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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2146(EI)

ENTRE :

EDWARD BERGEN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Allan Bergen (2001-2147(EI)) le 1er octobre 2001 à Saskatoon (Saskatchewan) par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Pour l'appelant :                                            L'appelant lui-même

Avocats de l'intimé :                                      Me Elaine Lee

Raj Sharma (stagiaire)


JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 5e jour de février 2002.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de septembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-2147(EI)

ENTRE :

ALLAN BERGEN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Edward Bergen (2001-2146(EI)) le 1er octobre 2001 à Saskatoon (Saskatchewan) par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Pour l'appelant :                                            L'appelant lui-même

Avocats de l'intimé :                                      Me Elaine Lee

Raj Sharma (stagiaire)


JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 5e jour de février 2002.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de septembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020205

Dossier: 2001-2146(EI)

ENTRE :

EDWARD BERGEN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossier: 2001-2147(EI)

ALLAN BERGEN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1]      Les présents appels ont été entendus sur preuve commune, avec le consentement des parties, le 1er octobre 2001, à Saskatoon, en Saskatchewan.

[2]      Les deux appelants ont interjeté appel des décisions rendues par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) le 2 mai 2001 selon lesquelles les emplois respectifs que les appelants ont exercés chez Peter Bergen Industries Inc. (la « société » ) du 1er janvier 1999 au 16 novembre 2000 étaient des emplois assurables aux termes de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi sur l'a.-e. » ) pour les raisons suivantes, qui sont les mêmes dans chaque cas, c'est-à-dire :

[traduction]

Vous avez été engagé aux termes d'un contrat de louage de services. De plus, le ministre est convaincu qu'un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu si vous n'aviez pas eu de lien de dépendance. Vous exerciez donc un emploi assurable.

Par implication, le ministre a accepté qu'en tant que personnes liées, les deux appelants n'étaient pas considérés comme ayant un lien de dépendance aux termes de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu et il a ensuite exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e.

[3]      On a indiqué que les décisions avaient été prises conformément à l'article 93 de la Loi sur l'a.-e. et qu'elles étaient fondées sur les alinéas 5(1)a), 5(2)i) et 5(3)b) de la Loi.

[4]      Les faits pertinents révèlent que les appelants contrôlaient au total 44 p. 100 des actions émises de la société par le truchement de leurs propres sociétés et que le 56 p. 100 restant des actions était détenu par d'autres membres de la famille par le truchement de leurs propres sociétés. La société exploitait une entreprise de fabrication d'équipement agricole. Par conséquent, en vertu de l'effet conjugué de l'article 251 de la Loi de l'impôt sur le revenu et des alinéas 5(2)i) et 6(3)a) de la Loi sur l'a.-e., leurs emplois, directeur général dans le cas d'Edward et directeur de l'exploitation dans le cas d'Allan, étaient automatiquement réputés ne pas être des emplois assurables, sous réserve de l'exception à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e. qui prévoit que l'employeur et l'employé sont présumés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre est convaincu de l'existence des divers critères énumérés dans cet article et qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire afin de leur faire franchir la porte, pour ainsi dire. Le ministre a prétendu le faire et ce sont ces décisions qui sont en litige dans les présents appels.

[5]      J'ai mentionné la nature de la situation sur laquelle je suis appelé à me prononcer dans la présente affaire dans la décision que j'ai rendue dans l'affaire Crawford & Company Ltd. c. M.R.N. (nos 98-407(UI), 98-537(UI) et 98-538(UI)). Je reprends ce que j'ai dit dans cette affaire puisque la présente affaire constitue encore un cas où le ministre a prétendu exercer son pouvoir discrétionnaire afin d'inclure des emplois dans le régime d'assurance-emploi alors que, dans le cours normal des choses, la loi les en aurait exclus.

[6]      On demande habituellement au ministre d'accorder l'accès au régime à des demandeurs de prestations pour le motif que l'exception devrait être appliquée. La Cour est constamment saisie d'appels du refus du ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire en leur faveur. En l'espèce, cependant, comme dans l'affaire Crawford, précitée, le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon anticipée afin d'inclure dans la portée du régime d'assurance-emploi des personnes qui, par l'effet de la loi, en seraient exclues. Par conséquent, par suite de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, on a exigé d'eux le paiement de cotisations. Je suis d'avis que la loi lui permet d'agir ainsi dans les circonstances appropriées, mais que cela est peu conforme à l'esprit des modifications qui ont été apportées à la Loi sur l'assurance-chômage en 1990, lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été accordé pour la première fois. À la Chambre des communes, le député André Plourde, s'exprimant pour le compte du gouvernement d'alors, a dit, au moment où les modifications à la Loi sur l'assurance-chômage ont été proposées, que le projet de loi C-21 contenait des dispositions visant à éliminer les restrictions injustes sur l'admissibilité aux prestations et que :

Toutes les modifications proposées dans le cadre du projet de loi C-21 visent essentiellement à rendre ce régime plus efficace et plus équitable, mais aussi à répondre aux besoins des travailleurs et travailleuses. (Voir Hansard, 7 juin 1989, Débats de la Chambre des communes, page 2722.)

[7]      Néanmoins, sur le plan de l'interprétation littérale du droit, je suis convaincu que le ministre a effectivement le pouvoir légal d'agir ainsi. Il n'appartient pas à la Cour de se mêler de questions de politiques, mais je signale quand même les différences qui existent entre cette nouvelle pratique, comme en témoignent ces affaires, et ce qui semblait être l'intention du législateur relativement à la disposition en question lorsqu'elle a été proposée, à savoir d'atténuer le préjudice et l'injustice dont seraient victimes des personnes liées ayant entre elles aucun lien de dépendance, qui seraient par ailleurs incapables de participer au régime. Personne n'a prétendu que cette disposition visait à donner au ministre le pouvoir de prendre au piège le plus grand nombre possible de personnes en exerçant son pouvoir discrétionnaire de façon anticipée.

[8]      En outre, l'interprétation qu'a faite le ministre de la disposition légale en cause semble injuste en soi puisque si les frères n'étaient pas liés à l'actionnaire majoritaire et que le ministre avait décidé que, dans les faits, ils n'avaient pas de lien de dépendance avec la société, ils auraient le droit d'interjeter un appel de novo à la Cour. Les choses étant ce qu'elles sont, parce qu'ils sont liés à l'actionnaire majoritaire et malgré le fait que la loi fondamentale les exclut du régime, ils y sont inclus malgré eux parce que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire et ils ne jouissent que d'un droit d'appel limité. En d'autres mots, leur droit d'appel est restreint par la retenue dont la Cour doit faire preuve à l'égard de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances de la présente affaire.

[9]      Si cette retenue et les droits d'appel limités semblent parfaitement logiques et justes lorsque des personnes qui sont essentiellement exclues par la loi tentent de profiter d'une exemption et que le législateur confie au ministre la responsabilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire, on ne peut en dire autant lorsque le ministre, par l'exercice de ce même pouvoir discrétionnaire, agit de façon anticipée et détermine que le régime s'applique à certaines personnes alors que celles-ci ne souhaitent pas y prendre part.

