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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-2647(IT)G

ENTRE :

EMAIN KADRIE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 26 juillet 2001 à London (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelant :                 Me Keith M. Trussler

Avocat de l'intimée :                   Me Peter M. Kremer, c.r.

JUGEMENT

          La Cour ordonne que les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 soient admis,


avec dépens, et que les cotisations fixant l'impôt, les intérêts et les pénalités soient annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20010907

Dossier: 1999-2647(IT)G

ENTRE :

EMAIN KADRIE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1]      Les appels en l'instance sont à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994. La principale question est de savoir si l'appelant était un résident du Canada durant ces années. Le ministre du Revenu national a établi des cotisations à l'égard de l'appelant pour ces années en se fondant sur l'hypothèse selon laquelle l'appelant était un résident du Canada. Il a établi une cotisation d'impôt sur le revenu gagné par l'appelant au Koweït au cours de ces années et, en vertu de l'article 15 de la Loi de l'impôt sur le revenu, il a également établi une cotisation d'impôt sur un prétendu avantage conféré à l'appelant ou à sa conjointe et résultant de l'utilisation d'une automobile appartenant à une société concessionnaire qui appartenait à l'appelant. En outre, le ministre a imposé une pénalité parce que l'appelant n'avait pas produit de déclarations de revenus.

[2]      Si l'appelant n'était pas un résident du Canada pendant les années en question, l'impôt établi à son égard en vertu de la Partie I doit être supprimé. Concernant l'avantage visé par l'article 15, on n'a pas fait valoir que, même si l'appelant était un non-résident, une retenue d'impôt devait avoir lieu sur la valeur de l'avantage en vertu de l'alinéa 214(3)a). Je n'examinerai donc pas davantage ce point.

[3]      Si l'appelant a raison quand il affirme qu'il était un non-résident pendant les années 1992, 1993 et 1994, les pénalités doivent être supprimées. Sinon, Me Trussler soutient que le moyen de défense de la diligence raisonnable peut être invoqué à l'égard d'une pénalité imposée en vertu du paragraphe 162(1) pour défaut de produire une déclaration de revenus (Canada (Procureur Général) c. Consolidated Canadian Contractors Inc., [1999] 1 C.F. 209, [1998] G.S.T.C. 91 (C.A.F.)).

[4]      L'avocat de l'intimée convient que le moyen de défense de la diligence raisonnable peut être invoqué contre une pénalité imposée pour défaut de produire une déclaration de revenus, mais il ne concède pas que l'on avait prouvé qu'il y avait eu diligence raisonnable.

[5]      Pour les raisons précisées ci-après, je ne pense pas que l'appelant était un résident du Canada pendant les années en question, et je n'ai donc pas à examiner les questions incidentes.

[6]      L'appelant n'a pas séjourné au Canada pendant 183 jours ou plus au cours de l'une quelconque des années 1992, 1993 et 1994, de sorte qu'il n'est pas satisfait à la condition énoncée à l'alinéa 250(1)a). Cela ne met évidemment pas un terme à la question, car, en vertu du paragraphe 250(3), la mention d'une personne résidant au Canada vise aussi une personne qui « résidait habituellement » au Canada. C'est en fonction de la notion de « résident habituel » que les deux avocats ont présenté l'affaire.

[7]      La plupart des faits ne sont pas en litige. La façon la plus efficace d'énoncer les faits est de reproduire les passages pertinents des actes de procédure. Sauf indication contraire, les allégations ou hypothèses sont admises par l'avocat adverse.

[8]      Les principaux faits invoqués par l'appelant sont les suivants :

[TRADUCTION]

6.    Entre 1977 et 1990, l'appelant vivait au Koweït comme résident permanent à temps plein. En fait, il s'est marié pendant qu'il était au Koweït et ses trois enfants sont nés et ont été élevés au Koweït au cours de cette période de 13 ans.

