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Date: 20020629

Dossier: 2001-1573-IT-I

ENTRE :

ÉTIENNE GAGNON

S/N ÉBÉNISTERIE GUILLAUME ENR.,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Angers, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels régis par la procédure informelle qui ont été entendus à Matane (Québec) le 29 mai 2002. Le ministre du Revenu national (le « Ministre » ), par avis de nouvelles cotisations en date du 15 mai 2000, a refusé à l'appelant pour les années d'imposition 1997 et 1998 des montants respectifs de 7 769 $ et de 6 084 $ à titre de pertes nettes d'entreprise.


[2]            Pour établir et maintenir ces nouvelles cotisations pour les années en litige, le Ministre a tenu pour acquis les faits suivants qui ont été admis par l'appelant à l'exception de l'alinéa l) :

6.a)            en tout temps pertinent, l'appelant était ébéniste et à l'emploi d'une entreprise d'ébénisterie;

b)             en 1992, l'appelant débuta la construction de sa propre ébénisterie. Ce dernier acheta un terrain, y construisit un atelier;

c)              l'appelant a admis qu'il a démarré son activité afin de combler les périodes où il serait en chômage;

d)             l'appelant débuta son activité en janvier 1993 sous la raison sociale « Ébénisterie Guillaume Enr. » et y consacra environ 10 à 12 heures par semaine;

e)              la publicité était faite de bouche à oreille et aucune étude de marché n'a été faite;

f)              l'appelant a admis que son emploi principal s'est accru tellement qu'il a dû faire des heures supplémentaires depuis 1993;

g)             il admet avoir refusé plusieurs clients et n'a pu assurer la rentabilité de l'activité car il ne disposait pas du temps nécessaire;

h)             l'appelant n'avait pas un plan de redressement pour assurer la rentabilité de Ébénisterie Guillaume Enr.

i)               depuis 1992, Ébénisterie Guillaume Enr. n'a engendré aucun profit. Les pertes d'entreprise nettes réclamées sont les suivantes:

1992

4 580 $

1993

13 989 $

1994

10 145 $

1995

10 754 $

1996

9 588 $

1997

7 769 $

1998

6 084 $

Total

62 909 $


j)               selon les déclarations de revenus, les états des résultats des activités de Ébénisterie Guillaume Enr. contiennent les renseignements suivants:

année                     Revenu                    Dépenses                Pertes                     ACC                        Pertes

brut                                                         avant ACC                                              nettes

1992                           2                           **                          **                          *                             4 580

1993                       1 299                       **                          **                          *                   13 989

1994                       6 134                       **                          **                          *                   10 145

1995                       7 958                       **                          **                          *                   10 754

1996                       7 980                       12 002                      4 022                        5 566                        9 588

1997                       11 629                      14 477                      2 848                        4 921                        7 769

1998                       10 804                      12 150                      1 346                        4 202                        6 084

*      les déductions pour l'allocation du coût en capital pour les années 1992 à 1995 totalisaient 18 274 $

**    non disponibles

k)              les dépenses d'exploitation excédaient toujours les revenus bruts. L'allocation du coût en capital augmentait les pertes de l'activité;

l)               les sommes réclamées à titre de pertes d'entreprise sont plutôt des frais personnels et de subsistance de l'appelant;

m)             conséquemment, le Ministre a refusé à l'appelant les montants respectifs de 7 769 $ et 6 084 $ réclamés par ce dernier aux titres de pertes nettes d'entreprise pour les années d'imposition en litige.

[3]            L'appelant dans son témoignage a fait un compte rendu des démarches qu'il a entreprises pour mettre sur pied un projet devant servir à combler des périodes de chômage et à faire de la sous-traitance avec son employeur de l'époque. Il a d'abord acheté en 1992 un terrain situé à environ deux ou trois kilomètres de sa résidence privée. En août de la même année, il a procédé à la construction d'un atelier pour ensuite se procurer la machinerie et les outils nécessaires à l'exercice de son métier d'ébéniste. Il a donc investi au départ plus de 45 000 $ dans ses installations. Il a immatriculé son entreprise sous la raison sociale de « Ébénisterie Guillaume Enr. » , s'est inscrit pour la TPS et la TVQ et a commencé ses activités au début de 1993.

