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Date: 20010215

Dossier: 2000-2696-IT-I

ENTRE :

THOMAS GIFFORD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Le présent appel porte sur une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 de l'appelant. Il concerne le traitement du montant de 100 000 $ que l'appelant, conseiller financier exerçant un emploi pour la maison de courtage de valeurs Midland Walwyn Capital Inc., a payé à un collègue de travail, Scott R. Bentley. Il concerne aussi la déductibilité de frais d'intérêts sur l'argent que l'appelant a emprunté pour faire ce paiement.

[2]            Les circonstances dans lesquelles le paiement a été effectué sont les suivantes : l'appelant et Scott Bentley étaient tous les deux au service de la société Midland Walwyn, qui, depuis, a fusionné avec Merrill Lynch Canada ou a été absorbée par cette dernière. Chacun d'eux avait son propre groupe de clients à qui il donnait des conseils financiers ou au nom de qui il achetait ou vendait des valeurs. Ces clients seraient assurément qualifiés de clients de Midland Walwyn, et nul doute qu'ils étaient aussi des clients du conseiller financier particulier, c'est-à-dire M. Gifford ou M. Bentley.

[3]            Il est à noter que l'on ne peut dire qu'un client « appartient » à quelqu'un. Un client n'est pas un produit pouvant être acheté ou vendu sur le marché libre. Il n'est pas peu fréquent que des gens d'affaires vendent une liste de clients, mais il est évident que les clients faisant partie de cette liste ne sont pas eux-mêmes vendus. Dans de nombreuses causes, les tribunaux ont examiné la question de savoir si les paiements effectués pour obtenir de telles listes de clients correspondaient à des frais d'exploitation ou à des dépenses en capital, ou la question de savoir si de tels paiements correspondaient à des dépenses en capital admissibles. Telle n'est pas la situation en l'espèce. M. Gifford ne pouvait acheter une liste de clients à M. Bentley, car ce dernier n'avait aucune liste de clients à vendre.

[4]            M. Bentley voulait quitter Midland Walwyn, et M. Gifford voulait pouvoir servir les clients de M. Bentley. À cette fin, M. Gifford a payé 100 000 $ à M. Bentley aux termes du contrat reproduit ci-après.

[TRADUCTION]

Convention d'achat de clientèle

de

conseiller financier

Attendu que Scott R. Bentley, ci-après appelé le « vendeur » , et Thomas D. Gifford, ci-après appelé l' « acheteur » , ont convenu de l'échange de la « clientèle » moyennant une contrepartie en espèces, les modalités suivantes constituent la présente convention :

1.              La « clientèle » est réputée viser l'ensemble des comptes de Midland Walwyn et des comptes individuels de sociétés de fonds mutuel portant le code de courtier / représentant 9270/DP1E, soit la désignation du vendeur en tant que conseiller financier de Midland Walwyn.

2.              Le vendeur accepte de faire de son mieux pour recenser tous les clients qui ne sont plus associés au code 9270/DP1E et pour les exclure de la liste de clients ci-jointe, soit l' « annexe 1 » .

3.              Le vendeur accepte de ne pas donner de conseils en matière d'investissements mobiliers individuels aux clients énumérés dans la liste de clients ci-jointe pendant une période de 30 mois, à partir de la date de la présente convention.

4.              Le vendeur accepte en outre de ne pas fournir, sans le consentement écrit préalable de l'acheteur, de renseignements importants concernant le contenu de la liste de clients à d'autres particuliers ou à des établissements fournissant des services financiers.

5.              L'acheteur accepte de payer 90 000 $ au vendeur à la date de clôture en contrepartie de la remise par le vendeur d'instructions écrites à Midland Walwyn Capital Inc. aux fins du transfert de la clientèle dans les comptes portant le code de courtier / représentant 9270/DP1D, soit la désignation de l'acheteur en tant que conseiller financier de Midland Walwyn.

6.              L'acheteur accepte également de payer 10 000 $ au vendeur le 8 avril 1996 sous réserve de ce qui suit : l'érosion d'actifs de fonds mutuel de la clientèle imputable à des transferts de clients à d'autres établissements ou à d'autres conseillers financiers de Midland Walwyn ne représentera pas plus de 1 500 000 $ à la date à laquelle ce paiement est dû. L'acheteur consent à exclure tous les transferts faits à d'autres conseillers financiers de Midland Walwyn moyennant une contrepartie en espèces. L'acheteur consent en outre à exclure tous les transferts faits à d'autres conseillers financiers de Midland Walwyn par suite d'échanges de clients. Si l'érosion des actifs de fonds mutuel décrite ci-devant représente plus de 1 500 000 $, le paiement dû le 8 avril 1996 sera réduit de 1 000 $ pour chaque tranche de 100 000 $ représentant une érosion additionnelle de fonds mutuel.

7.              Le vendeur consent à appuyer par écrit l'acheteur auprès de chacun de ses clients conformément à l' « annexe 2 » de la présente convention.

[5]            Dans sa déclaration de revenus, l'appelant avait déduit un montant de 13 258,07 $ représentant selon lui un amortissement de survaleur (5 250 $) ainsi que des frais d'intérêts et des frais d'assurances (8 008,07 $). Le ministre n'a pas admis ce montant au motif qu'aucune disposition législative ne permettait à l'appelant de déduire un montant au titre de l'amortissement de survaleur ou de frais d'intérêts pour l'achat d'une liste de clients.

[6]            Je conviens avec le ministre qu'un employé, y compris un employé rémunéré à la commission, ne peut déduire le coût en capital de la survaleur comme dépense en capital admissible au sens de l'article 14 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Seules les personnes exploitant une entreprise peuvent se prévaloir d'une telle déduction, et il est bien établi que le revenu de l'appelant provenait d'un emploi.

[7]            La réponse à l'avis d'appel indique au paragraphe 10 le fondement de la cotisation.

[TRADUCTION]

10.            Aux fins de l'établissement de cette nouvelle cotisation en date du 13 octobre 1998 à l'égard de l'année d'imposition 1996 de l'appelant, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)              durant l'année d'imposition 1996, l'appelant était un employé de Midland Walwyn Capital Inc. (l' « employeur » ) et tirait un revenu de commissions provenant de la vente de valeurs;

b)             le 10 décembre 1995, l'appelant (l' « acheteur » ) a versé 100 000 $ à Scott Bentley (le « vendeur » ) pour une liste de clients;

c)              le vendeur était également au service de l'employeur;

d)             durant toute la période pertinente, l'employeur était propriétaire de la liste de clients mentionnée à l'alinéa 10b);

e)              la convention conclue par l'acheteur et le vendeur renfermait une clause restrictive stipulant que le vendeur ne fournirait pas de conseils aux clients énumérés dans la liste pendant une période de 30 mois, à partir de la date de l'opération mentionnée à l'alinéa 10b);

f)              la liste achetée par l'appelant était une liste d'une valeur durable résultant en un avantage à long terme pour l'appelant;

g)             l'achat mentionné à l'alinéa 10b) représente une dépense en capital admissible;

h)             aucune disposition de l'article 8 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) ne permet à un employé de déduire les montants de 5 250 $ et de 8 008,07 $ indiqués au paragraphe 8 ci-devant.

[8]            L'hypothèse selon laquelle l'appelant acquérait une liste de clients et selon laquelle la convention citée précédemment comportait l'acquisition d'une immobilisation est à mon avis erronée. Ce que M. Gifford obtenait, c'était l'engagement de M. Bentley à appuyer M. Gifford auprès de ses clients (énumérés dans la liste) et à ne pas leur donner de conseils en matière d'investissements. M. Gifford n'achetait pas une liste de clients. Les clients de M. Bentley étaient des clients de Midland Walwyn. Comme l'a expliqué le gérant de succursale, M. Greco, il existait une procédure par laquelle des clients pouvaient être « cédés » par un conseiller financier à un autre. Le verbe « céder » (assign) n'est guère approprié en ce qu'il laisse supposer qu'une personne cédait des droits de propriété ou des droits légaux à une autre personne. Tout ce que cela signifie, c'est que Midland Walwyn informait un client que ce serait désormais une autre personne qui s'occuperait de son compte. Le client était libre de faire affaire avec qui il voulait, qu'il s'agisse ou non de Midland Walwyn. La convention n'indique en fait nulle part que M. Bentley vend une liste de clients à M. Gifford, bien qu'elle s'intitule « Convention d'achat de clientèle » . La liste de clients n'appartenait pas à M. Bentley, qui ne pouvait donc la vendre.