7.    L'appelant a travaillé pour le même employeur au Koweït de 1977 à décembre 1994, soit la date de sa démission.

Admis, sauf que l'intimée dit que l'appelant a démissionné en juillet 1994. La preuve indique qu'il a donné en août sa démission devant prendre effet en décembre 1994.

8.    Avant 1977, l'appelant vivait au Canada.

9.    Le 2 août 1990, l'appelant et sa famille étaient en vacances au Canada. Le 3 août 1990, la guerre du Golfe a éclaté. Sur ce, l'appelant a immédiatement mis un terme à ses vacances et est retourné au siège social de son employeur à New York (New York) et à Dubaï (Koweït) pour fournir de l'aide en matière de gestion au cours de la crise provoquée par la guerre du Golfe. L'épouse et les enfants de l'appelant sont restés au Canada au cours de la guerre du Golfe.

10.    En mars 1991, après la libération du Koweït, l'appelant est redevenu résident permanent du Koweït.

Admis par l'intimée, sauf concernant le mot « permanent » .

11.    Après la guerre du Golfe (mars 1991), l'appelant a cherché à obtenir une permission gouvernementale spéciale pour que son épouse retourne au Koweït. Cette permission a été refusée parce que l'épouse de l'appelant était une ressortissante jordanienne. L'appelant avait l'impression que l'interdiction koweïtienne visant les ressortissants jordaniens était temporaire et qu'elle serait levée, de sorte que son épouse pourrait légalement retourner au Koweït.

Non admis par l'intimée, mais établi par la preuve.

12.    Entre mars 1991 et juin 1995, l'appelant a cherché à obtenir l'aide de l'ambassade canadienne au Koweït pour que son épouse puisse retourner au Koweït. Les efforts de l'appelant et de l'ambassade canadienne ont été infructueux à cet égard.

Non admis par l'intimée, mais établi par la preuve.

13.    Lorsqu'il est apparu clairement à l'appelant qu'il n'allait pas réussir à obtenir une dispense spéciale permettant à son épouse de retourner au Koweït, il a, le 16 décembre 1994, quitté son emploi. Il a ensuite rejoint son épouse et sa famille au Canada.

Non admis par l'intimée, mais établi par la preuve.

14.    L'appelant a vécu au Canada comme résident permanent après 1994.

Admis par l'intimée. La preuve a en outre établi que l'appelant et sa famille ont cessé d'être des résidents du Canada en 1997 et qu'ils ont déménagé à Dubaï.

[9]      Les hypothèses sur lesquelles le ministre se fondait étaient les suivantes. Elles sont admises par l'appelant, sauf indication contraire.

[TRADUCTION]

a)      Durant toute la période pertinente, l'appelant était un citoyen canadien et détenait un passeport canadien;

b)     L'appelant détenait un permis de conduire canadien depuis 1968, et son adresse domiciliaire a été 23, Frontenac, à London (Ontario);

Admis, sauf que le 23, Frontenac était la maison de ses parents.

c)    Avant 1977, l'appelant était un résident du Canada;

d)    En 1977, l'appelant a déménagé au Koweït et y a vécu et travaillé jusqu'en 1994;

e)    L'appelant a vécu au Koweït dans un appartement fourni par son employeur de 1991 à 1994;

f)     L'appelant a travaillé pour le même employeur koweïtien jusqu'en décembre 1994;

g)    L'appelant a donné sa démission à son employeur koweïtien en août 1994;

h)      L'appelant a vécu au Koweït avec son épouse - une ressortissante jordanienne - et ses trois enfants jusqu'en août 1990;

i)     Le 3 août 1990, l'Irak a envahi le Koweït;

Admis, sauf que l'invasion a commencé le 2 août.

