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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

96-2182(IT)G

ENTRE :

JOHN N. JEDDORE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu à diverses dates entre le 1er juin 1998 et le 1er mai 2001,
à St. John's (Terre-Neuve), par l'honorable juge R. D. Bell

Comparutions

Avocate de l'appelant :                         Me Judy A. White

Avocats de l'intimée :                           Me Terrence Joyce, c.r.

                                                          Me Patrick Vezina

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1984 est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.


          Aucuns frais ne sont adjugés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2001.

« R. D. Bell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour d'avril 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20011109

Dossier: 96-2182(IT)G

ENTRE :

JOHN N. JEDDORE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bell, C.C.I.

POINT EN LITIGE

[1]      Il s'agit de savoir si, durant son année d'imposition 1984, l'appelant habitait dans une réserve au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens. S'il habitait bel et bien dans une réserve, l'intimée admet que le revenu qu'il a tiré de son entreprise dans cette réserve était exonéré d'impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens et de l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[2]      À la conclusion de 29 jours d'audience, l'avocat de l'intimée a allégué que la partie du revenu de l'appelant attribuable à des placements n'était pas exonérée d'impôt, puisqu'elle ne provenait pas d'une source située sur la réserve et qu'il ne s'agissait donc pas de biens meubles d'un Indien situés sur une réserve. Dans la réponse de l'intimée à l'avis d'appel, il n'y avait aucune allégation ou hypothèse en ce qui concerne le revenu de placements.

DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI SUR LES INDIENS ET DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

[3]      Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens définit une réserve comme suit :

« Réserve »

a)          parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu'elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande;

L'article 36 de la Loi sur les Indiens prévoit que :

La présente loi s'applique aux terres qui ont été mises de côté à l'usage et au profit d'une bande et qui n'appartiennent pas à Sa Majesté comme si elles étaient une réserve, au sens de la présente loi.

L'alinéa 87(1)b) prévoit ceci :

Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

            [...]

b)          les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

L'article 81 de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit ceci :

Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition : [...]

a)          une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi du Parlement du Canada, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada.

GÉNÉRALITÉS

[4]      L'audition de cette cause a commencé le 1er juin 1998. Elle a été ajournée en raison de la communication de documents que l'avocat de l'intimée avait réunis en préparant sa plaidoirie. Elle s'est étalée sur 29 jours et ne s'est conclue que le 1er mai 2001, des milliers de pages de documents ayant été produites et l'un des témoins de l'appelant ayant été malade. La Cour a passé énormément de temps à examiner la preuve abondante de l'intimée, dont une grande partie n'était pas nécessaire pour le règlement de la question en litige.

FAITS

HISTOIRE DE L'APPELANT

[5]      L'appelant avait 75 ans lorsque l'audition de cette affaire a débuté. Il a témoigné qu'il est « né dans la réserve de Conne River » . Il a dit qu'il allait chasser et faire du piégeage « dans le pays » quand il avait huit ans. Il a témoigné que son père était un Micmac de Conne River et qu'il était trappeur ou chasseur. Il a dit que son grand-père, Noel Jeddore, avait été chef de la « réserve de Conne » . Il a déclaré que, d'après son père, c'était en fait le président de l'association autochtone « ou quelque chose de ce genre » , mais on l'appelait « Chef » . Il a dit que son grand-père est né en 1863.

[6]      Il a témoigné que son grand-père et son père « faisaient les prières micmacs et ces choses-là » . Il a dit que l'on avait du respect pour eux, même dans le pays, qu'ils dirigeaient les prières cérémonielles dans le temps de Noël et qu'ils présidaient d'autres cérémonies. Il a déclaré que les chefs qui se succédaient portaient une médaille que son grand-père a portée. Il a dit que sa mère était « une Blanche » et qu'elle n'était pas très bien vue des Micmacs.

[7]      L'appelant a dit qu'il avait un petit magasin qu'il avait ouvert entre 1968 et 1970. Il vendait de la quincaillerie, des produits d'épicerie et un peu de vêtements.

[8]      L'avocate de l'appelant a déposé une lettre reçue de Revenu Canada en réponse à une lettre que l'appelant disait avoir envoyée à Revenu Canada. Cette lettre de Revenu Canada en date du 20 février 1975, rédigée par un certain R. Murray pour le chef de la vérification et du recouvrement, disait :

[TRADUCTION]

Par la présente, j'accuse réception de vos lettres du 2 et du 20 janvier 1975.

Vous avez raison de dire que vous n'êtes pas imposable sur le revenu gagné dans la réserve de Conne River et que tout impôt payé depuis 1971 vous est remboursable. Comme vous êtes un travailleur indépendant, vous êtes assujetti à des cotisations au Régime de pensions du Canada basées sur votre revenu net.

Pour 1971 et 1973, on ne vous a fixé que des cotisations au Régime de pensions du Canada. Votre revenu imposable pour les deux années était nul.

Pour 1972, on vous a fixé des cotisations au Régime de pensions du Canada, mais aussi de l'impôt, soit un montant de 312,50 $. Une nouvelle cotisation fiscale pour votre année d'imposition 1972 sera établie pour que ce montant vous soit remboursé le plus vite possible.

Si vous engagez des employés à un moment donné, ils seront également exonérés d'impôt. J'espère que cela vous donnera satisfaction.

[9]      L'appelant a ensuite témoigné que son fils disait :

[TRADUCTION]

[...] un revenu de placements [...] non gagné dans la réserve, par exemple un petit revenu en intérêts sur de l'argent en banque, est un revenu imposable.

[10]     L'appelant a témoigné qu'il avait été trappeur ou chasseur à temps plein avant d'ouvrir le magasin, qu'il avait quitté la réserve pour la première fois à l'automne 1931 et qu'il avait vécu dans un wigwam pendant l'automne et fait du piégeage et de la chasse avec son père chaque année jusqu'en 1941, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'il parte à l'étranger avec l'armée. Il a dit qu'ils se rendaient en canot dans la région sauvage du pays, puis parcouraient à pied environ 50 ou 60 milles à l'intérieur des terres, jusqu'à ce qu'ils arrivent à la zone de piégeage, où ils passaient l'automne et l'hiver. Il a donné des détails quant à savoir comment ils chassaient le chevreuil, pêchaient l'anguille à la foène et piégeaient des loutres, des lapins et des rats musqués. Il a décrit les mocassins, les bottes en peau d'animal, qu'ils portaient. Il a dit qu'ils chassaient également le caribou et qu'ils mangeaient du caribou ainsi que du gras d'ours avec un peu de farine. Il a décrit le troc qu'ils faisaient avec un marchand qui achetait leurs fourrures.

[11]     L'appelant a dit que son père l'avait renseigné sur les Micmacs et leurs coutumes. Il a dit qu'il faisait du piégeage avec des Micmacs et que ceux-ci lui « racontaient des choses » . Il a dit qu'il avait acquis la plupart de ses connaissances en faisant du piégeage et de la chasse. Son père lui a en outre raconté des histoires au sujet de la chasse au castor et à propos de la création des perdrix, des canards et des oies selon la légende. En décrivant un incident relatif à un ours qui avait été abattu, il a dit :

[TRADUCTION]

[...] c'est une histoire vraie et elle n'est jamais racontée correctement; des livres d'histoire en font état, mais personne ne la connaît comme il faut. Par contre, mon père la racontait, et je sais donc ce qu'il en est exactement.

[12]     Il a raconté qu'ils construisaient un wigwam, puis marchaient pendant sept jours, construisaient un autre wigwam, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'ils aient sept wigwams formant un cercle. Il a également raconté des histoires au sujet de produits médicinaux, de cataplasmes et de remèdes maison.

[13]     L'appelant a ensuite décrit son accès de tuberculose, ainsi que les difficultés que leur posaient des gardes-chasse, qui saisissaient leurs armes et entravaient leur chasse. Il a en outre parlé de ses visites aux représentants du ministère des Affaires indiennes à Ottawa, ainsi que de la création d'un conseil autochtone « pour Conne » .

[14]     En réponse à une question quant à savoir ce que l'association autochtone essayait de faire, l'appelant a dit :

[TRADUCTION]

Elle essayait de faire reconnaître la réserve. Ce qui l'intéresse avant tout, vous savez, c'est Conne River. Elle luttait alors pour cela, pour les avantages, vous savez, les droits [...]

[15]     Il a décrit comment il avait commencé à consigner des histoires dans son ordinateur pour les générations futures, soit des histoires allant « de l'époque de [son] grand-père jusqu'à l'époque actuelle » .

[16]     Concernant le territoire qu'occupent les Indiens à Conne River, l'appelant a dit :

[TRADUCTION]

[...] c'est ce que disait mon père; il disait, vous savez, que nous vivions dans une réserve. Il utilisait tout le temps le mot « réserve » .

[17]     L'appelant a dit qu'il avait sept ou huit ans quand il avait entendu cela et qu'il avait environ dix ans quand il s'est rendu compte que leur place était différente de celle des autres. Voici ce qu'il a déclaré qu'une vieille Indienne du nom de Katie Burke lui avait dit un jour pendant qu'ils pagayaient ensemble :

[TRADUCTION]

[...] « là, c'était la borne de Murray [...] qui a été à peu près la dernière. Elle était là à l'époque, mais elle s'est délabrée; il y a seulement un poteau enfoncé dans le sol » . Et elle a dit qu'il y avait une autre borne plus bas, à Reuben's Point [...] là, à McDonald's Cove [...] mais je n'y suis pas allé; c'était environ un ou deux milles plus loin.

[18]     L'appelant a dit qu'ils avaient l'habitude de faire référence à un arpenteur, à quelqu'un qui a fait l'arpentage de terres pour les Indiens. Interrogé quant à savoir ce que cette personne arpentait, il a répondu :

[TRADUCTION]

La réserve qui est là. Sa réserve entre [...] pour les Indiens, c'est ce que [...] il disait que c'était notre terre ici.

[19]     L'appelant a dit que la borne de Murray était à Hinks' Point et il a répété qu'il y en avait une autre plus bas, à Reuben's Point. Il a dit qu'il vivait entre ces deux bornes, c'est-à-dire « pas exactement au milieu, mais plus près de celle de Hinks' Point [...] » .

[20]     Quand on lui a demandé s'il avait déjà vu un diagramme de la borne de Murray, il a répondu :

[TRADUCTION]

Oh! oui, père en avait un [...] Mon père en avait un.

[21]     Il a également dit que son père avait qualifié d' « acte de concession » une carte relative à la terre. Il a déclaré que son père disait qu'il s'agissait d'une réserve mais que le document était un acte de concession. Il a en outre déclaré qu'il avait vu cette carte et que la terre qui y était représentée faisait face à l'eau et était divisée en blocs dans lesquels étaient inscrits des noms de personnes. Parmi ces personnes, a-t-il dit, il y avait notamment des Benoit, des Jeddore et des McDonald ainsi qu'un certain George Hoskins. Il a dit :

[TRADUCTION]

Cela vient de... Eh bien, ils en parlent comme d'une réserve, mais les blocs ont été tracés par quelqu'un comme M. Murray, qui a fait l'arpentage. Bon, je ne sais pas beaucoup de choses sur ses raisons concernant, vous savez, l'arpentage, mais, de la manière dont j'ai compris ce que disait mon père, il s'agissait d'arpenter une terre pour les Indiens.

[22]     Il se rappelait qu'on lui avait dit qu'Alexander Murray (M. « Murray » ) avait fait l'arpentage dans les années 1800. Il a dit que le nom de son grand-père, Noel Jeddore, figurait sur la carte et que son grand-père est né en 1863. Lorsque son avocate lui a montré une carte, il a dit :

[TRADUCTION]

[...] mon père avait une carte pareille à celle-là, et un certain Louis John avait également une de ces cartes [...] celle de Louis John avait apparemment été coloriée [...]

[23]     Il a ensuite dit que le père de Louis John était Nicholas Jeddore, soit le frère de Noel, et :

[TRADUCTION]

Ce document venait de Nicholas et avait été obtenu par l'entremise de la mère de Louis [...] mais le prêtre a voulu le consulter et, depuis ce jour-là, on ne l'a plus jamais revu; nous ne savons pas ce qu'il en est advenu.

[24]     L'appelant parlait de Hinks' Point, mais montrait du doigt la borne de Murray figurant sur la carte, les deux représentant la même chose pour lui. Il a également indiqué une autre borne de Murray, du côté nord-est de la carte, et a dit que « tout le monde se trouvait entre ces deux points » .

[25]     Ce document, déposé sous la cote A-2, s'intitulait :

[TRADUCTION]

PLAN

D'ÉTABLISSEMENT

CONNE RIVER

BAIE-D'ESPOIR

[26]     Les deux bornes de Murray sont indiquées dans ce plan, l'une au haut du lot le plus long du côté gauche du plan, l'autre au haut du lot le plus élevé du côté droit du plan, et il y avait 25 lots en tout. L'appelant a ensuite témoigné qu'il vivait à l'endroit correspondant au bloc no 6. Les noms figurant dans ce bloc étaient Noel Jeddore et George Hoskins. L'appelant a ensuite indiqué que le lot 1 était Hinks' Point, soit un endroit, a-t-il dit, que l'on appelait Burnt Woods et où des gens qui ne parlaient pas micmac étaient allés vivre. Il a dit que des Collier s'étaient établis à Burnt Woods[1].

[27]     Il a ensuite dit que le lot 1 était au nom de Stephen Joe. La zone était délimitée à l'extrémité est par une colline escarpée, à l'avant par Conne Arm et du côté sud par un boisé.

[28]     L'appelant a témoigné que Burnt Woods et Conne River avaient été fusionnées en une seule réserve par le gouvernement fédéral dans les années 1980. Il a dit que, avant cela, Burnt Woods et la réserve de Conne River avaient des codes postaux distincts. Il a ensuite témoigné que, au haut du lot 7, il y avait une scierie, soit le moulin à bois de M. Lake. Il a dit :

[TRADUCTION]

Ils sont venus une fois, puis, brusquement, ils ont implanté là cette scierie; comme je l'ai dit, il s'agit des types qui... eh bien... qui considèrent les Indiens comme des moins que rien. Donc, ils sont allés là - il y a beaucoup d'arbres derrière la réserve -, ils y ont construit une scierie et ont commencé, vous savez, à couper des arbres; ils n'étaient pas autorisés à couper des arbres sur la réserve, mais ils passaient par-derrière la limite inférieure de la réserve; ils coupaient des arbres tout l'hiver, puis, l'été, ils ouvraient ce moulin et sciaient ces arbres, dont ils faisaient des planches qu'ils expédiaient ensuite par schooner. Ils ont continué comme ça pendant pas mal d'années, mais personne là-bas ne pouvait leur vendre du bois; ils ne voulaient pas acheter de bois à nos frères indiens ni même leur donner du travail; ils ne voulaient pas embaucher les Indiens. Les Indiens étaient très mécontents, mais ils n'ont pas obtenu de travail à cet endroit.

[29]     Il a dit ensuite que M. Lake n'était pas un Indien. Il a dit en outre que la scierie avait été « fermée vers 1935 ou 1936 » .

[30]     L'appelant a dit que son père « est né là » et que, pour autant qu'il le sache, son père était là, à Conne River, dans la réserve :

[TRADUCTION]

[...] mais je n'ai jamais... nous n'avons jamais su grand-chose; tout ce que nous savons, c'est qu'il y avait deux familles de Jeddore, et j'ignore d'où elles venaient.

[31]     Au cours du contre-interrogatoire, l'appelant a dit qu'il avait vu le plan, soit la pièce A-2, pour la première fois vers 1968, sur une petite feuille de papier. Il a déclaré ceci au sujet de ce que son père lui disait toujours depuis son jeune âge :

[TRADUCTION]

C'était des terres indiennes [...] À partir d'ici, c'est-à-dire de Hinks' Point, jusque-là, c'est-à-dire jusqu'à Reuben's Point. Et je savais ce qu'il en était du territoire, car, comme je l'ai dit, la vieille femme m'avait déjà désigné la borne du doigt, vous savez, quand j'avais environ dix ou onze ans.

[32]     Il a également dit que son père « pestait toujours contre cet homme » , George Hoskins, en se demandant comment cet homme avait fait pour avoir une terre qui était « la nôtre » . Il a répété que M. Hoskins n'était pas un Indien. Au sujet du petit plan auquel il a fait référence, l'appelant disait en parlant de son père :

[TRADUCTION]

[Il] ne m'a pas dit qui avait établi ce document, mais il disait toujours que l'arpentage avait été fait par M. Murray, vous savez. [...] Je ne sais même pas où il a obtenu ce document. Il ne me l'a jamais dit.

[33]     L'appelant a dit que la « Miawpukek » indiquée dans la pièce A-2 était Conne River. Il a dit qu'il avait entendu ce mot maintes fois. Il a dit que son père avait donné le plan à une dénommée Stoker, qui avait rendu visite à son père et voulait des objets anciens. Il a dit qu'il avait vu la lettre dans laquelle son père demandait à cette dame de lui rendre la carte, mais il a déclaré qu'il ne savait pas si son père « l'avait récupérée » .

[34]     Quant à savoir comment les histoires se transmettaient dans cette communauté, l'appelant a dit :

[TRADUCTION]

Eh bien, elles se transmettaient beaucoup pendant les déplacements; il n'y avait plus rien à faire et probablement que, parfois, quelqu'un soulevait une question et se mettait à en parler. C'était simplement de petits récits ou quoi que ce soit, vous savez; quelqu'un racontait simplement quelque chose parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Nous n'avions rien d'autre à faire le soir, durant les longues soirées et [...] J'étais jeune et j'écoutais probablement des gens ou même mon père raconter des histoires dans la nature. Mon père n'avait rien de mieux à faire, il me racontait de longues histoires, vous savez, l'une après l'autre. C'est une pratique générale.

[35]     La déclaration de revenus de l'appelant pour 1984, qui a été consignée en preuve, indique un revenu total de 64 292,96 $. Cela inclut un revenu en intérêts et d'autres revenus de placements de 5 159,31 $, lesquels revenus, d'après la preuve verbale, provenaient de la succursale de la Banque de Montréal à St. Alban's (Terre-Neuve), de la succursale de la Banque Scotia à Grand Falls (Terre-Neuve) et de la succursale de la Banque Royale à Grand Falls (Terre-Neuve). Le revenu total incluait en outre la valeur d'un avantage relatif à une excursion promotionnelle en Floride, soit un montant de 1 300 $.

[36]     Au cours du réinterrogatoire, quand on l'a renvoyé à une copie de la pièce A-2, l'appelant a dit :

[TRADUCTION]

Oh! c'est notre terre ici; il s'agit d'une réserve indienne - c'est ce que je dis. C'est une terre indienne. Je ne me tracassais plus à ce sujet; il n'y a pas de quoi en faire toute une affaire - je parle de ce bout de papier.

[37]     Il a ensuite dit au sujet de la première fois qu'il se rappelait avoir vu cette feuille de papier que :

[TRADUCTION]

[...] c'était environ dans les années 1930, je suppose, ce pourrait être à un moment donné dans les années 1930, à peu près.

[38]     On a renvoyé l'appelant à la section 34 de la pièce R-2, soit une copie d'une pétition sans date[2], signée par un certain nombre de personnes vivant dans les réserves. On avait fait référence à ce document au cours de l'interrogatoire principal. Le document n'est pas daté. La pétition elle-même dit que 98 p. 100 des habitants de Conne River « ne veulent pas qu'une réserve soit créée ici » .

[39]     L'appelant a dit qu'ils avaient l'impression qu'ils seraient traités comme dans un camp de concentration. Il a déclaré :

[TRADUCTION]

J'ai signé ce document parce que je ne voulais pas que notre situation empire; nous manquions de nourriture à l'époque. Je ne voulais pas que ça aille encore plus mal. Donc, si tel était ce qu'une réserve allait nous apporter... Personne n'avait parlé des avantages d'une réserve. On ne nous en avait jamais parlé. Il y avait des avantages pour les Indiens, mais, à Terre-Neuve, on ne nous l'avait jamais dit. On nous a privés de ces avantages, au lieu de nous en informer.

[40]     Interrogé quant à savoir pourquoi on lui demandait de payer de l'impôt pour l'année 1984 par opposition aux années 1985 et 1986, il a dit :

[TRADUCTION]

Parce que... certaines personnes ont considéré que ce n'était alors pas une réserve, vous savez. C'en était une, mais cela n'était pas reconnu. C'était une réserve à mon sens, mais personne ne le reconnaissait. J'estime que c'était déjà une réserve avant ma naissance.

Témoignage du chef Misel Joe

[41]     Le « saqamaw » Misel Joe[3] a décrit la vie à Conne River. Au sujet de la pièce A-2, il a dit qu'il y avait toujours quelqu'un dans la communauté qui savait qui était M. Murray et qui était au courant de l'arpentage qu'avait fait M. Murray. Il a dit que, apparemment, M. Murray avait été envoyé par le gouvernement pour arpenter une réserve pour les Micmacs. À propos de la carte de la région arpentée par M. Murray, il a témoigné qu'il la voyait périodiquement quand il était jeune et que, parfois, certains des anciens la sortaient et l'examinaient. Il a dit que son grand-père avait une copie de cette carte. Il a dit qu'il estimait que le gouvernement de la colonie avait décidé de délimiter les frontières du territoire occupé par les habitants de Conne River pour en faire une terre réservée. Il a dit qu'il s'agissait d'une terre indienne. Il a déclaré au sujet des fois où ils allaient à Burnt Woods, qui n'était pas un secteur micmac :

[TRADUCTION]

[...] on nous disait des choses comme « retournez à Conne River » ou « retournez dans votre réserve » .

[42]     Le chef Joe a dit qu'il avait appris de grands-pères et de pères et mères que Conne River était une terre communautaire destinée à assurer un certain cadre de vie. À propos de la pétition disant que les gens ne voulaient pas d'une réserve, il a dit que, à sa connaissance, la seule raison pour laquelle une pétition avait été signée tenait à la peur :

[TRADUCTION]

[...] que nos terres soient entourées d'une clôture, que nous ne soyons pas autorisés à partir, que la barrière soit fermée le soir et que, si nous nous faisions prendre à l'extérieur, on nous arrête.

[43]     Il a parlé d'une réserve à Sydney comportant une barrière qui était fermée le soir. Il a également dit :

[TRADUCTION]

Nous vivions librement. Nous vivions de ce que nous offrait notre terre. Nous subvenions à nos besoins grâce à tout ce que nous pouvions utiliser dans ce que nous offrait notre terre. Nous ne comptions pas sur le gouvernement fédéral pour prendre soin de nous en nous accordant de l'aide sociale. Nous étions pauvrement logés, mais les maisons où nous habitions nous appartenaient. Aucun représentant du ministère des Affaires indiennes ne venait nous dire quoi faire ou ne pas faire.

[44]     Il a décrit d'une manière générale et parfois en détail le mode de vie des Micmacs.

[45]     Au cours du contre-interrogatoire, le chef Joe a dit que le gouvernement fédéral avait reconnu l'existence d'une réserve à Conne River. Il a dit :

[TRADUCTION]

[...] essentiellement, nous avons voulu que le gouvernement fédéral refasse l'arpentage de M. Murray et reconnaisse que la réserve était là. Nous avons fait remarquer que ce serait plus simple que de créer une nouvelle réserve, puisqu'il y avait déjà une réserve qui était là. On nous a répondu qu'il faudrait alors reprendre le processus de compensation de 1949, car l'obligation existait en 1949. Nous n'étions pas disposés à reprendre ce processus, car le coût aurait été astronomique, sans compter ce qui avait déjà été investi dans cette réserve jusque-là. [...] À mon sens, on a ainsi reconnu qu'il y avait déjà une réserve à cet endroit.

[46]     En outre, au cours du contre-interrogatoire, on a renvoyé le chef Joe à une lettre du ministère des Affaires indiennes et du Nord à Revenu Canada en date du 2 juin 1975. L'échange suivant a eu lieu :

[TRADUCTION]

Q.         D'accord. Et maintenant, juste au début de ce deuxième paragraphe, il est dit qu' « aucun des Indiens de Terre-Neuve et du Labrador n'est inscrit » . Reconnaissez-vous qu'il en était ainsi en 1975?

R.          Oui. Il n'y avait pas d'Indiens inscrits à Terre-Neuve.

Q.         D'accord. Et les inscriptions n'ont commencé, comme vous me l'avez déjà dit, que dix ans plus tard, soit en 1985?

R.                  C'est exact.

Q.         D'accord. Et la deuxième phrase dit : « Historiquement, la province a traité tous ses habitants comme des Terre-Neuviens et n'a fait aucune distinction ethnique. » Et vous avez déjà fait remarquer que vous n'estimiez pas que c'était tout à fait exact, n'est-ce pas?

R.          Non.

Q.         D'accord. N'avez-vous pas entendu cette affirmation de temps à autre?

R.          Oui.

Q.         D'accord.

R.          Parlez-vous de l'affirmation selon laquelle tous les habitants de Terre-Neuve sont traités comme des Terre-Neuviens?

Q.         C'est exact.

[...]

Q.         D'accord. Puis le paragraphe suivant dit : « Pour ce qui est des réserves, aucune n'a été établie à Terre-Neuve. » Est-ce ainsi que vous avez compris ce qu'était la position du gouvernement fédéral en 1975?

R.          Oui.

Q.         D'accord. Je saute la ligne suivante, mais, dans ce paragraphe, il est dit ensuite : « Vers 1872, on a concédé à des familles de Conne River des terres d'environ 30 acres chacune correspondant à 24 blocs. » Êtes-vous en mesure de dire si c'est exact ou non?

R.          Eh bien, nous n'estimions pas que c'était une concession; nous considérions qu'une terre réservée avait été mise de côté pour nous qui étions là à l'origine - pour les Micmacs.

Q.         Oui, d'accord. Reconnaissez-vous que cette terre... D'accord. Nous pourrons y revenir. La phrase suivante dit : « C'était des concessions individuelles, et il ne s'agissait pas d'une réserve au sens habituel du terme, en ce qu'une réserve est un bien communautaire des Indiens, des bandes. » Vous n'êtes pas d'accord là-dessus, n'est-ce pas?

