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Dossier : 2001-2351(IT)I

ENTRE :

ÉLECTRICITÉ GASTON ST-PIERRE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

_______________________________________________________________

Appel entendu le 26 août 2003 à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Alain Tardif

Comparutions :

Représentant de l'appelante :

Gaston St-Pierre

Avocate de l'intimée :

Me Stéphanie Côté

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 est rejeté, avec dépens en faveur de l'intimée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


Référence : 2003CCI673

Date : 20030924

Dossier : 2001-2351(IT)I

ENTRE :

ÉLECTRICITÉ GASTON ST-PIERRE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Tardif

[1]      Il s'agit d'un appel relatif aux années d'imposition 1994 et 1995.

[2]      La majorité des faits pris pour acquis par le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) pour établir les cotisations litigieuses ont été admis. Les admissions ont porté sur les faits suivants:

a)          Selon les registres du Ministre, l'appelante a été incorporée le 1er avril 1982.

b)          au cours des années d'imposition en litige, monsieur Gaston St-Pierre était le seul actionnaire de l'appelante (ci-après l' « actionnaire » );

c)          tel que mentionné dans ses déclarations des revenus, la principale activité commerciale de l'appelante était : Entrepreneur-électricien;

d)          l'exercice financier de l'appelante se terminait le 31 mars de chaque année;

[...]

f)           suite à sa vérification pour les années d'imposition en litige, la vérificatrice du Ministre a constaté ce qui suit :

i)           l'appelante déclarait ses revenus selon la méthode de déclaration par dépôts;

ii)          la société ne possédait qu'un compte bancaire à la Caisse Populaire Desjardins de Saint-Pascal;

iii)          des revenus n'avaient pas été déclarés par l'appelante;

iv)         la majeure partie des revenus non déclarés par l'appelante était composée de chèques émis par Scierie Pelem inc.;

v)          ces chèques étaient encaissés par l'actionnaire de l'appelante, au comptoir de diverses institutions financières, plutôt que déposés au compte bancaire de l'appelante;

[...]

vii)         une dernière portion des revenus non déclarés était constituée de deux chèques émis par Scierie Pelem inc. et déposés par cette dernière au compte bancaire de l'appelante;

viii)        cependant les chèques dont il est fait mention dans l'alinéa précédent n'ont pas été déclarés par l'appelante;

[...]

ACHATS NON RÉCLAMÉS

h)          lors de la vérification pour les années d'imposition en litige, l'actionnaire de l'appelante a présenté des factures d'achat à la vérificatrice du Ministre;

i)           ces factures d'achat n'avaient pas été réclamées antérieurement par l'appelante;

j)           pour les années d'imposition en litige, sept factures d'achat ayant été payées à même les revenus non déclarés, ont été acceptées par le Ministre;

[...]

l)           conséquemment, le Ministre a accordé à l'appelante seulement les montants additionnels de 284 $ en 1994, et 8 054 $ en 1995, à titre de dépenses d'entreprise (voir détails en annexes);

Les faits niés ou ignorés ont été les suivants :

e)          au cours des années d'imposition en litige, la comptabilité de l'appelante était déficiente;

f)           [...]

vi)         une autre partie des revenus non déclarés était composée de trois chèques totalisant 20 000 $ qui ont été émis par Scierie Pelem inc. à l'ordre de la Caisse populaire de Notre-Dame du Mont-Carmel, en raison du fait que l'actionnaire de l'appelante avait cédé le compte à recevoir de Scierie Pelem inc. en garantie d'un prêt consenti à la société Les Immeubles Gaston et Réjeanne inc.;

g)          conséquemment, le Ministre a ajouté aux revenus de l'appelante les montants respectifs de 25 716 $ et 75 804 $, pour les années d'imposition en litige (voir détails en annexes);

[...]

k)          à l'exception des sept factures d'achat dont il est fait mention au sous-paragraphe précédent, aucune autre facture n'a été acceptée, car elles n'étaient pas valides;

[3]      L'unique actionnaire de l'appelante (ci-après l' « actionnaire » ) se représentait seul. L'appelante n'a fait entendre aucun témoin au soutien de ses prétentions.

[4]      De son côté, l'intimée a fait témoigner la vérificatrice, madame Johanne Couture et monsieur Serge Roy, ès-qualité de Vice-président aux finances et à l'administration de la compagnie Distrilec-Roberge inc., à l'époque où l'appelante était cliente de l'entreprise.

[5]      Des suites de la vérification, Gaston St-Pierre, seul actionnaire de l'appelante, a admis que des revenues substantiels n'avaient pas été déclarés. Il s'agissait de revenus gagnés pour l'exécution de travaux d'électricité, pour le compte et bénéfice de la compagnie Scierie Pelem inc.

[6]      La preuve soumise, de part et d'autre, a porté principalement sur des factures d'achats de matériaux et d'équipements utilisés lors de l'exécution des travaux ayant généré les revenus occultés.

