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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-2166(IT)G

ENTRE :

JABIN INVESTMENTS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 17 septembre 2001, à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Avocats de l'appelante :

Me Warren J. A. Mitchell, c.r.,

Me Douglas H. Mathew et Me Terry Gill

Avocats de l'intimée :

Mes Robert Carvalho, Brent Paris et Eric A. Douglas

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1992 et 1993 sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que le transfert en cause n'entraîne pas d'abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble, permettant d'invoquer l'application de l'article 245 de la Loi.

          L'appelante a droit à des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de novembre 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mars 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20011115

Dossier: 1999-2166(IT)G

ENTRE :

JABIN INVESTMENTS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]      Les présents appels sont interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations du ministre du Revenu national (le « ministre » ) pour les années d'imposition 1992 et 1993, nouvelles cotisations dans lesquelles le ministre a appliqué la disposition générale anti-évitement prévue à l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

FAITS PRÉLIMINAIRES

[2]      Le ministre et l'appelante reconnaissent que, au mois d'octobre 1989, l'appelante avait envers la Banque de Montréal (la « banque » ) une dette de 2 278 990 $ (la « dette » ). Le 17 octobre 1990, la banque a vendu la créance correspondant à la dette à la W720 Holdings Ltd. (la « W720 » ), pour 50 406 $. La W720 a été constituée dans le but de « parquer » la dette. Il était entendu entre certains actionnaires et l'appelante que la créance correspondant à la dette ne serait pas recouvrée, malgré le fait qu'elle demeurerait juridiquement réalisable. La créance correspondant à la dette de l'appelante a été transférée par la banque à la W720 pour éviter le règlement ou l'extinction de la dette et empêcher l'application de l'article 80 de la Loi, tel qu'il se lisait alors, de manière que l'appelante conserve ses pertes autres qu'en capital accumulées, en vue de les utiliser pour réduire son impôt à payer. Pour 1992 et 1993, l'appelante a, dans le calcul de son revenu imposable, déduit des pertes autres qu'en capital de 445 037 $ et de 545 695 $ respectivement. Pour les années d'imposition 1992 et 1993 de l'appelante, le ministre a délivré des avis de nouvelle cotisation en date du 27 mars 1997 refusant la déduction des pertes autres qu'en capital en vertu de l'article 245 de la Loi.

POINTS EN LITIGE

[3]      Il s'agit de savoir si l'article 245 de la Loi s'applique au transfert de la créance correspondant à la dette de l'appelante - par la banque à la W720 - de sorte que l'avantage fiscal pour l'appelante pourrait être refusé. Afin de déterminer si l'article 245 de la Loi s'applique, j'examinerai les questions suivantes :

1.        Le transfert de la créance correspondant à la dette - par la banque à la W720 - a-t-il donné lieu à un avantage fiscal?

2.        Quel était l'objet principal du transfert, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette?

3.        Le transfert de la créance correspondant à la dette - par la banque à la W720 - a-t-il entraîné un abus ( « misuse » ) dans l'application de dispositions particulières de la Loi?

4.        Le transfert de la créance correspondant à la dette - par la banque à la W720 - a-t-il entraîné un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble?

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

[4]      Au procès, l'appelante et le ministre ont déposé et invoqué l'exposé conjoint des faits suivant :

           

[TRADUCTION]

            1.          L'appelante est une société ayant son siège et son service des dossiers au 147, chemin Park, Kelowna (Colombie-Britanique). L'appelante oeuvre dans le domaine de la promotion immobilière.

            2.          En 1982, le principal créancier de l'appelante, à savoir la Banque de Montréal (la « banque » ), a mis l'appelante sous séquestre. À cette époque, l'appelante devait à la banque 2,2 millions de dollars, plus les intérêts courus.

            3.          Le séquestre-gérant a exploité l'entreprise de l'appelante jusqu'en 1988, année au cours de laquelle la banque lui a donné pour instructions de vendre tous les terrains qu'il restait à l'appelante. Le séquestre-gérant est demeuré en fonction jusqu'au 19 septembre 1990.

            4.          Avant le 6 avril 1988, le seul actionnaire de l'appelante était Walter Leong.

            5.          Au 6 avril 1988, les actions de l'appelante étaient détenues comme suit :

            a)          51 p. 100 - Wally Leong;

            b)          24,5 p. 100 - Fort Borough Inc., dont toutes les actions appartenaient à Anson Chan, un associé de Leon Tuey, beau-frère de M. Leong;

            c)          24,5 p. 100 - 342101 Ontario, Ltd., dont toutes les actions appartenaient à Fay Tuey, soeur de M. Leong.

            6.          Le 21 avril 1988, la société Oracle Investments Ltd. ( « Oracle » ) a été constituée. Ses actionnaires étaient les suivants :

            a)          25 p. 100 - Canyon Falls Investments Inc., dont toutes les actions appartiennent à Terry Winnick, l'épouse de M. Leong;

            b)          25 p. 100 - Interval Investments Ltd., dont 25 p. 100 des actions appartiennent à chacun des trois enfants de M. Leong, et 25 p. 100 à Canyon Falls Investment Inc.;

            c)          25 p. 100 - Fort Borough Inc.;

            d)          25 p. 100 - 342101 Ontario Ltd.

            7.          En juillet 1988, l'appelante a transféré ses biens immobiliers à Oracle, qui, au cours des années suivantes, les a mis en valeur et vendus dans le cadre d'une coentreprise avec l'appelante, coentreprise dont il est question au paragraphe 17 ci-après.

            8.          Au mois d'octobre 1989, l'appelante devait à la banque un montant de 2 278 990 $, à l'égard duquel M. Leong avait donné une garantie personnelle de 1 224 114 $.

            9.          À la fin de 1989, l'appelante avait accumulé de grosses pertes autres qu'en capital.

            10.        À partir du début de 1990, M. Leong a cherché à trouver une façon dont ces pertes fiscales de l'appelante pourraient être préservées, étant entendu que la partie cherchant à utiliser les pertes acquerrait de la banque la créance correspondant à la dette de l'appelante et que M. Leong serait déchargé de la garantie personnelle qu'il avait donnée à la banque.

            11.        En juillet 1990, la W720 Holdings Ltd. (la « W720 » ) a été constituée aux fins de la tentative de M. Leong pour trouver une façon de préserver les pertes fiscales de l'appelante. Ses actionnaires étaient les suivants :

            a)          25 p. 100 - Fort Borough Inc.;

            b)          25 p. 100 - 342101 Ontario Ltd.;

            c)          50 p. 100 - Terry Winnick.

            12.        La W720 a été constituée dans le seul but d'acheter à la banque la créance correspondant à la dette de l'appelante et de « parquer » la dette. L'utilisation du mot « parquer » en parlant de la dette signifiait que la W720, société ayant certains actionnaires en commun avec l'appelante, ne chercherait pas à recouvrer des sommes au titre de la dette de l'appelante, malgré le fait que la créance correspondante demeurerait juridiquement réalisable.

            13.        Les efforts de M. Leong pour trouver une façon d'utiliser les pertes fiscales de l'appelante ont abouti à une convention conclue le 17 octobre 1990 (dont une copie est annexée comme pièce A), convention en vertu de laquelle la créance correspondant à la dette de l'appelante envers la banque a été vendue à la W720 pour 50 406 $.

