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Date : 20030115

Dossier : 2000-3214(IT)G

ENTRE :

PAUL SOLOMONS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu le 7 janvier 2003 et jugement rendu oralement

le 10 janvier 2003 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions :

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Shatru Ghan

_______________________________________________________________

JUGEMENT

          Le prétendu appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1992 est annulé.

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 1993 est rejeté.


          Les dépens sont adjugés à l'intimée.

Signé à Ottawa (Canada), ce 15e jour de janvier 2003.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


Date : 20030115

Dossier : 2000-3214(IT)G

ENTRE :

PAUL SOLOMONS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]      M. Solomons en appelle de ses cotisations d'impôt pour les années 1992 et 1993. Il prétend pouvoir, lors du calcul de son revenu en vertu de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), déduire de son revenu une perte essuyée à l'égard d'un immeuble résidentiel qu'il avait acheté en 1989 et vendu en 1993. Pendant qu'il interrogeait son comptable, il est apparu clairement qu'il avait soumis des avis d'opposition pour 1992 et 1993, mais qu'il avait subséquemment retiré l'avis d'opposition pour 1992. Il n'a par conséquent aucun droit d'en appeler de la cotisation de 1992, et l'appel pour cette année doit être annulé.

[2]      Avant d'aborder le fond de l'appel pour 1993, je voudrais dire quelques mots au sujet de la demande d'ajournement faite par l'appelant au début du procès. L'appel a commencé le 19 juillet 2000, quand l'appelant a déposé un avis d'appel qu'il avait préparé et signé, apparemment sans bénéficier d'aide professionnelle. L'intimée a déposé une réponse le 20 septembre 2000, puis une liste de documents. Il semble que rien d'autre ne s'est passé jusqu'au 23 juillet 2002, quand le juge en chef adjoint Bowman, suite à une audience sur l'état de l'instance, a rendu une ordonnance établissant les délais pour la production des listes de documents et la tenue des interrogatoires préalables et fixant la date du procès au mardi 7 janvier 2003. L'après-midi du lundi 6 janvier 2003, le greffe de la Cour à Ottawa a reçu la lettre suivante télécopiée par un avocat de Toronto.

          [TRADUCTION]

L'appelant retiendra nos services aujourd'hui relativement à l'affaire susmentionnée, dont l'audience est prévue pour le 7 janvier 2003 à 9 h 30 à Toronto. L'appelant n'avait pas entièrement compris la nature de la procédure dans cette affaire et il ne s'est rendu compte que très récemment que l'absence d'un avocat à l'audience pourrait nuire à sa cause. Par conséquent, il a communiqué avec notre cabinet aussitôt qu'il a pu afin de retenir nos services.

Par conséquent, nous demandons respectueusement, au nom de l'appelant, un bref ajournement de l'audience dans cette affaire afin de nous donner un délai raisonnable pour préparer le dossier de l'appelant de manière adéquate. J'ai parlé à l'avocat de l'intimée [...] qui m'a fait savoir qu'il n'était pas opposé à notre demande d'ajournement. Je me permets de suggérer un ajournement jusqu'au début du mois de mai 2003, si possible.

Je vous remercie d'avance de votre coopération et de votre réponse en la matière.

Plus tard ce même après-midi, vers 16 h 55, l'avocat de l'intimée a télécopié la lettre suivante au greffe :

          [TRADUCTION]

Pour donner suite à ma conversation téléphonique avec vous, je consens à l'ajournement demandé par [l'avocat] si les frais de préparation du dossier sont accordés, ainsi que les frais de ma comparution demain si je dois comparaître.

[3]      Entre-temps, l'avocat avait été avisé que la demande d'ajournement devrait être présentée au juge qui présiderait le mardi matin à 9 h 30, le moment fixé pour le début du procès. Le mardi matin, l'appelant a comparu sans avocat pour demander l'ajournement du procès. En réponse à ma question concernant ce qui avait changé depuis que le juge en chef adjoint avait fixé la date du procès, il a seulement répondu qu'il avait été incapable de négocier le règlement de son appel.

