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Dossier : 2002‑1155(IT)G

ENTRE :

HYPOTHÈQUES TRUSTCO CANADA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appels entendus les 17, 18, 26 et 27 février 2003 à Toronto (Ontario)

 

Par : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions

 

Avocats de l’appelante :

Me Al Meghji et

Me Monica Bringer

Avocates de l’intimée :

Me Alexandra Brown et

Me Michelle Farrell

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés à l’encontre de cotisations établies en vertu de la Loi pour les années d’imposition 1996 et 1997 sont accueillis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation aux motifs suivants : (i) en ce qui concerne l’année d’imposition 1996, l’intimée a reconnu que la nouvelle cotisation était prescrite et (ii) en ce qui concerne l’année d’imposition 1997, l’article 245 ne peut s’appliquer dans le but de refuser la déduction pour amortissement demandée par l’appelante.

 

L’appelante a droit à ses dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2003.

 

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

Traduction certifiée conforme

ce 29jour de mars 2004.

 

 

 

 

Ingrid B. Miranda, traductrice


 

 

 

 

Référence : 2003CCI215

Date : 20030507

Dossier : 2002‑1155(IT)G

ENTRE :

 

HYPOTHÈQUES TRUSTCO CANADA,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller

 

[1]     Il s’agit d’une affaire portant sur la règle générale anti-évitement (RGAÉ). Je dois déterminer si une convention financière complexe mise en place par Hypothèques Trustco Canada (« Canada Trust »), en 1996, dépasse les limites d’une saine gestion commerciale et constitue un moyen de contourner la loi pour éviter les impôts. Il n’y a pas de doute qu’il s’agissait d’une bonne affaire du point de vue de l’appelante. La question est de savoir s’il s’agit d’une opération donnant lieu à des abus du point de vue du fisc canadien. S’agit‑il d’une opération légitime de financement commercial, planifiée dans le but d’obtenir un traitement fiscal aussi favorable que possible? Ou s’agit‑il de l’achat artificiel d’un avantage fiscal dissimulé sous l’apparence d’une transaction commerciale?

 

[2]     Avec l’appui de la Banque Royale du Canada (« BRC »), Canada Trust a acheté des remorques de Transamerica Leasing Inc. (« TLI »), pour un montant de 120 millions de dollars. Puis, les remorques ont été louées, de façon détournée, de nouveau à TLI. Canada Trust a réclamé environ 31 millions de dollars au titre de la déduction pour amortissement (« DPA »). Le ministre du Revenu national (« le ministre ») a invoqué la RGAÉ pour refuser l’avantage fiscal découlant de cette DPA. Je conclus que l’opération ne va pas à l’encontre de la RGAÉ puisqu’elle ne donne pas lieu à un abus dans l’application des dispositions de la Loi, ni à un abus dans l’application des dispositions de la Loi dans leur ensemble.

 

[3]     Pour procéder à l’analyse de cette opération, je suivrai la procédure recommandée à l’article 245 ainsi que la méthode choisie de la Cour d’appel fédérale[1].

 

          1.       Le report d’impôt constitue‑t‑il un avantage fiscal?

 

           2.      Peut‑on considérer que la convention qui a fait l’objet d’un report d’impôt a été effectuée pour des objets véritables, autrement que dans le but d’obtenir un avantage fiscal?

 

           3.      Y a‑t‑il eu un abus dans l’application des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») ou un abus dans l’application des dispositions dans leur ensemble? Cette question peut être sous‑divisée en trois parties :

 

         (i)       La législation RGAÉ vise‑t‑elle les abus commis à l’encontre des règlements afférents à la Loi?

 

(ii)      Quelle est la politique claire et non équivoque sous‑jacente permettant la déduction pour amortissement (DPA) dans le cadre de contrats de cession‑bail de biens exclus?

 

          (iii)     Y a‑t‑il eu présence d’abus découlant de l’un des faits suivants :

 

a)       il n’y a pas eu de coût réel justifiant une demande de DPA;

 

b)      ou l’opération n’a pas eu lieu dans le cadre d’une activité de financement.

 

4.       Quelles en sont les conséquences fiscales raisonnables pour l’appelante, permettant le refus de cet avantage fiscal dans ces circonstances?

 

Faits

 

[4]     Les parties ont produit un exposé conjoint des faits (partiel), un exposé conjoint des faits supplémentaire (partiel) ainsi que des documents à l’appui. L’appelante a appelé un témoin, M. Michael Lough : il s’agit du cadre de l’appelante qui a recommandé l’utilisation de cette opération au conseil de l’appelante. L’intimée n’a pas appelé de témoins; elle a cependant déposé en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, une déclaration sous serment de M. John Tanter, vice-président de la Royal Bank of Canada Europe Limited (RBCEL) concernant des procès-verbaux. Je décris ci‑dessous les faits convenus pertinents, avant de passer à d’autres éléments de preuve.

 

A.        Introduction

 

1.        À toutes les époques pertinentes, l’appelante était une grande institution financière à exploitation diversifiée, faisant affaire au Canada, ainsi qu’une grande société aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi »).

 

2.        À toutes les époques pertinentes, l’appelante était une entreprise assujettie à la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt et régie par le Bureau du surintendant des institutions financières (« BSIF »).

 

3.        À toutes les époques pertinentes, l’appelante faisait des affaires au Canada sous le nom de Canada Trust et de ses filiales, notamment la Société Canada Trust. Selon un extrait du Rapport annuel des Services financiers CT Inc, société‑mère de l’appelante, les opérations et les activités commerciales de l’appelante sont décrites ainsi :

 

[...] Canada Trust gère aussi un portefeuille de prêts et de baux servant de nombreux organismes gouvernementaux et des grandes sociétés. Canada Trust n’a pas l’intention d’accroître de manière significative ses investissements dans ce type de placements et depuis 1995, on a réduit graduellement l’ampleur de ce portefeuille. […]

 

B.       Approbation d’effectuer lesdites opérations

 

4.        Les opérations qui font l’objet du présent appel découlent de négociations ayant eu lieu entre l’appelante et les autres parties sur une période de plusieurs mois et qui ont mené à l’exécution d’une feuille de modalités de prêt (« feuille finale de modalités de prêt ») signée par l’appelante et les autres parties.

 

5.        Les opérations qui font l’objet du présent appel ont été effectuées par l’appelante, avec l’approbation initiale du « Comité principal du crédit » (« CPC ») et puis avec l’approbation du Comité exécutif du Conseil d’administration de l’appelante ( « Comité exécutif »).

 

6.        L’annexe 1, produite par l’appelante, est une copie authentique du plan d’investissement de l’opération de location. On y voit le rendement des investissements ainsi que les conséquences fiscales et comptables des opérations qui font l’objet du présent appel.

 

C.       Achat et vente de l’équipement

                      

7.        L’appelante a conclu une convention d’achat d’équipement (la « convention d’achat d’équipement ») datée du 17 décembre 1996, concernant l’achat d’équipement (l’« équipement ») de Transamerica Leasing Inc. (« TLI »), une société située aux Etats-Unis d’Amérique, pour le prix de 120 millions de dollars canadiens.

 

8.        Les parties conviennent que la juste valeur marchande dudit équipement était de 120 millions de dollars pendant la période en question.

 

9.        Les modalités de la convention d’achat d’équipement prévoient, entre autres, ce qui suit : TLI convient de vendre, de transférer et de céder à l’appelante l’équipement; l’appelante convient inconditionnellement de l’acheter (sous réserve des baux d’exploitation afférents); le jour de clôture (le 17 décembre 1996) TLI remettra à l’appelante un certificat de livraison et lui cédera le titre et tout droit de propriété concernant l’équipement ainsi que tous les risques de perte associés audit équipement.

 

D.       TLI détiendra les titres de propriété en fiducie pour le compte de l’appelante

 

10.      L’appelante a conclu avec TLI un contrat de fiducie (le « contrat de fiducie ») daté du 17 décembre 1996. 

 

11.      Les modalités du contrat de fiducie prévoient, entre autres, que, pour des raisons purement administratives, l’appelante désigne TLI comme fiduciaire et mandataire de l’équipement. Ainsi, TLI détiendra, en son propre nom et pour le compte de l’appelante, tout certificat de titre, de propriété et d’enregistrement ainsi que tout document semblable concernant ledit équipement.

 

E.        Prêt en faveur de l’appelante

          

12.      Le prix total de l’achat de l’équipement s’élève à 120 millions de dollars canadiens. De plus, l’appelante a engagé une dépense de 2,34 $CAN pour les coûts de l’opération connexes.

 

13.      L’appelante a acheté l’équipement en employant 24,98 millions de dollars canadiens lui appartenant.

 

14.      L’appelante a emprunté le solde du prix d’achat, environ 97,35  millions de dollars canadiens à la Banque Royale du Canada (« BRC »), conformément à la Convention de prêt (la « convention de prêt ») datée du 17 décembre 1996, conclue entre l’appelante et BRC (le « prêt »).

 

15.      Les modalités de la convention de prêt prévoient, entre autres, ce qui suit :

 

           a)          le taux d’intérêt du prêt est de 7,5 p. 100;

 

           b)          l’appelante doit effectuer des versements semestriels pour payer le capital et les intérêts du prêt à la BRC, conformément à l’« annexe 2 » de la convention de prêt (les « versements du prêt »);

 

           c)          Les modalités de la convention de prêt stipulent aussi que le recours de la Banque à l’encontre de l’appelante est limité et doit se conformer aux dispositions de l’article 4.2;

 

F.        Location de l’équipement à MAIL

 

16.      L’appelante a conclu une convention de bail (le « bail ») datée du 17 décembre 1996, ayant pour objet la location de l’équipement à Maple Assets Investments Limited (« MAIL »), une société à responsabilité limitée, constituée en personne morale en vertu des lois de l’Angleterre. 

 

 

17.      Les modalités du bail comprennent les dispositions suivantes :

 

           a)          la durée du bail pour la période initiale prend fin le 1er décembre 2014;

 

           b)          les paiements du loyer relatifs au bail sont basés sur un taux de rendement de 8,5 p. 100;

 

           c)          MAIL, en tant que preneur à bail, doit verser des paiements semestriels à l’appelante, la donneuse à bail, conformément aux montants prévus à l’annexe C du bail, les paiements du loyer;

 

           d)          MAIL dispose d’une option d’achat relativement à l’équipement. La valeur du cette option (la «  valeur de l’option d’achat »), exécutable le 1er décembre 2005, s’élève à 84 millions de dollars canadiens. MAIL est titulaire d’une option supplémentaire, à la juste valeur marchande, exécutoire le 1er décembre 2014.

 

G.       Sous-location à bail de l’équipement à TLI

 

18.      MAIL a conclu un contrat de sous-location à bail (le « contrat de sous‑location à bail ») daté du 17 décembre 1996, afin de sous‑louer l’équipement à TLI.

 

19.      La plupart des modalités du contrat de sous-location à bail sont semblables aux dispositions du bail. Le contrat de sous-location à bail accorde à TLI, en tant que société sous‑preneuse, des options d’achat semblables aux options offertes à MAIL en vertu du bail. Il y a une disposition du contrat de sous‑location à bail différente des dispositions du bail : le jour de la date de clôture, la société sous‑preneuse doit payer, à l’avance, à MAIL tous les montants exigibles ou qui deviendraient exigibles.

 

H.       Entente de coordination

 

20.      L’appelante a conclu une entente de coordination (l’« entente de coordination ») datée du 17 décembre 1996 avec TLI et MAIL.

 

I.         Engagement de garantie de jouissance paisible

 

21.      L’appelante a pris, par écrit, un engagement de garantie de jouissance paisible, daté du 17 décembre 1996, à l’égard du bail, du contrat de sous‑location à bail et de l’entente de coordination (l’« engagement de garantie de jouissance paisible »). 

 

J.        Garantie sur le bail et le prêt

 

22.      Le 17 décembre 1996 ou vers cette date, TLI a paye à l’avance à MAIL toutes ses obligations découlant du contrat de sous‑location à bail, un montant qui s’élève environ à 116,4 millions de dollars canadiens (le « paiement anticipé »).

 

23.      Le 17 décembre 1996 ou vers cette date, MAIL a utilisé les sommes du paiement anticipé ainsi :

 

           a)          MAIL a déposé à la BRC un montant équivalent au prêt, environ 97,35 millions de dollars canadiens (le « paiement d’anéantissement »)

 

           b)          MAIL a payé le solde du paiement anticipé (environ 19 millions de dollars) à la Royal Bank of Canada Trust Company (Jersey) en sa capacité de fiduciaire de Maple Assets Charitable Trust (« RBC Jersey »), à condition que RBC Jersey utilise ces liquidités pour acheter une obligation du gouvernement de l’Ontario (l’« obligation ») dont la date d’échéance est le 1er décembre 2005.

