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Date: 20010814

Dossier: 2000-1079-IT-I

ENTRE :

JOUMANA DARGHAM,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel relatif à une cotisation établie après l'expiration du délai de trois ans prévu en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

[2]            La cotisation dont il est fait appel est relative à deux reçus pour des dons que l'appelante aurait faits à l'Ordre libanais des Maronites pour les années d'imposition 1992 et 1993, aux montants respectifs de 2 000 $ et 4 000 $.

[3]            Les cotisations ont été établies à la suite d'une méga-enquête qui a permis de mettre à jour une véritable organisation frauduleuse à laquelle avaient été associés plusieurs contribuables.

[4]            La confiscation d'une abondante documentation obtenue des suites d'une perquisition dans le cadre d'une enquête a permis de constater que l'Ordre libanais des Maronites avait mis en place un véritable réseau de vente de reçus de charité.

[5]            De façon générale, l'enquête a permis de constater que la communauté maronite émettait des reçus pour des dons dont le déboursé véritable était généralement de plus ou moins 20 pour-cent du montant indiqué au reçu.

[6]            Les intéressés étaient souvent des professionnels jouissant d'importants revenus et où le bouche à oreille était très efficace pour le développement du réseau frauduleux. L'enquête a aussi révélé que le réseau avait bénéficié de la complicité de contribuables à revenus plus modestes.

[7]            Il n'y a aucun doute qu'il s'agissait d'une organisation bien structurée permettant de recueillir d'importantes sommes en retour de quoi des reçus représentant des montants substantiellement plus élevés que les sommes reçues étaient émis. Bien plus, dans plusieurs dossiers, il fut constaté que des reçus étaient même préparés et remis à des individus qui n'avaient fait aucun déboursé si ce n'est d'avoir pris l'engagement de faire une remise conséquente au remboursement d'impôt découlant des faux et mensongers reçus.

[8]            La preuve a aussi révélé que les pères de l'Ordre libanais des Maronites, de toute évidence, étaient peu scrupuleux et avaient une conscience très élastique; l'un d'eux a délibérément menti en indiquant à la vérificatrice, Colette Langelier, qu'un local qu'elle voulait visiter dans l'exercice de son enquête était essentiellement privé et ne contenait rien qui soit utile ou/et utilisé pour des fins d'administration.

[9]            Lors des perquisitions, il fut découvert dans ce même local, tout un arsenal d'équipement bureaucratique, largement mis à contribution dans le cadre des activités illicites. Il n'est donc pas étonnant que les pères en question soient disparus lorsque l'enquête a été complétée et qu'aucun d'eux ne soit venu témoigner pour aider ou collaborer avec les bénéficiaires des reçus dont la qualité vraisemblable a été mis en doute par l'intimée.

[10]          L'enquête a donné des résultats très concluants et déterminants, au point que des suites des vérifications, plusieurs bénéficiaires de reçus ont reconnu la fraude et collaboré; d'autres ont rapidement accepté les nouvelles cotisations émises.

[11]          Dans certains dossiers, dont celui de l'appelante, il n'y a aucune preuve directe démontrant la participation expresse des bénéficiaires des reçus émis par l'Ordre libanais des Maronites. Cette absence de preuve directe n'a pas empêché les vérificateurs enquêteurs de soutenir que, selon eux, tous les bénéficiaires de reçus émis par l'Ordre libanais des Maronites avaient soumis des reçus faux et mensongers.

[12]          En l'espèce, aucune preuve directe pour relever le fardeau de preuve qui lui incombait n'a été soumise par l'intimée. Seule une preuve circonstancielle a été présentée.

[13]          Bien qu'une telle preuve n'ait évidemment pas la qualité et l'objectivité d'une preuve directe, elle peut toutefois créer une toile de fond qui rend plus probable une conclusion qu'une autre.

[14]          Pour l'appelante, une telle preuve circonstancielle avait l'avantage de lui permettre d'affirmer qu'il n'y avait aucune preuve directe à l'effet qu'elle n'avait pas fait les deux dons pour lesquels des reçus avaient été émis par l'Ordre libanais des Maronites. Conséquemment, elle a énergiquement soutenu avoir fait les dons en indiquant que les reçus faisaient la preuve de leur contenu et que le Tribunal ne pouvait écarter cette réalité.

