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Date : 20011219

Dossier : 1999-2761-EI

ENTRE :

LUC FORGUES,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une détermination en date du 12 avril 1999. La décision à l'origine de l'appel concerne l'assurabilité du travail exécuté par l'appelant au cours des périodes allant du 16 avril au 26 août 1995 et du 27 août 1995 au 4 mai 1996.

[2]            Il s'agissait d'un travail à titre de pilote pour une compagnie dont la raison sociale était « Les Ailes de Gaspé Inc. » .

[3]            La détermination découlait des faits pris pour acquis suivants :

a)              Le payeur a été constitué en corporation le 8 février 1980.

b)             Le payeur exploitait une entreprise de navigation aérienne commerciale.

c)              L'appelant détenait une licence de pilote depuis 1989.

d)             L'appelant rendait des services au payeur comme pilote ou copilote.

e)              L'appelant était rémunéré 20,00 $ de l'heure.

f)              En 1995, l'appelant a rendu des services au payeur du 16 avril au 20 décembre.

g)             Le 28 août 1995, le payeur a émis un relevé d'emploi à l'appelant indiquant 12 semaines d'emploi assurable pour la période du 5 juin 1995 au 25 août 1995 et une rémunération hebdomadaire de 450,00 $.

h)             L'appelant avait besoin de 12 semaines d'emploi assurable afin de se qualifier aux prestations d'assurance-chômage.

i)               Durant 9 des 12 semaines couvertes par le relevé d'emploi, l'appelant a travaillé moins de 10 heures par semaine.

j)               Le relevé d'emploi est faux quant aux nombres de semaines et quant à la rémunération assurable.

[4]            Seuls les faits des paragraphes 5b), 5d) et 5g) ont été admis; les autres ont été soit niés, soit ignorés.

[5]            À ses débuts comme pilote pour la compagnie « Les Ailes de Gaspé Inc. » , l'appelant avait principalement des connaissances théoriques et une expérience pratique très limitée, soit d'une cinquantaine d'heures de vol.

[6]            Il a d'abord fait l'inventaire de toutes les compagnies possédant un type d'avion très précis sur lequel il voulait prendre de l'expérience. Il a, par la suite, sollicité un emploi auprès de toutes les compagnies en question.

[7]            Seule la compagnie « Les Ailes de Gaspé Inc. » a donné suite à sa demande; elle lui a effectivement offert un emploi. Au début, il a dû prendre de l'expérience en pilotant en compagnie d'un pilote expérimenté, et cela, jusqu'à ce qu'il ait à son crédit 250 heures de vol, seuil exigé par les assureurs pour être couvert lors des vols où il avait la responsabilité de l'avion.

[8]            Durant la période de stage, d'apprentissage ou de formation, l'appelant recevait une rémunération de 80 $ par semaine. Une fois cette période terminée, l'appelant dit avoir négocié et s'être entendu avec l'employeur pour une rétribution de 450 $/semaine, ce qui, aux dires de l'appelant, correspondait aux normes de ce secteur d'activités économiques.

[9]            Après avoir travaillé durant douze semaines, aux conditions ci-avant indiquées, l'appelant a été mis à pied aux motifs que les besoins de la compagnie étaient moindres et que la situation s'était quelque peu détériorée. Devenu sans emploi, le lien contractuel ayant été coupé, l'appelant a expliqué avoir accepté de continuer à piloter sans rémunération. Désirant développer et enrichir son expérience, mais aussi et surtout que lui soient créditées des heures de vol, élément essentiel à des ouvertures éventuelles de carrière.

[10]          Il a ainsi expliqué avoir été avantagé par un tel scénario. Il en aurait coûté une vraie fortune pour obtenir les crédits équivalents en louant un avion. Après sa mise à pied il pilotait donc régulièrement sans rémunération pour la compagnie « Les Ailes de Gaspé Inc. » obtenant ainsi sans frais des heures de vol à son crédit. L'appelant a reçu des petits montants qui variaient entre 10 $ et 50 $; il a soutenu qu'il s'agissait essentiellement de pourboires.

[11]          Pour justifier la continuité de son travail sans rémunération, l'appelant a indiqué qu'il s'agissait là de la seule façon d'obtenir l'expérience indispensable, dont il aurait éventuellement besoin pour prétendre à une carrière professionnelle intéressante et idéale.

[12]          Face aux prétentions de l'appelant, l'intimé a répliqué qu'il s'agissait essentiellement d'un dossier où il y avait eu collusion ou arrangement entre les parties pour mettre le programme d'assurance emploi à contribution. Pour étoffer ses prétentions, l'intimé a fait ressortir les faits suivants :

·          L'appelant a bénéficié d'un salaire hebdomadaire de 450 $ pour une durée de 12 semaines, soit exactement le nombre de semaines requises pour avoir droit aux prestations.

·          La mise à pied formelle n'était aucunement justifiable du fait que le rythme d'activités économiques n'avait en aucune façon diminué ou ralenti; bien au contraire, il s'agissait d'une période très active pour la compagnie « Les Ailes de Gaspé Inc. » .

