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Date: 20020128

Dossier : 2000-2249-IT-I

ENTRE :

MARCELLIN LAVOIE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

Dossier : 2000-2251-IT-I

ENTRE :

3102-8483 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il a été convenu par les parties de procéder au moyen d'une preuve commune pour les deux dossiers, les faits pertinents étant communs.

[2]            Il s'agit d'appels pour l'année d'imposition 1994.

[3]            Pour établir et maintenir les nouvelles cotisations en litige, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a tenu pour acquis les faits suivants :

Dossier 2000-2249(IT)I :

a)              la société 3102-8483 Québec Inc. a été constitué le 10 décembre 1993, sous l'autorité de la partie 1A de la Loi sur les compagnies;

b)             suite à la création de cette nouvelle entreprise, la société Ferme Louis-Hébert Inc. est devenue une société de gestion et toutes ses opérations courantes ont été transférées à la société 3102-8483 Québec Inc.;

c)              en tout temps pertinent, Marcellin Lavoie était l'unique actionnaire de la société Ferme Louis-Hébert Inc. qui était l'unique actionnaire de la société 3102-8483 Québec Inc.;

d)             durant cette période, Marcellin Lavoie était l'unique administrateur des deux sociétés et gérait toutes les activités des entités en place;

e)              la société Les Équipements d'Érablière CDL Inc. (ci-après, la « société » ) signa un contrat en juin 1993 avec la société Ferme Louis-Hébert Inc. (ci-après le « contrat » );

f)              ce contrat consistait à commercialiser les équipements de la « société » en échange d'une commission sur les ventes et le remboursement des dépenses reliées à ce travail;

g)             Marcellin Lavoie était la personne-ressource de la société Ferme Louis-Hébert Inc. pour effectuer ce travail;

h)             la « société » a payé au cours de l'année d'imposition 1994, la somme de 26 539 $ en commissions et 13 319,26 $ en remboursement de dépenses à la société Ferme Louis-Hébert Inc.;

i)               toutes les sommes reçues provenant du « contrat » ont été créditées au compte « Avance administrateur » de la société Ferme Louis-Hébert Inc.;

j)               vingt-deux inscriptions totalisant 39 958,34 $ ont été nécessaires pour créditer au compte « Avance administrateur » , tous les chèques émis par la société et encaissés par la société Ferme Louis-Hébert Inc.;

k)              l'écriture de régularisation #7 au montant de 13 319,26 $ se lit ainsi : « Renversement Déplacement & Téléphone » pour toutes les dépenses remboursées par la « société »

l)               Marcellin Lavoie, l'appelant, n'a pas déclaré cet avantage de 26 539 $ dans sa déclaration de revenus fédérale pour l'année d'imposition 1994;

m)             en omettant ainsi de déclarer comme revenu la somme de 26 539 $ pour l'année 1994, l'appelant a fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus fédérale produite pour l'année d'imposition 1994, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d'où il résulte que l'impôt qu'il aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans la déclaration de revenus fédérale déposée pour cette année en litige était inférieur au montant d'impôt à payer pour cette année-là;

n)             par suite de l'omission par l'appelant de déclarer la totalité de son revenu, le ministre lui a imposé lors de l'avis de nouvelle cotisation du 10 août 1999, une pénalité de 2 148 46 $ pour l'année d'imposition 1994 conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après la « Loi » );

o)             lors de la production de sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1994, l'appelant ayant fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, le ministre a émis l'avis de nouvelle cotisation du 10 août 1999 conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

Dossier 2000-2251(IT)I :

a)              la société 3102-8483 Québec Inc. a été constitué le 10 décembre 1993, sous l'autorité de la partie 1A de la Loi sur les compagnies;

b)             suite à la création de cette nouvelle entreprise, la société Ferme Louis-Hébert Inc. est devenue une société de gestion et toutes ses opérations courantes ont été transférées à la société 3102-8483 Québec Inc.;

c)              en tout temps pertinent, Marcellin Lavoie était l'unique actionnaire de la société Ferme Louis-Hébert Inc. qui était l'unique actionnaire de la société 3102-8483 Québec Inc.;

d)             durant cette période, Marcellin Lavoie était l'unique administrateur des deux sociétés et gérait toutes les activités des entités en place;