 

24.      L’appelante, MAIL et RBC Jersey ont conclu une convention de soutien (la « convention de soutien ») datée du 17 décembre 1996. RBC Jersey a signé la convention de soutien en sa capacité de fiduciaire de la fiducie de bienfaisance Maple Assets Charitable Trust (la « fiducie »). RBC Jersey est une filiale en propriété exclusive de la BRC. Conformément aux modalités de la convention de soutien, la fiducie a accepté d’acheter l’obligation et de la donner en sûreté pour garantir que MAIL s’acquittera des versements de l’option d’achat ou des valeurs exigibles à la date de résiliation.

 

25.      L’appelante et RBC Jersey, en leur capacité de fiduciaire de la fiducie, ont conclu une entente de nantissement (l’« entente de nantissement de la RBC ») datée du 17 décembre 1996, en application de laquelle l’obligation a été constituée en gage pour garantir les obligations assumées par MAIL en vertu du bail.

 

26.          L’appelante a conclu une entente de cession de sûreté (la « cession de la sûreté ») datée du 17 septembre 1996, avec la BRC.

 

27.      En application des modalités de la cession de la sûreté, l’appelante a cédé à la BRC les versements du loyer dus par MAIL; l’appelante a donné à MAIL une directive irrévocable de payer les versements du loyer cédés à la BRC; l’appelante a accepté que lesdits versements soient utilisés par la BRC pour s’acquitter des versements de paiement du prêt.

 

K.       Autres ententes

 

28.      L’appelante a conclu une entente de nantissement (l’«  entente de nantissement avec MAIL ») datée du 17 décembre 1996  avec MAIL.

 

29.      L’appelante a conclu un contrat de garde (le « contrat de garde ») daté du 17 décembre 1996, avec RBC Jersey, en sa capacité de fiduciaire de la fiducie et avec Scotia McLeod Inc., en qualité de gardien. En vertu des modalités de ce contrat, le gardien accepte de conserver l’obligation ou les obligations de remplacement jusqu’à leur date d’échéance ou jusqu’à ce qu’elles soient aliénées.

 

30.      Une entente de gestion datée du 17 décembre 1996 a été conclue entre MAIL, RBC Jersey et la Royal Bank of Canada Trust Corporation Limited (« RBCTC »), une société constituée en personne morale en vertu des lois d’Angleterre (l’« entente de gestion »), selon laquelle RBCTC s’engage à gérer les affaires et les obligations de MAIL et a s’en occuper dans le cadre des documents relatifs à l’opération, ainsi qu’à attribuer les postes de direction et les postes cadres de MAIL.

 

31.      Une garantie, datée du 18 décembre 1996, a été conclue entre Transamerica Finance Corporation (TFC), la société‑mère de TLI, et MAIL (la « garantie TFC‑MAIL »), garantie selon laquelle Transamerica garantit inconditionnellement et irrévocablement à MAIL l’exécution de toutes les obligations contractées par TLI en application de l’entente de coordination et du contrat de sous‑location à bail.

 

32.      Une garantie, datée du 18 décembre 1996, a été conclue entre TFC et l’appelante (la « garantie TFC‑appelante »), garantie selon laquelle TFC garantit inconditionnellement et irrévocablement toutes les obligations financières de TLI envers l’appelante en vertu de la convention d’achat d’équipement, de l’entente de coordination et du contrat de fiducie.

 

L.        Déclarations fiscales et cotisations

 

33.      Lors du calcul de son revenu relativement aux années d’imposition 1996 et 1997, l’appelante a déclaré respectivement des revenus de location de 48 920 847 $ et de 51 787 114 $.

 

34.      Dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 1996 et 1997, l’appelante a appliqué les déductions pour amortissement (« DPA ») suivantes relativement à ses biens donnés en location à bail, soit 36 214 174 $ et 46 365 889 $ respectivement. Conformément au paragraphe 1100(15) du Règlement, ces demandes de déduction pour amortissement n’ont été soustraites qu’aux revenus de location de l’appelante relatifs auxdites années.

 

35.      Le 18 octobre 2002, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 1997 dans laquelle il a rejeté la demande de DPA de la catégorie 10, s’élevant à 31 196 700 $. Le ministre a établi cette nouvelle cotisation au motif que l’appelante n’a pas acquis le titre de propriété de l’équipement ou, à titre subsidiaire, que l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « RGAÉ ») est applicable, permettant ainsi de rejeter la demande de l’appelante concernant ladite DPA. Le procureur général a renoncé à l’argument selon lequel l’appelante aurait omis d’acquérir le titre de l’équipement. Le seul motif invoqué par le procureur général à l’appui de la nouvelle cotisation est la RGAÉ. En établissant la nouvelle cotisation, le ministre n’a pas tenu pour acquis les faits suivants et le procureur général ne prétend les affirmer :

 

·        aucune des opérations en question n’était sans effet fiscal ou sans conséquence juridique;

 

·        la juste valeur marchande de l’équipement au moment de l’achat par l’appelante n’était pas de 120 millions de dollars;

 

·        en ce qui a trait au bail entre l’appelante et MAIL, le taux de location de l’équipement n’était pas un taux du marché;

 

·        en ce qui a trait au prêt de la Banque Royale, le taux d’intérêt n’est pas un taux du marché.

 

Témoignage de M. Lough

 

[5]     M. Lough a participé activement aux négociations et à la mise au point de ces opérations pour le compte de l’appelante. Il a témoigné avoir glissé à l’intermédiaire Macquarie Corporate Finance (USA) Inc. (« Macquarie ») l’idée que  l’appelante désirait entreprendre une opération de location de 100 millions de dollars. Il a déclaré avoir précisé le type d’équipement (des biens durables, faciles à évaluer comme des tracteurs ou des remorques), la durée du contrat et la capacité financière de sa contrepart. Il n’a pas précisé que l’appelante avait besoin de financement. Il a laissé à l’intermédiaire le soin de planifier l’opération. M. Lough a reconnu que l’appelante avait déjà entamé une opération semblable à celle qui a finalement été mise en œuvre. Il a reconnu en outre avoir cherché ce type de biens en raison de leur taux de rendement après‑impôt.

 

[6]     Macquarie a finalement trouvé Transamerica Leasing Inc. pour conclure cette transaction qui comportait le mécanisme de financement pour l’appelante. M. Lough a décrit les avantages de cette convention financière : elle augmenterait le rendement économique de l’opération, tout en permettant de soustraire le prêt sans recours de la valeur totale de la location dans le bilan des rapports financiers, ce qui aurait pour effet de réduire le capital que les autorités administratives obligeaient l’appelante à détenir. Elle permettrait aussi de produire des revenus dès le début du contrat de location, en invoquant une procédure de comptabilité de location‑financement sur capitaux d’emprunt. 

 

[7]     M. Lough a reconnu que le financement sans recours réduisait légèrement les risques, quoique l’appelante ait été satisfaite de la capacité financière de la société-mère de TLI. Il a témoigné que le financement sans recours n’a pas eu d’incidence sur l’achat de l’équipement ni sur le bail. 

 

[8]     M. Lough a été mis au courant de l’exigence du remboursement anticipé de l’opération la première fois que Macquarie a avancé la proposition de TLI à l’appelante. Il lui a semblé que cette question concernait TLI, plutôt que l’appelante : comme il l’a déclaré, cela n’aurait pas de répercussions par rapport à l’appelante. M. Lough a fait passer la transaction par le processus habituel d’approbation de crédit de l’appelante, y compris l’évaluation des remorques. Par la suite, il a présenté une demande de crédit au comité interne du crédit, ce qui, à son tour, a mené à l’élaboration de la feuille finale de modalités de prêt. Il est clair que toutes les étapes de l’opération devaient être exécutées un jour de décembre 1996, et cela a été ainsi.

 

[9]     Après avoir revu la feuille finale de modalités de prêt, M. Lough a confirmé ceci :

 

(i)      il n’y avait pas d’obligations de location continues de la part de TLI une fois le paiement anticipé effectué, bien qu’il y ait eu des obligations en matière d’indemnités, de résiliation anticipée et de ce type de choses;

 

(ii)      il était possible de dissoudre la transaction en cas de changements négatifs dans la situation de l’appelante;

 

(iii)     le recours de la BRC pour ce qui est des versements du remboursement du prêt provient de la série de paiements du loyer dus à l’appelante, ainsi que du fait que ces indemnités de prêt sont égales aux paiements du loyer;

 

(iv)     la différence entre les sommes payées à TLI par l’appelante pour les remorques et le paiement du loyer anticipé versé à Maple Assets Investments Limited (MAIL) était de 3,35 p. 100 du prix des remorques. Selon M. Lough, il s’agit de l’avantage de la valeur actualisée nette.

 

[10]    Après avoir revu la demande de crédit, M. Lough a confirmé ceci :

 

(i)      sous réserve des indemnités, TLI n’était pas soumise à des obligations financières continues;

 

(ii)      le risque que MAIL ne soit pas capable d’exercer sa première option d’achat était atténué par l’acquisition par MAIL de l’obligation de la province d’Ontario, ainsi que par la disposition prévoyant que l’appelante détiendrait un droit de sûreté sur l’obligation;

 

(iii)     au début, l’investissement net devait s’élever à 24 985 541 $ et devait diminuer pendant les deux premières années et demie, pour enfin se situer dans une position négative; le revenu projeté de 8,5 millions de dollars serait comptabilisé pendant la période initiale de deux ans et demi, selon la procédure de comptabilité de location‑financement sur capitaux d’emprunt;

 

(iv)            les versements du loyer, ainsi qu’une partie du premier prix d’option d’achat, seraient utilisés pour rembourser le prêt de la BRC[2]; le restant des liquidités reçues au compte de l’option d’achat serait couvert par l’obligation et rapporterait à l’appelante 8,5 millions de dollars, avant impôt, pour un investissement de 25 millions de dollars[3];

 

(v)              TLI n’était pas assujettie à un échéancier des paiements puisqu’elle avait payé avec anticipation et, par conséquent, il n’y avait pas de risque de crédit pour le preneur à bail;

 

(vi)     le droit de propriété des remorques permettrait une DPA de 30 p. 100 sur la base d’un amortissement dégressif pour l’achat d’équipement d’une valeur de 120 millions de dollars, le tout pour abriter du revenu de location du fisc;

 

(vii)    l’opération permettrait l’augmentation de la valeur pour l’actionnaire, ajoutée à un coefficient de rendement fiscal de 25 p. 100 qui, comme l’a expliqué M. Lough, constituerait la valeur économique ajoutée; en d’autres termes, il s’agirait d’une opération fructueuse;

 

(viii)   l’appelante devait obtenir un avis confirmant le fait qu’elle aurait droit aux DPA et que l’investissement en location était conforme à tous les règlements fiscaux canadiens;

 

(ix)     l’opération devait être recommandée en raison de son efficacité dans l’utilisation des avantages fiscaux pour compenser les revenus de location qui n’étaient pas à l’abri du fisc.

 

La recommandation de M. Lough a été présentée au conseil de l’appelante avec des propos semblables. 

 

[11]    M. Lough a brièvement examiné les projections financières de la transaction figurant à l’annexe A. En ce qui concerne l’objectif de l’opération, M. Lough a déposé ce qui suit :

 

            [traduction]

 

Q.        M. Lough, pourquoi Canada Trust ou pourquoi l’appelante a mis sur pied les opérations qui font l’objet du présent litige?

 

R.         Nous avons procédé à ces opérations d’investissement pour tirer un revenu pour Canada Trust. C’était, vous savez, nous, comme je l’ai mentionné auparavant, nous avions, vous savez, un certain nombre de choix que mon service a examinés. Le portefeuille de location s’était rétréci pendant les dernières années, et nous cherchions une affaire de location, vous savez, pour conserver la diversification des divers portefeuilles.

 

Q.        M. Lough, des considérations de caractère fiscal ont‑elles influé sur la décision de réaliser cette opération? Et si tel est le cas, comment l’ont‑elles fait?

 

R.         Oui, nous avons certainement évalué le rendement après impôt de cette opération, comme nous le faisons pour toute transaction.

 

[Transcription, de la page 66, ligne 10, à la page 67, ligne 1]

 

 

Éléments de preuve supplémentaires

 

[12]    En sus de la documentation afférente à l’opération même déposée en preuve, l’appelante a produit aussi de nombreuses lettres de suivi entre Alan Wheable, vice-président, Service des charges fiscales, Groupe Financier Banque TD et le représentant de l’Agence des douanes et du revenu du Canada [ADRC], Guy Alden. Au centre de ces échanges se trouve le désir de Canada Trust de préciser avec l’ADRC la question des normes réglementaires en termes de fonds propres[4]. Ce qui appert de ces éléments de preuve, est que la structure du financement, notamment l’utilisation de la dette sans recours, facilitait considérablement la tâche de Canada Trust de se conformer à ces exigences, bien que cela n’ait pas été d’une importance capitale pour Canada Trust. L’avantage pour Canada Trust consistait en ce que le résultat du rendement d’investissement net serait activement maintenu en dessous de zéro (voir l’annexe A, colonne 11) à la suite de la déduction pour amortissement (DPA) considérable.

