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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2002-1986(EI)

ENTRE :

SURINDER KHUNKHUN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 3 septembre 2002 à Kelowna (Colombie-Britannique)

par l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Bhupinder Dhanant

Avocate de l'intimé :                            Me Jasmine Sidhu

JUGEMENT

          L'appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance­emploi est accueilli, sans dépens, et la décision du ministre du Revenu national en ce qui concerne l'appel porté devant lui conformément à l'article 91 de cette Loi est modifiée en tenant compte du fait que l'appelante a occupé pendant
438 heures un emploi assurable en 2000 pour Surjit Nagra pendant la période allant du 1er juillet au 21 octobre 2000.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2002.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020913

Dossier: 2002-1986(EI)

ENTRE :

SURINDER KHUNKHUN,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Miller, C.C.I.

[1]      Surinder Khunkhun prétend avoir travaillé comme ouvrière de verger durant l'été et l'automne 2000 (du 1er juillet au 21 octobre) pendant 961,5 heures de travail assurables. L'intimé a décidé que Mme Khunkhun n'occupait aucun emploi assurable pendant cette période. La présente affaire repose entièrement sur la crédibilité. En 2000, Mme Khunkhun a-t-elle travaillé pendant 961,5 heures comme ouvrière de verger?

[2]      J'éprouve une certaine difficulté à évaluer entièrement le témoignage des témoins de l'appelante puisque les trois ont témoigné en utilisant les services d'un interprète. Bien que je reconnais que l'interprète faisait de son mieux, la réaction de l'avocate de l'intimé, qui comprenait un peu le pendjabi, ainsi que les conversations continuelles entre l'interprète et le témoin (malgré les demandes répétées pour que ces conversations soient interprétées) m'ont amené à m'interroger quant à savoir si les témoins comprenaient ou non des questions relativement simples, si les questions étaient interprétées correctement ou si les témoins étaient délibérément évasifs. Cela représente d'autant plus un problème que c'est la crédibilité même des témoins de l'appelante qui devrait déterminer l'affaire.

[3]      Dans son témoignage, Mme Khunkhun a indiqué qu'elle travaillait pour Surjit Nagra, son beau-frère, comme ouvrière de verger de juillet à octobre 2000. Elle prétend qu'elle travaillait six jours par semaine de 7 h à 17 h 30 et qu'elle avait une pause d'une demi-heure pour dîner. Elle n'a fourni aucun détail quant à la nature exacte de son travail.

[4]      Elle se souvenait n'avoir manqué qu'une seule journée de travail pendant la période en cause afin de se rendre chez son médecin. Lorsqu'on lui a posé des questions sur les arrêts de travail en raison de la météo, elle a répondu que cela signifiait seulement que les travailleurs commençaient à travailler plus tard pendant la journée. Elle a indiqué qu'elle ne connaissait pas le nom de la plupart des travailleurs, mais qu'elle les appelait simplement « frère » ou « soeur » . Elle a plus tard fourni deux noms; une de ces personnes était sa soeur.

[5]      Mme Khunkhun a affirmé qu'elle était payée 10 $ l'heure. Son relevé d'emploi ( « RE » ) pour 2000 indiquait 961,5 heures de travail à un taux horaire de 10 $. Elle n'a pas tenu elle-même de registre de ses heures de travail et ne pouvait se souvenir du nombre d'heures de travail au cours de sa dernière semaine de travail en 2000. Elle a indiqué que son mari gardait un registre de ses heures, mais il n'a pas été appelé comme témoin. Elle reconnaissait avoir également reçu une rémunération à la pièce, mais n'a offert aucune explication quant à la raison pour laquelle son RE ne l'indiquait pas.

[6]      Deux des témoins de l'intimé, M. Malik, de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, ainsi que Mme Bansal, de Développement des ressources humaines Canada ( « DRHC » ), étaient membres de ce qu'on appelle une « équipe agricole » qui mène notamment des enquêtes sur les exploitations de vergers afin d'assurer la conformité aux lois en matière de normes d'emploi. Le 5 juillet 2000, M. Malik s'est rendu au verger de M. Nagra à titre de membre de l'équipe agricole, et Mme Bansal y est allée le 25 septembre 2000. Les deux ont indiqué que l'équipe avait interrogé tous les travailleurs présents à ces deux moments et que Mme Khunkhun n'était présente à aucune de ces occasions. Cette dernière a expliqué qu'elle était dans une autre partie du verger. Étant donné la rigueur du processus d'enquête de l'équipe agricole, je conclus qu'en fait, Mme Khunkhun n'était pas présente au verger au moment de ces visites.