e)              la société Les Équipements d'Érablière CDL Inc. (ci-après, la « société » ) signa un contrat en juin 1993 avec la société Ferme Louis-Hébert Inc. (ci-après le « contrat » );

f)              ce contrat consistait à commercialiser les équipements de la « société » en échange d'une commission sur les ventes et le remboursement des dépenses reliées à ce travail;

g)             Marcellin Lavoie était la personne-ressource de la société Ferme Louis-Hébert Inc. pour effectuer ce travail;

h)             la « société » a payé au cours de l'année d'imposition 1994, la somme de 26 539 $ en commissions et 13 319,26 $ en remboursement de dépenses;

h)sic        toutes les sommes reçues provenant du « contrat » ont été créditées au compte « Avance administrateur » de la société Ferme Louis-Hébert Inc. au lieu d'être créditées aux revenus de l'appelante;

i)               les seuls revenus déclarés par la société Ferme Louis-Hébert Inc. pour l'année en litige ont été des revenus de gestion totalisant 7 500 $ payés par l'appelante;

j)               l'appelante a déclaré des revenus bruts de 49 287 $ provenant d'opérations agricoles;

k)              ni l'appelante ni la société Ferme Louis-Hébert Inc. n'ont déclaré les revenus de 26 539 $ provenant du contrat avec la « société » ;

l)               les revenus non déclarés sont très importants compte tenu des revenus bruts déclarés par l'appelante et par la société de gestion;

m)             vingt-deux inscriptions totalisant 39 958,34 $ ont été nécessaires pour créditer au compte « Avance administrateur » , tous les chèques émis par la société et encaissés par la société Ferme Louis-Hébert Inc.;

n)             l'écriture de régularisation #7 au montant de 13 319,26 $ se lit ainsi : « Renversement Déplacement & Téléphone » pour toutes les dépenses remboursées par la « société » et reliées aux revenus non déclarés;

o)             en omettant ainsi de déclarer comme revenu la somme de 26 539 $ pour l'année 1994, l'appelant a fait sciemment, ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde, un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus fédérale produite pour l'année d'imposition 1994, ou a participé, consenti ou acquiescé à ce faux énoncé ou cette omission, d'où il résulte que l'impôt qu'il aurait été tenu de payer d'après les renseignements fournis dans la déclaration de revenus fédérale déposée pour cette année en litige était inférieur au montant d'impôt à payer pour cette année-là;

p)             par suite de l'omission par l'appelant de déclarer la totalité de son revenu, le ministre lui a imposé lors de l'avis de nouvelle cotisation du 13 septembre 1999, une pénalité de 1 703 80 $ pour l'année d'imposition 1994 conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (ci-après la « Loi » );

q)             lors de la production de sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1994, l'appelante ayant fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, le ministre a émis l'avis de nouvelle cotisation du 13 septembre 1999 conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

r)              à ce stade-ci des procédures, le ministre a pris note que le revenu de commissions provenant de la « société » en vertu du contrat liant la « société » et la société Ferme Louis-Hébert Inc. n'ont pas été inclus dans les revenus de cette dernière mais bien dans les revenus de l'appelante pour l'année d'imposition 1995 et ce, même si ledit contrat n'a pas changé depuis 1993;

[4]            Monsieur Robert Cloutier, comptable agréé (c.a.) représentait les appelants en sa qualité de comptable. Au soutien des appels, il a indiqué qu'il désirait soumettre quatre éléments spécifiques :

-                qu'une erreur dont il assumait la totale responsabilité avait été commise et que la cotisation avait comme seul fondement une erreur d'interprétation provenant de la personne qui faisait la comptabilité;

-                que l'appelant n'avait jamais profité ou tiré avantage de l'erreur en question;

-                qu'il s'agissait d'une simple erreur n'ayant rien à voir avec la commission d'une faute lourde ou d'une quelconque négligence;

-                et que, finalement, le Ministre n'avait pas cotisé la bonne compagnie.

[5]            Monsieur Cloutier a expliqué les circonstances ayant trait à l'erreur; il a insisté sur le fait que le compte « avance » était largement créditeur, d'où l'appelant n'avait aucunement bénéficié de la majoration conséquente à l'écriture comptable erronée. Il a aussi ajouté l'absence totale d'intérêt à agir ainsi.

