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Dossier : 2004‑2972(EI)

ENTRE :

KRISTIN A. PORTER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

ADVANCE CLAIMS SERVICE LTD.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

_______________________________________________________________

Appel entendu à Vancouver (Colombie‑Britannique),

les 4 et 5 novembre 2004

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocate de l’intimé :

Représentant de l’intervenante :

Me Pavanjit Mahil

C. David Porter

_______________________________________________________________

JUGEMENT

 

          L’appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 


Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juin 2005.

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2007.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

 

 

Référence : 2005CCI364

Date : 20050609

Dossier : 2004-2972(EI)

ENTRE :

KRISTIN A. PORTER,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

ADVANCE CLAIMS SERVICE LTD.,

intervenante.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Campbell

 

[1]     Le 30 septembre 2003, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rendu une décision par laquelle il rejetait la demande de prestations d’assurance‑emploi présentée par l’appelante relativement à l’emploi qu’elle avait occupé auprès d’Advance Claims Service Ltd. (« Advance »), une société appartenant exclusivement à son mari, David Porter, pour la période allant du 24 juillet 2002 au 15 juillet 2003 (la « période »). L’appelante a porté cette décision en appel et, le 25 mai 2004, le ministre a confirmé que l’appelante n’occupait pas un emploi assurable chez Advance pendant la période, puisqu’elle avait un lien de dépendance avec cette entreprise. C’est cette décision qui fait l’objet du présent appel. David Porter, le mari de l’appelante, a comparu pour le compte de l’intervenante.

 

[2]     L’appelante a commencé à travailler dans le secteur des assurances, comme réceptionniste, à la fin de ses études secondaires. Elle a travaillé pour plusieurs sociétés et, au fil des ans, elle a acquis de l’expérience dans le service des sinistres, à la fois comme experte en sinistres et comme estimatrice de dommages. Elle a expliqué qu’une experte en sinistres enquête, négocie et règle des réclamations pour plusieurs sociétés d’assurances, alors qu’une estimatrice de dommages s’occupe des dossiers de réclamation d’une seule société d’assurances et supervise les dossiers confiés à des experts en sinistres.

 

[3]     En juillet 2001, l’appelante a eu son premier enfant et a pris un congé de maternité. Son ancien employeur n’allait pas l’embaucher à temps partiel à la fin de son congé. Exactement au même moment, la société de son mari, Advance, négociait un contrat de services de courte durée avec Economical Mutual Insurance Company (« Economical »). Advance traitait les déclarations de sinistre pour le compte de sociétés d’assurances et Economical avait besoin des services d’un estimateur de dommages à temps partiel, soit environ pendant 21,5 heures par semaine durant à peu près trois mois. Advance a soumis le nom et le curriculum vitae de plusieurs candidats qualifiés, dont l’appelante. Economical a choisi de travailler avec cette dernière en raison de sa formation et de son expérience dans l’industrie en tant qu’estimatrice de dommages. C’est à ce moment‑là que l’appelante a commencé à travailler pour Advance, en juillet 2002.

 

[4]     Economical versait à Advance 4 000 $ par mois pour les services de l’appelante. Advance payait l’appelante 3 000 $ par mois (environ 35 $ l’heure) pour travailler exclusivement pour Economical comme estimatrice de dommages pendant 21,5 heures par semaine. L’appelante avait un horaire variable et relevait de la directrice aux réclamations d’Economical, Janet Stalmans. Economical fournissait à l’appelante un poste de travail et un ordinateur dans ses bureaux, tout en lui donnant la possibilité de travailler chez elle. Selon l’appelante, elle a travaillé dans les bureaux d’Economical environ 75 p. 100 du temps, sauf vers la fin de son contrat où cette proportion a atteint 100 p. 100. Son contrat a été prolongé à la fin des trois mois et elle a travaillé pour Economical jusqu’en février 2003. Elle a donc travaillé pour cette société pendant sept mois au total. Janet Stalmans a corroboré le témoignage de l’appelante concernant les conditions de travail et son emploi auprès d’Economical.

 

[5]     Lorsque le contrat avec Economical a pris fin à la fin de février 2003, l’appelante a commencé à travailler directement pour Advance. Les modalités de son emploi ont alors changé considérablement. Pendant cette deuxième période de travail, l’appelante ne relevait plus d’Economical, mais d’Advance. Le titre de son poste n’était plus estimatrice de dommages (comme chez Economical), mais experte en sinistres. Elle ne travaillait plus que 14 heures par semaine, tout en continuant d’être payée 3 000 $ par mois. En plus de son travail d’experte en sinistres, elle effectuait certaines tâches administratives et des fonctions de réceptionniste. Bien que la preuve concernant son dernier jour de travail soit contradictoire, son relevé d’emploi (pièce A‑7) indiquait que son emploi s’était terminé le 15 juillet 2003, date à laquelle son deuxième fils est né.

 

[6]     Deux questions sont en litige dans le présent appel :

 

(1)      Compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, était‑il raisonnable que le ministre conclue que les parties n’auraient pas conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance, suivant l’alinéa 5(3)b) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi »)?

 

(2)      La période d’emploi peut‑elle être divisée en deux périodes d’emploi séparées dont l’une peut constituer un emploi assurable?

