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Dossier : 2002‑3821(IT)G

ENTRE :

RUBEN CORVALAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu à Vancouver (Colombie‑Britannique),

les 17 février et 16 novembre 2005.

 

Devant : L’honorable Diane Campbell

 

Comparutions :

 

 

Avocate de l’appelant :

Me Samantha Mason

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Bruce Senkpiel

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1997 est rejeté avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de mars 2006.

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juin 2008.

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

Référence : 2006CCI200

Date : 20060330

Dossier : 2002‑3821(IT)G  

ENTRE :

RUBEN CORVALAN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Campbell

 

[1]     Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1997, l’appelant a déduit une perte d’entreprise d’un montant de 131 052,24 $. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant et a reclassifié la perte d’entreprise comme étant une perte en capital.

 

[2]     L’appelant a travaillé comme ingénieur minier pour Manhattan Minerals Corp. de 1993 à 1999. À diverses reprises entre 1993 et 1996, Manhattan Minerals Corp. a accordé à l’appelant des options irrévocables d’achat d’actions du capital‑actions de la société. L’option pertinente dans le présent appel est l’option de 1996, selon laquelle l’appelant avait le droit d’acheter jusqu’à 30 000 actions ordinaires au prix d’option de 4,55 $ l’action. Cette option prenait fin le 30 juillet 2001. L’appelant a levé l’option au mois de février 1997 lorsque les actions étaient cotées à 10,30 $ l’action. Il a vendu les 30 000 actions les 25 et 26 novembre ainsi que le 1er décembre 1997, lorsque les actions se négociaient à un prix beaucoup moins élevé, ce qui a donné lieu à une perte. L’appelant ayant déduit cette perte à titre de perte d’entreprise imputable au revenu, le ministre a établi une nouvelle cotisation et il a reclassifié la perte au compte du capital. Le calcul de la perte n’est pas en litige. Il s’agit uniquement de savoir si la perte que l’appelant a subie lors de la disposition des actions en 1997 doit être considérée comme une perte d’entreprise ou comme une perte en capital.

[3]     Les parties ont soumis l’exposé conjoint partiel des faits suivant :

 

[traduction] Dans l’affaire Ruben Corvalan c. SMR, CCI 2001‑3821(IT)G, et dans tout appel y afférent, l’appelant et l’intimée s’entendent sur les faits suivants :

 

1.         L’appelant est un particulier qui réside au 2436, 13e avenue ouest, Vancouver (Colombie‑Britannique), V6K 2S8.

 

2.         Manhattan Minerals Corp. est une société constituée conformément aux lois de la Colombie‑Britannique; son siège social est situé au Prime Capital Place, 808, rue Hastings ouest, bureau 300, Vancouver (Colombie‑Britannique) (la « société »).

 

3.         L’appelant a travaillé comme ingénieur minier pour la société de 1993 à 1999; il s’occupait de divers projets. En particulier, entre 1996 et 1999, l’appelant travaillait au sein de la société comme directeur général du projet connu sous le nom de Tambo Grande Exploration Project, à Piura, au Pérou.

 

4.         À diverses reprises, entre 1993 et 1996, la société a accordé à l’appelant l’option d’acquérir des actions ordinaires de la société. À diverses reprises, entre 1993 et 1997, l’appelant a levé les options en question.

 

5.         En particulier, le 30 juillet 1996 ou vers cette date, la société a accordé à l’appelant une option irrévocable l’autorisant à acheter de temps en temps 30 000 actions ordinaires du capital‑actions de la société entièrement libérées, au prix de 4,55 $ l’action (l’« option de 1996 »).

 

6.         L’option de 1996 prenait fin le 30 juillet 2001.

 

7.         En 1995, l’appelant a vendu des actions de la société. L’appelant a déclaré la disposition de ces actions en tant que gain en capital. Le montant du gain en capital imposable déclaré dans la déclaration de revenus T1 de 1995 de l’appelant était de 833,61 $.

 

8.         En 1996, l’appelant a vendu des actions de la société. L’appelant a déclaré la disposition de ces actions en tant que gain en capital. Le montant du gain en capital imposable déclaré dans la déclaration de revenus T1 de 1996 de l’appelant était de 58 114,91 $.

 

9.         L’appelant a levé l’option de 1996 au mois de février 1997 et, à ce moment, il a acquis 30 000 actions de la société. Les actions de la société se négociaient à un prix d’environ 10,30 $ à ce moment.

 

10.       En 1997, l’appelant a vendu des actions de la société, le produit de disposition déclaré s’élevant à 176 072,76 $. En particulier, l’appelant a déclaré avoir vendu 11 000 actions de la société au mois de février 1997 et avoir vendu les 30 000 actions de la société qu’il avait acquises en vertu de l’option de 1996 les 25 et 26 novembre ainsi que le 1er décembre 1997 (collectivement les « actions »).

 

11.       L’appelant a calculé le prix de base rajusté (le « PBR ») des actions comme suit :

 

11 000 actions visées par l’option

 

 

 

11 000 actions au prix d’option de 1,85 $ l’action

20 350 $

 

 

Ajouter :

 

 

 

Avantage tiré de l’option d’achat d’actions (juste valeur de 3,75 $ l’action moins prix d’option de

 

1,85 $ l’action)

20 900 $

 

 

 

A      41 250 $

 

 

30 000 actions visées par l’option

 

 

 

30 000 actions au prix d’option de 4,55 $ l’action

136 500 $

 

 

Ajouter :

 

 

 

Avantage tiré de l’option d’achat d’actions (juste valeur de 10,30 $ l’action moins prix d’option de

 

4,55 $ l’action)

172 500 $

 

 

Moins :

 

 

 

Déduction autorisée en vertu de l’alinéa 110(1)d)

43 125 $

 

 

 

B     265 875 $

Prix de base rajusté total de 41 000 actions :

 

A + B =

307 125 $

 

 

 

12.       Dans sa déclaration de revenus T1 de 1997, l’appelant a déclaré la disposition des actions à titre de perte d’entreprise selon le calcul suivant :

 

Ventes nettes, commissions ou frais :

176 072,76 $

 

 

MOINS : Coût des marchandises vendues :

307 125 $

 

 

Perte d’entreprise :

(131 052,24 $)

 

13.       Dans sa déclaration de revenus T1 de 1997, l’appelant a demandé une déduction de 43 125 $ conformément à l’alinéa 110(1)d) de la Loi en vue de réduire le montant de l’avantage tiré de l’option d’achat d’actions accordée à des employés, lequel montant a été inclus dans son revenu conformément au paragraphe 7(1) de la Loi.