[4]            Monsieur Gagnon est ébéniste de profession et il travaillait à l'époque comme ébéniste pour le même employeur qui est aujourd'hui le centre de rénovation Home Hardware de Matane. En avril 1993, il a commencé à travailler à temps plein pour cet employeur et est donc devenu moins disponible pour son entreprise. Malgré cela, l'appelant avait le temps d'exécuter certains contrats pour ses clients. Les gens prenaient contact avec lui à la maison par l'entremise d'un répondeur durant son absence. Il explique que Matane étant une petite localité, la publicité se faisait par le bouche à oreille. Le fait qu'il provient du milieu de la construction servait aussi à attirer une clientèle qu'il décrit comme étant monsieur tout le monde, des entrepreneurs en construction, des organisations à but non lucratif et son propre employeur à l'occasion lorsqu'il s'agissait de travail plus spécialisé et non en série. Sa disponibilité a varié avec les années pour atteindre une vingtaine d'heures par semaine en 1998. Il prévoit quitter son emploi pour se consacrer à temps plein à son entreprise aussitôt qu'il recevra une confirmation qu'il est admissible à l'assurance-salaire. Il déclare avoir été refusé par un assureur en l'an 2000 mais croit pouvoir être approuvé cette fois-ci.

[5]            Un tableau des états des revenus et des dépenses de l'appelant (pièce I-8) a été déposé en preuve et couvre la période allant de 1992 à 2000. Sans tenir compte de l'amortissement, l'entreprise d'ébénisterie de l'appelant a subi des pertes décroissantes jusqu'en 1998. Les pertes au cours des années en litige étaient inférieures à 2 500 $. Les revenus pour ces deux années s'élèvent en moyenne à environ 11 217 $. L'amortissement a évidemment servi à augmenter les pertes de l'entreprise d'ébénisterie de l'appelant pour les deux années en litige, mais ces pertes respectent la limite permise. L'appelant a reconnu l'exactitude des chiffres contenus au tableau en question.

[6]            La question en litige consiste à déterminer si l'appelant exploitait une entreprise d'ébénisterie au cours des années d'imposition 1997 et 1998. Dans la négative, le Ministre était par conséquent justifié de refuser à l'appelant les pertes nettes d'entreprise réclamées.

[7]            La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Stewart c. Canada, [2002] A.C.S. no 46 a récemment examiné le critère applicable pour déterminer si un contribuable a une source de revenu constituée d'une entreprise aux fins de l'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Elle a clairement conclu que le critère de l' « expectative raisonnable de profit » ne devrait pas être accepté comme le critère applicable dans un tel cas. Les juges Iacobucci et Bastarache en sont arrivés à cette conclusion dans leur décision aux paragraphes 4 et 5 que je cite :

4. A notre avis, l'analyse de l'expectative raisonnable de profit ne saurait être maintenue comme critère indépendant pour déterminer l'existence d'une source de revenu, car cela irait à l'encontre du principe selon lequel les tribunaux doivent éviter d'innover et d'établir des règles en matière de droit fiscal. Même si les expressions « attente raisonnable de profit » et « espoir raisonnable de tirer un profit » figurent dans la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 (la « Loi » ), leur utilisation par le législateur ne justifie pas l'application générale que les tribunaux en ont fait. En outre, le critère de l'expectative raisonnable de profit est imprécis, ce qui engendre une incertitude malencontreuse chez les contribuables. De même, la nature du critère a favorisé le recours à une évaluation rétrospective du sens des affaires de contribuables pour refuser la déduction de pertes subies dans des entreprises commerciales qui, quoique infructueuses, avaient été exploitées de bonne foi.

5. Il est incontesté que la notion de « source de revenu » est un élément fondamental du régime fiscal canadien. Cependant, tout critère d'appréciation de l'existence d'une source doit reposer fermement sur le texte et l'économie de la Loi. En conséquence, pour déterminer si une activité particulière constitue une source de revenu, le contribuable doit démontrer qu'il a l'intention d'exercer cette activité en vue de réaliser un profit, et présenter des éléments de preuve étayant cette intention. Ce critère a pour objet de distinguer les activités commerciales des activités personnelles. Lorsqu'une activité exercée dans le but de réaliser un profit ne comporte aucun aspect personnel ou récréatif, cette activité est commerciale et la recherche d'un profit par le contribuable est établie. Cependant, lorsqu'on soupçonne que l'activité du contribuable est un passe-temps ou une démarche personnelle plutôt qu'une entreprise commerciale, la prétendue expectative raisonnable de profit est un facteur parmi d'autres qui peut être pris en considération pour déterminer si le contribuable a l'intention d'exploiter une entreprise commerciale.