[9]            L'alinéa 8(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet une déduction dans le calcul du revenu tiré d'une charge ou d'un emploi, soit :

f)               lorsque le contribuable a été, au cours de l'année, employé pour remplir des fonctions liées à la vente de biens ou à la négociation de contrats pour son employeur, et lorsque, à la fois :

(i)             il était tenu, en vertu de son contrat, d'acquitter ses propres dépenses,

(ii)            il était habituellement tenu d'exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu'au lieu d'affaires de son employeur,

sa rémunération consistait en tout ou en partie en commissions ou autres rétributions semblables fixées par rapport au volume des ventes effectuées ou aux contrats négociés,

(iv)           il ne recevait pas, relativement à l'année d'imposition, une allocation pour frais de déplacement qui, en vertu du sous-alinéa 6(1)b)(v), n'était pas incluse dans le calcul de son revenu,

les sommes qu'il a dépensées au cours de l'année pour gagner le revenu provenant de son emploi (jusqu'à concurrence des commissions ou autres rétributions semblables fixées de la manière prévue au sous-alinéa (iii) et reçues par lui au cours de l'année) dans la mesure où ces sommes n'étaient pas :

(v)            des dépenses, des pertes ou des remplacements de capital ou des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l'alinéa j),

(vi)           des dépenses qui ne seraient pas, en vertu de l'alinéa 18(1)l), déductibles dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, si son emploi relevait d'une entreprise exploitée par lui;

(vii)          des montants dont le paiement a entraîné la réduction du montant qui serait inclus par ailleurs dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année en application de l'alinéa 6(1)e);

[10]          Sous réserve de la seule question de l'année de la déductibilité, je suis d'avis que toutes les conditions permettant à l'appelant de déduire le paiement sont réunies, et le ministre indiquait en fait dans ses hypothèses qu'il avait admis la plupart des frais relatifs à un emploi qui avaient été déduits.

[11]          Manifestement, l'appelant a dépensé la somme de 100 000 $ pour gagner le revenu provenant de son emploi. Je ne pense toutefois pas qu'il s'agissait d'une dépense en capital. Essentiellement, M. Gifford a obtenu la possibilité de contacter des clients de M. Bentley sans aucune ingérence de la part de ce dernier et, en fait, avec son approbation et son aide. On ne saurait parler d'un bien ou d'un avantage qui profite à une entreprise de façon durable, comme le disait le vicomte Cave, lord Chancelier, dans l'arrêt British Insulated and Helsby Cables v. Atherton, [1926] A.C. 205. Il s'agit plutôt de l'une des exigences auxquelles doivent sans cesse satisfaire les personnes qui cherchent à gagner leur vie en vendant des produits ou services au public. Il s'agit de frais de commercialisation courants.

[12]          L'examen faisant autorité au sujet de la différence entre des dépenses en capital et des frais d'exploitation est l'examen que la Cour suprême du Canada a fait dans l'affaire Johns-Manville Canada c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46. Aux pages 56 à 62, le juge Estey formulait les observations suivantes :

            Lorsqu'il s'agit d'examiner les principes de droit pertinents applicables à la caractérisation d'une somme déboursée comme dépense d'exploitation ou comme dépense de capital, l'observation formulée par le maître des rôles sir Wilfred Greene dans l'arrêt British Salmson Aero Engines, Ltd. v. Commissioner of Inland Revenue (1937), 22 T.C. 29, à la p. 43, constitue un point de départ déconcertant :

[TRADUCTION] [...] il y a eu [...] de nombreux cas où cette question de capital ou de revenu a été débattue. Il y a de nombreux cas qui se situent à la limite; en effet, dans de nombreux cas il est presque vrai de dire que tirer à pile ou face permettrait de trancher la question de façon presque aussi satisfaisante qu'essayer de trouver des raisons [...]

                                                                                                                                              

Cette Cour a eu à se prononcer au sujet de l'al. 12(1)b) dans l'arrêt Minister of National Revenue v. Algoma Central Railway, [1968] R.C.S. 447. Le juge Fauteux, alors juge puîné, affirme à la p. 449 :

[TRADUCTION] Le Parlement ne définit pas les expressions « dépense [...] de capital » ou « dépense à compte de capital » . Comme il n'y a pas de critère législatif, appliquer ou non ces expressions à toutes dépenses particulières doit dépendre des circonstances propres à l'affaire. Nous ne pensons pas qu'un critère unique permet d'élaborer cette définition [...]

                                                                                                                                                           

À ce propos, la Cour dit qu'elle est d'accord avec l'arrêt du Conseil privé B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224. Dans cet arrêt, le Conseil privé a statué qu'un paiement fait par la contribuable à un exploitant de station-service pour l'inciter à conclure un contrat de représentation exclusive était une dépense d'exploitation et non une dépense de capital. Le contrat était d'une durée de cinq ans et constituait en quelque sorte un actif qui accordait à la contribuable la possibilité de distribuer de l'essence de façon exclusive par l'entremise de l'exploitant de cette station-service. Lord Pearce a néanmoins conclu, à la p. 260 :

[TRADUCTION] L'objectif ultime de B.P. était de vendre de l'essence et de maintenir ou d'augmenter son chiffre d'affaires. Il ne peut y avoir de doute que tout paiement d'une somme forfaitaire avait pour objet ultime de maintenir ou d'augmenter la quantité d'essence vendue.

                                                                                                                                                           

En l'espèce, la contribuable a fait une dépense non pas dans le but d'acquérir un bien-fonds duquel elle pourrait enlever le roc qui ne contient pas de minerai, mais dans le but de tirer un revenu du gisement déjà existant qu'elle possédait et qui n'était pas situé sous le bien-fonds en cause. Après avoir examiné les différentes façons d'aborder le problème de la classification en droit et en comptabilité de la nature du déboursé, lord Pearce dit, aux pp. 264 et 265 :

[TRADUCTION] On ne peut pas trouver la solution du problème en appliquant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un autre. Une considération peut se détacher si nettement qu'elle domine d'autres et de plus vagues indications dans le sens contraire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale. Bien que les catégories de dépenses de capital et de dépenses d'exploitation soient distinctes et facilement reconnaissables dans les cas clairs qui sont loin des cas limites, la distinction est souvent difficile à établir dans les cas limites; les considérations contradictoires peuvent engendrer une situation où la réponse tient à des facteurs de degré et d'insistance. Cette réponse                         

« dépend de l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classification juridique des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route » :                   

le juge Dixon dans l'arrêt Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634, 648.   

(C'est moi qui souligne.)

                                                                                                                                                           

                                Le Conseil privé a appliqué un autre critère dans la caractérisation des dépenses dans l'arrêt B.P. Australia Ltd., précité, à la p. 271 :

[TRADUCTION] Enfin, les dépenses ont-elles été engagées à l'égard de l'entreprise qui devait générer les profits ou faisaient-elles partie du processus générateur de revenus?

                                                                                                                                                           

Cette question est tout spécialement pertinente vu les circonstances du présent pourvoi. Le Conseil privé a répondu qu'il fallait considérer la dépense non pas comme engagée à l'égard de l'entreprise, mais plutôt comme faisant partie du processus générateur de revenus. À la page 273, lorsqu'il examine la façon dont l'avantage tiré de la dépense devait être utilisé, lord Pearce affirme que cet avantage devait être utilisé [TRADUCTION] « dans le cadre de l'effort soutenu qui est déployé en vue d'obtenir des commandes et de vendre de l'essence » . À mon avis, on en arrive au même résultat dans les circonstances du présent pourvoi. L'extraction du minerai constitue manifestement un effort soutenu qui forme l'occupation principale de la contribuable et la dépense faite en l'espèce, comme en fait foi son caractère répétitif d'année en année et son rôle dans le processus d'extraction du minerai, fait partie des opérations essentielles de la contribuable visant à générer des profits.

            À la page 647 de l'arrêt Hallstroms [Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634], le juge Dixon, tel était alors son titre, dit, à propos de la différence entre les dépenses de capital et les dépenses d'exploitation, que la distinction tient à la différence :

[TRADUCTION] entre l'acquisition des moyens de production et leur usage; entre l'établissement ou l'extension de l'entreprise et son exploitation; entre les instruments de travail et l'exécution régulière des travaux [...]; entre une entreprise et l'effort soutenu de ceux qui en font partie.

                                                                                                                                                           

                                D'autres critères ont été adoptés dans d'autres systèmes fiscaux. En Australie également, dans l'arrêt de la Haute Cour Sun Newspapers Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1938), 61 C.L.R. 337, le juge Dixon, s'exprimant au nom de la Cour, énonce trois principes qui doivent s'appliquer à la caractérisation d'une dépense faite par le contribuable, aux fins de l'application de la loi fiscale. Il dit, à la p. 363 :

[TRADUCTION] À mon sens, il faut examiner trois aspects : a) la nature de l'avantage recherché (son caractère permanent peut alors entrer en ligne de compte), b) son utilisation, son importance ou la façon d'en jouir (comme pour le critère précédent, la fréquence de l'emploi peut représenter un élément à considérer) et c) les moyens adoptés pour l'obtenir; par exemple, des compensations ou des débours ont-ils été effectués périodiquement en contrepartie de l'utilisation ou de la jouissance et pour une durée proportionnée au paiement? Ou encore, existe-t-il une clause définitive pour en garantir à l'avenir l'utilisation ou la jouissance, ou un paiement final à cet effet?