Le droit relatif à l'examen des décisions du ministre

[10]     Dans le cadre du régime établi par la Loi sur l'a.-e., le législateur a prévu que certains emplois sont assurables et donnent droit à des prestations lorsqu'ils prennent fin et que d'autres emplois, qui sont « exclus » , ne donnent droit à aucune prestation lorsqu'ils prennent fin. Les conventions d'emploi contractées par des personnes qui ont un lien de dépendance sont des « emplois exclus » . Des frères et des sociétés contrôlées par des personnes liées à eux sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance suivant le paragraphe 251(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui régit cette situation. Cette disposition légale avait manifestement pour but d'éviter au régime d'avoir à payer une multitude de prestations fondées sur des conventions d'emploi factices ou fictives; voir les observations de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Paul c. Ministre du Revenu national, no A-223-86, 27 octobre 1986, inédite, où le juge Hugessen a déclaré :

Nous sommes tous disposés à présumer, comme nous y invite l'avocat de l'appelante, que l'alinéa 3(2)c) de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, et le paragraphe 14a) du Règlement sur l'assurance-chômage visent entre autres à éviter les emplois abusifs de la Caisse d'assurance-chômage par la création de soi-disant rapports « employeur-employé » entre des personnes dont les rapports sont, de fait, très différents. Cet objectif se révèle tout à fait pertinent et rationnellement justifiable dans le cas des époux qui vivent ensemble maritalement. Mais même si, comme le soutient l'appelante, nous ne sommes en présence que d'époux légalement séparés et qui peuvent traiter entre eux sans lien de dépendance, la nature de leurs rapports en qualité de conjoints est telle qu'elle justifie, à notre avis, d'exclure de l'économie de la Loi l'emploi de l'un par l'autre.

[...]

            Nous n'écartons pas la possibilité que les dispositions susmentionnées aient d'autres objectifs, comme par exemple la décision conforme à une politique sociale visant à écarter du champ d'application de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage tous les emplois exercés au sein de l'unité familiale, comme l'a suggéré l'avocat de l'intimé.

[11]     La rigueur de cette disposition a toutefois été atténuée par l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e., lequel prévoit qu'un emploi dans le cas où l'employeur et l'employé sont des personnes liées est réputé être exercé sans lien de dépendance et peut donc être considéré comme un emploi assurable s'il remplit toutes les autres conditions, si le ministre est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance de travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu (en fait) un lien de dépendance.

[12]     Il pourrait être utile que je reformule la façon dont je comprends cet alinéa. Pour les personnes qui sont liées, la Loi exclut tout droit à des prestations d'assurance, à moins qu'on ne puisse convaincre le ministre que la convention d'emploi est la même qu'auraient conclue des personnes non liées, c'est-à-dire des personnes qui n'ont manifestement aucun lien de dépendance. Le législateur a jugé que, s'il s'agit d'un contrat de travail à peu près semblable, il devrait en toute équité être inclus dans le régime. Toutefois, c'est le ministre qui décide. Sauf s'il est convaincu qu'il y a lieu de l'inclure, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit à des prestations.

[13]     Le paragraphe 93(3) de la Loi sur l'a.-e. porte sur les appels au ministre et sur le règlement de questions par celui-ci. Il porte que :

Le ministre règle la question soulevée par l'appel ou la demande de révision dans les meilleurs délais et notifie le résultat aux personnes concernées.

[14]     Le ministre est donc tenu de régler la question. La Loi l'exige. Si le ministre n'est pas convaincu, l'emploi reste exclu et l'employé n'a pas droit aux prestations. Si toutefois il est convaincu, sans plus de cérémonie et sans prise d'aucune mesure par le ministre (sauf la communication de la décision), l'employé a droit à des prestations, pourvu qu'il remplisse les autres exigences. Il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire au sens que, si le ministre est convaincu, il lui est alors loisible de décider que l'emploi est assurable. Il doit « régler la question » et, selon ce qu'il décide, aux termes de la Loi l'emploi est réputé soit comporter un lien de dépendance, soit ne pas en comporter. En ce sens, le ministre n'a pas à proprement parler de pouvoir discrétionnaire à exercer car, en prenant sa décision, il doit agir de façon quasi judiciaire et il n'a pas le droit de faire le choix qui lui plaît. Il ressort des décisions de la Cour d'appel fédérale sur cette question que le critère qui s'applique est le même que celui qui s'applique à une multitude d'autres fonctionnaires qui prennent des décisions quasi judiciaires dans de nombreux domaines différents. Voir Tignish Auto Parts Inc. v. M.N.R., 185 N.R. 73, 25 Admin. L.R. (2d) 1, Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R., 178 N.R. 361, Procureur général du Canada c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187, 215 N.R. 352, 2 Admin. L.R. (3d) 152, et La Reine c. Bayside Drive-in Ltd. (1997), 218 N.R. 150.

[15]     Le rôle de ce tribunal est alors, en cas d'appel, de réviser la décision du ministre et de décider s'il l'a prise légalement, c'est-à-dire conformément à la Loi sur l'a.-e. et aux principes de la justice naturelle. Dans l'affaire La Reine c. Bayside et al., précitée, la Cour d'appel fédérale a relevé certains points à considérer par notre cour lorsqu'elle entend de tels appels. Ce sont les suivants :

(i)       le ministre a agi de mauvaise foi ou en s'appuyant sur un objectif ou un motif inapproprié;

(ii)      le ministre n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme il est expressément tenu de le faire aux termes du sous-alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage, maintenant le paragraphe 5(3) de la Loi sur l'a.-e.;

(iii)      le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[16]     La Cour d'appel fédérale a ensuite ajouté :

Ce n'est que si le ministre a commis une ou plusieurs de ces trois erreurs susceptibles de contrôle que l'on peut dire qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon contraire à la loi, et [...] que le juge de la Cour de l'impôt serait justifié de faire sa propre évaluation de la prépondérance des probabilités quant à savoir si les intimés auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre eux de lien de dépendance.

[17]     Je ne dois pas oublier, à l'examen de cette affaire, qu'il n'appartient pas à notre cour de substituer son opinion concernant la preuve à celle du ministre. Toutefois, si la façon dont ce dernier est arrivé à la décision était illégale à la lumière des jugements mentionnés ci-dessus, je pourrais ne pas tenir compte des parties concernées des faits énoncés et je devrai alors me demander s'il se dégage des faits qui restent des motifs justifiant la décision. Si ces motifs sont en soi suffisants pour que le ministre prenne une décision, même si la Cour pourrait ne pas l'agréer, la décision doit être maintenue. Si, par ailleurs, il ne reste plus rien sur lequel le ministre pourrait, d'un point de vue objectif et raisonnable, légalement fonder une telle décision, celle-ci peut alors être infirmée, et la Cour peut examiner la preuve qui lui a été présentée en appel et rendre sa propre décision.

