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Date: 20020516

Dossier: 2000-2021-IT-I

ENTRE :

RAYMOND LAQUERRE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

(prononcés oralement à l'audience le 10 janvier 2002 à Trois-Rivières (Québec))

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Raymond Laquerre conteste un avis de cotisation établi par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard de l'année d'imposition 1998. Le ministre a inclus dans le revenu du contribuable deux montants importants: un de 27 223,20 $ reçu à titre de prestation de retraite et un autre de 59 165,85 $ reçu à titre de prestation d'assurance-invalidité au sens de l'alinéa 6(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi).

[2]            Monsieur Laquerre ne conteste que l'inclusion de la prestation d'assurance-invalidité de 59 165,85 $. De plus, le ministre lui a accordé une déduction de 13 506 $ pour frais juridiques. Monsieur Laquerre reconnaît qu'il n'a pas droit à un montant supérieur à cette somme.

Position de monsieur Laquerre

[3]            Monsieur Laquerre avance les motifs suivants à l'appui de sa contestation. Tout d'abord, il soutient que le montant de la prestation d'assurance-invalidité n'a pas été versé périodiquement. Deuxièmement, dit-il, la prestation n'était pas payable périodiquement pour la perte totale ou partielle d'un revenu afférent à une charge ou à un emploi, mais représentait une indemnité pour acheter la paix. Troisièmement, il y aurait iniquité si on comparait le traitement fiscal des indemnités versées ici avec celles versées par un organisme gouvernemental comme la CSST.

Position de l'intimée

[4]            L'intimée soutient que c'est à tort que le ministre a accordé le montant de 13 506 $ parce que l'alinéa 8(1)b) de la Loi reconnaît le droit de déduire des frais judiciaires ou extrajudiciaires uniquement dans le cas d'un recouvrement de salaire, c'est-à-dire lorsque la procédure de recouvrement est entreprise contre un employeur. Selon l'intimée, la personne poursuivie ici était un assureur et non pas l'employeur. Toutefois, elle a reconnu que cette Cour n'avait pas compétence pour augmenter le montant d'impôt contesté par monsieur Laquerre.

Les faits

[5]            Monsieur Laquerre a été agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pendant environ vingt-quatre ans. Parmi les avantages sociaux fournis par son employeur, il y avait un régime d'assurance pour invalidité prolongée (régime), entré en vigueur le 1er octobre 1975, en vertu duquel il pouvait recevoir une indemnité égale à 75 % de son salaire, diminuée de son revenu de pension.

[6]            Monsieur Laquerre n'a pas produit de copie des conditions du régime ni aucune brochure qui en résume les modalités. Aucun témoin n'a pu éclairer la Cour sur ces modalités si ce n'est monsieur Laquerre, qui a indiqué qu'en vertu du régime il pouvait bénéficier de prestations d'invalidité prolongée pendant deux ans après son licenciement par la GRC. Au terme de cette période, la société d'assurances Great-West (GW) pouvait demander qu'il subisse un examen médical pour déterminer si le bénéficiaire, monsieur Laquerre, était toujours incapable de trouver un emploi équivalent chez un autre employeur. La GRC et monsieur Laquerre ont versé des primes à la GW, celle-là dans une proportion de 60 % et celui-ci dans une proportion de 40 %.

[7]            En 1994, la GRC a envoyé à monsieur Laquerre un avis d'intention de licenciement pour cause de maladie qu'il a contesté devant les autorités compétentes de la GRC. Une première instance a rejeté son recours à l'automne 1994, et monsieur Laquerre en a appelé à une instance supérieure. En même temps, monsieur Laquerre a demandé à la GW de confirmer qu'il serait admissible à des prestations d'invalidité. La GW a alors demandé qu'un médecin choisi par elle fasse une évaluation de la condition de monsieur Laquerre. Le rapport médical porte la date du 12 décembre 1994. Selon l'agent d'assurabilité de la GW, monsieur Laquerre n'était pas admissible aux prestations en vertu du régime. Contrairement aux directives contenues dans le rapport médical, un représentant de la GW l'a transmis à la GRC, qui a dressé une note de service en date du 14 décembre 1994 informant le personnel de la GRC que monsieur Laquerre était dangereux, et une photo de lui a été affichée dans certains endroits publics.

