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Référence : 2004TCC624

Date : 20040921

Dossier : 2003-4544(GST)I

ENTRE :

PAPER MILL RECYCLING INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Avocat de l'appelante : Me Gordon D. Beck

Avocat de l'intimée : Me John-Paul Hargrove

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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience à

Edmonton, le 22 juin 2004.)

Le juge Miller

[1]      Paper Mill Recycling Inc. ( « Paper Mill » ) interjette appel de la cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) relativement à son obligation de payer la taxe sur les produits et services ( « TPS » ) à deux égards. Premièrement, Paper Mill interjette appel du montant de la cotisation correspondant à l'acquisition de fournitures par Paper Mill, pour un montant de TPS de 23 492,68 $, ce montant de la cotisation étant établi en vertu de l'alinéa 296(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise (la « LTA » ). Deuxièmement, Paper Mill interjette appel du montant de la cotisation correspondant à l'écart entre la taxe nette indiquée dans les déclarations mensuelles de Paper Mill et la taxe nette calculée par l'Agence du revenu du Canada ( « ARC » ) à partir des livres et registres de Paper Mill, pour un montant de 5 420,27 $.

[2]      Les faits sont les suivants : Le 16 septembre 1998, les administrateurs de Paper Mill ont adopté une résolution visant à déposer un avis d'intention aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Le 18 septembre 1998, Paper Mill a déposé auprès du surintendant des faillites l'avis d'intention en question, auquel elle a annexé une liste de créanciers faisant état de dettes d'environ 884 838 $.

[3]      Le 15 mars 1999, le syndic, Paul Pope de Deloitte & Touche Inc., a communiqué au surintendant le même montant d'obligations de Paper Mill au 18 septembre 1998, soit environ 884 838 $. Le syndic a dit qu'il estimait qu'une proposition de Paper Mill était avantageuse pour les créanciers, parce que ceux-ci ne recevraient rien en cas de faillite. Selon la proposition, datée du 15 janvier 1999, Paper Mill offrait de payer aux créanciers un montant de 20 000 $ tiré du produit de la vente de certains avoirs, plus un montant de 90 000 $ qui serait versé en 36 paiements mensuels de 2 500 $.

[4]      À la première assemblée des créanciers, qui a eu lieu le 4 février 1999, la proposition a été approuvée. Un représentant de l'ARC a assisté à cette assemblée. La Cour du banc de la Reine de l'Alberta a approuvé la proposition dans une ordonnance datée du 23 mars 1999. En avril 1999, le syndic de Deloitte & Touche a établi un registre des réclamations indiquant le nom des créanciers qui ont produit des réclamations, pour un montant total de 377 637 $, ainsi que le montant des réclamations admises, soit 309 729 $.

[5]      L'ARC a réclamé un montant d'environ 111 000 $, duquel un montant d'environ 45 000 $ a été admis relativement aux montants exigibles en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le montant des réclamations produites par les fournisseurs comprenait la TPS.

[6]      Le 5 mars 2001, BDO Dunwoody Limited a exercé un choix au nom de Paper Mill pour que les dispositions de l'article 80 de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquent à une remise de dette nette de 405 489 $. Peu après, l'ARC a effectué une vérification de TPS qui a donné lieu à l'établissement d'une nouvelle cotisation le 17 janvier 2003. Il est important de noter que, dans la lettre d'accompagnement, l'ARC a indiqué ce qui suit :

          [TRADUCTION]

La cotisation relative à la remise de dette a été établie en vertu de l'alinéa 296(1)b) de la LTA. Il s'agit d'une cotisation visant la taxe payable qui n'a pas été payée aux fournisseurs. La cotisation est conforme à l'énoncé de politique P-112R de l'ARC[1].

Dans l'état des redressements après vérification annexé à l'avis de nouvelle cotisation, l'ARC a indiqué que les montants de 13 156 $ et de 10 336 $ (le montant de 23 492 $ en cause) constituaient la [TRADUCTION] « TPS payable sur le montant remis » .