 

14.       Par un avis de nouvelle cotisation daté du 16 février 2001, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant au titre de l’impôt et des intérêts à l’égard de son revenu de 1997 en refusant la déduction de la perte d’entreprise de 131 052 $ de l’appelant et en reclassifiant la perte de 131 052 $ à titre de perte en capital subie par l’appelant en 1997 (la « nouvelle cotisation »).

 

15.       L’appelant a dûment déposé un avis d’opposition à la nouvelle cotisation.

 

16.       Le 8 juillet 2002 ou vers cette date, le ministre a délivré un avis de ratification par lequel il refusait la perte de 131 052 $ subie par l’appelant à titre de perte d’entreprise.

 

La preuve

 

          Ruben Corvalan

 

[4]     L’appelant est né au Chili; il s’est installé au Canada en 1974. Entre 1975 et 1991, il a travaillé pour plusieurs sociétés canadiennes différentes. Pendant qu’il travaillait pour ces sociétés, il s’est vu accorder des options d’achat d’actions, mais il n’a jamais levé ces options. De 1993 à 1999, l’appelant travaillait à titre d’ingénieur minier pour B.C. Manhattan Minerals Corp. (« Manhattan Minerals »).

 

[5]     Manhattan Minerals a initialement embauché l’appelant pour travailler à un projet minier au Mexique, lequel a atteint le stade de la production commerciale au début de l’année 1997. En 1996, l’appelant a commencé à travailler comme directeur général d’un autre projet situé au Pérou, appelé le projet Tambo Grande. Au début de l’année 1997, les travaux d’exploration du gisement minier n’étaient toujours pas achevés. Aucune étude de faisabilité n’avait été effectuée et l’avenir du projet était encore fort incertain, en particulier en ce qui concerne les droits de propriété et d’exploration que Manhattan Minerals possédait sur l’emplacement. Ce projet a initialement fait l’objet d’une entente entre une société d’État appelée Mineral Peru et une société française appelée Bureau de recherches géologiques minières (« BRGM »). BRGM a acquis les droits relatifs au projet Tambo Grande conformément à cette entente, conclue avec le gouvernement péruvien. Manhattan Minerals a acquis de BRGM une participation dans ce projet, même si, à ce moment‑là, on ne savait pas encore si le gouvernement péruvien allait valider l’entente conclue avec BRGM. Pendant que les négociations étaient en cours avec le gouvernement au Pérou, la communauté locale et les agriculteurs de la région s’opposaient aux travaux d’exploration et d’aménagement associés à ce projet. Tous ces problèmes avaient empêché le projet de dépasser la phase d’exploration. Lorsque l’appelant a commencé à travailler à ce projet, les négociations avec le nouveau gouvernement péruvien avaient été entamées. L’appelant ne prenait pas directement part aux négociations entre Manhattan Minerals et le gouvernement péruvien, mais il a déclaré qu’il avait constamment pris part, avec la direction de la société, aux discussions se rapportant à l’état du projet et que le président et le directeur financier de la société le tenaient au courant des progrès accomplis. L’appelant a également eu un rôle important dans les négociations fructueuses qui avaient été entamées avec les agriculteurs locaux en vue d’assurer l’accès à leurs terres, de façon à ce que d’autres travaux d’exploration puissent être exécutés.

 

[6]     L’appelant affirme avoir constamment surveillé la valeur des actions de Manhattan Minerals. Il a déclaré que tous les employés de la société étaient au courant de la valeur des actions et croyaient que les actions allaient continuer à prendre de la valeur. À ce moment‑là, le volume des transactions et le prix des actions augmentaient. Malgré les problèmes auxquels se heurtait Manhattan Minerals, l’appelant savait que le prix de ses actions était passé de 4,55 $ au milieu de l’année 1996 à plus de 10 $ au mois de février 1997. On croyait également que le gisement de Bre‑X en Indonésie produirait de bons résultats. L’appelant examinait les déclarations publiques de la société et il surveillait les actions chaque jour. De plus, il en parlait à ses collègues. L’appelant a déclaré qu’il surveillait constamment la valeur comptable de la société et qu’il savait que la société avait subi des pertes en 1995, en 1996 et en 1997.

 

[7]     Le 30 juillet 1996, l’appelant s’est vu accorder une option d’achat d’actions  réservée à des employés l’autorisant à acquérir 30 000 actions au prix de 4,55 $ l’action. C’était la troisième option d’achat d’actions qu’il s’était vu accorder, les deux premières ayant été accordées le 31 mars 1993 et le 24 juillet 1994. L’appelant a acheté des actions conformément aux options de 1993 et de 1994. Lorsqu’il a disposé des actions de Manhattan Minerals en 1995 et en 1996, il a déclaré un gain en capital sur ces dispositions.

 

[8]     L’appelant a témoigné avoir levé son option d’achat d’actions de 1996 au mois de février 1997, parce que son épouse et lui voulaient acheter une maison. Ils n’avaient jamais été propriétaires d’une maison et l’appelant croyait que cela leur donnerait l’occasion d’en acheter une. Ils ont commencé à chercher une maison en 1996. L’appelant a déclaré que, lorsqu’il avait levé son option et qu’il avait acquis les actions, il avait l’intention de [traduction] « vendre presque tout et d’acheter à bref délai une maison » (transcription, page 42). Il a affirmé ne pas avoir levé cette option en vue d’acquérir 30 000 actions dans l’intention d’en tirer des dividendes parce que, compte tenu des problèmes techniques et financiers auxquels le projet se heurtait, il croyait que Manhattan Minerals pouvait uniquement être rentable si elle vendait le projet à une autre société. L’appelant a obtenu l’argent nécessaire pour lever cette option en vendant les actions qu’il détenait déjà dans la société. De plus, selon la preuve qu’il a présentée lors de l’interrogatoire principal, l’appelant a emprunté de l’argent à son épouse, et son courtier lui a prêté des fonds en vue de financer la transaction.