j)     Au moment de l'invasion irakienne, l'appelant et sa famille étaient en visite chez les parents de l'appelant à London;

k)    Pendant une période commençant en septembre 1990, l'appelant a loué pour sa famille une maison située à London;

l)     En septembre 1990, les enfants de l'appelant étaient inscrits dans des écoles de London et, au cours des années 1991, 1992, 1993 et 1994, ils ont fréquenté des écoles de London;

m) Le Koweït a été libéré de l'occupation irakienne en mars 1991;

n)    Durant l'occupation irakienne, l'appelant a continué à travailler pour son employeur koweïtien à partir des bureaux de ce dernier à New York et à Dubaï (Koweït);

Admis par l'appelant, sauf que le mot « Koweït » devrait être supprimé. L'intimée en convient.

o)    Après la libération du Koweït, l'appelant est retourné travailler au Koweït, et son épouse et ses enfants sont restés au Canada;

p)    L'épouse de l'appelant ne pouvait retourner au Koweït parce que le Koweït avait adopté après l'occupation une loi interdisant le retour de ressortissants jordaniens et palestiniens;

q)    À partir du printemps 1991, l'appelant a maintenu l'assurance-hospitalisation de l'Ontario pour sa famille;

r)     En 1991, l'épouse et la famille de l'appelant ont demandé et obtenu le statut d'immigrants reçus;

Non admis concernant les mots « et la famille » .

s)    En avril 1991, l'appelant a expédié du Koweït au Canada certains de ses effets personnels et de ceux de sa famille;

t)     En juin 1991, l'appelant a financé l'achat, par sa mère, Jessie Kadrie, d'une maison de 457 000 $ située à London;

u)    L'appelant était le garant de l'hypothèque de 377 000 $ sur la maison et il faisait les paiements hypothécaires mensuels;

v)    L'épouse et les enfants de l'appelant ont vécu dans cette maison après juin 1991;

w) Quand il était au Canada au cours des années 1991 à 1994, l'appelant vivait avec son épouse et sa famille;

x)    Tout au long de la période allant de 1992 à 1994, l'appelant, par l'entremise de l'un des concessionnaires d'automobiles dans lesquels il participait fournissait un véhicule destiné à être utilisé par lui et son épouse;

y)    Les concessions d'automobiles étaient exploitées par des sociétés dont l'appelant était un actionnaire;

z)    L'utilisation du véhicule représentait un avantage conféré à l'appelant en tant qu'actionnaire de la société;

Non admis.


aa) La valeur de l'avantage conféré à l'appelant pendant les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 était de 4 074 $, de 4 812 $ et de 2 160 $ respectivement;

Non admis.

bb) Jessie Kadrie est une personne âgée ayant un revenu fixe;

cc) Au cours de toute la période pertinente, Jessie Kadrie et son époux résidaient au 23, Frontenac, à London, et utilisaient cette adresse comme étant leur adresse postale;

dd) Au début de l'automne 1992, l'appelant a entamé des négociations pour acheter un concessionnaire d'automobiles Toyota à London;

ee) En février 1993, l'appelant a acheté un concessionnaire d'automobiles Toyota à London;

Les alinéas dd) et ee) sont admis, sous réserve de ce qui suit : les négociations ont été menées par un représentant, et c'est une société appartenant à l'appelant qui a fait l'achat. Cela a été établi par la preuve.

ff)    En août 1994, l'appelant a acheté un concessionnaire d'automobiles Toyota à Richmond Hill (Ontario);

Admis, sous réserve de ce qui suit : ce concessionnaire d'automobiles a été acheté par une société appartenant à l'appelant. L'intimée a accepté cette réserve.

gg) En septembre 1994, l'appelant a expédié du Koweït au Canada le reste de ses effets personnels et de ceux de sa famille;

hh) Avant 1991, l'appelant est devenu, directement ou par l'intermédiaire d'une société de portefeuille, l'actionnaire majoritaire de deux sociétés canadiennes : Canadian Premier Investments Inc. et Canadian Pioneer Developments Inc.;

ii)    À partir du début de 1991, l'appelant a eu un compte bancaire canadien et une carte de crédit canadienne;

jj)    L'appelant n'a gagné aucun revenu de source canadienne avant 1995;

kk) L'appelant n'a pas produit de déclarations canadiennes de revenus pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994;

ll)    L'appelant a passé au Canada un nombre de jours indéterminé en 1991, puis environ 90 jours au cours de chacune des années 1992 et 1993 et environ 110 jours en 1994;