[18]     Bref, si le ministre dispose de suffisamment de faits pour rendre sa décision, c'est à lui qu'il appartient de régler la question et, s'il n'est « pas convaincu » , il n'appartient pas à notre cour de substituer à celle du ministre sa propre opinion au sujet de ces faits et de dire que le ministre aurait dû être convaincu. De même, si le ministre était convaincu, il n'appartient pas à la Cour de substituer à celle du ministre sa propre opinion selon laquelle il n'aurait pas dû être convaincu (scénario peu probable de toute façon). C'est seulement si la décision est prise d'une manière inappropriée et qu'elle est déraisonnable d'un point de vue objectif, compte tenu des faits qui ont été légitimement présentés au ministre, que le tribunal peut intervenir.

[19]     Je puis m'appuyer à ce sujet sur un certain nombre de décisions de diverses Cours d'appel au Canada et de la Cour suprême du Canada dans des affaires connexes concernant diverses procédures relevant du Code criminel, décisions qui ont été examinées par la suite par les tribunaux et qui sont à mon avis analogues à la présente espèce. La norme de contrôle en ce qui concerne la validité d'un mandat de perquisition a été établie par le juge Cory (alors juge de la Cour d'appel) dans l'affaire Times Square Book Store, Re (1985), 21 C.C.C. (3d) 503, 48 C.R. (3d) 132 (C.A.), où il a dit qu'il n'appartient pas au juge qui fait le contrôle d'examiner ou de considérer de novo l'autorisation relative à un mandat de perquisition et que ledit juge ne saurait substituer sa propre opinion à celle du juge qui a accordé le mandat. Il s'agit plutôt, au stade du contrôle, de déterminer d'abord s'il existait ou non des éléments de preuve sur la foi desquels un juge de paix pouvait conclure, de façon judiciaire, qu'un mandat de perquisition devait être délivré.

[20]     La Cour d'appel de l'Ontario a repris et développé son point de vue dans l'affaire R. v. Church of Scientology of Toronto and Zaharia (1987), 31 C.C.C. (3d) 449 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée [1989] 1 R.C.S. vii. En indiquant que le tribunal faisant le contrôle devait examiner « l'ensemble des circonstances » , la Cour d'appel a affirmé à la page 492 :

[TRADUCTION]

Évidemment, s'il n'y a pas d'éléments de preuve sur lesquels appuyer une telle conviction (c'est-à-dire qu'une infraction criminelle a été commise), on ne peut dire que dans ces circonstances le juge de paix doit être convaincu. Il y aura cependant des cas où une telle preuve (établissant des motifs raisonnables) existera bel et bien et où le juge de paix pourrait être convaincu, mais où il ne le sera pas et n'exercera pas son pouvoir discrétionnaire pour délivrer un mandat de perquisition. Dans de telles circonstances, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix aurait dû être convaincu et qu'il aurait dû délivrer le mandat. De même, si le juge de paix dit dans de telles circonstances qu'il est convaincu et délivre le mandat, le juge qui fait le contrôle ne doit pas dire que le juge de paix n'aurait pas dû être convaincu.

[21]     La Cour suprême du Canada a entériné ce point de vue dans l'affaire R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421. Le regretté juge Sopinka, traitant de la question de la révision de la délivrance d'une autorisation d'écoute électronique, a affirmé à la p. 1452 :

[...] Bien que le juge qui exerce ce pouvoir relativement nouveau ne soit pas tenu de se conformer au critère de l'arrêt Wilson, il ne devrait pas réviser l'autorisation de novo. La façon appropriée est établie dans les motifs du juge Martin en l'espèce. Il affirme [...] :

            [TRADUCTION]

Si le juge du procès conclut, d'après les documents dont disposait le juge ayant accordé l'autorisation, qu'il n'existait aucun élément susceptible de le convaincre que les conditions préalables pour accorder l'autorisation existaient, il me semble alors que le juge du procès doit conclure que la fouille, la perquisition ou la saisie contrevient à l'art. 8 de la Charte.

Le juge qui siège en révision ne substitue pas son opinion à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Si, compte tenu du dossier dont disposait le juge qui a accordé l'autorisation et complété lors de la révision, le juge siégeant en révision, conclut que le juge qui a accordé l'autorisation pouvait le faire, il ne devrait pas intervenir. Dans ce processus, la fraude, la non-divulgation, la déclaration trompeuse et les nouveaux éléments de preuve sont tous des aspects pertinents, mais au lieu d'être nécessaires à la révision leur seul effet est d'aider à décider s'il existe encore un fondement quelconque à la décision du juge qui a accordé l'autorisation.

[22]     Cette approche semble avoir été adoptée par à peu près toutes les cours d'appel au pays. (Voir R. v. Jackson (1983), 9 C.C.C. (3d) 125 (C.A. C.-B.); R. v. Conrad et al. (1989), 99 A.R. 197; 79 Alta. L.R. (2d) 307; 51 C.C.C. (3d) 311 (C.A.); Hudon v. R. (1989), 74 Sask. R. 204 (C.A.); R. v. Turcotte (1987), 60 Sask. R. 289; [1988] 2 W.W.R. 97; 39 C.C.C. (3d) 193 (C.A.); R. v. Borowski (1990), 66 Man. R. (2d) 49; 57 C.C.C. (3d) 87 (C.A.); Bâtiments Fafard Inc. c. Canada (1991), 41 Q.A.C. 254; [1992] R.L. 91; J.E. 91-1611 (C.A.); Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général) et autres (1991), 68 D.L.R. (4th) 502; 104 N.B.R. (2d) 1; 261 A.P.R. 1; 55 C.C.C. (3d) 133 (C.A.); R. v. Carroll and Barker (1989), 88 N.S.R. (2d) 165; 225 A.P.R. 165; 47 C.C.C. (3d) 263 (C.A.); R. v. MacFarlane (1993), 100 Nfld. & P.E.I.R. 302; 318 A.P.R. 302; 76 C.C.C. (3d) 54 (C.A. Î.-P.-É.). Il me semble s'agir d'une approche très pertinente au contrôle de la décision du ministre, laquelle est une décision quasi judiciaire.

Le droit sur la question du lien de dépendance

[23]     Dans le régime établi en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, le législateur a prévu que certains emplois seraient assurables, c'est-à-dire qu'ils donneraient lieu au versement de prestations au moment de la cessation, et que d'autres ne seraient pas inclus et ne donneraient pas droit, au moment de la cessation, à des prestations. Un arrangement conclu par des personnes ayant un lien de dépendance est exclu. Il est manifeste que l'objet de cette loi est d'empêcher que, dans le cadre du système, on doive verser une multitude de prestations fondées sur des contrats de travail artificiels ou fictifs.

[24]     Les paragraphes 5(2) et 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi se lisent en partie comme suit :

                        5(2)       N'est pas un emploi assurable :

                        [...]

i)           l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance.

(3)         Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

a)          la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu;

[...]

[25]     L'alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit :

la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait. (Je souligne.)