[7]      En examinant les documents de travail du vérificateur, il semble que la TPS payable sur le montant remis a été calculée au taux de sept cent septièmes d'un montant taxable de 359 102 $. Ce montant semble provenir d'un sommaire des soldes des fournisseurs daté du 30 septembre 2000. Il s'agit d'un document dont l'origine n'a pas été établie et auquel j'accorde peu de poids.

[8]      Par conséquent, j'accorde aussi peu de poids au bien-fondé de la conclusion de la vérificatrice selon laquelle la remise de dette était de 359 102 $. La vérificatrice n'a pas témoigné. Il n'y a que des preuves documentaires, mais il semble que la vérificatrice a essayé de faire le rapprochement entre le montant qu'elle a trouvé et le montant de 405 000 $ indiqué dans la lettre de BDO Dunwoody.

[9]      Je suis convaincu qu'il y a eu une remise de dette et que le montant le plus fiable est le montant de 405 000 $ indiqué dans la lettre que BDO Dunwoody a envoyée à l'ARC, même si personne de BDO Dunwoody n'a confirmé ce montant non plus. Toutefois, ce qui revêt plus d'importance pour la remise de dette est le moment où les dettes ont été contractées. Je conclus que les dettes ont été contractées relativement à la TPS facturée à Paper Mill avant le 18 septembre 1998, date à laquelle l'avis d'intention a été déposé et à laquelle une liste des dettes de Paper Mill a été dressée aux fins de l'avis d'intention et du rapport du syndic. La présente affaire porte sur ces dettes, qui ont été remises. Même si le montant remis n'est pas clairement établi, vu que la preuve documentaire n'est pas concluante, je suis convaincu, tout bien considéré, qu'il se rapporte aux dettes qui ont été contractées avant le 18 septembre 1998, quel que soit le montant exact.

[10]     Paper Mill a produit des déclarations de TPS mensuelles pour la période allant de décembre 1998 à janvier 2002. Après avoir examiné les livres et registres de Paper Mill, la vérificatrice a conclu que Paper Mill avait omis de déclarer un montant total de 5 420 $ de taxe nette. Dans sa réponse, l'intimée a émis les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

16s)      pour les périodes de déclaration se terminant entre le 1er décembre 1998 et le 30 septembre 1999, l'appelante a omis de déclarer un montant correspondant à -5 148 $ des montants qui étaient pourtant bien consignés dans ses livres et registres à titre de taxe nette;

[...]

16v)      pour les périodes de déclaration se terminant entre le 1er octobre 1999 et le 30 septembre 2000, l'appelante a omis de déclarer un montant correspondant à 8 860,36 $ des montants qui étaient pourtant bien consignés dans ses livres et registres à titre de taxe nette;

[...]

16y)      pour les périodes de déclaration se terminant entre le 1er octobre 2001 et le 31 janvier 2002, l'appelante a omis de déclarer un montant correspondant à 1 708 $ des montants qui étaient pourtant bien consignés dans ses livres et registres à titre de taxe perçue/percevable.

Si on calcule le total des trois montants, on obtient le montant de 5 420 $ de taxe nette calculé par l'intimée. Selon le témoignage de la comptable externe de l'appelante, les livres et registres de la compagnie étaient en bien mauvais état et ne reflétaient pas avec exactitude la situation financière de la compagnie.

[11]     Cette affaire met en évidence une particularité de la Loi sur la taxe d'accise qui a déjà poséproblème. Je me reporte à l'application appropriée de l'alinéa 296(1)b) et, en particulier, aux observations faites dans l'affaire Carlson & Associates Advertising Ltd. c. Sa Majesté la Reine[2]. Je vais y revenir sous peu. Le présent appel porte sur deux questions. Premièrement, l'intimée avait-elle raison de se fonder sur l'alinéa 296(1)b) pour établir une cotisation à l'égard de Paper Mill relativement au montant de TPS à payer? Deuxièmement, l'intimée avait-elle raison d'inclure dans la cotisation établie à l'égard de Paper Mill un montant relatif à la taxe nette sous-déclarée pour la période visée?