 

[13]    En dernier lieu, l’intimée a produit une déclaration sous serment concernant le dossier financier compilé par John Tanter[5], laquelle comprenait en annexe le document intitulé Demande d’opération – Financement structuré, réalisé par la Structured Finance Division (Division du financement structuré) de la BRC de Londres. Ce document désigne les avantages désirés par l’appelante en ces termes : « Mécanisme de location au Canada, à terme, à recours limité, garanti par des liquidités, faisant partie d’un bail transnational, financée par des capitaux d’emprunt et permettant la réduction d’impôts. » Le schéma de l’opération se trouve à l’annexe B[6]. La demande d’opération décrit l’objectif du mécanisme ainsi[7] :

 

[traduction]

 

Objectif

 

TL loue, en ce moment, des remorques à plusieurs utilisateurs finaux (leur localisation géographique n’est pas pertinente, puisque nous ne prenons pas de risque les concernant) au moyen de contrats de location‑exploitation. Dans le but de diminuer le coût du financement, TL vendra les remorques à CTM, qui dépréciera les biens et demandera les amortissements fiscalement autorisés. CTM financera l’achat en utilisant une combinaison de dette et d’équité, les intérêts de la dette étant déductibles du revenu imposable. CTM louera les remorques à UK SPC qui les sous-louera à TL. Les avantages découlant des amortissements et la déductibilité des intérêts seront partagés avec TL au moment de l’exécution du bail de location. Puisque TL est le vendeur aussi bien que le sous‑preneur à bail, il peut améliorer ses profits encore plus en utilisant les sommes reçues pour la vente des remorques afin de payer à l’avance les locations à bail (par exemple, en payant la valeur actuelle des locations à bail). Une partie de la somme payée par anticipation des locations à bail sera utilisée comme nantissement en espèces pour le prêt à CTM, éliminant ainsi le risque pour la banque prêteuse; cependant, CTM sera encore en mesure de déduire le coût des intérêts.

 

 

[14]    Voici comment la structure de l’opération est décrite plus bas dans la demande d’opération[8] :

 

[traduction]

 

Pour réduire ses coûts de financement, TL désire anéantir ses dettes au moyen de collatéraux. Elle garantira ses obligations en équité envers CTM avec une obligation du gouvernement de l’Ontario. Pour cela, TL payera à l’avance à MAIL ses versements conformément au contrat de sous-location à bail, qui s’élève le premier jour à 120 millions de dollars canadiens, moins les profits de location d’environ 3,5 millions de dollars canadiens. MAIL, de son côté, sur réception du paiement anticipé de TL, versera à la RBC de Londres le montant de 97,4 millions de dollars canadiens pour le plan de réduction de la dette avec garantie – obligation alors assumée par la BRC – et versera à MAIL 19 millions de dollars canadiens pour la couverture des capitaux propres.

 

Position de l’appelante

(1)     Avantage fiscal

 

[15]    L’appelante prétend que le concept d’avantage fiscal est comparatif, c’est‑à‑dire : il s’agit d’un avantage fiscal comparé à quoi? Du point de vue de l’appelante, comparé à un contrat de cession‑bail ordinaire, qui aurait pour conséquence une DPA identique. Par conséquent, il n’y a pas d’avantage fiscal.

 

(2)     Objectif autre que tirer profit d’un avantage fiscal

 

[16]    MMeghji commence ce débat en faisant valoir qu’un contrat de cession‑bail ordinaire n’est pas une opération d’évitement. Les divergences entre un contrat de cession‑bail ordinaire et la présente opération sont les suivantes : les éléments du remboursement anticipé de TLI, la réduction de la dette de MAIL et le financement à recours limité offert par la RBC Limited. Selon l’appelante, aucune de ces différences n’a d’effet sur le traitement fiscal de cette opération, si on le compare à un contrat de cession‑bail ordinaire.

 

[17]    L’appelante était en affaires dans le domaine du financement par opérations de crédit‑bail. Cela ressort manifestement du montant considérable de revenu tiré des opérations de crédit‑bail duquel l’appelante peut demander la DPA. L’investissement a été examiné comme tout autre investissement et a été réalisé en vue de tirer un revenu. En effet, le taux de rendement de 8,5 p. 100 semblait intéressant, comparé au rendement d’investissements d’autres types. Le représentant de l’ADRC a reconnu que l’emploi d’une dette sans recours présentait des avantages commerciaux. Cela ressort clairement des communications entre M. Alden, représentant de l’ADRC, et M. Wheable, vice‑président. Ces communications ne démontrent pas de motif fiscal, comme le suggère l’intimée, sinon un objectif commercial qui découle, en partie, du traitement fiscal.

 

(3)     Abus

(i)      Applicabilité de la RGAÉ au Règlement

 

[18]    Quand le paragraphe 245(4) fait référence à un abus dans l’application «  des dispositions de la présente loi », cela ne doit pas être interprété comme visant le Règlement. Ce point de vue est appuyé par la jurisprudence présente dans les décisions Fredette c. La Reine[9] et Rousseau‑Houle c. La Reine[10]. En l’instance, l’abus présumé va à l’encontre du Règlement et non pas de la loi.

 

(ii)      Quelle est la politique claire et non équivoque?

 

[19]    La politique sous-jacente aux règles régissant les biens donnés en location à bail condamne clairement la demande de la DPA relativement à des pertes subies par une propriété louée, dans le cadre des revenus générés par une autre propriété de location. Les règles particulières qui régissent les biens donnés en location à bail limitent le montant de DPA exigible par un donneur à bail dans le cadre de biens autres que les « biens exclus ». Selon la politique sous-jacente à la liste des « biens exclus », cela n’est applicable qu’à certains types de propriétés, en fonction des attributs mêmes des biens. Pour la simple raison qu’il s’agit de remorques, l’équipement répond à la définition de biens exclus dans le cadre d’un accord de location. Les règles régissant les biens donnés en location à bail ainsi que celles régissant les biens donnés en location à bail déterminés limitent clairement les montants de demande disponibles aux donneurs à bail en matière de DPA.

 

[20]    L’appelante a présenté l’historique des règles régissant les biens donnés en location à bail pour nous aider à en cerner la politique claire. En 1976, les règles régissant les biens donnés en location à bail (article 1100 du Règlement) ont été présentées dans le but de restreindre la DPA déductible du revenu de location de biens. Cette législation a été déposée ainsi dans les Documents budgétaires de 1976[11] :

 

Si le crédit‑bail joue un rôle de plus en plus important pour des motifs commerciaux de bonne foi, il est toutefois nécessaire d’instituer une règle fiscale visant la suppression de tout usage non justifié de ces allocations. La méthode la plus directe consisterait à examiner les différents types de location et de faire des distinctions entre les accords de location qui sont en fait des arrangements financiers conclus afin de transférer les déductions pour amortissement, et celles qui sont des véritables locations au sens classique. Cependant, l’expérience passée et des études plus approfondies révèlent qu’il est impossible de recourir à une telle méthode, et qu’il est nécessaire de déterminer une règle plus générale qui soit d’application facile.

 

Il est proposé que les allocations du coût en capital à l’égard de toutes les locations de biens mobiliers ne puissent être utilisées à titre de perte pour protéger le revenu ne provenant pas d’une location. La règle s’appliquera dans le cas des particuliers comme dans celui des sociétés. Elle ne toucherait pas les contribuables tels les concessionnaires d’équipement, ou les fabricants qui ont le droit de traiter, aux fins de l’impôt, les biens mobiles destinés à la vente et à la location comme faisant partie d’un inventaire.

 

[21]    Demander la DPA relative à un bien donné en location à bail dans le cadre du revenu de location d’un autre bien donné en location à bail est un acte clairement condamné par le Règlement. Et il s’agit exactement de ce que l’appelante a fait.

 

[22]    Les règles visant les biens donnés en location à bail ont été présentées en 1989, pour restreindre davantage le montant de DPA déductible relativement à des « biens donnés en location à bail déterminés ». Les baux de location relatifs à ces classes de biens ont été requalifiés de prêts. Certains biens ont été exclus des règles visant les biens donnés en location à bail déterminés. Les remorques pour le transport routier de marchandises sont dans la liste des biens exclus. Les Documents budgétaires supplémentaires de 1989 déclarent ainsi[12] :

 

Le nouveau régime ne s’appliquera pas aux biens qui sont couramment loués à bail pour des fins d’exploitation et pour lesquels la DPA constitue une approximation raisonnable de la dépréciation effective. À la lumière de ces considérations, la location à bail d’ordinateurs, de matériel et de mobilier de bureau dont la valeur ne dépasse pas $ 1 million par article, de mobilier et d’appareils domestiques, de bâtiments, d’automobiles et de camions légers ne sera pas assujettie à ces règles. Ces dernières ne s’appliqueront évidemment pas non plus aux licences relatives à des films, à des bandes magnétoscopiques, à des brevets et à d’autres biens incorporels.

 

Les remorques en question possèdent les attributs nécessaires des « biens exclus ».

 

[23]    En 1991, le gouvernement du Canada a ajouté les voitures de chemin de fer à la liste des biens exclus. Une fois sur la liste, il est implicite que le ministre des Finances estime que le taux de DPA équivaut approximativement celui de leur dépréciation économique.

 

[24]    Alors que la politique claire et non équivoque des règles portant sur les biens donnés en location à bail déterminés est de restreindre la DPA exigible par les donneurs à bail, la politique claire et non équivoque veut aussi que ces règles spécifiées ne soient pas applicables aux biens exclus. La politique sous-jacente à la liste des biens exclus prévoit qu’elle ne sera applicable qu’à certains types de biens, en fonction des attributs mêmes des biens en question.

 

(iii)     Y a‑t‑il eu présence d’abus en matière de politique?

a)       Au motif que le coût est nul

 

[25]    L’appelante rejette la position de l’intimée selon laquelle il y a eu abus puisque, à cause de l’opération, l’appelante n’a engagé aucun « coût réel » par rapport aux remorques. L’appelante a, en fait, subi un « coût réel » de 120 millions de dollars. L’intimée n’est pas en droit de requalifier une opération et puis de prétendre qu’il y a eu abus sur la base des opérations requalifiées. La question de l’abus s’applique aux droits et aux obligations légaux existants et non pas à la requalification desdits droits. Seulement si on a conclu à la présence d’abus, alors on peut requalifier l’opération pour déterminer les conséquences fiscales qui en découlent. L’appelante invoque la décision La Reine c. Canadien Pacifique Ltée[13]à l’appui de sa proposition.

 

[26]    Dans les décisions Canadien Pacifique et Consumers' Gas Company Ltd. c. La Reine[14], il a été établi que le coût des biens, « réel » ou autre, ne repose pas sur le fardeau économique, mais sur les dépenses engagées dans les biens. L’appelante invoque aussi les observations du juge Le Dain dans Gelber c. La Reine[15] :

 

[...] À mon avis, ce n'est pas parce que l'acheteur d'un bien quelconque exige comme condition de l'achat la cession‑bail du bien au vendeur de manière à s'assurer d'un revenu correspondant au montant de l'investissement et d'un rendement sur cet investissement, que le prix d'achat n'est pas le véritable coût en capital du bien. À moins que la Loi ou son règlement d'application ne disent le contraire, le degré du risque auquel un investissement est exposé n'est pas un critère dont on peut à bon droit se servir en déterminant le coût en capital.

 

De façon similaire, dans l’affaire Signum Communications Inc. v. La Reine[16] la Cour a appliqué les décisions rendues dans les affaires Reed (H.M. Inspector of Taxes) v. Young[17] et Gelber pour statuer qu’un commanditaire est en droit de réclamer une perte supérieure aux intérêts qu’il a risqués, dans les cas où il n’y a pas de dispositions applicables en matière de fraction à risque. 

 

[27]    L’appelante soutient que le législateur a manifesté son hostilité à la jurisprudence en rejetant le postulat selon lequel le coût doit être déterminé par le poids du fardeau économique et en présentant un certain nombre de dispositions précises avec l’objectif d’écarter cette doctrine : des dispositions régissant les fractions à risque des sociétés en commandites, des dispositions régissant les abris fiscaux, des règles portant sur la dette à recours limité et des dispositions régissant les abris fiscaux dans le cadre des logiciels. Aucune d’elles n’est applicable ici.

 

b)      Au motif qu’il n’y a pas de financement du preneur à bail

 

[28]    L’appelante rejette l’argument de l’intimée selon lequel il n’y a pas d’activité de financement au motif que, selon la politique dégagée par l’appelante, la présence de financement n’en constitue pas un élément essentiel. Même si la présence de financement était nécessaire pour se conformer à la politique, en l’espèce, il y a eu financement de TLI. L’intimée ne tient pas compte de la perspective de l’appelante. Les activités de TLI ne sont pas pertinentes pour déterminer s’il y a eu financement. Il n’y a aucune politique exigeant que le vendeur qui a entrepris un contrat de cession‑bail en utilise les revenus d’une manière précise.

