposées au bureau du directeur qui sont :

a)       des ordonnances alimentaires rendues par un tribunal de l'Ontario avant le 1er mars 1992;

b)       des contrats familiaux ou des accords de paternité qui sont exécutoires aux termes de la l'article 35 de la Loi sur le droit de la famille;

c)       des ordonnances alimentaires rendues par un tribunal situé à l'extérieur de l'Ontario qui sont exécutoires en Ontario.

La preuve produite devant moi n'indique pas si ces conditions ont été remplies en l'espèce, mais, aux fins des présents motifs, je présumerai qu'elles l'ont été.

[4]      M. Strickland invoque le jugement rendu par le juge Teskey dans l'affaire Hollands c. Canada.[4] Cette affaire a pris naissance dans le contexte de la Maintenance Enforcement Act (la « MEA » ) de l'Alberta, dont l'article 12 prévoit qu'un accord de paiement de pension alimentaire peut être déposé à la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, et qu'il est alors réputé être une ordonnance de la cour. Le juge Teskey a statué dans l'affaire Hollands que cette présomption législative avait pour effet de transformer l'accord en ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois de la province de l'Alberta selon la définition de « pension alimentaire » donnée dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Le juge en chef adjoint Bowman a exprimé un autre avis sur l'effet de l'article 12 de la MEA[5], comme moi aussi je l'ai fait[6].

[5]      En effet, dans l'affaire Hewko, dont les faits ne peuvent être distingués d'avec ceux de la présente cause et ceux de l'affaire Hollands, j'ai dit :

[7]         En ce qui concerne les sphères de compétence qui sont attribuées aux provinces en vertu de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, l'assemblée législative d'une province peut considérer qu'une chose est réputée être ce qu'elle n'est pas en réalité. À la condition qu'il n'y ait pas d'intrusion apparente dans la sphère législative attribuée au Parlement, cette façon de faire peut être justifiée à toutes fins utiles, si c'est le but visé par l'assemblée législative. Dans un cas de ce genre, le statut juridique de la chose réputée est établi par la loi provinciale, pour l'application des lois tant fédérales que provinciales. Cependant, ainsi que le juge Bowman de la Cour l'a fait observer dans l'affaire Fantini, la mesure dans laquelle la présomption s'applique doit être déterminée par interprétation de la loi provinciale. Il est très clair, selon moi, à l'examen du contexte et du libellé du paragraphe 1(2) de la MEA, que l'application est limitée à cette loi. En premier lieu, la présomption est mentionnée dans une disposition renfermant des définitions. Cela indique que son application est limitée à la loi dans laquelle elle se trouve. En deuxième lieu, l'entente est réputée être une ordonnance alimentaire « en vertu de la présente loi » . Cela aussi indique que l'application de la disposition déterminative est limitée à la réalisation des objets de la MEA. Elle vise à faire en sorte qu'une entente au sens de l'expression « ordonnance alimentaire » , définie au paragraphe précédent, s'entende d'un certain nombre de types d'ordonnances mentionnées dans la disposition, y compris les ordonnances rendues par des tribunaux situés à l'extérieur de la province qui ont été enregistrées en vertu de la Reciprocal Enforcement of Maintenance Orders Act. La MEA crée un bureau du Directeur de l'application des ordonnances alimentaires. Son unique but est de voir à l'application de certains types d'ordonnances par le directeur, au profit des enfants, des conjoints et des ex-conjoints qui sont les bénéficiaires de ces ordonnances. À cette fin, le directeur jouit de certains pouvoirs, et c'est uniquement à cette fin que l'entente en cause en l'espèce, de même que les ententes conclues en vertu de la Income Support Recovery Act et de la Child Welfare Act, sont réputées être comprises dans la définition d' « ordonnance alimentaire » pour l'application de la MEA.

[8]         Est-ce que l'article 12, en vertu duquel une ordonnance alimentaire déposée auprès de la Cour du Banc de la Reine est réputée être un jugement de ce tribunal s'applique à d'autres lois que la MEA? Je ne le crois pas. Hors contexte, on pourrait penser qu'il s'applique, mais il doit être lu en conjugaison avec l'article 1. Si l'entente est réputée être une ordonnance alimentaire aux seules fins de la MEA, dès lors, l'application de l'article 12 à cette ordonnance doit également être limitée. J'en arrive donc à la conclusion que l'entente en vertu de laquelle l'appelant a versé la pension alimentaire n'est pas une « ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province » pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Exactement le même raisonnement s'applique aux lois de l'Ontario. Malgré des différences de forme, l'intention du législateur est clairement la même, et les lois de l'Ontario, comme celles de l'Alberta, ne sont pas destinées à changer la nature d'une entente de pension alimentaire pour enfants, mais ont simplement pour objet de prévoir l'exécution d'une telle entente par le biais du même mécanisme que celui qui existe pour l'exécution des ordonnances de tribunaux dans la province.   

[8]      Les paragraphes 35(1) et (2) de la Loi sur le droit de la famille ne font que prévoir l'exécution d'un accord de paternité. Ils ne créent pas de présomption. L'effet de l'article 1 de la Loi OFEAA est limité par la phrase « Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. » par laquelle il commence. L'inclusion de l'accord de paternité dans la définition de l'expression « ordonnance alimentaire » n'a donc d'effet qu'aux fins de la Loi OFEAA. Le paragraphe 21(1) de la Loi OFEAA établit une présomption, mais il doit être considéré dans le contexte de l'ensemble de la Loi OFEAA. Son objet se limite clairement à prévoir l'exécution des accords de paternité (ainsi que des deux types d'ordonnances visées par les alinéas 21(8)a) et c)) par le Bureau des obligations familiales et, à cette fin, à mettre les voies d'exécution de la Cour de l'Ontario à la disposition du directeur du Bureau. C'est pourquoi je ne puis accepter l'argument selon lequel ces dispositions ont pour effet d'élever l'accord de paternité au rang d'une ordonnance rendue par un tribunal à d'autres fins, et les appels doivent donc être rejetés.

[9]      Je ne peux conclure sans déplorer que des pères comme M. Ambury, qui, de leur plein gré, reconnaissent leurs obligations envers leurs enfants et s'en acquittent, se voient refuser la déduction à laquelle ils auraient droit s'ils avaient été réfractaires à leurs obligations jusqu'a ce qu'un tribunal leur ordonne de verser une pension alimentaire. Il n'existe aucune raison de principe apparente de refuser cette déduction aux contribuables qui concluent volontairement des accords de paternité. Une recherche dans le hansard n'en révèle aucune. Étant donné que de nombreux accords de paternité passés avant 1997 seront en vigueur pour encore bien des années, il se peut que le législateur envisage de mettre les
parents qui versent une pension alimentaire et qui n'ont pas été mariés ou n'ont pas cohabité avec l'autre parent sur un pied d'égalité avec ceux dont c'est le cas.    

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de juillet 2002.

« E.A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juillet 2003.

Erich Klein, réviseur



[1]           L.R.C. 1985 (5e supp.), ch. 1, modifié.

[2]           L.R.O. 1990, ch. F.3, modifié par 1997, ch. 20.

[3]           S.O. 1996, ch. 31 (anciennement la Loi sur le Régime des obligations alimentaires envers la famille, L.R.O. 1990, ch. S.28).

[4]           [2001] A.C.I. n ° 642 ([2001] 4 C.T.C. 2755).

[5]            Fantini c. Canada, [1997] A.C.I. n ° 1299 (98 DTC 1308).

[6]           Hewko c. Canada, [2002] A.C.I. n ° 335 ([2002] T.C.J. No. 335).

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