            14.        Si la banque avait simplement accordé une remise de dette à l'appelante, les pertes autres qu'en capital de l'appelante n'auraient plus été disponibles pour utilisation future, car la dette aurait été « réglée ou éteinte » au sens de l'article 80 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

            15.        La créance correspondant à la dette de l'appelante a été transférée par la banque à la W720 pour éviter le règlement ou l'extinction de la dette, de manière que l'appelante conserve ses pertes autres qu'en capital accumulées, en vue de les utiliser éventuellement pour réduire son impôt à payer.

            16.        En vertu de la convention du 17 octobre 1990, M. Leong a en outre été déchargé de son obligation relative à la garantie qu'il avait donnée à l'égard de la dette de l'appelante. Comme condition préalable de la libération de M. Leong concernant la garantie qu'il avait donnée, la banque a exigé que M. Leong fasse une déclaration solennelle indiquant ses actifs et ses passifs. Dans sa déclaration solennelle (annexée à la convention du 17 octobre 1990), M. Leong a indiqué des actifs de 3 000 $ et des passifs de plus de 2,3 millions de dollars.

            17.        Par une convention datée pour référence du 15 mai 1991 mais prenant effet au 6 avril 1988 (annexée comme pièce B), l'appelante et Oracle ont créé une coentreprise pour la mise en valeur des biens immobiliers transférés par l'appelante à Oracle en juillet 1988. En vertu de la convention, l'appelante avait droit à 75 p. 100 des profits de la coentreprise. La coentreprise a réalisé les profits suivants dans les années suivantes se terminant le 30 juin :

                        1989     151 784 $;

                        1990     312 823 $;

                        1991     545 873 $;

                        1992     1 032 617 $.

            18.        L'appelante a tiré de la coentreprise un revenu de 312 823 $ en 1991, de 445 037 $ en 1992 et de 774 463 $ en 1993. Dans la détermination de son revenu imposable, l'appelante a demandé à déduire des pertes autres qu'en capital de 445 037 $ pour 1992 et de 545 695 $ pour 1993.

            19.        L'appelante n'a fait aucun paiement en vertu de la débenture à la W720. La W720 n'a pris aucune mesure pour recouvrer des sommes dues par l'appelante en vertu de la débenture et elle a renoncé à tous les intérêts sur la dette.

            20.        En établissant de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante, le ministre a présumé que l'article 80 de la Loi, tel qu'il se lisait alors, ne s'appliquait pas à la vente, par la banque à la W720 Holdings Ltd., de la créance correspondant à la dette de l'appelante et le ministre a par conséquent établi de nouvelles cotisations basées entièrement sur l'article 245 de la Loi.

PREUVE PRÉSENTÉE AU PROCÈS

[5]      Au début, l'avocat de l'appelante a déclaré que ses arguments porteraient principalement sur l'étroite question de savoir si l'opération relative à la vente, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette avait entraîné un abus ( « misuse » ) dans l'application de dispositions de la Loi ou un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

[6]      L'appelante a concédé que l'opération en cause avait donné lieu à un « avantage fiscal » au sens de l'article 245 de la Loi. Elle a choisi de ne présenter aucun argument sur la question de savoir si l'opération relative à la vente, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette était une opération d'évitement. Il était loisible à l'appelante d'arguer que l' « objet principal » de l'opération n'était pas d'obtenir un avantage fiscal. Cependant, l'appelante et l'intimée ont toutes les deux profité de l'occasion pour consigner en preuve des parties d'interrogatoires préalables qui contenaient essentiellement des éléments de preuve à l'appui de leur position respective sur l'aspect « objet principal » de l'analyse de l'article 245.

L'appelante a consigné en preuve des passages de l'interrogatoire préalable de Mark Marichuk, un fonctionnaire de la Couronne :

[7]      M. Marichuk a témoigné qu'il n'y avait aucune controverse quant au fait que la W720 avait acheté à la banque la créance correspondant à la dette. Il a en outre témoigné qu'il n'était pas argué que les documents transférant cette créance étaient sans effet ou que l'opération pouvait être considérée comme un trompe-l'oeil. Il a confirmé que M. Leong avait donné à la banque une garantie personnelle d'environ 2 millions de dollars et que, par suite d'une série d'opérations, M. Leong avait été libéré de sa garantie personnelle. Enfin, l'avocat de l'intimée a concédé lors de l'interrogatoire préalable que la libération relative à une garantie personnelle pouvait avoir un objet commercial et que le ministre n'affirmait pas qu'il n'y avait aucun objet commercial en l'espèce.

Le ministre a consigné en preuve des passages de l'interrogatoire préalable de Walter Leong, principal actionnaire de l'appelante :

[8]      Lors de l'interrogatoire préalable auquel il a été soumis, M. Leong a témoigné qu'il était autorisé à fournir des réponses liant l'appelante en l'espèce. Il a confirmé que les fonds utilisés par la W720 pour acheter à la banque la créance correspondant à la dette provenaient de la coentreprise entre Oracle et l'appelante. Il a confirmé que le revenu indiqué dans la déclaration de revenu de l'appelante pour 1990 comme provenant de la vente de terrains était en fait un revenu provenant de la coentreprise entre Oracle et l'appelante, car tous les terrains de l'appelante avaient déjà été vendus à Oracle en 1988. Il n'a pu confirmer si le séquestre qui avait été nommé pour gérer l'appelante était au courant du projet de coentreprise entre Oracle et l'appelante. Lors de l'interrogatoire préalable, le ministre a demandé des explications au sujet de la différence entre la répartition du revenu indiquée dans les états financiers de l'appelante et la répartition du revenu prévue dans la convention de coentreprise. Au cours de l'interrogatoire préalable, l'avocat de l'appelante a contesté la pertinence des questions posées à M. Leong. Le ministre a déclaré que la preuve recherchée se rapportait au but que l'appelante visait en effectuant l'opération. En guise de réplique, l'avocat de l'appelante a déclaré :

          [TRADUCTION]

Nous admettons le but. Nous admettons que l'objet de l'opération était de contourner les dispositions de l'article 80.

[9]      L'avocat de l'intimée a répliqué qu'il avait cru comprendre que l'appelante affirmait également que l'objet de l'opération était de faire libérer M. Leong relativement à la garantie personnelle qu'il avait donnée à la banque et qu'à l'époque M. Leong n'avait pas assez d'argent pour obtenir une libération concernant sa garantie personnelle. L'avocat de l'intimée a déclaré que le but des questions posées était de déterminer si M. Leong disposait de fonds pour obtenir de la banque une libération relative à sa garantie personnelle. L'avocat de l'appelante a offert d'obtenir des réponses quant à la différence entre la répartition du revenu indiquée dans l'état financier de l'appelante et la répartition du revenu prévue dans la convention de coentreprise entre Oracle et l'appelante.

[10]     Lors de l'interrogatoire préalable, il a été admis que l'appelante n'avait fait aucun paiement à la W720 au titre de la dette et qu'aucune demande de paiement n'avait été faite.