 

[29]    L’allégation d’abus est soulevée, en l’espèce, à l’encontre du preneur à bail. Alors, il faut certainement prendre en considération le point de vue de ce dernier. Cependant, même si l’on examine le point de vue du preneur à bail, la position de l’appelante est que cette dernière a eu recours au financement. Les facteurs qui pourraient suggérer qu’il n’y a pas eu de financement ne concernent pas le donneur à bail (p. ex. le paiement anticipé effectué par le preneur à bail). Par conséquent, ils ne peuvent avoir d’effet sur la demande de DPA.

 

(4)     Conséquences raisonnables

 

[30]    Il est indiscutable que la nouvelle cotisation en l’espèce a eu lieu en raison du paiement anticipatoire, de la résolution de la dette et du financement à recours limité. L’intimée admet que l’achat de l’équipement et que le bail conclu avec MAIL ne sont pas répréhensibles en soi. L’appelante prétend que, pour que les conséquences fiscales soient considérées raisonnables dans les circonstances, il doit y avoir un lien raisonnable entre les opérations abusives et les conséquences fiscales qui en découlent. Le droit de demander la DPA découle de l’achat de l’équipement et du bail conclu avec MAIL et non des opérations censément abusives. Pour ces raisons, l’appelante observe que, même si l’on accepte la théorie du ministre qu’il y a eu abus, le refus de la DPA ou du coût n’est pas raisonnable dans les circonstances.

 

Position de l’intimée

(1)     Avantage fiscal

 

[31]    L’intimée suggère qu’il n’est pas nécessaire de présenter de cas comparable pour conclure à la présence d’avantage fiscal, puisque l’avantage consiste dans le report d’impôt découlant de l’application de la DPA au montant de 31 196 700 $ pour l’année 1997. Même si un cas comparable était nécessaire pour déterminer la présence d’avantage fiscal, le seul cas comparable en l’espèce serait qu’aucun investissement n’ait eu lieu; c’est‑à‑dire l’appelante n’aurait pas acheté de remorques sans entreprendre en même temps la présente convention, ce qui a donné lieu à l’avantage fiscal sans s’exposer à des risques continus.

 

(2)     Objectif autre que celui d’obtenir un avantage fiscal

 

[32]    Premièrement, l’intimée soutient que toute l’opération, non seulement l’acquisition des remorques, constitue une opération d’évitement.  Il ne convient pas d’en séparer les différents éléments. Ni l’acquisition ni la convention dans son ensemble n’ont été mises sur pied pour une raison véritable autre que celle d’obtenir un avantage fiscal. Il n’y avait aucune substance dans cette transaction, à part de  l’avantage fiscal. En se fondant sur un examen objectif et en examinant ces événements simultanés, ces séries d’opérations, planifiées à l’avance, ont été conclues principalement dans le but d’obtenir un avantage fiscal et de protéger d’autres revenus.

 

[33]    L’intimée se fonde sur le rapport fait par M. Lough au Comité du crédit, rapport dans lequel il mentionne les avantages fiscaux découlant de l’opération. Il s’appuie aussi sur le résumé présenté au conseil, qui portait sur l’idée d’abriter d’autres revenus de location passibles d’impôt. Le tout, selon l’intimée, se passait dans le contexte d’une société qui était en train de réduire ses opérations de location, comme cela est indiqué dans son compte rendu annuel de 1996. L’intimée se fonde aussi sur l’analyse de la BRC qui fait mention d’un [traduction] « contrat de location pour raisons fiscales ».

 

[34]    Comme l’opération ne pose aucun risque pour l’appelante, l’intimée soutient qu’elle est dépourvue de motif commercial. Du même coup, l’intimée appuie cette allégation sur le fait qu’il soit possible de dissoudre la transaction dans l’éventualité où il y aurait un changement en matière de lois fiscales pouvant être défavorable à l’appelante. 

 

[35]    De plus, le fait que TLI pouvait, après clôture de l’opération, demander des déductions pour amortissement aux fins de comptabilité ou de fiscalité américaine, est significatif aussi.

 

(3)     Abus

(i)      Applicabilité de la RGAÉ au Règlement

 

[36]    La décision Rousseau‑Houle invoquée par l’appelante est en appel. L’intimée n’est simplement pas d’accord avec cette décision. Beaucoup des détails intrinsèques au mécanisme de la DPA, même s’ils se trouvent dans le Règlement, découlent de la Loi. Plus particulièrement, l’alinéa 18(1)b) prévoit qu’aucune déduction relative à un intérêt dans un compte de capital n’est permissible « sauf ce qui est expressément permis par la présente partie ». De plus, le paragraphe  20(1) prévoit ce qui suit :

 

20(1)    Malgré les alinéas 18(1)a), (b) [...] sont déductibles [...]

 

a)         la partie du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant au titre de ce coût ainsi supporté que le règlement autorise;

 

[37]    La RGAÉ recommande que l’on analyse l’abus « dans l’application des dispositions de la présente loi lues dans son ensemble ». Le Règlement est inextricablement connecté à la Loi.

 

[38]    Enfin, en se fondant sur les arrêts de la Cour suprême du Canada Procureur général du Québec c. Blaikie[18] et Leaf c. Gouverneur général en conseil[19], l’intimée fait valoir que la Cour suprême du Canada, en dehors du contexte pénal, souscrit au postulat que la « Loi » comprend les mesures législatives subordonnées comme le Règlement.

 

(ii)      Quelle en est la politique claire et non équivoque?

 

 

[39]    La politique claire et non équivoque sous-jacente à la DPA est de reconnaître le coût des biens en capital qui est absorbé par les affaires du contribuable. 

 

[40]    Après s’être rendu compte que les conventions de location accordent aux preneurs à bail la possibilité de réduire leurs coûts de financement en transférant leur droit à la DPA au donneur à bail, le gouvernement a déposé les règles portant sur les biens donnés en location à bail, afin de restreindre les possibilités des donneurs à bail d’appliquer la DPA dans le calcul de leur revenu de location. Comme ces conventions continuaient à proliférer, on a déposé les règles portant sur les biens donnés en location à bail déterminés, qui ont l’effet de considérer tout paiement du loyer comme des remboursements du capital et des intérêts d’un emprunt. On a établi des exceptions sous la forme de biens exclus : les biens qui sont couramment loués pour des raisons de fonctionnalité et dont la dépréciation est raisonnablement équivalente à la DPA.

 

[41]    L’intimée invoque les Notes techniques du ministère des Finances du 14 mars 1991 et se réfère au Résumé de l’étude d’impact de la réglementation[20] :

 

Dans bien des cas, le crédit-bail constitue une solution de rechange à un achat financé par emprunt. Lorsqu’un contribuable n’est pas imposable à un moment donné, le crédit-bail peut constituer une forme de financement après impôt. […] Les avantages fiscaux du crédit-bail sont dus au fait que la DPA relative à un bien loué peut être supérieure à sa dépréciation effective, notamment au cours des premières années de crédit‑bail. Celui‑ci permet alors à un locataire qui ne paie pas d’impôt d’échanger une DPA accélérée dont il ne peut pas se servir avec un locateur imposable, en contrepartie d’une réduction des paiements du loyer. Pour le locateur, l’amortissement accéléré permet de différer l’impôt payable sur les autres revenus – avantage qui peut être maintenu indéfiniment si ses actifs augmentent. Un financement à meilleur prix peut être obtenu grâce au crédit‑bail dans ce cas, mais l’économie est obtenue aux frais du Trésor public.

 

[42]    Plus tard, le 27 avril 1989, on déclare dans les Documents budgétaires[21] :

 

Le gouvernement a apporté plusieurs changements à la Loi de l’impôt sur le revenu, au cours des cinq dernières années, afin de réduire les possibilités de financement après impôt. […] Conformément à ces changements, le budget propose de modifier le régime fiscal de certains accords de crédit‑bail aux fins de la DPA. Ces changements réduisent les avantages fiscaux du crédit‑bail pour les contribuables qui sont exonérés d’impôt ou qui n’ont pas à payer d’impôt pour le moment. Ils ne changent toutefois pas le traitement relatif des biens loués en crédit‑bail et des biens achetés lorsqu’il n’existe aucun avantage tenant au transfert des déductions. En particulier, des règles spéciales sont prévues de façon que les contribuables qui se servent de biens loués dans le cadre de leurs activités conservent entièrement les avantages de la DPA.

 

(iii)     Y a-t-il eu abus en matière de politique?

 

a)       Au motif que le coût a été nul

 

[43]    Selon l’intimée, en termes de substance économique pure, en l’espèce, l’appelante n’a pas engagé de dépenses et l’intention du législateur n’était pas de permettre aux contribuables qui n’ont pas supporté des véritables dépenses, de demander la DPA. Le paiement anticipé, dans le cadre du prêt sans possibilité de recours, assurait à l’appelante une opération sans risque. Les capitaux empruntés à la BRC ont été remboursés le même jour et non utilisés pour faire l’acquisition de biens immobilisés en vue de tirer un revenu. Même le financement du capital propre de l’appelante était, en fin de compte, garanti par une obligation de la province d’Ontario.

 

[44]    L’intimée se fonde sur des observations formulées dans les décisions McNichol c. La Reine[22] et RMM Canadian Enterprises Inc. et al. c. La Reine[23] de la Cour canadienne de l’impôt pour appuyer son postulat que la Cour doit examiner « l’effet de l’opération, considéré d’une façon réaliste ».

 

(b)     Au motif qu’il n’y a pas eu d’activité de financement

 

[45]    La politique sous‑jacente aux dispositions portant sur les biens donnés en location à bail déterminés vise à permettre que le procédé de location continue d’être un mécanisme subsidiaire de financement, tout en limitant les avantages fiscaux s’y rapportant. L’intimée fait valoir que l’objet et l’esprit des dispositions portant sur les biens donnés en location à bail déterminés sont de réduire les avantages fiscaux, tout en permettant le financement par crédit‑bail dans l’acquisition de biens pour des raisons fonctionnelles. Il n’y a pas de tel financement en l’espèce, permettant d’inclure l’appelante dans ce contexte.

 

(4)     Conséquences fiscales raisonnables

 

[46]    L’intimée postule les conséquences fiscales raisonnables suivantes. Au niveau de la présence d’abus : a) puisque l’appelante n’a pas engagé de véritables dépenses, l’appelante doit être assujettie à l’impôt comme si ses dépenses associées à la DPA étaient nulles; ou, subsidiairement, b) puisqu’il n’y a pas eu d’activité de financement, l’appelante doit être assujettie à l’impôt comme si les dispositions portant sur les biens donnés en location à bail déterminés étaient applicables, de façon à ce qu’il n’y ait pas de possibilité de demander de DPA.

 

Analyse

 

[47]    L’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu est en partie ainsi libellé :

 

245(1)  Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

 

« attribut fiscal » S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l'impôt ou l'autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

 

(2)        En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

 

 

(3)        L’opération d’évitement s’entend :

 

a)         soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables -- l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

 

b)         soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables ‑‑ l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

 

(4)        Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble -- compte non tenu du présent article -- n'est pas visée par le paragraphe (2).

 

(5)       Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d'une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération d'évitement :

 

a)         toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l'impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b)         tout ou partie de cette déduction ainsi que tout ou partie d'un revenu, d'une perte ou d'un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c)         la nature d'un paiement ou d'un autre montant peut être qualifiée autrement;

d)         les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l'application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

 

[48]    On a versé beaucoup d’encre au sujet de ces dispositions plutôt uniques, et on n’aura pas besoin d’explications préambulaires avant de s’engager sur le sentier analytique tracé par la Cour d’appel fédérale dans les affaires OSFC  et Water’s Edge.

 

1.       Le report d’impôt constitue-t-il un avantage fiscal?

 

[49]    La législation définit un avantage fiscal comme un « report d’impôt […] visé par la présente Loi ». Il semble clair que, si l’on interprète ces termes de la manière la plus simple possible, le montant d’environ 31 millions de dollars demandé par l’appelante en DPA pour 1997 constitue un report d’impôt qui constitue, à son tour, un avantage fiscal. Cependant, en matière de loi de l’impôt, rien n’est aussi simple qu’il puisse le paraître. Il faut lire ces termes dans un sens comparatif, soutient Me Meghji, en s’appuyant sur les observations du juge Bonner dans les décisions McNichol et Canadien Pacifique et sur le commentaire éditorial de M. Harry Erlichman[24].