[26]     Bien que la Loi de l'impôt sur le revenu précise que la question de savoir si des personnes n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait, cette question de fait doit être tranchée dans le cadre du droit et est en réalité une question mixte de droit et de fait; voir la décision rendue par le juge Bowman (tel était alors son titre) dans l'affaire R.M.M. Canadian Enterprises c. La Reine, C.C.I., no 94-1732(IT)G, 26 mai 1997,97 D.T.C. 302.

[27]     Le sens de l'expression « lien de dépendance » a été l'objet de nombreux examens judiciaires au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays du Commonwealth comme l'Australie, dont les lois fiscales renferment un libellé semblable. Le sens donné à cette expression dans des affaires de fiducie et de succession a peu de poids au Canada lors de l'interprétation de l'expression dans des lois fiscales; voir la décision rendue par le juge Locke dans l'affaire M.N.R. v. Sheldon's Engineering Ltd., [1955] R.C.S. 637, 55 D.T.C. 1110, [1955] 3 D.L.R. 801.

[28]     Dans l'examen de la signification de l'expression « lien de dépendance » , il ne faut pas perdre de vue les termes que j'ai précédemment soulignés, soit « n'avaient aucun lien de dépendance à un moment donné » . Au Canada, comme le fait remarquer le juge Bowman dans l'affaire R.M.M., précitée, la jurisprudence a eu tendance à insister sur la nature de la relation plutôt que sur la nature des opérations. Je ne suis pas certain que, vu l'inclusion de ces termes dans la loi, cette approche soit nécessairement la seule qui puisse être adoptée, car procéder de la sorte, c'est faire fi de ces termes plutôt pertinents auxquels une signification doit assurément être attribuée. Cette évolution tient peut-être aux situations factuelles considérées dans certains des principaux arrêts faisant jurisprudence au Canada. Il s'agissait habituellement d'une personne (morale ou physique) qui contrôlait les deux parties à une opération particulière. Ainsi, bien que l'opération ait pu s'apparenter à une opération commerciale ordinaire conclue par des personnes sans lien de dépendance, cela n'a pas été suffisant en soi pour que l'opération soit jugée comme n'entrant pas dans la catégorie des opérations conclues par des personnes sans lien de dépendance; voir par exemple l'affaire Société de banque suisse c. M.R.N., [1974] R.C.S. 1144, 31 D.L.R. (3d) 1, 72 D.T.C. 6470 (C.S.C.).

[29]     En fait, ce que disent ces jugements, c'est que si une personne transfère de l'argent d'une de ses poches à une autre, même si elle le fait dans le cadre d'une opération commerciale ordinaire, il s'agit malgré tout d'une opération avec elle-même, et l'opération demeure, de par sa nature, une opération où il y a un « lien de dépendance » .

[30]     Cependant, le simple fait que ces causes faisant jurisprudence comportaient de telles situations de fait ne signifie pas que des personnes qui sont habituellement dans une relation où il y a un lien de dépendance ne peuvent en fait n'avoir aucun lien de dépendance à un moment donné, pas plus que cela ne signifie que des personnes n'ayant ordinairement aucun lien de dépendance ne pourraient de temps à autre avoir un lien de dépendance. Ces causes sont tout simplement des exemples de ce qu'est un lien de dépendance; elles ne définissent pas en termes positifs ce qu'est une opération où il n'y a pas de lien de dépendance. Ainsi, au bout du compte, tous les faits doivent être pris en considération, et tous les critères pertinents énoncés dans la jurisprudence doivent être appliqués.

[31]     La notion de « lien de dépendance » a été examinée par le juge Bonner dans l'affaire William J. McNichol et al. v. The Queen, C.C.I., no 94-1577(IT)G, 17 janvier 1977, 97 D.T.C. 111, dans laquelle il disait, aux pages 13-16 (D.T.C. : aux pages 117 et 118) :

On utilise communément trois critères pour déterminer si les parties à une opération ont entre elles un lien de dépendance. Il s'agit des critères suivants :

a)    l'existence d'une même personne qui dirige les négociations de deux parties à une transaction,

b) les parties à une transaction agissent de concert et n'ont pas d'intérêts distincts, et

c)    le contrôle « de facto » (réel).

[...]

En second lieu, la décision que le juge Cattanach a rendue dans l'affaire M.N.R. v. T R Merritt Estate est également utile. Aux pages 5165-5166, voici ce que le juge a dit :

[TRADUCTION]

            Selon moi, le principe fondamental sur lequel se fonde la présente analyse est le suivant : lorsque les négociations menées au nom de chacune des deux parties au contrat sont en fait dirigées par le même « cerveau » , on ne peut dire que les parties traitent à distance. En d'autres termes, lorsque la preuve révèle que la même personne « dictait » les « conditions de la transaction » au nom de chacune des deux parties, on ne peut dire que les parties traitaient à distance.

            [...]

Enfin, il est à noter que l'existence d'une relation sans lien de dépendance est exclue si l'une des parties à l'opération en cause exerce un contrôle de fait sur l'autre. À cet égard, on peut mentionner la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Robson Leather Company Ltd. v. M.N.R., 77 DTC 5106.

[32]     Cette approche a également été adoptée par le juge Cullen dans l'affaire Peter Cundill & Associates Ltd. v. The Queen, C.F. 1re inst., no T-2656-89, 14 janvier 1991, [1991] 1 C.T.C. 197, 91 D.T.C. 5085, dans laquelle il disait, à la page 12 (C.T.C. : à la page 203) :

La question de savoir si les parties en l'espèce n'avaient aucun lien de dépendance est une question qui doit être examinée selon les propres faits particuliers de l'affaire.

[33]     Bon nombre de ces causes, comme je l'ai dit, se fondent sur la relation existant entre les parties, qui a été jugée être absolument concluante. On y trouve peu d'indications claires lorsqu'il faut considérer la nature de l'opération elle-même. Cette question a toutefois été abordée, bien succinctement, par la Cour fédérale de l'Australie dans l'affaire Re The Trustee for the Estate of the late A.W. Furse, 91 ATC 4007/21, ATR 1123. À propos d'une loi semblable de ce pays, le juge Hill disait :

[TRADUCTION]

            En ce qui a trait au problème en cause, il y a deux questions à trancher en vertu du paragraphe 102AG(3). La première est de savoir si les parties à la convention pertinente n'avaient, en ce qui concerne la convention, aucun lien de dépendance. La seconde est de savoir si le montant du revenu imposable pertinent est supérieur au montant appelé « montant en cas d'absence de lien de dépendance » dans ce paragraphe.

On ne doit pas trancher la première des deux questions uniquement en se demandant si les parties à la convention pertinente n'avaient entre elles aucun lien de dépendance. Dans ce paragraphe, l'accent est plutôt mis sur la question de savoir si ces parties, en ce qui concerne la convention, n'avaient pas de lien de dépendance. Le fait que les parties elles-mêmes aient un lien de dépendance ne signifie pas qu'elles ne peuvent, à l'égard d'une opération particulière, ne pas avoir de lien de dépendance.Cela ne veut pas dire que la relation entre les parties n'est pas pertinente à la question à trancher au regard du paragraphe [...] (Je souligne.)