                                                                                                                                                           

À la page précédente, le juge avait dit pour expliquer un autre aspect du critère :

[TRADUCTION] [...] il faut la considérer comme dépense d'exploitation si son objet la range dans la très grande catégorie des choses qui, dans l'ensemble, constituent la demande constante à laquelle il faut répondre à même les revenus d'une activité ou de son capital de roulement, mais il n'est pas nécessaire que la répétition de la chose se produise ou soit probable.

                                                                                                                                                           

Dans cette affaire, la Cour devait caractériser un paiement fait par un concurrent à un autre pour s'assurer l'arrêt d'une entreprise nouvelle et menaçante. La Cour a conclu qu'il s'agissait d'un paiement de capital qui ne pouvait être imputé au revenu.

                                Il y a presque une infinité de nuances d'expressions qui servent à établir la différence entre des dépenses à porter au compte de revenu et des dépenses de capital. On a dit que la terminologie utilisée tente simplement d'identifier les facteurs particuliers qui peuvent faire pencher la balance dans un sens ou dans l'autre, dans un cas donné. À une époque, on a cru utile d'identifier les fonds dépensés soit comme « capital de roulement » , soit comme « capital fixe » . Le vocabulaire a changé, mais le problème de classification est demeuré.

                                Un autre exemple de ces critères utiles mais non déterminants et du changement du vocabulaire en droit fiscal se trouve dans l'arrêt du Conseil privé Commissioner of Taxes v. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd., [1964] A.C. 948, où le vicomte Radcliffe dit, à la p. 959 :

[TRADUCTION] Il faut cependant se rappeler que toutes les expressions comme, par exemple, « bénéfice durable » ou « structure du capital » sont essentiellement descriptives plutôt que définitoires et que chaque fois qu'on lui soumet un nouveau cas et que l'on tente de raisonner par analogie en rapprochant ses faits avec ceux de décisions antérieures, la Cour a d'abord le devoir de se demander jusqu'à quel point une description qui est à la fois pertinente et importante dans un ensemble de circonstances l'est aussi dans celles du cas qui lui est alors soumis.

                                                                                                                                                           

Le comité judiciaire a ajouté à la p. 960 que, dans la définition de ce qu'est une structure de capital établie en vue d'un bénéfice « durable » , « durable » ne signifie pas nécessairement permanent ni même perpétuel.

                                Les analogies dans ce domaine sont innombrables. Celle à laquelle on pense d'abord est le paiement d'une somme forfaitaire à un employé pour mettre fin à un contrat d'emploi ou éteindre des droits à l'occasion d'un renvoi. Il a été décidé, il y a de nombreuses années, qu'un tel paiement doit être imputé au compte de revenu plutôt qu'au compte de capital. Dans l'arrêt Mitchell v. B.W. Noble, Ltd., [1927] 1 K.B. 719, le maître des rôles lord Hanworth affirme, à la p. 737, que le paiement a été fait [TRADUCTION] « en vue non pas de procurer un bien à la compagnie, mais de lui permettre de poursuivre ses activités comme elle l'avait fait dans le passé [...] » Les cours d'instance inférieure ont conclu toutes les deux, en l'espèce, qu'il n'y a pas eu d'intention d'acquérir un bien durable et qu'aucun bien durable n'a été acquis. La Cour de première instance et la Cour d'appel ont toutes les deux conclu, en des termes légèrement différents, que le bien-fonds avait été consommé dans le processus d'exploitation minière. Si cette analogie est applicable, la caractérisation en tant que « dépense d'exploitation » est préférable dans les circonstances de l'espèce.

                                À un moment donné, le critère appliqué par les tribunaux pour distinguer entre revenu et capital était le critère dit « une fois pour toutes » . Ce critère a été adopté par le vicomte Cave, lord Chancelier, dans l'arrêt British Insulated and Helsby Cables, Ltd. v. Atherton, [1926] A.C. 205, à la p. 213. Le vicomte Cave fait remarquer que la caractérisation comme revenu ou comme capital est une question de fait, mais il s'est intéressé à la réponse à la question à cause d'une conclusion imprécise des cours d'instance inférieure. Le critère qu'il adopte, à la p. 213, consiste à [TRADUCTION] « affirmer qu'une dépense de capital est une chose qui se produit une fois pour toutes et qu'une dépense d'exploitation est une chose qui se reproduit chaque année » , bien qu'il reconnaisse que ce critère n'est pas [TRADUCTION] « décisif dans tous les cas » . Plus loin, aux pp. 213 et 214, le lord Chancelier explicite son idée :

[TRADUCTION] [...] lorsqu'une dépense est faite non seulement une fois pour toutes, mais dans le but de créer un bien ou un avantage qui profite à une entreprise de façon durable, je crois que c'est un motif très valable (en l'absence de circonstances spéciales menant à une conclusion dans le sens opposé) pour considérer une telle dépense comme véritablement imputable non pas au revenu, mais au capital.

                                                                                                                                                           

En cela, la Cour s'est fondée sur l'arrêt antérieur Vallambrosa Rubber Co. v. Farmer, [1910] S.C. 519, à la p. 525. Quelques années plus tard, dans l'arrêt Ounsworth v. Vickers, Ltd., [1915] 3 K.B. 267, à la p. 273, le juge Rowlatt a considéré que ce critère exigeait non pas que la dépense soit annuelle pour être déductible du revenu, mais que la dépense soit [TRADUCTION] « faite en vue de répondre à une demande continue » .

                                Cette analyse de la jurisprudence nous ramène à l'idée première exprimée par lord Reid dans l'arrêt Regent Oil Co. v. Strick, [1966] A.C. 295, à la p. 313 :

[TRADUCTION] Il n'est donc pas surprenant qu'aucun critère, principe ou règle pratique ne soit déterminant. En définitive, il s'agit d'une question de droit que la Cour doit trancher, mais c'est là une question à laquelle il faut répondre en fonction de toutes les circonstances dont il faut raisonnablement tenir compte; le poids qu'il faut accorder aux circonstances particulières d'un cas donné doit dépendre du bon sens plutôt que de l'application stricte d'un principe juridique quelconque.

            (C'est moi qui souligne.)

                                                                                                                                                           

                                Avec égards il n'est pas très utile d'essayer de caractériser la dépense en fonction de son objet. Ici il s'agit d'un bien-fonds et une dépense pour un bien-fonds peut, selon les principes de comptabilité et les principes de droit, se caractériser comme une dépense de capital ou, dans d'autres circonstances, comme une dépense imputable au revenu dans le calcul du profit. Selon les termes du lord juge Romer :

[TRADUCTION] Cela ne dépend nullement de ce que peut être la nature du bien en fait ou en droit. Un bien-fonds peut dans certaines circonstances constituer un capital de roulement. Un bien meuble ou un droit peut constituer un capital fixe. Le facteur déterminant doit être la nature de l'entreprise dans laquelle le bien est utilisé.                                       

                                                                                                                                                           

Golden Horse Shoe (New), Ltd. v. Thurgood, [1934] 1 K.B. 548 (C.A.), à la p. 563.

                                                                                                                                                           

Le droit immobilier en cause dans cette affaire consistait en de grands amas de résidus et les tribunaux ont conclu que l'acquisition de ce droit était une dépense d'exploitation et non une dépense de capital.

[13]          Les critères énoncés dans les nombreuses causes citées par le juge Estey amènent nettement à conclure que la dépense de 100 000 $ représentait des frais d'exploitation. Aucune immobilisation n'a été acquise ni créée. Aucun avantage permanent n'a été obtenu. Si, pour reprendre les termes employés par le juge en chef Dixon dans l'arrêt Hallstroms, nous posons la question de savoir quel était l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial, la réponse est évidemment qu'il s'agissait d'obtenir un plus grand nombre de clients. Une clientèle, c'est quelque chose d'éphémère, de volatil, d'évanescent. Les frais engagés pour attirer des clients font partie des frais qu'il faut sans cesse engager pour gagner le revenu et qu'il faut payer en se servant des recettes générées. Les 100 000 $ représentent des frais de commercialisation qui sont déductibles en vertu de l'alinéa 8(1)f). Il ne s'agit ni d'une dépense de capital ni d'un paiement au titre du capital.

[14]          Le seul problème — et ce problème n'a pas été soulevé par l'intimée — tient à l'année du paiement. L'appel vise une cotisation établie pour l'année d'imposition 1996. L'alinéa 8(1)f) permet la déduction de sommes que le contribuable « a dépensées au cours de l'année » . La réponse à la question de savoir quand le paiement a été effectué n'est pas totalement claire. La convention prévoyait qu'au moins 10 000 $ devaient être payés en 1996. L'appelant n'a toutefois pas été clairement avisé par l'intimée que ce devait être un point en litige. Je me propose d'admettre l'appel et de déférer la question au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation de manière à permettre la déduction de la partie des 100 000 $ qui a été payée en 1996. L'intimée n'a par ailleurs formulé aucune observation relativement au paragraphe 8(10). Le ministre semble avoir reconnu qu'il avait été satisfait aux exigences de l'alinéa 8(1)f), puisque la plupart des frais relatifs à un emploi que l'appelant avait déduits ont été admis. L'appelant n'avait donc aucune charge de preuve à cet égard.