R.          Eh bien, c'était une terre communautaire.

Q.         Oui.

R.          Elle était utilisée par la communauté et au profit de la communauté.

Q.         Oui. Mais reconnaissez-vous que cette phrase reflète ce qu'était la position du gouvernement fédéral à cette époque?

R.          Oui.

Q.         Très bien, d'accord. Puis il est dit : « Cela était toutefois assorti de certaines conditions qui n'ont jamais été remplies, de sorte que, pour autant que nous le sachions, aucun titre n'a été délivré à l'une quelconque des personnes habitant à cet endroit. »

R.          Ce n'est pas vrai. Nous avons fait remarquer au gouvernement fédéral - qui l'a reconnu maintes fois - que nous avons bel et bien respecté l'accord mis en oeuvre par le gouvernement de la colonie quant à la manière dont nous devions...

Q.         Cultiver?

R.          Cultiver la terre, c'est-à-dire la défricher et essayer de la cultiver, car nous étions de pauvres hères.

Q.         Je crois comprendre que vous avez vu... Vous faites manifestement allusion au texte de certains de ces permis d'occupation?

R.          Oui.

[...]

Q.         [...] Puis il est dit en conclusion : « En d'autres termes, ils vivent sur une terre de la Couronne provinciale. » Cette affirmation n'est pas... Êtes-vous d'accord là-dessus?

R.          Non.

Témoignage de Gerald Penney, témoin de l'appelant

[47]     Le témoin suivant de l'appelant a été Gerald Penney ( « M. Penney » ), archéologue et consultant en patrimoine. Il a été reconnu comme témoin expert en « archéologie préhistorique de Terre-Neuve et du Labrador » [4], et notamment en ce qui a trait aux « Indiens récents » et aux Micmacs de Terre-Neuve[5]. Son rapport d'opinion abrégé disait que des anciens de la bande de Conne River faisaient fonction de guides pour des expéditions de chasse et des prospections archéologiques sur la côte ainsi qu'à l'intérieur des terres. Voici des extraits de ce rapport qui ont été cités :

[TRADUCTION]

Comme sources de l'histoire orale, tous font preuve d'une connaissance de l'intérieur des terres qui se fonde sur l'usage qu'ils font de ce territoire et sur l'usage qui en a été fait depuis des temps immémoriaux, y compris par leurs parents et grands-parents ainsi que par leurs familles élargies. Leurs enfants et petits-enfants continuent d'en faire le même usage.

[48]     Le rapport disait que la plupart des explorateurs, des chasseurs et des géologues du gouvernement utilisaient les services de guides micmacs pour leurs excursions à l'intérieur des terres, et les rapports de telles personnes décrivent les talents de guide des Micmacs, leurs aptitudes en chasse et pêche et leur endurance dans les déplacements. Le rapport parlait en outre de la facilité avec laquelle les services de guides micmacs étaient retenus à l'avance par l'intermédiaire de marchands de St. John's. Cela indiquait un processus de prise de contact organisé, notamment vu le fait que les services de guides de Conne River pouvaient être obtenus à partir de St. John's pour des expéditions de chasse dans diverses régions. M. Penney a déclaré qu'une structure sociale tribale à long terme existait chez les Micmacs de Terre-Neuve tout au long de la période de l'histoire récente et il a dit qu'il en était de même au cours d'une période antérieure, comme cela a été rapporté à partir de sources orales par Frank Speck et J. B. Jukes. Il a fait référence à un certain nombre d'auteurs ayant écrit sur des questions concernant les Micmacs de Terre-Neuve, et notamment au gouverneur William MacGregor (1908) (le « gouverneur MacGregor » ), qui a recensé les chefs de famille de Conne River le 29 mars 1908. Le rapport disait qu'une liste officielle de guides de chasse micmacs (Prowse, 1905) ainsi qu'une visite à Baie-d'Espoir faite en 1908 par le gouverneur MacGregor confirment que le gouvernement était conscient de la présence de Micmacs.

[49]     Il y avait ensuite une vaste bibliographie avec des descriptions d'aspects des activités et de l'histoire des Micmacs.

[50]     La déposition orale de M. Penney a révélé que M. Murray, né en Écosse au milieu des années 1800, était venu au Canada - après avoir fait une carrière militaire - pour aider M. Logan, soit le premier directeur de la commission géologique du Canada. Au sujet du rôle de M. Murray par rapport à Conne River, M. Penney a dit :

[TRADUCTION]

Cela a été expliqué.

[51]     Il a dit que l'autre chose importante pour Terre-Neuve « et probablement pour les Micmacs » tenait au fait que M. Murray avait embauché J. P. Howley, qui a été son adjoint à partir des années 1860. En 1883, lorsque M. Murray est parti à la retraite, M. Howley a pris les fonctions de directeur de la commission géologique de Terre-Neuve et a, pendant environ 40 ans, mené des travaux d'exploration géologique faits dans l'ensemble de Terre-Neuve.

[52]     La « vue d'ensemble » de l'opinion de M. Penney était que, au XIXe siècle, les Micmacs de Terre-Neuve formaient une société organisée et avaient certaines institutions, certaines terres et certaines coutumes et cultures qui se distinguaient de celles du reste de la société de Terre-Neuve, tout en s'intégrant harmonieusement à ce qu'il en était chez les Micmacs d'autres régions du Canada atlantique, du Maine et du Québec. M. Penney a dit en outre que, pendant environ 200 ou 250 ans, les Micmacs ont été les maîtres de l'intérieur de Terre-Neuve.

[53]     M. Penney a décrit les fonctions des chefs micmacs et a dit que ces derniers étaient chargés de régler les différends et de s'occuper des secteurs de chasse et de piégeage. Il a dit que les anciens sont la source de l'histoire orale dans la communauté de Conne River. Il a déclaré que Conne River était devenue le point de convergence des Micmacs de Terre-Neuve au XIXe siècle. Il a dit que Conne River, soit un endroit isolé, situé au bas de Baie-d'Espoir, était très proche de l'intérieur de Terre-Neuve, ayant ainsi facilement accès aux ressources de ce territoire, et que Conne River était également proche de St-Pierre et Miquelon. Il a expliqué que les Micmacs n'avaient pas le même mode de vie que les Terre-Neuviens. Il a dit que les Micmacs n'étaient pas des pêcheurs, alors que « tout le monde à Terre-Neuve fait de la pêche » . Il a décrit les Micmacs comme étant des chasseurs et des trappeurs et comme étant à certains égards des nomades, car, jusqu'à récemment, ils n'avaient pas vraiment de maisons fixes ou de villages ou bourgades fixes. Il les a en outre décrits comme étant des personnes sachant tirer profit des ressources du pays.

[54]     Il a dit que les Micmacs ont commencé à utiliser l'intérieur de Terre-Neuve 150 ans avant que les Européens entreprennent d'explorer ce territoire et 250 ans avant que les Européens commencent à exploiter ce territoire. Il disait dans son rapport :

[TRADUCTION]

Un aspect important de l'information démographique (souvent consignée comme un à-côté) consiste à indiquer qui est le chef, quelles sont ses fonctions et qui sont les membres de sa famille. Ces exemples montrent qu'une structure sociale tribale traditionnelle à long terme existait chez les Micmacs de Terre-Neuve tout au long de la période de l'histoire écrite et donnent à penser qu'il en était de même au cours d'une période antérieure [...] L'utilisation et l'exploration de l'île, par les Micmacs, se sont faites d'une manière organisée et systématique et ont été un succès. Il a témoigné qu'il y avait une histoire orale dans la communauté de Conne River et que la source en était les anciens.

[55]     En réponse à une question de l'avocate de l'appelant quant à savoir si les Micmacs de Conne River avaient toujours considéré qu'ils vivaient dans une réserve, M. Penney a dit :

[TRADUCTION]

Je ne peux répondre à cette question qu'en me fondant sur mes 20 années d'expérience concernant Conne River, vous savez. La première fois que je suis allé à cet endroit et pendant un certain temps après cela, je n'ai jamais vraiment entendu beaucoup parler d'une réserve. Mais, depuis la première fois que je suis allé là, j'ai toujours bel et bien entendu parler d'une terre indienne, d'un établissement indien et de réalités semblables. Les gens étaient certainement fiers qu'il y ait une terre pour les Indiens à Conne River ou ils pouvaient facilement le faire remarquer et ils savaient, je crois, quelles étaient à peu près les dimensions de cette terre, comme le chef vous l'a déjà mentionné. Le mot « réserve » semble être utilisé davantage depuis quelques années, ce qui reflète probablement le fait qu'ils ont maintenant, vous savez, une réserve légalisée. Mais, vous savez, ce dont j'ai assurément entendu parler, c'est d'une terre indienne, et ils savaient où cette terre se trouvait et ils étaient fiers de ce territoire.

[56]     Il a témoigné que le gouverneur MacGregor, un Écossais, est allé à Terre-Neuve en 1904, y a habité pendant 57 mois et a rendu visite aux autochtones de Conne River. M. Penney l'a décrit comme étant quelqu'un qui s'intéressait beaucoup aux autochtones.

Témoignage de Robert Cuff, témoin de l'appelant

[57]     Robert Cuff ( « M. Cuff » ) a été reconnu comme expert en histoire. Il a témoigné que la première histoire de Terre-Neuve avait été écrite par le premier juge en chef, John Reeves, en 1793, en vue de déterminer le statut constitutionnel de Terre-Neuve, qui n'était en rien semblable à celui des autres colonies de l'Empire britannique. Il a dit que c'était une tentative pour déterminer le rôle des Britanniques relativement au gouvernement de Terre-Neuve.

[58]     Il a également fait référence à une histoire de Terre-Neuve écrite par le juge D. W. Prowse et publiée en 1895. Il a dit que cette histoire de Terre-Neuve avait été écrite à partir des registres de la colonie, des registres de l'Angleterre et des registres de pays étrangers. Il a dit que, à cette époque, il y avait à Terre-Neuve ce qu'on appelait la côte des Français. Il a ajouté que cela désignait toute la côte ouest de Terre-Neuve et une grande partie de la côte nord et qu'il s'agissait d'un territoire où les Français exerçaient un certain degré de souveraineté. Il a dit que les Britanniques avaient à l'époque déclaré leur souveraineté sur l'île de Terre-Neuve, mais ils ne l'exerçaient pas. Il a en outre affirmé que, jusqu'en 1949, rien n'indiquait qui, constitutionnellement, était souverain à l'égard de Terre-Neuve. Il a ensuite dit que la question de savoir ce que comprenait au juste le territoire de la province ou colonie de Terre-Neuve n'a été réglée qu'en 1949, lorsque Terre-Neuve est devenue membre de la confédération canadienne. M. Cuff a fait référence à un ouvrage d'un dénommé McLintock indiquant que Terre-Neuve a été non pas une colonie mais une pêcherie jusqu'en 1824, année à partir de laquelle elle a eu un gouverneur ainsi qu'un conseil. Il a dit que, à Terre-Neuve, ce n'est qu'en 1819 que la propriété privée pour fins autres que la pêche est devenue légale. Toutefois, il a ajouté que, de 1729 à 1824, c'est-à-dire avant l'établissement d'un gouvernement civil dans les années 1820, des gouverneurs étaient nommés et envoyés à Terre-Neuve pour la saison de pêche estivale. Il a dit qu'il n'y avait alors aucun établissement civil, pas de financement et pas de personnel. Il a dit en outre que les gouverneurs pouvaient prendre des proclamations, mais ils n'avaient aucun moyen de les exécuter. Il a répété qu'il y a en fait eu un établissement civil en 1824 et que c'est à partir de cette année-là que les Britanniques ont exercé la souveraineté sur Terre-Neuve. Il a dit cependant que la souveraineté des Britanniques n'était exercée sur aucune partie de Terre-Neuve autre que la côte, car on ne connaissait pas l'intérieur du territoire et il n'y avait aucune carte de Terre-Neuve indiquant Baie-d'Espoir avant 1789.

[59]     M. Cuff a parlé de l'élection générale tenue en 1869, au milieu de la visite de M. Murray à Conne River. Cette élection, basée sur la question de l'adhésion à la confédération canadienne, a été remportée par le parti anticonfédération. M. Cuff a témoigné que, en 1855, Terre-Neuve avait un gouvernement responsable, dans lequel il y avait un premier ministre, ainsi qu'un cabinet, dont les membres étaient choisis parmi les députés élus. Il y avait encore à cette époque un gouverneur, qui était une personne nommée. Il y avait en outre un conseil législatif, dont les membres étaient nommés par le Gouverneur général suivant l'avis du parti au pouvoir. M. Cuff a dit que le registre des terres de la Couronne a été établi en 1820 et relevait de l'arpenteur général et des membres du conseil exécutif. Il a dit que vers 1869 non seulement le gouverneur faisait partie du cabinet, en tant que membre du conseil exécutif, mais il était un élément dominant du conseil exécutif, en raison de sa personnalité. Il a dit que M. Murray était le fondateur de la commission géologique de Terre-Neuve. Originaire de l'Écosse, M. Murray avait oeuvré dans le Haut-Canada pendant un certain nombre d'années, auprès de la commission géologique du Canada. M. Cuff a dit qu'il n'y avait aucune carte de l'intérieur de Terre-Neuve en 1864 et que la tâche de MM. Murray et Howley et de ceux qui ont travaillé avec eux pendant de nombreuses années avait été de cartographier ce territoire. Leur but était de recenser les scieries ainsi que les ressources de la terre, y compris les forêts exploitables, et d'établir une carte de Terre-Neuve incluant l'intérieur des terres. M. Cuff a dit que M. Murray était venu à Conne River au début de 1869, projetant de se rendre dans l'intérieur du territoire, probablement dans le cadre d'une expédition de cartographie. Il a fait référence à un procès-verbal du conseil exécutif qui disait :

[TRADUCTION]

[Concession d'une terre aux Indiens - Conne River]

Son Excellence le Gouverneur a déposé devant le conseil une lettre de M. Murray, le géologue, concernant une demande faite par ce dernier au gouvernement en 1869, ainsi qu'en 1870, pour qu'une terre soit concédée aux Indiens de Conne River, Baie-d'Espoir; le conseil a reconnu le bien-fondé de la demande et a déféré la question à l'honorable arpenteur général en vue de la réalisation de l'objet de la demande.

[60]     M. Cuff a témoigné qu'il avait été incapable de trouver la lettre de M. Murray. Il a ensuite dit que l'arpenteur général, le major Henry Renouf ( « M. Renouf » ), avait donné suite à ce procès-verbal en 1872 en délivrant une série de permis d'occupation. Il a dit qu'il n'y avait aucune documentation sur quoi que ce soit qui ait été fait relativement à ce procès-verbal en 1870 ou en 1871. Il a dit qu'en 1872, toutefois, l'arpenteur général avait délivré 17 permis d'occupation à Conne River. Il a déclaré que M. Murray était à Conne River lorsque, en 1869 et en 1870, il a écrit au gouverneur pour obtenir que certaines mesures soient prises. Il a dit que M. Murray devait être dans cette région pour engager des guides micmacs pour qu'ils l'aident à explorer l'intérieur du territoire en vue d'en faire la cartographie. Il a ajouté que les carnets relatifs aux activités exercées par M. Murray sur le terrain au cours de ces deux années-là parlaient de travaux d'arpentage faits à Conne River. Il a ensuite dit au sujet de ces carnets de terrain :

[TRADUCTION]

[...] ils traitent en 1869, je crois, d'abord de... eh bien, de ce qu'il appelait la « revendication territoriale des habitants indiens de Conne River » . Il avait recensé les noms de chefs de famille et il avait établi que ce que nous appellerions aujourd'hui la réserve coloniale, soit la réserve dont nous parlons, allait jusqu'au littoral. Bien qu'il ait recueilli les noms de chefs de famille, ses notes n'indiquent pas qu'il avait arpenté des lots individuels au sein de la communauté de Conne River, à une exception près. Il avait par ailleurs également arpenté un lot de l'autre côté de la rivière, pour une famille de colons blancs vivant là.

[61]     M. Cuff a dit qu'il n'avait pu déterminer précisément le secteur arpenté par M. Murray. Il était d'avis qu'il s'agissait du littoral et « non de l'arrière du lot » . Il a également dit que, de la manière dont il comprenait les notes de M. Murray, ce dernier avait non pas arpenté une région, mais « plutôt établi le fondement d'un arpentage » .

[62]     M. Cuff a ensuite fait référence à des photocopies de 17 permis d'occupation datés du 1er avril 1872. En regardant une carte topographique établie par Gordon Isaacs ( « M. Isaacs » ), soit l'arpenteur qui a témoigné pour l'intimée, M. Cuff a dit que les permis d'occupation étaient au nom de 17 chefs de famille micmacs de Conne River. Il a fait référence à des versions de la carte de M. Isaacs qui étaient des cartes historiques établies bien avant, mais il a dit :

[TRADUCTION]

[...] en regardant cette carte établie par M. Isaacs, il m'apparaît bien clairement de quels lots il s'agit.

[63]     Il a dit que les lots 1 et 2 ainsi que les lots 4 à 18 correspondaient aux permis d'occupation délivrés en 1872, mais pas le lot 3. Il a dit qu'aucun autre permis d'occupation n'avait été délivré aux Micmacs de Conne River. En réponse à une question de l'avocate de l'appelant quant à savoir s'il y avait un lien entre le procès-verbal du conseil exécutif et les permis d'occupation, il a dit :

[TRADUCTION]

Il y a un lien, je crois, en ce que le procès-verbal du conseil exécutif - je ne suis pas sûr que cela diffère en fait d'un décret en conseil - indiquait que la question de la concession d'une terre aux Indiens de Conne River avait été déférée à l'arpenteur général, et je présume que c'est ainsi que ce dernier a ordonné l'établissement de ces permis d'occupation, ce qui relevait assurément de sa compétence vu le poste qu'il occupait au sein du cabinet.

[64]     M. Cuff a dit qu'en 1870 le gouverneur était Stephen Hill (le « gouverneur Hill » ). Il a également témoigné que, à cette époque de l'histoire de Terre-Neuve, les procès-verbaux du conseil exécutif et les décrets en conseil étaient la même chose. Il a dit :

[TRADUCTION]

Les procès-verbaux du conseil exécutif sont la même chose que ce nous appelons maintenant un décret en conseil. On ne tenait pas de registres distincts pour les décrets en conseil.

[65]     Il a dit qu'il ressort clairement du procès-verbal qu'il s'agissait d'une lettre de M. Murray au gouverneur et que ce dernier avait apporté cette lettre au conseil. Il a dit que c'était la procédure normale à l'époque. En réponse à une question quant à savoir s'il y avait quoi que ce soit d'inusité au sujet des permis délivrés à Conne River en 1872, M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

Il y a un certain nombre de choses inusitées, oui. De nombreux permis ont été délivrés le même jour, tous en même temps. En ce qui a trait par exemple à l'établissement de Musgrave [qui n'est pas situé près de Conne River], on a, dans le cadre d'un effort concerté visant à ouvrir des terres agricoles au bas de la baie de Bonavista, assurément délivré plusieurs permis en même temps. Par exemple, pour un secteur donné, on a délivré un certain nombre de permis au cours d'une période de deux ou trois mois, mais pas 17 permis le même jour. Il y a aussi quelque chose d'inusité en ce que chacun d'eux fait référence à un plan.

[66]     En expliquant pourquoi ces permis-là étaient inusités, il a dit :

[TRADUCTION]

Eh bien, c'est inusité, je pense, en ce que, tout d'abord, il n'y a dans le registre aucun plan avec ces numéros de permis. Il n'y a aucun plan avec ces numéros ailleurs dans le registre des terres de la Couronne. Je pense que l'on pourrait dire qu'il y a des plans avec des numéros, mais aucun plan de 1872 avec ces 18 numéros. Dans le registre des terres de la Couronne, s'il y a un acte de concession, un permis, un acte de concession spéciale ou quoi que ce soit, on peut généralement trouver, en cherchant, les diagrammes, les pétitions ou les levés préliminaires relatifs à l'établissement du permis, de l'acte de concession ou de quoi que ce soit. Excusez-moi, il faut que je me reprenne en quelque sorte à ce sujet. On ne peut pas toujours trouver ces plans et ces levés dans le registre des terres de la Couronne. On peut toutefois en trouver des mentions. Il y a un registre des levés et un registre des diagrammes où les divers diagrammes de terrain et d'autres éléments semblables ont été inscrits chronologiquement et numérotés. Bon, il arrive assez souvent que, en cherchant ces numéros, en cherchant un diagramme, par exemple, on ne peut trouver le diagramme, parce qu'il s'est égaré ou quoi que ce soit. (Il n'arrive pas souvent que le document n'a pas été inscrit dans le registre.) On trouve l'inscription dans le registre, puis on ne peut trouver le diagramme, mais il n'arrive pas que l'on ne trouve pas les dessins ou levés préliminaires. Donc, ce qui est inusité, je pense, c'est que les permis faisaient référence à un plan [...] et je n'ai trouvé dans le registre des terres de la Couronne aucune mention quant au dépôt de ce plan ou quant à savoir comment ou à quel endroit il aurait été déposé.

[67]     M. Cuff a expliqué que, normalement, quand quelqu'un voulait un permis d'exploitation minière ou un permis de coupe de bois, le bureau de l'arpenteur général envoyait une description du terrain à un arpenteur, puis les observations de l'arpenteur quant à la valeur de la demande et quant à la signature de l'auteur de la demande. M. Cuff a ensuite témoigné que, pour autant qu'il le sache, il n'y avait aucune pétition à part la lettre de M. Murray au gouverneur, « si elle peut être qualifiée de pétition » .

[68]     L'avocate de l'appelant a ensuite renvoyé M. Cuff à une carte portant au recto la mention « Plan d'établissement indien, Conne River, Baie-d'Espoir » et au verso la mention « RÉSERVE INDIENNE, CONNE RIVER, No 70 » . Au recto de la carte, il y a une carte plus petite qui dit « Plan général de la partie supérieure de Baie-d'Espoir » et qui indique une relation entre la réserve indienne et des scieries exploitées par John E. Lake. M. Cuff a dit que cette carte montrait d'une manière générale la partie nord-est de Baie-d'Espoir. Il a déclaré qu'elle montre deux scieries : l'une est située à ce qui s'appelle maintenant Milltown, et l'autre est située plus au sud et donne sur Conne Arm et Conne River, soit ce qui s'appelle maintenant « Head of Bay D'Espoir » . M. Cuff a déclaré qu'une partie ombrée de cette carte correspond au territoire inclus par le « Plan d'établissement indien, Conne River, Baie-d'Espoir » , soit la grande carte du côté gauche du même document. M. Cuff a décrit certaines différences entre les noms figurant sur les permis d'occupation et les noms figurant sur cette carte[6]. M. Cuff ignorait si la lettre de M. Murray était une pétition, mais, a-t-il dit :

[TRADUCTION]

je présume que la lettre de M. Murray au gouverneur est la pétition qui déclenche ce processus, soit une pétition de M. Murray lui-même.

[69]     Il a dit qu'il y avait quelque chose d'inusité au sujet de la délivrance de ces permis d'occupation, car aucun autre permis n'a été délivré à Baie-d'Espoir, aucun autre permis d'occupation n'a été délivré à Baie-d'Espoir au cours de cette période et aucun acte de concession de terres de la Couronne n'a été délivré à Baie-d'Espoir au cours de cette période. Il a également dit qu'il n'avait jamais vu d'actes de concession de terres de la Couronne délivrés avant 1896.

[70]     M. Cuff a fait référence à deux pages des notes de M. Murray pour 1869. L'une de ces pages énumérait les noms de chefs de famille, dont plusieurs figuraient dans les permis d'occupation de 1872. L'autre était une liste intitulée « Revendication territoriale des habitants indiens de Conne » . M. Cuff a également déclaré qu'il reconnaissait plusieurs des noms comme étant des noms qui figurent dans les permis d'occupation. Il a dit que bon nombre des noms étaient liés aux permis d'occupation, mais qu'il y avait 25 noms dans la liste, tandis qu'il y avait 17 permis d'occupation.

[71]     M. Cuff a ensuite fait référence à un extrait des journaux de la chambre d'assemblée en date du 3 octobre 1872. L'article en question était signé par Henry Camp ( « M. Camp » ), qui vivait à Pushthrough et qui avait été nommé à un certain nombre de postes gouvernementaux pour la région de Baie-d'Espoir, y compris le poste de responsable de la surveillance de la pêche au saumon. L'original de la lettre était, d'après M. Cuff, adressé au secrétaire de la colonie, James Noonan. Ce document se lisait en partie comme suit :

[TRADUCTION]

Si quelqu'un pouvait être à Conne lorsqu'un navire de guerre entre dans la baie, je pense que cela pourrait faire grand bien à ces types. Ils sont très impertinents depuis les trois ou quatre dernières années; quelqu'un leur a dit qu'ils ont un droit exclusif à l'égard de terres et d'étendues d'eau à Conne, et en fait ils ont un permis pour détenir la partie sud de Conne, soit une étendue d'environ deux milles et quart de longueur et de trente-trois chaînes de profondeur, de sorte que les colons ou les autochtones n'ont pas le droit de couper des arbres pour la construction ou le chauffage, et c'est dans cette partie du territoire qu'ont été coupés les arbres ayant servi à fabriquer l'armature de bon nombre des schooners occidentaux; il y a encore beaucoup d'arbres à l'intérieur des terres, soit l'un des endroits qui ont échappé à l'incendie de 1870. Pour empêcher un Indien de pêcher du saumon, de la truite et de l'anguille à la foène, je crois qu'il faudrait lui enlever les bras.

[72]     M. Cuff a ensuite témoigné que la description des terres qui est donnée dans cette lettre correspond mieux au plan de Balfour qu'aux permis d'occupation en ce que la longueur de deux milles et quart va du lot 1 au lot 25, soit des lots plus grands que les lots 1 à 19 relatifs aux permis d'occupation. M. Cuff a dit ensuite :

[TRADUCTION]

[...] il ne dit pas que des permis ont été délivrés à certains de ces Indiens. Il dit qu'un permis leur avait été délivré. Il parle de Conne River comme d'un établissement indien. C'est absolument conforme [...] aux registres du XIXe siècle de Conne River. Personne n'allait là sans remarquer qu'il s'agissait d'un établissement indien. Personne ne revenait de Conne River en disant qu'on y trouvait un village et en mentionnant accessoirement qu'il y avait là certains Indiens. Il s'est toujours agi d'un village d'Indiens ou d'un établissement indien.