[7]      Les prétentions de l'appelante sont à l'effet qu'elle a dû acheter et payer pour au-delà de 100 000 $ de divers matériaux et équipements requis pour l'exécution des travaux. Le représentant de l'appelante a soutenu que ces déboursés devaient être soustraits des revenus non déclarés, le tout réduisant considérablement le fardeau fiscal découlant des revenus non déclarés.

[8]      À l'appui de ses prétentions, l'appelante a soumis à l'intimée 32 factures, pour un total de plus de 125 000 $.

[9]      Les factures ont fait l'objet d'une analyse très approfondie. Des suites de l'analyse, l'intimée a retenu et accepté seulement sept (7) factures pour un montant total de 8 339,29 $. Toutes les autres factures ont été refusées pour le motif qu'il s'agissait de factures non véridiques.

[10]     La preuve a porté principalement sur cette question de validité des factures; le représentant de l'appelante a affirmé qu'il s'agissait des factures obtenues lors des achats de matériaux et équipements, aux dates indiquées. De son côté, l'intimée a affirmé que lesdites factures devaient être écartées puisqu'elles étaient vraisemblablement fausses.

[11]     Pour démontrer le bien-fondé de ce grave grief, l'avocate de l'intimée a fait témoigner monsieur Serge Roy, lequel a introduit en preuve la pièce I-11. Il s'agissait d'une lettre en date du 26 mars 1997; il y a lieu d'en reproduire le contenu vu son importance et pertinence :

Madame Karyne Albert

[...]

Objet : Votre demande d'information relativement aux bons de commande # VC-48673, VC-48810, VC-48820 et VC-48826

Madame,

            Suite à votre demande, nous désirons vous informer des faits suivants.

l -          l'entreprise « Électricité Gaston St-Pierre » n'a pas de compte ouvert chez nous.

2 -         Il est impossible que nous ayons vendus à cette entreprise les produits indiqués sur ces factures et à ces dates pour les raisons suivantes.

a)          Les tablettes de factures correspondant à ces numéros ont été achetées chez notre fournisseur « Formulogic Inc. » le 13 septembre 1995.

b)          Le 11 juin 1996, 5 tablettes de 50 factures de « vente au comptant » . portant les numéros VC-48601 à VC-48850, ont été envoyées à notre succursale de Rivière-du-Loup pour y être utilisées.

c)          La plupart des produits indiqués sur les factures dont vous nous avez transmis copie sont des équipements électriques qui doivent faire l'objet d'une commande spéciale auprès de nos fournisseurs manufacturiers et qui comportent des délais de fabrication et livraison de 6 à 12 semaines. En aucun cas nous ne passons ce genre de commande si l'entreprise qui achète ne possède pas chez nous un compte-client dont la marge de crédit équivaut au montant de la commande. Or, ce n'est pas le cas de l'entreprise « Électricité Gaston St-Pierre » dont le nom apparaît sur les factures dont vous nous avez envoyé copie.

d)          Nous effectuons un suivi de retour des tablettes envoyées à nos succursales afin de nous assurer que toutes les factures de vente sont comptabilisées et déposées. Selon notre fiche de contrôle des tablettes de factures pour vente au comptant envoyées à nos succursales (dont celles envoyées le 11 juin 1996), les tablettes comportant les factures # 48651 à 48700 et 1 48801 à 48850 manquent à l'appel de retour (2 tablettes de 50 factures chacune). Le gérant de notre succursale de Rivière-du-Loup ne retrouve pas l'entier de ces 2 tablettes.

[...]

(Je souligne)

[12]     Monsieur Roy a expliqué que la succursale de Rivière-du-Loup, auprès de laquelle auraient été faits les achats litigieux, utilisait exclusivement des factures fournies par la principale place d'affaires, située dans la région de Québec.

[13]     Les factures avaient été imprimées en trois copies. Lors d'une vente, l'originale était remise au client et deux copies étaient conservées; une était retournée au siège social pour le contrôle et l'administration.

[14]     Toutes les factures produites par l'appelante et refusées par l'intimée n'ont jamais pu être retracées par l'entreprise vendeuse du matériel. Seule l'appelante possédait les factures; de plus, les dates indiquées sur les factures étaient antérieures à l'existence même desdites factures.

[15]     À la lumière du témoignage de monsieur Roy, il appert que le contenu et les dates indiquées aux factures produites par l'appelante furent élaborées à partir de factures vierges obtenues d'une manière douteuse. L'intimée a ainsi conclu et soutenu qu'il s'agissait purement de fausses factures et de ce fait, a refusé d'en tenir compte.

[16]     La prépondérance de la preuve confirme cette interprétation. D'ailleurs, Gaston St-Pierre a catégoriquement et expressément affirmé que les factures à l'appui de ses prétentions étaient celles obtenues lors des divers achats. Il a ainsi contredit la preuve de l'intimée, constituée du témoignage d'une personne dont la crédibilité est inattaquable et corroborée par une preuve documentaire convaincante, déterminante et non contredite.