[34]     Le juge Bowman de notre cour a fait allusion à ce type de situation dans l'affaire R.M.M., précitée, aux pages 23-24 (D.T.C. : à la page 311) :

            Je ne crois pas que, dans tous les cas, du simple fait qu'une relation mandant-mandataire existe entre des personnes, ces dernières ont nécessairement entre elles un lien de dépendance au sens de la Loi. Je ne crois pas non plus que si l'on retient les services de quelqu'un pour accomplir une tâche particulière et qu'on verse à cette personne une rémunération pour fournir le service, cela veut nécessairement dire qu'une relation dans laquelle il y a un lien de dépendance est créée. Ainsi, le procureur qui représente un client dans une opération peut bien être le mandataire de celui-ci, mais je ne crois pas que cela veuille nécessairement dire que ces personnes ont entre elles un lien de dépendance.

            Le concept du lien de dépendance a évolué. [...]

[35]     En Écosse, dans l'affaire Inland Revenue Commissioners v. Spencer-Nairn, 1991 SLT 594 ( « Court of Sessions » ), les lords juges écossais examinaient un cas dans lequel les parties avaient un lien de dépendance. Ils ont formulé des observations favorables sur l'approche adoptée par M. Whiteman dans l'ouvrage intitulé Capital Gains Tax (4e éd.), dans lequel l'auteur suggère que deux questions devaient être prises en considération relativement au concept de « lien de dépendance » . Il s'agissait, premièrement, de savoir si une représentation distincte ou autre représentation professionnelle était disponible à chacune des parties et, deuxièmement, ce qui est peut-être plus pertinent aux fins de la situation considérée en l'espèce, s'il y avait « présence ou absence de négociations de bonne foi » .

[36]     Aux États-Unis, les termes « lien de dépendance » ont été définis comme suit dans l'affaire Campana Corporation v. Harrison (7 Circ. 1940) 114 F2d 400, 25 AFTR 648 :

[TRADUCTION]

            Une vente conclue par des parties sans lien de dépendance comporte l'idée d'une vente entre parties ayant des intérêts économiques contraires.

[37]     Dans l'affaire Campbell c. M.R.N., nos 96-2467(UI) et 96-2468(UI), 26 juin 1998, j'ai analysé ces affaires et les principes qui y sont énoncés. J'adhère à tout ce que j'ai dit dans cette affaire.

[38]     En définitive, il me semble que la meilleure façon de décrire ce qu'on entend par les termes « aucun lien de dépendance » est de donner un exemple. Si on suppose que deux commerçants, deux étrangers, négocient au marché, l'un pour obtenir le meilleur prix possible pour ses produits ou services et l'autre pour avoir le plus grand nombre possible de produits ou de services ou des produits ou services de la meilleure qualité possible, alors on dira que ces personnes n'ont pas de lien de dépendance. Toutefois, si ces deux personnes, des étrangers, avaient un intérêt sous-jacent à s'aider l'un l'autre, ou à agir d'une façon différente de celle dont elles traiteraient avec un étranger, ou si leur intérêt était de conclure une opération factice pour parvenir conjointement à un résultat ou obtenir d'un tiers quelque chose qu'elles n'auraient pu par ailleurs obtenir sur le marché libre, alors on dira que ces personnes ont un lien de dépendance.

[39]     Si la relation elle-même (encore là, il faut se souvenir que la Loi sur l'a.-e. ne dit pas « s'ils sont dans une relation où il y a un lien de dépendance » , mais plutôt « dans le cadre duquel l'employeur et l'employée ont entre eux un lien de dépendance » ) est telle qu'une partie a sur l'autre un contrôle ou une influence appréciable, ou si les deux parties ont des rapports tels qu'elles vivent ou dirigent leur entreprise de façon très étroite, par exemple s'il s'agit d'amis, de parents ou d'associés en affaires, en l'absence de preuve claire du contraire, la Cour pourrait bien conclure que les parties avaient entre elles un lien de dépendance. Cela ne signifie toutefois pas que les parties ne peuvent réfuter cette conclusion. On doit cependant, à mon avis, faire une distinction entre la relation et l'opération. Les parties qui ont ce qu'on pourrait appeler une « relation comportant un lien de dépendance » peuvent assurément conclure une opération sans lien de dépendance dans les circonstances appropriées, tout comme deux étrangers peuvent, dans certaines circonstances, agir en collusion et ainsi conclure une opération comportant un lien de dépendance.

[40]     En définitive, s'il y a un doute dans l'interprétation à donner à ces termes, je ne puis faire autrement que me fonder sur les propos tenus par le juge Wilson dans l'affaire Abrahams c. Procureur général du Canada, [1983] 1 R.C.S. 2, à la p. 10 :

Puisque le but général de la Loi est de procurer des prestations aux chômeurs, je préfère opter pour une interprétation libérale des dispositions relatives à la réadmissibilité aux prestations. Je crois que tout doute découlant de l'ambiguïté des textes doit se résoudre en faveur du prestataire.

[41]     En fin de compte, on en revient aux deux personnes, aux deux étrangers, qui négocient au marché. La question pertinente est de savoir si l'opération en cause était empreinte de la même indépendance d'esprit, de la même indépendance quant aux objectifs, des intérêts économiques opposés et des négociations de bonne foi qu'on retrouverait au marché. Si, sur la foi de l'ensemble de la preuve, tel est le genre d'opération qui a eu lieu, la Cour peut alors conclure que les parties n'avaient pas de lien de dépendance. Si l'un de ces éléments était absent, ce serait l'inverse.

Contrat de louage de services ou contrat d'entreprise

[42]     C'est sans aucune hésitation que je conclus que les travailleurs étaient des employés de la société qui travaillaient en vertu de contrats de louage de services. Sans examiner tous les aspects du critère à quatre volets qu'on mentionne généralement dans ce genre de cause, il ressort clairement de la preuve que les travailleurs faisaient partie intégrante de l'entreprise de l'appelant. Cela n'est vraiment pas en litige dans la présente affaire.

[43]     Le vrai litige porte sur la décision du ministre soumettant les travailleurs à la Loi sur l'a.-e. à titre de personnes liées.