[11]     M. Leong a déclaré qu'il avait organisé la vente des terrains, par l'appelante à Oracle, que la vente des terrains avait été sa première et sa seule opération commerciale avec son beau-frère, Leon Tuey, et un autre particulier, appelé Anson Chan, qu'après 1988, quand l'appelante a vendu à Oracle les terrains non mis en valeur qu'il lui restait, elle n'avait aucun autre bien et qu'en vertu de la convention de coentreprise elle était chargée de mettre en valeur les terrains, ce qu'elle a bel et bien fait.

[12]     À la question de savoir pourquoi l'appelante était devenue en droit de recevoir une plus grande part du revenu provenant de la coentreprise, M. Leong a répondu que la coentreprise ne vaudrait rien si les terrains n'étaient pas mis en valeur et que la mise en valeur des terrains était la responsabilité de l'appelante.

Ont été consignées en preuve au procès les réponses suivantes que l'appelante s'était engagée à donner :

[13]     La différence entre le revenu indiqué dans les déclarations de revenus de l'appelante et le revenu prévu dans la convention de coentreprise a été expliquée comme représentant la compensation d'une division inégale du revenu d'une année antérieure. L'appelante a déclaré que, à la fin de 1991, la répartition historique du revenu provenant de la coentreprise était égale à la répartition prévue dans la convention de coentreprise.

[14]     Il a été admis que, avant la conclusion de la convention de règlement, l'appelante avait tiré un revenu de plus de 312 000 $ de la coentreprise.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Article 245

245. [Disposition générale anti-évitement - DGAE] - (1) Définitions - Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« attribut fiscal » S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l'impôt ou l'autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

« opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

(2) Disposition générale anti-évitement [DGAE] - En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

(3) Opération d'évitement - L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

(4) Non-application du par. (2) - Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble - compte non tenu du présent article - n'est pas visée par le paragraphe (2).

(5) Attributs fiscaux à déterminer - Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d'une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération d'évitement :

a) toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l'impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

b) tout ou partie de cette déduction ainsi que tout ou partie d'un revenu, d'une perte ou d'un autre montant peuvent être attribués à une personne;

c) la nature d'un paiement ou d'un autre montant peut être qualifiée autrement;

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l'application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

Article 80, tel qu'il se lisait alors :

Historique du paragraphe 80(1) de la Loi

[15]     Historique : le paragraphe 80(1) a été modifié par L.C. 1995, ch. 21, par. 27(1). Pour son application, voir L.C. 1995, ch. 21, par. 27(2), reproduit après l'article 80.

[16]     Le paragraphe 80(1) se lisait auparavant comme suit :

80. Gain d'un débiteur provenant d'un règlement de dettes -

(1) Lorsque, à un moment donné au cours d'une année d'imposition, une dette contractée par un contribuable, ou une autre obligation contractée par un contribuable de payer une somme, est réglée ou éteinte après 1971, sans que ce contribuable effectue de paiement, ou par le paiement d'une somme inférieure au principal de la dette ou de l'obligation, l'excédent du moins élevé du montant de ce principal et du montant pour lequel l'obligation a été émise par le contribuable sur la somme ainsi versée, le cas échéant, doit servir :

a) à réduire, dans l'ordre suivant :

(i) les pertes autres que les pertes en capital,

(i.1) les pertes agricoles,

(ii) les pertes en capital nettes,

(iii) les pertes agricoles restreintes,

subies par le contribuable pour des années d'imposition antérieures, jusqu'à concurrence du total de ces pertes qui seraient par ailleurs déductibles dans le calcul du revenu imposable du contribuable pour l'année ou une année suivante;

b) dans la mesure où cet excédent est supérieur à la partie de celui-ci qui doit servir, dans le cadre de l'alinéa a), à réduire, selon les modalités réglementaires, le coût en capital supporté par le contribuable de tout bien amortissable du contribuable et le prix de base rajusté, pour lui, de toutes immobilisations,

sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

c) le contribuable est, à ce moment, un failli au sens de l'article 128;

d) la dette ou l'obligation était telle qu'aucun montant à l'égard des intérêts y afférents n'avait ou n'aurait été déductible en vertu de la présente partie dans le calcul du revenu du contribuable compte non tenu des paragraphes 18(2), (3.1) et (4) et de l'article 21 :

            (i) lorsque ces intérêts étaient, par obligation légale, payés ou payables par le contribuable,

            (ii) si ces intérêts avaient, par obligation légale, étaient payés ou payables par le contribuable;

e) l'article 79 s'applique à cette dette ou obligation;

f) l'excédent doit être par ailleurs inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure ou déduit dans le calcul soit du coût en capital, pour lui, de biens amortissables, soit du prix de base rajusté, pour lui, d'immobilisations, soit du coût indiqué, pour lui, d'autres biens;

g) l'excédent est réputé en vertu du paragraphe 39(3), et compte non tenu du présent paragraphe, représenter un gain en capital du contribuable pour l'année tiré de la disposition d'une immobilisation;

h) la dette ou l'obligation est réglée ou éteinte par legs ou héritage.

JURISPRUDENCE RÉCENTE

[17]     En déterminant si l'article 245 de la Loi s'applique, notre cour a examiné la décision récemment rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire OSFC Holdings Ltd. c. Canada (C.A.), [2001] A.C.F. no 1381 (Q.L.), ( « OSFC » ).

[18]     D'après le juge d'appel Rothstein, qui s'exprimait pour la majorité de la Cour d'appel fédérale, la façon dont il convient d'appliquer l'article 245 de la Loi est la suivante :

1.        Déterminer si l'article 245 s'applique

Pour déterminer si l'article 245 de la Loi s'applique, il faut d'abord examiner le paragraphe 245(2), soit la disposition d'assujettissement à l'impôt. Ce paragraphe dispose que l'article 245 s'applique seulement lorsqu'un avantage fiscal découlerait d'une « opération d'évitement » ou d'une « série » d'opérations dont cette opération fait partie. Je traiterai brièvement de chacune de ces conditions préalables.

a.        Avantage : la question de savoir s'il y a un avantage est une question de fait. Aucun terme de l'article 245 n'indique expressément ou implicitement que la personne qui obtient l' « avantage fiscal » doit nécessairement être la personne ayant effectué ou organisé l'opération en cause. Autrement dit, qui a obtenu l'avantage importe peu.

b.        Série : une opération fait partie d'une « série » en vertu du paragraphe 245(2) si, à la fois :

i.         une « série d'opérations » au sens de la common law existe;

ii.        l'opération particulière est « liée » à la « série d'opérations » au sens de la common law;

iii.       l'opération liée est terminée en vue de réaliser la série.

          La définition de « série d'opérations » , au sens de la common law, qui a été adoptée par la Cour d'appel fédérale avait été énoncée dans l'affaire Furniss v. Dawson, [1984] A.C. 474 (C.L.). Au paragraphe 24 de l'arrêt OSFC, le juge d'appel Rothstein a résumé comme suit le critère :

[...] pour qu'il y ait une série d'opérations, chaque opération dans la série doit être déterminée d'avance pour produire un résultat final. Par détermination d'avance, on veut dire que lorsque la première opération de la série est réalisée, tous les éléments essentiels de l'opération ultérieure ou des opérations ultérieures sont déterminés par les personnes qui ont la ferme intention et la capacité de les réaliser. C'est-à-dire qu'il n'existe aucune probabilité pratique que l'opération ultérieure ou les opérations ultérieures ne se réaliseront pas.