[7]      M. Nagra a fait quatre chèques au nom de Mme Khunkhun pour un montant total de 7 426,36 $, deux de ces chèques étant datés du 24 octobre 2000 et indiquant des montants de 2 141,70 $ et de 1 901,87 $, les deux autres étant datés du 29 octobre et indiquant des montants de 1 549 $ et de 1 833,79 $. Les deux premiers chèques ont été encaissés le 26 octobre et les deux autres, le 27 octobre. La Canada Trust a confirmé par écrit le 14 novembre 2001 que des montants de 1 633,79 $ et de 1 549 $ avaient été déposés dans le compte conjoint de Mme Khunkhun le 27 octobre 2000. Les registres bancaires n'ont pu confirmer le dépôt des deux autres chèques, bien que les versos des chèques indiquent un dépôt dans un compte à la British Columbia Central Credit Union ( « Coopérative de crédit centrale de la Colombie-Britannique » ). En ce qui concerne la raison pour laquelle elle n'a reçu qu'un paiement global à la fin octobre, Mme Khunkhun a affirmé qu'elle n'était payée que lorsque M. Nagra était payé. Mme Bansal de DRHC a confirmé qu'il s'agissait de l'une des pratiques sur lesquelles l'équipe agricole se penchait dans le cadre de ses enquêtes.

[8]      Les autres témoins de l'appelante, M. et Mme Bains, travaillaient tous les deux comme ouvriers de verger à l'exploitation agricole de M. Nagra. Ils étaient présents lors des visites de l'équipe agricole en juillet et en septembre. Ils ont tous les deux témoigné qu'ils travaillaient avec l'appelante depuis les deux dernières années et demie. M. Bains a témoigné qu'on l'appelait simplement « chauffeur » et non par son nom, puisque c'était son emploi à temps plein.

[9]      M. Drebit, un vérificateur de conformité, a témoigné qu'il avait envoyé un questionnaire à M. Nagra ainsi qu'à Mme Khunkhun. Il a donné suite au questionnaire de Mme Khunkhun parce qu'il estimait qu'il n'avait pas reçu assez de renseignements; il n'y avait pas de confirmation qu'elle avait réellement été payée ni aucune feuille de temps. Au cours d'une conversation qu'il a eue avec Mme Khunkhun, on lui a laissé entendre qu'elle avait perdu les copies de ses propres feuilles de temps. Il a ajouté que Mme Khunkhun avait confirmé qu'elle était présente au verger au moment des visites de l'équipe agricole.

[10]     En dernier lieu, il y avait un élément de preuve, à savoir des talons de chèques de paye pour les mois d'août à novembre 2001 sur lesquels étaient indiqués un taux horaire ainsi qu'une rémunération à la pièce pour Mme Khunkhun. Des chèques correspondant à ces talons étaient datés du 20 juillet, du 10 août, du 13 septembre, du 16 octobre et du 7 novembre 2001. Il semble que tous les chèques aient été encaissés le 9 novembre. On n'a fourni aucune explication pour ce délai.

[11]     Bien qu'il ait été présent dans la salle d'audience, M. Nagra n'a pas témoigné.

Analyse

[12]     Mme Khunkhun avait-elle travaillé pendant 961,5 heures comme ouvrière de verger à l'exploitation agricole de M. Nagra en 2000? Selon l'intimé, ce n'était pas le cas. D'après l'intimé, le RE pour 2000 ainsi que les quatre chèques du mois d'octobre n'étaient rien de plus qu'un stratagème afin de faire croire que l'appelante travaillait. Le RE ne correspondait pas au témoignage selon lequel Mme Khunkhun était payée en partie à la pièce. Mme Khunkhun n'était pas honnête lorsqu'elle affirmait qu'elle était présente lors des visites de l'équipe agricole. Les chèques avaient été faits au même moment. Il n'y avait aucun élément de preuve du dépôt de deux de ces chèques. Mme Khunkhun n'a pu confirmer pendant combien d'heures elle avait travaillé ni combien de jours elle avait été absente. Ce sont là des facteurs qui contredisent son affirmation qu'elle a accumulé 961,5 heures de travail assurables.

[13]     Existe-t-il des facteurs qui appuient sa position? Ses réponses quelque peu évasives en ce qui concerne le nombre exact d'heures de travail ne prouvent pas vraiment qu'elle a travaillé pendant 961,5 heures; toutefois, cela m'indique quand même qu'elle a travaillé comme ouvrière de verger. Les talons de chèques de paye constituent un certain élément de preuve à ce sujet. Ils appuient également la ventilation entre le travail à la pièce et le salaire horaire, bien que ce soit pour 2001 et non 2000. Un autre facteur qui appuie la position de Mme Khunkhun consiste en ce que la lettre de confirmation de la Canada Trust relativement aux deux dépôts porte manifestement sur les deux chèques du mois d'octobre. Je suis convaincu qu'il est possible que les travailleurs ne soient payés qu'à la fin de la saison. Cela semble représenter une pratique courante. Enfin, M. et Mme Bains ont affirmé que Mme Khunkhun a été une ouvrière de verger en 2000, mais n'ont fourni aucun élément de preuve en ce qui concerne ses heures de travail.