 

[50]    Il peut y avoir des cas qui se prêtent à une analyse comparative pour une détermination claire de la présence d’avantages fiscaux. Mais, certaines opérations ne se prêtent pas à une telle approche. Celle‑ci est l’une d’entre elles. Il ne s’agit pas d’une entreprise commerciale dénuée de répercussions fiscales, pouvant être comparée et superposée à une entreprise semblable, ayant cependant des répercussions fiscales. La difficulté posée par cette opération est que les questions fiscales font partie à part entière des motifs commerciaux de l’affaire – il n’existe pas d’opération dénuée de conséquences fiscales à laquelle on puisse la comparer.

 

[51]    Je ne suis pas convaincu que le besoin de comparaison soit une étape nécessaire dans la détermination de présence d’avantages fiscaux. En l’espèce, il a été reconnu que l’avantage, si avantage il y a, constitue le report d’impôt. Quand on lit l’expression « report d’impôt » (ou même réduction d’impôt) dans le contexte (paragraphe 245(3) de la Loi) où elle est formulée, la disposition est ainsi rédigée : « L’opération d’évitement s’entend […] de l’opération dont, sans le présent article, découlerait […] un report d’impôt. »

 

[52]    Je suggère que l’interprétation logique de la disposition serait que le report (ou même la réduction d’impôt) se produit, non en comparaison à une opération normative difficile à imaginer, mais en comparaison à la position du contribuable avant la présumée opération d’évitement. En effet, beaucoup d’opérations entraînant une réduction, un report ou l’évitement des impôts constituent des avantages fiscaux, mais il ne s’agit pas toujours d’opérations d’évitement. La présence d’avantages fiscaux ne peut pas être déterminée dans le vide, mais elle devrait être déterminée dans le contexte de la question de savoir si une opération d’évitement a eu lieu. Dans ce cas, après l’opération entreprise par l’appelante, il y a eu un report d’impôt, comparativement à la situation antérieure à l’opération. Cela nous mène à la détermination de l’objectif sous-jacent à l’opération, afin de décider s’il s’agit effectivement d’une opération d’évitement.

 

2.       Peut-on considérer raisonnablement que cette convention, qui a entraîné un report d’impôt, a été entreprise principalement dans un objectif véritable autre que celui d’obtenir un avantage fiscal?

 

[53]    La différence entre le type de convention devant moi et d’autres conventions examinées sous le régime de la RGAÉ, consiste en ce que, dans le cadre des opérations de contrat de cession‑bail, le traitement de la DPA n’est pas étranger au rendement de l’entreprise, mais intrinsèque à celui‑ci. Toute institution financière offrant du financement par crédit-bail est au courant des dispositions portant sur les biens donnés en location à bail déterminés, ainsi que de la possibilité de continuer à recevoir un traitement privilégié en matière de DPA, pour ce qui est des biens exclus. Ce fait indubitable apparaît clairement dans les recommandations que M. Lough a présentées au Comité du crédit, ainsi que dans la feuille finale de modalités de prêt. Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle le traitement fiscal a été appliqué à une opération commerciale après coup, mais d’une situation où ce traitement est inextricablement lié au rendement même de l’activité commerciale. Il devient donc difficile, au moment de déterminer l’objectif principal, de distinguer le véritable objectif « autre que celui d’obtenir un avantage fiscal » de l’objectif d’obtenir un avantage fiscal.

 

[54]    L’intimée soutient que cela n’est pas du tout difficile, puisqu’il n’y a pas d’objectifs concurrents : il n’y a qu’un objectif, celui d’obtenir un avantage fiscal. De toute évidence, il s’agit sans doute de l’objectif principal. L’appelante fait valoir que, même s’il y avait eu un objectif fiscal, il était accessoire à l’objectif commercial d’entreprendre une affaire dans le domaine très rentable de l’appelante, le financement à crédit-bail, et plus particulièrement à celui de conserver la diversification des investissements. Sans souscrire à la thèse de l’intimée qu’il n’y a présence que d’un seul objectif, l’objectif fiscal, je conclus que, tout compte fait, on ne peut établir que ces opérations ont été effectuées principalement pour des objectifs véritables autres que celui d’obtenir des avantages fiscaux. 

 

[55]    En débattant de cet aspect de l’affaire, MMeghji fait valoir avec force le fait que, s’il s’était agi d’un contrat de cession‑bail ordinaire, il n’y aurait pas eu d’irrégularité. Cela est bien possible, mais pas nécessairement parce que l’opération n’aurait pas été perçue comme une opération d’évitement, mais parce qu’elle n’aurait pas été perçue comme un abus des dispositions de la Loi. Je suis prêt à entreprendre la comparaison entre l’opération de l’appelante et un contrat de cession‑bail ordinaire; cependant, j’estime qu’il est préférable de la faire dans le cadre d’une discussion portant sur l’objet et l’esprit de la loi. Il faut déplacer le centre du débat, à partir des avantages fiscaux et de l’opération d’évitement, dont le seuil n’est pas particulièrement élevé, pour se concentrer sur le thème de l’abus lequel, selon moi, est l’élément central de l’application de la RGAÉ. À la lumière de cela, la RGAÉ peut être perçue comme une permission d’effectuer des opérations d’évitement, une permission accordée par le vieux grand‑duc, à l’exception des opérations qui dépassent clairement le seuil beaucoup plus élevé de la présence d’abus. 

 

[56]    Retournons à la question des objectifs et à la raison sur laquelle je me base pour conclure que l’opération de l’appelante est une opération d’évitement. Je serai bref. M. Lough a communiqué clairement à l’arrangeur, dès le début, que Canada Trust était prête à investir 100 millions de dollars et qu’elle cherchait des investissements en biens exclus. Pourquoi? Parce que la société désirait abriter des revenus de location s’élevant à 51 millions de dollars et qu’il ne restait que certains types de biens admissibles à la DPA. M. Lough a communiqué à l’arrangeur que les remorques étaient sur la liste des biens désirables, puisqu’ils avaient un bon rendement après impôt. Concédé, M. Lough a aussi indiqué dans son témoignage que l’investissement avait pour but de tirer un revenu, de maintenir la diversification des portefeuilles et de contribuer à la satisfaction des exigences réglementaires en matière de capital, mais avant tout la possibilité de récupérer la DPA. Effectivement, je suis convaincu que les exigences réglementaires en matière de capital ont été satisfaites grâce à l’effet des DPA[25]. Les recommandations faites par M. Lough au Comité du crédit confirment la prédominance de l’objectif visant l’obtention d’avantages fiscaux :

 

           [traduction]

 

Recommandation : La location proposée de remorques est une opération de troisième ordre, efficace en matière de fiscalité, portant sur des biens durables et offrant un taux de rendement exceptionnel sur les investissements. Il existe très peu d’opérations de cette nature sur le marché de nos jours. CT possède actuellement un revenu de location imposable non protégé suffisant afin d’utiliser complètement les avantages fiscaux découlant de cette opération.

 

Il ajoute plus tard, dans ses recommandations au conseil :

 

[traduction]

 

L’opération offre un taux de rendement très intéressant et donne lieu à des DPA demandées qui peuvent servir à abriter d’autres revenus de location de Canada Trust passibles d’impôt.

 

 

Même la banque de l’appelante, la BRC, a désigné l’opération dans son sommaire de l’opération comme une Opération canadienne de crédit-bail transnational à levier, permettant la réduction d’impôts.

 

[57]    Je conclus qu’il s’agissait d’un investissement rentable du point de vue commercial; cependant, cette conclusion ne l’emporte pas sur l’objectif principal d’obtenir un avantage fiscal au moyen de cet investissement – l’avantage fiscal constitue le motif de la transaction. Me Meghji suggère que cette approche pourrait mener à ce que ses cotisations au REER soient considérées comme des opérations d’évitement, une notion absurde selon Me Meghji. Cependant, je n’ai pas de difficulté à imaginer une cotisation à un REER versée dans le seul but d’obtenir un report d’impôt de un an. Une telle cotisation pourrait être considérée comme une opération d’évitement. Une opération d’évitement n’est pas un proscrire à mot. Une cotisation au REER serait probablement justifiée par l’application du paragraphe 245(4). Il est préférable de laisser l’examen de l’objet et de l’esprit du REER pour une autre fois[26].

 

(3)     Y a‑t‑il eu un abus dans l’application des dispositions de la Loi ou dans l’application des dispositions dans leur ensemble?

 

(i)      Les dispositions législatives de la RGAÉ visent‑elles les abus du Règlement en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu?

 

[58]    L’appelante se fonde sur la position du juge Archambault dans l’affaire Rousseau‑Houle qui fait renvoi à la décision Fredette, pour faire valoir que, puisque le paragraphe 245(4) ne fait pas mention de la Loi et du Règlement dans leur ensemble, on ne peut pas tenir compte du Règlement lors de l’application de la RGAÉ. L’affaire Rousseau‑Houle est en appel devant la Cour d’appel fédérale. Eu égard à la décision que je prends dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire que j’entame une longue analyse de cette question particulière, ce que j’hésite à faire en raison du statut de l’affaire Rousseau‑Houle. Le juge Archambault a statué ainsi : premièrement, ce n’est qu’au législateur et non à l’exécutif, qu’il revient d’instaurer, au moyen de sa politique législative, un régime aussi drastique que la RGAÉ permettant de rejeter l’avantage fiscal d’un contribuable; deuxièmement, si le législateur avait voulu que ces dispositions soient applicables au Règlement, il l’aurait précisé ainsi, comme il l’a fait pour d’autres dispositions de la Loi. Si j’accueillis l’appel sur la seule base que la RGAÉ n’est pas applicable au Règlement, je cours le risque que la Cour d’appel fédérale infirme Rousseau‑Houle et annule ma décision en même temps. Je préfère continuer sur la base que toutes les politiques concernant l’admissibilité à la DPA découlent de la Loi elle‑même. Puisque l’alinéa 20(1)a) incorpore le Règlement à la législation, alors, par conséquent, la présence d’abus est certaine dans cette affaire.

 

(ii)      Quelle est la politique claire et non équivoque sous‑jacente à l’application de la DPA aux contrats de cession‑bail de biens exclus?

 

 

[59]    À la fois le juge Rothstein dans l’affaire OSFC et le juge Noël dans l’affaire Water's Edge ont souligné le besoin de clarté pour la détermination de l’objet et de l’esprit des dispositions pertinentes. Comme l’a dit le juge Noël à la page 7180 :

 

[52] Pour en arriver à cette conclusion, j'applique l'article 245 comme notre Cour l'a fait dans l'arrêt OSFC Holdings Ltd. c. Canada, [2002] 2 C.F. 288 (autorisation d'appel refusé le 20 juin 2002, [2001] C.S.C.R. n522). Mais je tiens à insister sur un aspect clé de cette décision où le juge Rothstein déclare ce qui suit, au paragraphe 69 :

[...] pour refuser un avantage fiscal, alors que la Loi a été rigoureusement respectée, pour le motif que l'opération d'évitement constitue un abus, il faut que la politique générale pertinente soit claire et non ambiguë. La Cour fera preuve de prudence en se déchargeant de la tâche inhabituelle qui lui est imposée par le paragraphe 245(4). Elle doit être certaine que même si les mots utilisés par le Parlement autorisent l'opération d'évitement, la politique générale qui sous-tend les dispositions pertinentes ou la Loi lue dans son ensemble est suffisamment claire pour permettre à la Cour de conclure sans danger que l'application de la disposition ou des dispositions par le contribuable constituerait un abus.

J'estime que ce critère préliminaire bien précis a été respecté en l'espèce.

 

Il est essentiel de définir la politique. Les deux parties ont observé que les dispositions en litige reflètent une politique claire, pourtant cela a été plutôt difficile que de la définir. L’appelante déclare que l’objet et l’esprit des règles sur les biens donnés en location à bail déterminés est de limiter l’applicabilité de la DPA relative à des biens donnés en location à bail aux revenus des entreprises de location. De plus, en ce qui concerne les dispositions portant sur les biens donnés en location à bail déterminés, la politique portant sur les remorques prévoit qu’il s’agit d’un type de biens inscrit dans une liste qui les exclut de l’application des règles, en raison de la nature intrinsèque des remorques. Puisque des [traduction] « légions de journalistes, d’avocats et d’analystes fiscaux », comme le dit Me Meghji, ont dressé la liste des biens exclus, la politique doit énoncer que, si un bien fait partie de la liste, alors le traitement généreux de la DPA est applicable.

 

[60]    Selon l’intimée, la politique pertinente de la DPA assure la reconnaissance des dépenses engagées dans l’acquisition de biens admissibles, dans la mesure où ils sont consommés pendant le processus de production d’un revenu. La raison politique de soustraire certains biens à l’application des règles portant sur les biens donnés en location à bail déterminés est d’exclure les biens dont la valeur de la dépréciation s’approxime raisonnablement de la DPA, mais seulement dans le cadre de conventions de financement par crédit‑bail.