[8]            Le 1er février 1995, monsieur Laquerre a abandonné sa contestation de l'avis d'intention de licenciement, ce qui a eu pour résultat de mettre fin à son emploi chez la GRC. Monsieur Laquerre a commencé à recevoir par la suite sa pension du fonds de pension de la GRC en fonction des années de service qu'il avait accumulées jusqu'alors.

[9]            Comme la GW a continué à refuser de lui verser des prestations d'invalidité prolongée même si un comité de la GRC le recommandait, monsieur Laquerre a retenu en septembre 1997 les services d'un avocat pour poursuivre la GW. Une mise en demeure a été envoyée exigeant le paiement de 32 mensualités de prestations d'invalidité, représentant celles qui étaient en souffrance à ce moment-là. Dans sa déclaration en date du 20 janvier 1998, le procureur de monsieur Laquerre a réclamé les 36 mensualités de prestations d'invalidité que la GW avait jusque-là refusé de verser, soit une somme totale de 49 343,55 $. En plus, il a réclamé à la GW des dommages-intérêts de 250 000 $ pour avoir transmis illégalement le rapport médical à la GRC, causant ainsi à monsieur Laquerre un préjudice sérieux, notamment en le forçant à abandonner, selon ce qu'il soutient, sa contestation de son licenciement. Une somme de 100 000 $ a également été réclamée comme dommages-intérêts exemplaires.

[10]          Dans la déclaration produite devant la Cour supérieure, on indique au paragraphe 4) que :

La commission médicale formée de J. Robinson, m.d., à titre de président, et de J. Binet, m.d., et de Grégoire, m.d., à titre de membres concluait que la condition médicale du demandeur était présentement chronique et irréversible et, au surplus, une autre des conclusions du rapport unanime de ladite commission explicitait qu'un retour au travail au sein du service de la G.R.C. aggraverait la condition médicale présente du demandeur, tel qu'il appert du rapport "COMMISSION MÉDICALE — CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION MÉDICALE" de ladite commission tripartite communiqué à la défenderesse comme pièce P-1 par la remise d'une copie lors de la signification de la présente déclaration.

[11]          Selon les dires de monsieur Laquerre, les négociations pour régler la poursuite contre la GW ont commencé sérieusement lorsqu'il s'est mis à demander des informations à la GRC concernant le personnel de la GRC qui avait eu accès à son rapport médical. En avril 1998, une première offre verbale de 27 000 $ a été présentée par la GW, offre que monsieur Laquerre a refusée. Ce dernier a continué ses démarches pour avoir accès à son dossier à la GRC. Son procureur lui aurait affirmé que les négociations progressaient de façon satisfaisante, sans lui fournir plus de détails à ce sujet.

[12]          En juin 1998, monsieur Laquerre a été convoqué à une rencontre avec son avocat, qui l'a informé qu'il avait réglé la poursuite. L'avocat lui a alors remis 34 billets de 1 000 $ et un de 100 $. Il a fallu que monsieur Laquerre signe sur-le-champ le contrat de transaction et de quittance. Dans ce contrat, se trouvent les stipulations suivantes :

1.              En considération du paiement par LA GREAT-WEST, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE d'un montant de 58 710,65 $ et pour autre bonne et valable considération que le demandeur RAYMOND LAQUERRE reconnaît avoir reçu de la défenderesse LA GREAT-WEST COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE, le demandeur RAYMOND LAQUERRE donne par les présentes quittance complète et finale à la défenderesse en la présente instance, LA GREAT-WEST, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE, ainsi qu'à ses agents, actionnaires, administrateurs, officiers, filiales, préposés, employés, représentants, assureurs et ayants droit, passés, présents ou futurs, de toute réclamation, demande ou cause d'action de quelque nature qu'elle puisse être, qu'il possède ou pourrait posséder à l'encontre de la défenderesse, incluant capital et intérêts, découlant directement ou indirectement des faits allégués à la déclaration jointe au bref d'assignation dans le dossier de la Cour supérieure du district de Montréal, portant le numéro 500-05-038835-987.

[...]