[4]      J'ai refusé l'ajournement demandé malgré la position exprimée par l'avocat de l'intimée dans sa lettre du lundi après-midi. Le consentement de l'avocat de la partie adverse est certes un facteur à considérer quand il faut décider du sort à donner à une demande d'ajournement, mais il n'est pas déterminant[1]. J'ai également tenu compte des facteurs suivants : les services de l'avocat n'avaient pas encore été retenus, d'après sa lettre; la date du procès avait été fixée près de six mois auparavant; il ne s'était produit aucun événement nouveau empêchant l'appelant de préparer et de plaider sa cause, et l'appelant avait attendu l'après-midi la veille de la date du procès pour soulever la question d'engager un avocat et de demander un ajournement. Les ressources de cette cour, comme celles de la plupart des autres, sont à la fois limitées et coûteuses. Elles sont payées par le public. Comme l'a dit le juge d'appel Hugessen dans un contexte différent, dans l'affaire Adams c. Le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada[2] :

[...] Le temps est révolu où les tribunaux pouvaient accorder aux plaignants le luxe de se tenir à leur service. Les tribunaux, qui sont des institutions publiques chargées du règlement des litiges, nécessitent une dépense considérable de fonds publics. La congestion des tribunaux et les retards qui s'ensuivent constituent un grave problème pour le public. Aussi les parties qui engagent des procédures, à quelque niveau que ce soit, avec l'intention de les [TRADUCTION] « tenir en suspens » pour servir leurs propres fins pourront avoir à répondre de leur gaspillage et de leur abus d'une ressource publique. Elles s'exposent également au rejet de leur affaire.

[5]      Certains ajournements sont nécessaires dans l'intérêt de la justice pour cause de facteurs qui ne sont ni prévisibles, ni évitables. Les gens peuvent tomber malades, les témoins peuvent parfois justifier leur absence, d'autres procès peuvent empêcher les parties ou leur avocat de se présenter à l'heure fixée. Toutefois, il n'en est pas ainsi dans le cas présent. Je comprends qu'il y avait peut-être des négociations visant un règlement qui se sont poursuivies jusqu'à la fin de la semaine passée. Cela se produit souvent, mais il incombe aux parties et à leurs avocats d'être prêts à présenter leur cause à la date établie. C'est pour faciliter la tâche des avocats et des parties que cette cour fixe les dates des procès des mois à l'avance, afin de leur éviter d'avoir à comparaître très rapidement comme c'est le cas dans d'autres cours. Le revers de la médaille, c'est qu'ils doivent faire ce qu'il faut pour être prêts à la date fixée. Les parties qui décident de mener leurs propres affaires sans avocat dans l'espoir de parvenir à un règlement avant le procès s'exposent au risque d'avoir à comparaître sans avocat. Elles ne peuvent s'attendre à ce que la Cour leur accorde un ajournement, gaspillant ainsi les ressources de la Cour pour le temps alloué à leur cause, sous prétexte que les négociations en vue d'un règlement ont échoué. Cette cour a un arriéré considérable d'appels selon la procédure informelle qui attendent des dates d'audience à Toronto. On pourrait profiter de chaque journée gaspillée pour statuer sur trois ou quatre de ces affaires. La raison proposée par l'appelant pour demander l'ajournement de ce procès ne pèse pas lourd dans la balance, comparativement à l'intérêt public dans une utilisation efficace des ressources de la Cour, qui comprend notamment la fixation de dates d'audience pour les appelants dont la cause figure dans l'arriéré des affaires selon la procédure informelle. Je vais maintenant traiter du fond de l'affaire.