[6]            La preuve a révélé que l'appelant était seul actionnaire et administrateur de la société Ferme Louis-Hébert Inc., en affaires depuis 1977. La société 3102-8483 Québec Inc. a été constituée le 10 décembre 1993; la société Ferme Louis-Hébert Inc. en était la seule actionnaire et l'appelant seul administrateur de cette compagnie.

[7]            Le 29 décembre 1993, la société 3102-8483 Québec Inc. débutait ses opérations; elle achetait l'exploitation agricole de la société Ferme Louis-Hébert Inc. Le compte de banque de la Ferme était transféré au nom de la société 3102-8483 Québec Inc., et par la suite toutes les transactions des deux sociétés et celles de l'appelant personnellement transitaient par le même compte de banque.

[8]            En juin 1993, une entente intervenait entre Lavoie et la société Équipements d'érablière CDL Inc. ( « CDL » ). En vertu de cette entente, l'appelant rendait des services de consultation à CDL; moyennant une commission de 5 p. 100 sur l'augmentation des ventes de CDL et le remboursement de ses dépenses.

[9]            En 1994, CDL transfère au compte de banque de la société 3102-8483 Québec Inc. les honoraires dus en contrepartie des services de consultation rendus par Lavoie à partir de 1993. Ces honoraires n'ont pas été déclarés dans aucune déclaration de revenus. Ils ont été crédités au compte d'avance des administrateurs de la société Ferme Louis-Hébert Inc.

[10]          Le 10 août 1999, un avis de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994 fut émis à l'appelant pour avoir omis d'inclure l'avantage imposable que constituait l'inclusion de la somme de 26 539 $ dans le compte d'avance des administrateurs de la société Ferme Louis-Hébert Inc. Les parties s'entendent sur l'exactitude du montant de 26 539 $.

[11]          Le 13 septembre 1999, le Ministre a émis un avis de nouvelle cotisation de la société 3102-8483 Québec Inc. pour ne pas avoir inclus le montant de 26 539 $ dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1994. Le Ministre a imposé des pénalités aux appelants, en vertu du paragraphe 162(3) de la Loi.

[12]          Lors de ces années, monsieur Cloutier agissait comme comptable, tant pour l'appelant que pour la compagnie et ce, depuis plus de dix ans. Monsieur Cloutier était aussi le gendre de l'appelant depuis 17 ans.

[13]          Ce dernier a indiqué qu'il préparait les états financiers dans le cadre d'un mandat défini comme une mission de compilation; il effectuait les régularisations de fin d'année. Il agissait également comme conseiller financier.

[14]          Même si sa formation et son expérience auraient dû faire en sorte que le dossier des appelants soit structuré pour en permettre une analyse facile, il en était tout autrement, tel qu'il appert à l'extrait de la transcription aux pages 40 à 45:

...

Me ARCELIN

Q.             Mais à quel moment vous avez senti le besoin de corriger ça?

M. ROBERT CLOUTIER

R.             C'est pas une correction, c'est une... Ça fonctionne toujours de même puis, depuis 94 la création de la compagnie numérique, ç'a toujours fonctionné de même jusqu'à l'an 2000. Je sens pas le besoin de corriger, c'est simplement que monsieur Lavoie utilise parfois la carte de crédit de la compagnie numérique pour des dépenses personnelles. Ces dépenses-là ne sont pas admissibles à l'intérieur de la compagnie, je dois les retirer de la compagnie. Et la façon de le faire est la suivante : je transfère l'avance à Ferme Louis-Hébert et Ferme Louis-Hébert vient diminuer les avances de monsieur Lavoie. C'est aussi simple que ça.

Me ARCELIN

Q.             Pouvez-vous m'expliquer, s'il vous plaît, quel était le rationnel? Vous avez fait part de la décision de créer la compagnie à numéro?