Étape I - Examen de la décision du ministre

[44]     Le ministre, en parvenant à ses décisions, se serait appuyé sur les hypothèses de fait suivantes, qui sont les mêmes dans chaque cas, sauf si le contraire est indiqué entre crochets :

a)          les faits admis ci-dessus;

b)          l'entreprise de la payeuse est une entreprise de fabrication d'équipement agricole;

c)          l'entreprise de la payeuse n'est pas saisonnière;

d)          l'appelant est l'un des actionnaires de la payeuse;

e)          les actionnaires de la payeuse sont les suivants :

            Edward Bergen Holdings Ltd.                24 p. 100

            Allan Bergen Holdings Ltd.                    20 p. 100

            Vic Bergen Holdings Ltd.                      20 p. 100

            A P B Holdings Ltd.                              16 p. 100

            Karen Katz Holdings Ltd.                      20 p. 100

f)           l'appelant et Allan Bergen sont frères;

g)          Vic Bergen et Karen Katz sont, respectivement, le frère et la soeur de l'appelant et d'Allan Bergen;

h)          Vic Bergen et Karen Katz ne participent pas aux activités quotidiennes de la payeuse;

i)           l'appelant a travaillé pour la payeuse pendant plus de dix ans;

j)           l'appelant [Edward] est le directeur général de la payeuse; [Allan est l'administrateur de la payeuse]

k)          l'appelant exécute ses tâches au bureau de la payeuse, à son bureau à domicile et sur le terrain;

l)           l'appelant n'a pas conclu de contrat écrit avec la payeuse;

m)         l'appelant travaillait de 7 h à 18 h, du lundi au samedi;

n)          l'appelant faisait des heures supplémentaires au besoin;

o)          les heures et les journées de travail de l'appelant n'ont pas été consignées;

p)          l'appelant n'était pas tenu de préparer des rapports concernant ses heures de travail;

q)          l'appelant était l'un des gestionnaires de l'entreprise de la payeuse;

r)           l'appelant était payé à tous les mois;

s)          l'appelant était payé par chèque;

t)           la rémunération de l'appelant était convenue;

u)          les autres travailleurs de la payeuse étaient payés selon un taux horaire;

v)          l'appelant était libre de choisir ses heures et ses journées de travail;

w)         l'appelant pouvait embaucher un assistant;

x)          la payeuse rémunérerait tout assistant embauché par l'appelant;

y)          la payeuse a offert de la formation à l'appelant;

z)          l'appelant devait s'acquitter personnellement de ses tâches;

aa)        l'appelant [Edward] et Allan Bergen sont les deux seuls travailleurs qui effectuent les services dont ils ont la responsabilité;

bb)        l'appelant a le pouvoir de signer les chèques tirés sur le compte bancaire de la payeuse;

cc)        la payeuse fournit à l'appelant des polices d'assurance santé, d'assurance vie et d'assurance invalidité;

dd)        la payeuse fournissait tous les outils et tout le matériel nécessaires;

ee)        l'appelant n'a engagé aucune dépense dans l'exécution de ses tâches;

ff)          l'appelant a le droit de vaquer à ses affaires personnelles durant sa journée de travail;

gg)        la payeuse a le droit de contrôler l'appelant par le truchement des exigences légales qui s'appliquent aux administrateurs et aux dirigeants d'une société;

hh)        les services fournis par l'appelant constituent une partie essentielle et importante de l'entreprise de la payeuse et ils devaient être fournis;

ii)          l'appelant, en tant qu'actionnaire, recevait des dividendes de la payeuse en fonction des bénéfices de cette dernière;

jj)          les actionnaires de la payeuse se rencontrent lors d'une assemblée annuelle;

kk)        la payeuse a délivré un feuillet T-4 à l'appelant pour les années 1999 et 2000, lequel feuillet indique ce qui suit :

                                                                                  1999                 2000

            Revenu brut                                             69 887,00 $      63 240,00 $

            RPC                                                          1 186,50          1 329,90

            a.-e.                                                             994,50             936,00

            Impôt retenu                                           27 321,68         17 465,21

[Edward]

                                                                                  1999                 2000

            Revenu brut                                             70 240,00 $      63 240,00 $

            RPC                                                          1 186,50           1 329,90

            a.-e.                                                             994,50              936,00

            Impôt retenu                                            23 524,68         17 465,21

ll)          l'appelant était engagé en vertu d'un contrat de louage de services avec la payeuse.

[45]     Edward Bergen a témoigné pour le compte des deux appelants. Il a accepté toutes les hypothèses de fait, sauf les éléments 13z) et cc) et, évidemment, les conclusions tirées par le ministre aux éléments 13mm), nn) et oo).

[46]     En particulier, le témoin a nié que lui et son frère travaillaient de 7 h à 18 h, six jours par semaine. Ce qu'il a dit, c'est que dans la petite ville où ils demeuraient et exploitaient leur entreprise, il était souvent difficile d'embaucher les employés formés dont ils avaient besoin. Par conséquent, son frère et lui devaient exécuter différents travaux de tout genre à tout moment. Il a décrit comment ils devaient parfois se rendre à leur atelier à 7 h le samedi parce que le travail devait être fait et qu'il n'y avait aucun employé qui voulait le faire ou qui était capable de le faire. Ils devaient parfois peindre, parfois effectuer du travail de préparation, parfois de la soudure et parfois de la fabrication. Par conséquent, bien que leur rôle principal consistait à gérer l'entreprise, ils devaient faire tout ce qui devait être fait lorsqu'il y avait du travail à faire. Par conséquent, ni l'un ni l'autre n'avait des heures de travail régulières. Ils travaillaient de cette façon parce qu'ils estimaient être les propriétaires de la société plutôt que des employés ordinaires. En supposant que les appelants avaient des heures de travail régulières, le ministre a commis une erreur. Ils travaillaient selon un horaire souple, mais ils travaillaient souvent durant de longues heures.

[47]     Le témoin a contesté l'élément z) selon lequel il devait exécuter ses tâches lui-même. Bien que cela porte plus sur la question de savoir s'il était un employé ou un entrepreneur indépendant, il estimait qu'il pouvait embaucher la personne qu'il désirait afin d'effectuer ses tâches, et ce, en tout temps.

[48]     En ce qui concerne l'élément cc), le témoin a nié que son assurance invalidité était payée par la société. Il a affirmé que si lui-même ou son frère venait à tomber malade ou à mourir, ce serait tout simplement l'autre qui devrait s'occuper de l'entreprise. Si les deux venaient à mourir ou n'étaient pas disponibles, l'entreprise fermerait ses portes.

[49]     En ce qui concerne l'élément gg), celui-ci porte encore une fois davantage sur la question de savoir s'il était un employé ou un entrepreneur indépendant. Toutefois, le témoin a nié vigoureusement que son frère Vic, sa soeur Karen ou son père aient participé de quelque manière que ce soit à la gestion de la société. Manifestement, toutefois, en droit, ils auraient pu nommer de nouveaux dirigeants de la société s'ils avaient voulu le faire.

[50]     En ce qui concerne l'élément ii), le témoin a affirmé que la société n'avait déclaré aucun dividende depuis au moins cinq ans, peut-être même sept, mais certainement pas au cours des années en litige. Il semble y avoir eu un malentendu de la part du ministre car, au paragraphe 6c) de sa réponse, celui-ci a censément nié que les appelants pouvaient se payer une prime en tout temps et il a affirmé :

                   [traduction]

[...] que les actionnaires, en tant que groupe, décident du moment et du montant de la prime que verse la payeuse.