3.              De plus le demandeur RAYMOND LAQUERRE renonce rétroactivement aux bénéfices des couvertures d'assurance émises par la défenderesse la GREAT-WEST COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE dont la Gendarmerie Royale du Canada a été preneur, portant le no 24892 LTD, et reconnaît que son adhésion à cette police dont la Gendarmerie Royale du Canada a été preneur est annulée rétroactivement à toutes fins que de droit;

4.              Le demandeur RAYMOND LAQUERRE reconnaît qu'il n'est pas présentement, ni ne sera dans le futur, éligible aux bénéfices et couvertures afférents à la police d'assurance groupe émise par la défenderesse LA GREAT-WEST COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE dont la Gendarmerie Royale du Canada a été preneur, portant le no 24892 LTD, et renonce à invoquer de telles prétentions contre la défenderesse LA GREAT-WEST COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE, ses agents, actionnaires, administrateurs, officiers, filiales, préposés, employés, représentants, assureurs et ayants-droit, passés, présents ou futurs;

5. [...]

Il est entendu que le règlement ci-dessus mentionné ne constitue aucunement une admission de responsabilité de la part de la défenderesse LA GREAT-WEST, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE, et qu'il ne fut effectué que dans l'unique but de disposer à l'amiable du litige qui existait entre les parties et d'éviter des dépenses additionnelles.

[13]          En plus de la somme de 58 710,65 $, la GW a versé au procureur de monsieur Laquerre une somme de 455,20 $ en paiement de frais judiciaires. Le procureur de monsieur Laquerre n'est pas venu témoigner pour expliciter la nature des indemnités versées par la GW, et notamment pour indiquer l'objet de l'indemnité de 58 710,65 $ et ce sur quoi il s'était entendu avec le procureur de la GW. L'absence du procureur de monsieur Laquerre s'explique peut-être par le fait que monsieur Laquerre a dû porter plainte contre lui devant le Barreau du Québec pour se faire remette une partie de l'indemnité que cet avocat avait conservée injustement. Une copie de la sentence arbitrale du 26 janvier 2000 a été produite en preuve. Ce document indique, entre autres, notamment, que la réclamation de dommages et intérêts pour préjudice résultant de la violation de la confidentialité du rapport médical de monsieur Laquerre n'avait pas fait l'objet de négociations entre le procureur de monsieur Laquerre et celui de la GW. Monsieur Laquerre affirme que son procureur a menti tout au cours de l'audition de sa plainte devant le Barreau du Québec et qu'il ne croit pas cette version des faits. Toutefois, monsieur Laquerre n'a pas jugé bon d'assigner l'avocat de la GW, qui aurait pu éclairer la Cour, même s'il avait indiqué dans son avis d'appel qu'il aurait de nombreux témoins à faire entendre quoiqu'il ait demandé à la Cour de lui expliquer la procédure à suivre pour les assigner à comparaître.

[14]          Selon monsieur Laquerre, il n'a jamais été réexaminé par un autre médecin à la demande de la GW deux ans après avoir accepté son congédiement, et la GW n'a donc pu déterminer s'il était capable d'occuper un emploi équivalent ailleurs qu'à la GRC. Selon ses dires, il en aurait été capable. Toutefois, par préférence personnelle, il a décidé de ne pas rechercher un tel emploi : il s'est contenté de sa pension et du montant du règlement reçu de la GW. Même s'il a joint à sa déclaration de revenus de l998 les feuillets de renseignements relatifs au montant de 27 223 $ versé à titre de pension et à celui de 59 165 $ versé par la GW à titre d'indemnité, monsieur Laquerre n'a pas ajouté ces montants à ses revenus. Au cours de son témoignage, il a reconnu avoir été préoccupé, durant les négociations avec la GW, par le traitement fiscal de l'indemnité que lui paierait celle-ci, et a dit en avoir fait part à son avocat.

Analyse

[15]          La disposition pertinente, et la seule invoquée par l'intimée à l'appui de sa cotisation, est l'alinéa 6(1)f) de la Loi que je reproduis ici :

6(1)          Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables :

[...]

f) Prestations d'assurance contre la maladie, etc. — le total des sommes qu'il a reçues au cours de l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l'un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué :

(i) un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents,

(ii) un régime d'assurance invalidité,

(iii) un régime d'assurance de sécurité du revenu; [...]

