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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3310(IT)G

ENTRE :

PAULA GARDNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue le 13 septembre 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Richard Fitzsimmons

Avocate de l'intimée :                          Me Andrea Jackett

ORDONNANCE

Vu la requête de l'appelante pour obtenir une ordonnance obligeant l'intimée à fournir des précisions et pour obtenir toute autre conclusion, vu la déclaration sous serment de Leigh Somerville Taylor, déposée, et vu les observations formulées par le représentant de l'appelante et l'avocate de l'intimée.


J'ORDONNE PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :

1.                  L'alinéa 7i) de la réponse est supprimé;

2.                  L'intimée est autorisée à modifier le paragraphe 8 de la réponse dans les sept jours suivant la date de la présente ordonnance;

3.                  L'intimé doit fournir à l'appelante, dans les 21 jours suivant la date de la présente ordonnance, les précisions demandées aux paragraphes 2(1) et 3(1), (2) et (3) de la demande de précisions datée du 28 août 2001;

4.                  L'appelante dispose de 30 jours à compter de la date à laquelle les précisions lui sont communiquées pour signifier sa réponse, s'il y a lieu;

5.                  Les frais de la présente requête sont adjugés à l'appelante en l'espèce.

Signé à Toronto (Ontario), ce 13e jour de septembre 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de mars 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20011011

Dossier: 2000-3310(IT)G

PAULA GARDNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge BOWIE, C.C.I.

[1]      Le 13 septembre 2001, j'ai rendu une ordonnance supprimant l'alinéa 7(i) de la réponse et autorisant l'intimée à modifier le paragraphe 8 et j'ai aussi ordonné à l'intimée de fournir les précisions demandées par l'appelante au paragraphe 2(1) et à l'article 3 de la réponse. Il a été interjeté appel de cette ordonnance et on m'a prié d'énoncer les motifs de mon jugement.

[2]      Les appels en cause sont à l'encontre de nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ) pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992, 1993, 1994, 1995 et 1996. Les nouvelles cotisations se rapportant aux années 1990 à 1994 inclusivement ont été établies plus de trois ans après la mise à la poste des avis de cotisation initiaux se rapportant à ces années, de sorte qu'à l'audition de ces appels le ministre devra prouver que l'appelante a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude[1].

[3]      À l'origine, l'appelante demandait des précisions au sujet du paragraphe 5 et des alinéas 7h) et 7i) de la réponse. À l'audition de la requête, le représentant de l'appelante a abandonné la demande de précisions au sujet du paragraphe 5, probablement parce qu'il n'en avait pas besoin aux fins des actes de procédure et qu'il pouvait les obtenir dans le cadre de l'interrogatoire préalable. Par voie de conséquence, la requête ne porte plus que sur les alinéas 7h) et i), qui sont libellés comme suit :

          [TRADUCTION]

A.       EXPOSÉ DES FAITS

[...]

7.        En établissant la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante, le ministre a formulé notamment les hypothèses suivantes :

[...]

h)        dans ses déclarations de revenu, l'appelante a demandé la déduction de pertes locatives appartenant à son époux, qui aurait dû en demander personnellement la déduction.

i)         l'appelante a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire.

Les paragraphes 2 et 3 de la demande de précisions sont libellés comme suit :

          [TRADUCTION]

2.        Concernant l'hypothèse formulée à l'alinéa 7h) de la réponse, c.-à-d. que, en établissant la nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante, le ministre a tenu pour acquis que l'appelante avait demandé, dans ses déclarations de revenu, la déduction de pertes locatives appartenant à son époux sachant que c'est lui qui était censé en demander la déduction :

(1)      veuillez préciser les faits, le cas échéant, sur lesquels le ministre s'est fondé pour formuler l'hypothèse selon laquelle l'appelante savait qu'il appartenait à son époux de demander la déduction des pertes locatives;

(2)      [abandonnée à l'audition de la requête];

(3)      [abandonnée à l'audition de la requête].