Non admis. Le témoignage de l'appelant, que j'accepte, indique qu'il a passé au Canada de 40 à 42 jours en 1992 et en 1993 et environ 50 à 67 jours en 1994.

mm) À partir de 1991, c'était avec le Canada et non avec le Koweït que les liens personnels et économiques de l'appelant étaient les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

Non admis. L'expression dans cet alinéa est utilisée dans les nombreuses conventions fiscales du Canada basées sur le modèle de l'OCDE, mais elle ne fait pas partie de la jurisprudence relative aux termes « résident » ou « résident habituel » .

nn) Pendant les années 1992, 1993 et 1994, l'appelant était un résident du Canada;

Non admis.

oo) Pendant les années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant a gagné au Koweït un revenu de 123 291 $, de 128 229 $ et de 137 685 $ respectivement, lequel revenu était imposable au Canada;

Les montants sont admis, ainsi que le fait qu'il s'agit de sommes gagnées au Koweït, mais, par ailleurs, cet alinéa n'est pas admis.

pp) En 1992, en 1993 et en 1994, l'appelant n'était pas assujetti à de l'impôt au Koweït sur le revenu gagné au Koweït et il n'a pas payé d'impôt au Koweït sur ce revenu.

[10]     On peut brièvement ajouter à ces faits les quelques points suivants que la preuve a établis. L'appelant est né à London (Ontario) en 1952. Ses parents sont d'origine libanaise. Il a étudié l'histoire à l'Université Western et, en 1977, il est allé à Bagdad pour parfaire sa connaissance de l'arabe à l'Université de Bagdad. Il a déménagé au Koweït en 1978 et a obtenu un emploi à Alghanim Industries, société appartenant à une riche famille koweïtienne. Il s'agissait d'une société transnationale diversifiée représentant de grandes sociétés transnationales américaines et anglaises.

[11]     C'est au Koweït que l'appelant a rencontré son épouse, qu'il a mariée en mars 1979. Son épouse est née à Damas et était une ressortissante jordanienne, mais vivait au Koweït depuis l'âge de cinq ans. Ils ont trois enfants, âgés de trois, sept et huit ans. Ils ont vécu dans des maisons ou appartements loués, mais, lors de la guerre du Golfe, ils avaient commencé la construction d'une maison. Celle-ci était achevée dans une proportion de 50 à 60 p. 100 quand la guerre a éclaté.

[12]     L'appelant s'est élevé dans la société Alghanim, dans laquelle il est devenu le dirigeant du plus haut rang qui n'était pas un membre de la famille. Il était vice-président directeur et chef de l'exploitation responsable du comité d'exploitation; 40 unités d'exploitation et 4 500 employés relevaient de lui.

[13]     Lorsque la guerre du Golfe a éclaté, l'appelant et sa famille étaient en visite chez des parents à London. La famille de l'épouse de l'appelant a mis dans des conteneurs les meubles de l'appelant et de son épouse et les a envoyés en Jordanie et a apporté chez elle les objets de valeur de l'appelant (bijoux, tapis, oeuvres d'art, registres personnels et autres objets précieux).

[14]     L'appelant est retourné au Koweït le 28 février 1991 et a emménagé dans un appartement meublé que fournissait la société. Avant cela, il vivait à New York, où restait la famille Alghanim, qui avait deux résidences aux États-Unis.

[15]     À New York, il a dirigé une équipe de gestion de crise pour la société au sein de laquelle il traitait avec plus de 50 sociétés transnationales du monde entier avec lesquelles la société avait des relations d'affaires et avec les nombreux employés de la société.