Une des conditions de l'application de l'alinéa 6(1)f) est la suivante : les sommes totales reçues au cours de l'année doivent l'avoir été à titre d'indemnités payables périodiquement pour la perte totale ou partielle d'un revenu tiré d'un emploi.

[16]          Dans une décision très récente en date du 20 décembre 2001, Tsiaprailis v. The Queen, 2001 CarswellNat 3029, le juge en chef adjoint Bowman a statué sur un appel dont les faits se rapprochent beaucoup de ceux de la présente espèce. Là aussi la GW avait refusé le paiement de prestations d'assurance-invalidité. C'était un cas où l'employée était devenue invalide à la suite d'un accident d'automobile et avait perdu son emploi. Le montant forfaitaire de 105 000 $ versé par la suite du règlement hors cour comprenait à la fois un paiement au titre des arrérages et une somme à l'égard de paiements futurs.

[17]          Dans le présent appel, je dois noter que le montant versé par la GW m'apparaît essentiellement égal au montant des arrérages. (Faisant mes propres calculs, j'arrive à un montant d'environ 56 433 $, ce qui donne un surplus de 2 777 $). Malheureusement, rien n'indique expressément comment on a établi cette somme forfaitaire. On peut croire que la somme de 2 777 $ pourrait représenter soit des intérêts, soit des dommages-intérêts pour défaut de respecter l'obligation de confidentialité, soit un paiement au titre des honoraires du procureur représentant monsieur Laquerre.

[18]          Dans l'affaire Tsiaprailis, le juge en chef adjoint Bowman a conclu que la condition de périodicité mentionnée à l'alinéa 6(1)f), précité, n'avait pas été remplie. Voici comment il s'exprime au paragraphe 18 de sa décision :

                Whether the Crown relies on paragraph 6(1)(f) or not it has no application. The lump sum payment arrived at after a law suit was commenced and negotiated as a compromise cannot on any basis of statutory interpretation be described as an "amount ... payable to the taxpayer on a periodic basis".

[19]          À mon avis, il faut nuancer la portée de cette affirmation du juge en chef adjoint Bowman. Ce ne sont pas toutes les sommes forfaitaires versées en paiement d'arrérages qui perdent la qualité de périodicité. À cet égard, je me fonde notamment sur la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Sills, [1985] 2 C.F. 200, 85 DTC 5096. Le sommaire de cette décision que l'on trouve dans les DTC (à la page 5096) contient l'énoncé suivant des faits :

Under the terms of a written separation agreement the taxpayer was to receive a defined monthly payment from her husband. The taxpayer actually received three lump sum payments at random times during the taxation years in issue.

[20]          Voici de façon plus précise comment le juge de première instance avait décrit les faits et exposé son raisonnement. Ce passage est cité par la Cour d'appel aux pages 203 et 204 C.F. (page 5098 DTC) :

Si l'on revient aux faits de l'espèce, l'accord de 1974 prévoit des paiements mensuels de 300 $ selon que la situation demeure comme elle était au moment où l'accord a été conclu. De toute évidence l'obligation d'effectuer les paiements de 1976 découle de l'accord de 1974, mais il n'y a par ailleurs absolument aucun rapport entre les modalités de l'accord et ces paiements qui ont été effectués à des moments choisis au hasard au cours de 1976 et en des montants différents. Par conséquent, je confirme la décision rendue à ce sujet par la Commission de révision de l'impôt.

[21]          La Commission de révision de l'impôt avait accueilli l'appel du contribuable. Dans les motifs de sa décision accueillant l'appel de l'intimée, la Cour d'appel fait le commentaire suivant relativement à la décision du juge de première instance (aux pages 204 et 205 C.F., page 5098 DTC) :

[...] Étant donné les faits en cause il est clair que les 3 000 $ remis à l'intimée par LaBrash ont été payés par ce dernier et reçus par celle-ci en accomplissement des dispositions de l'accord de séparation. Une partie de l'argent était payable à l'intimée à titre de pension alimentaire alors que le reste lui était payable pour subvenir aux besoins des enfants à charge. Ainsi que le stipulait l'accord de séparation, tout cet argent était payable mensuellement. À mon avis, l'erreur du juge de première instance consiste à n'avoir pas accordé toute l'importance qui se devait à l'emploi du mot « payable » dans l'alinéa en question. Pourvu que l'accord prévoie que les montants d'argent sont payables périodiquement, l'exigence contenue à l'alinéa est respectée. Les paiements ne changent pas de nature pour la seule raison qu'ils ne sont pas effectués à temps.