3.        Concernant l'hypothèse formulée à l'alinéa 7i) de la réponse, c.-à-d. que, en établissant la cotisation à l'égard de l'appelante, le ministre a tenu pour acquis que l'appelante avait fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire :

(1)      veuillez préciser chaque présentation erronée des faits que le ministre a tenu pour acquis que l'appelante avait faite dans ses déclarations de revenu se rapportant à chacune des années d'imposition 1990 à 1996;

(2)      pour chaque présentation erronée des faits que le ministre a tenu pour acquis que l'appelante avait faite, veuillez préciser si le ministre a tenu pour acquis que la présentation erronée avait été faite par négligence, inattention ou omission volontaire;

(3)      veuillez fournir des précisions sur la négligence, l'inattention ou l'omission volontaire à laquelle le ministre a tenu pour acquis que chaque présentation erronée des faits était attribuable.

Les parties pertinentes de l'ordonnance demandée dans l'avis de requête sont reproduites ci-après :

[TRADUCTION]

LA REQUÊTE VISE À OBTENIR une ordonnance :

a) obligeant l'intimée à fournir à l'appelante les précisions que l'appelante a demandées et que l'intimée a refusé de lui fournir;

[...]

e) et toute conclusion ou directive que la Cour jugera juste et nécessaire de formuler pour qu'il soit donné suite à l'appel de l'appelante et pour que les véritables questions en litige soient tranchées de manière juste.


[4]      L'alinéa 7i) de la réponse, bien qu'il soit allégué dans la partie A intitulée Énoncé des faits, allègue simplement une conclusion relativement à la question fondamentale de droit et de fait que le juge du procès sera appelé à trancher en ce qui concerne les déclarations frappées de prescription. L'allégation est formulée de manière très générale, en reprenant le libellé de la disposition législative, afin de justifier l'établissement de la cotisation après l'expiration de la période habituellement allouée à cette fin. À l'alinéa 49(1)d) des Règles, il est dit que le sous-procureur général du Canada doit indiquer « les conclusions ou les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s'est fondé en établissant sa cotisation » . L'alinéa 7i) de la réponse ne satisfait pas à cette exigence; il énonce une question en litige et il devrait donc figurer au paragraphe 8 de la réponse après quelques modifications mineures. Ce paragraphe englobe la partie B, qui porte sur les points en litige.

[5]      Le principe qu'il convient d'appliquer aux actes de procédure de l'intimée dans le cadre d'un appel en matière d'impôt portant sur une nouvelle cotisation qui a été établie après l'expiration de la période prévue à cette fin est énoncé dans le passage suivant tiré de la décision rendue par le juge Cameron dans l'affaire M.N.R. v. Taylor[2] :

          [TRADUCTION]

Après avoir examiné très attentivement la question, j'en suis arrivé à la conclusion que, dans n'importe quel appel, qui est interjeté soit devant la Commission de révision de l'impôt soit devant la présente cour, à propos d'une nouvelle cotisation établie après l'expiration du délai de prescription fixé par la loi, et qui est fondé sur une fraude ou une présentation erronée des faits, c'est au ministre qu'il incombe d'établir le premier, à la satisfaction de la Cour, que le contribuable (ou la personne qui a produit la déclaration) a « fait une présentation erronée des faits ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi » , sauf si le contribuable, dans les actes de procédure, dans son avis d'appel (ou, s'il s'agit d'une partie intimée devant la présente cour, dans sa réponse à l'avis d'appel) ou à l'audition de l'appel, a admis avoir commis une telle fraude ou fait une telle présentation erronée des faits. Lorsque le ministre établit une nouvelle cotisation après l'expiration du délai prévu à cette fin, il faut considérer qu'il allègue qu'il y a eu présentation erronée des faits ou fraude et, si c'est le cas, il est tenu de faire la preuve de ce qu'il avance.

Dans l'ouvrage intitulé Kerr on Fraud and Mistake, septième éd., il est écrit, à la page 669 :

Un homme qui allègue la fraude doit être capable de prouver cette fraude de manière convaincante.

    Dans l'ouvrage intitulé Halsbury's Laws of England, troisième éd., vol. 26, il est aussi écrit, à la page 838 :

« 1558. Étant donné que, dans tout litige fondé sur la présentation erronée des faits, il est nécessaire de faire la preuve de la présentation erronée, il va de soi que le fardeau d'alléguer et de prouver le degré de fausseté de la présentation incombe dans tous les cas à la partie qui allègue la présentation erronée des faits. »

[6]      L'obligation particulière de faire la preuve de la présentation erronée des faits est énoncée de la manière suivante dans l'ouvrage intitulé Odgers' Principles of Pleading and Practice, vingt-deuxième éd., à la page 100 :

          [TRADUCTION]

Chaque partie doit dévoiler la totalité de sa preuve. Elle doit alléguer tous les faits sur lesquels elle entend s'appuyer, sinon il lui sera interdit de produire quelque preuve que ce soit relativement à ces faits à l'audience.