 

[9]     Selon la preuve qu’il a soumise, l’appelant voulait vendre presque immédiatement les 30 000 actions qu’il avait acquises conformément à cette option, mais son projet a été contrecarré lorsqu’un [traduction] « [...] incident est survenu au sein de la société » (transcription, page 44) et que l’un des administrateurs lui a dit de ne pas vendre les actions. Par la suite, l’appelant a eu des discussions avec le directeur général, Robert Willis. L’appelant croyait que le directeur général mettait en doute sa loyauté envers la société. L’appelant a affirmé avoir eu l’impression qu’il allait être congédié s’il vendait ses actions. Il ne se rappelle pas à quel moment il a parlé au directeur général, mais il a affirmé que c’était immédiatement après avoir levé l’option. Il a décidé de ne pas vendre ses actions comme il avait envisagé de le faire et il n’a donc pas acheté de maison. Lorsqu’il a finalement vendu les actions à la fin de l’année 1997, la possibilité de perdre son emploi ne le préoccupait plus.

 

[10]    Pendant le contre‑interrogatoire, en ce qui concerne la rencontre qu’il avait eue avec l’administrateur, au cours de laquelle ce dernier lui avait demandé de ne pas vendre ses actions, l’appelant n’a pas pu se rappeler exactement combien de temps après qu’il eut initialement levé son option cette discussion avait eu lieu. Toutefois, l’appelant a reconnu avoir continué à vendre 11 000 actions de la société, mises à part les 30 000 actions qu’il venait d’acheter, à la suite de cette discussion. En réponse à la question de savoir comment il avait financé la transaction pertinente, l’appelant a reconnu que, selon la documentation, il l’avait financée entièrement sur marge sans emprunter de l’argent à son épouse, contrairement à ce qu’il avait déclaré lors de son interrogatoire principal.

 

[11]    On a attiré l’attention de l’appelant sur une note de service qui avait été envoyée à tous les employés de la société par le directeur général, Robert Willis, le 11 mars 1997, laquelle énonçait ce qui suit : [traduction] « À compter du 12 mars 1997, les affaires générales de la société seront pleinement divulguées. Par conséquent, toute opération sur le marché envisagée par qui que ce soit est approuvée. » L’appelant a reconnu qu’il avait reçu cette note de service après avoir rencontré le directeur général, mais il ne croyait pas que cela ait influé sur la conversation antérieure qu’il avait eue avec celui‑ci. Il s’agissait d’une note de service publique, mais leur conversation avait eu lieu en privé et il supposait qu’elle l’emportait sur toute note de service distribuée aux employés. L’appelant a reconnu que, en fait, le directeur général ne lui avait jamais dit qu’il serait congédié s’il vendait les actions, mais que c’était plutôt ce qu’il supposait, à la suite des discussions qu’ils avaient eues lors de la rencontre.

 

[12]    En fin de compte, la valeur des actions avait tellement baissé que l’appelant ne se préoccupait plus de perdre son emploi et qu’au lieu de perdre encore plus d’argent, il a vendu les actions à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre 1997 au prix de 2 $ l’action. L’appelant a déclaré que c’était pour lui une perte si lourde qu’il était complètement démuni. Lorsqu’il a vendu les actions, il n’a pas obtenu la permission de la société et il n’a pas perdu son emploi. Dans sa déclaration de revenus de 1997, l’appelant a déclaré une perte d’entreprise de 131 052,24 $ à l’égard de cette disposition. L’appelant a reconnu avoir traité les deux dispositions antérieures d’actions, en 1995 et en 1996, à titre de gains en capital. Lorsqu’il a disposé des actions qu’il détenait dans la société Manhattan Minerals en 1995, il ne savait pas comment traiter la disposition, mais il a déclaré un gain en capital en se fondant sur les renseignements qu’un ami lui avait donnés. L’appelant ne se rappelait pas s’il avait lui‑même préparé sa déclaration, mais il a dit que cela était bien possible. En 1996, le cabinet Bruce Jamieson & Company a préparé la déclaration de l’appelant et, compte tenu des documents que celui‑ci avait remis à ce cabinet, le gain réalisé sur la disposition des actions a encore une fois été déclaré à titre de gain en capital. La déclaration de 1997 a été préparée et produite par Deloitte & Touche; l’appelant n’avait pas donné d’instructions précises au sujet de la disposition.

 

[13]    Pendant le contre‑interrogatoire, l’appelant a admis que, lorsqu’il subissait une perte, il traitait la disposition comme étant imputable à un revenu d’entreprise, mais que lorsqu’il vendait les actions en faisant un gain, il traitait la disposition comme étant imputable au capital. L’appelant a également témoigné, lorsqu’il a été contre‑interrogé plus à fond, qu’il n’avait pas vendu ses actions, même s’il savait que le prix était gonflé et pouvait chuter n’importe quand, parce que le directeur général lui avait donné l’impression qu’il serait congédié s’il vendait les actions. L’appelant a admis que le directeur général ne lui avait en fait jamais dit qu’il serait congédié et qu’il n’avait jamais de nouveau soulevé la question auprès du directeur général. L’appelant a reconnu que les 30 000 actions qu’il détenait constituaient moins d’un pour cent des 24 millions d’actions émises de la société. De plus, le 10 mars 1997, trois millions de bons spéciaux de souscription d’actions, au prix de 7 $ chacun, ont été exercés, suivis d’un autre bon spécial composé de quatre millions et demi de bons spéciaux à 9 $ chacun.

 

[14]    L’appelant a déclaré avoir acheté des actions d’autres sociétés en plus de celles de Manhattan Minerals, mais il n’avait pas de documents à l’appui. L’appelant a également admis ne pas avoir de formation formelle dans le domaine de la négociation de titres.

 

          Elena Corvalan

 

[15]    L’épouse de l’appelant a confirmé le témoignage de celui‑ci, à savoir qu’ils avaient toujours voulu acheter une maison au Canada. En 1996 et en 1997, il semblait que leur rêve allait se réaliser bientôt à cause du bénéfice qui pouvait être tiré par suite de l’acquisition et de la vente des actions. Mme Corvalan a témoigné qu’ils avaient retenu les services d’un agent immobilier, à Vancouver, pour trouver une maison et qu’à un certain moment, ils avaient même effectué le versement initial pour l’achat d’une maison. Toutefois, ils n’ont pas réussi à obtenir le financement requis et l’achat n’a pas eu lieu. L’épouse de l’appelant a attribué cet échec au fait que l’appelant estimait que l’on exerçait sur lui des pressions pour qu’il ne vende pas les actions.