[6]      M. Solomons est un agent immobilier. En mai 1989, il a signé un contrat d'achat d'une résidence sise au 190, chemin Strathearn, à Toronto. La conclusion de l'achat était prévue pour le 14 juillet de la même année. Entre ces deux dates, il s'est rendu compte pour la première fois que le marché immobilier résidentiel à Toronto était sur le point de s'effondrer. À ce moment, il vivait dans une maison située au 20, rue Ross, dans laquelle il détenait une part avec deux autres personnes. Il avait prévu déménager pour s'installer dans la maison du chemin Strathearn. Toutefois, il s'est vite rendu compte qu'il n'aurait pas les moyens de vivre là, car l'affaissement du marché entraînerait une baisse des ventes et donc une réduction de son revenu pendant l'avenir prévisible. Il était obligé de conclure l'achat en juillet, mais il a tout de suite décidé de revendre la maison. Il a eu l'occasion de la louer pendant deux mois, et il l'a fait, mais aucun acheteur ne s'est présenté. Il a alors décidé que la maison ne se vendrait pas s'il n'y faisait pas quelques rénovations. Il s'y est donc installé au début d'octobre 1989 et a commencé ces rénovations, accordant des contrats à des gens de métier pour réaliser les travaux requis pendant qu'il habitait dans la maison. Il a choisi cette option plutôt que de continuer à vivre dans la maison de la rue Ross parce qu'il lui était plus facile de trouver un locataire pour ce logement que pour le 190, chemin Strathearn. M. Solomons a déclaré qu'il avait mis la maison du chemin Strathearn en vente en mai 1990 pour 588 000 $. Au cours des mois suivants, il a baissé le prix à plusieurs reprises, descendant à 499 000 $. À la fin de 1992, il est retourné vivre dans la maison de la rue Ross et il a loué la maison du chemin Strathearn à un locataire qui y a vécu jusqu'en août 1993. En 1993, il a réduit le prix demandé à 399 000 $, et il a vendu la maison en octobre de la même année pour 390 000 $.

[7]      Dans sa déclaration de revenus pour 1992, M. Solomons a affirmé pouvoir déclarer la maison du chemin Strathearn comme étant un bien en stock et pouvoir l'amortir au moindre du coût ou de la valeur marchande, créant ainsi une perte qu'il pourrait ensuite déduire lors du calcul de son revenu aux termes de l'article 3 de la Loi. Dans sa cotisation pour 1992, le ministre a refusé cette perte. Comme je l'ai dit, M. Solomons a produit un avis d'opposition de cette cotisation, mais il l'a ensuite retiré. Il a plutôt affirmé avoir droit de déduire une perte réalisée autre qu'une perte en capital en 1993, calculée à partir de la différence entre le prix de base rajusté de 534 900 $ en 1989 et le produit net de la vente en 1993, soit 379 233 $. Le ministre a également refusé cette déduction pour le motif que l'immeuble était un bien à usage personnel jusqu'au moment de sa location en janvier 1993. Le ministre a plutôt établi une cotisation à l'endroit de l'appelant en tenant compte du fait que l'immeuble était un bien à usage personnel depuis son acquisition en 1989 jusqu'à sa location en janvier 1993, qu'au moment du changement de l'usage il avait une juste valeur marchande de 402 888 $, et que la perte devait être ventilée entre l'édifice et le terrain à raison d'un rapport de 56 % à 44 %. Il a donc admis une perte finale de 13 247 $[3] et une perte en capital de 10 408 $[4]. On n'a pas contesté, lors du procès, la juste valeur marchande au 1er janvier 1993 et le produit de disposition sur lesquels le ministre s'est appuyé dans sa cotisation, non plus que le rapport entre la valeur de l'édifice et celle du terrain.

[8]      L'appelant a énoncé les questions en litige de la façon suivante à la partie (d) de son avis d'appel :

[TRADUCTION]

(d)         QUESTIONS EN LITIGE :

(1)         si le 190, chemin Strathearn était ou non un bien d'entreprise;

(2)         si le 190, chemin Strathearn est ou non considéré comme étant un bien en stock;

(3)                si le ministre a ou non fait preuve de la diligence voulue lorsqu'il a confirmé les cotisations de 1992 et 1993.

[9]      Je commencerai par la dernière question. Il est maintenant établi[5] que si un contribuable qui a déposé un avis d'opposition ne reçoit pas un avis de confirmation ou un avis de nouvelle cotisation « avec diligence » [6], son recours ne consiste pas à rester passif, subissant sans broncher tout le retard que le ministre peut lui infliger, puis à déclarer lors de l'appel l'emporter par forfait. Après un délai de 90 jours, il peut interjeter appel à cette cour pour faire aboutir l'affaire : voir le paragraphe 169(1) de la Loi. S'il ne le fait pas, il ne peut pas se plaindre du délai par la suite. Ce motif d'appel est dénué de mérite.