[15]          Je passe maintenant à une question plus difficile. L'appelant avait emprunté de l'argent pour effectuer le paiement de 100 000 $. Le ministre a refusé la déduction de frais d'intérêts sur cet emprunt au motif que ces frais n'avaient pas été engagés en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien au sens de l'alinéa 20(1)c) et que le contribuable ne pouvait par ailleurs pas se prévaloir du paragraphe 8(2) pour les déduire. Ainsi que je l'expliquerai ci-après, l'alinéa 20(1)c) n'est nettement pas pertinent. Il n'est guère utile de dire, comme on le fait dans la réponse à l'avis d'appel, qu'un article qui n'est manifestement pas pertinent ne s'applique pas. Il y a environ 250 autres articles qui ne s'appliquent pas. Ils n'ont pas à être mentionnés non plus.

[16]          Il s'agit en l'espèce de frais d'intérêts sur de l'argent emprunté en vue de gagner un revenu d'emploi. Cela n'entre donc pas dans le cadre de l'alinéa 20(1)c). L'alinéa 8(1)j) prévoit une déduction limitée à l'égard de frais d'intérêts sur de l'argent emprunté pour acquérir un aéronef ou un véhicule à moteur utilisé par un employé ayant droit à une déduction en vertu de l'alinéa 8(1)f). L'alinéa 8(1)j) se lit comme suit :

j)               lorsqu'un montant est déductible en application des alinéas f), h) ou h.1) dans le calcul du revenu que le contribuable tire d'une charge ou d'un emploi pour une année d'imposition :

les intérêts payés par le contribuable au cours de l'année soit sur de l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un véhicule à moteur utilisé dans l'exercice des fonctions de sa charge ou de son emploi ou un aéronef nécessaire à cet exercice, soit sur un montant payable pour l'acquisition d'un tel véhicule ou aéronef,

(ii)            la déduction pour amortissement pour le contribuable, autorisée par règlement, applicable, selon le cas :

(A)           à un véhicule à moteur utilisé dans l'exercice des fonctions de sa charge ou de son emploi,

(B)            à un aéronef qui est nécessaire à l'exercice de ces fonctions;

               

[17]          Cet alinéa n'est manifestement pas pertinent.

[18]          Pour que les intérêts soient déductibles, il faut que ce soit en vertu de l'alinéa 8(1)f). La question initiale est donc de savoir si les intérêts représentent une somme que le contribuable a dépensée « pour gagner le revenu provenant de son emploi » . Comme j'ai conclu que les 100 000 $ payés à M. Bentley représentent une telle somme, il s'ensuit inévitablement que les intérêts sur l'argent emprunté représentent également une telle somme. Cette partie de l'examen n'est pas difficile. La partie qui est plus difficile consiste à déterminer si les intérêts représentent une dépense en capital et, partant, un élément exclu de l'alinéa 8(1)f) aux termes du sous-alinéa (v). La réponse à cette question exige une analyse en quatre points :

a)              S'agit-il d'intérêts sur de l'argent emprunté pour effectuer un paiement au titre du capital?

b)             De par leur nature même, les frais d'intérêts sur de l'argent emprunté représentent-ils invariablement une dépense en capital?

c)              Y a-t-il un précédent faisant autorité qui m'empêche de décider que des frais d'intérêts peuvent représenter une dépense courante par opposition à une dépense en capital? Plus précisément, est-ce que le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu dans l'affaire Shell Canada Limited c. La Reine, 3 R.C.S. 622 (99 DTC 5669), établit que, en droit, des frais d'intérêts sur de l'argent emprunté représentent invariablement une dépense en capital?

d)             Est-ce que la mention d'intérêts figurant à l'alinéa 8(1)j) empêche la déduction d'intérêts en tant que dépenses engagées pour gagner un revenu d'emploi en vertu de l'alinéa 8(1)f)?

[19]          Pour des raisons que j'exposerai en détail ci-après, j'ai conclu que la réponse aux quatre questions est « non » .

[20]          a)              La réponse à la première question est évidemment « non » vu ma conclusion relative à la caractérisation du paiement de 100 000 $.

[21]          b)             Je ne vois aucune règle de droit, aucune logique ni aucun principe établissant qu'une dépense quelconque est intrinsèquement soit une dépense en capital, soit une dépense d'exploitation. Il faut aller plus loin dans l'examen de cette question. Comme le juge Estey le disait dans l'arrêt Johns-Manville, à la page 61 :

                                Avec égards il n'est pas très utile d'essayer de caractériser la dépense en fonction de son objet. Ici il s'agit d'un bien-fonds et une dépense pour un bien-fonds peut, selon les principes de comptabilité et les principes de droit, se caractériser comme une dépense de capital ou, dans d'autres circonstances, comme une dépense imputable au revenu dans le calcul du profit. Selon les termes du lord juge Romer :

[TRADUCTION] Cela ne dépend nullement de ce que peut être la nature du bien en fait ou en droit. Un bien-fonds peut dans certaines circonstances constituer un capital de roulement. Un bien meuble ou un droit peut constituer un capital fixe. Le facteur déterminant doit être la nature de l'entreprise dans laquelle le bien est utilisé.

[22]          À mon avis, la réponse à la question de savoir si des frais d'intérêts représentent une dépense en capital ou des frais d'exploitation dépend de la fin à laquelle l'argent emprunté est utilisé. Je suis conforté dans mon opinion par l'article de Brian J. Arnold intitulé « Is Interest a Capital Expense? » , (1992) 40 Revue fiscale canadienne, no 3, page 533. Cet article renferme une analyse approfondie de la jurisprudence canadienne jusqu'en 1992. À la page 545, l'auteur traite comme suit de l'affaire Bennett and White Construction Co. Ltd. v. M.N.R., [1949] C.T.C. 1 (notes de bas de page omises) :

[TRADUCTION]

                En appel, les juges de la Cour suprême, faisant remarquer que des commissions de garantie ne représentaient pas des intérêts, ont unanimement décidé que les frais n'étaient pas des dépenses déductibles, puisqu'ils n'avaient pas été engagés en vue de tirer un revenu de l'entreprise (selon le raisonnement tenu dans l'affaire Montreal Coke) et qu'il s'agissait de dépenses engagées au titre du capital. Encore là, la Cour suprême semblait confondre les interdictions figurant aux alinéas 18(1)a) et b). La vieille jurisprudence anglaise a été citée abondamment et sans réserve. En fait, le juge Rand a dit :

[TRADUCTION]

En l'absence d'une loi, il semble être établi que, pour que des intérêts payés sur du financement temporaire soient considérés comme des dépenses déductibles, il faut que le financement fasse partie intégrante de l'entreprise exploitée. Cela est clairement illustré dans le cas d'opérations quotidiennes d'achat et de vente de valeurs (Farmer v. Scottish Trust, [1912] A.C. 118) ou, inversement, dans le cas d'opérations consistant à prêter de l'argent dans le cadre d'une entreprise de brasserie (Reid's Brewery v. Mail, [1891] 2 B.R. 1).

La distinction entre capital fixe et capital circulant n'a toutefois pas été examinée explicitement dans la cause.

[23]          Dans l'affaire Wharf Properties Ltd. v. Commissioner of Inland Revenue, [1997] N.L.O.R. no 59, [1997] 2 W.L.R. 334 (C.P.), le Comité judiciaire, saisi d'un appel provenant de Hong Kong, a décidé que les frais d'intérêts qui avaient été déclarés n'étaient pas déductibles parce qu'ils correspondaient à des dépenses en capital. Le Conseil privé n'a toutefois pas fondé sa décision sur le fait que les frais d'intérêts étaient intrinsèquement soit des dépenses en capital, soit des frais d'exploitation. Lord Hoffman a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

9               M. Gardiner n'a soulevé aucune question en ce qui a trait aux droits de permis de tramway, mais il a bel et bien présenté plusieurs autres arguments à l'encontre de la conclusion selon laquelle les paiements d'intérêts étaient des dépenses en capital. Tout d'abord, il a dit que les intérêts représentaient par définition un paiement au titre du revenu et qu'ils ne pouvaient être rien d'autre. Leurs Seigneuries estiment que l'on confond ainsi la position de l'auteur du paiement et celle du bénéficiaire du paiement. Certes, entre les mains du bénéficiaire, les intérêts constitueront le rendement des fonds avancés ou, dans certains cas, un revenu supplémentaire tiré du commerce de l'argent. Dans l'un ou l'autre cas, il s'agira de revenu. Toutefois, du point de vue de l'auteur du paiement, les intérêts peuvent être une dépense en capital ou des frais d'exploitation, selon la fin à laquelle ils ont été payés. Le fait qu'ils constituent un revenu entre les mains du bénéficiaire et un paiement périodique ne signifie pas nécessairement qu'ils doivent correspondre à des frais d'exploitation. Les salaires et les loyers sont des revenus entre les mains de leurs bénéficiaires, soit des paiements périodiques en échange de services ou en échange de l'utilisation de biens meubles ou immeubles respectivement. Toutefois, la réponse à la question de savoir si de tels paiements sont des paiements au titre du capital ou au titre du revenu dépend de leur objet. Le salaire d'un électricien travaillant à la construction d'un immeuble pour un propriétaire qui entend conserver l'immeuble comme investissement en capital fait partie du coût en capital de l'immeuble. Par contre, le salaire d'un électricien employé par une société de construction ou d'un électricien employé par le propriétaire d'un immeuble aux fins de l'entretien de l'immeuble une fois celui-ci achevé et loué représente des frais d'exploitation.

