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Date: 20020122

Dossier: 2000-4969-IT-I

ENTRE :

SUZANNE TRUDEAU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Angers, C.C.I.

[1]            L'appelante interjette appel des avis de cotisations pour ses années d'imposition 1995, 1996 et 1997. Elle s'est vue refuser par l'intimée des pertes d'entreprises s'élevant respectivement à 16 904 $, 17 829 $ et 2 151 $ pour les années en question. Les parties s'entendent sur ces montants. L'appelante accepte la position de l'intimée pour la période incluant les cinq derniers mois de l'année 1996 et toute l'année 1997. Elle reconnaît que durant cette période, elle occupait et résidait dans un établissement domestique autonome et que les revenus tirés de son entreprise étaient assujettis aux dispositions du paragraphe 18(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). Il faut donc déterminer si la période précédente soit celle de 1995 jusqu'au 31 juillet 1996 est assujettie aux même restrictions du paragraphe en question.

[2]            La date du 31 juillet 1996 devient importante puisqu'il s'agit de la date à laquelle l'appelante a pris sa retraite de l'Université McGill et du moment où elle a déménagé de façon permanente à Ste-Adèle.

[3]            En anticipation de cette retraite, l'appelante a vendu, en février 1995, sa résidence située à Boucherville (Québec) et s'est portée acquéreur le 8 mars de la même année d'une maison canadienne de quatre chambres à coucher à Ste-Adèle (Québec). Quelques semaines plus tard, elle a déménagé le contenu de sa maison de Boucherville dans un entrepôt-garage à Ste-Adèle. Elle a conservé son ensemble de chambre à coucher, son bureau, son ordinateur, son télécopieur et ses vêtements. Le tout a été aménagé chez sa cousine, madame Marguerite Lemieux, demeurant à Montréal et chez qui l'appelante s'installa pour y demeurer jusqu'à sa retraite.

[4]            Par après, l'appelante apporta quelques modifications à la propriété de Ste-Adèle pour y aménager un " bed & breakfast " ou gîte du passant. Elle obtenait le 10 juin 1995 les permis de la ville de Ste-Adèle pour opérer et accueillait ses premiers clients le 24 juin 1995.

[5]            Étant toujours à l'emploi de l'Université McGill à raison de 33.75 heures par semaine, il lui est impossible d'être à Ste-Adèle sur une base régulière. Elle a donc engagé son neveu, Jean-François Bellemare, qui revenait d'un séjour de huit ans dans l'Ouest et qui était sans emploi. Ce dernier, avec la soeur de l'appelante, ont opéré le gîte jusqu'en octobre 1995. L'appelante s'y rendait les fins de semaine et y passa ses vacances de l'été 1995, soit cinq semaines.

[6]            L'appelante est demeurée avec sa cousine jusqu'à ce que celle-ci décède le 10 août 1995. Elle n'avait aucune entente avec sa cousine sauf qu'elle partageait en parts égales les coûts de la nourriture. Après le décès, l'appelante alla demeurer chez des amis, soit Léo Drolet et son épouse, également de Montréal. Ce dernier a témoigné que lui et son épouse ont libéré une chambre pour accueillir l'appelante. Elle y a aménagé son lit, sa télévision, son bureau, son ordinateur et ses vêtements. Elle demeura chez les Drolet jusqu'à sa retraite. Il confirma que l'appelante allait à Ste-Adèle durant ses vacances et pendant les fins de semaine. S'il n'y avait aucun client, elle restait à la maison. Il n'y avait aucun bail de signé entre eux, ni aucune entente. Selon lui, ils accueillaient une amie qui était mal prise et en attente de sa retraite.

[7]            Le 15 octobre 1995, son neveu s'est procuré un emploi et quitta le gîte. À partir de ce moment-là, elle dit avoir opéré le gîte à partir de Montréal par téléphone, et par le biais d'une boîte vocale à Ste-Adèle. Elle dit également qu'elle opérait seulement les fins de semaine qu'il y avait des locations.

[8]            Durant le mois d'octobre 1995, elle a eu quatre locations, en novembre, une et en décembre, quatorze. De janvier 1996 à avril, elle a eu un total de 14 locations, 20 pour mai et juin et finalement 47 en juillet.