[73]     Il a également parlé des types qui étaient très impertinents depuis trois ou quatre ans et il a fait remarquer que, trois ans avant cette lettre, on était en 1869, année au cours de laquelle M. Murray a été à Conne River.

[74]     M. Cuff a déclaré qu'une loi permettait à la Couronne de délivrer des permis d'occupation, dont le but était de favoriser l'agriculture[7].

[75]     Les permis d'occupation incluaient ce qui suit :

[TRADUCTION]

Sous réserve que ledit Maurice Lewis s'établisse sur ladite terre et l'occupe pendant ladite période de cinq ans, qu'il en cultive deux acres durant ladite période et qu'il se conforme aux dispositions de ladite loi, il aura droit à une concession en fief simple, sous le grand sceau, à l'égard de ladite terre; toutefois, s'il ne se conforme pas aux conditions de ce permis et aux dispositions de ladite loi, il devra abandonner toute prétention à ladite terre et à la concession susmentionnée.

[76]     M. Cuff a fait référence au rapport du gouverneur MacGregor en date du 8 juillet 1908 et il en a lu l'extrait suivant :

[TRADUCTION]

Ces Micmacs sont des chasseurs et des trappeurs et ne connaissent pas l'agriculture, le matelotage et la pêche. Dans tout l'établissement, ils n'ont pas plus que trois ou quatre acres de terres cultivées. En un an, le plus grand cultivateur ne faisait pousser que quelques choux et pas plus que l'équivalent de trois ou quatre barils de pommes de terre. Il y a dans la place deux misérables vaches, et certains des Micmacs les moins pauvres ont trois ou quatre moutons extrêmement pitoyables. Ils n'ont pratiquement pas de volailles, mais j'ai vu une poule et une oie sauvage apprivoisée. Leurs petites maisons en planches sont bien modestes, mais il y a des vitres aux fenêtres. Un chemin de quelques centaines de verges, construit aux frais du gouvernement, traverse l'extrémité de l'établissement où la plupart des gens habitent.

[77]     M. Cuff a dit que cette description de ce qu'était Conne River en 1908 s'appliquait probablement aussi à ce qu'il en était en 1872. Il a également dit que, à son avis, M. Murray ne s'attendait pas à ce que les gens de Conne River cultivent les 17 lots faisant l'objet des permis d'occupation, car M. Murray savait que la plupart des lots étaient situés bien en dehors de l'établissement et, l'été, il engageait ces personnes comme guides.

[78]     Au sujet des actes de concession de terres de la Couronne délivrés à la famille Collier de Conne River en 1896 et en 1897, M. Cuff a dit que ces actes parlaient de l'établissement indien et non de Conne River. Il a en outre fait référence à un mémoire du gouverneur sir Henry McCallum en date du 3 janvier 1900 à l'intention du secrétaire de la colonie. Ce mémoire traitait du fait qu'un dénommé Lake avait, sans autorisation, construit une scierie sur certaines terres. Une partie du mémoire se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Le premier ministre était avec moi lorsque les Indiens se sont plaints de ce que M. Lake avait une scierie sur ce qu'ils considéraient comme étant leur réserve.

[79]     On a renvoyé M. Cuff à un mémoire en date du 1er janvier 1900 dans lequel figure la phrase suivante :

[TRADUCTION]

Au sujet de la question de la réserve indienne de Conne River, j'ai appris de M. Duder que M. Lake n'a absolument aucun titre sur le terrain sur lequel il a établi et exploite une scierie à Conne River et qu'on lui a refusé un permis de coupe pour cette localité.

[80]     Et un autre mémoire, en date du 29 janvier 1900, soit un mémoire du bureau du gouverneur au secrétaire de la colonie, R. McCallum, disait notamment :

[TRADUCTION]

Cela se rapportait à l'occupation illégale de terres de la Couronne. Au sujet de la réserve indienne de Conne River, j'ai obtenu confirmation de M. Duder que M. Lake avait demandé un permis de coupe relativement à cette localité et qu'on le lui a refusé. Malgré cela, M. Lake a construit une grosse scierie sur une terre de la Couronne située dans cette localité.

[81]     M. Cuff a dit qu'une action officielle avait résulté de la rencontre avec le gouverneur et le premier ministre en ce que le gouverneur avait soumis la cause des Micmacs au gouvernement de la colonie concernant la scierie de M. Lake. Il a dit que le gouverneur avait d'abord parlé de ce que les Micmacs considéraient comme étant leur réserve et qu'en décembre 1900, lorsqu'il avait écrit à Eli Dawe ( « M. Dawe » ), il avait indiqué que ce territoire était une « terre gouvernementale réservée » . M. Dawe a été élu à la Chambre en 1899 et a été ministre de l'Agriculture et des Mines.

[82]     On a ensuite renvoyé M. Cuff à une pièce intitulée EXTRAITS DU REGISTRE DES CONCESSIONS SPÉCIALES, VOLUME I. Ce document comporte un index alphabétique. Dans l'index, les mots « Réserve indienne d'Arm » ont été écrits à l'encre. Le mot « Arm » a ensuite été rayé et les mots « Conne River » ont été ajoutés au crayon à la fin, ce qui donnait « Réserve indienne de Conne River 360 » , ce chiffre étant le numéro de folio. Ultérieurement, toute cette description a été biffée et l'on a écrit au-dessous « Voir vol. I, permis d'occupation » . M. Cuff a ensuite témoigné que le folio 360 était dans le même volume. Il semble qu'il parlait du folio en blanc qui avait été inséré entre les folios 359 et 361. Dans la pièce qui a été déposée, cette page se trouvait après un onglet orange sur lequel on avait dactylographié les termes « PAGE PLEINE DE COLLE » . M. Cuff a témoigné que le folio 360 comporte un certain nombre de taches de colle. La plus grosse tache était au haut de la page et s'étendait sur toute la largeur de la page. Dans le sens de la longueur, il y a huit ou neuf autres taches de colle.

[83]     L'avocate de l'appelant a ensuite fait référence aux pièces contenant des extraits de permis d'occupation. M. Cuff a expliqué que le volume incluant les 17 permis d'occupation précités comporte vis-à-vis du permis du chef Maurice Lewis une page qui contient une carte de Conne Arm représentant une zone - la réserve - à peu près identique à la zone décrite comme ayant donné lieu aux permis d'occupation. M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

On y voit une série de lots. Les lots ne sont pas numérotés, contrairement aux permis, qui font référence au plan. Au haut de la page, dans le coin droit, le chiffre 360 est écrit à l'encre. Et, au haut de la page également, il y a deux taches de colle. La plus sombre, celle qui paraît le plus, couvre à peu près 80 p. 100 du milieu du plan. La plus claire couvre toute la partie supérieure du plan. Il y a aussi de plus petites taches de colle sur le plan.

[84]     Il a dit que cette carte avait été collée sur une feuille blanche vis-à-vis du permis de Maurice Lewis. Il a dit que cette carte, bien qu'elle se trouve là, ne fait pas partie de ce folio, qu'elle ne fait pas partie de ce permis.

[85]     M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

En ce qui a trait à la chronologie des événements relatifs à l'inscription dans le registre des concessions spéciales, mon opinion est que :

la carte que nous appelions le plan de Conne River a été insérée dans le registre des concessions spéciales sous le numéro de folio 360 à un moment donné entre l'enregistrement du folio 359 et l'enregistrement du folio 361.

[86]     Il a ensuite fait référence au paragraphe 359 du registre des concessions spéciales, qui dit à la deuxième page :

[TRADUCTION]

Fait sous le grand sceau de notre île de Terre-Neuve, à St. John's, dans ladite île, ce quatrième jour du mois d'août de l'an de grâce mil huit cent quatre-vingt-dix-neuf. [...]

[87]     M. Cuff a dit qu'il y avait ensuite le folio en blanc 360, puis le folio 361, enregistré le 26 janvier 1900. Il a dit ensuite que son opinion était que, à un moment donné entre le 4 août 1899 et le 26 janvier 1900, la carte de Conne River qui figure actuellement dans le volume I des permis d'occupation avait été inscrite comme concession spéciale dans le registre des concessions spéciales, ayant précédemment été collée sur la page, le folio 360. Il a également affirmé :

[TRADUCTION]

[...] Le numéro 360 qui est écrit dans le coin supérieur droit de l'acte de concession se rapporte au folio du volume des concessions spéciales et, à un moment indéterminé, cette carte a été enlevée du volume des concessions spéciales et a été placée dans le volume des permis d'occupation, vis-à-vis du permis d'occupation qui avait été délivré à Maurice Lewis; les taches de colle sont, je pense, ce qui étaye le plus cette affirmation. Eh bien, en fait, je pense que c'est le numéro 360 figurant dans le coin supérieur droit qui est probablement l'élément le plus révélateur.

[88]     M. Cuff a, après des mois d'absence pour cause de maladie, résumé comme suit son point de vue sur les événements :

[TRADUCTION]

Eh bien, mon opinion est qu'à un moment donné après que, en août 1899, le gouverneur McCallum et le premier ministre sir James Winter eurent rencontré les Micmacs, une concession spéciale a été inscrite dans le volume I du registre des concessions spéciales; nous n'avons qu'une date approximative se situant entre août 1899 et janvier 1900 - je pense que c'est le 21 janvier; je ne sais pas précisément quand cette concession a été enregistrée, mais, à un moment donné au cours de cette période, une concession spéciale a été inscrite dans le registre des concessions spéciales, et la carte que nous appelons le plan de Balfour est, je crois, une version agrandie de la petite carte que nous trouvons dans le registre des concessions spéciales.

[89]     Au sujet de l'index du registre des concessions spéciales, M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

Eh bien, on a biffé un passage et réécrit au-dessus. La version originale disait « Réserve indienne d'Arm » , puis le mot « Arm » semble avoir été rayé et, à un moment donné, les termes « Conne River » ont été ajoutés. Cela donnait « Réserve indienne de Conne River 360 » , puis tout cela été biffé, et l'on a écrit au-dessous « Voir volume I, permis d'occupation » .

[90]     Il a ensuite fait référence à la page tachée de colle du registre des concessions spéciales, qui ne comportait rien d'autre qu'une tache de colle au haut, puis il a poursuivi en disant :

[TRADUCTION]

[...] premièrement, la concession a initialement été enregistrée entre août 1899 et janvier 1900. Deuxièmement, quelqu'un a corrigé l'inscription du registre « Réserve indienne d'Arm » pour qu'elle se lise comme suit : « Réserve indienne de Conne River » . Troisièmement, ce qui avait été collé sur cette page au folio 360 a été enlevé, et l'index a été modifié une seconde fois de manière qu'il se lise comme suit : « Voir volume I, permis d'occupation » ; enfin, la carte qui avait été consignée dans les concessions spéciales a été enlevée, puis collée dans le volume I des permis d'occupation.

[91]     Puis, faisant référence à la carte, M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

[...] eh bien, c'est une carte de ce que nous appellerions la réserve coloniale de Conne River. Historiquement, ce territoire a été reconnu comme étant la réserve coloniale de Conne River. Dans le coin supérieur droit, il y a le folio 360 ou le numéro 360. Au haut, il y a deux taches de colle sur toute la largeur. Il y a la tache sombre, soit la plus récente, et une tache plus claire au-dessous. Cette tache claire qui se trouve directement au haut de la carte correspond à la tache qu'il y a sur le folio fantôme 360 du registre des concessions spéciales.

[92]     M. Cuff a dit que l'inscription dans l'index avait été faite à l'encre par une personne, qu'une partie de l'inscription a ensuite été rayée et que les termes « Conne River » ont été ajoutés par une autre personne, puis que l'ensemble a été biffé par une troisième personne et remplacé par « Voir volume I, permis d'occupation » , ce qui indique à son avis que le document n'a pas été changé de place le même jour qu'il avait été consigné. M. Cuff a ensuite déclaré qu'il suppose que le permis d'occupation pourrait être qualifié de concession conditionnelle. Il a également dit qu'il avait examiné les deux premiers volumes de concessions spéciales et que ce document était le seul à avoir été changé de place. Il a dit qu'à une occasion il avait vu quelque chose d'estampillé comme ayant été annulé et que, à une autre occasion, il avait vu une inscription par-dessus quelque chose qui disait « annulé » . Il a ensuite dit que ce qu'il voyait le plus souvent, c'était, en annexe au document, une lettre du ministre ou du sous-ministre disant que l'acte de concession avait été annulé, n'était plus valable ou avait été remplacé par « ceci ou cela » .

[93]     À la question de savoir si les Micmacs de Conne River étaient au courant de la concession spéciale, M. Cuff a répondu :

[TRADUCTION]

Oui, je pense qu'ils l'étaient. Je pense qu'ils l'étaient en ce que des copies de cartes de la réserve étaient disponibles et étaient distribuées dans la communauté. Assurément, par tradition chez les Micmacs, les gens avaient des copies de ces cartes, et je crois que les cartes qu'ils avaient étaient des copies de ce que nous appelons le plan de Balfour.

[94]     M. Cuff a ensuite témoigné que toutes les preuves historiques sur le plan de Balfour indiquaient que celui-ci avait été établi en 1899 ou en 1900 ou peut-être plus tard, mais conformément à ce qu'il en était durant ces deux années-là. Il a dit qu'il est clair que ce que montre le plan correspond à ce qu'était la situation à Conne River durant l'une de ces deux années-là.

[95]     À cet égard, il s'appuyait notamment sur les noms de chefs de famille figurant dans le plan de Balfour, ainsi que sur une petite carte intercalaire de Baie-d'Espoir appelée « Plan général de la partie supérieure de Baie-d'Espoir indiquant une relation entre la réserve indienne et des scieries exploitées par John E. Lake » , laquelle carte montrait une scierie construite en 1899 et une scierie construite en 1904. Une troisième scierie a été construite en 1905, ce qui donne à penser que la carte a été établie avant 1905. Un rapport d'arpentage indiquant que le lot 23 est au nom de James McDonald a été fait en 1903, de sorte que la carte a dû être établie entre 1899 et 1903. De plus, le plan de Balfour indique que le lot 2 est au nom du « chef » Joseph Bernard, ce qui signifie d'après M. Cuff que la carte a été établie en 1899 ou en 1900, car Joseph Bernard a cessé d'être chef en 1900. M. Cuff a ensuite dit :

[TRADUCTION]

[...] Je pense qu'il est clair que la carte qui est plus petite est celle qui a été consignée dans le registre des concessions spéciales. Je pense que ce serait une coïncidence absolument stupéfiante que cette carte, ici, ait été établie en même temps sans qu'il y ait un lien avec cet acte de concession de réserve. Le mot « réserve » apparaît plusieurs fois sur la carte elle-même, qui indique une relation entre une réserve indienne et des scieries exploitées par John E. Lake.

[96]     La mention au verso du plan de Balfour disait « Réserve indienne de Conne River » , ce qui, faisait remarquer M. Cuff, correspondait exactement à ce que disait l'inscription figurant dans l'index du registre des concessions spéciales après la modification de la description initiale disant « Réserve indienne d'Arm » .

[97]     M. Cuff a témoigné que le gouverneur MacGregor utilisait le mot « réserve » dix ou quinze fois dans son rapport.

[98]     Au sujet du rapport du gouverneur MacGregor, M. Cuff a dit que ce rapport remontait dans l'histoire jusqu'à la période des travaux d'Alexander Murray, c'est-à-dire d'après lui jusqu'en 1872, et que l'ensemble du rapport indique que quelque chose est dû aux Micmacs et que quelque chose doit être fait. M. Cuff a déclaré :

[TRADUCTION]

Eh bien, d'après mes recherches, quelque chose a été fait. Vous savez, une concession spéciale a été accordée. Il y avait des gens à Terre-Neuve, y compris des fonctionnaires, des politiciens et des membres du clergé, qui reconnaissaient que les Micmacs avaient une prétention spéciale à l'égard de la terre de Conne River et qu'il y avait un fondement à la réserve de Conne River; en ce sens, il n'a rien eu à faire. Toutefois, il est également clair que certains des... que le gouverneur MacGregor n'était pas parfaitement au courant de la succession des événements en 1899 et en 1900. Il traite dans son rapport de l'aspect historique de la situation, et il parle à cet égard de l'année 1872. Il ne traite de rien de ce qui est arrivé en 1900 et ne traite d'aucune des mesures prises par son prédécesseur, le gouverneur sir Henry McCallum, et je pense sincèrement qu'il y avait autour de lui des gens qui connaissaient la différence et qui auraient pu dire quelque chose. Bon, il est indéniable que le gouverneur MacGregor était considéré à Terre-Neuve comme ayant un peu tendance à faire de l'ingérence.

[99]     M. Cuff a dit que M. Dawe, qui était ministre de l'Agriculture et des Mines en 1900, avait expressément répondu à une question du gouverneur McCallum au sujet de la « réserve » en disant que l'on n'avait pas à s'inquiéter concernant « ce permis de coupe ou quoi que ce soit, puisqu'il s'agit d'un territoire situé à 14 milles de la réserve » . M. Cuff a ensuite affirmé que le gouverneur MacGregor avait présumé que le plan d'établissement indien de Baie-d'Espoir inclus dans son rapport avait été établi « en 1872 ou à peu près » . Il a déclaré que l'archevêque Howley utilisait le mot « réserve » en parlant des Micmacs de Conne River. Il a déclaré que sir Charles Alexander Harris avait été gouverneur de Terre-Neuve à partir de 1917 et probablement jusqu'en 1923 ou 1924. Il a déclaré que ce gouverneur avait écrit un article, paru dans une publication intitulée The Native Races of the Empire (Les races autochtones de l'Empire), dans lequel il décrivait les Beothuks et les Micmacs et dans lequel il disait que la réserve des Micmacs était située à Conne River. M. Cuff a également déclaré qu'il n'y avait aucune loi quant à savoir comment concéder une terre à des Indiens, établir des réserves, etc. Il n'y avait pas de loi sur les Indiens à Terre-Neuve. Il a dit :

[TRADUCTION]

Évidemment, il n'y avait pas de loi sur les Indiens au Canada à l'époque. C'est arrivé plus tard, mais nous ne faisions pas partie du Canada. Je pense que les membres du bureau de l'arpenteur général - comme le faisaient toujours les fonctionnaires - tournaient et retournaient des idées et déterminaient la meilleure chose qu'ils pouvaient faire. Et, dans ce cas-ci, on a délivré une série de permis d'occupation.

[100] M. Cuff a en outre déclaré que, à part la région de Conne River, il n'y avait aucun autre endroit à Terre-Neuve où un groupe de personnes avait reçu une série de permis d'occupation. Quant à savoir pourquoi l'acte de concession spéciale avait été enlevé du registre des concessions spéciales et versé au registre des permis d'occupation, M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

En tant qu'historien, non, je n'ai trouvé aucune explication qui me convainque quant à savoir pourquoi cela arrivait. Je sais, en tant qu'historien, qu'une foule de personnes ont joué un rôle à cet égard. Je connais les politiques d'une foule de personnes qui jouaient un rôle là-dedans. Je sais quelle était la situation générale au début des années 1900 en matière de permis autorisant la coupe de bois à Baie-d'Espoir; je peux faire quelques suppositions, mais seulement l'une d'entre elles serait exacte, et peut-être même pas. Mais, assurément, je crois bel et bien que cela avait un rapport avec les politiques, avec les situations politiques et avec la question du contrôle réel du territoire de Baie-d'Espoir, soit une question qui à ce stade dans l'histoire, c'est-à-dire au tournant du siècle, devenait préoccupante jusqu'à un certain point [...] car il y avait là-bas une quantité d'arbres considérable, et l'on spéculait fortement sur les permis de coupe parmi les élites de Terre-Neuve, y compris les membres du cabinet, les fonctionnaires de haut rang et toutes les personnes de ce genre. On finassait beaucoup et de diverses façons en matière de permis de coupe. L'autre chose, c'est que, très peu de temps après cela, on a commencé à présenter une série de propositions pour faire de Baie-d'Espoir un centre de pâtes et papiers, ce qui n'a jamais eu lieu, mais cela se rapportait aussi à la spéculation relative à ces terres.

[101] M. Cuff soutenait également qu'une personne rationnelle ne s'attendrait pas que les politiques législatives du Canada du XIXe siècle, y compris en matière de réserve indienne, correspondent aux politiques de Terre-Neuve. Il a dit que Terre-Neuve ne faisait pas partie du Canada, mais était un dominion distinct.

[102] M. Cuff a ensuite donné une description de ce qu'était la structure gouvernementale à Terre-Neuve. Il a dit que, en 1870, Terre-Neuve avait un gouvernement responsable depuis 15 ans. Il y avait un chef d'État, soit le gouverneur en tant que représentant de Sa Majesté. Il était nommé par l'administration anglaise des affaires coloniales. Il y avait une chambre d'assemblée, dont les membres étaient élus. Il y avait un premier ministre, qui dirigeait le parti majoritaire à la Chambre et qui choisissait les membres du cabinet. Le conseil exécutif, c'était le gouverneur en conseil, c'est-à-dire le cabinet. Le gouverneur était un membre actif du conseil exécutif, ainsi que du conseil législatif, soit une chambre haute. En guise de résumé, M. Cuff a déclaré que, généralement, le cabinet comprenait le gouverneur, le premier ministre, le président du conseil législatif et les ministres des principaux ministères.

[103] M. Cuff a également dit que la délivrance de permis d'occupation en 1872 ne correspondait pas à la façon dont le ministère compétent traitait les colons blancs; il a déclaré que la manière dont l'arpenteur avait agi en demandant qu'une terre soit concédée aux Indiens ne correspondait pas à la manière dont l'arpenteur traitait les colons blancs à Terre-Neuve. Il a déclaré que la concession spéciale de 1899 ou 1900 ne correspondait pas à la façon dont les colons blancs étaient traités, car il n'y avait pas de bandes ou tribus de colons blancs. Il a dit qu'il semblait ressortir clairement de la succession des événements que la délivrance de permis d'occupation faisait suite au procès-verbal du conseil de 1870 donnant pour instructions à l'arpenteur général de s'occuper de concéder une terre aux Indiens.

[104] En conclusion, M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

Eh bien, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu'une réserve avait été établie à Conne River, soit une terre mise de côté à l'usage d'une bande micmac. C'était une réserve en ce que les frontières en étaient délimitées. Le plan de Balfour dressé en 1899 ou en 1900 délimite avec assez de précision les frontières de cette terre, de cette réserve. Je pense que l'on est fondé à qualifier ce territoire de réserve indienne en raison de la concession spéciale d'une réserve indienne à Conne River en 1899 ou en 1900 et en raison du plan de Balfour, intitulé au verso « Réserve indienne, Conne River » . Ce document contient la carte intercalaire indiquant des scieries de John E. Lake relativement à la réserve indienne. Je pense que le fait que des arpenteurs utilisaient les termes « réserve » ou « territoire indien » démontre clairement que, aux yeux du ministère de l'Agriculture et des Mines, dont relevait toute cette question, il y avait à Conne River quelque chose de très différent de ce qu'il y avait ailleurs à Terre-Neuve. Il y avait en fait une réserve indienne. Il y avait en fait un territoire indien.

[105] Au cours du contre-interrogatoire, M. Cuff a dit au sujet de l'existence de la réserve que, assurément, l'année importante était 1899 ou 1900. Il a dit que les permis d'occupation de 1872 faisaient partie du processus. Il a ensuite dit qu'il y avait eu une série d'événements, à commencer par le fait que les Micmacs étaient entrés en contact avec le gouverneur en août 1899, et qu'il y avait eu aussi l'insertion du folio 360 dans le volume I des concessions spéciales concernant une réserve indienne ou la réserve indienne d'Arm.

[106] L'avocat de l'intimée a fait référence à l'extrait suivant d'un mémoire du gouverneur McCallum à l'honorable secrétaire de la colonie :

[TRADUCTION]

Le premier ministre était avec moi lorsque les Indiens se sont plaints de ce que M. Lake avait une scierie sur ce qu'ils considéraient comme étant leur réserve.

[107] Cela a été écrit le 30 janvier 1900, quatre jours après l'enregistrement de la concession spéciale 361; la concession spéciale ayant censément donné lieu à la création d'une réserve indienne avait été inscrite dans le registre des concessions spéciales avant cette date. L'avocat a ensuite dit à M. Cuff que, si quelque chose d'important avait été fait relativement aux concessions spéciales avant le 26 janvier 1900, le gouverneur n'aurait pas, seulement quatre jours plus tard, parlé de « la » réserve, comme disaient les Indiens, mais il aurait alors parlé d' « une » réserve venant d'être créée ou de quelque chose dans ce genre-là. M. Cuff a répliqué que c'était possible, mais qu'il pouvait également interpréter les propos du gouverneur comme se rapportant à un événement survenu en août 1899, lorsque les Indiens étaient entrés en contact avec le gouverneur et le premier ministre sir James Winter et s'étaient plaints de ce que M. Lake avait une scierie sur ce qu'ils considéraient comme étant leur réserve.

[108] M. Cuff a déclaré qu'il ne pouvait conclure qu'une réserve pouvait avoir été créée par le comité exécutif sans un genre d'enregistrement, mais il a dit qu' « il y a un nombre incroyable de registres que nous n'avons pas » . M. Cuff a également dit que M. Murray n'utilisait jamais le mot « réserve » et parlait seulement de la revendication territoriale des habitants indiens de Conne River. Il a également déclaré que le mot « réserve » ne figurait pas dans le procès-verbal du conseil exécutif, qui utilisait les termes « Concession d'une terre aux Indiens » . Il a dit en outre que le mot « réserve » ne figurait dans aucun des 17 permis d'occupation délivrés en 1872.

[109] L'échange suivant montre que M. Cuff était d'accord avec l'avocat de l'intimée au sujet du mot « réserve » :

[TRADUCTION]

Q.         [...] aucun des documents de la période allant de 1872 jusqu'au début de 1900, à part l'année 1899 que vous avez mentionnée comme possibilité relativement au plan de Balfour [...] aucun document gouvernemental couvrant une période de presque trente ans ne fait même mention de réserves, n'est-ce pas?