Cela est faux et témoigne de la confusion qui existait dans l'esprit du ministre en ce qui concerne la différence qui existe entre les primes versées aux employés et les dividendes versés à tous les actionnaires. Les appelants étaient les seuls à décider du montant qui leur était versé et, comme nous le verrons, leurs intérêts et leurs attentes économiques étaient très liés à ceux de la société. Quand la société était prospère, ils se versaient des primes afin de compenser leur rémunération irrégulière et plutôt modeste. Les autres actionnaires ne savaient rien de cela et ils n'avaient pas voix au chapitre, bien que cela apparaissait sans doute dans les comptes à la fin de l'année. Quand la société éprouvait des difficultés, les appelants ne se versaient pas de primes. Cela n'avait rien à voir avec les bénéfices de la société après que celle-ci eut payé ses dépenses, y compris tous les salaires et le paiement des employés réguliers et des appelants. Ces bénéfices auraient pu être versés comme dividendes à tous les actionnaires. En fait, au cours des dernières années, y compris les années en litige, cela ne s'est pas produit. L'aspect essentiel est que les appelants pouvaient s'accorder et s'accordaient effectivement des primes à eux seuls en tant qu'employés. Les dividendes sont différents et pouvaient être déclarés au bénéfice de tous les actionnaires, mais, en fait, ils ne l'étaient pas.

[51]     En ce qui concerne la question de la paye, le témoin a souligné que lui-même et son frère Allan gagnaient le même salaire, sans égard au temps et aux efforts consacrés par chacun d'eux par rapport à l'autre sur une période d'un mois. Ils ne se payaient aucun montant supplémentaire pour le travail effectué le samedi ou durant les jours fériés. Ils n'accumulaient aucune paye de vacances et n'avaient pas droit aux congés payés prévus par la loi. Ils avaient été payés selon un taux horaire en tant qu'employés par leur père jusqu'à ce que celui-ci prenne sa retraite en 1989, année durant laquelle ils ont acheté des actions de la société nouvellement constituée. À partir de ce moment, les appelants ont dirigé la société dans le plein sens de cette expression, comme s'il s'agissait de leur propre entreprise. Du point de vue juridique, évidemment, celle-ci appartenait à la société. Toutefois, ils agissaient comme si elle leur appartenait. Si les affaires allaient bien, ils se versaient des primes. Si les affaires étaient difficiles, ils consentaient à diminuer leur salaire, bien qu'il n'existe pas de preuve que cela se soit en fait produit.

[52]     Un autre aspect important de l'entente salariale des appelants qui semble avoir été négligé par le ministre porte sur la manière selon laquelle ils fixaient leur salaire de base et décidaient du montant de leurs primes. Leur salaire mensuel respectif dépendait de la rentabilité de la société au cours de l'année précédente. Ce qu'ils recevaient était bien inférieur au montant qui aurait été payé à une personne de l'extérieur qui aurait fait leur travail. Ils recevaient chacun 3 000 $ par mois et le témoin a affirmé qu'il n'aurait pas pu embaucher une personne de l'extérieur pour faire le travail moyennant une rémunération de 72 000 $ par année, soit deux fois plus. Il estimait qu'une personne n'accepterait de travailler autant pour un salaire aussi modeste que si elle détenait un droit de propriété appréciable dans la société.

[53]     Outre la question du salaire mensuel, le témoin a décrit la manière selon laquelle ils fixaient le paiement des primes. Premièrement, il y avait la question de l'argent dont disposait la société afin de payer une prime. Deuxièmement, ils s'assuraient toujours que la société dispose d'assez d'argent pour financer les acquisitions futures de matériel. Troisièmement, ils décidaient du montant des primes en tenant compte du principe qu'il fallait faire en sorte que la société soit imposée au plus bas taux d'imposition possible. Par conséquent, leur rémunération avait souvent peu à voir avec le travail qu'ils faisaient vraiment et elle dépendait autant des besoins de la société que de leurs propres besoins. Le ministre ne semble pas avoir tenu compte de cette intégration des intérêts économiques des appelants avec ceux de la société. Cela est évidemment très pertinent.

[54]     Un autre facteur important dont le ministre n'a pas tenu compte était celui de l'insécurité économique à laquelle chacun des appelants était confronté. Non seulement les deux appelants garantissaient la marge de crédit de la société auprès de sa banque, mais en plus, aucun d'eux n'avait conclu de contrat écrit avec la société. Tous les autres employés avaient des contrats écrits. Ils n'en avaient pas. Ils n'étaient jamais certains de recevoir plus que la moitié de leur rémunération espérée, et même cela n'était pas sûr. Bien qu'un employé n'ayant aucun lien de dépendance travaillant comme directeur général pourrait s'attendre à ce qu'on lui garantisse certains avantages, notamment la paye et les primes de rentabilité, ils ne disposaient aucunement d'une telle garantie. Leur sort économique était entièrement lié à celui de la société.

[55]     En plus de tout cela, il existait un nombre infini de différences entre la situation des appelants et celle d'employés n'ayant aucun lien de dépendance. Il s'agit de facteurs que le ministre mentionne habituellement, comme on peut le voir dans la jurisprudence publiée portant sur des affaires entendues dans l'ensemble du Canada, à l'appui de la prétention qu'il n'existait pas de relation à peu près semblable à celle que des parties n'ayant pas entre elles de lien de dépendance pourraient conclure. Dans la présente affaire, le ministre semble les traiter d'une manière différente. Ces différences comprennent le fait que les appelants emmenaient leurs enfants dans les locaux de la société lorsqu'ils travaillaient le samedi et qu'ils leur laissaient utiliser le matériel de la société, ce qui était interdit aux employés réguliers, qu'ils pouvaient utiliser le matériel de la société en tout temps sans consulter quiconque, qu'ils n'étaient pas payés pour les heures supplémentaires ou pour les jours fériés, qu'ils étaient disposés à réduire leur paye durant les périodes difficiles, qu'ils pouvaient prendre des congés à leur guise, sans tenir compte du fait que la société avait établi un horaire prévoyant deux semaines de vacances prises en même temps chaque été et que leurs payes n'étaient pas réduites s'ils prenaient congé.

[56]     Le témoin a aussi traité d'autres questions qui ont été soulevées dans la décision initiale selon laquelle l'employeur des appelants, la société, fixait leur clientèle, leurs échéances et leurs priorités. Je suis sûr que cela avait plus à voir avec la question d'être un employé ou un entrepreneur indépendant, mais néanmoins le témoin a fait de grands efforts pour expliquer que les autres actionnaires, des membres de sa famille, n'avaient pas la moindre idée de ce qui se passait dans la société, de la nature de leur clientèle ou de ce qui constituait leurs priorités. Lui-même et son frère s'occupaient, à eux seuls, de tout cela sans consulter les autres membres de la famille. De même, pour ce qui est de la déclaration contenue dans la décision initiale concernant les risques de perte, le témoin estimait qu'ils y étaient exposés car ils avaient signé des garanties écrites, ce que des employés n'ayant aucun lien de dépendance ne feraient pas habituellement pour leur employeur.