Cette définition en common law se trouve être élargie par le paragraphe 248(10), qui se lit comme suit :

248(10) Pour l'application de la présente loi, la mention d'une série d'opérations ou d'événements vaut mention des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série.

          L'opération liée n'a pas à être déterminée d'avance, et il n'y a aucune restriction quant à savoir quand il faut que l'opération soit terminée. À condition que l'opération ait un lien avec la « série d'opérations » au sens de la common law, elle sera, si on l'a terminée en vue de réaliser ladite série, incluse dans la série du fait de l'application de la disposition déterminative du paragraphe 248(10).

          Une opération liée sera considérée comme terminée en vue de réaliser la « série d'opérations » au sens de la common law si les parties à l'opération liée étaient au courant de ladite série si bien que l'on pourrait dire qu'elles l'ont prise en compte quand elles ont décidé de terminer l'opération liée.

c.        Opération d'évitement : une fois qu'il est déterminé qu'une série d'opérations donne lieu à un avantage fiscal, toute opération faisant partie de cette série peut être jugée comme étant une « opération d'évitement » . La question est de savoir quel est l'objet principal de chacune des opérations faisant partie de la série. Si une opération a pour objet principal d'obtenir un avantage fiscal, elle est considérée comme une « opération d'évitement » . La détermination de l'objet principal d'une opération représente un critère objectif qui tient compte de la date de l'opération en cause.

          L'objet principal d'une opération sera déterminé en se fondant sur les faits de chaque espèce. Le juge d'appel Rothstein a dit au paragraphe 58 :

[...] je soulignerai que l'objet principal d'une opération sera déterminé sur la base des faits de chaque espèce. En particulier, une comparaison du montant de l'avantage fiscal estimatif et du montant estimatif du revenu commercial peut ne pas être déterminante, surtout lorsque ces estimations sont proches. De plus, la nature de cet aspect commercial de l'opération doit être examinée attentivement. On ne peut tout simplement pas statuer que l'objet commercial n'est pas l'objet principal parce que l'avantage fiscal est important.

          Une fois qu'il est déterminé qu'un avantage fiscal découle d'une opération d'évitement ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie, l'article 245 s'applique, à moins que les opérations d'évitement n'entraînent pas un abus ( « misuse » ) dans l'application d'une disposition particulière de la Loi ou un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble. Le paragraphe 245(4) de la Loi est une disposition d'assouplissement qui empêche l'application de l'article 245 de la Loi dans les cas où il peut être démontré que l'opération attaquée ne représente pas un abus ( « misuse » ) d'une disposition particulière de la Loi ou un abus ( « abuse » ) de la Loi lue dans son ensemble.

          D'après le juge d'appel Rothstein, pour déterminer si une opération entraîne un abus ( « misuse » ) dans l'application d'une disposition particulière de la Loi ou un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble, il faut procéder à une analyse en deux étapes; le juge d'appel Rothstein a dit au paragraphe 67 :

Pour déterminer s'il y a eu abus dans l'application des dispositions de la Loi, il faut procéder à une analyse en deux étapes. D'une part, il faut déterminer la politique générale pertinente qui sous-tend les dispositions ou la Loi lue dans son ensemble. D'autre part, il faut évaluer les faits pour déterminer si l'opération d'évitement constituait un abus compte tenu de la politique générale en question.

L'analyse doit être effectuée comme suit :

2.        Déterminer si l'une quelconque des opérations d'évitement entraîne un abus

a.        Quant à savoir s'il est raisonnable de considérer qu'une opération d'évitement entraîne un abus ( « misuse » ) dans l'application d'une disposition particulière :

i.         premièrement, déterminer quelle est la politique sous-jacente à la disposition particulière;

ii.        deuxièmement, évaluer les faits pour déterminer si l'opération d'évitement constituait un abus ( « misuse » ) compte tenu de la politique en question.

b.        Quant à savoir s'il est raisonnable de considérer que l'une quelconque des opérations d'évitement entraînerait un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi :

i.         premièrement, déterminer la politique pertinente qui sous-tend la Loi dans son ensemble;

ii.        deuxièmement, évaluer les faits pour déterminer si l'opération d'évitement constituait un abus ( « abuse » ) compte tenu de la politique en question.

          Généralement, le ministre énoncera la politique en question en mentionnant les dispositions de la Loi ou des moyens extrinsèques. En définitive, toutefois, c'est une question d'interprétation et il incombe à la cour de déterminer ce qu'est la politique pertinente. Dès lors que la politique pertinente a été déterminée, il incombera au contribuable de prouver les faits nécessaires pour réfuter l'hypothèse de fait du ministre selon laquelle l'opération d'évitement en cause entraîne un abus ( « misuse » ) dans l'application d'une disposition particulière de la Loi ou un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

          Si l'on doit conclure que l'opération d'évitement entraîne bel et bien un abus dans l'application de la Loi, l'avantage fiscal sera refusé en vertu du paragraphe 245(5).

ARGUMENTS

Appelante

[19]     Au début de l'argumentation qu'il a présentée, l'avocat de l'appelante a déclaré que, à la lumière de la décision récemment rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire OSFC, précitée, ses arguments seraient axés sur les questions de savoir si l'opération relative à la vente, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette entraînait un abus ( « misuse » ) dans l'application de dispositions particulières de la Loi ou un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble. L'avocat a fait valoir que, pour que la Cour applique l'article 245 de la Loi, le ministre doit d'abord énoncer la politique pertinente qui sous-tend la disposition particulière ou la Loi lue dans son ensemble.

[20]     L'avocat de l'appelante a concédé que l'opération avait donné lieu à un « avantage fiscal » et qu'il ne débattait pas la question de l'opération d'évitement. Il soutenait simplement que l'opération n'avait pas entraîné un abus ( « misuse » ) dans l'application d'une disposition particulière ou un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

[21]     L'argument de l'avocat sur la question de savoir si l'opération avait entraîné un abus ( « misuse » ) était extrêmement bref. L'avocat affirmait que, comme l'article 80 de la Loi, tel qu'il se lisait alors, ne s'appliquait pas, cet article n'a jamais été utilisé et ne pouvait donc faire l'objet d'un abus ( « misuse » ).

[22]     L'argumentation de l'avocat portait surtout sur la question de savoir si l'opération avait entraîné un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble. L'avocat a déclaré que, lorsque de l'argent emprunté est utilisé pour acheter un bien, la Loi permet la déduction du coût de ce bien. L'objet de l'article 80 de la Loi, tel qu'il se lisait alors, était de faire en sorte que des déductions relatives au coût d'un bien acheté avec de l'argent emprunté ne soient pas admises dans les cas où la dette liée à l'achat du bien avait été juridiquement remise. L'avocat a fait remarquer qu'il y a une distinction entre la politique qui sous-tend la version de l'article 80 antérieure à 1994 et la politique qui sous-tend la version de l'article 80 postérieure à 1994. En vertu de la nouvelle disposition, le transfert d'une créance à un créancier « ayant un lien de dépendance » donnerait lieu à un règlement « réputé » de la dette correspondante, mais, si une dette réputée avoir été réglée est subséquemment remboursée, la disposition prévoit un allégement sous la forme d'une déduction pour l'année du remboursement de la dette. L'ancienne disposition ne s'appliquait qu'à des dettes juridiquement éteintes et ne prévoyait donc aucun allégement. L'avocat de l'appelante a dit en résumé qu'avant 1994 la politique pertinente était que, pour que l'article 80 de la Loi s'applique, il devait y avoir eu extinction juridique.