[9]            L'appelante témoigne également que son courrier allait à son bureau à l'Université McGill car à Ste-Adèle, on ne le gardait pas. En contre-interrogatoire, elle reconnaît que ses vacances d'été et de Noël de 1995 à juillet 1996 ont été passé à Ste-Adèle. Elle dit aussi que lorsque son neveu était là, elle partageait sa chambre et couchait par terre sur un " foam ". Après son départ, elle dit que c'était comme aller au chalet sur fin de semaine et que plus souvent qu'autrement, elle ne quittait Montréal que le samedi matin. Finalement, elle dit que son intention était d'aller résider à Ste-Adèle quand McGill lui accorderait sa pré-retraite en juillet 1996.

[10]          Pour les fins du dossier, les parties se sont entendues que 35.48 pour cent de la superficie du gîte sert à des fins personnelles.

[11]          Le ministre est-il justifié d'appliquer le paragraphe 18(12) de la Loi aux dépenses d'entreprises de l'appelante pour l'année 1995 et jusqu'au 31 juillet de l'année suivante? Est-ce que durant cette période le gîte en question était un établissement domestique autonome?

[12]          L'article 248(1) de la Loi définit " établissement domestique autonome " comme suit :

" Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche. "

[13]          Il n'y a pas de doute que la propriété de Ste-Adèle rencontre la première partie de la définition. Il faut toutefois se demander si, en règle générale, l'appelante y prenait ses repas et y couchait durant la période en litige.

[14]          Quant au paragraphe 18(12) de la Loi, celui-ci se lit comme suit :

(12) Travail à domicile — Malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'un particulier tiré d'une entreprise pour une année d'imposition :

a)      un montant n'est déductible pour la partie d'un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie d'établissement :

    (i) soit est son principal lieu d'affaires,

(ii)     soit lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise;

b)      si une partie de l'établissement domestique autonome où le particulier réside est son principal lieu d'affaires ou lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise, le montant déductible pour cette partie d'établissement ne peut dépasser le revenu du particulier tiré de cette entreprise pour l'année, calculé compte non tenu de ce montant et des articles 34.1 et 34.2;

c)      tout montant qui, par le seul effet de l'alinéa b), n'est pas déductible pour une partie d'établissement domestique autonome dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année d'imposition précédente est déductible dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année, sous réserve des alinéas a) et b).

[15]          Ce paragraphe rajoute au terme " établissement domestique autonome " les mots " où le particulier réside ". En conséquence, il faut se demander si l'appelante y a résidé durant la période en litige. La Loi ne fournit aucune définition du mot résidence.

[16]          La prétention de l'intimée est à l'effet que l'appelante était présente de façon régulière à Ste-Adèle. Elle y était durant ses vacances et les fins de semaine. Sur sa déclaration d'impôt de 1995, de même que sur son permis de conduire, son adresse était celle de Ste-Adèle. Elle avait des biens à Ste-Adèle et 35 pour cent de la superficie de la maison servaient à des fins personnelles. L'idée d'un gîte est d'y recevoir des gens dans sa résidence.

[17]          On cite comme critères servant à déterminer un lieu de résidence ceux énoncés dans l'arrêt Thomson c. Canada (Minister of National Revenue — M.N.R.) [1946] S.C.R. 209. Les principaux critères visent la fréquence avec laquelle le particulier va à cet endroit, son mode de vie en rapport avec l'endroit en question et la façon dont on l'occupe.

[18]          Quant à l'appelante, elle dit que la propriété de Ste-Adèle n'était pas sa résidence parce qu'elle ne l'habitait pas tout le temps. Elle prétend qu'elle l'a utilisé comme un chalet durant la période en question et qu'elle n'y a résidé à plein temps qu'à partir du 31 juillet 1996. Elle a préparé son rapport d'impôt de 1995 en avril 1996, soit quelques mois avant son déménagement et y a inscrit l'adresse de Ste-Adèle à cause de sa retraite prochaine et en raison qu'elle savait qu'elle y allait. Elle dit que durant la période en question, son principal lieu d'affaire était l'Université McGill.