10             Ainsi, leurs Seigneuries considèrent qu'il n'y a aucune distinction importante entre les paiements d'intérêts et d'autres paiements périodiques. Comme lord Upjohn l'a dit dans l'affaire Chancery Lane Safe Deposit and Offices Co. Ltd. v. Inland Revenue Commissioners, [1966] A.C. 85, à la p. 124 (dans un passage que le commissaire cite dans ses succincts et justes motifs de rejet de la déduction) : [TRADUCTION] « [L]e loyer de l'argent utilisé pour reconstruire une maison est autant un coût en capital que l'est le coût de la main-d'oeuvre utilisée pour la reconstruction. »

11             M. Gardiner a dit qu'il n'était pas légitime d'examiner la fin à laquelle l'argent avait été emprunté pour déterminer si les intérêts payés en contrepartie de cet argent représentaient une dépense en capital ou des frais d'exploitation. Leurs Seigneuries conviennent avec le v.-p. Litton que, au contraire, il n'existe aucune autre manière de déterminer la nature du paiement d'intérêts. La contrepartie immédiate de chaque paiement d'intérêts est évidemment l'utilisation de l'argent durant la période visée par le paiement, mais, comme l'argent n'est rien de plus qu'un moyen d'échange pouvant représenter une dépense au titre du capital ou au titre du revenu, on ne peut répondre à la question qu'en déterminant à quelle fin on avait besoin du prêt durant la période pertinente.

[24]          Après avoir fait référence à la décision rendue par la Chambre des lords dans l'affaire Beauchamp v. Woolworth Plc., [1990] 1 A.C. 478, et après avoir distingué cette affaire de celle dont il était saisi, lord Hoffman a conclu :

[TRADUCTION]

14             Ainsi, quoique la réponse à la question de savoir si l'argent est destiné à une fin relative au capital ou au revenu ne permette pas de déterminer de façon concluante si la somme reçue est une rentrée d'argent au titre du revenu ou une rentrée d'argent qui s'ajoute au capital de la société, l'objet du prêt durant la période visée par le paiement d'intérêts est essentiel pour déterminer s'il s'agit d'une dépense en capital ou de frais d'exploitation. En l'espèce, durant l'ensemble de la période de deux ans en question, le prêt était clairement utilisé pour acquérir et créer une immobilisation plutôt que pour conserver une immobilisation en tant qu'investissement productif de revenus. Il s'ensuit que les intérêts ont été payés pour une fin relative au capital.

[25]          Les tribunaux canadiens ne sont pas liés par les décisions du Conseil privé, mais la justesse du raisonnement tenu dans les passages précités est inattaquable.

[26]          Je complète cette partie de l'analyse par deux citations, tirées de l'article de M. Arnold, auxquelles je souscris totalement et respectueusement.

[TRADUCTION]

Les intérêts sur un emprunt utilisé pour payer les dépenses courantes d'une entreprise, par exemple les salaires, devraient être considérés comme étant immédiatement déductibles. De tels intérêts représentent des dépenses engagées pour gagner un revenu. Comme ils ne se rapportent pas à la création d'une valeur débordant le cadre de l'exercice courant, ils doivent être considérés comme étant immédiatement déductibles de manière à refléter fidèlement le revenu du contribuable pour l'année. Le principe du rapprochement et le principe de la capacité de paiement exigent tous les deux ce résultat. (Les frais d'intérêts représentent une réduction de la richesse du contribuable, car ils ne donnent lieu à aucun avantage ultérieur.)

[...]

Cet article fait valoir deux points de vue simples. Premièrement, la jurisprudence n'étaye pas la proposition bien établie selon laquelle les frais d'intérêts représentent une dépense en capital. Deuxièmement, dans l'optique de la politique fiscale, les frais d'intérêts représentent parfois une dépense courante et parfois une dépense en capital, selon l'usage réservé aux fonds empruntés. Ces deux points de vue sont conformes à la façon dont le bon sens commande de considérer les frais d'intérêts.

[27]          c)              En ce qui a trait à la troisième question, tout cet examen en vue de déterminer ce que devrait être une approche de la déductibilité d'intérêts fondée sur des principes et sur le bon sens est peut-être intéressant, mais il devient tout théorique si la Cour suprême du Canada a décidé que les intérêts sur de l'argent emprunté représentent invariablement une dépense en capital. Je ne pense toutefois pas que la Cour suprême du Canada a ainsi statué.

[28]          Je commence par la décision la plus récente de la Cour suprême du Canada, soit l'arrêt Shell, aux pages 655 et 656 (DTC : à la page 5681) :

En outre, il importe de souligner que les frais d'intérêts versés à l'égard de fonds utilisés pour produire un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien sont seulement réputés, au sous-al. 20(1)c)(i), être des dépenses courantes et que, en l'absence de cette disposition, ils seraient considérés comme des dépenses en capital : Canada Safeway, précité, le juge Rand, à la p. 727. Aucune des parties au présent pourvoi n'a demandé à notre Cour de modifier cette qualification des frais d'intérêts. Ceux-ci demeurent donc des dépenses en capital qui sont réputées, suivant le sous-al. 20(1)c)(i), être déductibles du revenu brut de Shell malgré l'interdiction générale de toute déduction d'une dépense en capital prévue au par. 18(1). Par conséquent, même si l'analyse générale qui sous-tend l'arrêt Ikea s'appliquait en l'espèce, elle tendrait plutôt à appuyer la conclusion que les gains doivent être considérés comme des gains en capital.

Il me semble évident que la Cour suprême du Canada a laissé la porte ouverte en disant : « Aucune des parties au présent pourvoi n'a demandé à notre Cour de modifier cette qualification des frais d'intérêts. »

[29]          Dans le jugement de la Cour suprême du Canada, la seule mention de l'objet de l'emprunt figure à la page 623 (DTC : à la page 5671) : « En 1988, Shell avait besoin d'environ 100 000 000 $ US pour les fins générales de l'entreprise. » Il n'était pas nécessaire de reconsidérer la position, car la Cour avait statué que les intérêts étaient visés par l'alinéa 20(1)c). De plus, selon toute probabilité, le but de l'utilisation des fonds ressortissait au capital, vu l'importance et la durée de l'emprunt.

[30]          Dans l'examen de la jurisprudence antérieure à l'arrêt Shell, il est utile de citer certains autres passages de l'article de Brian Arnold.

[TRADUCTION]

Suivant l'alinéa 20(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu1, les intérêts payés ou payables sur de l'argent emprunté ou sur une somme payable pour un bien sont déductibles si l'argent ou le bien est utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. La question examinée dans le présent article est celle de savoir si les frais d'intérêts (ou autres frais de financement) sont déductibles dans le calcul du revenu aux termes de l'article 9 aux fins de l'impôt. En d'autres termes, les frais d'intérêts seraient-ils déductibles en l'absence d'une disposition législative expresse comme l'alinéa 20(1)c)?

                Il est bien établi que des sommes sont déductibles dans le calcul du revenu si elles sont déductibles selon les principes et pratiques comptables et que leur déduction ne soit pas interdite par la loi ou par des principes fondamentaux de droit fiscal2. Les frais d'intérêts sont déductibles dans le calcul du bénéfice aux fins comptables. L'alinéa 18(1)b) de la Loi interdit toutefois la déduction d' « une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement » , sauf si une telle déduction est expressément permise par la partie I de la Loi.

                Suivant le bon sens, en l'absence d'une disposition législative expresse, les frais d'intérêts ne seraient pas déductibles dans le calcul du revenu parce qu'il s'agit d'un paiement à titre de capital. Cette proposition a récemment été réitérée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bronfman Trust :

Il est peut-être superflu de souligner dès le départ que, à défaut d'une disposition telle que l'al. 20(1)c), qui autorise expressément que les intérêts payés soient dans certaines circonstances déduits du revenu, le contribuable ne peut en règle générale bénéficier d'aucune déduction de ce genre. Les intérêts sur les emprunts contractés pour augmenter les immobilisations ou le fonds de roulement relèveraient de l'interdiction de déduire tout « paiement à titre de capital » , prévue à l'al. 18(1)b).3

Trente ans plus tôt, la Cour suprême était tout aussi convaincue de cette proposition :

[TRADUCTION]

Il importe de se rappeler que, en l'absence d'une autorisation législative expresse, les intérêts payables sur une dette au titre du capital ne sont pas déductibles comme frais d'exploitation.4

                Les commentateurs ont presque unanimement adopté la même proposition, parfois d'une manière encore plus radicale que ne l'a fait la Cour suprême5. Au moins un commentateur a toutefois mis en doute cette proposition6. La plupart des commentateurs soutiennent qu'il peut y avoir une exception étroite à la règle générale selon laquelle les frais d'intérêts constituent une dépense en capital non déductible. L'exception a été diversement décrite. Des frais d'intérêts sont déductibles comme dépenses courantes dans les cas suivants : si le contribuable est bailleur de fonds; si les fonds empruntés sont utilisés pour acquérir des actifs à court terme; si l'emprunt est temporaire et n'ajoute rien aux immobilisations de l'entreprise; si les intérêts sont attribuables à une opération au titre du revenu7. Il semble toutefois que Revenu Canada ne reconnaît aucune exception à la règle générale.