[16]     Il a en outre dirigé une équipe qui avait été mise sur pied par le gouvernement du Koweït et dont l'acronyme était KERP. Je n'ai pas pris note de ce que désigne cet acronyme, mais la fonction de cette équipe était de s'occuper de véhicules d'urgence - voitures de police, ambulances, voitures de pompiers - après la dévastation causée par les envahisseurs irakiens.

[17]     À cette époque, l'appelant essayait constamment de faire revenir au Koweït son épouse et sa famille, mais le gouvernement du Koweït avait pris un décret portant que les ressortissants jordaniens qui n'étaient pas au Koweït à la fin de la guerre ne pouvaient y retourner. L'appelant espérait que ce décret serait abrogé, mais il ne l'a jamais été. En 1994, la maison dont l'appelant avait entrepris la construction était terminée, et l'appelant entendait y emménager avec sa famille, mais il n'arrivait pas à obtenir que sa femme revenir revenir au Koweït. Il n'a pas mis cette maison en vente, mais il a accepté de la vendre en 1994 à une personne qui l'avait contacté.

[18]     Les responsabilités qu'il a eues après l'invasion et jusqu'à ce que, en 1994, il quitte la société consistaient à aider les employés, dont la plupart avaient des difficultés à faire face à la perturbation causée par la guerre, à traiter des affaires d'ordre financier et à s'occuper d'envois en transit.

[19]     L'appelant avait des placements au Canada : trois concessions d'automobiles, dont une lui appartenait par l'intermédiaire de sociétés. Il a aidé sa mère à acheter une maison et a garanti une hypothèque, mais il n'était pas présent lorsque la vente a été conclue et il n'a vu la maison qu'après que sa mère l'eut achetée. Cette maison était nécessaire, car, bien malgré eux, son épouse et sa famille vivaient au Canada, parce qu'ils ne pouvaient retourner au Koweït. Son épouse a obtenu le statut d'immigrant reçu pour pouvoir rester au Canada aussi longtemps qu'elle ne pourrait retourner au Koweït. L'appelant avait toujours un permis de conduire de l'Ontario, une carte d'assurance-maladie de l'Ontario et un passeport canadien, mais il les avait depuis 1977, période pendant laquelle personne ne prétendait qu'il était un résident du Canada. Ses placements au Canada étaient purement passifs; il n'avait rien à voir avec leur administration.

[20]     Aucun de ces facteurs, y compris le compte bancaire et les cartes de crédit qu'il avait au Canada, et qu'il lui fallait avoir parce que sa famille vivait ici, ne fait qu'il était un résident habituel du Canada en 1992, en 1993 et en 1994.

[21]     À mon avis, l'appelant n'est devenu un résident qu'en 1995. Sa famille a habité au Canada à partir de 1991 en raison de la guerre du Golfe. L'appelant a indiscutablement été un non-résident jusqu'en 1991, et son statut n'a changé qu'en 1995, quand il a quitté la résidence ainsi que l'emploi qu'il avait au Koweït.

[22]     Il y a une abondante jurisprudence au Canada sur ce que désigne le fait d'être un « résident habituel » du Canada. Une personne qui a au Canada une maison où elle a toujours vécu, mais qui passe, par exemple, sept mois sur douze en voyage ou en vacances hors du Canada peut quand même être un « résident habituel » du Canada. L'appelant n'était pas un résident habituel du Canada depuis 1977, année où il est parti pour Bagdad.

[23]     Dans l'affaire Fisher c. La Reine, C.C.I., no 92-1160(IT)G, 29 septembre 1994, 95 D.T.C. 840, j'avais examiné la jurisprudence, et il est utile de citer de nouveau des passages de ces jugements pour montrer à quel point l'appelant était loin d'être un « résident habituel » du Canada dans les années 1992, 1993 et 1994 et à quel point la situation de l'appelant en l'espèce était différente de la situation de M. Fisher. L'appelant devait maintenir sa famille au Canada, car son épouse ne pouvait retourner au Koweït. Ses visites étaient brèves. Il n'était pas propriétaire d'une maison au Canada. C'était avec le Koweït, où il avait une résidence, qu'il avait tous ses liens économiques.