[15]          Pour consolider ses prétentions, elle a soutenu que sa religion condamnait une telle tricherie et qu'elle était personnellement en accord avec cette condamnation. Selon son témoignage, l'appelante, récemment arrivée au Canada, résidait avec son frère et sa soeur et, plus tard, avec des amis; elle bénéficiait de liquidité lui permettant de faire pareils dons et d'être aussi généreuse puisqu'elle ne payait pas de loyer et avait un minimum de dépenses.

[16]          Elle a soutenu n'avoir jamais parlé à son frère et ni à sa soeur de ses dons; elle aurait gardé ses contributions secrètes. Les seules personnes au courant étaient elle et les prêtres associés à la fraude qui sont d'ailleurs à l'origine des deux reçus émis attestant des dons totaux; en effet, le montant des reçus obtenus représentait le total de plusieurs petits dons faits en argent comptant au cours de l'année où ils furent émis.

[17]          À la fin de chacune des années en litige, les nombreux petits dons faits en argent comptant étaient additionnés et un reçu attestant du montant total était alors émis. Le hasard a voulu que les totaux soient de l'ordre respectif de 2 000 $ et de 4 000 $.

[18]          La discrétion de l'appelante m'est apparue assez surprenante pour quelqu'un qui partage beaucoup de choses avec les membres de sa famille y compris des choses relatives à ses finances. En effet, n'ayant jamais eu de compte de chèques, l'appelante a mentionné qu'elle avait recours à la collaboration de son frère lorsqu'elle devait en faire; elle a d'ailleurs indiqué avoir eu recours à cette méthode pour le paiement de ses impôts. Elle a ajouté qu'elle ne se souvient pas très bien, mais qu'il se pouvait fort bien que son frère lui ait avancé l'argent comme il se pouvait qu'elle ait donné le montant correspondant à son frère au moment de l'émission des chèques servant au paiement de ses impôts.

[19]          Elle a indiqué, comme étant normal, le fait que son frère lui avance l'argent si, au moment de l'émission du chèque, il était en meilleure posture financière qu'elle, démontrant par ces propos que les membres de sa famille étaient solidaires dans les questions financières.

[20]          Elle partageait un appartement dont elle ne payait semble-t-il pas sa part du loyer. Bref, il existait une harmonie et une grande solidarité, ce qui honore les membres de cette famille. En pareil contexte, a-t-elle gardé pour elle son étonnante générosité dont les conséquences étaient importantes, significatives et nombreuses tant sur elle que sur sa cellule familiale, puisque à peu près tout faisait l'objet de partage? Elle se privait et pénalisait possiblement les membres de sa famille d'un capital important, eu égard à ses revenus modestes; bien que les donations aient des effets significatifs sur le plan fiscal, cela sous-entendait un déboursé et une perte nette importante dans l'hypothèse d'un don réel.

[21]          En soi et à eux seuls, il ne s'agit pas là d'éléments déterminants; par contre, cela constitue certainement quelque chose d'assez surprenant d'autant plus qu'une pareille discrétion a l'avantage de ne pas associer qui que ce soit à venir témoigner.

[22]          Selon l'appelante, elle tenait une comptabilité détaillée quant à l'état de ses contributions; les petits montants étaient déboursés selon ses disponibilités du moment. Elle n'a jamais indiqué quel avait pu être le nombre de contributions, ni fourni de détails quant aux montants. D'où venait l'argent utilisé pour les dons? Elle a soutenu qu'il provenait des montants retirés au guichet automatique et aussi des montants retirés directement au comptoir. À cet égard, l'appelante n'a jamais fait un seul lien entre un retrait et un quelconque don. Qu'est-il advenu de la comptabilité manuscrite utilisée pour attester du détail des dons? Détruite une fois le reçu émis et remis.

[23]          L'analyse, préparée par la vérificatrice, détaillant tous les retraits à partir des guichets pour les années concernées par les dons a établi que le total des retraits provenant des guichets était inférieur au montant des dons très importants, eu égard aux revenus de l'appelante.

[24]          En réplique, l'appelante s'est alors empressée d'indiquer que l'argent des dons provenait aussi des retraits importants faits au comptoir. Or, la preuve a révélé que l'appelante avait acheté à quelques reprises des traites payables en devises américaines créant ainsi une présomption que les retraits importants avaient pu servir à l'achat de ces devises étrangères. Il n'y a pas eu d'explications à ce sujet par l'appelante.