[23]     D'après l'appelante, le ministre affirme que, bien que la créance correspondant à la dette soit demeurée juridiquement réalisable, comme elle était entre les mains d'un créancier amical, l'effet économique était le même que si la dette avait été réglée ou éteinte. Toutefois, en ne tenant pas compte de l'effet juridique de l'opération, on fait fi de la possibilité que, à un moment donné, une créance puisse être réalisée. L'avocat soutenait que, dans le cas présent, si la W720 était mise sous séquestre, le séquestre chercherait à recouvrer cette créance juridiquement réalisable.

[24]     L'avocat soutenait que l'analyse de la DGAE devrait se limiter à l'examen des opérations effectives et ne pas porter sur les conséquences économiques des opérations. À l'appui de ce principe, l'avocat a attiré l'attention de la Cour sur les propos suivants tenus par le juge Bonner dans l'affaire Canadien Pacifique Limitée c. Sa Majesté la Reine, C.C.I., no 95-3534(IT)G, 13 octobre 2000, au paragraphe 10 (2000 DTC 2428, à la page 2431) :

[10] Je ferai maintenant remarquer que je ne souscris pas à l'affirmation de l'intimée selon laquelle [TRADUCTION] « le fait d'émettre un titre de créance en dollars australiens plutôt qu'en dollars canadiens nécessaires [...] convertissait des remboursements du principal canadiens non déductibles en une dépense déductible, gonflant ainsi le coût de l'emprunt uniquement à des fins fiscales » . Bien que cette déclaration puisse être précise en tant que description concise d'un effet économique global, cela ne représente pas du tout ce qui s'est produit et il est important pour les besoins de l'analyse de l'article 245 de préciser ce qui s'est passé. Ce que l'appelante a fait a été d'effectuer un choix, afin de répondre à ses besoins de capital devant être utilisé dans son entreprise, en empruntant de l'argent. Elle a fait un deuxième choix, à savoir réaliser ses objectifs en empruntant des dollars australiens. Ce deuxième choix a entraîné avec lui un fardeau et un avantage. Le fardeau correspondait à l'obligation de payer des intérêts sur l'argent emprunté à un taux de 16,125 p. 100, le taux d'intérêt du marché pour les emprunts faits en dollars australiens. Ce taux était considérablement plus élevé que celui que l'appelante aurait été obligée de payer si elle avait emprunté des dollars canadiens directement. Cela avait pour avantage de donner l'occasion de participer à une opération de change rentable. L'appelante a été en mesure de vendre pour livraison immédiate les dollars australiens qu'elle avait empruntés. Elle a pu acheter en 1989 pour livraison en 1994 les dollars australiens nécessaires pour rembourser les obligations non garanties à l'échéance. La différence entre le taux de change applicable aux ventes de dollars australiens faites en 1989 pour livraison immédiate et celui applicable aux achats de dollars australiens faits en 1989 pour livraison en 1994 a rapporté à l'appelante un profit énorme sur une opération de change. Il n'y a aucun doute que le taux d'intérêt élevé sur les emprunts faits en dollars australiens était lié aux conditions inflationnistes qui ont fait en sorte que les dollars australiens livrés en 1994 avaient une valeur moindre que les dollars australiens livrés en 1989, mais ce lien économique ne soutient pas une conclusion selon laquelle les remboursements du principal sur les obligations non garanties ont été d'une certaine manière « convertis » en une dépense déductible. L'article 245 ne permet pas qu'un événement soit qualifié autrement dans le but de déterminer si le paragraphe 245(2) s'applique. La nouvelle qualification n'est autorisée en vertu de l'alinéa 245(5)c) que lorsque l'on peut conclure que le paragraphe 245(2) s'applique en tenant compte d'opérations qui n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle qualification.

[25]     L'avocat soutenait que, dans la présente espèce, le ministre cherchait à utiliser l'article 245 de la Loi pour appliquer rétroactivement la politique élargie - englobant les extinctions « réputées » - qui sous-tend la disposition postérieure à 1994. Il soutenait que le fait de chercher à appliquer rétroactivement le nouvel article 80 représentait une utilisation incorrecte de l'article 245, invoquant à cet égard les propos suivants tenus par le juge en chef adjoint Bowman dans l'affaire Geransky c. La Reine, C.C.I., no 98-2383(IT)G, 19 février 2001, aux paragraphes 42 et 43 (2001 DTC 243, à la page 250) :

[42] En termes simples, le fait d'utiliser des dispositions particulières de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le cadre d'une opération commerciale et de les appliquer conformément à leur libellé ne constitue pas un abus. La Loi de l'impôt sur le revenu est remarquable par sa particularisation et regorge de dispositions anti-évitement conçues pour contrecarrer tout abus particulier perçu. Lorsque le contribuable applique ces dispositions et réussit à éviter les pièges, le ministre ne peut lui dire : « Parce que vous avez su éviter les écueils et les obstacles de la Loi et que vous n'avez pas effectué votre opération commerciale de manière à payer le maximum d'impôt, je vais invoquer la RGAÉ pour éviter toute échappatoire que n'aurait pas prévue la multitude de dispositions anti-évitement particulières. »

[43] Tel n'est pas l'objet de la RGAÉ.

Intimée :

[26]     L'avocat de l'intimée soutenait que la politique sous-jacente à l'article 80 de la Loi était de traiter de la substance économique d'une remise de dette. Il soutenait que les raisons sous-jacentes à l'article 80 de la Loi remontent aux recommandations de la commission Carter, qui ont précédé la réforme fiscale de 1972. Avant 1972, aucune disposition particulière ne traitait des conséquences fiscales de la remise d'une dette. En 1966, la commission Carter a recommandé qu'une remise de dette soit traitée comme un revenu. L'avocat a renvoyé la Cour à la déclaration suivante de la commission :

A notre avis, le débiteur reçoit un revenu chaque fois qu'une dette lui est remise, puisque la remise du passif d'une personne entraîne l'augmentation de son actif net et accroît d'autant sa puissance économique. Tout débiteur en affaires qui a bénéficié d'une ou de plusieurs remises de dettes, s'est trouvé en fait à réclamer des dépenses, ou à enregistrer des actifs qui, en réalité, ne lui ont rien coûté. Le revenu déclaré pour les années antérieures était, par conséquent, inférieur aux chiffres réels, et voilà pourquoi il semble raisonnable d'exiger une correction dans l'année en cours. Parce que une [sic] telle correction ne se présente seulement [sic] s'il y a des pertes, elle aura donc pour effet de réduire les pertes plutôt que de créer un revenu imposable.[1]

[27]     L'avocat a concédé que le législateur n'avait pas accepté la recommandation voulant qu'une remise de dette soit carrément incluse dans le revenu et qu'il avait plutôt accepté la proposition secondaire de la commission Carter, qui était de réduire les pertes autres qu'en capital et les pertes en capital relatives à des biens du contribuable pour l'année de la remise de dette. L'avocat soutenait que cette approche reflétait encore la constatation d'un gain économique pour un contribuable lors d'un règlement de dette et que les raisons sous-jacentes à l'article 80 étaient de déterminer les conséquences fiscales du règlement de dette, qu'il s'agisse d'une extinction ou d'un règlement de droit ou de fait.