                                                                                                [Je souligne.]

[22]          Toutefois, la situation est tout à fait différente si la somme forfaitaire est versée en contrepartie de la libération d'une obligation passée et future de verser des indemnités périodiques. Une analyse pertinente est présentée par ma collègue la juge Lamarre dans la décision MacBurnie v. The Queen, 95 DTC 686, à la page 688 (version française : [1995] A.C.I. no 817 (QL), paragraphes 13 à 20). Je reprends abondamment ses commentaires concernant la pension alimentaire. À mon avis, cette analyse est tout aussi valable relativement à des indemnités d'invalidité versées périodiquement. Je la fais comme mienne aux fins du présent appel :

Dans son plaidoyer, l'avocat de l'appelante a montré clairement que le litige portait sur la question de savoir comment qualifier la somme de 27 500 $ que l'appelante a reçue de son ancien conjoint. Si cette somme est considérée avoir été versée au titre de paiements périodiques antérieurs exigibles aux termes de l'accord de séparation, il s'agit d'un montant imposable pour l'appelante conformément aux alinéas 56(1)b) et 56(1)c) de la Loi. Par contre, s'il s'agit d'un paiement forfaitaire effectué en contrepartie de la libération d'obligations ou de dettes futures, ces 27 500 $ ne sont pas imposables pour l'appelante en vertu de la Loi. De fait, l'avocat de l'appelante s'est fondé sur le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire M.N.R. v. Armstrong, [1956] R.C.S. 446. Dans cette affaire, un jugement de divorce prévoyait des paiements mensuels. Ceux-ci ont été effectués pendant deux ans, puis la femme a accepté un paiement forfaitaire de 4 000 $ en règlement complet de tous les montants exigibles ou devant le devenir. Le juge Kellock s'est exprimé ainsi à la page 448 :

[TRADUCTION]
Il me semble que le paiement en question n'est pas visé par le texte de loi. Il ne s'agissait pas d'un montant payable "conformément à" ce jugement, mais plutôt d'un montant payé pour se libérer de l'obligation qu'il imposait... Un tel versement fait en remplacement de sommes périodiques payables en vertu du jugement constitue un paiement de capital qui n'est pas visé par le texte de loi.

L'avocat de l'appelante s'est également fondé sur un jugement rendu par notre cour dans l'affaire Jean-Guy Dubreuil v. M.N.R., 93 D.T.C. 542, où le juge Couture a conclu qu'il "semble incontestable que le paiement en question a été effectué par l'appelant pour mettre fin à ses obligations qui découlaient du jugement de la Cour supérieure vis-à-vis son ex-épouse et non pas à titre de pension alimentaire ou autre allocation". Dans cette affaire, le contribuable avait convenu, aux termes d'une convention subséquente, de verser à son ex-épouse la somme de 10 000 $ à titre de "pension alimentaire globale" contre quittance finale et totale. Le paiement a donc été considéré comme un paiement de capital à l'égard duquel la loi ne prévoit aucune déduction et, par conséquent, aucune inclusion dans le revenu du bénéficiaire.

L'avocat de l'intimé s'est fondé sur un jugement rendu par notre cour dans l'affaire Norman C. Soldera v. M.N.R., 91 D.T.C. 987, qui, à son avis, est semblable à la présente affaire. Dans l'affaire Soldera, le contribuable s'était vu ordonner, par un jugement conditionnel de divorce, de verser une pension alimentaire mensuelle. Le contribuable ayant accumulé des arriérés, une seconde ordonnance, différente de la première, a été rendue en vertu de laquelle les arriérés de prestations alimentaires étaient établis à 7 500 $. Le juge Garon a soutenu que la seconde ordonnance ne modifiait pas la nature de la dette du contribuable, mais qu'elle en réduisait simplement le montant. Les 7 500 $ représentaient essentiellement une partie des arriérés qui constituaient une allocation payable périodiquement en vertu de la première ordonnance. La Cour a toutefois constaté que la seconde ordonnance ne "renferm[ait] aucune disposition libérant expressément l'appelant de ses obligations existantes ou futures de subvenir aux besoins de ses enfants".