 

          Joey Goverde

 

[16]    M. Goverde, un agent divisionnaire de vérification de la conformité chez BMO Nesbitt Burns, a confirmé que, lorsque l’appelant a acheté les 30 000 actions de Manhattan Minerals, ces actions ont simplement été ajoutées à son compte existant, dans lequel il possédait déjà 11 000 actions, ce qui donnait en tout 41 000 actions. M. Goverde a également témoigné qu’aucune notification n’avait été envoyée à Manhattan Minerals et que, par conséquent, la société pouvait uniquement découvrir que l’appelant avait acheté ou vendu des actions si ce dernier ou quelqu’un d’autre informait expressément celle‑ci de la chose.

 

La position de l’appelant 

 

[17]    L’appelant a soutenu que, si l’on examinait les facteurs que la jurisprudence récente a appliqués dans des cas similaires, il avait un plan visant à lui permettre de réaliser un bénéfice et qu’il n’avait donc jamais eu l’intention de conserver les actions bien longtemps. L’appelant n’a jamais cru que ces actions produiraient des dividendes, et il ne les a pas acquises pour cette raison. On n’a pas dit à l’appelant qu’il perdrait son emploi s’il vendait ses actions, mais le directeur général lui avait donné l’impression que c’est ce qui arriverait et l’appelant n’a donc pas procédé à la vente à ce moment‑là. L’appelant a également soutenu qu’il n’avait pas obtenu la permission de la société pour vendre les actions lorsqu’il a décidé de s’en départir parce que, à ce moment‑là, il était ruiné et que la possibilité de perdre son emploi lui importait peu. L’appelant a également expliqué qu’il croyait que la conversation qu’il avait eue avec le directeur général s’appliquait uniquement au bloc de 30 000 actions et non aux 11 000 actions qu’il possédait également et qu’il avait commencé à vendre après cette conversation. L’appelant a également soutenu que les transactions d’actions conclues en 1995 et en 1996 n’étaient pas pertinentes lorsqu’il s’agissait de déterminer quelle était son intention en acquérant les actions, et en les aliénant en 1997. Nous ne savons pas si ces transactions ont été déclarées de façon appropriée en 1995 et en 1996 et l’appelant ne devrait pas être obligé de traiter la transaction de 1997 de la même façon dont il avait traité les dispositions, en 1995 et en 1996. De plus, l’appelant n’avait aucune connaissance ni aucune expérience en matière fiscale ou en matière comptable. L’avocat de l’appelant a cité l’arrêt Friesen v. The Queen, 95 DTC 492, à l’appui de l’argument selon lequel la transaction ultérieure que l’appelant avait conclue en 1997 ne devait pas dépendre de la façon dont un gain avait été déclaré au cours des années antérieures.

 

La position de l’intimée

 

[18]    L’intimée a appliqué les deux critères énoncés dans l’arrêt Irrigation Industries Ltd. v. Canada (Minister of National Revenue), [1962] S.C.R. 346, de la Cour suprême du Canada, et a soutenu que l’appelant était un ingénieur minier qui n’avait pas fait d’études, reçu de formation ou été agréé dans le domaine de la négociation de titres. L’appelant a déclaré avoir eu peur de vendre ses actions après avoir parlé au directeur général de la société, mais la preuve donne à entendre qu’il a néanmoins vendu certaines actions de la société après cette rencontre. On ne saurait croire qu’un directeur général, qui était au courant des millions d’actions émises, se préoccuperait outre mesure d’environ 30 000 actions détenues par l’appelant. De plus, Joe Goverde a déclaré que l’appelant aurait pu vendre ses actions et que la société ne l’aurait jamais su.

 

[19]    L’appelant a acquis des options d’achat d’actions en raison de son emploi et il n’a pas traité les actions vendues de la façon dont un courtier en valeurs mobilières l’aurait fait. L’intimée a soutenu que, si l’appelant s’était engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial, les mesures suivantes auraient été prises :

 

(1)     l’appelant aurait déclaré ses dispositions antérieures d’actions à titre de revenu d’entreprise plutôt que comme étant imputables au capital;

 

(2)     l’appelant aurait vendu les actions au mois de février 1997, lorsqu’elles se négociaient à environ 11 $ l’action;

 

(3)     l’appelant aurait interrogé son employeur d’une façon plus détaillée au sujet des conséquences que comportait la vente de ses actions, étant donné en particulier qu’il avait déjà vendu 11 000 actions sans subir de conséquences défavorables;

 

(4)     l’appelant aurait régulièrement assuré le suivi auprès de son employeur pour savoir si celui‑ci allait lui permettre de vendre les actions;

 

(5)     l’appelant aurait vendu les actions au mois de mars 1997, après avoir reçu la note de service autorisant expressément les opérations sur le marché.

 

[20]    L’intimée a soutenu que, si l’on applique le second critère énoncé dans l’arrêt Irrigation Industries, il n’y avait pas suffisamment de transactions pour indiquer l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial. Ainsi, dans la décision Sandnes c. Canada, [2004] A.C.I. no 149, la Cour a conclu que 23 transactions n’étaient pas suffisantes. Or, en l’espèce, douze transactions seulement ont été conclues. L’appelant n’a pas non plus fourni de preuve indiquant qu’il avait acheté ou vendu des actions d’une autre société. L’appelant a déclaré la disposition des actions, au cours des années antérieures, à titre de gains en capital, et en 1997 il n’y a pas eu de changement important justifiant une nouvelle caractérisation des actions.

 

L’analyse

 

[21]    Les parties ont demandé à la Cour de déterminer si la perte subie lors de la disposition des actions de Manhattan Minerals, à la fin de l’année 1997, était imputable au capital ou au revenu. Si la transaction fait partie de l’entreprise de l’appelant, il s’agit d’une perte d’entreprise. Par définition, le mot « entreprise » a un sens général et comprend un projet comportant un risque de caractère commercial. Il existe dans ce domaine une multitude de décisions portant sur la question de savoir ce qui est imputable au capital par opposition au revenu.

 

[22]    La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Robertson c. Canada, [1998] A.C.F. no 401, est semblable à la présente espèce. Dans cette affaire, il s’agissait principalement de savoir si une transaction, comprenant une option d’achat d’actions et la vente ultérieure d’actions, était imputable au revenu ou si elle était imputable au capital. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré, aux paragraphes 20 à 25 :

 

20       Le juge de la Cour de l’impôt a appliqué le bon critère, en l’occurrence le critère de savoir si, au moment de l’achat, l’appelant avait l’intention de revendre les actions à profit dès que possible [voir note 11 ci‑dessous]. Cela revient à se demander si une revente rapide a motivé de façon importante l’appelant à acheter les actions restantes par voie de levée d’option.