·          L'appelant a continué de piloter selon une cadence tout aussi, sinon plus importante, qu'avant la mise à pied.

·         

[13]          La preuve a révélé que les faits à l'appui des prétentions de l'intimé étaient véridiques d'autant plus qu'ils émanaient d'une preuve documentaire incontournable, dont le contenu provenait d'une saisie effectuée à la compagnie dans le cadre d'une méga-enquête.

[14]          Devant l'évidence des données recueillies par l'intimé, l'appelant a soutenu qu'il avait été essentiellement victime et aucunement complice du véritable système mis sur pied par l'entreprise.

[15]          Pour expliquer et justifier la longue période où il a dû agir comme victime, l'appelant a soutenu avoir dû accepter de se soumettre sans opposition ni réplique, étant donné que le scénario lui permettait tout de même de se bâtir une expérience tout à fait exceptionnelle en ajoutant à son dossier de pilote des heures de vol, seul langage d'expertise en matière de pilotage d'avion.

[16]          Je n'ai aucun doute que l'appelant a vu dans la compagnie « Les Ailes de Gaspé Inc. » , un véritable tremplin lui permettant d'aller chercher expérience, reconnaissance et expertise, dont il aurait éventuellement besoin pour obtenir l'emploi idéal.

[17]          Je suis également convaincu que la passion de l'appelant pour le pilotage faisait de lui une cible facile voire vulnérable pour une entreprise qui voulait exploiter au maximum le programme de l'assurance emploi en lui faisant assumer une partie importante de sa masse salariale.

[18]          Ce sont là des aspects qui rendent le dossier de l'appelant fort sympathique, voire même particulier, en ce que je ne voudrais pas pénaliser quelqu'un qui a choisi la voie du développement de sa compétence, plutôt que celui de l'attentisme.

[19]          Ceci dit, j'ai aussi l'obligation de disposer d'un appel à partir de la prépondérance de la preuve, des dispositions de la Loi sur l'assurance emploi (la « Loi » ) et des décisions jurisprudentielles pertinentes.

[20]          En matière d'assurabilité, seul un véritable contrat de louage de services peut et doit être qualifié de contrat assurable. Or, un véritable contrat de louage de services est essentiellement le reflet de la volonté des parties qui prévoient le paiement d'une rétribution moyennant une juste et raisonnable prestation de travail, le tout encadré dans une relation employeur-employé avec lien de subordination, dont la principale caractéristique est le pouvoir de contrôler le travail rémunéré.

[21]          Un véritable contrat résulte également du consentement des parties et n'a généralement d'effets qu'entre les parties contractantes.

[22]          En l'espèce, l'employeur a décidé, un bon matin, selon le témoignage de l'appelant, de mettre un terme au contrat de travail. Il s'agissait là d'un pouvoir irréfutable de l'employeur qui devait faire suivre sa décision par la remise d'une cessation d'emploi, formalisant ainsi la rupture légale.

[23]          Or, la preuve a démontré qu'il n'y avait jamais eu de rupture ni légale, ni factuelle, quant à une des composantes fondamentales du contrat, soit celle de la prestation de travail. De fait, la preuve documentaire a démontré d'une manière non équivoque que l'appelant avait poursuivi l'exécution du même travail dans les mêmes conditions avec les mêmes modalités qu'avant l'émission du relevé d'emploi, si ce n'est qu'il avait cessé de recevoir une rémunération adéquate.

[24]          Il s'agissait là d'une situation à prime abord peut-être non voulue, ni désirée par l'appelant. L'écoulement du temps et l'absence de preuve à l'effet qu'il a exprimé son désaccord sont des éléments qui démontrent largement son acquiescement ou tout au moins sa tacite complicité à ce qui n'était rien d'autre qu'un arrangement pour faire en sorte qu'une partie du salaire qui lui était dû pour sa prestation de travail était déboursée non pas par l'employeur, mais par l'État, par le biais du programme d'assurance emploi.

[25]          La Loi ne vise que ceux et celles qui ont vraiment perdu leur emploi. En l'espèce, l'appelant n'a ni dans les faits, ni en droit, perdu son emploi; il a seulement accepté que son employeur se retire de son obligation de lui verser la rémunération découlant de son travail comme pilote. Cette acceptation ou ce consentement à ce façonnement du contrat original faisait de lui un complice à part entière de l'arrangement. Pareil arrangement disqualifiait le contrat ou tout au moins faisait perdre la qualification d'assurabilité du contrat.

[26]          Pour ces motifs, l'appel doit être rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-2761(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 LUC FORGUES et M.R.N.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      MONTRÉAL (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 3 décembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 19 décembre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                     L'appelant lui-même

Représentant de l'intimé :    Philippe Dupuis (Stagiaire en droit)

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

               

Pour l'intimé :                                         Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

1999-2761(EI)

ENTRE :

LUC FORGUES,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 3 décembre 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelant :                                  L'appelant lui-même

Représentant de l'intimé :           Philippe Dupuis (Stagiaire en droit)

JUGEMENT

L'appel est rejeté et la décision rendue par le Ministre est confirmée, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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