R.             Il y avait plusieurs raisons. Étant donné que monsieur Lavoie avait une nouvelle activité, qui était de rendre des services à CDL, au provincial au niveau, au provincial, on doit normalement exclure des activités agricoles pour avoir droit à une exemption au niveau de la taxe sur capital. D'accord? Donc, dans un; premier temps c'est ce qu'on avait fait. C'est au point de vue fiscal tout simplement. Puis la Ferme Louis-Hébert avait des pertes reportées qui venaient à échéance. Et en faisant ce type de transactions-là, on faisait simplement créer un gain en capital qu'on appliquait contre ces pertes, ce qui est parfaitement légal. C'est surtout des questions fiscales.

Q.             Vous avez fait référence au fait tout à l'heure que, bon, votre client, monsieur Lavoie, utilisait régulièrement - bah, utilisait plus ou moins régulièrement - je pense que c'est ce que vous avez dit à peu près - le compte de l'entreprise à des fins personnelles, vous faisiez des écritures afin de régulariser la situation. C'est exact?

R.             Effectivement, oui.

Q.             Ce compte-là en question, est-ce que c'est le compte de la compagnie à numéro ou c'est le compte de Ferme Louis-Hébert?

R.             Je dirais que c'est le compte de Ferme Louis-Hébert; lorsque le compte a été créé, il a été créé pour Ferme Louis-Hébert.

Q.             J'aimerais vous présenter un état de compte qui a été obtenu par la vérification dans le cadre, par l'Agence dans le cadre des vérifications. Vous voyez ici en première page, c'est un état de compte qui est adressé à la compagnie à numéro en question. Et on voit ici, à la deuxième page, il y a un bordereau de dépôt, toujours avec le même numéro de folio, le numéro de folio 3183. Et on voit qu'à l'heure actuelle le bordereau de dépôt est, on fait référence à Ferme Louis-Hébert Inc. toujours pendant les mêmes périodes. Pouvez-vous m'expliquer cette situation-là?

R.             Oui.

Q.             Est-ce que le compte appartient - parce qu'on peut voir sur l'état de compte - j'aimerais déposer ce document-là, Monsieur le Juge.

PIÈCE I-2 :             État de compte adressé à la compagnie numérique (en liasse)

Me STÉPHANE ARCELIN :

Q.             On voit que toutes les transactions ont été, elles ont passé par un compte qui m'apparaît, selon ce document-là, comme étant le compte de la compagnie à numéro.

R.             Oui, je vais... Je vais essayer de vous expliquer rapidement, là, le compte. Ce compte-ci, dont le folio est 3183, a été créé il y a probablement vingt (20) ans par Ferme Louis-Hébert. En 94, monsieur Lavoie, de bonne foi, a sûrement mentionné que les opérations agricoles étaient transférées à la compagnie numérique, entre autres certaines dettes. Et la Caisse populaire a simplement changé le nom de l'état de banque pour la compagnie numérique étant donné que les dettes suivaient, les dettes agricoles suivaient la compagnie numérique. Effectivement, au bordereau de dépôt, c'est toujours Ferme Louis-Hébert qui est utilisée, puis au niveau des chèques, sur les chèques c'est indiqué Ferme Louis-Hébert Inc. aussi, donc qui fait référence à ce compte-là, donc tout est Ferme Louis-Hébert sauf le nom en haut qui est... Dans le fond, il y a un compte de banque pour toutes les opérations des deux entreprises.

Q.             Alors, c'est un compte de banque qui sert aux opérations des deux entreprises, c'est un compte de banque qui est enregistré auprès de la Caisse pop.

R.             Depuis vingt (20) ans, qui a été créé par Ferme Louis-Hébert.

Q.             Qui a été créé...

R.             Par Ferme Louis-Hébert.

Q.             ... par Ferme Louis-Hébert au départ. Par la suite, qui a été modifié...

R.             modifié...

Q.             ... au nom de la compagnie à numéro?

R.             Bien, ils ont changé le nom. Tout se fait sous le nom de Ferme Louis-Hébert, sauf que le nom a été changé.

Q.             Et ce compte-là, n'est-il pas vrais de dire que c'est le compte aussi par lequel monsieur Marcellin Lavoie fait toutes ses opérations personnelles aussi pas mal?

R.             Il faut, bien, toutes, il faut quelques, il fait des opérations personnelles à l'intérieur de ce compte-là effectivement.

Q.             Alors, il y a des opérations personnelles, il y a des opérations de Ferme Louis-Hébert puis il y a des opérations justement de la compagnie à numéro.