La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Armstrong, précitée, s'est penchée sur les principes servant à déterminer si les paiements forfaitaires qu'un contribuable fait à son conjoint ou à son ancien conjoint sont déductibles (ou s'ils doivent être inclus dans le revenu du bénéficiaire) en application de la Loi. Le juge en chef s'est exprimé en ces termes à la page 1045 :

[TRADUCTION]
Le critère consiste à savoir si elle a été versée
conformément à un décret, une ordonnance ou un jugement,
et non pas si elle a été versée en raison d'une
obligation juridique imposée ou assumée.

Dans cette affaire, le jugement de divorce prévoyait des paiements mensuels de 100 $ à l'épouse du contribuable pour subvenir aux besoins de leur fille. Les paiements ainsi ordonnés ont été effectués jusqu'à ce que l'épouse accepte une somme globale de 4 000 $ en règlement complet de tous les montants payables dans l'avenir. Lorsque la Cour a conclu que le paiement de 4 000 $ n'était pas visé par l'alinéa 60b) de la Loi, elle s'est fondée sur le fait qu'il "n'existe, en vertu du jugement, aucune obligation pour [le contribuable] de verser une somme globale au lieu des mensualités prévues au jugement" (page 1045).

La Cour d'appel fédérale a distingué l'affaire Armstrong de l'affaire The Queen v. Barbara D. Sills, 85 D.T.C. 5096. Dans cette dernière, un accord de séparation écrit stipulait que la contribuable recevrait des paiements mensuels de son mari. De fait, elle a reçu trois paiements forfaitaires à divers moments au cours des années d'imposition en litige. Après avoir analysé le sens donné par les dictionnaires au terme "pursuant" (en français, "en vertu de") et l'utilisation du terme "payable" dans l'alinéa 56(1)b) de la Loi, le juge Heald, se prononçant au nom de la Cour d'appel fédérale, a conclu que les paiements avaient été reçus en vertu de l'accord de séparation. Il a indiqué à la page 5089

[TRADUCTION]
Pourvu que l'accord prévoie que les montants d'argent
sont payables périodiquement, l'exigence contenue à
l'alinéa est respectée. Les paiements ne changent pas de
nature pour la seule raison qu'ils ne sont pas effectués
à temps
.

Puis il a fait le commentaire suivant sur l'affaire Armstrong à la page 5099 :

[TRADUCTION]
Les faits de l'affaire Armstrong se distinguent nettement de ceux de l'espèce. Dans l'affaire Armstrong ... ressort-il clairement que la somme de 4 000 $ n'a pas été payée en conformité du décret de divorce mais visait à le remplacer. Toutefois, en l'espèce, tous les montants ont été payés pour mettre en oeuvre les dispositions de l'accord de séparation. La conséquence et le résultat de ces paiements n'étaient pas de libérer le mari de façon finale des obligations que l'accord de séparation lui imposait à l'endroit de sa femme et de ses enfants, alors que c'était le cas dans l'affaire Armstrong ...

En l'espèce, il semble évident que la somme de 27 500 $ a été versée en vertu du jugement rendu par le juge Soublière le 19 septembre 1992, auquel le règlement amiable conclu entre les parties était incorporé, et non en vertu de l'accord de séparation antérieur. En effet, cette somme a été versée en octobre 1992, conformément au jugement du juge Soublière. J'estime que M. Eyre a manifestement versé cette somme afin de se libérer de sa dette découlant de l'accord de séparation et de mettre fin à ses obligations envers l'appelante aux termes de cet accord. Le libellé du jugement du juge Soublière appuie cette conclusion, car il indique clairement que M. Eyre sera libéré de toutes ses obligations envers l'appelante lorsqu'il aura versé la somme de 27 500 $ et que l'appelante le libère de toutes ses obligations de lui verser des aliments.