[12]     Pour ce qui est de la question de l'alinéa 296(1)b), l'alinéa se lit comme suit :

296(1) Le ministre peut établir une cotisation [...] pour déterminer :

a) [...]

b)la taxe payable par une personne en application des sections II, IV ou IV.1;

Il y a deux façons d'interpréter la partie de la cotisation établie par le ministre qui correspond au montant de 23 492 $. La première façon est de considérer que la taxe est payable sur le montant remis. La cotisation établie par le ministre le 17 janvier 2003 est assez ambiguë pour qu'il s'agisse d'une interprétation plausible. En effet, l'état des redressements après vérification indique explicitement [TRADUCTION] « TPS payable sur le montant remis » .

[13]     Dans la réponse de l'intimée, il est tenu pour acquis que le montant de taxe de 23 492 $ est devenu payable après le 17 janvier 1999. On pourrait donc penser que la taxe est devenue payable en raison de la remise de dette, parce que ce n'est qu'en février 1999 que les créanciers ont accepté la proposition et que ce n'est qu'en mars 1999 que la Cour a elle aussi accepté la proposition. Par conséquent, aucune remise de dette ne s'est concrétisée avant ce moment-là. Donc, dans les faits, la position de l'intimée est que le la taxe doit être payée sur le montant remis; il s'agit là d'une proposition inacceptable.

[14]     J'admets, en me fondant sur l'affaire Carlson, que l'intimée peut établir, en vertu de l'alinéa 296(1)b), une cotisation à l'égard d'un acheteur relativement à la taxe payable. Cependant, la taxe doit être payable en application des sections II, IV ou IV.1. Comme les sections IV et IV.1 ne s'appliquent pas dans ce cas-ci, la taxe doit être payable en application de la section II. Aucune disposition de la section II ne prévoit l'imposition de la taxe sur un montant remis. Une telle obligation n'existe tout simplement pas. L'intimée m'a renvoyé à l'énoncé de politique P-112R. Il s'agit d'une politique de l'ARC qui concerne le moment où il faut appliquer l'alinéa 296(1)b) et établir une cotisation à l'égard d'un acheteur insolvable ou failli relativement à la TPS qu'il n'a pas payée à un fournisseur. Dans certaines circonstances, il s'agit peut-être, en effet, du seul bon recours dont dispose l'ARC. Je suggère toutefois que le recours soit exercé prudemment l'indignation face à la double imposition qu'une utilisation inappropriée de la politique entraînerait. La politique n'appuie en aucune façon l'obligation de payer la taxe sur un montant remis. Dans les cas où l'acheteur n'a pas payé la taxe, la taxe doit être payée sur le montant payé en contrepartie de produits et services qui devient payable, le plus souvent, au moment où la facture est remise. Une approche selon laquelle l'obligation de payer la taxe est rattachée au montant remis ne peut pas être appuyée par la loi.

[15]     La deuxième façon d'interpréter la cotisation établie par le ministre est de considérer que le ministre a en fait établi la cotisation à l'égard de Paper Mill relativement à la TPS que celle-ci n'a jamais payée à ses fournisseurs. Il s'agit d'une interprétation plus plausible et défendable. L'obligation de payer la TPS est indiquée à l'article 165 de la section II qui, aux dires de M. Beck, est l'article incontestable. En effet, l'acquéreure d'une fourniture est tenu de payer une taxe. Comme Paper Mill était acquéreure d'une fourniture, le ministre peut établir une cotisation en vertu de l'alinéa 296(1)b). J'aimerais dire que le cas est simple, mais il ne l'est pas. L'interaction des alinéas 296(1)a) et 296(1)b) et l'obligation du fournisseur et de l'acquéreur en situation de crise financière, comme une situation de proposition ou de cession, n'ont rien de simple.