R.          Oui.

[110] M. Cuff a dit que, s'il y avait une réserve, on présumerait qu'il y avait quelqu'un au gouvernement qui était chargé de s'occuper des Indiens ou des réserves. Il a dit ensuite qu'il n'y avait assurément personne dont le travail consistait à « avoir l'oeil » sur Conne River. M. Cuff a ensuite convenu avec l'avocat de l'intimée que rien dans les permis d'occupation ne disait que les personnes nommées dans ces permis étaient des Micmacs de Terre-Neuve ou des autochtones de Terre-Neuve et il a déclaré que le mot « indien » n'était utilisé que relativement au « village » . L'échange suivant a eu lieu au sujet d'une question de l'avocat de l'intimée concernant le fait que l'acte de concession spéciale avait été enlevé du registre des concessions spéciales et placé dans le volume des permis d'occupation :

[TRADUCTION]

Q.         Donc, si une personne essayait de le cacher, elle s'y prenait bien mal, n'est-ce pas?

R.          Il me semble qu'elle l'aurait plutôt détruit.

[111] Au sujet de la page 360 qui avait été changée de place pour être insérée dans le volume des permis d'occupation et qui a été décrite par M. Cuff comme étant un acte de concession spéciale, M. Cuff a dit qu'il s'agissait d'une carte de Conne River, que le seul nom y figurant était celui de George Hoskins, qu'aucun autre nom, y compris des noms indiqués dans les permis d'occupation, n'y figurait et que le mot « réserve » n'y était employé nulle part. M. Cuff supposait que le fait que seul le nom de George Hoskins figurait dans le plan 360 était lié à l'arpentage initial fait par Alexander Murray, ce dernier ayant parlé d'arpenter un lot ou quelque chose pour M. Hoskins. M. Cuff affirmait que la carte pouvait avoir été dressée à partir de notes de M. Murray prises en 1870, mais il était incapable de dire quand elle avait été dressée, si ce n'est à un moment donné avant le 26 janvier 1900. M. Cuff a également déclaré qu'il n'avait trouvé aucun acte de concession spéciale ne consistant qu'en un simple dessin comme le plan ou la carte figurant dans le document 360 et que, par contre, il en avait trouvé quelques-uns consistant en une carte accompagnée d'autres documents, soit « par exemple une lettre du ministre annexée à la carte » . L'échange suivant a ensuite eu lieu :

[TRADUCTION]

Q.         [...] votre théorie, si je ne m'abuse, monsieur Cuff, repose sur le fait que, à votre avis, ce document 360 a été déposé dans le registre des concessions spéciales à un moment donné au cours de ce que nous appelons la période approximative, n'est-ce pas?

R.          Oui. C'est assurément un élément crucial de la théorie.

Q.         Oui, d'accord. Et la théorie... la période approximative va évidemment de la fin d'août 1899, comme nous en avons discuté?

R.          Du 4 août.

Q.         Merci. Jusqu'au 26 janvier 1900, n'est-ce pas?

R.          Oui.

Q.         D'accord. Et maintenant, est-ce que votre théorie explique pourquoi une petite carte - vraisemblablement dressée en 1871 et n'indiquant que le nom de George Hoskins - aurait été déposée à l'automne 1899? Pourquoi ce document et non le plan de Balfour ou un autre document?

R.          Je n'ai aucune théorie offrant une réponse complète à cette question. Comme je l'ai dit, c'est simplement qu'il m'apparaît de but en blanc que la carte correspondait à cela ...

Q.         Du point de vue de la taille?

R.          ... et que le plan de Balfour n'y correspondait pas.

[112] M. Cuff a ensuite dit qu'il n'avait aucune difficulté à reconnaître que la petite carte était une carte préexistante que le ministère de l'Agriculture et des Mines avait déjà et qui a été déposée sans aucun texte ou quoi que ce soit d'autre. Quand on lui a dit que l'interprétation la plus raisonnable au sujet du fait que l'index avait été raturé était que quelqu'un estimait qu'une erreur avait été commise, M. Cuff a répliqué :

[TRADUCTION]

C'est une des interprétations possibles, oui.

[113] Quand on lui a dit qu'une erreur dans l'index pouvait avoir été faite par un fonctionnaire d'un rang relativement peu élevé, M. Cuff a rétorqué :

[TRADUCTION]

Je n'écarterais pas cette interprétation totalement. Cela ne cadrerait toutefois pas avec les mentions d'une « réserve » que l'on voit pour les années suivantes.

[114] M. Cuff a également dit qu'il était inusité que la carte n'indique pas au moins le nom d'un arpenteur adjoint.

[115] L'avocat de l'intimée a ensuite renvoyé M. Cuff à un acte du volume I des concessions spéciales signé par James Crowdy, qui était « du moins par moments le secrétaire de la colonie » . Et il était écrit au-dessous :

[TRADUCTION]

EXAMINÉ

Signé

E. M. Archibald

PROCUREUR GÉNÉRAL DE SA MAJESTÉ.

De plus, le document 359 de ce registre était un acte de concession signé :

[TRADUCTION]

Arthur Mews

Secrétaire adjoint de la colonie.

Au-dessous, c'était signé :

[TRADUCTION]

Thos. C. Duder

Ministre de l'Agriculture et des Mines.

[116] Le document suivant, appelé le document 361, était signé comme ayant été examiné par J. S. Winter, ministre de la Justice, et comme ayant été signé par Henry McCallum, qui était le gouverneur.

[117] Au sujet d'une affirmation de l'avocat voulant que, concernant l'origine du plan de Balfour, le gouverneur soit revenu de sa visite chez les Micmacs et ait demandé qu'une carte soit dressée, M. Cuff a dit :

[TRADUCTION]

C'est la meilleure explication par rapport aux faits. Je veux dire... nous pouvons déterminer la date de la carte grâce à une méthode. C'est certainement l'explication la plus plausible, car nous avons des éléments de preuve qui indiquent que la question des Micmacs de Conne River et de leurs revendications relatives à une réserve avait été soulevée.

[118] M. Cuff convenait avec l'avocat de l'intimée que la loi de Terre-Neuve intitulée Crown Lands Act, 1884, à l'égard de laquelle M. Murray avait apporté une contribution importante, ne contenait rien au sujet d'Indiens ou à propos de terres ou réserves indiennes.

[119] Des éléments de preuve subséquents établissaient que J. P. Howley était considéré dans les milieux gouvernementaux comme la personne qui connaissait le mieux les Micmacs, grâce à ses années de travail géologique sur le terrain, et qu'il avait visité la région de Conne River avec le gouverneur MacGregor en 1908. Il dirigeait la commission géologique de Terre-Neuve. M. Cuff a dit que M. Howley devait savoir qu'il se passait quelque chose d'important quant au statut des terres de Conne River en 1899 ou en 1900. En réponse à une lettre du 12 mars 1902 dans laquelle un missionnaire demandait au secrétaire du gouverneur de Terre-Neuve de l'information sur les Micmacs de Terre-Neuve, M. Howley, à qui le secrétaire du gouverneur avait transmis cette lettre, ne disait pas qu'en 1900 une terre avait été concédée ou qu'une réserve avait été créée. M. Cuff a expliqué qu'il n'était pas étonné que M. Howley n'en parle pas, car M. Howley se considérait comme un scientifique d'abord et comme un fonctionnaire ensuite et, si la réserve ou Conne River était une question le moindrement politique, il n'allait pas traiter de cela.

[120] M. Cuff a dit que sir Cavendish Boyle avait remplacé le gouverneur McCallum en 1901 et que, en 1907, le gouverneur MacGregor lui avait succédé. M. Cuff a déclaré qu'il n'avait pas vu de lettres ou autres documents du gouverneur Boyle ou de ministres de la Couronne - à l'époque du mandat du gouverneur Boyle - indiquant l'existence d'une « réserve indienne » à Conne River ou utilisant ces termes. M. Cuff a également dit qu'il n'avait pas non plus trouvé de telles références dans les documents du gouverneur MacGregor.

[121] M. Cuff a déclaré, au sujet d'une lettre du gouverneur MacGregor à M. Howley en date du 13 octobre 1908, qu'il n'y avait aucun registre indiquant que M. Howley avait répondu en disant au gouverneur MacGregor que ce dernier avait omis quelque chose. M. Cuff a également déclaré qu'une lettre semblable avait été envoyée par le gouverneur MacGregor au très honorable sir Robert Bond le 13 octobre 1908 et qu'aucun registre n'indiquait que sir Robert Bond avait répondu en disant que le gouverneur MacGregor avait omis quelque chose, c'est-à-dire la concession spéciale de 1899 / 1900. Au sujet d'une lettre du gouverneur MacGregor à l'honorable J. A. Clift, c.r., ministre de l'Agriculture et des Mines, soit une lettre portant la même date, M. Cuff a dit qu'il n'était au courant d'aucune lettre de l'honorable J. A. Clift au gouverneur MacGregor. M. Cuff convenait en outre avec l'avocat de l'intimée que le rapport du gouverneur MacGregor ne disait pas qu'il s'était passé quelque chose en 1899 ou en 1900 quant au statut d'une « réserve » .

Témoignage de Stephen Patterson, témoin de l'intimée

[122] M. Stephen Patterson ( « M. Patterson » ), un historien qui a témoigné pour l'intimée, a été reconnu comme témoin expert pour présenter une preuve sous forme d'opinion concernant l'histoire de la colonie britannique jusqu'en 1867, notamment pour ce qui est de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick et en ce qui a trait aux contacts et rencontres entre les autorités de la colonie et les autochtones de la région atlantique. Il disait dans son rapport que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick avaient beaucoup plus de contacts avec les autochtones que Terre-Neuve. Il disait que la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick interprétaient la politique impériale britannique de façon étroite, en présumant que les autochtones avaient droit aux terres qu'ils avaient traditionnellement occupées et utilisées et qu'il incombait aux représentants de la Couronne de recenser ces terres, de les mettre de côté et de prendre des mesures pour les protéger. Il disait que la position des représentants de la Couronne était que les Micmacs se trouvant à Terre-Neuve à partir des années 1760 n'étaient pas des autochtones de Terre-Neuve et que leurs droits comme autochtones, quels qu'ils soient, étaient des droits devant être exercés dans les territoires d'où venaient ces personnes. Il disait que le ministre anglais du Commerce avait exprimé le point de vue impérial officiel voulant que les marins micmacs exerçant leur activité au large de Terre-Neuve n'aient pas droit à une considération spéciale hors de la Nouvelle-Écosse, leur colonie d'origine, et qu'ils doivent s'adresser au gouverneur de la Nouvelle-Écosse relativement à leurs besoins. Il disait que, en 1861, le commissaire des Affaires indiennes de la Nouvelle-Écosse avait rapporté au gouverneur qu'environ 400 Micmacs habitaient à l'île du Cap-Breton et qu'à peu près 70 Micmacs se trouvaient à Terre-Neuve. Il disait qu'il semblait clair que, même dès 1643, les Micmacs se trouvant à Terre-Neuve étaient considérés comme faisant partie de la Nouvelle-Écosse.

[123] Il disait dans la partie suivante de son rapport :

[TRADUCTION]

Comme les permis d'occupation étaient utilisés à Terre-Neuve dans les années 1870 pour installer des colons sur des terres, il semblerait que les autorités considéraient les Micmacs comme des colons et leur accordaient des terres en utilisant le même instrument que dans le cas des non-autochtones. Si le gouvernement avait voulu créer des réserves indiennes ou utiliser des permis d'occupation expressément pour créer des réserves comme celles qui existaient au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse, on s'attendrait à trouver des mentions d'une telle intention dans la loi. En fait, toutefois, la loi de Terre-Neuve en matière de terres de la Couronne modifiée en 1860 prévoit la mise en réserve ou mise de côté de terres publiques pour certaines fins publiques, par exemple pour des écoles, des églises, des marchés et d'autres choses de ce genre, et elle ne dit rien au sujet de la mise en réserve de terres pour les Indiens. De plus, la loi de 1860 prévoyant des permis d'occupation dispose que des terres peuvent être concédées en fief simple après cinq ans pourvu que des conditions en matière de culture aient été remplies et elle ne prévoit aucun arrangement spécial pour les Indiens. Cette disposition implique que le permis était destiné à encourager les colons; le fait que l'on accordait de tels permis à des Micmacs en tant que particuliers indique que le gouvernement considérait ces derniers comme des colons dont il convenait de répondre aux besoins selon les formes et procédures établies et non que les Micmacs formaient un peuple ayant des droits autochtones à Terre-Neuve, soit des droits devant être protégés par la création d'une terre réservée spéciale.

[124] M. Patterson disait également :

[TRADUCTION]

[...] les documents des années 1760 que j'ai vus indiquaient qu'il n'y avait pas de communautés micmacs permanentes à Terre-Neuve en 1760 et en 1761; ces communautés étaient nécessairement quelque part, soit là où se trouvaient traditionnellement les bandes de la Nouvelle-Écosse, qui avaient toutes des traités, de sorte que les traités continuaient de s'appliquer aux Micmacs. Ils s'étaient soumis à la Couronne britannique dans ces traités.

[125] M. Patterson a témoigné que M. Murray, né en Écosse en 1810, avait immigré au Canada (en Ontario) en 1836. Jusqu'en 1864, M. Murray avait aidé William Edmond Logan à dresser des cartes géologiques du Haut-Canada et du Bas-Canada. M. Patterson a dit que M. Murray connaissait bien les méthodes de tenure et les pratiques d'arpentage canadiennes ainsi que les Indiens et les réserves indiennes. Il a également déclaré que, en 1864, M. Murray avait déménagé à Terre-Neuve pour devenir le premier directeur de la commission géologique de Terre-Neuve et avait reçu le mandat d'établir la première carte géologique complète de Terre-Neuve. Il a dit que M. Murray avait à cet égard parcouru toute l'île et rédigé des rapports annuels. Il a en outre témoigné que, en 1868, M. Murray avait engagé James P. Howley comme adjoint et qu'ils avaient retenu les services de guides micmacs pour que ces derniers les aident dans l'arpentage de l'intérieur du territoire.

Témoignage de M. von Gernet, témoin de l'intimée

[126] M. von Gernet, qui a été reconnu comme expert et qui a comparu pour l'intimée, est un anthropologue qui se spécialise dans l'utilisation de preuves archéologiques et de documents écrits et dans l'utilisation de l'histoire ou de la tradition orale pour reconstituer les cultures ancestrales des peuples autochtones, y compris les Micmacs, ainsi que l'histoire des contacts entre les autochtones et les nouveaux arrivants européens dans tout le Canada. Il disait au sujet des rapports de 1869 et 1870 de M. Murray :

[TRADUCTION]

Eh bien, les rapports sont riches de détails relativement à de nombreuses observations. Mais, ce qui fait nettement défaut, ce sont des passages ou en fait de simples mentions des questions relatives à la terre micmac qui était arpentée. Il n'y a aucune mention des événements survenus en 1869 et en 1870. Ces rapports sont muets sur ces questions.

[127] M. von Gernet a également dit que M. Murray connaissait très bien les modes de tenure existant ailleurs au Canada et avait recommandé que des choses semblables soient adoptées à Terre-Neuve. Il a dit en outre que, au sujet des modes de tenure de l'époque, M. Murray savait évidemment comment le système fonctionnait dans le Haut-Canada, y ayant effectué des inventaires géologiques pendant de nombreuses années, et comprenait qu'il fallait un genre de protection pour ces réserves. Il a ajouté que la seule protection pouvant être offerte en matière de terres mises de côté pour des Indiens consistait à mettre en oeuvre une loi distincte et un régime distinct de règles et règlements empêchant pour l'essentiel des concessions en fief simple. Il a dit que, si vous donnez « des terres à des Indiens » et notamment si « vous les donnez à des particuliers » ou permettez à des particuliers d'obtenir le titre en fief simple sur des terres, « ce n'est pas » essentiellement une façon de protéger ces terres, car, si un particulier a le pouvoir d'aliéner une terre, cela va à l'encontre du but global d'une réserve. Il a ajouté :

[TRADUCTION]

C'est pourquoi la notion de réserve est, partout en Amérique du Nord, intimement liée à un système de tenure distinct de « ce que vous trouvez » dans les lois relatives aux autochtones. On estimait que la meilleure façon ou en fait la seule façon de « protéger des réserves indiennes » contre tout empiétement était d'empêcher des concessions en fief simple. En d'autres termes, il s'agissait que la Couronne ait toujours le titre de propriété, de sorte que l'utilisation des terres faite par les Indiens soit de la nature de l'usufruit, par opposition à notre système de fief simple.

[128] Interrogé sur ce point, M. von Gernet a dit :

[TRADUCTION]

Dans mon rapport, je parlais de cette possibilité et je disais qu'il se pouvait que M. Murray ait simplement... eh bien, je ne me souviens pas des termes exacts, mais je disais que M. Murray cherchait simplement à canadianiser le système d'établissement sur les terres. Il ressort clairement d'autres écrits relatifs à M. Murray que ce dernier était particulièrement intéressé à favoriser l'agriculture et à appliquer à Terre-Neuve ce qu'il avait appris au Canada.

[129] M. von Gernet a fait référence à une feuille détachée qui se trouvait dans le carnet de terrain de 1869 de M. Murray et il a dit que ce document n'avait pas été rédigé par M. Murray, que ce n'était pas l'orthographe de M. Murray et que ce document contenait une liste de 25 noms qui étaient clairement des noms micmacs. Ce document comportait une note qui semble se rapporter à 25 familles. La première inscription dans le carnet de 1869 de M. Murray a été faite le 13 septembre 1869 et incluait une liste indiquant un certain nombre de noms. M. von Gernet a dit au sujet de ces deux listes :

[TRADUCTION]

Les deux listes sont dans l'ensemble fort semblables et indiquent en fait toutes les deux 25 noms. [...] J'ai remarqué à vrai dire que ni l'une ni l'autre ne fait mention d'une réserve.

[130] Il a déclaré :

[TRADUCTION]

[...] la liste commence par l'inscription « Habitants indiens de Conne River » ou plutôt « Habitants indiens de Conne » , puis 25 noms sont énumérés [...]

[131] M. von Gernet a dit que de nombreux noms de la liste ont par la suite figuré dans les permis d'occupation. Il a en outre témoigné que, relativement à l'arpentage que M. Murray a fait du littoral, M. Murray parlait de la maison de George Hoskins et précisait qu'il ne s'agissait pas de la maison d'un autochtone.

[132] M. von Gernet a dit :

[TRADUCTION]

Et la chose extraordinaire dans toute cette affaire, c'est que, au lieu de cartographier en fait une réserve ou même une concession, il a, en 1870, mis l'accent sur un lot appartenant à un non-autochtone et a arpenté ce lot. Il s'agit du lot de M. Hoskins.

Ce que je soupçonne - et je crois que c'est confirmé par la preuve documentaire -, c'est qu'il n'a rencontré M. Hoskins qu'en 1870. Il connaissait le nom de M. Hoskins depuis l'année précédente, mais il l'avait mal orthographié. En 1870, il en connaissait l'orthographe correcte et semble en fait avoir été en contact avec M. Hoskins.

Il semble qu'il reconnaissait en 1870 que la situation sur le terrain était un peu plus complexe qu'il l'avait initialement... que ce qu'il avait initialement été amené à croire. Il n'était pas si simple de créer un bloc de lots contigus s'il y avait en fait des intérêts non autochtones dans ce bloc de lots. Donc, pour quelque raison, qui pourrait rester obscure, il a examiné ce lot, et je crois qu'une sorte de carte a été produite à cette époque. J'ignore s'il s'agit de l'infâme carte 360. Il se peut que la carte 360 soit basée sur quelque chose qui remonte aux années 1870, car le fait que le nom de M. Hoskins soit le seul qui figure dans cette carte ne peut être une coïncidence. Je pense qu'il n'y a aucun doute qu'il existe un certain lien entre les deux d'un point de vue documentaire.

Donc, d'une manière générale, la conclusion à laquelle je suis parvenu est que, quoique M. Murray ait eu amplement l'occasion d'adopter ce qu'il avait appris dans le Haut-Canada et de recommander qu'une loi ou autre forme de législation ou qu'un genre de système soit adopté pour tenir compte d'une présence indienne dans l'île, il ne l'a pas fait. Il s'est occupé d'autres aspects des méthodes de tenure, mais pas par rapport aux Indiens. Pour l'essentiel, il a simplement suivi la loi sur les terres de la Couronne, qui était une loi générale, et nous nous retrouvons en 1872 avec une série de 17 permis d'occupation.

[133] Ayant précédemment exprimé clairement son opinion selon laquelle M. Murray était au courant du procès-verbal de 1870 du conseil exécutif, M. von Gernet a dit :

[TRADUCTION]

Eh bien, le procès-verbal indiquait qu'un type d'arpentage devrait être effectué.

M. Murray ne semble pas avoir arpenté une concession. Il avait précédemment cartographié une partie du secteur riverain et l'avait divisée en lots correspondant aux paramètres généraux d'une loi existante. Ainsi, quand il est retourné sur le terrain, il n'a pas vraiment donné suite à la recommandation du conseil, si ce n'est qu'il s'est attaché au lot d'une personne qui n'était pas un Micmac.

[134] Au sujet du déplacement de la page 360 et de son insertion dans les permis d'occupation, M. von Gernet a dit :

[TRADUCTION]

Je ne pense pas que cela change vraiment quoi que ce soit. Bien sincèrement, j'estime qu'on a déjà accordé beaucoup trop d'importance à cela. La seule chose certaine, c'est que l'on trouve là une carte faisant état des paramètres généraux ainsi que des lots du secteur cartographié par M. Murray en 1869 et en 1870. Cette carte a été insérée là à un moment donné. Elle a été changée de place pour être insérée dans les permis d'occupation, ce qui était plus approprié, vu la chronologie des événements et vu l'absence complète de preuves que de la documentation accompagnait cette carte. La carte elle-même, évidemment, ne comporte que le nom de George Hoskins, et je vois très difficilement pourquoi ou comment on pourrait interpréter la situation comme indiquant qu'il s'agissait d'une réserve indienne ou d'une concession spéciale. Comme je l'ai déjà dit au cours de mon témoignage, George Hoskins était un non-Micmac qui avait été choisi par M. Murray en 1870 et dont le lot a été arpenté à cette époque. Cette carte remonte clairement à cette période. J'ignore si elle a en fait été dressée par M. Murray, si elle a été copiée à partir de quelque chose que M. Murray avait fait ou si elle a été produite par suite d'un examen du carnet de M. Murray. Mais elle remonte clairement à cette période. Le fait que M. Hoskins soit la personne dont M. Murray est retourné arpenter le lot ne peut être une coïncidence. Seul le nom de M. Hoskins figure sur une carte de Conne River, puis nous constatons que la carte est liée aux permis d'occupation. Et, dans les permis d'occupation, le seul permis qui n'est pas indiqué se rapporte à ce lot.

[135] Concernant les permis d'occupation, 12 des noms figurant sur les permis sont énumérés dans le carnet de terrain de 1869 de M. Murray. La première page de chaque permis était signée par le gouverneur Stephen J. Hill, par le procureur général Joseph Little et par le secrétaire de la colonie Joseph L. Noonan. Ces trois personnes étaient membres du conseil exécutif du gouvernement de Terre-Neuve à l'époque où les permis ont été signés. Elles siégeaient au conseil exécutif en 1870, lorsque ce dernier a adopté le procès-verbal reconnaissant le bien-fondé de la demande faite par M. Murray au nom des Indiens de Conne River. Il y a deux volumes de permis d'occupation au bureau d'enregistrement des terres de la Couronne de Terre-Neuve. Tous les permis ont été enregistrés entre le 7 décembre 1867 et le 14 décembre 1889. Les 17 permis d'occupation accordés en 1870 à des habitants de Conne River sont semblables à tous les autres permis d'occupation. M. von Gernet a dit :

[TRADUCTION]

Ils sont tous semblables. Des noms différents ont simplement été inscrits et, dans certains cas, le libellé diffère légèrement, mais, dans l'ensemble, ce sont les mêmes formulaires et les mêmes conditions.

[136] Certains des permis d'occupation, à l'exclusion des 17 permis relatifs à Conne River, ont par la suite donné lieu à la délivrance d'actes de concessions en fief simple.

[137] M. von Gernet a dit :

[TRADUCTION]

Je veux dire que toutes ces personnes approuvent ces permis d'occupation. Je me serais attendu à un décret en conseil indiquant expressément qu'une réserve était mise de côté, après quoi cette réserve aurait été détenue en commun. Ce que nous avons au lieu de cela, ce sont des permis d'occupation approuvés par les personnes qui en avaient ordonné l'établissement deux ans plus tôt.

[138] D'autres éléments de preuve établissaient qu'une loi adoptée le 29 avril 1844 s'intitulait :

[TRADUCTION]

Loi visant l'aliénation et la vente de terres de la Couronne non concédées et inoccupées dans l'île de Terre-Neuve et ses dépendances et visant la réalisation d'autres fins.

Cette loi prévoyait la vente de terres de la Couronne et la délivrance d'actes indiquant qu'il s'agissait de concessions en fief simple.

[139] M. von Gernet a ensuite fait référence à la loi suivante adoptée le 14 mai 1860 et intitulée :

[TRADUCTION]

Loi portant modification d'une loi adoptée dans la septième année du règne de Sa Majesté et intitulée « Loi visant l'aliénation et la vente de terres de la Couronne non concédées et inoccupées dans l'île de Terre-Neuve et ses dépendances et visant la réalisation d'autres fins » et visant la délivrance de permis d'exploitation minière, l'octroi de baux miniers et la concession de terres de minéraux, ainsi que la réalisation d'autres fins.

Cette loi prévoyait que le gouverneur pouvait, suivant l'avis du conseil, délivrer à titre gratuit pour une période d'au plus cinq ans des permis d'occupation :

[TRADUCTION]

de terres vierges non concédées et inoccupées, à une ou plusieurs personnes désireuses de s'y installer de façon permanente et de les cultiver, soit des terres d'au plus cinquante acres pour chaque colon [...]