 

Note 11 : Voir P.W. Hogg, J.E. Magee, « Principles of Canadian Income Tax Law », 2e éd., 1997, al. 16.3b).


 

21       Le juge de la Cour de l’impôt était conscient de la complexité de la tâche qu’il s’apprêtait à entreprendre. Il a déclaré :

 

Il existe une multitude d’affaires qui traitent de la jurisprudence sur la question de savoir s’il s’agit de capital ou de revenu. Ces affaires comportent une grande variété de situations factuelles, et la meilleure aide que l’on puisse obtenir face à ce problème réside souvent dans les causes où les faits ressemblaient à ceux de l’espèce et où les tribunaux ont énoncé des principes juridiques sur le sujet. Malheureusement, les tribunaux ne sont guère unanimes. L’un conclut qu’il s’agit de capital, tandis que l’autre conclura qu’il s’agit de revenu, et ce, dans des situations souvent fort semblables.

 

22       Après avoir résumé les prétentions et moyens des parties, le juge de la Cour de l’impôt a déclaré :

 

L’appelant avait‑il l’intention de revendre les actions le plus tôt possible? L’avocat de l’appelant a fait valoir que son client avait été pressé d’acquérir des actions de son employeur, s’attendant à les vendre rapidement à profit. Dans l’affaire The Queen v. George H. Garneau, 77 DTC 5190, le juge a statué que, dans une telle situation, la vente était une vente au titre du revenu. En l’espèce, au moment de l’achat, rien ne prouve que l’appelant souhaitait vendre le plus tôt possible. L’appelant a témoigné que, suivant l’avis de comptables, les actions avaient été vendues pour cristalliser un gain en capital. L’appelant croyait également qu’en vendant les actions, en novembre 1990, il cristallisait une perte en capital. Il semble que ce ne soit que plus tard qu’il s’est rendu compte qu’il avait en fait avantage à indiquer l’existence d’un risque de caractère commercial et à déclarer une perte de revenu. Bien que l’appelant ait occupé un poste important dans la société, l’appelant n’était certes pas un investisseur averti en ce qui concerne les options d’achat d’actions et les ventes qui en résultent, et ce n’est que plus tard qu’il a changé d’idée, considérant qu’il s’agissait non plus de capital mais de revenu.

 

Le fait qu’une vente précédente a été déclarée comme étant une vente au titre de capital ne fixe pas de règle pour les ventes ultérieures, comme l’a dit le juge Bell dans l’affaire Harry A. Friesen c. La Reine, 95 D.T.C. 492.

 

[...]

 

Les deux avocats ont cité de nombreuses autres décisions, mais la Cour estime qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve qui indiquent que l’appelant n’a pas pris un risque de caractère commercial. L’acquisition des titres ne faisait pas partie d’un plan visant la réalisation de profits; elle traduisait plutôt le simple désir de bénéficier de la générosité des employeurs de l’appelant. Le désir de réaliser un profit n’était pas absent, mais il n’était pas primordial. L’opération n’avait pas un nombre suffisant des caractéristiques d’un risque de caractère commercial; c’était plutôt un placement, ce qui, en droit, ne permettrait pas à l’appelant de changer d’idée à mesure que le temps passait et que les conditions évoluaient.

 

23       Le critère général à appliquer pour distinguer un gain en capital d’un revenu commercial tiré d’un risque de caractère commercial a été établi dans le jugement Californian Cooper Syndicate (Limited and Reduced) v. Harris [voir note 12 ci‑dessous].

 

           __________________________________________________________________

 

Note 12 : (1904), 5 TC 159, à la page 166 (Cour de l’Éch. d’Écosse), cité et approuvé par la C.S.C. dans les arrêts Minerals Ltd. v. M.N.R., [1958] R.C.S. 490, à la page 496, Irrigation Industries Limited v. M.N.R., [1962] R.C.S. 346, à la page 354, et Friesen c. La Reine, 95 D.T.C. 5551, aux pages 5554 et 5558 (C.S.C.). Voir également W.E. Crawford et R.E. Beam, « Adventure or Concern in the Nature of Trade »; « Badges of Trade as the Key Indicator of Taxpayer Intention », (1996) 44 Can T.J. no. 3, 888, à la page 890.

 

___________________________________________________________________

 

           [traduction]

La ligne qui sépare les deux catégories peut être difficile à tracer, et chaque cas est un cas d’espèce. La question à trancher est celle de savoir si le gain qui a été réalisé correspond simplement à la plus‑value obtenue par suite de la réalisation de la sûreté ou s’il s’agit d’un gain obtenu dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise dans l’exécution d’un plan visant la réalisation de profits.

 

24       La présente opération constitue une opération isolée. Mais ainsi que lord Radcliffe l’a expliqué dans l’arrêt Edwards v. Bairstow et al. : [voir note 13 ci‑dessous]

 

___________________________________________________________________

 

Note 13 : [1955] 3 All E.R. 48, cité dans le jugement M.N.R. v. McIntosh, 56 D.T.C. 1004, à la page 1007 (C. de l’Éch.). Ce jugement a par la suite été confirmé par la Cour suprême du Canada dans McIntosh v. M.N.R., [1958] R.C.S. 119.

 

___________________________________________________________________

           [traduction]

Il s’agissait d’une opération isolée. Mais, comme nous le savons, cet état de fait ne fait pas perdre à une opération qui comporte les caractéristiques d’une opération commerciale sa véritable nature de risque de caractère commercial. La vraie question à se poser en pareil cas est celle de savoir si les opérations visées constituent un risque de caractère commercial, et non de savoir si, prises isolément ou considérées conjointement avec d’autres opérations, elles font de la personne qui les a effectuées une personne qui exploite une entreprise.

 

                                                                       (Mots non soulignés dans l’original.)

 

25       Ainsi que les auteurs W.E. Crawford et R.E. Beam le font remarquer [voir note 14 ci‑dessous], un « risque » est, par définition, le plus souvent une opération isolée. Un grand nombre d’opérations isolées ne sont toutefois pas « de caractère commercial ». L’opération en cause doit comporter certains éléments, certains aspects commerciaux qui en font un risque de caractère commercial [voir note 15 ci‑dessous]. Ce qu’il faut rechercher, ce sont les « caractéristiques commerciales » ou facteurs de comportement qui permettent de qualifier la ligne de conduite qu’a suivie le contribuable [voir note 16 ci‑dessous]. Ces éléments permettent de tirer des inférences sur la question de savoir si le contribuable se livrait à une opération commerciale ou s’il ne faisait qu’un placement.