[57]     Ce qui précède constitue essentiellement un résumé du témoignage du témoin. J'estime qu'il est une personne honnête, franche et travaillante et je n'ai aucune raison pour ne pas accepter son témoignage sur ces questions.

[58]     Janice Affleck, une préposée aux décisions du RPC et de l'a.-e. à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, a également témoigné. Elle a rendu la décision initiale et elle a été appelée à témoigner au nom du ministre pour expliquer les motifs de sa décision. Elle a affirmé qu'elle connaissait les tâches et les responsabilités des directeurs généraux des entreprises exploitées dans les petites villes. Elle avait estimé qu'il n'y avait rien d'inhabituel dans les modalités d'emploi des appelants. Cela est étrange parce que, en toute déférence, il y a un certain nombre d'éléments inhabituels que j'ai déjà mentionnés. Elle a poursuivi en utilisant un terme curieux. Elle a affirmé qu'elle ne voyait rien de « déraisonnable » en rapport avec l'emploi qui « exclurait celui-ci des emplois assurables » . En toute déférence, la question en l'espèce n'a rien à voir avec ce qui est raisonnable ou déraisonnable. De plus, il semble, pour ainsi dire, qu'elle mette la charrue avant les boeufs lorsqu'elle aborde la question sous l'angle du fait qu'il n'y a rien qui exclut l'emploi. L'emploi est plutôt déjà exclu par la loi et la question à ce moment est de savoir ce qui pourrait faire en sorte que cet emploi soit ramené dans la catégorie des emplois assurables aux termes de la Loi sur l'a.-e.

[59]     Finalement, madame Affleck a concédé, lors du contre-interrogatoire, qu'elle ne savait pas que les appelants n'avaient aucun salaire garanti et elle a été d'accord pour dire qu'elle ne travaillerait pas pour quiconque comme employée sans avoir un salaire garanti.

[60]     Je ne sais trop dans quelle mesure les déclarations de madame Affleck doivent être imputées au ministre, mais son témoignage semblait définitivement confirmer qu'il y avait un certain nombre de facteurs très pertinents concernant les modalités d'emploi des appelants, en particulier les modalités relatives à leur rémunération, dont le ministre n'a pas tenu compte.

[61]     Si je prends en considération tous les facteurs dont le ministre n'a pas tenu compte et qui ont une grande importance aux fins de la décision qu'il devait prendre, je ne peux qu'arriver à la conclusion que, s'il les avait examinés, il n'aurait pu, d'un point de vue objectif, arriver raisonnablement et légalement à la décision qu'il a prise. Celle-ci ne peut donc être maintenue en droit. Je dois maintenant passer à la deuxième étape du processus d'appel et déterminer si, compte tenu de l'ensemble de la preuve, les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable s'il n'y avait pas eu entre elles de lien de dépendance, compte tenu de toutes les circonstances, notamment celles qui sont expressément prévues à l'alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'a.-e.

Étape II - Examen de la preuve

[62]     Avant toute chose, je ne peux m'empêcher de trouver ironique le fait que, dans la présente affaire, nombre des facteurs sur lesquels le ministre se serait fondé sont précisément le genre de facteurs sur lesquels il se fonde si souvent dans les appels où il refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire, par exemple, pour n'en nommer que quelques-uns, le fait d'établir ses propres heures de travail, d'établir son propre salaire, de ne pas avoir consigné les heures de travail, de prendre des congés sans avoir à les faire autoriser et d'avoir attendu avant d'encaisser son chèque de paie lorsque la société était à court d'argent. Je ne peux m'empêcher de penser que, si le ministre avait regardé les choses par l'autre bout de la lorgnette, l'un des frères ayant cette fois demandé des prestations d'assurance-emploi dans des circonstances identiques, il serait vite arrivé à une conclusion contraire. Je ne dis pas qu'il y a mauvaise foi ici, mais il semble y avoir en quelque sorte deux poids deux mesures.

[63]     Je n'entends pas exposer encore une fois toute la preuve. J'ai déjà mentionné les faits importants. Il est clair, à mon avis, que les deux frères et la société ne faisaient qu'un. Leurs intérêts économiques étaient inextricablement liés à ceux de la société. Bien qu'ils aient pu signer les garanties en leur qualité d'actionnaires ou d'administrateurs, le fait qu'ils l'aient fait montre qu'il existait un lien inextricable entre eux et la société. Leurs intérêts économiques étaient liés à ceux de la société et ceux de la société étaient liés aux leurs, dans une telle mesure qu'on ne peut dire qu'il existait entre eux des intérêts économiques distincts ou contraires. Ils étaient l'âme dirigeante de la société, ils avaient eux-mêmes un lien de parenté et ils avaient un intérêt économique familial commun qui était inséparable de celui de la société. C'est exactement la situation qu'a envisagée le législateur lorsqu'il a établi le régime d'assurance-emploi de façon à empêcher les personnes qui dirigent ou contrôlent leur propre entreprise d'une façon commerciale de prendre part à ce régime et de demander des prestations s'ils se retrouvent sans emploi.

[64]     Cela ne signifie pas pour autant que l'on ne pourra jamais conclure que des personnes qui occupent des postes de gestionnaires dans une société n'ont pas de lien de dépendance avec celle-ci, même si elles sont aussi des actionnaires. Si, par exemple, leur entente était clairement énoncée dans un contrat écrit conclu en bonne et due forme et qu'il existait une distinction nette entre leurs propres intérêts et ceux de la société de façon à ce que chacune puisse tirer profit séparément et indépendamment de l'autre, on pourrait très bien conclure que la relation est à peu près semblable à celle que des parties n'ayant pas entre elles de lien de dépendance pourraient avoir. En revanche, lorsque les travailleurs ne font pour ainsi dire qu'un avec la société, comme c'est le cas en l'espèce, et qu'ils traitent celle-ci comme leur propre entreprise au point, par exemple, de renoncer à leurs salaires si la société manque d'argent, cela indique fortement qu'il y a propriété commerciale et qu'il ne s'agit pas de parties sans lien de dépendance.

Conclusion

[65]     Compte tenu de toutes les circonstances, notamment les longues heures et les nombreuses journées de travail des frères, leur possibilité de prendre congé sans obtenir l'autorisation de quiconque et sans perte de salaire, leur consentement à réduire leur salaire lorsque la société manquait d'argent et la signature des garanties pour la société, je suis fermement convaincu qu'il n'y avait pas d'indépendance de pensée ou d'objet entre la société et les frères, qu'il n'y avait pas d'intérêts économiques contraires, que leurs intérêts étaient inextricablement liés et qu'il n'y avait pas véritablement, dans leur relation, de négociations distinctes de bonne foi du genre de celles auxquelles on s'attendrait entre les négociants au marché dont j'ai déjà parlé assez longuement. Par conséquent, je conclus que ni l'un ni l'autre n'occupait un emploi assurable.

[66]     En conséquence, les appels sont accueillis et les décisions du ministre sont annulées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 5e jour de février 2002.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de septembre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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