Cette loi prévoit également que le gouverneur peut accorder des concessions en fief simple aux personnes qui se seront établies sur la terre et l'auront occupée pendant une période de cinq ans suivant la date du permis et qui auront cultivé deux acres de cette terre.

[140] M. von Gernet a fait référence à une pétition de 1896 au terme de laquelle George Michael Collier, un non-autochtone, a, le 30 octobre 1897, reçu du gouvernement de la colonie une concession en fief simple située sur la terre décrite par l'appelant comme étant une réserve. En 1916, George Michael Collier a vendu ce lot à un neveu, George Collier, qui déménageait à St. Alban's avec sa famille de sorte que, conformément à l'avis de leur prêtre, son fils de sept ans, John Collier, puisse aller régulièrement à l'école. Les parents de John Collier ne sont pas des autochtones. En 1986, en vue de créer une réserve à Conne River, le gouvernement fédéral a acheté ce lot.

[141] Voici l'interprétation donnée par M. von Gernet :

[TRADUCTION]

Ce que j'ai trouvé intéressant au sujet de cette pétition, c'est que, dans la colonne où il est demandé si une autre personne a quelque autre prétention à la même terre, on a indiqué « aucune » . Et, dans l'ensemble de la pétition, il n'est pas fait mention d'une réserve indienne et il n'est même pas fait mention des permis d'occupation ou d'une concession.

M. Hadden avait été sur le terrain en août, je crois, comme il le note dans son rapport d'arpentage, et il avait mesuré ce lot. Il savait donc bien ce qu'il en était sur le terrain. Et, en 1896, pendant qu'il était à Conne River, il avait fait beaucoup d'arpentage et avait arpenté des terres pour les divers pétitionnaires qui étaient là. Je soupçonne qu'il était dans la région de Conne River en 1896, car toute la question du bois de construction et des scieries devenait d'une importance primordiale, et il fallait que l'arpenteur aille vérifier ce qu'il en était sur le terrain. Cette sorte de concession ne correspondait nullement au concept de réserve.

[...]

L'ensemble de la définition d'une réserve exclut la possibilité que les Européens aient eu des droits dans une réserve comme le titre en fief simple sur une terre ou même dans bien des cas un droit d'occupation. Même des droits d'extraction de ressources naturelles seraient rares. La raison pour laquelle c'était possible à Conne River en 1896 tient au fait qu'il n'y avait aucune réserve indienne à cet endroit en 1896. Cela tient également au fait que, contrairement à ce qu'il en était ailleurs en Amérique du Nord, il n'y avait aucune loi empêchant un tel scénario; ce qui me fascine au sujet de la terre concédée aux Collier, c'est que, en examinant tous les documents relatifs à l'occupation de ce lot par les Collier, je n'ai trouvé absolument aucune preuve que, au cours d'une période de près de 90 ans, les Micmacs de Conne River aient contesté fortement ou de quelque manière la présence des Collier sur ce lot.

Et évidemment en 1987, année au cours de laquelle la réserve a vraiment été créée par décret en conseil, cette question n'avait pas encore été réglée et il fallait en fait que le gouvernement achète ce lot, d'après ce que je me souviens des documents que j'ai examinés relativement à la création de la réserve en 1987. Donc, avant que l'on puisse bel et bien établir une réserve, on a dû acheter le lot de M. Collier.

Le 28 juin 1984, on a adopté un décret en conseil déclarant qu'un groupe d'Indiens de Conne River (Terre-Neuve) formait une bande indienne aux fins de la Loi sur les Indiens. En vertu d'un décret en conseil du 25 juin 1987, les terres qui y étaient décrites ont été mises de côté à l'usage et au profit de la bande Miawpukek de Terre-Neuve, de manière à constituer la réserve indienne Samiajij Miawpukek.

Témoignage de Gordon Isaacs, témoin de l'intimée

[142] Gordon Isaacs ( « M. Isaacs » ), arpenteur qui a témoigné comme expert pour l'intimée, a dit que, le 14 septembre 1869, M. Murray, pendant qu'il était encore à Conne River, avait terminé ses derniers calculs pour l'arpentage du littoral. M. Isaacs disait dans l'addenda de son rapport d'arpenteur :

[TRADUCTION]

Durant mes recherches au bureau d'enregistrement des terres de la Couronne en juin 1998, on a découvert que la petite version du plan de l'établissement, mentionnée ci-devant, se trouvait précédemment dans le registre des concessions spéciales, où elle avait été insérée entre un document de location de 1899 et un document de concession de 1900. Dans ce plan, le seul lot à l'égard duquel est indiqué le nom d'un occupant ou propriétaire est le lot de Geo. Hoskins. Aucun numéro de lot n'est en fait indiqué dans ce plan, mais le nom de M. Hoskins figure dans le sixième lot à partir de la frontière ouest de l'établissement, soit le lot 6 de la version actuelle du plan de l'établissement.

Après avoir examiné le contenu des carnets de terrain de M. Murray et après avoir relevé les lots dans le plan cadastral [...] il est évident que, à l'exception du lot arpenté pour George Hoskins, M. Murray n'a pas délimité les frontières d'autres lots ni même les frontières périmétriques indiquées dans le plan de l'établissement indien. Pendant les deux seuls jours où il a été à Conne River, il a arpenté le littoral et a placé au moins un et peut-être deux poteaux de bois marquant les extrémités de l'établissement le long du littoral. Le 16 septembre, M. Murray s'est rendu dans l'arrière-pays, où il a fait des levés topographiques ainsi que des explorations minéralogiques. Il est revenu à Conne River le 1er octobre 1869 et n'a pas effectué d'autres travaux d'arpentage avant de retourner à St. John's.

[143] M. Isaacs a ensuite déclaré que M. Murray était retourné à Conne River le 11 juillet 1870 et qu'il avait arpenté un lot pour George Hoskins (dont le nom avait précédemment été enregistré comme étant Geo. Erskine). Toutefois, dix mois plus tard, M. Murray utilisait l'orthographe correcte. M. Isaacs a dit :

[TRADUCTION]

[...] autant que je sache, c'est le seul lot que M. Murray ait arpenté à Conne River et, à ma connaissance, on n'a jamais accordé une concession ou un permis basé sur cet arpentage.

[144] Il a ensuite dit que, au dos du carnet de terrain de 1869 de M. Murray, il y avait des pages sans date qui indiquent ce qui semble être la tentative de M. Murray pour dresser un plan de l'établissement fondé sur sa mesure de la ligne de base et sur son arpentage du littoral. Il a déclaré qu'une page faisait état de numéros de lot à côté desquels on avait inscrit ce qui semblait être des superficies. Il a dit que cela indiquait que M. Murray cherchait à calculer la superficie de lots en vue de délimiter la zone de l'établissement, mais il n'y avait dans le carnet de terrain de M. Murray aucun croquis détaillé définitif quant au plan de l'établissement. Il a ensuite dit qu'il était normal qu'un arpenteur inclue des croquis de son travail dans ses notes de terrain et que le carnet de terrain de 1870 de M. Murray indiquait que ce dernier aussi avait l'habitude de faire des croquis de ses levés pendant qu'il était sur le terrain. M. Isaacs écrivait également dans l'addenda de son rapport :

[TRADUCTION]

[...] dans le carnet de terrain de 1879, M. Murray a pris des notes relatives à des erreurs qu'il a découvertes dans les nouvelles cartes qu'il a rapportées en revenant d'expéditions sur le terrain. Je crois que ce qui serait le plus clair, c'est que Murray examinait des cartes établies à partir de levés qu'il avait effectués précédemment et qui avaient été compilés par un dessinateur. Telle était fort probablement sa façon de procéder, c'est-à-dire qu'il remettait ses notes de terrain à un dessinateur du gouvernement pour que ce dernier les compile pendant les mois d'hiver. Cette méthode a très probablement été utilisée aussi pour dresser la carte de l'établissement de Conne River. La petite version du plan de l'établissement qui a été déposée entre 1899 et 1900 au bureau d'enregistrement des terres de la Couronne de St. John's et qui a été trouvée en juin 1998 était fort probablement une version basée sur des notes de M. Murray et établie selon la méthode décrite précédemment. À mon avis, les levés de M. Murray relatifs au littoral et à d'autres éléments topographiques, de même que le point de départ marqué par un poteau de bois ainsi que le calcul d'une mesure de la ligne de base, représentaient des informations suffisantes pour permettre de dresser un plan directeur pour l'établissement indien de Conne River.

[145] M. Isaacs disait au sujet du plan 360 :

[TRADUCTION]

La ligne de base indiquée dans ce plan correspond à celle que M. Murray a calculée en 1869 et dont je viens de parler et elle a en fait été utilisée comme étant la base... la limite sud du plan établi par Balfour. Il s'agit d'une limite parallèle à cette ligne de base. Il est à noter que le plan de Balfour n'indique pas la ligne de base là où l'indique le plan 360, et il me semble qu'elle est probablement plus près de ce que Murray aurait établi que de ce que Balfour aurait établi.

Puis il disait :

[TRADUCTION]

[...] toute information figurant dans le plan, par exemple des noms ou des numéros de lot, indiquerait normalement une intention de s'occuper de ce lot de quelque manière. Cela peut être une façon de reconnaître que le lot est occupé de quelque manière, vous savez, mais, dans le cas du lot qui nous occupe, je dirais que l'objet de ce plan était de montrer que ce lot avait été arpenté.

Témoignage de Wayne Boggan, témoin de l'intimée

[146] Wayne Boggan ( « M. Boggan » ), qui avait travaillé à la division des terres de la Couronne pendant 25 ans et qui avait été directeur intérimaire relativement aux terres de la Couronne pendant dix mois, disait au sujet du document 360 figurant dans le volume des concessions spéciales :

[TRADUCTION]

Cela donnerait simplement de l'information sur ce qu'indiquait le plan. [...] Il n'y avait rien là-dedans. Pour ce qui est du plan, tout ce qu'il y a dans le volume des permis, c'est un plan montrant des lots situés à Conne Arm. Cela semble quelque peu incompatible avec l'inscription dans le volume I des concessions spéciales qui dit « Réserve indienne d'Arm » .

[147] Puis l'échange suivant a eu lieu :

[TRADUCTION]

Q. D'accord. M. Cuff a témoigné que, à son avis, le document qui a été déposé là et qui a été indexé de la manière dont il l'a été est une certaine indication qu'une réserve a été créée à peu près à cette époque. Dans ce plan ou ce croquis comme vous l'appeliez également, y a-t-il quelque chose qui, à votre avis en tant que personne ayant travaillé à la division des terres de la Couronne, indique qu'une réserve a été créée?

R. Il n'y a rien dans ce croquis ou plan qui indique cela; je pense qu'il serait difficile de créer une réserve en se fondant sur un tel croquis.

Q. Bon, il semble que, au bout du compte, le document 360 a été changé de place pour être versé dans le volume I des permis d'occupation.

R. Il semble que tel a été le cas, oui.

Q. Comme vous l'aviez déjà dit, et ce document a été placé vis-à-vis du permis d'occupation de Maurice Louis, n'est-ce pas?

R. Oui.

Q. Et, évidemment, le permis d'occupation de Maurice Louis, comme vous l'avez déjà vu, est le premier des 17 permis déposés les uns à la suite des autres et se rapportant tous à la région de Conne, n'est-ce pas?

R. Oui.

Q. D'accord. Et maintenant, encore une fois d'après votre expérience et vos connaissances acquises en travaillant au bureau d'enregistrement des terres de la Couronne, que signifie le fait que le document 360 a été placé avec ces permis d'occupation?

R. Tout ce que je peux voir, c'est ceci : en trouvant ce plan ou croquis dans le volume des concessions spéciales, une autre personne du bureau d'enregistrement s'est rendu compte que ce document n'allait pas là, qu'il devait aller avec les permis d'occupation, et elle l'a reclassé en conséquence et a écrit la note.

[148] M. Boggan a ensuite dit que, s'il avait trouvé le document 360 dans le volume des concessions spéciales, il pense qu'il se serait reporté aux permis, en supposant qu'il ait été au courant qu'il y avait des permis d'occupation. Plus précisément, il a dit :

[TRADUCTION]

Assurément, je m'y serais alors reporté et j'aurais fait ce lien, puisque rien d'autre ne figurait dans le volume, c'est-à-dire dans le volume I des concessions spéciales. Ce croquis est le seul qui ait été déposé sans rien d'autre dans le volume I des concessions spéciales; il fait référence à Conne Arm, soit, à ma connaissance, Conne River, et j'aurais certainement éclairci les choses dans le volume comme on l'a fait par une annotation [...] Je pense que j'aurais changé ce document de place.

Rapport supplémentaire et témoignage additionnel de M. Cuff, témoin de l'appelant

[149] Après la conclusion de la preuve des deux parties, M. Cuff, l'expert en histoire de l'appelant, a découvert d'autres éléments de preuve et, avec le consentement de l'avocat de l'intimée, la présentation de ces éléments de preuve a été autorisée. Pour l'essentiel, M. Cuff avait découvert un plan qui, pouvait-on conclure, avait été établi soit directement par l'arpenteur de la commission géologique James P. Howley en 1883, soit à partir de levés de terrain que ce dernier avait effectués cette année-là. Ce plan indique qu'il y a une « réserve indienne » et des « Indiens » dans le village de Great Codroy. M. Cuff a dit que l'on présume que, très peu de temps après 1883, les Micmacs ont en grande partie abandonné ce village.

[150] M. Cuff a ensuite fait référence à un plan ou levé cantonal de 1899 montrant un secteur situé au nord de la baie de Freshwater, à proximité de la baie de Bonavista. Ce plan fait état d'une « réserve indienne » sous deux formes d'écriture. Les termes « réserve indienne » ont été biffés, et l'on a ajouté une note disant « Terre de la Couronne [...] et terre de la Couronne non concédée » . Dans son rapport, M. Cuff disait :

[TRADUCTION]

J'affirme que, malgré la disparition subséquente des bandes et des villages de la baie de Codroy et de Middle Brook, les plans de la vallée de Codroy et de Gambo-Middle Brook utilisent de façon significative les termes « réserve indienne » . C'était avant les événements de 1900, et ces plans démontrent que les arpenteurs des terres de la Couronne connaissaient bien la notion de réserve indienne, qui incluait :

1.          Des terres dans lesquelles les Micmacs avaient des intérêts historiques [...] (Middle Brook ayant aussi été le site d'un village micmac historique).

2.          Des terres reconnues comme étant détenues par les Micmacs d'une manière différente - mais reconnue - de la manière dont des terres étaient détenues par des colons de descendance européenne.

3.          Des terres qui étaient détenues différemment de terres détenues par des particuliers.

4.          Des terres qui étaient détenues en commun par des bandes micmacs.

5.          Des terres reconnues par des représentants de la Couronne comme ayant été soustraites au processus habituel de concession de terres de la Couronne et comme ayant été mises de côté à l'usage et au profit de bandes micmacs.

[151] M. Cuff a ensuite fait référence à une « demande de Reuben Leuis » comprenant un diagramme établi par l'arpenteur adjoint W. H. Taylor en mars 1907 ainsi que des copies de deux lettres de janvier 1900 et une copie d'une lettre de John E. Lake de mai 1907. La première lettre à M. J. Bernard de Conne River, soit une lettre du ministre de l'Agriculture et des Mines, Thomas C. Duder, disait que ce dernier avait omis dans sa lettre précédente de mentionner que rien ne pouvait être fait concernant les concessions aux Collier, qui, étant des concessions en fief simple, devaient être respectées. M. Cuff a dit que M. Taylor avait une copie de cette lettre fort probablement parce qu'il l'avait eue du chef Reuben Leuis en mars 1907, pendant qu'il était à Conne River pour engager des guides pour qu'ils l'aident dans le cadre de travaux d'arpentage à faire dans la partie sud de l'intérieur de Terre-Neuve relativement à des permis de coupe de bois. La lettre suivante au chef Joe Bernard, en date du 10 janvier 1900, était une lettre de Hugh H. Carter, secrétaire particulier, qui disait :

[TRADUCTION]

Son Excellence le Gouverneur m'a donné pour instructions de vous informer qu'il a demandé au gouvernement de délivrer des actes de concession à l'égard des terres incluses dans la réserve indienne de Conne River plutôt que des permis et qu'il est ainsi au courant que l'on vous a envoyé une lettre disant que cela sera fait, sauf à l'égard de trois lots récemment concédés aux Collier.

[152] M. Cuff interprète ces documents comme indiquant qu'il est probable qu'une question relative à la terre des Micmacs à Conne River s'était posée quand M. Taylor oeuvrait sur le terrain, que le chef Reuben Leuis avait contacté M. Taylor, que M. Taylor ne voyait rien de radical dans le concept de terres réservées à l'usage de la bande et que les 14 familles mentionnées considéraient que le chef Leuis occupait un poste de confiance relativement aux terres des Micmacs à Conne River. M. Cuff a en outre émis l'opinion que les Micmacs étaient encore préoccupés par la présence continue de la scierie de M. Lake en 1907, que M. Taylor n'estimait pas qu'il était probable que la scierie de M. Lake puisse être enlevée et que M. Taylor n'avait pas fait remarquer que George Hoskins ou un autre colon blanc à part M. Lake détenait des intérêts dans les terres qu'il avait arpentées à Conne River.

[153] M. Cuff écrivait ensuite dans son rapport :

[TRADUCTION]

J'affirme en outre que les lettres de janvier 1900 de MM. Duder et Carter étaient une réponse aux plaintes des Micmacs qui avaient été communiquées au gouverneur McCallum en août 1899, probablement par une délégation dirigée par le chef Joe Bernard. La mise au jour de ces lettres promettant en janvier 1900 que des mesures seraient prises par le ministère des Mines et de l'Agriculture étaye également le point de vue de l'appelant selon lequel c'est délibérément que l'on a enregistré la concession spéciale de la « Réserve indienne, Conne River » entre août 1899 et janvier 1900.

[154] Enfin, dans ce rapport supplémentaire, M. Cuff a fait référence à une « réserve indienne » de 14 acres située du côté nord de la baie de Harl, c'est-à-dire à Beachy Cove, site d'un village micmac historique; le plan 406A fait état de plusieurs lopins de terre détenus par certains Micmacs en vertu d'un acte de concession de la Couronne. M. Cuff a dit que, vu l'emplacement et la superficie limitée de cette réserve, il pourrait y avoir deux explications quant à la présence d'une telle réserve dans le plan relatif à la baie de Harl :

[TRADUCTION]

1.          La réserve correspondait à une utilisation communautaire limitée ou saisonnière, pendant l'hiver par l'exemple.

2.          Le lot de 14 acres représente la partie inaliénée d'une réserve antérieure.

La bande de la baie de Harl était plus petite en 1920 et a complètement disparu au cours de la décennie suivante.

[155] Au cours du contre-interrogatoire, M. Cuff a dit que, relativement aux deux plans précités, il n'avait trouvé aucun acte de concession ou autre instrument confirmant l'existence de réserves ou portant création de réserves. Il a dit qu'il ne pensait pas qu'un employé du gouvernement comme un fonctionnaire du bureau d'enregistrement des terres de la Couronne avait le pouvoir de créer une réserve indienne en écrivant simplement sur une carte « réserve indienne » . Il a ensuite convenu avec l'avocat que, « en l'absence de quoi que ce soit d'autre » , le fait que les termes « réserve indienne » étaient écrits sur ces plans ne donnait pas lieu à la création d'une réserve.

[156] M. Cuff a également dit :

[TRADUCTION]

J'ai pris cela comme une indication que les termes « réserve indienne » n'étaient pas utilisés si peu rigoureusement qu'ils seraient dépourvus de sens; il était entendu que, en utilisant les mots « réserve indienne » , on faisait référence à un lot qui était historiquement lié aux Indiens et à l'égard duquel les Indiens avaient un certain droit collectif qui méritait d'être reconnu.

Rapport et témoignage supplémentaires présentés par M. von Gernet, témoin de l'intimée, en réponse aux éléments de preuve présentés par M. Cuff

[157] Le rapport supplémentaire de M. von Gernet est en grande partie reproduit ci-après :

[TRADUCTION]

[...]

Il faut se rappeler que, à l'époque de l'arpentage fait par Alexander Murray en 1869, un non-autochtone appelé Geo. Erskins avait un immeuble sur les terres en question. M. Murray était retourné à Conne River le 11 juillet de l'année suivante, après la réunion du conseil exécutif, et il était vraisemblablement tout à fait au courant des décisions qui avaient alors été prises. À un moment donné, il s'est probablement rendu compte que la situation sur le terrain était plus complexe que ce qu'il avait initialement été amené à croire. Une série de lots contigus individuels pour les Micmacs était impossible, car un non-autochtone avait des intérêts dans au moins une partie des terres. Au lieu de cartographier une réserve indienne, M. Murray a en fait arpenté un lot pour M. George Hoskins, qui, si je ne m'abuse, est la personne que l'on avait appelée Geo. Erskins. Le lot figure sur le plan que l'on s'est mis à appeler dans la présente cause le « plan 360 » . Ce croquis cartographique sur lequel seul le nom de M. Hoskins figure peut à un moment donné avoir été inséré dans le registre des concessions spéciales, mais il a ensuite figuré dans le registre des permis d'occupation de terres de la Couronne. Le lot ne faisait pas partie des 17 permis d'occupation délivrés en 1872 conformément à la loi intitulée Crown Lands Act, 1860 et il a été délibérément omis dans le processus.

L'affaire de la scierie de M. Lake remonte aux années 1900-1901. J'ai constaté que cela se rapportait davantage à l'exploitation forestière qu'à des réserves autochtones. En fait, au lieu de favoriser l'adoption de lois visant à protéger des terres indiennes comme on le faisait couramment ailleurs au Canada, la controverse a, peu de temps après, été suivie d'une loi prévoyant des restrictions en matière de scierie.

Comme je l'ai dit précédemment, j'estime que le plan de Balfour a été établi expressément pour aider à éclaircir la question de l'emplacement des scieries de M. John Lake. Le plan est essentiellement un palimpseste qui remonte à la conception initiale, par M. Murray, de 25 lots configurés de manière à être conformes à la loi intitulée Crown Lands Act. Des noms ont ensuite été inscrits à l'égard de chaque lot, mais seulement 17 permis d'occupation ont été enregistrés. Fait plus important, le dessinateur a dû, à cause d'incertitudes, indiquer deux noms à l'égard de certains lots. Par exemple, à l'égard du lot 6, il est indiqué « George Hoskins ou Noel Jedore » . Et, pour ce qui est du lot 21, on a indiqué à la fois le nom de George Collier et celui de John Benoit[8].

[158] M. von Gernet traitait ensuite des deux lettres décrites par M. Cuff :

[TRADUCTION]

Les nouveaux documents incluent des copies de deux lettres écrites au chef Joseph Bernard à l'époque du plan de Balfour et de l'affaire relative à la scierie de M. Lake. La première lettre, datée du 9 janvier 1900 et signée par Thomas Duder, ministre de l'Agriculture et des Mines, dit :

[TRADUCTION]

Monsieur,

Dans ma lettre d'hier, j'ai omis de mentionner que rien ne peut être fait concernant les concessions aux Collier, qui, étant des concessions en fief simple, doivent être respectées. Vous voudrez bien me faire savoir sur quelles terres faisant l'objet de permis ces concessions sont situées.

La deuxième lettre, datée du jour suivant et signée par Hugh Carter, secrétaire particulier du gouverneur, dit :

[TRADUCTION]

Monsieur,

Son Excellence le Gouverneur m'a donné pour instructions de vous informer qu'il a demandé au gouvernement de délivrer des actes de concession à l'égard des terres incluses dans la réserve indienne de Conne River plutôt que des permis et qu'il est ainsi au courant que l'on vous a envoyé une lettre disant que cela sera fait, sauf à l'égard de trois lots récemment concédés aux Collier [...] ce qui ne peut être annulé.

Il semble ressortir clairement de la preuve que l'erreur de nom « réserve indienne » remonte à cette période et se rapporte à une description d'une série de permis d'occupation. Au début de 1900, les Micmacs de Conne River avaient encore des permis individuels (en principe devenus périmés) plutôt qu'une réserve indienne au sens où on l'entendait normalement ailleurs en Amérique du Nord. Néanmoins, dans une proposition remarquablement semblable à une proposition qui sera faite huit ans plus tard par son successeur, le gouverneur demandait au gouvernement de convertir ces permis en actes de concession.

Le fait est que même la conversion de permis en actes de concession ne pouvait donner lieu à une réserve communautaire. Comme je l'ai souligné tout au long de mon témoignage précédent, la délivrance d'actes de concession en fief simple s'oppose à la raison d'être d'une réserve indienne. Le but général est de soustraire de telles terres au marché libre en en conférant le titre à la Couronne et en faisant ainsi obstacle à la propriété individuelle. Dans ce cas-ci, les terres en question ne s'apparentaient pas à une réserve indienne pour une autre raison : elles incluaient des parcelles à l'égard desquelles des particuliers non autochtones détenaient le titre en fief simple. Les nouveaux documents confirment ce que M. Murray doit avoir constaté 30 ans plus tôt, à savoir qu'un plan relatif à 25 lots contigus pour les Micmacs ne pouvait être réalisé en l'absence d'une loi reconnaissant que les Indiens avaient des droits spéciaux et vu le fait que des non-Micmacs avaient des prétentions aux mêmes terres. En 1900, on ne pouvait rien faire pour annuler les actes de concession délivrés à des non-Micmacs comme M. Collier. Non seulement aucune réserve n'a été créée, mais même la demande du gouverneur visant à ce que les permis soient convertis en actes de concession ne semble pas avoir abouti.