 

[61]    Aucune des parties n’a examiné en détail le motif des définitions de la politique qu’ils ont formulées ou, comme le dit le juge Noël dans l’affaire Water's Edge, sur la « raison d’être » de ces dispositions. Je sais que les remorques se trouvent sur la liste de biens exclus et que cette liste a été négociée par un grand nombre de personnes, mais le simple fait qu’ils se trouvent sur la liste n’élucide pas la politique promue par le gouvernement. Le fait de favoriser la croissance économique au moyen de certaines formes de prêt, fait‑il partie de la politique budgétaire? Le fait d’aider les entreprises non admissibles à la DPA à obtenir un financement peu coûteux en leur permettant de transférer leur DPA à des entités qui peuvent en faire usage, fait‑il partie de cette politique? Sur quoi ces dispositions régissant les biens donnés en location à bail, ainsi que les biens donnés en location à bail déterminés, portent‑elles? Quel est leur objet et leur esprit?

 

[62]    Il y a deux manières de saisir ces questions. La première est de restreindre la détermination de la politique à un examen analytique des dispositions, uniquement. Il existe certainement des cas où l’objet et l’esprit des dispositions apparaissent de prime abord. Cependant, dans plusieurs cas il n’en est pas ainsi. La deuxième démarche consiste donc à procéder au même examen, tout en prenant en considération tout élément extrinsèque capable d’éclairer les raisons du législateur d’adopter de telles dispositions. J’estime que la deuxième démarche comporte des meilleures chances de réussite, quoiqu’elle doive être suivie avec précaution. La description de la politique du gouvernement présentée par les auteurs et les commentateurs fiscaux n’est pas aussi édifiante que ce que dit le gouvernement. Ce que le gouvernement dit après le fait n’est pas aussi informatif que ce qui a été dit au moment de la présentation des dispositions. L’objet et l’esprit des règles portant sur les biens donnés en location à bail et sur les biens donnés en location à bail déterminés, dans le contexte du régime général de la DPA, ne sont pas d’une transparence limpide.

 

[63]    L’examen général de l’objet et de l’esprit du régime de la DPA, effectué par le juge Noël dans l’affaire Water's Edge, est un bon point de départ pour s’approfondir sur le régime plus spécialisé de la location et des biens donnés en location à bail déterminés, notamment ses commentaires suivants :

 

[...] Il n'y a aucun doute que l'objet et l'esprit des dispositions pertinentes sont de tenir compte de l'argent qui a été dépensé pour acquérir des biens admissibles dans la mesure où ils sont utilisés en vue de gagner un revenu au sens de la Loi.

 

L’historique de la législation présentée par les avocats a aussi été très utile, notamment les déclarations faites par le gouvernement au moment de la présentation des modifications. L’extrait suivant provient des Documents budgétaires de 1976 et porte sur les règles sur les biens donnés en location à bail[27] :

 

Comme nous l’avons expliqué précédemment, les allocations du coût en capital aux fins d’impôt peuvent souvent être plus importantes au cours des premières années que l’amortissement inscrit aux fins de l’état financier, et une telle différence sert généralement à assurer des fonds visant l’investissement de capitaux. Toutefois, l’objectif que vise le gouvernement est de faire profiter de ces amortissements les contribuables qui exercent directement les activités voulues.

 

Dans certains cas, des accords de location permettent à un contribuable de transférer effectivement l’utilisation des déductions pour amortissement à un autre, en échange de coûts de financement moins élevés. En ce qui concerne les particuliers, les contribuables situés aux paliers d’impôt les plus élevés ont réussi à soustraire, de plus en plus fréquemment, leur revenu personnel grâce aux allocations du coût en capital applicables aux biens mobiliers tels l’équipement et les avions. Pour ce qui est du secteur des entreprises, le nombre de transactions qui, en essence, sont d’ordre financier, mais se présentent sous forme d’accords de location de façon à offrir au locateur l’avantage des allocations du coût en capital que l’utilisateur ne peut réclamer soit en raison de l’exemption d’impôt ou faute de revenu, se font de plus en plus courantes.

 

Si le crédit‑bail joue un rôle de plus en plus important pour des motifs commerciaux de bonne foi, il est toutefois nécessaire d’instituer une règle fiscale visant la suppression de tout usage non justifié de ces allocations. La méthode la plus directe consisterait à examiner les différents types de location et de faire des distinctions entre les accords de location qui sont en fait des arrangements financiers conclus afin de transférer les déductions pour amortissement, et celles qui sont de véritables locations au sens classique. Cependant, l’expérience passée et des études plus approfondies révèlent qu’il est impossible de recourir à une telle méthode, et qu’il est nécessaire de déterminer une règle plus générale qui soit d’application facile.

 

Il est proposé que les allocations du coût en capital à l’égard de toutes les locations de biens mobiliers ne puissent être utilisées à titre de perte pour protéger le revenu ne provenant pas d’une location. La règle s’appliquera dans le cas des particuliers comme dans celui des sociétés. Elle ne toucherait pas les contribuables tels les concessionnaires d’équipement, ou les fabricants qui ont le droit de traiter, aux fins de l’impôt, les biens mobiles destinés à la vente et à la location comme faisant partie d’un inventaire.

 

Pendant la période transitoire, cette restriction s’appliquerait aux biens mobiliers acquis pour des fins locatives après le 25 mai 1976, sauf lorsqu’il y a un engagement contractuel existant. Les allocations du coût en capital permises pour un tel bien se limiteraient au revenu de location de tous les biens mobiliers. Les répercussions de cette proposition sur le revenu seront très faibles en ce qui concerne le reste de l’année financière 1976‑77, étant donné qu’elle n’affectera pas les déductions à l’égard des biens mobiliers accordées en vertu des contrats de location existants.

 

[64]    Il est clair que le gouvernement désirait s’occuper des conventions financières aux semblants de baux en fonction de ce qu’elles étaient : des conventions financières, mais on cherchait une manière plus efficace de le faire. La solution la plus pratique était d’éliminer la possibilité d’abriter des revenus non locatifs ou, en d’autres termes, de ne permettre la DPA dans le cadre de financement à crédit-bail que jusqu’à une certaine mesure. Politique? Cela a été recueilli du dernier paragraphe qui porte sur les répercussions en matière de revenus.  La restriction de l’admissibilité à la généreuse DPA a pour but de limiter les possibilités d’abri et d’augmenter les revenus. 

 

[65]    Veuillez passer à l’année 1989 et au prochain extrait provenant des Documents budgétaires de 1989[28] :

 

Crédit‑bail

Dans bien des cas, le crédit‑bail constitue une solution de rechange à un achat financé par emprunt. Lorsqu’un contribuable n’est pas imposable à un moment donné, le crédit‑bail peut constituer une forme de financement après impôt. Le budget propose de modifier les règles applicables au crédit‑bail afin d’éliminer cet avantage tenant au financement après impôt, sans pour autant réduire la disponibilité du crédit-bail pour des raisons d’exploitation et d’autres considérations non fiscales. On obtiendra ce résultat en limitant la déduction pour amortissement (DPA) dont pourra se prévaloir le locateur à l’égard d’un bien loué en crédit‑bail.

 

Les avantages fiscaux du crédit-bail sont dus au fait que la DPA relative à un bien loué peut être supérieure à sa dépréciation effective, notamment au cours des premières années de crédit‑bail. Celui‑ci permet alors à un locataire qui ne paie pas d’impôt d’échanger une DPA accélérée dont il ne peut pas se servir avec un locateur imposable, en contrepartie d’une réduction des paiements du loyer. Pour le locateur, l’amortissement accéléré permet de différer l’impôt payable sur les autres revenus – avantage qui peut être maintenu indéfiniment si ses actifs augmentent. Un financement à meilleur prix peut être obtenu grâce au crédit‑bail dans ce cas, mais l’économie est obtenue aux frais du Trésor public.

 

Le gouvernement a apporté plusieurs changements à la Loi de l’impôt sur le revenu, au cours des cinq dernières années, afin de réduire les possibilités de financement après impôt […] Conformément à ces changements, le budget propose de modifier le régime fiscal de certains accords de crédit‑bail aux fins de la DPA. Ces changements réduisent les avantages fiscaux du crédit‑bail pour les contribuables qui sont exonérés d’impôt ou qui n’ont pas à payer d’impôt pour le moment. Ils ne changent toutefois pas le traitement relatif des biens loués en crédit‑bail et des biens achetés lorsqu’il n’existe aucun avantage tenant au transfert des déductions. En particulier, des règles spéciales sont prévues de façon que les contribuables qui se servent de biens loués dans le cadre de leurs activités conservent entièrement les avantages de la DPA.

 

Détails des règles proposées

 

D’après les règles proposées, le contribuable qui loue à bail un bien autre qu’un bien exonéré à une autre personne pendant plus d’un an verra la déduction pour amortissement (DPA) relative à ce bien restreinte. Le montant de la DPA qui pourra être déduit au cours d’une année par un locateur à l’égard d’un bien loué en crédit-bail sera limité au montant qui aurait été un remboursement de principal si le crédit-bail avait été un prêt et si les paiements du loyer avaient été des paiements mixtes de principal et d’intérêt.

 

[66]    Plus loin, les Notes techniques du gouvernement disent ainsi au sujet de ces dispositions[29] :

 

          [traduction]

 

D’autres solutions possibles

 

Ces règles, qui découlent des documents budgétaires d’avril 1989, font partie d’une série de propositions au cours des six dernières années qui ont pour but la diminution du financement après impôt. Par exemple, les règles sur les sociétés en commandite, sur les actions privilégiées et sur les biens restreints ont été modifiées afin de réduire les avantages fiscaux découlant de tels arrangements.  

Ces règles sont conformes aux mesures de réforme fiscale qui visent la diminution des avantages fiscaux et l’élargissement de l’assiette fiscale.

 

Répercussions prévues

 

Ces règles restreindront la possibilité des preneurs à bail de demander la DPA relative aux biens donnés en location à bail déterminés, afin de diminuer l’emploi de la location comme mécanisme de financement après impôt. Ces changements ne nient pas les possibilités d’avoir recours à la location pour des raisons de fonctionnalité et pour d’autres raisons non fondées sur l’évitement fiscal. Ces modifications n’altèrent pas non plus le traitement relatif des biens donnés en location à bail et des biens achetés, dans les cas où il n’y a pas d’avantages découlant du transfert de déductions. Pour une analyse plus détaillée, on peut se référer aux documents budgétaires présentés à la Chambre des communes le 27 avril 1989.

 

[67]    Il me semble que cela suggère que cette politique a pour seul but d’élargir l’assiette fiscale en restreignant les possibilités d’abri. Cependant, les biens exclus ne sont pas visés. La raison donnée est que ces biens sont [traduction] « ordinairement loués pour des raisons de fonctionnalité et la DPA leur correspondant est approximativement équivalente à leur dépréciation ». Bon, la politique n’aborde pas ces biens. La location de ces biens continuera d’être perçue comme un moyen acceptable de financement. Cela ne semble pas faire partie d’une politique économique prééminente, favorisant le contrat de cession‑bail de biens exclus, bien que cela en soit l’effet, mais sinon une politique d’expansion de l’assiette fiscale, sans s’étendre à ces biens. On ne parle pas d’encourager l’industrie du transport des marchandises. On ne parle pas de limiter le traitement favorable du financement à bail de biens exclus aux emprunteurs nationaux. Ces publications explicatives du gouvernement ont été publiées dans le contexte de l’augmentation des revenus en limitant les possibilités d’abri dans le cadre de revenus de location, sous réserve des conventions de financement par crédit‑bail portant sur certains types de biens. Et la justification de cette exception, d’après les documents que l’on m’a fournis, est que ces biens sont exclus parce qu’il est de leur nature d’être loués pour des raisons fonctionnelles et parce que la DPA qui leur correspond se rapproche raisonnablement de leur dépréciation ou, selon Me Meghji, parce qu’ils se trouvent sur la liste. Sincèrement, il ne s’agit pas vraiment d’une théorie sur l’objet et l’esprit, bien qu’il puisse s’agir d’une politique. Essayer d’approfondir la question dans le but de trouver un objectif plus éminent ne peut que nous mener sur le chemin des conjectures et de l’imagination; ni l’un ni l’autre ne constituent des bases solides pour cette politique[30].

 

[68]    En résumé, je voudrais ajuster l’énoncé de politique fait par le juge Noël, au sujet de la DPA, mentionné plus haut. Je prendrai en considération la particularité des règles sur les biens donnés en location à bail qui consiste à n’aborder que les biens exclus. L’objet et l’esprit des dispositions pertinentes visent à limiter l’application généreuse de la DPA, dans le cadre des conventions de financement par crédit‑bail, à une simple reconnaissance des capitaux investis dans l’acquisition de biens loués pour raisons de fonctionnalité et dont la DPA se rapproche raisonnablement de la dépréciation, tant que ces biens sont consommés dans le processus de production d’un revenu. Ladite consommation ne peut être déduite que du revenu de location. Certainement compliqué, mais on a saisi l’esprit restrictif des dispositions, ainsi l’objet d’exempter certains types de biens, pourvu qu’ils aient été acquis dans le cadre d’un financement à crédit‑bail. 