                Bien que l'affirmation selon laquelle les frais d'intérêts représentent une dépense en capital non déductible soit faite fréquemment, elle s'accompagne rarement d'une analyse. Les commentateurs citent habituellement des causes à l'appui de leur proposition; dans ces causes, l'on cite d'autres causes ou l'on considère la proposition comme allant de soi.

                La question ne présente pas un intérêt purement théorique. Bien que la déductibilité des frais d'intérêts et d'autres frais de financement soit régie par des dispositions législatives particulières, il y a de nombreuses situations dans lesquelles ces dispositions ne s'appliquent pas, pour une raison ou pour une autre. Par exemple, des frais de financement peuvent ne pas être déductibles parce qu'ils ne correspondent pas à la définition judiciaire étroite de ce que sont des frais d'intérêts; ou encore, des frais d'intérêts peuvent ne pas être déductibles parce qu'il n'est pas satisfait à une exigence de l'alinéa 20(1)c) au chapitre de l'argent emprunté. Dans ces situations, la déductibilité des dépenses en vertu de l'article 9 est cruciale8. Plus fondamentalement, si les frais d'intérêts ne sont en général pas une dépense en capital, l'alinéa 20(1)c) et les dispositions connexes concernant la déductibilité des frais d'intérêts ont une portée limitée. Les frais d'intérêts seraient généralement déductibles en vertu de l'article 9 conformément à la pratique comptable et seraient probablement assujettis au même critère de retracement que celui que les tribunaux ont élaboré à partir de l'alinéa 20(1)c).

________________

                1 S.R.C. 1952, ch. 148, compte tenu des modifications apportées par S.C. 1970-71-72, ch. 63, et des modifications subséquentes (ci-après appelée la « Loi » ). Sauf indication contraire, les dispositions législatives mentionnées dans le présent article sont des dispositions de la Loi.

                2 B. J. Arnold, Timing and Income Taxation : The Principles of Income Measurement for Tax Purposes, Canadian Tax Paper, no 71 (Toronto : Association canadienne d'études fiscales, 1983).

                3 The Queen v. Bronfman Trust, 87 DTC 5059, à la p. 5064; [1987] 1 C.T.C. 117, à la p. 124 (C.S.C.).

                4 Canada Safeway Ltd. v. M.N.R., 57 DTC 1239, à la p. 1244; [1957] C.T.C. 335, à la p. 344 (C.S.C.) (juge Rand).

                5 Voir, par exemple, Vern Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax : An Introduction, 3e éd. (Toronto : Carswell, 1989), à la p. 342 : [TRADUCTION] « Les frais d'intérêts sur de l'argent emprunté sont une dépense en capital. Ainsi, en l'absence d'une autorisation expresse, les intérêts ne seraient pas déductibles à titre de frais d'exploitation. » Voir aussi Canada Tax Service (Don Mills, Ont. : De Boo) (feuilles mobiles), à la p. 20-1052 : [TRADUCTION] « Il est établi depuis longtemps que, en l'absence d'une autorisation législative expresse [...] les intérêts payables sur une dette au titre du capital seraient considérés comme un « paiement à titre de capital » non déductible au sens de l'alinéa 18(1)b) de la Loi. » Canadian Tax Reporter (Don Mills, Ont. : CCH Canadienne Limitée) (feuilles mobiles), paragraphe 5061 : [TRADUCTION] « Si ce n'était l'alinéa 20(1)c), les paiements d'intérêts sur des prêts servant à acheter des immobilisations ne seraient pas déductibles en raison de l'interdiction visée à l'alinéa 19(1)b). » Nathan Boidman et Bruno Ducharme, Taxation in Canada : Implications for Foreign Investment (Deventer, Pays-Bas, Kluwer : 1985), aux pp. 79 et 80 : [TRADUCTION] « En common law, les frais d'intérêts représentent une dépense en capital, à moins qu'ils se rapportent accessoirement aux stocks d'un contribuable, ce qui serait uniquement le cas des contribuables exploitant une entreprise de prêt d'argent. » Brian J. Arnold et Tim Edgar, éd., Materials on Canadian Income Tax, 9e éd. (Don Mills, Ont. : De Boo, 1991), à la p. 522 : [TRADUCTION] « Normalement, l'alinéa 18(1)b) interdirait la déduction des frais d'intérêts sur de l'argent emprunté, en tant que « paiement à titre de capital. » » Edwin C. Harris, Canadian Income Taxation, 4e éd. (Toronto : Butterworths, 1986), aux pp. 239 et 240 : [TRADUCTION] « Sauf dans la mesure où la Loi prévoit expressément une déduction, les frais d'intérêts et autres frais de financement engagés par un contribuable sont, même s'ils se rapportent à une activité exercée dans un but lucratif, des frais non déductibles, car ils sont considérés comme des « paiements à titre de capital » . La seule exception qui semble avoir été reconnue vise les cas où l'argent emprunté est nécessaire à une fin très temporaire et n'ajoute rien au fonds de roulement permanent ou aux immobilisations de l'entreprise. » Robert Couzin, « Income Tax Treatment of Financing Charges » , dans Income Tax Aspects of Corporate Financing, 1980, Corporate Management Tax Conference (Toronto : Association canadienne d'études fiscales, 1981), 191-228, à la p. 191 : [TRADUCTION] « Sans les dispositions législatives, bon nombre ou l'ensemble des frais [de financement] ne seraient pas déductibles, du moins pour la plupart des contribuables. »

                6 Voir David A. Ward, « Interest Deductibility » , document présenté lors d'une conférence du National Tax Centre concernant la réforme fiscale, Toronto, le 27 mai 1988.

                7 Voir les extraits cités dans la note de bas de page no 5 ci-devant et Income Taxation in Canada (Scarborough (Ont.) : Prentice-Hall Canada) (feuilles mobiles), vol. 2, section 19, aux pp. 856 et 857.

                8 Considérez, par exemple, le cas d'un mécanisme de prêt de valeurs mobilières comportant des titres de créance.

[31]          À mon avis, les observations formulées par les savants commentateurs et figurant dans la note de bas de page no 5 de l'article vont plus loin qu'il n'est nécessaire et plus loin que ne le justifie la jurisprudence. La proposition selon laquelle les intérêts « payables sur une dette au titre du capital » sont des dépenses en capital est compréhensible si une « dette au titre du capital » est un emprunt utilisé à une fin relative au capital, comme c'était assurément le cas dans l'affaire Canada Safeway. Dans cette affaire, le juge Rand ne disait rien de nouveau. De même, l'observation que le juge en chef Dickson a formulée dans l'affaire Bronfman, à la page 5064, et selon laquelle les intérêts sur les emprunts contractés « pour augmenter les immobilisations ou le fonds de roulement relèveraient de l'interdiction de déduire tout « paiement à titre de capital » , prévue à l'al. 18(1)b) » répète simplement l'affirmation selon laquelle les frais d'intérêts sur un emprunt utilisé à une fin relative au capital sont eux-mêmes une dépense en capital. Il est difficile de savoir ce que le juge en chef Dickson entendait au juste par « fonds de roulement » . Cette expression présente une certaine élasticité. Si le juge en chef Dickson voulait parler d'argent utilisé à une fin relative au capital, c'est une chose. S'il voulait parler d'argent utilisé aux fins de la paye, c'est autre chose. Dans le contexte de l'affaire Bronfman, où l'argent avait été emprunté aux fins de la distribution de capitaux à un bénéficiaire de la fiducie, il semble évident que le juge en chef Dickson parlait d'emprunts utilisés pour répondre à une fin relative au capital.

[32]          Dans l'affaire Tennant c. La Reine, [1996] 1 R.C.S. 305, aux pages 316 et 317 (96 DTC 6121, à la page 6125), le juge Iacobucci a formulé l'observation suivante :

                À mon avis, le sous-al. 20(1)c)(i) n'est pas ambigu. Il édicte clairement que l'intérêt peut être déduit à titre de dépense lorsqu'il est payé ou payable au cours d'une année d'imposition en vertu d'une obligation légale de verser un intérêt, et lorsque l'intérêt est payable sur de l'argent emprunté en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. La disposition permettant la déduction des intérêts a pour but de favoriser l'accumulation de capitaux productifs de revenus imposables, comme l'a fait remarquer le juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust, précité, à la p. 45. Sans le sous-al. 20(1)c)(i), la déduction des paiements d'intérêts serait interdite par l'al. 18(1)b) (Canada Safeway Ltd. c. Minister of National Revenue, [1957] R.C.S. 717; certains auteurs laissent entendre que l'arrêt Canada Safeway est mal fondé, voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (1995), à la p. 221, note 36; je n'ai toutefois pas à trancher cette question dans les présents motifs).