 

                                                                                   [Non souligné dans l’original.]

___________________________________________________________________

 

Note 14 : Loc. cit., à la page 893.

 

Note 15 : Voir le jugement No. 341 v. M.N.R., 56 D.T.C. 231 (C.A.I.), dans lequel la Commission d’appel de l’impôt cite une décision indienne, le jugement Rajputana Textile (Agencies) Ltd. v. Commr. of Inc‑Tax, (1953), 24 ITR 46, à la page 56 (H.C. Bombay).

 

Note 16 : Voir J.W. Durnford, Profits on the Sale of Shares: Capital Gains or Business Income? A Fresh Look at Irrigation Industries, (1991) No. 5, Can T.J. 837, à la page 887. Voir également l’arrêt Friesen c. La Reine, 95 D.T.C. 5551, [1995] 3 R.C.S. 103, à la page 5568 D.T.C., le juge Iacobucci étant dissident, mais avec lequel les juges majoritaires étaient d’accord (à la page 5554) sur ce point.

 

[23]    Les facteurs qui sont représentatifs d’un projet comportant un risque de caractère commercial ont souvent été décrits comme étant les « caractéristiques d’une opération commerciale ». Ces caractéristiques sont des critères objectifs permettant de déterminer ce qu’est un projet comportant un risque de caractère commercial. Par contre, l’intention du particulier est un facteur subjectif. Ce facteur est également important et il faut le soupeser par rapport aux facteurs objectifs en arrivant à une décision définitive.

 

[24]    Dans l’arrêt Friesen v. The Queen, 95 DTC 5551, la Cour suprême du Canada a profité de l’occasion pour parler des projets comportant un risque de caractère commercial et de la façon dont ils s’inscrivent dans l’économie de la Loi, à la lumière de certaines de ces caractéristiques d’une opération commerciale. À la page 5554, la Cour a dit ce qui suit :

 

La notion de projet comportant un risque de caractère commercial est une création jurisprudentielle visant à départager les opérations d’achat et de vente qui sont de nature commerciale de celles qui tiennent d’une immobilisation. Cette question revêtait une importance particulière avant 1972, puisque les opérations portant sur des immobilisations étaient alors totalement exonérées d’impôt. La question a été énoncée succinctement par le lord juge Clerk dans l’arrêt Californian Copper Syndicate c. Harris (1904), 5 T.C. 159 (Ex., Scot.), à la p. 166 :

 

[traduction] Le gain est‑il une simple plus‑value due à la réalisation d’un titre, ou est‑ce un gain fait dans le cadre d’une entreprise conformément à un plan visant la réalisation d’un bénéfice?

 

La première condition de l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial est qu’il comporte un « plan visant la réalisation d’un bénéfice ». Le contribuable doit avoir l’intention légitime de tirer un bénéfice de l’opération. Les autres conditions sont énoncées utilement dans le bulletin d’interprétation IT‑459, intitulé « Projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial » (8 septembre 1980), qui fait mention du bulletin d’interprétation IT‑218, intitulé « Profits sur la vente de biens immeubles » (26 mai 1975), comme document où sont résumés les facteurs pertinents dans le cas de biens immeubles.

 

Le bulletin IT‑218R, qui a remplacé le bulletin IT‑218 en 1986, énumère un certain nombre de facteurs dont les tribunaux se sont servis pour déterminer si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial qui génère un revenu d’entreprise ou une opération portant sur une immobilisation, impliquant la vente d’un placement. Une attention particulière est accordée à :

 

(i)       L’intention du contribuable relativement au bien immeuble au moment de l’achat, ses possibilités de réalisation et la mesure dans laquelle cette intention est réalisée. L’intention de revendre la propriété avec bénéfice la rendra plus susceptible d’être qualifiée de projet comportant un risque de caractère commercial.

 

(ii)      La nature de l’entreprise, de la profession, du métier ou de l’occupation du contribuable et des associés. Plus l’entreprise ou la profession d’un contribuable est liée aux transactions immobilières, plus il est probable que le revenu réalisé sera considéré comme un revenu tiré d’une entreprise plutôt que comme un gain en capital.

 

(iii)     La nature du bien et l’usage qu’en fait le contribuable.

 

(iv)     La mesure dans laquelle l’argent emprunté a servi à financer l’acquisition du bien immeuble et la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable. Les opérations impliquant emprunt et revente rapide sont plus susceptibles d’être des projets comportant un risque de caractère commercial.

 

[25]     Dans l’arrêt The Queen v. Vancouver Art Metal Works Limited, 93 DTC 5116 (C.A.F.), à la page 5119, le juge Létourneau a dit ce qui suit :

 

           Je ne doute aucunement que le contribuable dont la profession ou l’entreprise consiste à acheter et à vendre des valeurs mobilières est un commerçant ou un courtier en valeurs mobilières au sens de l’alinéa 39(5)a) de la Loi. Comme l’a dit le juge Cattanach dans l’arrêt Palmer, MA c. La Reine : « [o]n reconnaît qu’une personne qui accomplit de manière habituelle des actes susceptibles d’engendrer des bénéfices s’est engagée dans un commerce ou une entreprise ». La question de savoir si une série d’actes équivaut à l’exploitation d’un commerce ou d’une entreprise constitue toutefois une question de fait. Chaque cas sera jugé selon les faits qui lui sont propres. Il est évident que les facteurs tels que la fréquence des opérations, le temps pendant lequel les valeurs ont été conservées, (pour réaliser un bénéfice rapide ou pour en faire un placement à long terme, par exemple), l’intention d’acheter pour revendre à profit, la nature et la quantité des valeurs mobilières détenues ou qui font l’objet de l’opération, le temps consacré à l’activité en question, sont tous des facteurs pertinents et qui aident à déterminer si une personne exerce un commerce ou une entreprise de courtage.

 

[26]    Cet arrêt a été cité et approuvé dans la décision Rajchgot c. Canada, [2004] A.C.I. no 403, et dans la décision Sandnes, précitée.