[24]     Aux pages 10 à 15 (D.T.C. : aux pages 843 à 845), j'ai fait état de certains des arrêts-clés.

Le jugement faisant autorité quant à la signification de l'expression « résident habituel » est l'arrêt Thomson v. Minister of National Revenue, 2 D.T.C. 812 (CSC). Les différents motifs de jugement qui ont été rendus dans cette affaire illustrent la difficulté qu'il y a à attribuer une signification précise à cette expression plutôt vague. Le juge Estey a déclaré à la page 813 :

[TRADUCTION]        

D'après le dictionnaire et d'après l'interprétation que les tribunaux donnent de ces termes, un individu est « résident habituel » du lieu où, dans sa vie de tous les jours, il habite d'une manière régulière, normale ou habituelle. On « séjourne » à un endroit que l'on visite ou dans un lieu où l'on demeure exceptionnellement, occasionnellement ou par intermittence. Dans le premier cas, c'est le caractère permanent qui prédomine, et dans le second, le caractère temporaire. La différence ne peut être exprimée d'une manière claire et nette, chaque cas devant être déterminé compte tenu de tous les facteurs pertinents, mais ce qui précède indique d'une façon générale la différence essentielle. Ce n'est pas la longueur de la visite ou du séjour qui détermine la question. Même la période de 183 jours prévue à l'alinéa 9b) de la présente loi ne détermine pas si la personne séjournait ou non en un lieu; elle détermine simplement si la personne ayant séjourné doit ou non payer de l'impôt.           

Les observations que le vicomte Summer a formulées dans le jugement Inland Revenue Commissioners v. Lysaght, (1928) A.C. 234, à la page 243, fournissent une indication :

[TRADUCTION]        

« Le terme « habituel » s'oppose à « inhabituel » , et la partie des habitudes de vie qu'une personne adopte volontairement et de manière à s'installer n'a aucun caractère « inhabituel » . »           

Lord Buckmaster, avec qui lord Atkinson s'est dit d'accord dans le même jugement, a déclaré à la page 248 :        

[TRADUCTION]        

« [...] si une personne est résidente une fois qu'elle est installée, l'expression « résident habituel » signifie simplement d'après moi que la résidence n'est pas occasionnelle et incertaine et que la personne réputée résider en un lieu y réside dans le cours normal de sa vie. »

L'appelant a choisi le lieu et a construit et meublé sa résidence aux fins mentionnées et l'entretient comme peut le faire quelqu'un de sa condition sociale. Pendant des années de suite, sa résidence en ce lieu a fait partie de son mode de vie habituel, et l'appelant agissait à son entière discrétion. Quand on prend ces faits en considération, et notamment les fins pour lesquelles il a établi cette résidence, il semble qu'on ne puisse que conclure qu'au sens de la présente loi, l'appelant réside habituellement à East Riverside, Nouveau-Brunswick, et doit donc payer de l'impôt sur le revenu en vertu de l'alinéa 9a).

Il est bien établi qu'une personne peut avoir plus d'une résidence; par conséquent, le fait que l'appelant ait une résidence à Pinehurst ou à Belleair n'a pas d'utilité ou d'influence en ce qui concerne le règlement de cette question.           