M. von Gernet décrivait ensuite la pétition de 1907 de Reuben Leuis :

[TRADUCTION]

Dans les documents récemment découverts, il y a un document intéressant qui semble être un formulaire à l'intention de pétitionnaires (indiens ou autres) pouvant demander certaines terres à Son Excellence le Gouverneur en conseil. Cette demande de concession de la Couronne n'est pas datée, mais je crois que la preuve circonstancielle permet d'estimer raisonnablement que cette demande remonte à 1907 à peu près. Il s'agit d'une demande de « Reuben Leuis » se rapportant à une terre de 363 acres située à Conne River. Curieusement, le formulaire n'a pas été rempli au complet, c'est-à-dire que la plupart des sections et colonnes en blanc pertinentes n'ont pas été remplies, y compris là où il est dit « Approbation provisoire » et « Approuvé et notifié » . En outre, quelqu'un a gribouillé les notes suivantes en diagonale (comme lorsqu'on annule un effet de commerce négociable) : « Ne peut être accepté. Voir le plan de la réserve indienne 103. Voir aussi la lettre de M. Lake ci-jointe. »

Une toute nouvelle carte a été trouvée, soit une carte - apparemment liée à la demande - établie en mars 1907 par W. H. Taylor. Cette carte indique les paramètres d'un lopin de terre de 363 acres « arpenté pour R. Leuis, chef indien de Conne River » . On y fait mention de 14 familles indiennes vivant sur la terre en question. Fait intéressant, une note relative à une parcelle de ce lopin de terre dit « À réserver pour J. E. Lake » .

Une lettre du 30 mai 1907 de John Lake a également été conservée, lettre qui dit :

[TRADUCTION]

Monsieur,

Lorsque W. H. Taylor était à Baie-d'Espoir cet hiver, il a mesuré pour des Indiens une terre sur laquelle se trouve une de mes scieries. Cette terre, je l'ai achetée à M. George Ausking [Hoskins], qui l'avait obtenue du gouv. Murray, et qui y a vécu, l'a défrichée et l'a occupée pendant environ 50 ans, avant de me la vendre. Je l'occupe depuis 12 ans et j'ai la convention que m'a remise M. Auskins. Je tiens à vous aviser que je proteste contre l'octroi de cette terre à qui que ce soit, car cette terre m'appartient - tout comme les annexes de la scierie, la maison, le quai et les autres éléments qui y sont situés - y compris une superficie de cinq acres autour des scieries, comme le spécifie le document que m'a remis M. Auskins.

En plus de la demande, de la carte ainsi que de la lettre de M. Lake, les nouveaux documents incluent plusieurs feuilles détachées provenant de ce qui semble être un carnet de terrain. Une partie du contenu de ces feuilles semble se rapporter à l'arpentage fait par M. Taylor en mars 1907, de sorte qu'il est possible que ces pages proviennent des notes de terrain originales de M. Taylor et que cela est peut-être même probable.

Dans l'ensemble, les documents ajoutent des éléments importants au puzzle. Premièrement, l'existence de cette demande de 1907 est en soi une autre preuve qu'une réserve indienne n'avait pas encore été créée. Après tout, pourquoi le chef aurait-il demandé des terres, par voie de pétition, s'il avait généralement été admis que son peuple avait déjà une réserve?

Deuxièmement, ce qui frappe immédiatement, c'est que la demande semble inclure les lots du plan de Balfour 1 à 7 inclusivement, ainsi que des territoires supplémentaires au sud, mais ne traite pas des lots 8 à 25 inclusivement. Encore là, si le plan de Balfour devait réellement représenter une réserve indienne coloniale, comment expliquer ce qui s'est produit en 1907?

Troisièmement, il semble clair que la demande a été rejetée. Quoiqu'il puisse y avoir d'autres raisons, celles qui sont citées ont du sens en soi. Si je ne m'abuse, le « plan de la réserve indienne 103 » est le plan de Balfour, soit la seule carte connue comme carte de cette époque faisant à la fois mention d'une « réserve indienne » et du numéro 103. Un fonctionnaire compétent qui aurait comparé la demande et le plan de Balfour se serait probablement posé de sérieuses questions. Entre autres choses, une partie des terres demandées avait déjà été divisée en sept lots se rapportant à certains particuliers plutôt qu'à un groupe de quatorze familles. Seulement un lot (le no 3) était indiqué comme étant un lot « commun » . Paradoxalement, Reuben Louis, le pétitionnaire lui-même, était associé à un lot (le no 25) qui était bien en dehors des terres demandées. Et il y avait aussi l'incertitude quant à savoir si le lot 6 était un lot de George Hoskins ou de Noel Jeddore.

Manifestement, la demande de M. Leuis a été rejetée aussi à cause de la lettre de M. Lake révélant une chose étonnante, soit le lien avec M. Hoskins. D'après M. Lake, M. Hoskins avait défriché et occupé les terres en question et y avait vécu pendant une très longue période. L'estimation d'un demi-siècle de M. Lake peut être exagérée, mais nous savons bel et bien, grâce à des preuves indépendantes, que M. Hoskins avait déjà un immeuble à cet endroit durant la visite de 1869 de M. Murray et que ce dernier a arpenté un lot pour M. Hoskins l'année suivante. Quoi qu'il en soit, en 1895, M. Lake a apparemment acheté une terre à M. Hoskins - opération dont faisait foi un acte aujourd'hui disparu. Dans le plan de Balfour, M. Hoskins est associé au lot 6, et la scierie de M. Lake se trouve dans la partie riveraine du lot adjacent, soit le lot 7. Par ailleurs, une note figurant sur la carte de M. Taylor indique que la terre à réserver pour M. Lake couvre les parties nord des lots 6 et 7. Quelles que soient les limites exactes des terres achetées, la lettre du 30 mai indique que M. Lake avait construit bien des choses à part une scierie au bord de l'eau. M. Lake parle d'annexes, d'une maison et d'un quai, de même que d'une superficie de cinq acres. Un non-autochtone a occupé les terres en question pendant une période d'au moins 38 ans, et il y a eu des opérations foncières entre de simples particuliers. Ces deux faits ne sont aucunement compatibles avec le concept de réserve indienne.

Au cours de ma déposition orale, j'ai fait remarquer que le gouverneur MacGregor estimait en 1908 que les intérêts fonciers des Micmacs de Conne River prenaient la forme de permis d'occupation. Le gouverneur a rédigé son rapport en se fondant sur le plan de Balfour (ce qui l'a probablement influencé quant à l'utilisation du terme « réserve » ), mais il n'a signalé nulle part qu'une réserve indienne spéciale avait été créée par le gouvernement de la colonie. Au lieu de cela, il a simplement fait remarquer que, quoique les conditions des permis d'occupation n'aient pas été remplies, le gouvernement de Terre-Neuve accepterait à titre gracieux de concéder des terres, pourvu que les Micmacs en fassent la demande. Cela indique que les événements de 1900 et de 1907, comme en font foi les nouveaux documents, n'ont rien changé au statut des terres en question.

Historiquement, le concept de réserve indienne a été créé précisément pour régler la plupart des problèmes d'empiétement de la part de non-Indiens. À mon avis, les faits suivants démontrent amplement que les terres en question ne constituaient pas une réserve avant 1987 : l'absence de distinctions législatives entre les Indiens et les non-Indiens, l'occupation et la vente de parcelles par des non-autochtones, ainsi que l'existence de prétentions foncières opposées et l'existence d'incertitudes quant à savoir qui avait des droits sur certains lots. Si une réserve coloniale avait existé, ces situations ne se seraient pas posées. Les nouveaux éléments de preuve ne font que renforcer ce point de vue et ne contiennent rien qui me fasse changer mes opinions initiales.

[159] Voici de larges extraits de ce que M. von Gernet a répondu au rapport supplémentaire de M. Cuff sur « la réserve coloniale de Conne River » .

Concernant l'existence d'une « réserve indienne » à Codroy ainsi qu'à Gambo-Middle Brook, M. von Gernet écrivait :

[TRADUCTION]

[...]

En plus des nouveaux documents dont j'ai traité dans mon propre rapport supplémentaire, M. Cuff présente « d'autres nouvelles preuves fortes mises au jour au cours de la tentative pour établir le contexte historique » de la demande de 1907 de Reuben Leuis. Ces documents, qui concernent différentes époques, différents endroits et différentes questions, n'aident guère à faire la lumière sur la demande importante que M. Cuff avait précédemment découverte. En fait, certains des documents n'ont rien à voir avec une demande de concession de terres de la Couronne et se rapportent davantage à une question dont j'ai traité pendant la première phase du procès, soit la signification des termes « réserve indienne » .

Le premier document est un plan de la vallée de Codroy qui est divisé en lots numérotés. Certains lots sont associés à certains particuliers (par exemple, le lot 26 est associé à Donald Gillis), tandis que d'autres lots sont associés à plusieurs personnes liées (par exemple, le lot 23 est associé à Thomas, John et Michael Downey). Dans d'autres cas, plusieurs personnes liées ont des lots distincts mais contigus (par exemple, John, Paul et Mary Hall ont les lots 15, 16 et 17 respectivement). On trouve les termes « Indiens » et « réserve indienne » à l'égard d'un lot (le no 22). Tout ce que l'on peut déduire de cet élément de preuve, c'est qu'un nombre indéterminé d' « Indiens » ont été traités à peu près de la même manière que leurs voisins non autochtones, les Downey, qui se sont eux aussi vu attribuer un lot collectif. Les « Indiens » ne se sont pas vu dans ce cas-ci attribuer des lots individuels comme en avaient reçu les Hall de Codroy ou les Jeddore de Conne River à l'époque de Balfour. En fait, la seule ressemblance importante avec le cas de Conne River tient à l'utilisation des termes « réserve indienne » .

Cette soi-disant « réserve indienne » existait-elle en fait, quoiqu'elle figure sur une carte comme un lot ordinaire, parmi les autres? M. Cuff ne fournit absolument aucune preuve de l'existence d'un décret en conseil ou autre texte officiel portant création d'une telle réserve. À peu près comme dans le cas du plan de Balfour, la carte elle-même ne créait pas une réserve et ne prouvait pas qu'une réserve avait été créée ou le serait.

M. Cuff conclut que ce « plan directeur » ou « plan officiel de Codroy » a été établi soit directement par l'arpenteur de la commission géologique James P. Howley, soit à partir de levés de terrain que M. Howley avait effectués en 1883. Vu l'expérience acquise par M. Howley dans la vallée de Codroy, cela semble assurément plausible. [...]

[...]

Si le plan de la vallée de Codroy a en fait été dressé au moment de l'arpentage de M. Howley ou peu après, il représente un effort fait par un représentant du gouvernement pour mettre de l'ordre dans le système d'établissement sur les terres, empêcher les chevauchements de prétentions et ouvrir la voie à des concessions de la Couronne sanctionnées officiellement. C'était une belle occasion de proposer des mesures spéciales de protection pour les habitants indiens. Pourtant, dans le journal par ailleurs détaillé de M. Howley concernant l'arpentage de Codroy, rien n'indique qu'une réserve indienne était envisagée et que les Indiens seraient traités différemment des non-Indiens. En fait, les Micmacs ne sont guère mentionnés, et il faut présumer qu'ils devaient composer avec la même réalité que leurs voisins, c'est-à-dire que, soit ils acceptaient la procédure établie, soit leur demande de concession de terres de la Couronne ne serait pas prise en compte.

Rien n'indique non plus que le lot 22 a été reconnu comme réserve indienne après que l'on eut arpenté et cartographié la région. Au contraire, cette parcelle a apparemment été par la suite divisée, puis octroyée à des familles d'agriculteurs en vertu d'un acte de concession de terres de la Couronne. M. Cuff présente une copie de l'acte de 1895 concédant à James George une partie des terres en question. Comme je l'ai souvent répété, la possession de terres en fief simple, par des Indiens ou des non-Indiens, s'oppose à la raison d'être d'une réserve indienne. Si le lot 22 avait en fait été une réserve indienne, un agriculteur non autochtone n'aurait pu s'en voir attribuer une partie qu'après un transfert des terres à la Couronne, par voie d'acte de cession. Aucun acte semblable n'a été présenté. Le cas de Codroy étaye également le point de vue voulant que, à Terre-Neuve, les termes « réserve indienne » aient été utilisés peu rigoureusement et appliqués à des lopins de terre qui, à y regarder de plus près, n'étaient pas des réserves indiennes au sens ordinaire de ces termes. Le fait d'appeler un lopin de terre une réserve indienne, en soi, ne lui confère pas ce statut.

Le rapport supplémentaire de M. Cuff fait en outre état d'un plan ou levé cantonal de Gambo-Middle Brook qui remonte à 1899 et dans lequel sont utilisés les termes « réserve indienne » . Encore là, on n'a présenté aucune preuve établissant l'existence d'une telle réserve. Cela n'a rien à voir non plus avec la demande de concession de terres de la Couronne à Conne River qui avait été faite par M. Leuis. M. Cuff se sert de cette carte, ainsi que du plan de Codroy, pour faire valoir que ces plans sont significatifs du point de vue de l'utilisation des termes « réserve indienne » avant les événements de 1900, en ce qu'ils démontrent que les arpenteurs des terres de la Couronne connaissaient bien le concept de réserve indienne.

Personne n'a jamais prétendu que tous les arpenteurs des terres de la Couronne connaissaient mal le concept de réserve indienne. Comme l'indique la déposition orale que j'ai faite pendant la première phase du procès, le mentor et patron de M. Howley, Alexander Murray, avait acquis beaucoup d'expérience dans le Bas-Canada et le Haut-Canada et il y avait presque certainement acquis au cours de son travail une assez bonne connaissance de la manière dont des réserves indiennes étaient établies, arpentées et protégées. Il est donc d'autant plus étonnant que le système de réserves indiennes n'ait pas fait partie de sa recommandation visant à ce que l'on adapte le modèle canadien de tenure aux besoins de Terre-Neuve. Quoi qu'il en soit, la question est de savoir non pas si les arpenteurs des terres de la Couronne connaissaient bien le concept, mais si le concept était une réalité sur le territoire de Terre-Neuve.

Comme je l'ai fait remarquer dans mon premier rapport, la loi intitulée Crown Lands Act permettait au gouvernement de mettre des terres « en réserve » ou de côté pour construire des palais de justice, des marchés, des églises, des chapelles, des écoles et même des tourbières pour fournir de l'engrais destiné à servir de combustible, mais cette loi ne faisait nullement mention des Indiens. Elle permettait en outre au gouverneur en conseil de délivrer des permis d'occupation et de concéder des terres en fief simple, encore là sans aucune disposition spéciale pour les Indiens. En fait, pour ce qui était des terres, la loi ne reconnaissait aucune distinction entre les Micmacs et les autres Terre-Neuviens, de sorte qu'il était pratiquement impossible de protéger des terres indiennes, car, une fois obtenues des terres en fief simple, rien n'empêche la conclusion d'opérations foncières sur le marché libre. L'inscription des termes « réserve indienne » sur une carte ne change rien à ce fait saillant.

M. Cuff affirme que les plans de la vallée de Codroy et de Gambo-Middle Brook démontrent de quelque manière que le concept de « réserve indienne » tel que l'entendaient les arpenteurs des terres de la Couronne incluait ce qui suit :

1.          Des terres dans lesquelles les Micmacs avaient des intérêts historiques [...]

2.          Des terres reconnues comme étant détenues par les Micmacs d'une manière différente - mais reconnue - de la manière dont des terres étaient détenues par des colons de descendance européenne.

3.          Des terres qui étaient détenues différemment de terres détenues par des particuliers.

4.          Des terres qui étaient détenues en commun par des bandes micmacs.

5.          Des terres reconnues par des représentants de la Couronne comme ayant été soustraites au processus habituel de concession de terres de la Couronne et comme ayant été mises de côté à l'usage et au profit de bandes micmacs.

Cette affirmation est problématique. À mon avis, les cartes de Codroy et de Gambo-Middle Brook ne démontrent pas en soi que le concept de « réserve indienne » incluait une reconnaissance que les terres de Micmacs et les terres de non-autochtones n'étaient pas « détenues » de la même manière. En fait, quoique les cartes indiquent bel et bien qu'il y avait des « Indiens » dans la région, soit des personnes autres que des colons non autochtones, elles ne révèlent guère de ressemblances ou de différences quant au caractère de la détention ou tenure. Il n'y a absolument aucune preuve qu'un intérêt indien dans ces terres était envisagé d'une manière autre que dans le cadre habituel des permis d'occupation ou des concessions en fief simple. Il est à noter que, si le caractère communautaire de la tenure ainsi qu'un écart par rapport au « processus habituel de concession de terres de la Couronne » étaient en fait des caractéristiques distinctives d'une conception particulière des arpenteurs des terres de la Couronne de Terre-Neuve quant à savoir ce qu'était une réserve indienne, on peut difficilement dire que c'est à cela que correspondait Conne River vu ses permis d'occupation et vu le fait que des lots y étaient attribués à des particuliers et qu'une demande de concession de terres communautaires avait été rejetée. Paradoxalement, quand on prend les cartes au pied de la lettre, il se révèle que les terres accordées aux Downey de Codroy ont un aspect plus communautaire que les terres accordées aux Jeddore de Conne River.

Puis M. Cuff aborde les nouveaux documents dont j'ai déjà traité dans mon rapport supplémentaire. Dans ce cas-ci, du moins pour ce qui est de la plupart des questions, nous sommes du même avis. Une exception digne d'être mentionnée concerne la conclusion selon laquelle la mise au jour des lettres de MM. Duder et Carter « étaye également le point de vue de l'appelant selon lequel c'est délibérément que l'on a enregistré la concession spéciale de la « Réserve indienne, Conne River » entre août 1899 et janvier 1900. » Si je ne m'abuse, l'appelant a d'abord soutenu au cours du procès qu'une réserve indienne avait été créée à Conne River au début des années 1870, puis il a adopté une nouvelle théorie selon laquelle une réserve indienne avait été établie par voie de concession spéciale à la fin de 1899 ou au début de 1900. On soutient maintenant que ce point de vue, qui à mon avis défie le principe de parcimonie, également appelé rasoir d'Occam, est étayé par de la correspondance, récemment découverte, entre des représentants du gouvernement et le chef Bernard. Mais est-ce le cas?

La lettre de M. Duder ne fait que confirmer qu'une réserve comprenant 25 lots contigus était impossible parce que rien ne pouvait être fait pour annuler les actes concédant des terres en fief simple à un colon non micmac. La lettre de M. Carter révèle simplement que le gouverneur avait demandé au gouvernement de remplacer les permis d'occupation par des « actes de concession » (au pluriel). Comme je l'ai mentionné dans mon rapport supplémentaire, cela ne donne pas lieu à la création d'une réserve, et même la demande du gouverneur visant à ce que les permis soient convertis en actes de concession ne semble pas avoir abouti.

De plus, il y a deux faits incontestables qui, à mon avis d'expert, se révèlent fatals pour la thèse voulant qu'une réserve indienne ait fait l'objet d'une concession spéciale et ait été établie en 1899-1900. Premièrement, il y a la demande de concession de 1907, qui n'a aucun sens si les Micmacs et les fonctionnaires des terres de la Couronne estimaient qu'une réserve avait déjà été établie. Deuxièmement, il y a ce que le gouverneur MacGregor disait en 1908, à savoir que, quoique les Micmacs ne se soient pas encore conformés aux conditions énoncées dans leurs permis d'occupation, le gouvernement de Terre-Neuve accepterait à titre gracieux de leur concéder des terres, pourvu qu'ils en fassent la demande. Les événements de 1907-1908 indiquent que le gouverneur et les Micmacs s'attendaient à ce que l'on s'occupe de la question de l'intérêt foncier des Micmacs non pas dans le cadre de concessions « spéciales » , mais dans le cadre des demandes que pouvaient faire tous les habitants de Terre-Neuve.

M. Cuff signale que le témoignage de M. Lake pourrait ne pas être digne de foi. Comme les allégations de M. Lake auraient pu facilement être contestées ou corroborées par des personnes vivant dans la région de Baie-d'Espoir, il semble peu probable que M. Lake aurait pris le risque de forger un récit complètement intéressé. Le fait que M. Gisborne dit que M. Hoskins s'est installé à proximité de Ship Cove en 1851 n'est pas pertinent. D'autres éléments de preuve établissent que M. Hoskins avait bel et bien en fait un immeuble sur les terres en question de Conne River en 1869 et que M. Murray a arpenté un lot pour M. Hoskins l'année suivante. À mon avis, cette corroboration complètement indépendante suffit pour indiquer que le témoignage de M. Lake était exact, malgré le fait que M. Lake peut avoir exagéré la durée de la présence de M. Hoskins à Conne River.

Au sujet du plan de Balfour, M. von Gernet écrivait dans son rapport supplémentaire :

[TRADUCTION]

Il semble que le fait que l'intimée considère que le plan de Balfour a été établi à cause de préoccupations relatives à la scierie de M. Lake fasse problème à M. Cuff. Comme je l'ai dit précédemment au cours de mon témoignage, il y a de fortes preuves que le plan de Balfour a été établi pour aider à régler l'affaire de la scierie de M. Lake faisant rage au tournant du siècle. Après tout, non seulement la carte elle-même indique l'emplacement de la scierie de M. Lake, mais elle contient une carte intercalaire comportant une note qui dit « Plan général de la partie supérieure de Baie-d'Espoir indiquant une relation entre la réserve indienne et des scieries exploitées par John E. Lake » . M. Balfour a clairement reconnu que M. Lake avait une scierie sur la soi-disant réserve indienne, quoique, en l'absence d'un levé, la portée de l'intérêt foncier de M. Lake et le fondement de la prétention de M. Lake puissent ne pas avoir été compris.

L'affirmation de M. Cuff selon laquelle la prétention de M. Lake aux cinq acres entourant la scierie peut avoir été examinée et rejetée en 1900 ne tient pas, vu l'examen sérieux dont cette prétention a manifestement fait l'objet sept ans plus tard. En fait, d'autres facteurs peuvent tout aussi facilement invalider l'argument de M. Cuff. Le fait que M. Lake ait exprimé des préoccupations seulement en 1907 - après que ses terres eurent été arpentées relativement à une demande de concession faite par une partie rivale - pourrait indiquer que M. Lake n'estimait pas que des mesures prises à St. John's en 1900 étaient préjudiciables à son intérêt foncier. Si, comme on l'allègue, une concession spéciale avait été accordée aux Indiens en 1899-1900, tout membre de la chambre d'assemblée ayant des intérêts personnels en jeu aurait assurément bien fait connaître son opposition. Il se peut aussi que M. Lake ait en fait formulé des objections verbales (donc, non enregistrées) et que ces objections, ainsi que des prétentions contraires documentées indépendamment par M. Balfour, aient contribué à l'abandon de la proposition qu'avait faite le gouverneur en janvier 1900. Malgré toutes ces incertitudes, il est clair que l'on n'a pas délivré d'actes de concession aux Micmacs et que, des années plus tard, M. Lake considérait encore qu'il était propriétaire d'une partie des terres.

À propos du plan de Beachy Cove, M. von Gernet écrivait :

[TRADUCTION]

Enfin, comme dans le cas des cartes de Codroy et de Gambo-Middle Brook, le plan de Beachy Cove ne nous dit guère plus que ce qui est évident, à savoir que certains lots sont associés à certains Micmacs, tandis qu'un autre lopin de terre est indiqué comme étant une « réserve indienne » . Encore là, rien n'indique dans ce document que les personnes auxquelles se rapportent ces terres ont été traitées différemment de leurs voisins non autochtones et rien ne prouve dans ce document que la soi-disant « réserve indienne » existait en raison d'une concession ou d'une autre forme de tenure.

Les éléments de preuve présentés par M. Cuff ne contiennent rien qui change quoi que ce soit à mes opinions initiales.

OBSERVATIONS DES PARTIES

[160] Les avocats des deux parties ont, sur ordre de la Cour, présenté des observations écrites. Les observations de l'appelant ont été transmises à la Cour et aux avocats de l'intimée. Les observations de l'intimée ont ensuite été transmises à la Cour et à l'avocate de l'appelant; enfin, la réponse de l'appelant a été transmise à la Cour et aux avocats de l'intimée. Puis, après plusieurs mois, chacune des parties, ayant reçu de la Cour l'ordre de formuler des observations succinctes et pertinentes, a présenté des observations verbales à la Cour.

Observations de l'appelant

[161] L'avocate de l'appelant disait que ce dernier, un Micmac, avait toujours été actif au sein de sa bande et de sa communauté en vue d'améliorer le statut économique et culturel de son peuple. Certains de ses ancêtres ont été chefs des Micmacs de Terre-Neuve. L'avocate a décrit l'appelant comme étant, dans sa communauté et sa bande, un ancien et un leader traditionnel très expérimenté. Elle a dit :

[TRADUCTION]

La bande Miawpukek se trouve à Conne River (Terre-Neuve), sur des terres qui sont détenues au nom de Sa Majesté la Reine du chef de Terre-Neuve et qui avaient été mises de côté par Sa Majesté en 1870 comme étant l'établissement indien de Conne River. À l'époque, les Micmacs et les fonctionnaires de la colonie qualifiaient fréquemment de « réserve » le site du village indien de Conne River.

[162] L'avocate a ensuite fait référence au décret en conseil de 1987 reconnaissant des terres situées à Conne River comme étant des terres réservées aux fins de la Loi sur les Indiens et comme étant officiellement connues sous le nom de réserve Miawpukek.

Histoire orale

[163] L'avocate de l'appelant a déclaré que la Cour suprême du Canada a déterminé que, dans la formulation et l'application des règles de preuve, il est essentiel de bien prendre en compte la perspective de la Première nation et l'histoire orale que les membres de celle-ci présentent. Elle a fait valoir qu'il est essentiel d'accorder autant de poids à la preuve des autochtones qu'à la preuve documentaire des Européens[9]. Elle disait qu'une preuve écrite ne devrait pas automatiquement être considérée comme ayant plus de poids que la preuve d'autochtones présentée d'une manière conforme aux coutumes et traditions de ces autochtones. Elle a déclaré que cela est étayé par les arrêts suivants : R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, aux par. 49 et 50, R. c. Simon, [1988] R.C.S. 171, au paragraphe 04[10], et Delgamuukw c. C.-B., [1997] 3 R.C.S. 1010[11].

[164] Elle a parlé de la nécessité d'admettre des preuves orales, citant à cet égard l'arrêt R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043 ((1996) 111 C.C.C. (3d) 129), aux paragraphes 66 à 68 et 71, ainsi que M. Asch et C. L., Definition and interpretation of fact in Canadian Aboriginal Title Litigation and An Analysis of Delgamuukw, dans (1994) 19 Queen's L.J. 503, aux pages 531 à 543.