R.             C'est pour ça que je vous parlais qu'il y avait des dépenses qui étaient réimputées personnellement.

Q.             Hum, hum. Vous avez dit, pouvez-vous m'expliquer -

MONSIEUR LE JUGE :         Juste une seconde.

Me STÉPHANE ARCELIN :                                 Oui.

MONSIEUR LE JUGE :

Q.             Vous êtes le comptable de cette entreprise-là?

R.             Oui.

Q.             Depuis fort longtemps. Vous êtes également le conseiller de l'entreprise.

R.             Normalement.

Q.             Est-ce que c'est dans les règles de l'art que d'avoir un compte de banque de cette nature-là pour trois entités?

R.             Trois entités? Non, c'est pas, c'est la première fois que je vois ça, mais pour monsieur Lavoie, c'est la façon de simplifier les choses. Donc, je respecte la décision de monsieur Lavoie.

Plus loin, aux pages 63 et 64 :

                ...

M. ROBERT CLOUTIER :    Effectivement, ça semble mêlé, mais regardez les entreprises de monsieur Lavoie sont des petites entreprises qui génèrent des revenus qui peuvent varier d'une année à l'autre entre 50 et 100 000 $ par année. Monsieur Lavoie, pour se simplifier son existence, a un compte de banque, a toujours eu un compte.

JUGE :     Q. Non, ça je n'achèterai jamais ces arguments-là. Quand on joue avec les règles des ligues majeures, on se doit d'utiliser les règles qui prévalent dans cette ligue-là. Les affaires de sauver des coûts, sauver des dépenses parce que ça coût cher avoir des vérifications, je n'achèterai jamais ça.

                                R. C'est pas nécessairement pour sauver des coûts, mais plutôt pour sauver des efforts de transférer des sommes d'un endroit à un autre. C'est ma compréhension des choses et c'est évident que j'ai recommandé à Monsieur Lavoie à quelques reprises de créer des comptes de banque distincts, d'avoir un compte de banque personnel puis de se transférer des sommes régulièrement dans son compte de banque personnel pour les dépenses personnelles. Mais pour cette année-là, 93, 94, 95, effectivement ça s'est produit de cette façon-là. J'ai pas vraiment d'autre argument à amener. C'est évident que, nous, ça complique la comptabilité. C'est évident qu'on a des efforts à mettre à toutes les années lorsqu'on fait la tenue des livres. C'est évident que ça crée peut-être des surcharges d'honoraires supplémentaires, mais c'est la décision de monsieur Lavoie, là. J'ai l'intention de faire témoigner monsieur Lavoie et peut-être qu'il aurait des raisons à vous soumettre à ce niveau-là, je peux pas parler monsieur Lavoie, là.

...

[15]          Madame Claire Melançon, ès qualité de technicienne en comptabilité, a témoigné; elle a expliqué qu'elle faisait la tenue des livres depuis 1991 et qu'elle n'avait jamais d'instructions de l'appelant Marcellin Lavoie, mais exclusivement du comptable Robert Cloutier. Pour ce qui est de son mandat, elle s'est exprimée comme suit aux pages 66 et 67 :

...

M. ROBERT CLOUTIER :

Q.             Pouvez-vous m'expliquer de quelle façon la tenue des livres de Ferme Louis-Hébert se faisait normalement? de façon brève, là.

MADAME MÉLANÇON :

R.             La tenue de livres, on le faisait une fois par année. C'est une tenue de livres annuelle et non pas, comme certains clients c'est mensuel, lui c'est annuellement.

                                                                                                Je souligne.

Plus loin, aux pages 74, 75 et 76 :

MONSIEUR LE JUGE :

Q.             Vous allez m'expliquer ce que ça fait qu'une technicienne comptable. Je le sais, mais je voudrais, je veux savoir dans votre cas à vous, là.

MADAME MÉLANÇON :

R.             Dans mon cas à moi?

Q.            Oui?

R.             Tout dépendamment des clients que je fais, il y en a que c'est, comme je disais tantôt, que c'est mensuel, d'autres c'est annuel. Si c'est une façon annuelle, on a une boîte, on a tous les états de banque, on a habituellement tout ce qu'on a de besoin pour faire toute la tenue de livres pour l'année.