 

(3)(iii) Y a-t-il eu présence d’abus?

a)       En raison du fait que de vraies dépenses n’ont pas été engagées, à partir desquelles on pourrait réclamer la DPA

 

[69]    L’argument de l’intimée met l’accent sur l’exigence politique qu’il doit y avoir investissement de capitaux. La position de l’intimée est qu’il n’y avait simplement pas de risque, il n’y a eu que des échanges de papier et que, par conséquent, il n’y a pas eu d’investissements ni de dépenses monétaires – il n’y a pas eu de véritable coût économique. Accepter la position de l’intimée voudrait dire requalifier la forme et le fond juridiques de l’opération, dans le but de déterminer s’il y a eu de l’abus. Les dispositions de la RGAÉ ne peuvent pas être appliquées de cette façon.

 

[70]    La première étape de cet examen est de déterminer quel a été le coût réputé aux fins fiscales, sans prendre la RGAÉ en considération. Le coût doit‑il être déterminé en se fondant sur la notion du véritable coût économique? Le juge Le Dain a déclaré ceci dans l’affaire Gelber[31] :

 

[…] À mon avis, ce n’est pas parce que l’acheteur d’un bien quelconque exige comme condition de l’achat la cession‑bail du bien au vendeur de manière à s’assurer d’un revenu correspondant au montant de l’investissement et d’un rendement sur cet investissement, que le prix d’achat n’est pas le véritable coût en capital du bien. À moins que la Loi ou son règlement d’application ne disent le contraire, le degré du risque auquel un investissement est exposé n’est pas un critère dont on peut à bon droit se servir en déterminant le coût en capital.

 

L’on n’a pas invoqué de décision judiciaire qui annulerait cette conclusion. En effet, bien qu’aucune des parties n’ait fait mention du récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Singleton c. R.[32], il a été confirmé que le critère de la véritable fin économique, dans le cadre du sous‑alinéa 20(1)c)(i), n’est pas le critère juridique exact. La Cour suprême du Canada, en termes sans équivoque, s’est fondée sur la déclaration de la juge McLachlin dans l’arrêt Shell Canada Ltée c. Canada[33] disant ceci :

 

 

[…]    notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe‑l'œil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale […]

 

Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la « réalité économique » d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée.

 

 

[71]    Il est remarquable que la Cour suprême du Canada ait déclaré : « en l'absence d'une disposition expresse contraire […] les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés ». Il y a plusieurs dispositions précises dans la Loi qui exigent une enquête du facteur économique des circonstances : les dispositions portant sur les sociétés en commandite à risques, celles portant sur les abris fiscaux, les dispositions portant sur les dettes à recours limité et celles sur les abris fiscaux dans le cadre de l’industrie des logiciels. Il n’y a pas de disposition législative précise exigeant que le coût soit déterminé par application du critère de la réalité économique, pour pouvoir appliquer le régime de la DPA de la Loi dans le cadre des conventions du type d’un contrat de cession‑bail. 

 

[72]    Il n’y a pas d’incertitude quant au rapport de droit qui découle de l’acquisition de l’équipement par l’appelante. Il y a eu un versement de 120 millions de dollars pour l’équipement à TLI, fait en partie avec des capitaux d’emprunt et en partie avec les fonds de l’appelante. Il n’y a pas de preuves suggérant que l’argent n’ait pas été payé. Également, la preuve démontre que l’appelante est devenue propriétaire de l’équipement. Par la suite, elle a loué l’équipement à MAIL. Les documents reflétant ces opérations sont mortellement méticuleux.

 

[73]    Ce n’est pas le véritable coût économique, mais le coût juridique qui est déterminant. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je détermine si l’intimée a raison de dire dans sa cotisation que le véritable coût économique en l’instance est de zéro. Je dirai cependant que dans la formulation de ma conclusion, il ne faut pas lire implicitement que j’accepte l’évaluation de l’intimée sur ce point. Je détermine que le coût s’élève à 120 millions de dollars.

 

[74]    La deuxième étape consiste à déterminer si la RGAÉ peut être appliquée pour requalifier le coût dans le but de déterminer s’il y a eu abus. Comme je l’ai mentionné plus haut, ce serait une application erronée de la RGAÉ.

 

[75]    L’intimée se fonde sur la déclaration du juge Bonner dans l’affaire McNichol[34] qui est ainsi formulée :

 

[…] Il ressort de l’article 245 dans son ensemble, et en particulier de l’alinéa 245(5)c), que la disposition vise entre autres à contrecarrer les opérations qui violent la Loi en tirant parti de la différence qui existe entre l’effet de l’opération, considéré d’une façon réaliste, et son effet apparent, compte tenu uniquement de sa forme juridique. Pour l’application de l’article 245, on ne saurait qualifier une opération en se fondant uniquement sur sa forme. Je dois donc conclure que l’article 245 de la Loi s’applique à la présente opération.

 

ainsi que sur son approbation des propos du juge en chef adjoint Bowman dans la décision RMM[35] :

 

Je me contenterais d'ajouter que la Loi, considérée dans son ensemble, prévoit que la répartition du surplus d'entreprise entre les actionnaires doit être imposée à titre de paiement de dividendes.  Une opération qui est par ailleurs dépourvue de tout objectif commercial, et dont le but réel est de dépouiller le surplus de l'entreprise et d'éviter les conséquences ordinaires de pareille répartition, constitue un abus de la Loi dans son ensemble.

 

[76]    L’interprétation de ces déclarations proposée par l’intimée et qui semble mener au postulat que la RGAÉ permet d’effectuer une requalification pour déterminer la présence d’abus, consiste en une lecture exagérément exaltée. Le juge Bonner se réfère spécifiquement au paragraphe 245(5)c) ainsi qu’à l’effet de l’opération. Cela vaut la peine de rappeler ici le paragraphe 245(5)c) :

 

(5)        Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement :

 

            [...]

 

c)         la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

 

Alors, oui, on permet la requalification, mais seulement au moment de la détermination des conséquences fiscales et non au moment de déterminer s’il y a eu de l’abus. L’effet de l’opération doit être en relation avec les conséquences fiscales, et non à la détermination de la présence d’abus.

 

[77]    La RGAÉ ne doit pas être appliquée à la légère. On ne devrait pas permettre la requalification d’une opération pour déterminer si elle est abusive après avoir été requalifiée. L’opération doit être analysée dans son cadre juridique, et seulement si l’on conclut à la présence d’abus, alors il faut la requalifier pour déterminer les conséquences fiscales raisonnables. Voilà ce que prévoient  les dispositions de la RGAÉ: Y a‑t‑il avantage fiscal? Y a‑t‑il un objectif principal autre que celui de profiter de cet avantage? Et puis, l’opération d’évitement a‑t‑elle donné lieu à des abus? Toutes ces questions exigent une enquête au sujet de l’opération, de l’acte juridique, qui est autrement conforme à toutes les autres dispositions de la Loi

 

[78]    À l’appui de cette conclusion, on peut citer la décision Canadien Pacifique où le juge Sexton a déclaré ceci[36] :

 

Cela ne signifie pas qu'il ne peut y avoir nouvelle qualification. La nouvelle qualification d'une opération est expressément autorisée par l'article 245, mais uniquement après qu'il a été établi qu'il y a eu opération d'évitement et qu'il y aurait par ailleurs abus. Une opération ne peut être définie comme quelque chose qu'elle n'est pas, et elle ne peut non plus être requalifiée de manière à devenir une opération d'évitement.

 

[79]    Je rejette l’argument de l’intimée que le coût est nul. Il y a eu un investissement de 120 millions de dollars, donnant lieu à un coût de 120 millions de dollars. La demande de la DPA pour cette dépense n’a pas donné lieu à des abus. 

 

(3)(iii)b)       En raison du fait que l’opération n’a pas eu lieu dans le cadre d’une convention de financement

 

[80]    Si l’on rappelle la politique, il y est gravé une exigence sous-jacente voulant que l’opération constitue quelque type de financement. La position de l’intimée est que l’opération n’était simplement pas un moyen d’offrir du financement à TLI, si l’on analyse le déplacement des fonds. Selon l’appelante, ce que TLI fait avec son argent ne devrait pas avoir d’incidence sur la question de savoir si elle a reçu du financement.

 

[81]    Cet argument n’est pas similaire au postulat que le coût a été nul, puisqu’il ne s’agit pas de requalifier la régularité de la situation, mais plutôt de qualifier le caractère de l’opération dès le départ. Il y a eu quelques débats sur la question de savoir à partir de quelle perspective on devrait aborder ce problème : la perspective de l’appelante ou celle de TLI? Je suggère un examen minutieux à partir des deux points de vue et qui s’étend même au‑delà. Par exemple, comment les autres parties à l’opération percevaient‑elles l’affaire?

 

[82]    Il faut examiner le critère de comparaison théorique, la cession‑bail ordinaire de biens exclus, dans un tel contexte. Un contrat de cession‑bail de biens exclus transforme les biens immobilisés du vendeur en liquide, tout en permettant au vendeur de conserver le contrôle opérationnel des biens, grâce au bail. Il s’agit d’une méthode qui permet le financement des entreprises à un taux beaucoup plus favorable que le taux des prêteurs ordinaires. Ce type de financement se trouve dans le champ d’application de la politique. Voilà pourquoi le contrat de cession‑bail n’est pas assujetti à la RGAÉ.

 

[83]    L’opération en l’espèce en diffère‑t‑elle considérablement? Ce n’est pas le cas. Si on l’étudie d’abord du point de vue de l’appelante, de quoi s’agit‑il? L’appelante se consacre au placement de capitaux. À cette époque, il s’agissait de l’opération la plus importante des Services financiers CT Inc. Elle a été constituée et poursuivait ses opérations sous le régime de la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt. Dans son rapport annuel de 1996, sous la rubrique intitulée « Prêts », on peut lire la description suivante[37] :

 

[traduction]

 

Canada Trust détient un portefeuille diversifié de prêts hypothécaires résidentiels et offre une vaste gamme de mécanismes de crédit aux consommateurs et aux petites entreprises, notamment la carte MasterCard. Canada Trust détient aussi un portefeuille de prêts et de baux octroyés à des organismes gouvernementaux et à des grandes sociétés. Canada Trust n’a pas l’intention d’augmenter le volume en ce type d’investissements et, depuis 1995, on a diminué graduellement l’ampleur du portefeuille existant. Au moyen d’opérations du marché monétaire, l’on investit des fonds dans d’investissements à court terme, on gère les liquidités et on maintient les soldes de règlement avec la Banque du Canada.

 

[84]    L’intimée s’est penchée sur la tendance à réduire le portefeuille d’investissements en location. Cependant, en déterminant le domaine d’affaires de l’appelante, je ne conclus pas qu’elle avait abandonné complètement le financement locatif. En effet, je conclus que l’appelante était dans le domaine du financement. Voilà le domaine auquel elle se consacrait.

 

[85]    Selon M. Lough, l’appelante cherchait un investissement en location d’environ 100 millions de dollars, soit la possibilité d’offrir un financement de 100 millions de dollars sous la couverture d’un bail. Et bien sûr, il a voulu s’assurer que l’équipement était constitué de biens exclus, car cela permettrait à la société de jouir des avantages fiscaux prévus par la Loi. L’impôt était au cœur de l’affaire, mais il s’agissait d’une affaire de financement. L’appelante allait en tirer un bon rendement, un rendement supérieur à beaucoup d’autres types d’investissement. Le fait que l’appelante ait emprunté une somme considérable à la Banque Royale pour financer TLI ne change pas le caractère de l’acquisition de l’équipement : il s’agit d’une convention de financement et non d’autre chose. Comme M. Lough l’a signalé, il y a eu incidence sur la conformité de l’appelante aux normes de fonds propres, mais non sur l’équipement acheté ou loué.

 

[86]    De façon similaire, du point de vue de l’appelante : L’utilisation des fonds par TLI, quel effet a‑t‑elle eu sur le caractère de la transaction en tant que transaction de financement? Aucun. En fin de compte, il y a eu diminution du risque, mais une société consacrée au financement doit normalement prendre des mesures pour réduire ses risques. Cela ne veut pas dire qu’elle n’est plus dans le domaine du financement. Du point de vue de l’appelante, d’après les mesures prises pour analyser la présente opération, pour la faire évaluer par le Comité du crédit et par le conseil d’administration, et en bout de ligne la mettre en œuvre, il est impossible de la différencier d’un contrat de cession‑bail ordinaire en ce qui concerne sa qualification de convention de financement par crédit‑bail.