[16]     Dans ce cas en particulier, toutefois, la réponse n'est pas compliquée, parce que le ministre a établi la cotisation trop tard. La taxe à payer dans cette affaire est la taxe indiquée sur les factures, et je considère comme un fait établi que ces factures ont dû être remises avant le 18 septembre 1998. Si le ministre voulait appliquer l'alinéa 296(1)b) pour établir une cotisation à l'égard de l'appelante, il devait le faire avant le 18 septembre 2002, vu l'alinéa 298(1)c), qui se lit comme suit : « [...] une cotisation ne peut être établie à l'égard d'une personne en application de l'article 296 après l'expiration des délais suivants : s'agissant d'une cotisation visant la taxe payable par la personne en application de la section II, sauf la taxe visée à l'alinéa b), quatre ans après le jour où la taxe est devenue payable » . Le ministre a établi la cotisation en janvier 2003, ce qui est trop tard.

[17]     Je n'ai pas besoin de me pencher sur l'argument de l'appelante selon lequel les actions du ministre vont à l'encontre de l'esprit, ou peut-être même du libellé, de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité autrement que pour dire qu'il s'agit d'un argument solide. J'accueille l'appel de Paper Mill relativement au montant de 23 492 $ de la cotisation.

[18]     Je passe maintenant à la question de l'écart de 5 420 $ entre les montants indiqués dans les déclarations mensuelles de l'appelante et le montant de taxe nette exigible que la vérificatrice a trouvé pour la période visée. Il incombe à l'appelante de réfuter le postulat de l'intimée selon lequel l'appelante a omis de déclarer un montant total de 5 420 $ de taxe nette. L'appelante se fie principalement au témoignage de la comptable de la compagnie, Mme Beauchemin, qui a dit que les livres de la compagnie étaient en bien mauvais état. Comment pourrais-je donc accepter que la vérificatrice se soit fiée à ces livres par rapport aux déclarations mensuelles, surtout si les déclarations ont été produites pendant que le flux de trésorerie de la compagnie était surveillé par le syndic? Selon le témoignage du syndic de l'époque, les déclarations de TPS n'étaient pas surveillées. La personne de Deloitte & Touche qui a témoigné ne s'était pas occupée personnellement du dossier. Mme Beauchemin n'a pas indiqué que les déclarations de TPS avaient été examinées. Aucun agent ou aide-comptable de la compagnie n'a donné de témoignage sur les procédures suivies pour produire les déclarations de TPS mensuelles.

[19]     Tout ce que je sais, c'est que Paper Mill produisait des déclarations mensuelles et que ses livres étaient en bien mauvais état. Compte tenu de ces éléments, l'avocat de l'appelante me demande avec insistance de conclure que, dans l'ensemble, le postulat du ministre a été réfuté. Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisants pour que j'arrive à une telle conclusion. Même si j'ai des réserves quant à la façon dont la vérificatrice a traité la question de la remise de dette, il n'y a rien sur quoi je peux me fonder pour conclure que la vérificatrice s'est trompée en trouvant un écart de 5 420 $. L'appelante n'a pas réussi à réfuter le postulat de la Couronne.

[20]     En résumé, j'accueille l'appel et je renvoie l'affaire au ministre pour qu'il réduise le montant de la cotisation de 23 492,68 $.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 2004.

Campbell J. Miller

Juge Miller

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d'avril 2005.

Colette Dupuis-Beaulne, traductrice


RÉFÉRENCE :

2004TCC624

NO DU GREFFE :

2003-4544(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Paper Mill Recycling Inc.

et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :

21 juin 2004

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Campbell J. Miller

DATE DU JUGEMENT :

28 juin 2004

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :

Me Gordon D. Beck

Avocat de l'intimée :

Me John-Paul Hargrove

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Me Gordon D. Beck

Cabinet :

Me Field Atkinson Perraton

Pour l'intimée :

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada



[1]           Pièce A-6.

[2]           [1997] G.S.T.C. 32.

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