[165] L'avocate a également dit qu'une histoire orale doit être considérée comme fiable dans la mesure où la déclaration a été faite dans des circonstances analogues à ce qu'il en est dans le cas de déclarations sous serment et pourvu qu'elle ait été faite ou transmise dans un cadre ou lors d'une cérémonie qui, conformément aux lois et coutumes des Premières nations, représente une occasion solennelle où une valeur spéciale est accordée à la véracité et à l'exactitude de la déclaration. L'avocate a renvoyé à l'arrêt Van der Peet, précité. Elle a en outre allégué que la preuve présentée par l'appelant et le chef Misel Joe :

[TRADUCTION]

[...] est digne d'être considérée comme fiable, plausible et exacte.

Création de réserves

[166] Au sujet de la création de réserves, l'avocate a dit que, dans l'arrêt St. Catherine's Milling and Lumber Company v. The Queen, (1888) 14 A.C. 46, le Conseil privé a statué que les termes « terres réservées aux Indiens » doivent être interprétés selon leur sens naturel et qu'ils sont « suffisants pour englober toutes les terres qui sont réservées, à quelque condition que ce soit, pour être occupées par les Indiens. »

[167] L'avocate a également fait référence à l'affaire Ontario Mining Company v. Seybold, [1903] A.C. 73, dans laquelle la partie appelante réclamait, en vertu de lettres patentes émises par le Canada, des terres qui avaient été incluses dans un territoire précédemment cédé par les Indiens en 1873 en vertu du traité no 3. L'avocate disait que, en vertu de ce traité, le Canada s'était engagé à mettre de côté des réserves pour les Indiens et que les terres en litige étaient incluses dans la réserve, soit une réserve dont la sélection n'avait pas été confirmée par un décret en conseil. L'avocate disait que la preuve établissait que les terres en litige appartenaient à la province d'Ontario. Elle a ensuite dit que tous les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada et le Conseil privé, avaient admis que la sélection des terres par les représentants du gouvernement fédéral, après consultation des Indiens, aurait eu pour effet d'établir une réserve n'eût été l'intérêt propriétal de la province. Puis l'avocate a dit :

[TRADUCTION]

En d'autres termes, la création de fait d'une réserve aurait été suffisante, malgré l'absence d'un décret en conseil ou d'un autre texte officiel.

[168] L'avocate a renvoyé à l'affaire Ross River Dena Band v. Canada, [1998] Y.J. no 63 (Cour suprême du Yukon), concernant l'établissement d'une réserve au Yukon sans décret en conseil. Elle a fait référence à la décision de la section de première instance, mais n'a pas traité du jugement de la Cour d'appel du Yukon infirmant la décision de la section de première instance.

[169] L'avocate a dit au sujet de l'arpenteur de la commission géologique Alexander Murray que, en 1864, il était venu du Canada et que, en 1869 :

[TRADUCTION]

[...] de sa propre initiative ou à la demande des Micmacs, il avait choisi une parcelle et en avait fait un levé préliminaire. C'est au terme de ce rendez-vous historique que Conne River devait être mise de côté à l'usage et au profit des Micmacs et que le village de ces derniers devait devenir un lieu protégé.

[170] Elle a dit que, à la suite du levé préliminaire qu'il avait effectué en réponse à la « revendication territoriale des habitants indiens de Conne River » , il avait présenté une demande au gouverneur pour qu'une terre soit concédée aux Indiens de Conne River, Baie-d'Espoir. Elle a également dit que le conseil exécutif de la colonie avait convenu en 1870 de prendre des mesures à cet égard, puis elle a traité de la délivrance, en 1872, de 17 permis d'occupation correspondant à la plupart des terres faisant partie de la parcelle initialement délimitée par M. Murray. Elle a dit :

[TRADUCTION]

Il est à noter que, malgré le fait que des colons de descendance européenne vivaient à Baie-d'Espoir en 1872, aucun titre de propriété n'a été délivré à ces colons avant 1896.

[171] Elle a ensuite déclaré que les Micmacs considéraient que ces permis en tant que tels avaient peu d'importance :

[TRADUCTION]

[...] mais comportaient l'idée selon laquelle cette parcelle définie ainsi que l'occupation historique de celle-ci par les Micmacs indiquaient que le concept communautaire micmac de propriété et d'utilisation de cette terre était accepté par les autorités de la colonie [...]

[172] L'avocate a ensuite renvoyé au rapport de M. Camp, qui parlait de l' « établissement indien » de Conne River et qui traitait du fait que quelqu'un avait dit aux Micmacs qu'ils avaient un droit exclusif à l'égard de terres et d'étendues d'eau à Conne. Elle a ensuite cité l'extrait suivant de ce rapport :

[TRADUCTION]

[...] en fait ils ont un permis pour détenir la partie sud de Conne, soit une étendue d'environ deux milles et quart de longueur et de trente-trois chaînes de profondeur, de sorte que les colons ou les autochtones n'ont pas le droit de couper des arbres pour la construction ou le chauffage [...]

[173] L'avocate a ensuite parlé des ouvertures faites au gouverneur sir Henry McCallum (le « gouverneur McCallum » ) et au premier ministre sir James S. Winter par les Micmacs, qui :

[TRADUCTION]

[...] se sont plaints de ce que M. Lake avait une scierie sur ce qu'ils considéraient comme étant leur réserve.

Plan 360 / concession spéciale et plan de Balfour

[174] L'avocate soutenait que ces ouvertures faites au gouverneur par les Micmacs avaient marqué le point de départ d'une série d'événements ayant donné lieu à l'envoi de lettres au chef Joseph Bernard de Conne River en janvier 1900 par Thomas Duder, ministre de l'Agriculture et des Mines, et Hugh Carter, secrétaire du gouverneur McCallum, soit des lettres indiquant que le ministère de l'Agriculture et des Mines se pencherait sur les préoccupations des Micmacs. Elle a en outre déclaré qu'une concession spéciale de la « réserve indienne, Conne River » et le plan de Balfour, qui remontent dans les deux cas « à 1899 ou 1900 selon des preuves internes » , indiquent qu'un tel engagement a été suivi de mesures prises par des représentants du ministère de l'Agriculture et des Mines. L'avocate a ensuite parlé de l'inscription - dans l'index du volume I du registre des concessions spéciales de terres de la Couronne - qui disait « Réserve indienne d'Arm » et qui a été modifiée pour se lire « Réserve indienne, Conne River » , laquelle inscription indiquait qu'un plan qui figure maintenant dans le volume I des permis d'occupation, vis-à-vis d'un permis de 1872 délivré à Maurice Lewis, avait déjà été enregistré comme « concession spéciale » . Elle a déclaré que ce plan fait état d'une frontière périmétrique qui correspond à ce qu'indique la tradition micmac concernant les frontières des terres micmacs arpentées et recensées à Conne River et qui correspond aussi à ce qu'indique le levé ébauché par M. Murray en 1869. Elle a en outre déclaré que cela ne semblait pas être en litige. Ce plan avait été placé dans le volume I des concessions spéciales entre août 1899 et janvier 1900.

[175] Au sujet du plan de Balfour, l'avocate a fait valoir que :

[TRADUCTION]

[...] l'on peut également en fixer la date à 1899 ou 1900, soit une date moins précise.

C'est mettre à rude épreuve la crédulité, ainsi que la prépondérance de la preuve historique, que de nier que ce document représentait également une réponse aux ouvertures que les Micmacs avaient faites au gouverneur McCallum en 1899 concernant :

« ce qu'ils considéraient comme étant leur réserve » .

[176] Elle a dit que ce plan de Francis H. Balfour, l'arpenteur qui avait acquis 20 ans d'expérience au ministère de l'Agriculture et des Mines, indiquait qu'un lot situé du côté sud de Conne River était considéré comme une « réserve indienne » et comme un « établissement indien » . Elle soutenait que le plan de Balfour ne correspondait pas au levé de M. Murray ni aux permis d'occupation de 1872, seulement 17 permis ayant été délivrés. L'avocate a ensuite dit que les ouvertures faites par les Micmacs au gouverneur McCallum, les deux lettres au chef Joseph Bernard qui ont été conservées et la concession spéciale no 360 représentent des événements si rapprochés :

[TRADUCTION]

[...] qu'il semble que le plan de Balfour s'inscrive dans le cadre d'une déclaration d'intention de reconnaître officiellement l'intérêt micmac existant dans un lot défini, situé du côté sud de Conne River.

[177] L'avocate a ensuite renvoyé à la preuve orale présentée par l'appelant et faisant état de l'utilisation des termes « réserve » et « terre indienne » , à l'appui de l'affirmation selon laquelle une réserve coloniale avait été créée à Conne River. Elle a dit en outre que le chef Misel Joe avait une « connaissance traditionnelle de l'emplacement des frontières » et que les autochtones et les non-autochtones savaient où se trouvaient ces frontières.

[178] L'avocate a ensuite dit que, au tournant du siècle, Conne River avait été mentionnée comme étant une « réserve indienne » par le ministre de l'Agriculture et des Mines, M. Dawe, en 1900, qu'elle avait été mentionnée comme étant un « territoire indien » et « une terre indienne réservée » par l'aide géomètre H. J. Hadden, en 1902, et qu'elle avait été mentionnée comme étant une « réserve indienne » par l'arpenteur adjoint W. H. Taylor, en 1907, soit toutes des mentions faites dans des contextes différents, y compris deux demandes de permis de coupe de bois et un acte de concession de terres de la Couronne. Elle a ensuite dit que, dans chaque cas, des représentants du ministère de l'Agriculture et des Mines avaient jugé opportun d'indiquer - erronément dans le cas de M. Hadden - que les terres en question n'empiétaient pas sur les terres qui avaient été réservées pour les Micmacs. Elle a dit que Conne River avait un statut spécial reconnu dans la collectivité en général, comme l'indiquent notamment les propos suivants de l'archevêque M. F. Howley (1913), qui disait au sujet des Micmacs :

[TRADUCTION]

[...] ils ont une réserve du gouvernement.

L'avocate a ensuite dit que le compte rendu des mesures prises par les Micmacs et par des représentants du gouvernement étaye l'affirmation selon laquelle des terres avaient été mises de côté à Conne River à l'usage et au profit des Micmacs.

[179] L'avocate de l'appelant a ensuite parlé de l'existence d'autres « réserves indiennes » dans la vallée de Codroy, à Gambo-Middle Brook et dans la baie de Halls.

[180] L'avocate a affirmé que le procès-verbal de 1870 du conseil exécutif est une décision du conseil exécutif et que cette décision ne peut, dans le contexte de son cadre temporel et spatial, être distinguée d'un décret en conseil. Elle a fait référence d'une manière générale au témoignage de M. Cuff à l'appui de cette affirmation et elle a en outre renvoyé à des extraits, présentés par l'avocat de l'intimée, de l'ouvrage de Dawson intitulé The Government of Canada, sixième édition, soit plus particulièrement au paragraphe 4 de la page 224, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

4.          Faisant fonction de gouverneur en conseil, le cabinet édicte des règles représentant une législation par délégation, et ce, en vertu de l'autorité qui lui est déléguée par des lois du Parlement canadien. Il rend ainsi des décisions ou des décrets en conseil, la distinction entre les deux étant en grande partie une distinction formelle qui ne tire apparemment guère à conséquence. L'objet de cette législation par délégation peut être de simples questions de routine ministérielle ou des questions extrêmement importantes et lourdes de conséquences; il peut s'agir simplement d'approuver un contrat ou de modifier un règlement d'importance mineure ou il peut s'agir d'établir un système national de contrôle des prix en temps de guerre.

[181] L'avocate a ensuite fait valoir que, en l'absence d'un acte officiel, la Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, qu'il faut examiner la nature juridique d'un document enregistrant une opération conclue avec des Indiens. Elle a dit que, en particulier, il faut prendre en compte le contexte historique ainsi que l'idée que chacune des parties peut se faire de la nature de l'engagement indiqué dans le document considéré.

[182] La position de l'avocate de l'appelant était qu'un lopin de terre avait été mis de côté à l'usage et au profit des Micmacs. Elle a dit que, comme M. von Gernet l'avait « souligné » , des réserves ont été créées de bien des manières et sont maintenant reconnues au Canada. Elle a ensuite déclaré :

[TRADUCTION]

Nous voulons dire que le fait que les conditions de l'union ont été conclues en 1949 n'influe pas vraiment sur l'applicabilité de la Loi sur les Indiens à la terre en question, car on avait quand même une responsabilité à l'égard des Indiens en vertu de la législation fédérale, c'est-à-dire aux termes du paragraphe 91(24) de la loi constitutionnelle [...]

[183] Cette disposition législative se lit comme suit :

91         Autorité législative du parlement du Canada - Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :

[...]

(24)       Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.

Réserve spéciale

[184] L'avocate a ensuite renvoyé à l'article 36 de la Loi sur les Indiens, faisant valoir à titre subsidiaire que, si la Cour conclut que la réserve de 1870 n'était pas une « réserve » au sens de la définition de ce terme figurant dans la Loi sur les Indiens, l'article 36 de la Loi sur les Indiens s'applique. Cet article se lit comme suit :


La présente loi s'applique aux terres qui ont été mises de côté à l'usage et au profit d'une bande et qui n'appartiennent pas à Sa Majesté comme si elles étaient une réserve, au sens de la présente loi.

Observations de l'intimée

[185] L'avocat de l'intimée, Me Terrence Joyce, a fait valoir que l'utilisation du mot « réserve » ne donne pas lieu à une réserve indienne.

[186] Il convenait avec l'avocate de l'appelant que le procès-verbal de 1870 du conseil exécutif était une décision qui avait le même poids qu'un décret en conseil. Il disait toutefois que, par cette décision, le conseil avait non pas créé une réserve, mais simplement déféré la question à l'arpenteur général. Il disait que, à l'époque de cette décision, Terre-Neuve était encore une colonie britannique et qu'aucune loi coloniale ne prévoyait la création d'une réserve indienne.

[187] L'avocat soutenait en outre que le critère à appliquer consistait à déterminer s'il y avait une réserve indienne à Conne River le 4 septembre 1951, date à laquelle la Loi sur les Indiens est devenue applicable à Terre-Neuve.

[188] L'avocat a ensuite fait référence à l'arrêt Delgamuukw, précité, aux pages 1116 et 1117. Il a en outre renvoyé au jugement rendu par le Conseil privé dans l'affaire St. Catherine's Milling. Il a dit que l'une des questions en litige dans ce pourvoi concernait le pouvoir du gouvernement fédéral d'accepter la cession de terres détenues en vertu d'un titre aborigène. On arguait que le gouvernement fédéral avait tout au plus compétence sur les « réserves indiennes » . À ce sujet, l'arrêt Delgamuukw rapporte que :

S'exprimant au nom du Conseil privé, Lord Watson a rejeté cet argument, déclarant que si le législateur avait voulu limiter le par. 91(24) de cette façon, il l'aurait dit en termes exprès.

[189] Lord Watson a donc statué ainsi (à la p. 59) :

[TRADUCTION]

[...] les mots employés dans les faits sont, d'après leur sens naturel, suffisants pour englober toutes les terres qui sont réservées, à quelque condition que ce soit, pour être occupées par les Indiens.

[190] L'avocat a ensuite dit que l'expression « toutes les terres » utilisée par lord Watson englobe non seulement les terres des réserves, mais aussi les terres détenues en vertu d'un titre aborigène. Il a ajouté que, en d'autres termes, le paragraphe 91(24) accorde le pouvoir de légiférer relativement au titre aborigène.

[191] L'avocat soutenait qu'une terre détenue par les Indiens selon un titre aborigène était différente d'une réserve ou d'une terre détenue en fief simple. Il faisait valoir que l'idée maîtresse des arrêts Delgamuukw et St. Catherine's Milling était que, en vertu du paragraphe 91(24), la compétence fédérale déborde le cadre des réserves prévues dans la Loi sur les Indiens et s'applique à tout genre de titre aborigène, qu'il s'agisse d'un droit de pêche ou d'un droit d'occupation selon la Proclamation royale de 1763. L'avocat disait également que le mot « réserve » utilisé dans la Loi sur les Indiens désigne seulement des réserves créées par un traité ou par un décret en conseil ou autre acte issu de l'exercice de la prérogative royale. Il disait que, dans l'affaire St. Catherine's Milling, le Conseil privé traitait non pas d'une réserve selon la Loi sur les Indiens comme l'affirmait l'avocate de l'appelant, mais d'un titre aborigène, en vertu du paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il a fait valoir que cela n'a aucun rapport avec la présente espèce en ce que, en matière d'obligation fiscale, l'article 87 de la Loi de l'impôt sur le revenu traite seulement de réserves au sens de la Loi sur les Indiens. L'avocat a résumé son point de vue en disant :

[TRADUCTION]

[...] l'expression « terres réservées pour les Indiens » qui figure au paragraphe 91(24) et le terme « réserve » qui est défini dans la Loi sur les Indiens ne sont pas interchangeables. Ils ont des significations tout à fait distinctes.

[192] L'avocat de l'intimée a ensuite fait référence à la décision rendue par la Cour d'appel du Yukon dans l'affaire Ross River Dena Council Band v. Canada, [1999] Y.J. no 121. Il en a lu les passages suivants à la Cour :

[TRADUCTION]

[...] La principale question en litige est de savoir si une réserve indienne, au sens de la Loi sur les Indiens, a été créée à Ross River par les lettres et les actions de représentants fédéraux responsables des affaires indiennes, malgré l'absence d'un décret en conseil ou autre acte officiel reflétant l'exercice de la prérogative de la Couronne [...]

Il s'agit de savoir en l'espèce non pas si une réserve aurait dû être créée, mais si une « réserve » a en fait été créée. [...]

Abstraction faite de l'examen de la preuve, il est bien établi que le libellé de la Loi sur les Indiens comporte une lacune concernant le fondement et les rouages de la création d'une réserve. Ce seul facteur devrait être une raison pour que la Cour ne déclare pas l'existence d'une réserve selon la Loi sur les Indiens et se contente d'affirmer que la lacune mentionnée devrait être comblée par l'adoption d'une loi ou par l'exercice de la prérogative de la Couronne.

[193] L'avocat a ensuite déclaré qu'à Terre-Neuve, jusqu'en 1951, il y avait pire qu'une lacune : il n'y avait aucune loi concernant la création d'une réserve indienne. Il soutenait que, vu l'absence d'une telle loi, une réserve indienne pouvait être créée seulement par un décret en conseil ou autre texte reflétant l'exercice de la prérogative royale. Il a ensuite fait valoir que le seul exercice de la prérogative royale dans ce cas-ci tient au procès-verbal de 1870 du conseil exécutif, soit une décision qui, soutenait-il, ne portait pas création d'une réserve. Il a ensuite déclaré :

[TRADUCTION]

C'est ainsi que nous voyons la situation globalement. Nous abordons d'autres aspects parce qu'il nous faut démontrer ce qui était pertinent et démontrer quel est l'effet juridique de certains documents, mais, fondamentalement, nous soutenons que tel est le problème.

[194] Le deuxième avocat de l'intimée, Me Patrick Vezina, a dit que J. P. Howley était à Conne River avec M. Murray en 1870 et avec le gouverneur MacGregor en 1908, une trentaine d'années plus tard. Il a ensuite dit :

[TRADUCTION]

M. MacGregor a rédigé un rapport approfondi sur Conne River, où il était allé avec M. Howley, et l'on prétend que M. MacGregor ignorait ce qui se passait à Conne River, alors qu'il avait à ses côtés un des principaux intervenants, une des personnes sachant le mieux ce qu'il en était à Conne River dans les années 1870.

[195] Il a fait référence au témoignage de M. Isaacs selon lequel le seul lot arpenté à Conne River par M. Murray était le lot associé à George Hoskins, un non-autochtone. Il a ensuite fait référence au témoignage suivant de M. von Gernet :

[TRADUCTION]

Eh bien, le procès-verbal indiquait qu'un type d'arpentage devrait être effectué. M. Murray ne semble pas avoir arpenté une concession. Il avait précédemment cartographié une partie du secteur riverain et l'avait divisée en lots correspondant aux paramètres généraux d'une loi existante. Ainsi, quand il est retourné sur le terrain, il n'a pas vraiment donné suite à la recommandation du conseil, si ce n'est qu'il s'est attaché au lot d'une personne qui n'était pas un Micmac.

[196] Il soutenait que cela était incompatible avec la proposition selon laquelle le procès-verbal de 1870 avait été le point de départ de la création d'une réserve.

[197] L'avocat soutenait que le témoignage de M. Boggan étayait la position de l'intimée quant au deuxième argument de cette dernière, à savoir que la page 360 était simplement un plan et non un acte de concession. L'intimée soutient en outre que, selon toute probabilité, le plan a été inséré dans le volume des concessions spéciales par erreur, qu'il y a été indexé par erreur, que l'index a ultérieurement été modifié et que le plan a par la suite été changé de place pour être inséré dans le volume des permis d'occupation.

[198] L'avocat a ensuite dit que les permis d'occupation ne portaient pas création d'une réserve, mais pouvaient simplement donner lieu à une concession en fief simple si certaines conditions étaient remplies. Il a fait référence à la loi de 1844 permettant la délivrance d'actes de concession de terres en fief simple, puis à la loi de 1860 permettant la délivrance de permis d'occupation. Il soutenait que cela ne pouvait donner lieu à la constitution de réserves, car le concept du titre en fief simple était incompatible avec le concept de terres détenues pour être utilisées en commun par les habitants d'une réserve. Il a également fait référence au témoignage de M. Patterson selon lequel l'octroi de tels permis aux Micmacs indique que le gouvernement considérait les Micmacs comme des colons, dont il convenait de répondre aux besoins selon les formes et procédures établies, et non comme des personnes qui avaient des droits aborigènes devant être protégés par la création d'une terre réservée spéciale.

[199] L'avocat de l'intimée a ensuite cité un extrait du témoignage de M. von Gernet rapporté ci-devant, à savoir que la définition d'une réserve exclut la possibilité que les Européens aient eu un intérêt dans une réserve et que, concernant la concession d'une terre en fief simple aux Collier, M. von Gernet n'a trouvé aucune preuve indiquant que, au cours d'une période de près de 90 ans, les Micmacs aient protesté fortement ou de quelque manière contre la présence des Collier sur cette terre[12].

[200] L'avocat a ensuite fait référence au témoignage de M. Cuff reconnaissant que des actes de concession n'avaient jamais été délivrés aux divers Micmacs à l'égard de lots situés à Conne River. Il a également fait référence au témoignage de M. von Gernet concernant la lettre de M. Duder, lettre qui, disait M. von Gernet, ne faisait que confirmer qu'une réserve comprenant 25 lots contigus était impossible, parce que rien ne pouvait être fait pour annuler les actes en vertu desquels des terres avaient été concédées en fief simple à un colon non micmac. Il a déclaré que M. von Gernet avait également traité de la lettre de M. Carter comme d'une lettre qui révélait simplement que le gouverneur avait demandé au gouvernement de remplacer des permis d'occupation par des actes de concession, soit une demande qui n'a jamais « abouti » .

[201] L'avocat de l'intimée a fait référence à un mémoire du secrétaire de la colonie John Alexander Robinson, en date du 30 janvier 1900, concernant des demandes de renseignements sur M. Lake, soit des demandes du gouverneur McCallum en date du 10 et du 29 janvier 1900. Il était dit à la fin de ce mémoire que le cas de M. Lake semblait exceptionnel et serait examiné. La position de l'intimée est donc qu'il est impossible qu'un acte de concession ait été délivré avant le 26 janvier 1900 comme le prétendait l'appelant. En fait, l'intimée soutient que cela n'aurait pu « arriver » qu'après le 30 janvier 1900.

[202] Au sujet du plan de Balfour, l'avocat a fait référence à la preuve selon laquelle l'original était un plan colorié sans date fait de toile et indiquant dans le coin inférieur gauche le nom « F. H. Balfour » . Il s'intitulait « Plan de l'établissement indien de Conne River, Baie-d'Espoir » et contenait une carte intercalaire comportant une note qui disait « Plan général de Baie-d'Espoir indiquant une relation entre la réserve indienne et les scieries exploitées par John E. Lake » . La preuve révélait que M. Balfour était un arpenteur du bureau d'enregistrement des terres de la Couronne et qu'il était probablement l'auteur du plan de Balfour. Ce plan figurait dans le registre des terres de la Couronne de Terre-Neuve avec, au dos, une note qui, d'après le témoignage de M. Boggan, aurait été écrite par un commis du bureau. M. Boggan a également dit que le commis pouvait avoir écrit les termes « établissement indien » sur le plan.

[203] L'avocat a ensuite fait référence à l'opinion de M. von Gernet selon laquelle le plan avait probablement été dressé entre le 29 janvier 1900 et l'année 1903, en raison de l'affaire de la scierie de M. Lake et non pas relativement à la création d'une réserve indienne. L'avocat a fait référence aux propos suivants de M. von Gernet :

[TRADUCTION]

Donc, à mon avis, tout ce plan [...] a été produit pour régler l'affaire de la scierie de M. Lake et a probablement été établi à la demande de quelqu'un qui voulait en savoir plus sur l'emplacement de cette scierie que ce qu'indiquaient de précédents documents, plans et levés remontant aux années 1870, soit à l'époque de M. Murray. Je ne pense donc pas que la carte elle-même ait été dressée relativement à la création d'une réserve indienne. Elle a été établie principalement à cause de M. Lake, et il y a donc cette insertion [...] cette carte intercalaire, puis il est indiqué en gros plan où se situe exactement la scierie par rapport au reste des terres de la région, et la carte elle-même fait évidemment aussi état de noms de personnes non autochtones.

[204] L'avocat disait qu'il y avait des noms comme Collier, Hoskins et MacDonald.