À la Cour canadienne de l'impôt, cette obligation a été formulée de la manière suivante par le juge Bowman, tel était son titre, dans l'affaire Ver c. Canada[3] :

Enfin, la réponse à l'avis d'appel laisse à désirer pour une affaire de ce genre. De simples affirmations selon lesquelles le ministre a « présumé » qu'il y avait présentation erronée sont inopportunes lorsque le ministre doit prouver qu'il y a eu présentation erronée. Les faits précis dont la présentation, à ce qu'on allègue, est erronée doivent être énoncés en détail dans la réponse et le caractère erroné de la présentation doit être démontré avec précision. Trois éléments essentiels doivent être allégués lorsque l'on invoque l'argument de la présentation erronée :

(i)          la présentation;

(ii)         le fait qu'elle a été faite;

(iii)        le fait qu'elle est erronée.


[7]      La Cour d'appel fédérale a formulé des observations quant au but des demandes de précisions dans l'arrêt Gulf Canada Limited c. Le Remorqueur Mary Mackin[4]. Le juge Heald, à la décision duquel le juge Mahoney s'est associé, a déclaré ce qui suit[5] :

       Le juge d'appel Sheppard a énoncé clairement les principes applicables à une demande de ce genre dans l'arrêt Anglo-Canadian Timber Products Ltd. v. British Columbia Electric Company Limited, [(1960), 31 W.W.R. 604 (C.A.C.-B.).] où il a déclaré aux pages 605 et 606 :

[TRADUCTION]        En conséquence, il semble qu'il y a ensuite un interrogatoire préalable sur les points en litige exposés dans les plaidoiries écrites et que le but d'un tel interrogatoire est de prouver ou de réfuter les points exposés par un contre-interrogatoire sur les faits pertinents.

       En revanche, le but d'une demande de détails est d'obliger une partie à donner des précisions sur les points qu'elle a essayé de soulever dans ses plaidoiries écrites de manière à ce que la partie adverse soit en mesure de se préparer à l'instruction en procédant à un interrogatoire préalable ou d'une autre façon. Le maître des rôles Jessel a énoncé le but des détails dans Thorp v. Holdsworth (1876)3 Ch D 637, 45 LJ Ch 406, à la page 639 :

       « L'objectif des plaidoiries écrites est d'amener les parties au point en litige, et le but des règles de l'Ordonnance XIX était d'éviter d'élargir la portée du litige et éviter ainsi que les parties ne sachent plus, lorsque la cause serait instruite, quels sont les points véritables à débattre et à trancher. En réalité, ce système est entièrement destiné à obliger les parties à se limiter à des questions déterminées et par là, à réduire les dépenses et les retards, surtout en ce qui concerne la quantité de témoignages requis par chacune des parties à l'audition. »

       Le lord juge Cotton a exposé le but des détails dans Spedding v. Fitzpatrick (1888) 38 Ch D 410, 58 LJ Ch 139, à la page 413 :


       « Le but des détails est de permettre à la partie qui les demande de savoir à quels arguments elle aura à faire face à l'instruction, d'éviter ainsi des dépenses inutiles et d'empêcher que les parties soient prises par surprise. »

       Ainsi, les détails ont l'effet d'une plaidoirie dans la mesure où « Ils enlèvent toute liberté d'action à la partie qui, sans autorisation, ne peut examiner les questions qui n'en font pas partie » (Annual Practice, 1960, p. 460) et ils ne peuvent être modifiés qu'avec l'autorisation du tribunal (Annual Practice, 1960, p. 461).

       Lorsque les plaidoiries écrites sont rédigées de façon tellement vague que la partie adverse ne peut dire quels sont les faits en litige ou, selon les termes du lord juge Cotton dans Spedding v. Fitzpatrick, précité, « à quels arguments elle aura à faire face » , les détails servent à délimiter le litige de manière à ce que la partie adverse puisse savoir quels sont les faits en litige. Dans de tels cas, la partie qui exige des détails demande en réalité quels sont les points en litige que le rédacteur avait l'intention de soulever, et il est tout à fait évident qu'un interrogatoire préalable ne peut permettre d'atteindre un tel résultat puisqu'il requiert que les points en litige aient d'abord été définis de manière appropriée.