[17]     Il eût été facile et surtout extrêmement intéressant d'avoir les versions des employés de la succursale de l'entreprise à Rivière-du-Loup. Gaston St-Pierre, seul actionnaire de l'appelante, a choisi de ne pas les faire intervenir. Il n'a également pas fait témoigner son comptable, ni aucun des représentants de l'entreprise « Scierie Pelem inc. » qui a déboursé les substantiels revenus non déclarés.

[18]     Compte tenu du genre de travail de l'appelante, il était possible que le matériel et l'équipement installés aient été achetés directement par l'entreprise Scierie Pelem inc. Il eût donc été fort important de faire intervenir un ou des représentants de l'entreprise en question pour faire la lumière sur ce qui est demeuré très nébuleux.

[19]     Le représentant de la compagnie Distrilec-Roberge inc., monsieur Roy, qui selon l'appelante a fourni et vendu l'équipement utilisé de l'exécution des travaux, a expliqué la façon dont les ventes étaient comptabilisées, facturées et par la suite contrôlées. Ces explications très crédibles ont totalement désavoué les prétentions de l'appelante.

[20]     Le vol de factures vierges étant une explication plausible, monsieur St-Pierre a simplement répliqué spontanément : « Prouvez-le ! » et « a-t-on fait appel à la police ? » s'est-il empressé d'ajouter.

[21]     Effectivement le vol des factures vierges n'a pas été établi. Par contre, le témoignage de monsieur Roy, digne de foi, aucunement intéressé dans le dossier, est inattaquable; les factures descriptives du matériel, censément acheté et utilisé pour l'exécution des travaux ayant généré les revenus non déclarés, ne pouvaient pas avoir été préparées par son entreprise et ce, pour la simple et bonne raison qu'aux dates indiquées sur les factures, celles-ci n'existaient tout simplement pas. De plus, la série de numéro sur les factures non retrouvées s'est avérée être la même que ceux indiqués sur les factures produites par l'appelante.

[22]     Se représentant seul et ayant choisi de ne présenter aucun témoin, le représentant de l'appelante, très articulé, avait une connaissance et des réflexes fort surprenants pour une personne s'étant décrite dans un premier temps comme peu renseignée, nerveuse et n'ayant aucune expérience devant un Tribunal.

[23]     Le témoignage de St-Pierre n'est carrément pas crédible; il doit être écarté de la preuve.

[24]     Pour soutenir cette conclusion sévère, je m'appuie notamment sur les faits suivants :

·         l'appelante, par le biais de son seul actionnaire, monsieur Gaston St-Pierre a admis avoir omis de déclarer des montants fort importants;

·         il a reconnu avoir fourni à son comptable des renseignements et documents incomplets; et

·         il a omis de déclarer volontairement des revenus substantiels.

[25]     Il ressort également de la preuve que l'entreprise Scierie Pelem inc. qui avait convenu d'un contrat pour l'exécution de divers travaux d'électricité avec la compagnie, dont il détenait la totalité des actions devait faire les paiements pour le travail exécuté non pas à la compagnie, mais personnellement à Gaston St-Pierre et cela, à sa demande expresse.

[26]     Les chèques faits à son ordre personnel étaient négociés pour de l'argent comptant auprès d'institutions financières autres que celle où l'appelante faisait généralement affaires.

[27]     Une très forte présomption, non réfutée par les personnes en mesure de le faire, est à l'effet que les factures soumises par l'appelante étaient fausses.

[28]     Les faits et éléments qui discréditent la qualité du témoignage du représentant de l'appelante sont également très pertinents et largement suffisants pour conclure que cette dernière a sciemment et délibérément planifié ses affaires pour éluder de ses revenus des sommes très importantes.

[29]     Non seulement, a-t-elle caché des revenus substantiels, elle a poussé l'arrogance jusqu'à inventer, de toute pièce, des dépenses pour réduire les revenus occultés une fois que l'intimée les eut découverts.

[30]     Le seul actionnaire de l'appelante, Gaston St-Pierre, a fait, à répétition, d'une manière délibérée et sciemment plusieurs faits et gestes dans le but de cacher d'importants revenus, le tout constituant une faute très lourde justifiant l'imposition des pénalités.

[31]     L'intimée était pleinement justifiée d'établir de nouvelles cotisations pour les années d'imposition et ce, bien qu'il s'agissait en principe d'années couvertes par la prescription. En effet, la preuve dont l'intimée avait le fardeau, a établi d'une manière déterminante que l'appelante avait mis sur pied un véritable système pour cacher d'importants revenus tout en inventant, de toute pièce, des dépenses.

[32]     Pour ces motifs, l'appel est rejeté, avec dépens en faveur de l'intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de septembre 2003.

« Alain Tardif »

Juge Tardif


RÉFÉRENCE :

2003CCI673

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2001-2351(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Électricité Gaston St-Pierre Inc.

et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 26 août 2003

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :

le 24 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Représentant de l'appelante :

Gaston St-Pierre

Avocate de l'intimée :

Me Stéphanie Côté

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER:

Pour l'appelante :

Pour l'intimée :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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