Q.             D'accord.

R.             De ce client-là.

Q.             Maintenant, je comprends de votre réponse que, vous, vous êtes une employée de monsieur Cloutier?

...

Q.             Vous faisiez ça une fois par année?

R.             Une fois par année, toujours à peu près au printemps.

Q.             Mais ça se faisait comment? Il arrivait chez vous avec des boîtes?

R.             Non, c'est monsieur Cloutier, il m'apportait ça, tous les états de banque de la Caisse populaire, les retours de chèques avec, j'ai la pile de talons de chèques et je saisis tous les chèques. Il faut les coder par code parce que la tenue de livre est faite...

[16]          Quant à l'appelant, il a affirmé qu'il mandatait un expert, à qui il versait des honoraires pour s'occuper de ses affaires comptables. Il s'est exprimé comme suit aux pages 97, 98, 99 et 100 :

...

Me ARCELIN :

Q.             Et vous, bon, à la fin d'année, si je comprends bien, comme vous le faites à l'heure actuelle et avec monsieur Cloutier, vous signez les états financiers et les déclarations d'impôt?

M. MARCELLIN LAVOIE

R.             Bien, on se fie au comptable puis je pense qu'on le paye pour ça, là.

Q.             Hum, hum. Mais vous regardez -

R.             Je regarde surtout, oui, le bilan, qui est très important.

Q.             Vous regardez le bilan?

R.             Oui.

Q.             L'état des résultats aussi sûrement parce que ça doit être...

R.             Bien, le résultat, sur le bilan ça mentionne pas mal tous les résultats. Je vais pas dans les détails parce que je donne... D'ailleurs, sur les statements, c'est bien mentionné personnel ou peu importe, alors je donne ça au comptable.

Q.             O.K. Mais quand vous regardez l'état des résultats à la fin de l'année, par exemple, vous voyez, bon, vous avez fait 50 000 $, dans la mesure -

R.             Bien, je regarde ce qui reste, toujours.

Q.             Oui, je sais, mais vous êtes en mesure de voir quelles sont vos ventes que vous avez faites? Vous constatez ça? Vous regardez ça?

R.             Oui, bien... Bien, je regarde toujours ce qui est, c'est sûr, c'est normal.

Q.             Alors, expliquez-moi pourquoi, Monsieur Lavoie, ça n'a pas frappé votre attention - je fais référence, Monsieur le Juge, à la pièce I-4 - on voit les états financiers que vous avez signés et que vous avez remis avec la déclaration d'impôt de 3102-8483 Québec Inc. démontrent des revenus de 49 287 $. Par contre, ces revenus-là ont été sous-estimés de 26 000 $, ça veut dire à peu près de cinquante pour cent (50%). Ça n'a pas frappé votre attention, ça?

R.             Non, du tout. Je dois vous dire, je regarde le bilan; naturellement c'est pas moi qui compile ces choses-là, c'est dommage, mais j'ai pas regardé ces détails, ces affaires-là, définitivement. Moi, je vois le bilan, point, ce qui (inaudible). Ce qui est important, le bilan pour moi, c'est pour la banque, c'est très important.

...

Q.             Alors vous, quand... ça n'a pas frappé votre attention qu'il manquait 26 000 $ de revenus en prenant ça pour acquis?

R.             Non, du tout. Du tout.

Q.             Vous, vous vous aviez oublié complètement les revenus de CDL?

R.             Non non, écoutez, j'ai pas... Écoutez là, je me fie à un bureau de comptables, là, t'sais, tout de même là j'ai pas... Je veux bien croire, mais je vais pas dans, dommage, là, mais je vérifie pas tout. Si j'étais pour vérifier, je la ferais moi-même, la comptabilité.

...

[17]          Selon le comptable, le fait que l'avantage conféré au compte avance était sans effet, n'étant profitable à personne, confirme la thèse de l'erreur sans conséquence. Il s'agit d'une interprétation inacceptable puisqu'elle occulte complètement l'avantage et bénéfice découlant de l'éventuel retrait.