[28]     L'avocat prétendait que le législateur n'entendait pas traiter simplement d'extinction juridique. À cet égard, l'avocat a attiré l'attention de la Cour sur le fait que la commission Carter avait initialement recommandé que la Loi traite d'une remise de dette « réputée » , en disant :

La dette devrait être tenue pour remise à la première des circonstances suivantes : au moment où le débiteur déclare avoir reçu avis de la remise de sa dette; au moment où un tribunal ratifie une proposition en vertu de la Loi sur la faillite; ou à la date de la prescription. [page 615]

[29]     L'avocat affirmait qu'une dette réputée éteinte à la date de la prescription serait analogue à la dette considérée en l'espèce, en ce qu'il ne s'agirait pas d'une dette juridiquement éteinte. Si un contribuable avait subséquemment effectué un paiement, il n'y aurait eu aucun allégement en vertu de la Loi. Le fait que le législateur n'a pas prévu une disposition d'allégement à l'article 80 avant 1994 ne reflète pas une politique consistant à traiter seulement de dettes juridiquement éteintes. L'inclusion proposée d'une disposition tenant pour éteintes des dettes frappées de prescription indique, d'après l'avocat de l'intimée, que l'intention du législateur en édictant l'article 80 n'était pas simplement de traiter de dettes juridiquement remises.

[30]     L'avocat de l'intimée a affirmé que, dans la présente espèce, il est clair que l'appelante tire un gain économique de la vente, à la W720, de la créance correspondant à la dette, car il était admis dans l'exposé conjoint des faits qu'il n'y aurait aucune tentative pour recouvrer cette créance. Bien que la créance soit juridiquement réalisable, la dette a, d'un point de vue économique, été éteinte.

[31]     L'avocat de l'intimée a dit que la Couronne ne cherchait pas à qualifier autrement les opérations comme dans les affaires Geransky et Canadien Pacifique, précitées. Vu l'intention des parties dans le cas présent, l'opération représente à première vue une extinction de fait.

[32]     L'avocat de l'intimée affirmait qu'il n'était pas loisible à notre cour de considérer les modifications de 1994 de l'article 80 comme expliquant de quelque manière l'intention du législateur quant à la disposition antérieure. Il a renvoyé la Cour à l'affaire États-Unis c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462, dans laquelle la Cour suprême du Canada a dit à la page 484 :

Ce que les auteurs appellent l' « évolution législative subséquente » ne peut jeter aucune lumière sur l'intention du législateur, qu'il soit fédéral ou provincial. Tout au plus, les modifications législatives révèlent l'interprétation que le législateur actuel donne à l'oeuvre d'un prédécesseur. Et, en matière d'interprétation de la loi, c'est le jugement des tribunaux, et non celui des législateurs, qui importe. Il appartient aux juges de déterminer quelle était l'intention du législateur qui a adopté la loi. [...]

De plus, la consultation de l' « évolution législative subséquente » comme aide à l'interprétation de lois antérieures reviendrait à accorder aux lois adoptées subséquemment un effet rétroactif, et, comme notre Cour l'a fait observer à maintes reprises, les lois ne doivent pas être appliquées rétroactivement sauf dans les cas les plus clairs : [...]

ANALYSE

[33]     Question no 1 : l'opération relative au transfert, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette a-t-il donné lieu à un avantage fiscal? L'appelante concède que l'opération relative à la vente de cette créance, par la banque à la W720, a donné lieu à un avantage fiscal. De toute façon, vu la vaste définition d' « avantage fiscal » figurant au paragraphe 245(1) de la Loi, j'aurais conclu que la préservation des pertes autres qu'en capital de l'appelante - grâce à la vente de la créance à la W720 - et la déduction de ces pertes pour les années d'imposition 1992 et 1993 représentaient un « avantage fiscal » au sens de l'article 245 de la Loi.

[34]     Question no 2 : quel était l'objet principal de l'opération relative au transfert, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette? Ni l'appelante ni le ministre n'ont présenté d'arguments au procès quant à l'objet principal de l'opération relative à la vente de cette créance, par la banque à la W720. Ils ont cependant tous les deux consigné en preuve des extraits d'interrogatoires préalables qui se rapportaient à la question de savoir si l'objet principal de l'opération était d'obtenir un avantage fiscal.

          Ce qui peut être dégagé de la preuve présentée est que, outre qu'elle a permis la préservation des pertes autres qu'en capital de l'appelante, la vente de la créance correspondant à la dette, par la banque à la W720, a fait que le principal actionnaire de l'appelante a été libéré de garanties personnelles qu'il avait données à la banque à l'égard du titre de créance.

          Dans les présents motifs, il n'est pas nécessaire de traiter de la question de savoir si la décharge de garantie personnelle pourrait être considérée comme l'objet principal de l'opération. Bien qu'il ait présenté des éléments de preuve qui porteraient la Cour à croire que l'appelante considère que l'objet principal de l'opération était de libérer M. Leong de la garantie personnelle qu'il avait donnée à la banque, l'avocat de l'appelante a concédé à l'étape des interrogatoires préalables (pièce R-2) que l'objet de l'opération était de contourner l'article 80 de la Loi. Contourner l'article 80 de la Loi était nécessaire pour que l'appelante préserve ses pertes autres qu'en capital, qui étaient importantes. La préservation de ces pertes était un « avantage fiscal » , de sorte que l'objet principal de l'opération était d'obtenir un avantage fiscal.

[35]     Question no 3 : l'opération relative au transfert, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette a-t-elle entraîné un abus ( « misuse » ) dans l'application de dispositions particulières de la Loi? Au sujet de la question de savoir si l'opération relative à la vente de cette créance, par la banque à la W720, a entraîné un abus ( « misuse » ) dans l'application d'une disposition particulière de la Loi, j'accepte l'argument de l'appelante que le fait d'éviter l'application d'une disposition particulière n'entraîne pas un abus ( « misuse » ). Le terme « misuse » est défini comme suit dans le Concise Oxford Dictionary :

            [TRADUCTION]

            v. et n. - v. tr. / misju:z / 1. mal utiliser; appliquer à la mauvaise fin. 2. maltraiter. - n. / mis'ju:s / utilisation ou application mauvaise ou abusive.

          En faisant en sorte que sa dette soit « parquée » , l'appelante a évité l'application de l'article 80 de la Loi, telle qu'il se lisait alors. Logiquement, le fait d'éviter l'application d'une disposition particulière de la Loi n'entre pas dans le champ sémantique du mot « misuse » . Il va de soi que, si l'article 80 n'a pas été utilisé, il ne peut avoir fait l'objet d'un abus ( « misuse » ).

[36]     Question no 4 : l'opération relative au transfert, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette a-t-elle entraîné un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble? Bien que des preuves se rapportant à d'autres aspects de l'application de l'article 245 aient été déposées par consentement des parties, on a demandé à la Cour d'axer son analyse sur la partie de l'article 245 qui traite d' « abus » (soit un mot qui correspond dans la version anglaise au terme « misuse » ou au terme « abuse » ). Comme j'ai déterminé que l'évitement d'une disposition particulière de la Loi ne représente pas un abus ( « misuse » ) dans l'application de cette disposition, la principale question à résoudre dans le présent appel est de savoir si l'opération en cause entraîne un abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble.