Cet arrêt a été cité et approuvé dans une décision ultérieure de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, Cansulex Limited v. Perry et al. [Jugement en date du 18 mars 1982, Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dossier C785837, non publié.] Dans cet arrêt, le juge d'appel Lambert a mentionné la décision Anglo-Canadian Timber comme étant l'une des décisions qui [TRADUCTION] « ... tracent la différence entre ce qui devrait faire l'objet d'une demande de détails et ce qui devrait plutôt faire l'objet d'une demande de communication de documents qui devraient être obtenus au cours d'un interrogatoire préalable » . (Voir page 8 des motifs du juge d'appel Lambert.) Le juge Lambert a ajouté :

[TRADUCTION] Au centre même de cette distinction réside la question de savoir si les documents exigés sont destinés à déterminer, et déterminent, les points en litige entre les parties, ou si la partie demande des documents relatifs à la manière dont les points en litige seront prouvés.

Il a ensuite énuméré et approuvé, aux pages 10 et 11 de ses motifs, les fonctions des détails telles qu'elles sont présentées dans le Livre blanc traitant des Règles de pratique anglaises. The Supreme Court Practice, 1982, Vol. 1, page 318 énumère ces fonctions :

[TRADUCTION]

(1)

informer l'autre partie de la nature des arguments auxquels elle devra faire face, à distinguer la manière dont ces arguments seront prouvés ...

(2)

empêcher que l'autre partie ne soit prise par surprise à l'instruction ...

(3)

permettre à l'autre partie de savoir quelle preuve devrait être prévue et de se préparer pour l'instruction ....

(4)

limiter la généralité des plaidoiries ....

(5)

déterminer les points à instruire et ceux pour lesquels un interrogatoire est requis ....

(6)

enlever toute liberté d'action à la partie de manière à ce qu'elle ne puisse, sans autorisation, examiner les questions qui ne font pas partie des plaidoiries ....

Étant donné que la Règle 408(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], qui exige « ... un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide » et que la Règle 415, qui permet la présentation de demandes de détails plus amples et plus précis sur les allégations contenues dans une plaidoirie, sont pour l'essentiel semblables aux articles correspondants des règles anglaises, j'estime que les six fonctions énumérées plus haut s'appliquent également à une demande comme celle présentée en l'espèce en vertu des Règles de la Cour.

Cet arrêt a ultérieurement été appliqué par le juge Garon, tel était son titre, de la Cour, dans l'affaire Duquette c. La Reine[6].


[8]      Si le mot « précis » n'est pas utilisé dans le texte de l'article 49 des Règles de la Cour, il est quand même nécessaire d'énoncer en détail les faits précis dont la présentation, à ce qu'on allègue, est erronée, ainsi que le juge Bowman l'a clairement indiqué dans l'affaire Ver. Selon moi, la jurisprudence de la Cour fédérale portant sur l'obligation de fournir des précisions s'applique aussi aux appels interjetés devant la Cour, du moins aux appels où le ministre a établi une nouvelle cotisation après l'expiration de la période prévue à cette fin en alléguant une présentation erronée des faits. En conséquence, l'intimée doit préciser les faits qui auraient été présentés de manière erronée pour permettre à l'appelante de décider s'il y a lieu de signifier une réponse et pour définir les questions sur lesquelles portera l'interrogatoire préalable de manière à permettre à l'appelante de savoir quels arguments elle devra présenter relativement à la question de présentation erronée des faits et à empêcher l'intimée d'utiliser de vagues allégations de présentation erronée des faits pour mener un interrogatoire préalable à l'aveuglette.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'octobre 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de mars 2003.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           La Loi, par. 152(4).

[2]            [1961] C.T.C. 211, à la page 214.

[3]           [1995] A.C.I. no 593 (Q.L.)

[4]           [1984] 1 C.F. 884.

[5]           aux pages 887 à 889.

[6]           C.C.I., no 92-1186 (IT)G , 29 octobre 1993 (93 DTC 841).

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