[10]     Les deux autres questions soulevées par l'avis d'appel peuvent être examinées ensemble, car elles nécessitent toutes deux un examen de la situation de la maison du chemin Strathearn à différentes occasions. Du témoignage de l'appelant, il ressort très clairement qu'il avait acheté cette maison pour y vivre. Rien dans son témoignage n'indique qu'il l'avait achetée avec l'intention de la revendre pour en tirer un bénéfice, de la louer ou de faire quoi que ce soit d'autre que d'y vivre. Arrivé le moment de conclure l'achat, il voulait la revendre, mais c'est seulement parce qu'il avait alors décidé qu'il ne pouvait pas se la payer. Cette maison était un bien à usage personnel, du moins du 1er octobre 1989 au 1er janvier 1993, quand il l'a louée à un locataire. La question de savoir si elle était ou non un bien à usage personnel pendant les deux mois où elle était louée en 1989 est dénuée de pertinence à l'égard du revenu de l'appelant en 1992 et en 1993. Quand M. Solomons a quitté la maison et l'a louée au début de 1993, il est réputé en avoir disposé et l'avoir aussitôt après acquise de nouveau pour 402 888 $, soit sa juste valeur marchande à l'époque : voir le paragraphe 45(1) de la Loi. Du 1er janvier 1993 au 22 octobre 1993, c'était pour lui un bien en immobilisation. Pendant cette période, la maison a baissé de valeur. L'édifice était un bien amortissable qui a donné lieu à une perte finale aux termes du paragraphe 20(16) de la Loi. Le terrain était un bien en immobilisation non amortissable qui a donc donné lieu à une perte en capital. Le calcul de ces montants par le ministre est exact.

[11]     L'appelant semble avoir supposé que puisqu'il voulait vendre la maison dès le moment où il a conclu l'achat en 1989 jusqu'au moment où il a réussi à la vendre en 1993, elle devait être considérée comme étant un bien en stock pendant cette période. Toutefois, il se trouvait exactement dans la même position que toute personne qui, ayant acheté une maison pour son usage personnel, décide qu'elle est au-dessus de ses moyens : il vendait un bien à usage personnel. Il n'avait jamais exploité une entreprise d'achat et de vente de maisons, et l'achat de cette maison n'était pas un projet comportant un risque de nature commerciale. Le fait qu'il était un agent immobilier ne change rien à cela.

[12]     Pendant l'audience, l'appelant a essayé de soulever la question d'une perte qu'il aurait subie à l'égard de sa participation dans la maison de la rue Ross. Toutefois, cette question n'a pas été mentionnée dans les actes de procédure et aucune preuve n'a été présentée à l'audience relativement à une telle perte. Aucune question ne ce genre n'a été formulée dans les actes de procédure et aucun témoin expert n'a produit et signifié de déclaration sous serment conformément à la règle 145. En outre, l'appelant n'a pas indiqué qu'il avait la moindre preuve de la valeur de son intérêt dans la maison de la rue Ross.

[13]     Pour ces motifs, l'appel visant l'année 1993 est rejeté. L'appel pour l'année 1992 est annulé, puisque l'avis d'opposition avait été retiré avant le dépôt de l'avis d'appel. Même si l'appel avait été valable, il s'ensuit que l'appel aurait été rejeté pour les mêmes motifs. Les dépens sont adjugés à l'intimée.

Signé à Ottawa (Canada), ce 15e jour de janvier 2003.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de septembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           À ce sujet, voir le jugement du juge en chef adjoint Bowman, de cette cour, dans l'affaire Helsi Construction Management Inc. c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., n ° 97-266(GST)I, 14 mars 2001, [2001] G.S.T.C. 39 aux paragraphes 2-3, et du juge en chef Isaac de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sidhu c. M.R.N., C.A.F., n ° A-679-93, 16 novembre 1994, 176 N.R. 156 au paragraphe 9.

[2]           C.A.F., n ° A-634-93, le 7 octobre 1994, 174 N.R. 314 au paragraphe 16.

[3]           (402 888 $ - 379 233 $) x 56 % = 13 247 $.

[4]           (402 888 $ - 379 233 $) x 44 % = 10 408 $.

[5]           Bolton c. Sa Majesté la Reine, C.A.F., n ° A-1-95, 11 juin 1996, 96 D.T.C. 6413.

[6]           Paragraphe 165(3) de la Loi.

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