[18]          Quant à l'argument voulant que l'intimée n'ait pas cotisé la bonne compagnie, je ne la retiens pas et cela pour deux raisons. D'abord, il n'y a pas eu de preuve satisfaisante et convaincante à cet effet. D'autre part, je suis d'avis que la confusion délibérément entretenue par le biais d'une comptabilité rudimentaire et confuse visait à garder toutes les options ouvertes le plus longtemps possible.

[19]          Pour se justifier, l'appelant a prétendu qu'il payait des honoraires importants pour que tout soit fait correctement. Directement visé par l'explication, l'expert comptable, reconnaissant certaines faiblesses de la comptabilité, a répliqué en affirmant avoir fait les recommandations appropriées à cet égard à l'appelant, qui n'avait pas jugé à propos de l'autoriser à effectuer les modifications souhaitables. Ce sont-là des explications frivoles. Je crois plutôt que la méthode tacitement en place offrait une flexibilité souhaitée et recherchée.

[20]          L'appelant avait et devait prendre toutes les mesures pour s'assurer de la transparence et cohérence comptable. Non seulement il n'en était pas ainsi, au contraire tout était ambigu. Je crois que la confusion des données était arrangeante et accommodante.

[21]          Le comptable a soutenu qu'il n'avait pas mis en place une comptabilité adéquate parce qu'il n'en avait pas le mandat. De son côté, le mandant n'avait rien à y voir parce qu'il avait tout confié à un expert; bien plus, la technicienne comptable qui s'occupait du classement, fonctionnait sans instruction et essentiellement par intuition.

[22]          Permettre, accepter et tolérer une pareille confusion alors qu'il aurait été si facile d'y remédier par la mise en place d'un système cohérent et transparent, discrédite totalement la thèse de l'erreur.

[23]          Étant donné l'importance des montants en cause eu égard aux autres revenus, soit 26 539 $ versus des revenus de 49 287 $, il n'est pas raisonnable de donner foi à l'excuse de l'erreur. L'expert comptable devait agir avec une minutie toute particulière, du fait qu'il connaissait très bien la faiblesse du système comptable.

[24]          Les contrôles auraient dû être effectués d'une manière très méticuleuse, puisque, d'une part, les données compilées étaient vagues et imprécises, et cela, à la connaissance de l'expert comptable; d'autre part, la personne qui avait mandat de décortiquer la paperasse comptable n'avait pas de communication avec l'auteur des dépenses et le ou les bénéficiaires des revenus.

[25]          Bien que l'appelant ait prétendu ne pas avoir les connaissances nécessaires pour comprendre toute la comptabilité, je suis convaincu qu'il comprenait et connaissait très bien les données prédominantes de ses affaires personnelles et celles des compagnies dans lesquelles il avait des intérêts, d'autant plus qu'un montant de 26 539 $ par rapport à des revenus déclarés de 49 287 $ n'est ni banal, ni marginal.

[26]          La preuve a révélé que l'appelant était un homme d'affaires avisé, débrouillard et consciencieux. Il a d'ailleurs reconnu examiner les états financiers avant de les signer.

[27]          La preuve a établi que l'appelant avait organisé, structuré et planifié ses affaires de manière à minimiser au maximum son fardeau fiscal. Il s'agissait là d'une préoccupation tout à fait légale et légitime pour un homme d'affaires de la trempe de l'appelant, d'ailleurs conseillé par un expert comptable.

[28]          Ceci étant, il devait assumer toutes les conséquences et surtout respecter totalement la logique du véhicule choisi pour minimiser les impôts payables. Il a choisi, malgré semble-t-il les conseils et les recommandations de son expert comptable, de se satisfaire d'un système déficient et inadéquat.

[29]          Un tel comportement démontre, sans l'ombre d'un doute, une complicité dans la commission de ce qui a été qualifié d'erreur. Une erreur aussi grossière équivalait à une faute lourde dont la responsabilité est tout autant imputable à l'appelant lui-même qu'à l'expert comptable.

[30]          À cet égard, il m'apparaît pertinent de reproduire un extrait du jugement de l'honorable juge Strayer dans l'affaire Venne c. Canada [1984] A.C.F. no 314 (Q.L.).

... La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. ...

