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Date: 20010727

Dossier: 2000-2384-IT-I

ENTRE :

MARTINE DROLET,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel relatif aux années d'imposition 1995, 1996 et 1997. La question en litige consiste à déterminer si l'appelante, pour les dites années, était co-associée d'une société. Dans l'hypothèse d'une réponse positive à cette première question, je devrai décider si le ministre du Revenu national (le " Ministre ") était justifié d'inclure dans les revenus de l'appelante, 50 pour-cent du revenu de la société pour les années 1995 et 1996 et 50 pour-cent de la société pour les trois premiers mois de l'année 1997. Dans l'hypothèse inverse, il devra être fait droit à l'appel de l'appelante.

[2]            L'appelante a expliqué que son conjoint avait exploité une entreprise à compter de 1987; il s'agissait d'une entreprise de livraison et de vente de produits laitiers.

[3]            Au début, les clients étaient principalement des résidences privées. Par la suite, l'entreprise desservait principalement les commerces.

[4]            L'appelante ne recevait aucun salaire de l'entreprise; elle s'y intéressait cependant comme collaboratrice en ce qu'elle s'occupait de la comptabilité, faisait des dépôts et à l'occasion, faisait les commissions. Comme elle exécutait ces différentes tâches et fonctions à partir de la résidence, elle répondait également au téléphone et prenait les commandes des clients.

[5]            Elle a expliqué que sa principale occupation était de s'occuper de ses deux enfants; elle faisait également du bénévolat et de l'organisation politique.

[6]            L'appelante a indiqué qu'elle n'était aucunement co-propriétaire ou associée de l'entreprise de son conjoint Michel Guillemette. Elle s'y intéressait, l'aidait et collaborait non pas comme associée, mais essentiellement comme conjointe ayant à coeur la réussite de l'entreprise de qui elle dépendait financièrement puisque les revenus familiaux provenaient exclusivement de la dite entreprise.

[7]            Plusieurs faits militent pour l'existence d'une véritable société de fait (de facto) dont les associés étaient l'appelante et son conjoint, Michel Guillemette. La preuve a notamment fait ressortir les faits suivants :

-      toutes les affaires de banque de l'entreprise transitaient par le compte personnel des époux;

-      l'appelante était autorisée à faire des chèques; elle s'occupait de la comptabilité et faisait aussi les dépôts;

-      le comptable de l'entreprise aurait suggéré au conjoint de l'appelante, au début des années 1990, de diviser ou partager les revenus de l'entreprise dans une proportion 50-50. L'appelante a reconnu avoir tacitement accepté la suggestion du comptable. Conséquemment, l'appelante a complété, produit et signé ses déclarations de revenus comme étant co-propriétaire de la société.

[8]            Tous ces éléments soutiennent évidemment fortement l'existence d'une société dans laquelle l'appelante avait une participation de 50 pour-cent. Par contre, la preuve a aussi révélé que cette société qui a pu exister entre l'appelante et son conjoint a aussi cessé d'exister à un moment donné.

[9]            L'appelante a affirmé qu'elle avait avisé son conjoint en 1995, après avoir appris que la tactique mise en point par le comptable n'était pas légitime, qu'elle désirait y mettre fin.

[10]          A-t-elle véritablement avisé son conjoint à cet effet? Je crois qu'il est possible et probable; étant donné la détérioration des relations entre elle et son conjoint, un divorce est d'ailleurs survenu peu de temps après. Il s'agissait là d'un comportement raisonnable, plausible et certainement possible puisqu'il est usuel que des époux ne s'entendent plus, n'aiment pas et n'acceptent pas de partager ou collaborer facilement.

[11]          Monsieur Serge Gagné, vérificateur du dossier, qui a témoigné à la demande de l'intimée, a mentionné que la déclaration d'impôt de l'appelante, pour l'année 1995, avait été produite beaucoup plus tard et qu'elle avait, sans doute, été préparée par son ex-conjoint puisqu'elle n'était pas signée, confirmant ainsi la version de l'appelante à l'effet que tout était préparé pour le comptable.

[12]          Monsieur Gagné a aussi affirmé avoir conversé et rencontré monsieur Guillemette à quelques reprises concernant le dossier de l'entreprise. Il a admis n'avoir jamais rencontré l'appelante, si ce n'est pour lui avoir parlé à une ou deux reprises au téléphone.

[13]          Le témoin a justifié son intérêt pour monsieur Guillemette dans le fait que ce dernier avait en sa possession tous les renseignements, documents et informations dont il avait besoin pour sa vérification.

[14]          Ce seul fait confirme de façon non équivoque l'exclusion de l'appelante des affaires de l'entreprise, ou tout au moins, la rupture avec le scénario qui avait existé lors des années antérieures où l'appelante s'occupait et avait en sa possession des informations, documents et tout le matériel administratif.