[33]          Cette observation a été mentionnée par le juge d'appel Robertson dans l'affaire 74712 Alberta Limited, C.A.F., no A-434-94, 29 janvier 1997, à la page 5 (97 DTC 5126, aux pages 5133 et 5134).

                Je souligne que la Cour suprême a récemment retenu le point de vue soutenu par certains auteurs qui estimaient que l'arrêt Canada Safeway était « mal fondé » (voir l'arrêt Tennant c. La Reine, 96 DTC 6121, à la page 6125 (le juge Iacobucci)). Je présume que cette opinion s'explique par le fait que, dans l'arrêt Canada Safeway, la Cour avait conclu que les intérêts sont nécessairement des dépenses de capital, et je suppose que cette opinion se limite à cette conclusion (voir P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (Carswell, 1995), à la page 221, note 36, et B. J. Arnold, « Is Interest a Capital Expense? » , (1992) 40 Can. Tax J. 533). Si j'ai tort sur ce point, la Cour suprême devra également de toute évidence réévaluer l'arrêt Bronfman.

[34]          J'ai conclu que notre cour peut se pencher sur la question de savoir si des frais d'intérêts peuvent être des frais d'exploitation. La Cour suprême du Canada n'a pas décidé d'une manière définitive qu'il s'agissait invariablement d'une dépense en capital. Elle a laissé la porte ouverte, et la présente cause offre de toute évidence une occasion idéale de reconsidérer la question. Nous avons des frais d'intérêts qui ne sont visés ni par l'alinéa 20(1)c) ni par l'alinéa 8(1)j) et nous avons une disposition législative - l'alinéa 8(1)f) - qui permet à un employé de déduire certaines dépenses faites pour gagner le revenu de commissions tiré de l'emploi. La seule question est de savoir si les frais d'intérêts représentent une dépense en capital.

[35]          J'ai trouvé très utile l'article de Joel Nitikman portant sur l'affaire Shell, intitulé « Is Interest a Current Expense? » (Revue fiscale canadienne, 2000, vol. 48, no 1, page 133).

[36]          Je ne répéterai pas ce qui était dit dans cet article, mais je citerai une cause australienne qui y était mentionnée, soit l'affaire Steele v. Deputy Commissioner of Taxation, (1999) 161 A.L.R. 201, [1999] H.C.A. 7 (4 mars 1999), dans laquelle est énoncée l'opinion suivante de la majorité des juges de la Haute Cour de l'Australie (notes de bas de page omises) :

[TRADUCTION]

29             [...] les frais d'intérêts représentent en général un paiement récurrent ou périodique qui garantit non pas un avantage durable, mais plutôt l'utilisation de l'argent emprunté pendant la durée du prêt. [...] il s'agit donc généralement de frais d'exploitation. Il peut toutefois y avoir des circonstances particulières dans lesquelles il convient de considérer que les paiements d'intérêts visent autre chose que l'obtention ou le maintien du prêt et peuvent donc être des dépenses en capital. D'habitude, toutefois, comme c'est le cas en l'espèce, lorsque les frais d'intérêts représentent un paiement récurrent visant à assurer l'utilisation d'un emprunt pendant une durée limitée, il convient de les considérer comme des frais d'exploitation, et le fait que les fonds empruntés servent à l'achat d'une immobilisation ne change rien à cette caractérisation. Le fait que le bien ne soit pas encore devenu productif de revenus et puisse ne jamais le devenir peut être pertinent lorsqu'il s'agit de décider si le cas est visé à la première partie du paragraphe 51(1). Cependant, une fois que l'on a déterminé ou que l'on a accepté par hypothèse que les frais d'intérêts constituent, dans l'année pertinente, une dépense engagée en vue de gagner le revenu imposable du contribuable (même s'il n'en résulte aucun revenu imposable pendant cette année-là ou par la suite), le fait que l'immobilisation n'a produit aucun revenu n'est pas une raison pour conclure que les frais d'intérêts représentent une dépense en capital.

[37]          Le passage du jugement majoritaire que j'ai cité ci-devant va plus loin que je ne l'estime nécessaire, du moins en droit canadien, en ce qu'il indique que des frais d'intérêts sur de l'argent emprunté pour acquérir une immobilisation sont des frais d'exploitation. À cet égard, le jugement majoritaire rendu dans l'affaire Steele semble rejeter le raisonnement tenu par le Comité judiciaire dans l'affaire Wharf Properties.

[38]          On pourrait peut-être concilier ces points de vue opposés — pour peu que ce soit possible — en se fondant sur le fait que la majorité semble être d'avis que le droit fiscal australien n'établit pas de distinction entre les frais d'intérêts engagés pour gagner des bénéfices et les frais d'intérêts engagés pour obtenir du capital, soit une distinction qui, selon moi, n'est pas importante en droit fiscal canadien. En droit australien, il faut déterminer si les intérêts sont payés sur de l'argent emprunté en vue d'acquérir un bien productif de revenus. Lorsque le bien est productif de revenus, les frais d'intérêts constituent une dépense courante, que l'acquisition sous-jacente soit ou non une immobilisation. En droit australien, on semble donc présumer que les frais d'intérêts sont des frais d'exploitation dans tous les cas où l'argent est emprunté pour acquérir un bien productif de revenus.

[39]          Il est intéressant de faire état de la décision dissidente que le juge Kirby a rendue dans l'affaire Steele, dans laquelle il déclarait (notes de bas de page omises) :

[TRADUCTION]

51.            La décision qui a été rendue par la Cour fédérale de l'Australie au complet et qui est l'objet du présent appel a causé une certaine consternation à la suite de sa publication. On a dit que le traitement de déductions d'intérêts requis par la décision s'opposait à plus de 50 ans de jurisprudence et mettait même en question les interprétations qu'en avait données le Commissaire de l'impôt (ci-après appelé le « commissaire » ), qui a donc dû retirer un certain nombre de ses décisions. La décision de la cour au complet a été dénoncée comme étant une « hérésie » .

52.            Lorsque l'on jette un regard neuf sur un texte législatif, il arrive parfois que de nouvelles idées jaillissent. Les tribunaux, lorsqu'ils examinent à la loupe certaines hypothèses longtemps admises, trouvent celles-ci boiteuses. Les personnes qui s'occupent régulièrement de l'application d'une mesure législative comme la Income Tax Assessment Act 1936 (Cth) (la « Loi » ) ont l'avantage d'en connaître les termes à fond. Toutefois, ce n'est rien de plus qu'une loi édictée par le Parlement. Comme toute autre mesure législative, elle doit être interprétée conformément à son objet, tel que le révèle son libellé. La jurisprudence offre une orientation nécessaire, notamment en raison de la complexité et de l'ampleur de la Loi et en raison de la subtilité de certains de ses concepts et aussi parce qu'il est hautement souhaitable que son application soit claire et prévisible, de manière à éviter des litiges indus compte tenu du nombre considérable de cas dans lesquels elle est appliquée. Toutefois, lorsqu'un appel est formé, rien ne remplace un examen du libellé et de l'objet de la mesure législative.

53.            Au risque d'introduire une fausse note dans la réponse à l'appel (et dans les critiques), j'estime devoir émettre une opinion dissidente par rapport à l'opinion à laquelle est parvenue la majorité des juges de notre cour. Je suis jusqu'à un certain point conforté dans mon opinion par la conviction de Bertrand Russell que tous les progrès de la civilisation ont été considérés comme étant anormaux dans un premier temps. Ce qui me rassure en outre, c'est que mon opinion dissidente cadre avec le jugement unanime que le Conseil privé a récemment rendu dans l'affaire Wharf Properties Ltd. v. Commissioner of Inland Revenue.