 

[27]    L’un des principaux arrêts dans ce domaine est celui de la Cour suprême du Canada dans Irrigation Industries v. M.N.R. À la page 347, la Cour a énoncé les [traduction] « critères positifs » qui indiquent l’existence d’un projet comportant un risque de caractère commercial, lesquels avaient initialement été examinés dans la décision M.N.R. v. James A. Taylor, [1956] C.T.C. 189 :

 

[traduction]

(1) la personne a‑t‑elle agi lors de l’achat des biens de la manière dont agit habituellement un négociant et (2) la nature et la quantité des biens qui ont fait l’objet de la transaction peuvent‑elles exclure la possibilité que leur vente ait été la réalisation d’un placement, ou ait eu le caractère d’un capital ou qu’elle ait pu avoir lieu autrement qu’à titre de transaction commerciale? 

 

[28]    Aux pages 350 et 351, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Il est difficile de concevoir un cas d’achat de titres dans lequel l’acheteur n’aurait pas au moins en partie l’intention de revendre ces derniers si leur valeur augmentait au point où leur vente paraîtrait financièrement souhaitable. Si tel est le cas, alors l’achat et la revente de titres doivent constituer un projet comportant un risque de caractère commercial, à moins que l’on n’essaie de vérifier si l’intention principale au moment de l’achat était de garder les titres ou de les vendre. Toutefois, il faut alors faire face à la difficulté mentionnée par mon collègue Cartwright : le régime d’imposition doit être déterminé par la recherche de l’intention subjective principale de l’acheteur au moment de l’achat.

Je ne peux pas admettre que la question de savoir si une transaction isolée sur des titres constitue un projet comportant un risque de caractère commercial puisse être tranchée selon ce seul critère. À mon avis, on ne peut pas dire qu’une personne qui place de l’argent dans une entreprise en achetant une seule fois des actions d’une compagnie, hors du cadre de ses activités habituelles, s’est engagée dans un projet comportant un risque de caractère commercial du simple fait que l’achat était spéculatif, parce qu’à ce moment‑là elle n’avait pas l’intention de garder les actions indéfiniment, mais avait l’intention, si possible, de les revendre à profit dès que possible. Je pense qu’il faut plus d’éléments de nature « commerciale » qu’en l’espèce pour conclure qu’il s’agissait d’un projet comportant un risque de caractère commercial. 

 

[29]     Et, à la page 352, en parlant des actions de société, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

 

[traduction] Les actions se trouvent dans une situation différente parce qu’elles constituent un bien dont l’achat, en lui‑même, est un investissement. En elles‑mêmes, elles ne sont pas des articles de commerce; elles représentent plutôt un intérêt dans une corporation créée dans un but commercial. Leur acquisition est une méthode bien reconnue d’investir du capital dans une entreprise commerciale.

 

[30]    J’ai examiné la jurisprudence pertinente et j’ai conclu que la question de l’intention de l’appelant, au moment de l’acquisition des actions, qui consiste à savoir s’il a acquis les actions en vue de les revendre à profit ou en vue de les garder à long terme, est cruciale lorsqu’il s’agit de déterminer si l’acquisition est de la nature d’un placement ou si elle fait partie d’une entreprise. L’intention de l’appelant doit être déterminée dans le contexte de sa conduite générale, compte tenu de facteurs tels que la fréquence des transactions, la durée de détention des actions, la nature et la quantité des titres détenus, le temps consacré à l’activité et les connaissances spéciales possédées en matière de valeurs mobilières.

 

La fréquence des transactions

 

[31]    L’appelant a levé les options d’achat d’actions qu’il avait obtenues en raison de son emploi auprès de Manhattan Minerals à trois reprises, de 1994 à 1997. Il a levé les options et il a vendu les actions dans l’intention de se procurer les fonds nécessaires pour acheter une maison. Son épouse a témoigné qu’en 1995, en 1996 et en 1997, ils voulaient acheter une maison au Canada. En 1995 et en 1996, l’appelant a disposé des actions qu’il possédait dans la société à deux reprises, en réalisant des bénéfices qu’il a déclarés à titre de gains en capital. Au mois de février 1997, l’appelant a levé son option d’achat d’actions et il a acheté 30 000 actions sur marge. Les 30 000 actions ont été ajoutées à un compte qui existait déjà, dans lequel l’appelant détenait 11 000 actions, selon le témoignage de Joey Goverde. Les 11 000 actions de Manhattan Minerals ont été vendues au mois de février 1997 comme suit : 2 000 actions le 19 février, 4 000 actions le 21 février, et 5 000 actions le 24 février. L’appelant a témoigné avoir acheté et vendu des actions d’autres sociétés, au cours de cette période, en plus des actions de la société de son employeur, mais il n’a pas donné de détails à la Cour ni aucune preuve documentaire en vue de corroborer son témoignage de vive voix. Il n’y a pas lieu de ne pas croire l’appelant, mais cette assertion générale aurait dû être étayée d’une preuve documentaire quelconque. La transaction d’actions, en 1997, n’est pas une transaction isolée, mais il est clair que l’activité de l’appelant est limitée à la vente des actions de la société de son employeur sur une période d’un an ou deux. En 1997, l’appelant a acheté 30 000 actions et il a vendu 41 000 actions en raison de son statut d’employé. Le nombre de transactions en 1997, même si je tiens compte des transactions des années antérieures, n’indique pas que l’appelant exploitait une entreprise qui consistait à acheter et à vendre des actions en vue de réaliser rapidement un bénéfice. La fréquence des transactions dans ce cas‑ci, indépendamment des autres « caractéristiques d’une opération commerciale », n’indique pas une activité commerciale.

 

La durée de possession des actions

 