Aux pages 815 et 816, le juge Rand a déclaré :

[TRADUCTION]

La progression par degrés en ce qui concerne le temps, l'objet, l'intention, la continuité et les autres circonstances pertinentes, montre que, dans le langage ordinaire, le terme « résidant » ne correspond pas à des éléments invariables qui doivent tous être présents dans chaque cas donné. Il est tout à fait impossible d'en donner une définition précise et applicable à tous les cas. Ce terme est très souple, et ses nuances nombreuses varient non seulement suivant le contexte de différentes matières, mais aussi suivant les différents aspects d'une même matière. Dans un cas donné, on y retrouve certains éléments, dans d'autres, on en trouve d'autres dont certains sont fréquents et certains autres nouveaux.

L'expression « résidence habituelle » a un sens restrictif et, alors qu'à première vue elle implique une prépondérance dans le temps, les décisions rendues en vertu de la Loi anglaise ont rejeté ce point de vue. On a jugé qu'il s'agit de résidence au cours du mode habituel de vie de la personne en question, par opposition à une résidence spéciale, occasionnelle ou fortuite. Pour appliquer le critère de la résidence habituelle, il faut donc examiner le mode général de vie.

Aux fins de la législation de l'impôt sur le revenu, il est nécessaire de considérer que chaque personne a, en tout temps, une résidence. Il n'est pas nécessaire à cet effet qu'elle ait une maison ni un endroit particulier où elle demeure, ni même un abri. Elle peut dormir en plein air. Ce qui importe seul, c'est de déterminer dans l'espace les limites dans lesquelles elle passe sa vie ou auxquelles se rattache ce mode de vie ordonné ou coutumier. La meilleure façon d'apprécier la résidence habituelle est d'en examiner l'antithèse, la résidence occasionnelle, temporaire ou extraordinaire. Cette dernière semble nettement être non pas seulement temporaire et exceptionnelle quant à ses circonstances, mais s'accompagne également d'une notion de provisoire et de retour.

Mais dans les différentes situations de prétendues « résidences permanentes » , « résidences temporaires » , « résidences habituelles » , « résidences principales » et ainsi de suite, les adjectifs n'influent pas sur le fait qu'il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question. Il se peut qu'elle soit limitée en durée dès le début ou qu'elle soit indéterminée, ou bien, dans la mesure envisagée, illimitée. Sur le plan inférieur, les expressions comportant le terme résidence doivent être distinguées, comme elles le sont je crois dans le langage ordinaire, du concept de « séjour » ou de « visite » .

Le juge Kerwin a déclaré aux pages 817 à 819 :

[TRADUCTION]

Il n'existe dans la Loi aucune définition du terme « résident » ni de l'expression « résidant habituellement » , mais on doit leur donner le sens que leur attribue l'usage courant. Lorsqu'on examine une loi fiscale, il est juste de déclarer, je pense, comme l'indique le Standard Dictionary, que les termes « reside » [résider] et « residence » [résidence] sont plus ou moins solennels et ne doivent pas s'employer sans distinction à la place de « vivre » , « maison » ou « logis » . Le Shorter Oxford English Dictionary indique que le sens de « reside » [résider] est « habiter en permanence ou pendant un temps considérable, avoir son habitation fixe ou habituelle, vivre, dans un lieu ou en un endroit déterminé » . Selon ce même dictionnaire, « ordinarily » [habituellement] signifie: « 1. En conformité des règles; de façon habituelle. 2. Dans la plupart des cas, couramment, ordinairement. 3. Dans la mesure habituelle. 4. Comme il est normal ou habituel. » D'un autre côté, le sens du terme « sojourn » [séjourner] est donné comme étant « faire un séjour temporaire en un endroit; rester ou résider pendant un certain temps. »

[ ... ]     

L'appelant tente de se faire considérer comme ayant simplement séjourné au Canada puisqu'il a pris bien soin d'y rester pendant une ou des périodes dont l'ensemble est de moins de 183 jours au cours de chaque année. Il échoue dans cette tentative. Les liens familiaux de son épouse, sinon les liens qui la rattachent à lui, le fait qu'il ait construit une grande maison et ait conservé les domestiques et toutes les circonstances entourant cette affaire établissent clairement selon moi que son occupation de la maison et ses activités au Canada débordaient le cadre d'un simple séjour temporaire.