[37]     Dans l'affaire OSFC, précitée, le juge d'appel Rothstein, s'exprimant pour la majorité de la Cour d'appel fédérale, a traité comme suit du critère à appliquer quant à savoir s'il y a eu abus dans l'application de la Loi :

[67] Pour déterminer s'il y a eu abus dans l'application des dispositions de la Loi, il faut procéder à une analyse en deux étapes. D'une part, il faut déterminer la politique générale pertinente qui sous-tend les dispositions ou la Loi lue dans son ensemble. D'autre part, il faut évaluer les faits pour déterminer si l'opération d'évitement constituait un abus compte tenu de la politique générale en question.

[68] La détermination de la politique générale pertinente est une question d'interprétation. Dès lors, il incombe en fin de compte à la Cour de le faire. À cette étape de l'analyse, aucun fardeau ne pèse sur l'une ou l'autre des parties. Toutefois, dans une perspective pratique, le ministre doit faire beaucoup plus que de citer simplement le texte du paragraphe 245(4), et d'alléguer qu'il y a eu abus. Le ministre doit énoncer la politique générale en mentionnant les dispositions de la Loi ou les moyens extrinsèques sur lesquels il s'appuie. Sinon, il place le contribuable et la Cour dans la position difficile d'essayer de deviner la politique pertinente en cause. Tenter de déterminer la politique générale qui sous-tend une disposition particulière ou une loi lue, dans son ensemble, dans le cas d'une loi aussi complexe que la Loi de l'impôt sur le revenu est une tâche difficile, surtout lorsque l'opération en question est conforme à la lettre de la Loi. Par conséquent, la Cour a besoin de l'aide des parties pour lui permettre de tirer la bonne conclusion. Néanmoins, avec ou sans cette aide, la Cour doit tenter de déterminer la politique générale pertinente. Évidemment, à l'étape suivante, dès lors que la politique générale a été déterminée, il incombera au contribuable de prouver les faits nécessaires pour réfuter les présomptions du ministre selon lesquelles l'opération d'évitement en question donne lieu à un abus.

[69] Il est également nécessaire de garder à l'esprit le contexte dans lequel est effectuée l'analyse relative à l'abus. L'opération d'évitement a respecté la lettre des dispositions applicables de la Loi. Néanmoins, l'avantage fiscal sera refusé s'il y a eu abus. Il n'est pas question d'essayer de deviner l'intention du Parlement en utilisant une analyse téléologique lorsque les mots utilisés dans une loi sont ambigus. Il s'agit plutôt d'invoquer une politique générale pour déroger aux mots que le législateur a utilisés. J'estime donc que pour refuser un avantage fiscal, alors que la Loi a été rigoureusement respectée, pour le motif que l'opération d'évitement constitue un abus, il faut que la politique générale pertinente soit claire et non ambiguë. La Cour fera preuve de prudence en se déchargeant de la tâche inhabituelle qui lui est imposée par le paragraphe 245(4). Elle doit être certaine que, même si les mots utilisés par le législateur autorisent l'opération d'évitement, la politique générale qui sous-tend les dispositions pertinentes ou la Loi lue dans son ensemble est suffisamment claire pour permettre à la Cour de conclure sans danger que l'application de la disposition ou des dispositions par le contribuable constituait un abus.

[70] En réponse à l'argument selon lequel une telle approche rendra difficile l'application de la RGAÉ, je dirais que dès lors que la politique générale est claire, son application ne sera pas difficile. Si la politique générale est ambiguë, son application devrait être difficile. C'est ainsi parce que le paragraphe 245(4) ne peut être considéré comme une abdication par le Parlement de son rôle de législateur en faveur d'un jugement subjectif de la Cour ou de juges en particulier. En édictant le paragraphe 245(4), le législateur a imposé à la Cour le fardeau de déterminer la politique générale du Parlement, comme motif de refus d'un avantage fiscal découlant d'une opération qui est par ailleurs conforme aux exigences de la Loi. Si le Parlement n'a pas fait preuve de clarté et d'absence d'ambiguïté à l'égard de la politique générale qu'il envisageait, la Cour ne saurait décider qu'il y a eu abus, et le respect de la Loi doit l'emporter.

[38]     L'avocat de l'appelante et l'avocat de l'intimée ont tous les deux présenté des arguments quant à la politique pertinente qui sous-tend la Loi pour ce qui est du règlement de dettes. L'appelante affirmait que, pour que s'applique l'article 80 de la Loi, tel qu'il se lisait alors, il faut qu'il y ait un règlement juridique de la dette, tandis que le ministre affirmait que l'intention du législateur en édictant l'article 80 de la Loi était d'assujettir à l'impôt le gain économique, pour un contribuable, résultant d'une remise de dette. La position du ministre n'incluait pas seulement des dettes juridiquement éteintes.

[39]     Je conviens avec l'avocat de l'intimée qu'il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel le ministre a cherché à qualifier autrement les opérations. Si le ministre avait argué que l'article 80 s'appliquait ou même que la dette avait été juridiquement éteinte, cela aurait équivalu à une nouvelle qualification de l'opération.

[40]     En l'espèce, on peut résoudre la question de savoir s'il y a eu abus ( « abuse » ) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble en déterminant simplement si la politique sous-jacente à l'article 80 de la Loi, tel qu'il se lisait alors, était d'appliquer des conséquences fiscales lorsqu'une dette a été juridiquement remise ou si cette politique était plus vaste, c'est-à-dire assez vaste pour englober une extinction de fait.

[41]     Le ministre affirmait que la politique sous-jacente à l'article 80 pouvait être dégagée du rapport de la commission Carter, qui a précédé l'édiction, en 1972, de l'article 80. Je reconnais que le rapport de la commission Carter, dans l'ensemble, visait l'imposition d'effets économiques. L'expression souvent citée « une piastre est toujours une piastre » reflète avec exactitude le point de vue qui est énoncé dans le rapport et selon lequel l'impôt devrait être fonction de modifications du pouvoir économique. Toutefois, les vastes changements proposés par la commission Carter en 1966 n'ont pas été incorporés par le législateur dans la nouvelle Loi de l'impôt sur le revenu de 1972[2]. En ce qui a trait aux recommandations de la commission en matière de remise de dette, le législateur a rejeté la principale recommandation voulant qu'une remise de dette soit carrément incluse dans le revenu. Au lieu de cela, le législateur a adopté un mécanisme pour que les « comptes » fiscaux d'éléments comme des pertes autres qu'en capital soient réduits dans les cas de remise de dette. Il reste à déterminer si le législateur entendait que cette disposition s'applique seulement dans le cas d'une extinction juridique ou s'il entendait qu'elle s'applique lorsqu'un contribuable a obtenu un « gain économique » par suite de la remise de dette.