[32]    La preuve n’indique pas pendant combien de temps les actions avaient été détenues au cours des années antérieures à l’année 1997. En 1997, 11 000 actions ont été vendues en trois lots différents pendant le mois de février. Les 30 000 actions achetées en vertu de l’option, au mois de février 1997, auraient pu être vendues moyennant un bénéfice élevé et elles auraient pu servir à l’achat d’une maison, mais l’appelant a décidé de ne pas vendre ses actions à ce moment‑là. Selon la preuve soumise par l’appelant, le directeur général de la société l’avait implicitement découragé de vendre les actions et, par conséquent, l’appelant a attendu environ neuf mois, jusqu’à la fin du mois de novembre 1997, pour les vendre. Même si je retenais la preuve de l’appelant sur ce point, je crois qu’il serait tout à fait raisonnable de s’attendre à ce qu’un employé retourne voir le directeur général, après avoir reçu la note de service de la société autorisant expressément les opérations sur le marché, pour confirmer du moins si l’impression que lui avait donnée leur conversation était en fait exacte. Une demande de renseignements concernant la raison pour laquelle l’appelant ne pouvait pas vendre ses actions à ce moment‑là, compte tenu de cette note de service, aurait également été justifiée pour plusieurs autres raisons; premièrement, le fait que l’appelant a déclaré avoir levé l’option en vue d’obtenir immédiatement des fonds pour acheter une maison; deuxièmement, le fait que l’appelant était au courant des problèmes que posait le projet et que le prix des actions pouvait être instable; et troisièmement, le petit nombre d’actions détenues par l’appelant par rapport aux millions d’actions émises par la société. De plus, 11 000 actions ont été vendues au mois de février 1997, sans la permission de l’employeur, de sorte que la conversation que l’appelant avait eue avec le directeur général ne l’a pas dissuadé de vendre certaines actions après la rencontre. Selon le témoignage de Joey Goverde, l’employeur n’aurait jamais été au courant de la vente à moins que l’appelant ne lui en fasse part, étant donné que la maison de courtage de l’appelant n’envoyait pas de relevés à l’employeur. La conduite de l’appelant n’indique pas qu’il agissait comme un négociant qui cherche à faire rapidement un bénéfice. S’il croyait vraiment que la disposition des 30 000 actions influerait sur son emploi, l’appelant a laissé ses préoccupations personnelles l’emporter sur une approche commerciale quant à la disposition des actions, ce qui l’a empêché de demander les renseignements appropriés, une chose qu’un négociant ne ferait pas, compte tenu en particulier de la note de service de la société autorisant les opérations sur le marché. La preuve de ce facteur indique que l’appelant a levé les options dans le cadre de son emploi plutôt qu’à titre de négociant engagé dans un projet comportant un risque.

 

La nature et la quantité des actions détenues

 

[33]    En 1997, l’appelant détenait uniquement des actions dans la société de l’employeur, comme c’était le cas auparavant. Il n’existe aucun élément de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle l’appelant avait engagé des capitaux dans d’autres sociétés. Le nombre de transactions en 1997 (l’achat de 30 000 actions au mois de février, la disposition de 11 000 actions en février et la disposition de 30 000 actions au mois de novembre) n’est pas suffisamment élevé pour indiquer un projet comportant un risque de caractère commercial. Comparativement à la décision Sandnes, dans laquelle le juge Miller a conclu que 23 transactions n’étaient pas suffisantes, un nombre beaucoup moins élevé de transactions ont été conclues dans ce cas‑ci. Dans l’arrêt Irrigation Industries, la Cour suprême du Canada a déclaré que l’acquisition des actions d’une société indique que des capitaux ont été engagés dans une entreprise commerciale. Or, en l’espèce, rien ne montrait que des opérations concernant d’autres sociétés aient été conclues. De plus, au cours des années antérieures, l’appelant avait déclaré la disposition de ses actions à titre de gain en capital. Je ne crois pas que l’appelant soit nécessairement obligé de traiter les transactions qu’il conclut comme il l’a fait antérieurement, mais la preuve mise à ma disposition n’indique pas de changements importants justifiant une nouvelle caractérisation des actions en 1997.

 

Le temps consacré

 

[34]    L’appelant a témoigné avoir examiné les déclarations publiques de la société, avoir parlé des actions avec ses collègues et avoir surveillé le cours des actions tous les jours. Ces activités sont la marque de mesures prises par l’employé d’une société qui a acheté des actions conformément à des options d’achat d’actions et qui a donc un intérêt continu dans ce placement. De telles mesures à elles seules, sans rien de plus, ne sont pas la marque d’un négociant engagé dans un projet comportant un risque.

 

Les connaissances spéciales

 

[35]    L’appelant est un ingénieur minier qui n’a pas fait d’études, n’a pas reçu de formation et n’est pas agréé dans le domaine de la négociation d’actions. L’appelant ne se rappelait pas précisément où il s’était procuré les fonds nécessaires pour acheter les actions, en 1997, et lors de l’interrogatoire principal et du contre‑interrogatoire, il a soumis une preuve différente. L’appelant n’avait pas besoin de connaissances spéciales telles que celles que possède un négociant pour se prévaloir des options d’achat d’actions que la société lui offrait en raison de son emploi.

 

Conclusion

 

[36]    L’appelant et son épouse voulaient absolument acheter une maison. Je crois que l’appelant voulait vendre ses actions pour faire un bénéfice. Malheureusement, il ne les a pas vendues à temps et il a subi des pertes financières énormes. Toutefois, je ne crois pas qu’il y ait suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle l’appelant était engagé dans un projet comportant un risque de caractère commercial. J’ai apprécié individuellement chacun des facteurs susmentionnés, et, si je tiens compte de la conduite de l’appelant dans son ensemble, il s’est comporté comme le ferait tout employé de Manhattan Minerals qui acquiert les actions qui lui sont offertes à divers moments au moyen d’options d’achat d’actions réservées aux employés. L’appelant avait l’intention de lever ces options à des fins de placement en vue d’avoir une source future de financement pour acheter une maison. Dans ce cas‑ci, les activités liées aux actions n’indiquent aucunement qu’il s’agit d’activités exercées par un négociant en valeurs mobilières. On a l’impression générale que les activités de l’appelant sont celles d’un investisseur et, de fait, selon l’approche adoptée par l’appelant lors de la disposition des actions au cours des années antérieures, ces dispositions étaient déclarées au titre du capital. Le traitement antérieur des dispositions n’est peut‑être pas déterminant en ce qui concerne les dispositions ici en cause, mais il peut indiquer l’intention du contribuable. L’appelant a affirmé avoir peut‑être préparé lui‑même sa déclaration de 1995, mais tant en 1995 qu’en 1996, il a signé ses déclarations. Pour les deux années, les dispositions qui avaient produit un gain ont été déclarées d’une façon uniforme. Il n’y a rien dans la preuve qui permette de distinguer les transactions de 1997 des transactions antérieures, sauf qu’en 1997, il y a eu des pertes plutôt qu’un gain.

 

[37]    Pour les motifs énoncés, l’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de mars 2006.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 18e jour de juin 2008.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

RÉFÉRENCE :

2006CCI200

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2002‑3821(IT)G

 

INTITULÉ :

Ruben Corvalan

c.

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 17 février et le 16 novembre 2005

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 mars 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelant :

Me Samantha Mason

 

Avocat de l’intimée :

Me Bruce Senkpiel

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelant :

 

Nom :

Samantha Mason

 

Cabinet :

Thorsteinssons

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour l’intimée :

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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