[8]            Ils ont par la suite analysé l'application de l'article 9 de la Loi, lequel ne s'applique que s'il a été établi qu'il existe chez le contribuable une source de revenu constituée d'une entreprise ou d'un bien. Aux paragraphes 60 et 61, ils ont examiné cette question comme suit :

60. En résumé, la question de savoir si le contribuable a ou non une source de revenu doit être tranchée en fonction de la commercialité de l'activité en cause. Lorsque l'activité ne comporte aucun aspect personnel et qu'elle est manifestement commerciale, il n'est pas nécessaire de pousser l'examen plus loin. Lorsque l'activité peut être qualifiée de personnelle, il faut alors déterminer si cette activité est ou non exercée d'une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu. Toutefois, refuser la déduction de pertes pour le seul motif que les pertes indiquent l'inexistence d'une entreprise (ou d'un bien) comme source de revenu va à l'encontre du texte et de l'économie de la Loi. La question de savoir s'il existe une entreprise est distincte de celle de la déductibilité des dépenses. Comme l'a laissé entendre l'appelant, refuser des déductions en fonction d'une analyse de l'expectative raisonnable de profit équivaudrait à une règle jurisprudentielle sur la minimisation des pertes, qui serait contraire aux principes d'interprétation établis susmentionnés qui s'appliquent à la Loi. De même, à la différence de nombreuses règles législatives sur la minimisation des pertes, dès que des déductions sont refusées à la suite de l'application du critère de l'ERP, le contribuable ne peut reporter ces pertes sur un revenu futur si jamais l'activité devient rentable. Comme l'a affirmé le juge Bowman, dans la décision Bélec, précitée, p. 123 : « Ce serait [...] inacceptable de permettre au ministre [de dire] au contribuable : "Le fait que tu as perdu de l'argent [...] prouve que tu n'avais pas d'espoir raisonnable de profit, mais dès que tu gagnes de l'argent, ça prouve que maintenant, tu en as". »

61. Comme nous l'avons vu, la question de savoir si l'activité exercée par un contribuable constitue une source de revenu est tranchée en se demandant si le contribuable a l'intention d'exercer cette activité en vue de réaliser un profit et s'il existe des éléments de preuve étayant cette intention. De même, lorsqu'une activité est nettement commerciale et ne comporte aucun aspect personnel, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin. De telles activités sont des sources de revenu.

[9]            En l'espèce, l'appelant a investi une somme assez substantielle dans la construction d'un atelier qu'il a par la suite équipé des outils nécessaires à la pratique de son métier d'ébéniste. L'atelier est à quelques kilomètres de sa résidence et sert uniquement aux fins de l'exercice de son métier. Quoiqu'il ne consacre pas la totalité de son temps à son entreprise, il l'opère de façon accessoire à son travail régulier. Les intentions de l'appelant au début étaient de se servir de son entreprise pour suppléer à ses revenus en période de chômage, mais un emploi permanent est venu réduire son rendement. Il a toutefois continué à consacrer du temps à son entreprise en acceptant des contrats et en l'exploitant de façon constante selon sa disponibilité. Il exerce ses activités sous une raison sociale et est inscrit aux fins de la TPS et de la TVQ. Il souhaite toujours exploiter son entreprise à plein temps et attend une décision, à savoir s'il est admissible à de l'assurance-salaire. L'appelant a témoigné d'une façon franche et sincère et quoique son rendement ne soit peut-être pas à son maximum, je peux conclure qu'il exerce ses activités d'une manière commerciale et qu'il existe en l'espèce une source de revenu.

[10]          Pour ces motifs, les appels sont admis et les cotisations pour les années d'imposition en cause sont déférées au Ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant avait une source de revenu de laquelle il pouvait déduire ses dépenses.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2002.

« F. Angers »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2001-1573(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 ÉTIENNE GAGNON

                                                                                                                S/N Ébénisterie Guillaume Enr.

                                                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Matane (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    29 mai 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                                      29 juin 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                                    L'appelant lui-même

Pour l'intimée :                                                       Me Stéphanie Côté

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                                                    Morris Rosenberg

                                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                                Ottawa, Canada

2001-1573(IT)I

ENTRE :

ÉTIENNE GAGNON

S/N ÉBÉNISTERIE GUILLAUME ENR.,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 29 mai 2002 à Matane (Québec) par

l'honorable juge François Angers

Comparutions

Pour l'appelant :                                            L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                                    Me Stéphanie Côté

JUGEMENT

Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1997 et 1998 sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant avait une source de revenu de laquelle il pouvait déduire ses dépenses.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2002.

« François Angers »

J.C.C.I.

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