 

[87]    Si l’on passe au point de vue de TLI, qu’a‑t‑elle obtenu? Elle a obtenu 120 millions de dollars qui lui ont permis de satisfaire pleinement à ses obligations de location, et elle a gagné un montant d’environ 3,6 millions de dollars que M. Lough a désigné comme la valeur nette actualisée de TLI. Le fait qu’elle a décidé à l’avance de payer le bail avec anticipation ne signifie pas qu’elle n’a pas reçu les capitaux au moyen d’un type de financement : ses actifs ont été transformés en liquide. Aucun représentant de TLI n’a témoigné que d’autres possibilités d’utilisation des fonds aient été explorées. Et je ne sais combien cela pourra leur être utile, puisqu’il reste toujours le fait que TLI a effectué le paiement anticipatoire et que ce dernier constituait une initiative de TLI et non de l’appelante. En tant que décision de TLI, ce n’est pas difficile de présumer qu’il était dans le meilleur intérêt de TLI de la prendre. TLI a obtenu les fonds de l’appelante et les a utilisés d’une manière rentable. Cela ne me donne pas à penser que le caractère du financement ait changé parce que cette manière à réduit le risque subi par l’appelante dans le cadre de la transaction. 

 

[88]    Puis en dernier lieu : quel est le point de vue des autres parties? La perspective la plus révélatrice était celle de la Banque Royale. D’abord, dans son sommaire de l’opération, elle désigne la transaction ainsi : Opération canadienne de crédit-bail transnational à levier, permettant la réduction d’impôts (Canadian Cross‑Border Leverage Tax Lease). L’utilisation des termes [traduction] « levier » et « location » suggère une convention de financement par crédit‑bail. Je fais référence aux extraits de la demande d’opération, aux paragraphes 12 et 13, notamment au document de la Banque Royale, sous la rubrique [traduction] « Objectif » qui mentionne la diminution du taux de financement de TLI. On y mentionne aussi que TLI peut augmenter son profit en payant à l’avance les frais de location. De toute évidence, la Banque Royale estime qu’il s’agit d’un bon contrat de financement pour TLI. La Banque Royale réaffirme sa position lorsqu’elle décrit la structure de l’affaire en mentionnant de nouveau la réduction du coût de financement pour TLI. Certainement, du point de vue de la Banque Royale, TLI a fait l’objet d’un financement.

 

[89]    Je conclus que l’opération ne diffère pas d’une cession-bail ordinaire au point de se trouver hors de l’objet et de l’esprit des dispositions pertinentes de la Loi. La politique s’applique aux conventions de financement par crédit‑bail, et voilà ce que nous avons en l’instance. Tous les éléments de la politique ont été satisfaits : il y a eu convention de financement par crédit‑bail, investissement de capitaux, acquisition de biens exclus, consommation desdits biens pendant le processus de production de revenus, ainsi que l’application de la DPA uniquement aux revenus de location. Je conclus qu’il n’y a pas eu d’abus en ce qui concerne les dispositions de la DPA, particulièrement les dispositions régissant les biens donnés en location à bail et les biens donnés en location à bail déterminés.

 

[90]    Y a‑t‑il eu abus dans l’application des dispositions de la Loi lues dans leur ensemble? Que voulait dire le législateur par « dispositions de la Loi lues dans leur ensemble »? Cela deviendrait rapidement un exercice absurde que d’essayer d’identifier une politique claire et non équivoque de la Loi dans son ensemble. Il s’agit d’une pléthore de politiques, certaines empiétant sur les autres, certaines aussi amples que la production d’un revenu, certaines très pointues et d’autres même contradictoires. En l’espèce, on examine un élément précis du régime de la DPA. Je ne conclus pas à la présence d’abus à ce niveau. Le juge Rothstein n’a pas conclu à la présence d’abus dans le cadre d’une disposition particulière (paragraphe 18(13)) de la Loi dans l’affaire OSFC; il a cependant jugé qu’il y avait eu abus d’une politique supérieure qui s’oppose au trafic des pertes. Je ne puis tirer une conclusion semblable en l’espèce. Telle qu’elle est formulée, la politique incorpore déjà la politique plus générale du régime de la DPA. Effectivement, l’analyse de la possibilité d’abus dans l’application des dispositions précises et l’analyse de la possibilité d’abus dans l’application des dispositions de la Loi lues dans leur ensemble sont indissociables. Cela découle de la définition de la politique. Je conclus qu’il n’y a pas eu d’abus.

 

[91]    Ce qui ressort de cette analyse est la difficulté et le risque de décider de questions fiscales en se fondant sur la politique. Certainement, la RGAÉ suggère une telle approche. De plus, la Cour d’appel fédérale a précisé que la seule manière de déterminer la présence d’abus est de partir de la définition d’une politique claire et non équivoque : pas de politique claire et non équivoque, pas d’application de la RGAÉ. Mais, à quel niveau doit-on chercher la politique? Et puis, comme nous l’avons mentionné plus haut, les expressions « politique », « objet et esprit », « utilisation prévue » ont‑ils tous la même signification? Trouve‑t‑on une volonté politique sous-jacente à chaque disposition? sous‑jacente à un régime composé de plusieurs dispositions? sous‑jacente à la Loi même? La politique, est‑elle fiscale? La politique, est‑elle économique? La politique, n’est‑elle qu’une régurgitation des règles? La définition de la politique exige‑t‑elle de s’approfondir davantage dans la raison d’être de ces règles? De combien doit‑on s’approfondir? Le fait que l’applicabilité ou la non‑applicabilité de la RGAÉ dépend de la détermination de la Cour d’une politique claire et non équivoque entraîne inévitablement un certain degré d’incertitude. Il s’agit simplement du caractère des dispositions de la RGAÉ qui se fondent sur des termes comme « abus ». Comme beaucoup de personnes l’ont mentionné dans le passé, cette législation fiscale doit être appliquée avec la plus grande précaution, puisqu’elle enjoint la Cour à déterminer les intentions du gouvernement et à se fonder sur cette détermination pour écarter la législation. Cette démarche est totalement différente de l’approche traditionnelle de l’interprétation législative qui prône la détermination des  politiques pour aider le tribunal à comprendre la loi. Sous le régime de la RGAÉ, la politique a le pouvoir d’écarter la législation.

 

[92]    Tout compte fait, je ne suis pas convaincu que cette opération ne porte violemment atteinte à l’objet et à l’esprit de la législation. Il n’y a pas de présence d’abus. À la suite de mes conclusions, il n’est pas nécessaire d’aborder la question des conséquences raisonnables qui en découlent pour justifier le refus de l’avantage fiscal.

 

Conclusion

 

[93]    L’appelante a obtenu un avantage fiscal sous la forme d’un report d’impôt, dans le cadre d’une opération entreprise principalement dans le but d’obtenir ledit avantage, une opération d’évitement. Pour autant que l’intimée soit insatisfaite du résultat économique, la réclamation de l’avantage fiscal faite par l’appelante en l’espèce ne va pas à l’encontre de la politique gouvernementale qui consiste à permettre la DPA dans le cadre de biens exclus acquis par un vendeur, dans les cas où l’acheteur‑donneur à bail offre du financement au vendeur‑preneur à bail. Il s’agit d’un de ces paradoxes où la complexité exagérée de la série d’opérations entre de nombreuses parties vous agace le nez, si l’on se base sur le critère le moins scientifique connu, désigné en jargon fiscal comme le flair. Pourtant la législation et la jurisprudence orientent l’analyse vers un chemin plus structuré et plus sûr que l’intuition, et ils nous amènent vers le domaine de la raison qui, bien que moins précise, constitue le ressort de la politique où se situe le débat ou plutôt la guerre, à propos de la RGAÉ. En suivant cette approche, je conclus que cette opération d’évitement n’est pas du ressort de la RGAÉ. Pour ce motif, je déferre la question au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation. L’appelante a droit à ses dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2003.

 

 

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 29jour de mars 2004.

 

 

 

 

 

Ingrid B. Miranda, traductrice

 


Annexe A

 

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Annexe « B »

 



[1]           Voir OSFC Holdings Ltd. c. La Reine, [2002] 2 C.F. 288 et Water's Edge Villa Estates (Phase II) Ltd. c. Canada, [2002] A.C.F. n1031.

[2]           Voir la colonne 3 de l’annexe « A ».

[3]           Voir la colonne 5 de l’annexe « A » : montant liquide après avoir payé le prêt (33 541 540 $) moins l’investissement de l’appelante (24 985 541 $) produit le rendement approximatif de 8,5 millions de dollars, auquel M. Lough fait référence.

[4]           Ces communications portent sur les possibilités de répercussions positives relativement aux normes de la BSIF sur le TAC (ratio du total des actifs par rapport au capital) et sur la BRI (Banque des règlements Internationaux).

[5]           Pièce D‑6.

[6]           Pièce R‑6, diagramme.

[7]           Pièce R‑6, Pièce « A », page 2.

[8]           Pièce R‑6, Pièce « A », page 3.

[9]           C.C.I., no 98‑1340(IT)G, 23 mars 2001 (2001 DTC 621).

[10]          C.C.I., no 98‑1946(IT)G, 23 mars 2001 (2001 CarswellNat 1126).

[11]          Voir le recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante, onglet 10, ainsi que les observations écrites, à la page 16.

[12]          Voir le recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante, onglet 13, page 46, ainsi que les observations écrites, à la page 19.

[13]          C.A.F., nA‑701‑00, 21 décembre 2001 (2002 DTC 6742), à la page 6750.

[14]          (C.F. 1re inst.), nT‑5370‑79, 24 septembre 1982 (82 DTC 6300).

[15]          (C.F. 1re inst.), nT‑189‑77, 27 octobre 1980 (80 DTC 6369), confirmée par C.A.F., nA‑790‑80, 3 juin 1983 (83 DTC 5385), à la page 5387.

[16]          88 DTC 6427, confirmée par C.A.F., nA‑997‑88, 10 mai 1991 (91 DTC 5360).

[17]          59 TC 196 (H.L.).

[18]          [1979] 2 R.C.S. 1016; [1981] 1 R.C.S. 312.

[19]          (C.F. 1re inst.), nT‑1452‑87, 25 septembre 1987 ((1987) 15 F.T.R. 268).

[20]          Observations écrites de l’intimée, paragraphe 68.

[21]          Observations écrites de l’intimée, paragraphe 69.

[22]          C.C.I., nos 94‑1577(IT)G, 94‑1578(IT)G, 94‑1579(IT)G, 94‑1667(IT)G, 17 janvier 1997 (97 DTC 111).

[23]          C.C.I., nos 94‑1732(IT)G, 94‑1753(IT)G, 10 avril 1997 (97 DTC 302).

[24]          Onglet 8, recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante.

[25]          Voir l’annexe « A », colonne 11. Ceci démontre comment l’investissement acquiert une valeur négative, en raison, principalement, de l’effet de l’abri fiscal causé par la DPA. L’économie d’impôt, figurant à la colonne 8, augmente directement l’investissement négatif à la colonne 11, et l’abri fiscal à la colonne 8 découle de la DPA à la colonne 6.

 

[26]          L’exemple du REER est bon car il présente des caractéristiques similaires à l’opération en l’espèce, en ce que les avantages fiscaux et le rendement des opérations sont inséparables. Les contribuables versent‑ils des cotisations au REER pour planifier leur retraite ou pour économiser des impôts? Ils réalisent les deux objectifs. Cependant, si l’on peut démontrer que le dernier objectif est clairement prépondérant, alors il s’agit d’une opération d’évitement. Pourtant, déterminer le seuil d’abus serait tout un défi. Cet exemple illustre aussi la prépondérance potentielle de la RGAÉ et pourquoi on voit des pancartes disant « procéder avec circonspection » qui clignotent tout au long de la jurisprudence.

[27]          Recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante, onglet 10.

[28]          Recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante, onglet 13.

[29]          Recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelante, onglet 14.

[30]    Cela fait ressortir les insuffisances du langage au niveau de l’élaboration de règles définitives pour déterminer la présence d’abus. Est‑il nécessaire de définir une politique claire et non équivoque comme le recommande le juge Rothstein? Devrait‑on se concentrer davantage sur l’objet et l’esprit de la loi? S’agit‑il de la même analyse? Dans le cas contraire, cette dernière analyse demande‑t‑elle un examen plus approfondi? Ou alors, suffit‑il d’identifier l’objectif final pour conclure à la présence d’abus? Politique, objet et esprit, objectif final, signifient‑ils tous la même chose?

[31]          C.A.F., nA‑790‑80, 3 juin 1983 (83 DTC 5385), à la page 5387.

[32]          [2001] 2 R.C.S. 1046.

[33]          [1999] 3 R.C.S. 622.

[34]          Précitée, à la page 122.

[35]          Précitée, à la page 313.

[36]          Précitée, à 6750.

[37]          Pièce A‑1, onglet 1, Rapport annuel 1996.

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