[205] L'avocat a ensuite traité de la demande de 1907 de Reuben Leuis. Il soutenait que, s'il y avait déjà eu une réserve à Conne River en 1907 comme l'alléguait l'appelant, le chef Reuben Leuis n'aurait pas présenté une demande pour que cette terre lui soit concédée. L'avocat a fait référence au passage suivant du rapport supplémentaire de M. von Gernet :

[TRADUCTION]

Premièrement, l'existence de cette demande de 1907 est en soi une autre preuve qu'une réserve indienne n'avait pas encore été créée. Après tout, pourquoi le chef aurait-il demandé des terres, par voie de pétition, s'il avait généralement été admis que son peuple avait déjà une réserve?

Deuxièmement, ce qui frappe immédiatement, c'est que la demande semble inclure les lots du plan de Balfour 1 à 7 inclusivement, ainsi que des territoires supplémentaires au sud, mais ne traite pas des lots 8 à 25 inclusivement. Encore là, si le plan de Balfour devait réellement représenter une réserve indienne coloniale, comment expliquer ce qui s'est produit en 1907?

Troisièmement, il semble clair que la demande a été rejetée. [...]

[206] L'avocat a rappelé que la note suivante avait été écrite à la main au dos de la demande de Reuben Leuis :

[TRADUCTION]

Ne peut être accepté. Voir le plan de la réserve indienne 103. Voir aussi la lettre de M. Lake ci-jointe.

L'avocat a dit que le plan mentionné était le plan de Balfour, car le numéro 103 figurait au dos du plan. Il a également dit que la lettre mentionnée était une lettre de John E. Lake et que la demande avait été rejetée à cause de la prétention de M. Lake à la terre indiquée comme étant une partie du lot 6 et du lot 7 dans le plan cadastral de M. Isaacs.

[207] L'avocat a ensuite fait référence à l'extrait suivant du rapport supplémentaire de M. von Gernet :

[TRADUCTION]

Manifestement, la demande de M. Leuis a été rejetée aussi à cause de la lettre de M. Lake révélant une chose étonnante, soit le lien avec M. Hoskins. D'après M. Lake, M. Hoskins avait défriché et occupé les terres en question et y avait vécu pendant une très longue période. L'estimation d'un demi-siècle de M. Lake peut être exagérée, mais nous savons bel et bien, grâce à des preuves indépendantes, que M. Hoskins avait déjà un immeuble à cet endroit durant la visite de 1869 de M. Murray et que ce dernier a arpenté un lot pour M. Hoskins l'année suivante. Quoi qu'il en soit, en 1895, M. Lake a apparemment acheté une terre à M. Hoskins - opération dont faisait foi un acte aujourd'hui disparu. Dans le plan de Balfour, M. Hoskins est associé au lot 6, et la scierie de M. Lake se trouve dans la partie riveraine du lot adjacent, soit le lot 7. Par ailleurs, une note figurant sur la carte de M. Taylor indique que la terre à réserver pour M. Lake couvre les parties nord des lots 6 et 7. Quelles que soient les limites exactes des terres achetées, la lettre du 30 mai indique que M. Lake avait construit bien des choses à part une scierie au bord de l'eau. M. Lake parle d'annexes, d'une maison et d'un quai, de même que d'une superficie de cinq acres. Un non-autochtone a occupé les terres en question pendant une période d'au moins 38 ans, et il y a eu des opérations foncières entre de simples particuliers. Ces deux faits ne correspondent nullement au concept de réserve indienne.

[208] L'avocat de l'intimée a ensuite fait valoir le point suivant exprimé par M. von Gernet :

[TRADUCTION]

[...] il n'y a pas eu de changement quant au statut des terres entre l'époque de M. Murray et la date du rapport de M. MacGregor. Si un tel changement avait eu lieu, il en aurait sûrement été question davantage. Même si quelqu'un avait enlevé l'ensemble du dossier, ainsi que tout vestige d'éléments établissant qu'un tel changement avait eu lieu, de sorte qu'il n'en resterait plus aucune preuve, les traditions orales auraient fait état de cet événement ou il en aurait été question dans les documents dont disposaient M. MacGregor et les personnes gravitant autour de lui.

[209] L'avocat de l'intimée a soutenu que l'argument subsidiaire de l'avocate de l'appelant selon lequel il existait une réserve spéciale en vertu de l'article 36 de la Loi sur les Indiens ne tient pas parce que cet article traite de terres qui n'appartiennent pas à Sa Majesté, et les terres en cause dans la présente espèce étaient des terres de la Couronne.

Réplique de l'appelant

[210] En guise de réplique, l'avocate de l'appelant a fait valoir que les témoignages de l'appelant et du chef, ainsi que « de nos témoins experts, je crois » , indiquent que les habitants de Conne River :

[TRADUCTION]

[...] croyaient déjà qu'ils avaient une sorte de propriété foncière, une sorte de tenure. Ils croyaient que la terre était réservée pour eux. Ils n'avaient donc aucune raison de faire cela.

[211] Elle a également dit que le fait que les Micmacs n'étaient pas originaires de Terre-Neuve n'était pas pertinent.

[212] Elle a ensuite fait référence à l'affaire Ross River, qui, a-t-elle dit, était une « affaire postérieure à la confédération, tandis que la situation de l'appelant en l'espèce remonte à une période antérieure à la confédération » . Elle a dit au sujet de Conne River que tous les « intervenants gouvernementaux » reconnaissaient par leurs actions que c'était une réserve et que les Micmacs eux-mêmes croyaient que c'était une réserve.

[213] Elle a ensuite déclaré :

[TRADUCTION]

[...] qu'une réserve a été créée à Conne River entre 1899 et 1900. Un certain nombre de choses - depuis le procès-verbal du conseil exécutif, soit un décret en conseil, jusqu'aux mesures prises par le gouvernement - ont donné lieu à la création de la réserve, conformément à ce que les Micmacs eux-mêmes estimaient.

[214] En résumé, les points que fait valoir l'avocate de l'appelant sont les suivants :

1.        M. Murray est allé à Conne River en 1869 et en 1870, a demandé qu'une terre soit concédée aux Micmacs et a entrepris un arpentage. Un procès-verbal de 1870 du conseil exécutif fait état d'une décision de ce dernier équivalant en fait à un décret en conseil ailleurs au Canada.

2.        Les permis d'occupation délivrés en 1872 étaient une réponse de l'arpenteur général à ce procès-verbal du conseil exécutif. De plus, les permis représentaient le meilleur instrument disponible en vertu des pouvoirs de l'arpenteur général.

3.        La compréhension des autochtones eux-mêmes quant à la signification des événements et comptes rendus précités doit être prise en considération. De la manière dont les Micmacs eux-mêmes comprenaient les choses, Conne River était en fait une terre indienne. Aucun registre n'indique qu'une mesure administrative a été prise en réponse au rapport de Henry Camp, responsable de la surveillance de la pêche au saumon, de manière à rejeter ce que les Micmacs croyaient ou estimaient.

4.        En août 1899, les Micmacs eux-mêmes ont pris des mesures pour protester contre une « incursion » dans ce qu'ils considéraient comme étant leur réserve.

5.        Le terme « réserve » lui-même était utilisé pour désigner une terre mise de côté pour les Micmacs à Conne River. Plus particulièrement, l'utilisation des termes « réserve indienne » , « terres indiennes réservées » et « établissement indien » - par les Micmacs eux-mêmes, par le gouverneur sir Henry McCallum, par le juge en chef James Little, par le ministre de l'Agriculture et des Mines Eli Dawe et par Francis Balfour, du bureau d'enregistrement des terres de la Couronne - ne représentait pas une utilisation peu rigoureuse ou peu stricte. Tout le monde savait que cela désignait des terres pour les Indiens de Conne River.

6.        Entre le 1er août 1899 et le 30 janvier 1900, un acte de concession spéciale de la réserve indienne de Conne River a été inscrit dans le registre des concessions spéciales.

7.        Lorsque, le 31 mars 1949, Terre-Neuve s'est jointe à la confédération, on n'a nullement fait mention des autochtones, qui n'ont jamais été contactés ou consultés relativement aux conditions de l'union. De plus, la Loi sur les Indiens ne s'est appliquée à Terre-Neuve qu'à partir du 4 septembre 1951. Ainsi, soutient l'avocate, aucune conclusion défavorable à la position des Indiens ne devrait être tirée du fait que le gouvernement n'a rien fait en 1949.

ANALYSE ET CONCLUSION

[215] Quoique l'avocate de l'appelant n'ait pas cité d'extraits des jugements auxquels elle faisait référence, il semble que le point qu'elle cherchait à faire valoir en matière d'histoire orale et de procédure judiciaire soit issu des propos suivants tenus par le juge en chef Lamer dans l'affaire Delgamuukw c. C.-B., [1997] 3 R.C.S. 1010, à la page 1065 :

Les tribunaux doivent se garder d'accorder un poids insuffisant à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans une affaire de responsabilité civile délictuelle par exemple.

[216] À la page 1069, le juge en chef disait :

Malgré les problèmes que crée l'utilisation des récits oraux comme preuve de faits historiques, le droit de la preuve doit être adapté afin que ce type de preuve puisse être placé sur un pied d'égalité avec les différents types d'éléments de preuve historique familiers aux tribunaux, le plus souvent des documents historiques. Il s'agit d'une pratique appliquée de longue date dans l'interprétation des traités entre l'État et les peuples autochtones : Sioui, précité, à la p. 1068; R. c. Taylor (1981), 62 C.C.C. (2d) 227 (C.A. Ont.), à la p. 232. Ainsi que l'a dit le juge en chef Dixon, comme la plupart des sociétés autochtones « ne tenaient aucun registre » , le fait de ne pas suivre cette pratique « [imposerait un] fardeau de preuve impossible » aux peuples autochtones et « enlèverait [...] toute valeur » aux droits qu'ils ont (Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387, à la p. 408). Cette méthode doit être appliquée au cas par cas. [...]

[217] L'avocate a en outre déclaré que l'arrêt Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, étaye la proposition selon laquelle quelque chose d'écrit ne doit pas automatiquement être considéré comme ayant plus de poids que la preuve d'autochtones présentée d'une manière conforme à leurs coutumes et traditions. Toutefois, cet arrêt traitait du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, à l'égard duquel le juge en chef Lamer a dit au paragraphe 49 de sa décision :

Comme il a déjà été signalé, un des objets fondamentaux du par. 35(1) est la conciliation de la préexistence de sociétés autochtones distinctives avec l'affirmation de la souveraineté de Sa Majesté.

Il a poursuivi en disant que les tribunaux doivent déterminer précisément la nature de la revendication en répondant à la question de savoir si un demandeur autochtone a démontré l'existence d'un droit ancestral. L'affaire Van der Peet concernait le droit de vendre du poisson dans un cadre non commercial. La cause de l'appelant ne concerne pas un droit; elle se rapporte à la question de savoir si une « réserve » existait en 1984, l'année d'imposition en cause.

[218] L'avocate a également fait référence à l'arrêt St. Catherine's Milling & Lumber Company v. The Queen, (1888) 14 A.C. 46, qu'elle citait comme faisant autorité en matière de création de réserves. Elle a dit que le Conseil privé a statué que les termes « terres réservées aux Indiens » doivent être interprétés selon leur sens naturel et qu'ils sont « suffisants pour englober toutes les terres qui sont réservées, à quelque condition que ce soit, pour être occupées par les Indiens » . L'interprétation de l'avocate est complètement hors de contexte. L'affaire St. Catherine's s'est posée en raison de la prétention de la province d'Ontario selon laquelle le Dominion du Canada ne pouvait, comme il l'avait fait, délivrer un permis de coupe de bois à la société St. Catherine's. Par un traité de 1873, la tribu ojibway des Saulteux avait cédé au Dominion le titre sur une terre de plus de 32 000 milles carrés située en Ontario[13]. Par ce traité, les Indiens avaient conservé les droits de chasse et de pêche. Le « Dominion » arguait que sa prétention à cette terre se fondait sur le paragraphe 91(24) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, de 1867. Ce paragraphe conférait au Parlement du Canada le pouvoir de légiférer concernant « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens » . La province d'Ontario arguait que l'expression « réserves indiennes » était utilisée dans des lois pour désigner certaines terres dans lesquelles les Indiens avaient acquis un intérêt spécial après la Proclamation royale de 1763, par voie de traité ou autrement, et que cette expression ne s'appliquait pas à une terre occupée par les Indiens en vertu de la proclamation de 1763. Le Conseil privé a rejeté cet argument en disant :

[TRADUCTION]

L'argument pourrait avoir été digne d'être retenu si cette expression avait été adoptée par le Parlement britannique en 1867, mais cette expression ne figure pas au paragraphe 91(24), et les mots en fait utilisés sont, d'après leur sens naturel, suffisants pour englober toutes les terres qui sont réservées, à quelque condition que ce soit, pour être occupées par les Indiens. Il semble que le principe sous-jacent à la Loi soit simplement que, pour assurer une uniformité sur le plan de l'application, toutes ces terres ainsi que les affaires indiennes en général relèvent du contrôle législatif d'une seule et unique autorité centrale.

L'argument précité n'a pas eu d'incidence sur la décision du Conseil privé. Ce dernier a conclu que le fait :

[TRADUCTION]

[...] que le Dominion possède encore le pouvoir exclusif de réglementer le privilège de chasse et de pêche des Indiens ne peut conférer au Dominion le pouvoir d'aliéner, par la délivrance de permis ou autrement, cet intérêt bénéficiaire en matière de coupe de bois maintenant dévolu à l'Ontario. [...]

[219] L'arrêt Ontario Mining Company v. Seybold, [1903] A.C. 73, auquel l'avocate de l'appelant a fait référence, n'est d'aucune aide relativement à la position de l'appelant. Il n'étaye pas la déclaration de l'avocate de l'appelant selon laquelle :

[TRADUCTION]

[...] la création de fait d'une réserve aurait été suffisante, malgré l'absence d'un décret en conseil ou d'un autre texte officiel.

[220] L'avocate de l'appelant n'a pas traité de la décision rendue par la Cour d'appel du Yukon dans l'affaire Ross River Dena Council Band v. Canada, précitée. Dans cet appel, la principale question était de savoir si une réserve indienne, au sens de la Loi sur les Indiens, avait été créée à Ross River par des lettres et des actions de représentants fédéraux responsables des affaires indiennes, malgré l'absence d'un décret en conseil ou d'un autre texte officiel reflétant l'exercice de la prérogative de la Couronne. La cour a dit que la question en litige était de savoir non pas si une réserve aurait dû être créée, mais si une « réserve » avait en fait été créée. Comme je l'ai indiqué précédemment, la Cour d'appel du Yukon a dit :

[TRADUCTION]

[...] il est bien établi que le libellé de la Loi sur les Indiens comporte une lacune concernant le fondement et les rouages de la création d'une réserve. Ce seul facteur devrait être une raison pour que la Cour ne déclare pas l'existence d'une réserve selon la Loi sur les Indiens et se contente d'affirmer que la lacune mentionnée devrait être comblée par l'adoption d'une loi ou par l'exercice de la prérogative de la Couronne.

[221] Je conviens avec l'avocat de l'intimée que, jusqu'en 1951, il y avait à Terre-Neuve pire qu'une lacune. Il n'y avait aucune loi concernant la création d'une réserve indienne. Me fondant sur ce qui m'a été présenté, je conviens également avec lui que, en l'absence d'une loi, une réserve indienne pouvait être créée seulement par un décret en conseil ou un autre texte reflétant l'exercice de la prérogative royale. Le seul texte semblable a été le procès-verbal de 1870 du conseil exécutif, qui ne portait pas création d'une réserve.

[222] L'avocate de l'appelant a fait preuve d'ambivalence quant à savoir si la réserve avait été créée par les permis d'occupation de 1872, délivrés à la suite du procès-verbal de 1870 du conseil exécutif, ou par le plan 360 / concession spéciale et le plan de Balfour.

[223] Je suis d'accord sur l'opinion d'expert de M. von Gernet, dont je m'inspire. Cette opinion présente selon moi une interprétation logique et raisonnable du résultat de la série d'événements mentionnée par l'avocate de l'appelant. M. von Gernet disait que la délivrance de permis d'occupation s'opposait à l'objet général d'une réserve, la meilleure façon de protéger des réserves indiennes contre tout empiétement consistant à supprimer la possibilité que les terres soient détenues en fief simple.

[224] Le procès-verbal de 1870 du conseil exécutif :

[TRADUCTION]

[...] a reconnu le bien-fondé de la demande et a déféré la question à l'honorable arpenteur général en vue de la réalisation de l'objet de la demande.

[225] Manifestement, ce procès-verbal ne portait pas création d'une réserve. Eu égard à l'effet juridique des permis d'occupation, à savoir que chaque détenteur pouvait à certaines conditions obtenir le titre en fief simple, la délivrance de tels permis ne donnait pas lieu à la création d'une réserve. Bien que M. Cuff ait dit qu'il semblait clair que la délivrance de permis d'occupation, autorisée par la loi de 1860, était une réponse au procès-verbal de 1870, il a ensuite déclaré :

[TRADUCTION]

Je pense que l'on est fondé à qualifier ce territoire de réserve indienne en raison de la concession spéciale d'une réserve indienne à Conne River en 1899 ou en 1900 et en raison du plan de Balfour, intitulé au verso « Réserve indienne, Conne River » .

[226] Je prends également bonne note du témoignage de M. Isaacs selon lequel M. Murray avait, en juillet 1870, arpenté un lot pour George Hoskins (un non-autochtone), soit un lot au sujet duquel M. Isaacs a dit :

[TRADUCTION]

autant que je sache, c'est le seul lot que M. Murray ait arpenté à Conne River.

Ce lot était situé sur la terre qui était d'après l'appelante une réserve. Je me fonde sur la conclusion suivante de M. von Gernet : bien que M. Murray ait eu amplement l'occasion d'adopter ce qu'il avait appris dans le Haut-Canada et de recommander qu'une loi ou autre forme de législation ou qu'un genre de système soit adopté pour refléter une présence indienne à Terre-Neuve, il ne l'a pas fait. Comme je l'ai indiqué précédemment, M. von Gernet a déclaré au sujet de M. Murray :

[TRADUCTION]

Il s'est occupé d'autres aspects des méthodes de tenure, mais pas par rapport aux Indiens. Pour l'essentiel, il a simplement suivi la loi sur les terres de la Couronne, qui était une loi générale, et nous nous retrouvons en 1872 avec une série de 17 permis d'occupation.

[227] Ayant examiné de près la preuve concernant le plan 360 / concession spéciale, j'adopte en outre les opinions de MM. Isaacs et von Gernet à cet égard. M. Isaacs a dit que l'objet du plan 360 était d'indiquer qu'un lot avait été arpenté. M. von Gernet a déclaré au sujet de cette carte :

[TRADUCTION]

Elle a été changée de place pour être insérée dans les permis d'occupation, ce qui était plus approprié, vu la chronologie des événements et vu l'absence complète de preuves que de la documentation accompagnait cette carte. La carte elle-même, évidemment, ne comporte que le nom de George Hoskins, et je vois très difficilement pourquoi ou comment on pourrait interpréter la situation comme indiquant qu'il s'agissait d'une réserve indienne ou d'une concession spéciale.

[228] En ce qui a trait à la preuve selon laquelle le plan 360 avait été mis dans le volume des concessions spéciales, puis changé de place pour être inséré dans le volume des permis d'occupation, je ne peux en conclure qu'une réserve pour les Micmacs avait été créée à Conne River.

[229] M. Boggan - qui, au moment de l'audition de son témoignage, avait été à la division des terres de la Couronne pendant 25 ans et était directeur intérimaire des terres de la Couronne - n'était pas dans les parages en 1900, mais, comme je l'ai indiqué précédemment, il a dit que quelqu'un devait s'être rendu compte que le plan n'allait pas dans le volume des concessions spéciales et l'avait reclassé dans les permis d'occupation, écrivant une note à cet effet. M. Boggan a également dit que, s'il avait été là à cette époque et qu'il eût su qu'il y avait des permis d'occupation :

[TRADUCTION]

[...] Je pense que j'aurais changé ce document de place.

[230] M. von Gernet était d'avis que le plan de Balfour avait été dressé expressément pour aider à éclaircir la question de l'emplacement des scieries de M. Lake et concernait davantage l'exploitation forestière que des réserves autochtones. Il a dit :

[TRADUCTION]

En fait, au lieu de favoriser l'adoption de lois visant à protéger des terres indiennes comme on le faisait couramment ailleurs au Canada, la controverse a, peu de temps après, été suivie d'une loi prévoyant des restrictions en matière de scierie.

[231] La pétition de 1907 de Reuben Leuis visant l'obtention d'une terre de 363 acres à Conne River influe également sur ma conclusion selon laquelle les terres de Conne River n'étaient pas une réserve. M. von Gernet a dit :

[TRADUCTION]

Premièrement, l'existence de cette demande de 1907 est en soi une autre preuve qu'une réserve indienne n'avait pas encore été créée. Après tout, pourquoi le chef aurait-il demandé des terres, par voie de pétition, s'il avait généralement été admis que son peuple avait déjà une réserve?

Deuxièmement, ce qui frappe immédiatement, c'est que la demande semble inclure les lots du plan de Balfour 1 à 7 inclusivement, ainsi que des territoires supplémentaires au sud, mais ne traite pas des lots 8 à 25 inclusivement. Encore là, si le plan de Balfour devait réellement représenter une réserve indienne coloniale, comment expliquer ce qui s'est produit en 1907?

[232] M. von Gernet a également dit :

[TRADUCTION]

Un non-autochtone a occupé les terres en question pendant une période d'au moins 38 ans, et il y a eu des opérations foncières entre de simples particuliers. Ces deux faits ne correspondent nullement au concept de réserve indienne.

[233] M. von Gernet a dit en outre que le gouverneur MacGregor ne signalait nullement dans son rapport de 1908 qu'une réserve indienne spéciale avait été créée par le gouvernement de la colonie. Il a déclaré que M. Murray avait simplement fait remarquer que, quoique les conditions des permis d'occupation n'aient pas été remplies, le gouvernement de Terre-Neuve accepterait à titre gracieux de concéder des terres, pourvu que les Micmacs en fassent la demande. Il a ensuite dit :

[TRADUCTION]

Cela indique que les événements de 1900 et de 1907, comme en font foi les nouveaux documents, n'ont rien changé au statut des terres en question.

[234] J'ai reconnu la recevabilité de la preuve présentée par l'appelant et par le chef Misel Joe. Je n'ai aucun doute quant à leur sincérité et quant au fait qu'ils croyaient qu'une réserve existait bel et bien à Conne River. Toutefois, le fait qu'ils répétaient continuellement qu'ils croyaient cela - même si je tiens compte de l'utilisation des termes « établissement indien » , « réserve indienne » et « terres indiennes » - ne prouve pas à mon avis qu'il existait en droit une réserve comme le prétendait l'appelant. De même, le fait que les plans concernant Codroy, Gambo-Middle Brook et Beachy Cove parlaient d'une « réserve indienne » n'aide pas à établir que ces territoires ou les terres de Conne River étaient une « réserve » .

[235] Les permis d'occupation de 1872 et le plan 360 / concession spéciale de 1900 représentent à mon avis les deux seules séries d'événements pouvant servir de base à un argument plausible quant à la création d'une réserve. Il semble que l'avocate de l'appelant ait cherché à s'appuyer à cet égard sur l'effet cumulatif d'autres circonstances comme l'utilisation des termes « réserve » , « réserve indienne » , « terres indiennes réservées » et « établissement indien » dans diverses cartes et divers plans ainsi que par divers fonctionnaires. Il semble que ces termes aient été utilisés à titre référentiel plutôt que comme termes sanctionnés par une mesure officielle appropriée.

[236] Je n'accepte pas l'argument subsidiaire de l'appelant voulant qu'une réserve spéciale ait existé à Conne River en vertu de l'article 36 de la Loi sur les Indiens, qui se lit comme suit :

La présente loi s'applique aux terres qui ont été mises de côté à l'usage et au profit d'une bande et qui n'appartiennent pas à Sa Majesté comme si elles étaient une réserve, au sens de la présente loi.

La terre dont il est question en l'espèce appartenait à Sa Majesté.

[237] J'ai donc conclu que la terre de Conne River où habitait l'appelant en 1984 n'était pas une « réserve » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, soit une :

[...] parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu'elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande.

[238] Dans cette affaire difficile, j'ai été très impressionné par les connaissances, par la préparation et par la conduite des témoins experts, dont la plupart des points de vue ont été présentés par M. Cuff et par M. von Gernet. Je ne minimise nullement les efforts de M. Cuff, mais, comme je l'ai indiqué précédemment, ma propre analyse de la preuve m'a amené à adopter le point de vue de M. von Gernet comme représentant une interprétation logique et raisonnable des événements considérés en l'espèce.

[239] L'appel est rejeté. Il n'est donc pas nécessaire de traiter de la question du revenu de placements de l'appelant.

[240] Aucuns frais ne sont alloués. Si les avocats désirent traiter de la question des frais, ils peuvent demander la tenue d'une conférence téléphonique.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2001.

« R. D. Bell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour d'avril 2003.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           La preuve indique que Burnt Woods était juste à l'ouest du lot 1.

[2]           Cela se passait après la Deuxième Guerre mondiale manifestement, vu les descriptions données.

[3]           Ce terme micmac signifie « chef » .

[4]           L'avocate de l'appelant utilisait le mot « préhistorique » comme se rapportant à la période antérieure à 1947.

[5]           L'avocate a rectifié sa description et a remplacé les termes « Indiens récents » par « Indiens à la peau rouge » .

[6]           L'avocat de l'intimée a expliqué que son témoin M. Isaacs avait établi cette carte correspondant à ce que l'on appelle le plan de Balfour. Il a déclaré que ce plan n'était pas daté, mais avait été établi au tournant du siècle.

[7]           Cette loi est décrite plus loin.

[8]           Il y a une certaine répétition, mais cela place les points de vue de M. von Gernet dans leur juste perspective.

[9]           Ce terme était utilisé pour décrire des non-autochtones.

[10]          La référence est inexacte. L'avocate renvoyait peut-être bien à l'arrêt Simon c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 387.

[11]          Il n'y a aucune référence à une page ou à un paragraphe.

[12]          Il s'agissait de la partie nord du lot 21 indiqué dans le plan de Balfour et dans le plan cadastral de M. Isaacs.

[13]          Ces Indiens occupaient les terres en question depuis 1763.

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