[42]     Même s'il est accepté que l'intention du législateur peut être déterminée à partir des recommandations de la commission Carter, je présume que l'intention de la commission elle-même était seulement que les dispositions particulières s'appliquent lorsqu'une dette a été juridiquement remise. À la page 607 de son rapport, la commission disait :

Il y a remise de dette lorsque légalement le débiteur n'est plus obligé d'acquitter ses dettes en tout ou en partie. Tels sont les cas d'ententes volontaires ou homologuées par un tribunal qui accordent la remise ou la réduction d'une dette, ou les cas de remise involontaire résultant de l'application de la Loi de la prescription qui éteint le droit de poursuivre en recouvrement d'une créance.

La commission reconnaissait ensuite qu'une difficulté surgissait en déterminant quand une dette était remise; aux pages 608 et 609, elle disait :

Une difficulté surgit lorsqu'il s'agit de déterminer si la remise d'une dette devrait être considérée comme étant un revenu gagné. La remise d'une dette nécessite habituellement une manifestation explicite de la volonté du créancier; cependant, il peut devenir impossible de demander l'exécution d'une dette par suite du jeu de la prescription. Nous croyons qu'il est raisonnable de présumer qu'un revenu existe dès qu'il y a prescription. En conséquence, le revenu devrait être tenu pour existant dès que se produirait l'un des faits suivants : la reconnaissance de la remise de dette par le débiteur; l'homologation par le tribunal d'un compromis conclu en vertu de la Loi sur la faillite; ou l'accomplissement de la prescription. Notons que la prescription a pour effet de limiter l'exercice d'un droit sans le supprimer : elle empêcherait la perception seulement si on l'invoquait expressément lors d'un procès en recouvrement de dette. De plus, cette prescription pourrait cesser de s'appliquer à la suite d'une reconnaissance de dette subséquente, ou à la suite d'un paiement partiel par le débiteur. Néanmoins, comme le temps de la prescription est fixe, nous estimons que le délai de prescription devrait être la date limite à laquelle l'emprunteur pourrait retarder l'enregistrement du revenu. De toute façon, le contribuable devrait avoir le droit de déduire de son revenu tout acquittement d'une dette précédemment incluse dans son revenu comme ayant déjà été remise. Cette formule permettrait d'éviter toute difficulté découlant de l'inclusion dans le revenu d'une dette remise.

[43]     La commission Carter recommandait ici une extinction « réputée » de dettes dans une série donnée de circonstances. Cela indique que, lorsque la commission parle de dettes « remises » , elle traite de dettes juridiquement remises. Il est à noter que cette recommandation en matière de remise « réputée » n'a pas été adoptée par le législateur dans les réformes de 1972. Le législateur n'a pas adopté non plus la recommandation de la commission voulant que soit accordée une déduction si un contribuable finissait par payer une dette précédemment incluse dans son revenu en raison d'une remise « réputée » . L'exclusion d'une disposition d'allégement indique que, lorsque, en 1972, le législateur a édicté l'article 80, il entendait que celui-ci s'applique seulement à des dettes juridiquement éteintes, car une telle disposition d'allégement n'était pas nécessaire.

[44]     Certes, il n'est pas loisible à la Cour d'examiner les modifications apportées à l'article 80 en 1995 en vue d'interpréter l'intention qu'avait le législateur en 1972, car cela révélerait simplement la manière dont la législature de 1995 interprétait le travail d'une législature précédente. Toutefois, pour déterminer l'intention du législateur, il est loisible à notre cour de tirer des conclusions logiques aussi bien de ce qui a été inclus dans la législation que de ce qui n'y a pas été inclus. La longue argumentation de l'avocat de l'appelante sur la distinction entre la politique sous-jacente à l'article 80 antérieur à 1994 et la politique sous-jacente à l'article 80 postérieur à 1994 indique que, une disposition d'allégement n'ayant pas été prévue dans la législation antérieure, il est logique de conclure que le législateur entendait seulement que la disposition s'applique à des dettes juridiquement éteintes. J'accepte cette conclusion et fais remarquer que, lorsque la commission Carter traitait d'extinctions « réputées » , elle aussi aurait prévu une disposition d'allégement. Logiquement, si, en 1972, le législateur avait choisi d'imposer le gain économique global, il aurait prévu une disposition d'allégement.

[45]     J'accepte en outre l'argument que, malgré le fait qu'à l'heure actuelle la créance correspondant à la dette ne soit pas en cours de réalisation, il est possible qu'à un moment donné elle puisse être recouvrée; tant que cette créance demeure juridiquement réalisable, elle pourrait être réalisée advenant un changement dans le contrôle de la W720 ou advenant la nomination d'un séquestre.

CONCLUSION

[46]     Je conclus que, de 1972 à 1994 inclusivement, lorsque les modifications importantes de l'article 80 de la Loi ont pris effet, le législateur entendait qu'il y ait des conséquences fiscales quand une dette était juridiquement éteinte. En l'espèce :

(i)       l'opération relative au transfert, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette a bel et bien donné lieu à un avantage fiscal;

(ii)       l'objet principal de l'opération relative à ce transfert était d'obtenir un avantage fiscal;

(iii)      comme le fait de « parquer » la dette évitait l'application de l'article 80, celui-ci n'a pas été utilisé et n'a donc pas fait l'objet d'un abus ( « misuse » );

(iv)      la dette en cause n'était pas juridiquement éteinte, et la politique sous-jacente à la Loi concernant le règlement de dettes n'a pas fait l'objet d'un abus. Donc, l'opération relative au transfert, par la banque à la W720, de la créance correspondant à la dette n'entraîne pas un abus ( « abuse » ), relativement à la Loi, permettant d'invoquer l'application de l'article 245 de la Loi.

DÉCISION

[47]     En conséquence, les appels sont admis et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'article 245 de la Loi ne s'applique pas à l'opération relative au transfert de la créance correspondant à la dette en cause.

[48]     L'appelante a droit à des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de novembre 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de mars 2003.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Canada, Rapport de la Commission royale d'enquête sur la fiscalité, tome 3 (Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1966), aux pages 607 et 608.

[2] L'ouvrage de W. Neil Brooks intituléThe Quest for Tax Reform (Carswell, 1988) contient un article d'Anthony F. Sheppard dans lequel sont cités des propos tenus par l'honorable E. J. Benson, ministre des Finances, dans Propositions de réforme fiscale (Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969) :

            [TRADUCTION]

             e) La réforme fiscale de 1972 n'inclut même pas la moitié des recommandations de la commission Carter

             En réponse au rapport de la commission Carter, le gouvernement libéral fédéral a établi un livre blanc dans lequel il rejette comme objectif de réforme fiscale aussi bien l'inclusion totale des gains en capital dans le revenu que la notion d'assiette fiscale globale.

                  Le Gouvernement rejette la thèse selon laquelle tout accroissement de la puissance économique, quelle qu'en soit la source, devrait être traité de la même manière aux fins de l'impôt. Cette thèse, vigoureusement soutenue par la Commission royale d'enquête sur la fiscalité, a souvent été condensée par l'expression assez familière : « une piastre est toujours une piastre. » Mais, bien que le Gouvernement n'accepte pas cette théorie dans toute sa merveilleuse simplicité, il ne pense pas non plus que la distinction entre ce qu'on est convenu d'appeler un « gain de capital » et un revenu soit assez grande ou assez nette pour justifier l'énorme différence qui existe entre le fait d'être totalement exonéré de l'impôt et celui d'être totalement imposable.

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