[15]          Compte tenu du climat qui existait entre l'appelante et son conjoint, je ne doute aucunement des réponses que le vérificateur a pu obtenir de monsieur Guillemette; ce dernier avait un intérêt réel et considérable à prétendre et soutenir que l'appelante était co-propriétaire, ou associée à lui dans son entreprise, puisqu'une réponse en vertu de laquelle il était seul propriétaire aurait eu des effets significatifs quant à sa propre situation fiscale.

[16]          L'appelante, de son côté, a affirmé n'avoir déclaré aucun revenu pour les années en litige. Quant aux années antérieures, elle a soutenu que les déclarations étaient complétées par le comptable de l'entreprise et que tous les dépens et coûts inhérents à la déclaration étaient assumés et acquittés par monsieur Guillemette, alors conjoint de cette dernière.

[17]          N'eut été du divorce, de sa date, des conventions intervenues et de l'ensemble des faits et circonstances présentes lors de cette période, je crois que l'appelante n'aurait pas pu, par son seul témoignage, faire la preuve qu'il n'avait pas existé une société de fait entre elle et son conjoint à une certaine époque.

[18]          Par contre, pour la période relative au présent appel, la prépondérance de la preuve m'amène à conclure différemment et ce, principalement par les motifs ci-après énumérés.

[19]          D'abord, les explications soumises par l'appelante ont été non seulement corroborées par le témoignage de monsieur Gagné, témoin de l'intimée, bien plus elle ont été bonifiées et complétées.

[20]          En second lieu, les conventions intervenues entre les parties dans le cadre du divorce, ont aussi confirmé les prétentions de l'appelante.

[21]          En troisième lieu, le procureur de l'intimée a fait référence à l'article 2186 du Code Civil du Québec qui se lit comme suit :

Le contrat de société est celui par lequel les parties conviennent, dans un esprit de collaboration, d'exercer une activité, incluant celle d'exploiter une entreprise, d'y contribuer par la mise en commun de biens, de connaissances ou d'activités et de partager entre elles les bénéfices pécuniaires qui en résultent.

Le contrat d'association est celui par lequel les parties conviennent de poursuivre un but commun autre que la réalisation de bénéfices pécuniaires à partager entre les membres de l'association.

[22]          Cet article de loi prévoit donc une condition essentielle et fondamentale, soit le consentement des parties à être associées.

[23]          La preuve de certains faits et gestes a démontré, d'une manière prépondérante, qu'une telle volonté a existé à une certaine période. Pour ce qui est de la période en cause, soit pour les années d'imposition 1995, 1996 et 1997, il n'en est rien. Non seulement le témoignage de l'appelante est à l'effet contraire, ce même témoignage est confirmé par la preuve soumise par l'intimée des suites du témoignage de monsieur Gagné.

[24]          Existait-il une société de fait entre l'appelante et monsieur Guillemette? À une certaine époque, il n'y a aucun doute dans mon esprit qu'une telle société a existé.

[25]          Par contre, la prépondérance de la preuve pour les années 1995, 1996 et 1997 n'est pas à cet effet. Une société est une création qui résulte des faits, mais aussi du consentement des associés. Lorsqu'une partie, en l'espèce l'appelante, manifeste et exprime son intention d'y mettre fin, la société ne peut plus exister. En l'espèce, le témoignage de l'appelante a l'effet qu'elle n'étant pas associée à son conjoint est confirmé par des faits déterminants dont notamment le divorce intervenu et les circonstances et faits décrits par le témoin de l'intimée.

[26]          Je suis d'avis que l'appelante a relevé le fardeau de la preuve par les explications soumises, mais aussi et surtout par la corroboration découlant de la preuve documentaire et du témoignage du responsable du dossier, monsieur Serge Gagné.

[27]          Je conclus donc que la société de fait qui a pu exister entre l'appelante et Michel Guillemette n'existait plus lors des années en litige 1995, 1996 et 1997.

[28]          Conséquemment, l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de juillet 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2000-2384(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Martine Drolet et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 18 juin 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 27 juillet 2001

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :                        Me Stéphane Beaudoin

Avocat de l'intimée :                            Me Stéphane Arcelin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                Nom :                                       Me Stéphane Beaudoin

                Étude :                                     Petit, Robert, Beaudoin

                Ville :                                       Charlesbourg (Québec)

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

2000-2384(IT)I

ENTRE :

MARTINE DROLET,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 18 juin 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Stéphane Beaudoin

Avocat de l'intimée :                  Me Stéphane Arcelin

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1995, 1996, et 1997 est accueilli, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de juillet 2001.

   " Alain Tardif "

J.C.C.I.


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