Le juge Kellock a déclaré à la page 819 :

[TRADUCTION]

Le terme « ordinarily » [habituellement] est défini comme signifiant « en conformité des règles ou des pratiques ou usages établis » , « de façon habituelle » , « en temps normal ou ordinaire » , « couramment » , « ordinairement » , « comme il est normal ou habituel » .

Comme le juge Cartwright l'a déclaré dans l'affaire Beament v. M.N.R., 52 D.T.C. 1183, chaque cas dépend des faits qui lui sont propres. Les principes énoncés dans un certain nombre d'autres jugements, outre l'arrêt Thomson, sont toutefois instructifs. Dans l'affaire The Queen v. Reeder, 75 D.T.C. 5160, le juge Mahoney a déclaré à la page 5163 :

Quoique le défendeur en l'espèce fût totalement étranger à cette vie de riche désoeuvré, et à toute préméditation d'évasion fiscale, les éléments qui servaient dans ces arrêts à déterminer la question de fait de la résidence fiscale, s'appliquent aussi en l'espèce. Ces éléments sont notamment :     

a. le genre de vie passé ou présent;

b.    la régularité et la durée des séjours dans le ressort de la juridiction de la résidence;

c.    les liens dans le ressort de cette juridiction;

d.    les liens en d'autres lieux;     

e.    le caractère permanent ou autre des séjours à l'étranger.

La question des liens dans le ressort de la juridiction de résidence et en d'autres lieux englobe toute la gamme des rapports et des engagements d'une personne : biens et placements, emploi, famille, affaires, liens culturels et mondains en sont des exemples. Tous les éléments ne seront pas retenus dans chaque cas. Ils doivent être considérés à la lumière du postulat que chacun doit avoir une résidence fiscale et qu'un individu peut avoir simultanément plus d'une résidence du point de vue fiscal.

À mon avis, il ressort manifestement du jugement Schujahn v. M.N.R., 62 D.T.C. 1225, et de l'arrêt Thomson qu'il faut considérer avec circonspection les décisions rendues en vertu de lois fiscales du Royaume-Uni.

Bien qu'en définitive les critères établis par les tribunaux présentent une structure commune, il semble que les causes de résidence personnelle entrent dans trois grandes catégories :

a)       une personne jusque-là résidente habituelle du Canada s'en va, prend résidence ailleurs et allègue qu'elle a rompu ses liens avec le Canada si bien qu'elle ne réside plus ici;

b)       une personne résidant habituellement dans un autre pays acquiert une résidence au Canada et y noue d'autres liens. La question est alors de savoir si cette personne est devenue « résidente habituelle » du Canada;

c)       un résident canadien quitte le Canada, rompt ses liens avec notre pays si bien qu'il n'est plus résident canadien, puis renoue des liens avec le Canada. La question est alors de savoir si cette personne est de nouveau résidente canadienne.

Les critères peuvent finalement être les mêmes, mais le type de preuve nécessaire pour établir l'abandon de la résidence canadienne serait normalement un peu différent du genre de preuve à présenter pour établir que le contribuable a acquis ou repris la résidence canadienne.

[25]     De nombreux autres arrêts ont été cités. Il ne serait pas utile de passer ces causes en revue ou de les comparer avec la présente espèce. L'appelant avait clairement rompu ses liens résidentiels avec le Canada en 1977 et ne les a réacquis qu'en 1995, lorsqu'il est revenu s'installer ici. Rien de ce qu'il a fait ou avait à faire durant les années 1992, 1993 et 1994 n'était suffisant pour permettre de conclure qu'il était un résident habituel du Canada au cours de ces années.

[26]     Les appels sont admis, avec dépens, et les cotisations fixant l'impôt, les intérêts et les pénalités pour 1992, 1993 et 1994 sont annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de septembre 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de février 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur

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