[31]          En l'espèce, la preuve n'a-t-elle pas révélé que le comptable aurait recommandé à l'appelant de porter les correctifs appropriés à sa comptabilité? Cette même preuve a aussi révélé que l'appelant ne donnait aucune instruction à la personne qui s'occupait de l'aspect clérical de la comptabilité et finalement, la preuve n'a jamais démontré que l'appelant avait fait quelque effort que ce soit pour se conformer aux directives du comptable, si directives il y a vraiment eu.

[32]          Finalement, l'appelant avait l'obligation de s'assurer que les déclarations de revenus étaient conformes avant de les signer. Il ne pouvait pas se dégager de sa responsabilité en imputant la responsabilité au comptable à qui il payait des honoraires.

[33]          L'appelant ne s'est pas déchargé du fardeau qui lui incombait de démontrer que l'intimée avait commis une erreur en cotisant la Société 3102-8483 Québec Inc. au lieu de la Société Ferme Louis Hébert Inc. et ce, pour la simple raison que la documentation disponible ne permettait tout simplement pas la présentation d'une telle preuve. Il existait un seul compte de banque par lequel transitaient tous les revenus et dépenses de l'appelant et des deux compagnies.

[34]          Le comptable Cloutier a fait référence à la décision dans l'affaire Chopp c. Canada [1995] ACI no 12 (Q.L.) au paragraphe 15, où l'honorable juge Mogan s'exprimait comme suit :

...

                Je ne puis retenir l'argument que l'intimée a énoncé d'une façon générale, à savoir qu'une erreur comptable qui profite à un actionnaire au détriment de la corporation est un avantage au sens du paragraphe 15(1), même si l'erreur n'était pas intentionnelle et même si l'actionnaire n'était pas au courant de cette erreur. À mon avis, si la valeur d'un avantage doit être comprise dans le calcul du revenu de l'actionnaire en vertu du paragraphe 15(1), l'avantage doit être conféré au su de l'actionnaire ou de son plein gré ou, subsidiairement, dans des circonstances où il est raisonnable de conclure que l'actionnaire aurait dû savoir que l'avantage lui avait été conféré.

                ...

               

[35]          En l'espèce, la preuve ne permet carrément pas de conclure que l'avantage ait été conféré à l'actionnaire à son insu, et qu'il n'était pas au courant de l'erreur et cela, principalement pour trois raisons :

·          d'abord, l'appelant est un homme d'affaires avisé, très au fait de ses affaires;

·          deuxièmement, il a signé tous les documents comptables;

·          troisièmement, le montant représentait plus de la moitié des revenus déclarés de 49 287 $.

·         

[36]          Finalement, il m'apparaît opportun de rappeler un extrait abondamment cité dans les dossiers de cette nature. Il s'agit d'un extrait du jugement de l'honorable juge Linden de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255 (Q.L.), où l'honorable juge s'exprimait comme suit :

                ...

En droit fiscal, la forme a de l'importance. Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Lorsqu'un contribuable prend certaines dispositions formelles à l'égard de ses affaires, il peut s'ensuivre d'importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d'éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil 91 DTC 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. S'il n'en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d'amener les contribuables à payer des impôts qu'ils pourraient autrement ne pas avoir à payer. Bien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à « rectifier » des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise.

                ...

[37]          Pour toutes ces raisons, les appels sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada ce 28e jour de janvier 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2000-2249(IT)I et 2000-2251(IT)I

INTITULÉS DES CAUSES :                                Marcellin Lavoie c. Sa Majesté la Reine

                                                                                3102-8483 Québec Inc. c Sa Majesté la Reine

                                                                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 20 juin 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                                      le 28 janvier 2002

COMPARUTIONS :

Représentant des appelants :              Robert Cloutier

Avocat de l'intimée :                            Me Stéphane Arcelin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

2000-2249(IT)I

ENTRE :

MARCELLIN LAVOIE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel 3102-8483 Québec Inc.,

(2000-2251(IT)I) le 20 juin 2001 à Québec (Québec),

par l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Représentant de l'appelant :                 Robert Cloutier

Avocat de l'intimée :                            Me Stéphane Arcelin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


2000-2251(IT)I

ENTRE :

3102-8483 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel Marcellin Lavoie,

(2000-2249(IT)I) le 20 juin 2001 à Québec (Québec),

par l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Robert Cloutier

Avocat de l'intimée :                            Me Stéphane Arcelin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de janvier 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.


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