[14]     Que devrais-je penser de la présence de M. Nagra en cour et du fait qu'il n'a pas témoigné? Doit-on en tirer une conclusion défavorable à la position de Mme Khunkhun? L'intimé ne l'a pas prétendu. Était-il là pour intimider? Encore une fois, je ne peux l'affirmer, mais je trouve cela curieux. Il semblerait qu'il ne voulait pas témoigner, et il est certain que personne ne voulait l'y forcer.

[15]     Selon mon impression générale de Mme Khunkhun ainsi que de M. et Mme Bains, leur comportement démontrait une certaine nervosité et une certaine prudence, presque une certaine crainte. Cela me mène à la conclusion que je n'ai pas entendu toute l'histoire en ce qui concerne M. Nagra et ses employés. Je crois qu'on s'est probablement permis des libertés en ce qui concerne les faits réels de l'emploi de Mme Khunkhun. Il se passe tout simplement plus que je peux le découvrir. Je ne pense toutefois pas que toute l'affaire soit une imposture comme l'intimé voudrait que je le crois. Oui, il y a des incohérences, oui, le témoignage était parfois vague, et oui, je crois que Mme Khunkhun a menti au sujet de sa présence lors des visites de l'équipe agricole. Toutefois, les témoignages indiquaient également que Mme Khunkhun travaillait et recevait une certaine rémunération pour ce travail. Selon moi, la vérité se situe entre le stratagème proposé par l'intimé et les 961,5 heures de travail indiquées par l'appelante.

[16]     En étant arrivé à cette conclusion, je tiens compte du commentaire du juge Margeson dans l'arrêt Narang c. M.R.N.[1], une affaire semblable à l'affaire en l'espèce, dans lequel il indique ce qui suit :

À coup sûr, si la Cour devait conclure à l'existence d'un « stratagème » , il n'y avait pas d'emploi assurable. Toutefois, l'intimé n'a pas la charge d'établir qu'il existait un « stratagème » .

Il incombe à l'appelant et aux intervenants d'établir selon la prépondérance des probabilités que du travail a été effectué aux termes d'un contrat de louage de services, que les travailleurs ont travaillé pendant les périodes mentionnées dans les RE et qu'ils ont reçu les montants mentionnés dans les RE.

Je conclus selon la prépondérance des probabilités que Mme Khunkhun a travaillé en vertu d'un contrat de louage de services pendant une certaine période en 2000. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu'elle ait travaillé pendant la période indiquée sur le RE, ni qu'elle ait reçu intégralement les montants inscrits sur le formulaire. Je conclus cependant qu'elle a reçu les paiements effectués par deux des chèques d'octobre 2000, soit un montant total de 3 383,79 $. Selon les hypothèses de l'intimé en ce qui concerne les retenues de M. Nagra sur le formulaire T4 de Mme Khunkhun, cela représenterait un revenu brut d'environ 4 380 $. À un taux horaire de 10 $, cela représenterait un total de 438 heures de travail. Bien que je reconnaisse qu'il s'agit d'une solution rudimentaire au problème, je suis prêt à accueillir l'appel dans cette mesure pour les raisons indiquées ci-dessous.

[17]     Je ne suis pas convaincu que l'ouvrière soit complètement fautive en l'espèce. Comme je l'ai déjà indiqué, je soupçonne qu'il y a une histoire pas très honnête en ce qui concerne l'exploitation de vergers, bien que je ne sois pas certain de ce dont il s'agit exactement, mais il ne me semble pas juste de ne punir que l'ouvrière, l'élément situé au bas de l'échelle de l'industrie fruitière. Il me semble que ces ouvriers saisonniers, dont beaucoup ne comprennent pas l'anglais, peuvent faire l'objet de tactiques d'emploi déloyales. Cela représente sans doute la raison pour laquelle ces équipes agricoles en Colombie-Britannique se rendent dans les vergers, notamment afin d'informer les ouvriers de leurs droits et de leurs responsabilités. L'ouvrier a tort de tomber dans un piège visant à lui rapporter des gains personnels en mentant aux autorités. Cela est intolérable. Il n'est pas acceptable non plus que l'élément le plus vulnérable porte une part démesurée du blâme et de la responsabilité lorsque l'imposture est découverte. Je crois que Mme Khunkhun a travaillé pour M. Nagra en 2000, mais que les heures déclarées par M. Nagra sur le RE sont inexactes. Je ne suis pas prêt à réduire ces heures à zéro et à imposer ainsi les conséquences négatives qui en découleraient à Mme Khunkhun. Je ne suis pas prêt non plus à accepter que Mme Khunkhun a travaillé pendant 961,5 heures sur la foi du témoignage qu'elle a présenté. J'accueille l'appel et je défère l'affaire au ministre en tenant compte du fait que Mme Khunkhun a travaillé pendant 438 heures assurables en 2000.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2002.

« Campbell J. Miller »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour d'octobre 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           C.C.I., no 96-926(UI), 12 février 1997, [1997] A.C.I. no 99.

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