[25]          Tout au cours du procès, l'appelante a souvent fait des commentaires ou observations laissant entendre qu'elle était peu préoccupée par les choses matérielles. L'appelante a ainsi affirmé que ses dons étaient justifiés par la reconnaissance; selon elle, il s'agissait d'un juste retour du fait d'avoir eu la chance d'obtenir des bourses d'études, d'une diminution considérable de ses frais de scolarité, etc. etc.

[26]          Le contre-interrogatoire a néanmoins permis de constater que l'appelante était de toute évidence beaucoup plus méticuleuse et pragmatique qu'elle voulait le laisser voir dans l'administration de ses finances. Elle était d'ailleurs manifestement mal à l'aise lorsqu'il fut question du montant investi dans un régime d'épargnes enregistrées. Malgré la preuve à l'effet que des montants importants avaient été retirés pour l'achat de devises américaines, aucune explication n'a été apportée.

[27]          À mon grand regret, je ne possède pas les qualités de découvrir la vérité d'une manière absolue. Je dois analyser, évaluer et réfléchir à partir des faits que les parties ont soumis en preuve.

[28]          Un tel exercice n'a pas la prétention de permettre une conclusion infaillible; il s'agit essentiellement d'une démarche guidée par la recherche de vérité où malheureusement beaucoup de données résultent de perceptions et d'interprétations.

[29]          Dans le présent dossier, j'ai fait un certain nombre de constats. D'abord, l'appelante était beaucoup plus informée qu'elle a bien voulu le laisser voir. Se décrivant comme une personne croyante, pieuse et très attachée à son église, très peu préoccupée par les choses matérielles; il appert de la preuve que l'appelante était beaucoup plus ordonnée. Elle tenait compte des multiples petits dons en argent sur un papier qu'elle dit avoir détruit une fois l'émission des reçus. Elle n'a jamais pu décrire avec détails et précisions une ou des circonstances ayant entouré la remise de l'un quelconque des petits dons en argent.

[30]          L'appelante a répété tout au cours de son témoignage qu'elle avait bel et bien fait les dons, en retour desquels furent émis les reçus. Elle n'a pu produire aucun document, ni témoin pour confirmer ou même appuyer son seul témoignage lequel, il faut le rappeler, a été très vague à plusieurs égards. Très souvent, l'appelante a indiqué ne pas se souvenir précisément et plusieurs de ses explications étaient imprécises et très sommaires.

[31]          Lorsque les faits devenaient ambigus ou discutables quant à leur exactitude, l'appelante se repliait derrière ses principes religieux affirmant que sa conscience était sans reproche; bien plus, elle s'est dite choquée et bouleversée par les tactiques mensongères et frauduleuses de l'Ordre libanais des Maronites. Lorsque certaines questions pourtant très pertinentes lui étaient adressées, elle s'est permise de devenir agressive.

[32]          Bien qu'en théorie, il soit possible, je dis bien possible que les explications de l'appelante soient véridiques, la prépondérance ne soutient ni n'appuie cette thèse. Dans l'hypothèse où l'appelante aurait été une innocente victime, comme elle l'a répétée à plusieurs reprises, elle devrait plutôt envisager de s'en prendre à ceux qui ont été à l'origine de la fraude, si elle en a été vraiment la victime. Bien plus, se disant fâchée par l'escroquerie, l'appelante s'est même permise d'être critique à l'endroit de Revenu Canada en leur reprochant de ne pas avoir fait le nécessaire pour mettre fin au stratagème de l'Ordre libanais des Maronites dès les premiers soupçons.

[33]          La preuve circonstancielle soumise par l'intimée a été substantielle et cohérente. Certes, une telle preuve est plus faillible et peut plus facilement être contestée ou écartée qu'une preuve directe. En l'espèce cependant, la preuve a été étoffée et soutenue par divers tableaux très révélateurs. Ces mêmes tableaux et compilations résultant d'analyses très élaborées ont permis de dégager des conclusions qui, quant à moi, font en sorte que la prépondérance de la preuve est à l'effet que l'appelante a été associée et a bel et bien profité du système mis en place par l'Ordre libanais des Maronites, d'où il y a lieu de rejeter l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'août 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-1079(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Joumana Dargham et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 14 mai 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                                      le 14 août 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                                                   L'appelante lui-même

Avocats de l'intimée :                                          Me Nathalie Lessard et

                                                                                Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-1079(IT)I

ENTRE :

JOUMANA DARGHAM,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 14 mai 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelante :             L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :       Me Simon Crépin

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992 et 1993 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d'août 2001.

" Alain Tardif "   

J.C.C.I.


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