Un peu plus loin, la juge Lamarre ajoute :

[...] De toute évidence, le jugement a mis fin à l'obligation de M. Eyre de verser une pension alimentaire à l'appelante. À cet égard, la présente affaire se distingue de l'affaire Soldera. De plus, j'accepte l'explication fournie par Me Braidek selon laquelle les termes "en règlement intégral et définitif de [...] et de tous les arriérés au titre des aliments" ont été ajoutés pour donner à M. Eyre une certaine assurance et que l'intention n'était pas de le poursuivre en vue d'obtenir le paiement de tout ou partie des arriérés. Même si, selon la preuve présentée, M. Eyre devait à l'appelante une somme supérieure à 27 500 $ lorsque le règlement amiable incorporé au jugement du juge Soublière a été signé, je suis d'avis que l'appelante et M. Eyre se sont, tout compte fait, entendus par règlement pour que M. Eyre verse une somme en remplacement des sommes périodiques exigibles aux termes de l'accord de séparation. Une telle somme est, par nature, un paiement de capital comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans l'affaire Armstrong, de sorte qu'elle ne devait pas être incluse dans le calcul du revenu de l'appelante, car elle ne constituait pas une pension alimentaire au sens des alinéas 56(1)b) et 56(1)c) de la Loi. [1]

[23]          Ici, il faut se rappeler que l'on stipule aux paragraphes 3 et 4 du contrat de quittance et de transaction que le contrat d'assurance-invalidité est annulé rétroactivement et on confirme que monsieur Laquerre n'a droit à aucune somme dans l'avenir. Par exemple, au paragraphe 4 on dit :

Le demandeur RAYMOND LAQUERRE reconnaît qu'il n'est présentement, ni ne sera dans le futur, éligible aux bénéfices et couvertures afférents à la police d'assurance groupe émise par la défenderesse LA GREAT-WEST COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE dont la Gendarmerie Royale du Canada a été preneur, portant le no 24892 LTD, et renonce à invoquer de telles prétentions contre la défenderesse LA GREAT-WEST COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE [...]

[24]          Tel que je l'ai mentionné lors de l'audience, il m'apparaît assez surprenant qu'il ait été stipulé dans ce contrat qu'on annulait rétroactivement le régime d'assurance-invalidité. Il est difficile à comprendre comment deux parties peuvent annuler rétroactivement un contrat qui a existé réellement. Il est possible que cette clause ait pu être motivée par des considérations d'ordre fiscal du côté de monsieur Laquerre et par la peur qu'avait GW d'être vue comme ayant commis une faute déontologique en divulguant le rapport médical. Ce libellé faisait probablement l'affaire des deux parties.

[25]          À mon avis, l'effet du contrat, sinon l'intention réelle des parties, a été de libérer la GW de toute obligation découlant du régime d'assurance-invalidité. Dans ces circonstances, les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Armstrong et par la Cour canadienne de l'impôt dans MacBurnie et Tsiaprailis s'appliquent ici, et par conséquent il ne s'agit pas d'un montant reçu « à titre d'indemnité payable périodiquement » , il s'agit plutôt d'une somme versée pour libérer la GW de ses obligations passées, présentes et futures en vertu du régime d'assurance-invalidité. Dès lors, l'alinéa 6(1)f) de la Loi ne s'applique pas en l'espèce.

[26]          Compte tenu de ces conclusions, il n'est pas nécessaire de commenter les autres motifs invoqués par monsieur Laquerre.

[27]          Par conséquent, l'appel de monsieur Laquerre est accueilli avec dépens de 20 $ et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la somme de 59 165,85 $ ne constitue pas du revenu pour monsieur Laquerre. Comme le ministre a déjà exclu une somme de 13 506 $, déduite par erreur comme une dépense judiciaire, le montant de la diminution du revenu de monsieur Laquerre résultant de cette décision est donc de 45 659 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2002.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-2021(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 RAYMOND LAQUERRE

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    les 7 et 10 janvier 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                                      le 17 janvier 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    l'appelant lui-même

Pour l'intimée :                                                       Me Vlad Zolia

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada



[1]           Voir d'autres décisions adoptant la même approche que celle de la juge Lamarre, notamment White v. The Queen, 97 DTC 1108, p. 1115 (version française : [1997] A.C.I. no 187 (Q.L.), para. 21) et Borsellino v. The Queen, 97 DTC 446, p. 449 (version française : [1996] A.C.I. no 167 (Q.L.), para. 19).

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