[19]          Le juge Kerwin dans l'arrêt Thomson (précité) a traité la question de résidence dans les termes suivants :

" There is no definition in the Act of "resident" or "ordinarily resident" but they should receive the meaning ascribed to them by common usage. When one is considering a Revenue Act, it is true to state, I think, as it is put in the Standard Dictionary, that the words "reside" and "residence" are somewhat stately and not to be used indiscriminately for "live", "house" or "home". The Shorter Oxford English Dictionary gives the meaning of "reside" as being "to dwell permanently or for a considerable time, to have one's settled or usual abode, to live, in or at a particular place".

[20]          Dans la présente instance, il me paraît évident que l'appelante n'était pas en mesure de quitter Montréal avant sa retraite. Elle se devait de compléter son mandat avec son employeur, l'Université McGill, afin d'être éligible à sa pré-retraite. Bien qu'elle ait entrepris les démarches nécessaires pour aller vivre à Ste-Adèle, elle ne pouvait se soustraire à ses obligations à Montréal avant la date du 31 juillet 1996. Cela explique pourquoi elle ne pouvait pas habiter, ni prendre ses repas, ni coucher à Ste-Adèle sur une base régulière. Elle s'est vue dans l'obligation de confier l'opération du gîte à son neveu jusqu'en octobre. Par après, elle l'a fait elle-même mais à distance, à partir de Montréal. Elle ne se rendait à Ste-Adèle qu'au besoin. Les mois d'hiver n'ont pas nécessité de déplacements fréquents.

[21]          En appliquant les critères établis dans l'arrêt Thomson aux faits des présentes, le mode de vie de l'appelante était principalement concentré à Montréal. Elle n'occupait sa propriété de Ste-Adèle que de façon très sporadique. L'usage de ses biens matériels qu'elle a conservé à Montréal soit son lit, son ordinateur, son bureau, ses vêtements permet de conclure à l'importance du rendement entourant son travail et sa routine de vie quotidienne. Les autres biens qu'elle avait de besoin lui étaient fournis par sa cousine et ses amis et je ne crois pas que les conditions négociées avec eux soient un facteur pertinent.

[22]          Pour ces raisons, il m'est impossible de conclure que la propriété de Ste-Adèle est un établissement domestique autonome au sens que la Loi le définit. Quoique les intentions de l'appelante était d'y opérer un gîte où habituellement le propriétaire reçoit ses clients chez lui, il ne lui a pas été possible de le faire avant sa retraite. Elle a dû confier cette tâche à son neveu qui agissait plutôt à titre de gérant que de propriétaire. Sauf pour la partie où habitait son neveu, la propriété de Ste-Adèle a été utilisée exclusivement sous l'exploitation du gîte et l'occupation sporadique de la propriété par l'appelante était complètement incidente à son exploitation. Je ne peux donc conclure que durant cette période, l'appelante a, en règle générale, pris ses repas et couché dans la propriété de Ste-Adèle.

[23]          Selon l'ensemble de la preuve, je ne peux également conclure qu'elle résidait à Ste-Adèle avant le 31 juillet 1996 au sens des critères établis dans l'arrêt Thomson (précité).

[24]          Les appels sont donc accueillis pour l'année d'imposition 1995 et pour l'année 1996 jusqu'au 31 juillet. Les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations conformément aux présents motifs.

Signé à Ottawa, Canada, le 22e jour de janvier 2002.

" François Angers "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        2000-4969(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 SUZANNE TRUDEAU

                                                                                et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 9 novembre 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         L'honorable juge François Angers

DATE DU JUGEMENT :                                      le 22 janvier 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante    :                               L'appelante elle-même

Pour l'intimée :                                       Me Claude Lamoureux

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

2000-4969(IT)I

ENTRE :

SUZANNE TRUDEAU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 9 novembre 2001 à Montréal (Québec)

par l'honorable juge François Angers

Comparutions

Pour l'appelante :                                          L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :                                     Me Claude Lamoureux

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition 1995 et 1996 jusqu'au 31 juillet sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations.

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard des années d'imposition couvrant la période du 1er août 1996 au 31 décembre 1997 sont retirés par l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada, le 22e jour de janvier 2002.

" François Angers "

J.C.C.I.


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