[40]          Après avoir fait référence à un certain nombre de décisions australiennes antérieures, le juge Kirby poursuivait en disant (notes de bas de page omises) :

[TRADUCTION]

73.            [...] l'affirmation selon laquelle un paiement d'intérêts est intrinsèquement un paiement au titre du revenu et non au titre du capital est totalement incompatible avec la jurisprudence précitée. Elle s'oppose en outre à la reconnaissance par notre cour du fait que, dans certaines circonstances, les intérêts peuvent représenter un paiement au titre du capital — non pas évidemment entre les mains du bénéficiaire du paiement (pour qui ce sera un revenu), mais entre les mains de l'auteur du paiement. Quelles que soient les critiques formulées à l'égard de l'analyse de l'affaire Munro faite par la cour au complet, par rapport au régime législatif applicable en 1926, le principe fondamental ne peut être contredit. C'est une simple question de droit législatif. Des intérêts peuvent assurément représenter une perte ou une dépense au sens du paragraphe 51(1). Pour ce qui est de déterminer s'il s'agit ou non d'une perte ou dépense en capital, cela dépend des faits de la cause particulière. On ne peut pas adopter une règle stricte et expéditive, et certainement pas une règle absolue. La raison en est que, d'un point de vue juridique, la Loi nie une telle possibilité. Des règles absolues sont peut-être commodes et agréables pour les personnes qui passent leur vie en compagnie de la Loi, mais elles sont fondamentalement incompatibles avec la caractérisation découlant nécessairement de l'exception prévue dans la Loi. Cette caractérisation nous oblige à évaluer et à juger chaque perte ou dépense particulière, y compris dans les cas où il s'agit d'intérêts et où l'on soutient qu'une déduction est admissible.

74.            Le commissaire affirme que, dans les circonstances particulières, le paiement d'intérêts, bien qu'il représente indubitablement une perte ou une dépense pour le contribuable, est un paiement au titre du capital, et l'on ne peut donc valablement répondre à cela, comme l'a fait le contribuable, en disant que tous les paiements d'intérêts sont intrinsèquement des paiements au titre du revenu. Une telle proposition peut avoir été acceptée ou présumée dans des causes antérieures. Elle peut avoir été présumée par le commissaire dans ses décisions antérieures. Elle peut même avoir constitué le fondement - erroné - de dispositions particulières de la Loi de 1936, rédigée et édictée suivant une hypothèse quant au caractère universel des intérêts. Toutefois, cette hypothèse ne résistera tout simplement pas à la caractérisation juridique qu'exige l'exception figurant au paragraphe 51(1). Le fait qu'il est probable que, dans la plupart des circonstances, les paiements d'intérêts ne seront pas caractérisés comme étant des paiements au titre du capital n'empêche pas que, dans des circonstances particulières, de tels paiements puissent et doivent être ainsi caractérisés.

[41]          Je suis d'accord avec le juge Kirby. On ne peut déterminer si des frais d'intérêts représentent des frais d'exploitation ou une dépense en capital sans examiner les faits de la cause particulière, et plus spécialement la fin à laquelle les fonds empruntés sont utilisés.

[42]          d)             Enfin, je dois examiner si seul l'alinéa 8(1)j) règle la question de la déductibilité des intérêts dans le cas d'employés et si cette disposition exclut implicitement toute autre déduction d'intérêts.

[43]          Il est clair que l'alinéa 8(1)j) vise uniquement les intérêts sur de l'argent emprunté pour acquérir un type particulier d'immobilisations. Pour les raisons qui suivent, je ne pense pas que l'alinéa 8(1)j) soit la seule disposition permettant la déduction d'intérêts en tant que frais engagés pour gagner un revenu de commissions provenant d'un emploi. Même si les intérêts n'entrent pas dans le cadre de l'alinéa 8(1)j), ils sont à mon avis déductibles en vertu de l'alinéa 8(1)f), pourvu évidemment qu'il soit satisfait aux autres exigences de cette disposition.

[44]          L'alinéa 8(1)f) prévoit que des sommes qui ont été dépensées pour gagner un revenu de commissions provenant d'un emploi sont déductibles dans la mesure où elles ne sont pas des paiements au titre du capital, exception faite du cas prévu à l'alinéa 8(1)j). Donc, l'alinéa 8(1)j) est une dérogation par rapport à l'interdiction de la déduction de dépenses en capital prévue au sous-alinéa 8(1)f)(v). Le sous-alinéa 8(1)f)(v) n'est nécessaire que lorsque les frais d'intérêts représentent une dépense en capital. Pour cette raison, l'alinéa 8(1)j) n'est pas un code exclusif concernant la déduction d'intérêts; il est nécessaire parce que des frais d'intérêts sont parfois une dépense en capital en raison du fait qu'ils sont assimilés à la fin à laquelle les fonds sont empruntés. Les frais d'intérêts sur de l'argent emprunté ne représentent intrinsèquement ni des frais d'exploitation ni une dépense en capital; il s'agit simplement du prix payé pour l'utilisation de l'argent emprunté.

[45]          L'alinéa 8(1)j) permet de déduire des frais d'intérêts d'un revenu de commissions provenant d'un emploi, et l'alinéa 20(1)c) permet, de façon semblable, de déduire des frais d'intérêts d'un revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. La structure des deux dispositions est différente, mais cette différence ne l'emporte pas sur les similitudes. Conformément à mon point de vue sur l'alinéa 8(1)j), je ne pense pas que l'alinéa 20(1)c) soit la seule disposition permettant la déduction d'intérêts en tant que dépenses d'entreprise ou que dépenses relatives à un bien, et je pense qu'une déduction selon l'article 9 est possible, pourvu qu'elle ne soit pas interdite par des dispositions comme les alinéas 18(1)a), b) et h).

[46]          Ma conclusion selon laquelle les alinéas 8(1)j) et 20(1)c) ne constituent pas un code exclusif concernant la déduction d'intérêts est étayée par l'arrêt The Queen v. Boulangerie St-Augustin Inc., 97 DTC 5012, confirmant 95 DTC 56, dans lequel la Cour d'appel fédérale a décidé que le fait que des frais n'entrent pas dans le cadre du sous-alinéa 20(1)g)(iii) ne portait pas un coup fatal à la déductibilité de ces frais selon l'article 9, pourvu que la déduction de ces frais ne soit pas interdite par les alinéas 18(1)a) et b).

[47]          La notion selon laquelle une disposition particulière supplante implicitement une disposition générale est d'une aide quelque peu limitée en matière d'interprétation législative et n'est absolument d'aucune aide en l'espèce. Dans l'affaire Associated Investors of Canada Ltd. v. M.N.R., 67 DTC 5096, on avait soutenu que l'alinéa 11(1)f) (soit maintenant l'alinéa 20(1)p)), qui permettait la déduction de créances irrécouvrables dans certaines circonstances, interdisait implicitement la déduction de créances irrécouvrables n'entrant pas dans le cadre de cette disposition. Le président Jackett (titre qu'il portait alors) a rejeté cet argument. À la page 5102, il déclarait ceci :

[TRADUCTION]

                L'alinéa 11(1)f) n'interdit expressément aucune déduction pour « créances irrécouvrables » . Par contre, il autorise expressément, sous certaines réserves, une déduction pouvant avoir été faite, conformément aux principes commerciaux ordinaires, dans le calcul du bénéfice provenant d'une entreprise. On a donc pu penser, comme le soutient l'intimée, qu'une déduction pour une « créance irrécouvrable » exclue de l'alinéa 11(1)f) en raison des réserves formulées dans cette disposition est implicitement interdite. Une telle interprétation aurait cependant des résultats qui ne peuvent à mon avis avoir été envisagés. Par exemple, un courtier en obligations, qui en fait achète et vend des « créances » , ne pourrait selon une telle interprétation prendre en considération des pertes attribuables à des obligations devenues sans valeur parce que la société émettrice est devenue insolvable. Si l'alinéa 11(1)f) ne doit pas être interprété comme interdisant implicitement une déduction aussi évidente et nécessaire dans la détermination des bénéfices d'une entreprise, je suis d'avis qu'il ne doit pas être interprété comme excluant implicitement la déduction des pertes en cause dans le présent appel, soit à mon avis une déduction tout aussi évidente et nécessaire dans le calcul des bénéfices provenant de l'entreprise de l'appelante.

[48]          Il s'ensuit que, si l'alinéa 20(1)c) n'exclut pas la déductibilité d'intérêts en vertu de l'article 9, a fortiori, la déduction extrêmement restreinte d'intérêts sur une forme particulière de dette au titre du capital qui est prévue à l'alinéa 8(1)j) ne supplante pas la déductibilité, selon l'alinéa 8(1)f), d'intérêts qui ne représentent pas une dépense en capital.

[49]          Je conclus donc que ni les 100 000 $ payés à M. Bentley ni les intérêts payés pour emprunter cet argent ne représentent une dépense en capital et que ces éléments sont déductibles en vertu de l'alinéa 8(1)f) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[50]          L'appel est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire, en vertu de l'alinéa 8(1)f), la somme de 100 000 $ qu'il a versée à M. Bentley et les intérêts qu'il a payés sur les fonds empruntés, dans la mesure où ils ont été payés au cours de l'année d'imposition 1996.

[51]          L'appelant a droit à ses frais, s'il en est.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de février 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 8e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-2696(IT)I

ENTRE :

THOMAS GIFFORD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 23 janvier 2001 à North Bay (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Pour l'appelant :                         l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                   Me Pascal Tétrault

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire, en vertu de l'alinéa 8(1)f), la somme de 100 000 $ qu'il a versée à M. Bentley et les intérêts qu'il a payés sur les fonds empruntés, dans la mesure où ils ont été payés au cours de l'année d'imposition 1996.

          L'appelant a droit à ses frais, s'il en est.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de février 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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