 

[7]     Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est appuyé sont énoncées au paragraphe 7 de la réponse à l’avis d’appel :

 

[TRADUCTION]

a)         Advance traite des déclarations de sinistre pour le compte de sociétés d’assurances;

 

b)         David Porter (« M. Porter ») est le seul actionnaire d’Advance;

 

c)         l’appelante est l’épouse de M. Porter;

 

d)         Economical Mutual Insurance Company (« Economical ») était une cliente d’Advance;

 

e)         l’appelante fournissait ses services à Economical;

 

f)          dans le cadre de ses fonctions auprès d’Economical, l’appelante examinait les réclamations, s’occupait du courrier et des paiements et fermait les dossiers;

 

g)         l’appelante travaillait dans les bureaux d’Economical et chez elle;

 

h)         l’appelante possédait au moins dix ans d’expérience dans le secteur des assurances;

 

i)          l’appelante avait un enfant d’un an à la maison pendant la période;

 

j)          l’appelante devait travailler 21,5 heures par semaine pour Economical;

 

k)         l’appelante travaillait trois jours par semaine;

 

l)          l’appelante a indiqué dans sa demande de prestations qu’elle avait travaillé cinq jours et 40 heures par semaine;

 

m)        ni l’appelante ni Advance ne prenaient note du nombre d’heures travaillées par l’appelante;

 

n)         l’appelante était payée deux fois par mois, à un taux mensuel de 3 000 $;

 

o)         le contrat d’Advance avec Economical a pris fin en mars 2003;

 

p)         l’appelante est demeurée au service d’Advance après la fin du contrat avec Economical, à la mi‑mars 2003;

 

q)         l’appelante n’a pas placé son enfant d’un an à la garderie pendant qu’elle travaillait pour Advance;

 

r)          ni l’appelante ni Advance ne savaient combien d’heures l’appelante a réellement travaillé pour Advance;

 

s)         en mars 2003, l’appelante a réduit ses heures de travail à environ 14 heures par semaine;

 

t)          l’appelante recevait le même salaire après que sa charge de travail eut été réduite en mars 2003;

 

u)         le relevé d’emploi de l’appelante indique qu’elle a travaillé jusqu’au 15 juillet 2003;

 

v)         l’appelante a eu son deuxième enfant le 15 juillet 2003.

 

[8]     L’appelante et M. Porter, pour le compte de l’intervenante, ont admis toutes les hypothèses du ministre, à l’exception de sept d’entre elles. Ils ont nié les hypothèses l), m), n), q), r), t) et u) ou ont donné des précisions à leur sujet :

 

Hypothèse l) : L’appelante a effectivement indiqué dans sa demande de prestations (pièce R‑2) qu’elle avait travaillé cinq jours et 40 heures par semaine. Plusieurs mois plus tard, elle a écrit, dans le questionnaire du travailleur (pièce R‑1) daté du 1er février 2004, qu’elle avait travaillé trois jours et 21,5 heures par semaine. Lors de son contre‑interrogatoire, l’appelante a déclaré qu’elle avait tout simplement commis une erreur dans sa demande de prestations. Le relevé d’emploi (pièce A‑7) indiquait que l’appelante avait travaillé 2 040 heures ou 40 heures par semaine du 24 juillet 2002 au 15 juillet 2003. Plusieurs mois plus tard, M. Porter a écrit, dans le questionnaire du payeur (pièce R‑3) daté du 27 février 2004, que l’appelante avait travaillé 21,5 heures par semaine, à raison de trois jours par semaine. M. Porter a indiqué dans son témoignage qu’il n’avait jamais vu le relevé d’emploi. Selon lui et l’appelante, le teneur de livres d’Advance avait dû faire une erreur en remplissant ce formulaire et le nombre d’heures assurables par semaine ne totalisait pas 2 040, mais plutôt 802. Le teneur de livres n’a pas été appelé à témoigner. Un relevé d’emploi modifié daté du 11 mai 2004 (pièce A‑8) indiquait que les heures assurables totalisaient 802. Selon la preuve, ce relevé modifié était fondé sur le nombre de dossiers dont l’appelante s’était occupée et sur une [TRADUCTION] « estimation modeste » du temps que l’appelante aurait consacré à chacun d’eux.

 

Hypothèse m) : L’appelante a nié cette hypothèse et a déclaré qu’elle avait pris note des heures qu’elle avait travaillées entre le 23 juillet 2002 et le 23 septembre 2002 sur une feuille de calcul Excel (pièce A‑2), ce qui correspondait à la réponse donnée dans son questionnaire. Elle a cessé de consigner ses heures lorsque sa gestionnaire chez Economical, Janet Stalmans, lui a dit que ce n’était pas nécessaire. Mme Stalmans a indiqué dans son témoignage qu’elle ne se rappelait pas si elle avait vu la feuille de temps ou non, mais qu’Economical n’exigeait pas de l’appelante qu’elle consigne ses heures. Elle a ajouté qu’Economical tenait seulement à ce que le travail soit effectué de manière satisfaisante. Lorsque l’appelante est retournée travailler dans les bureaux d’Advance à la fin de février 2003, elle n’a pas consigné ses heures. M. Porter a indiqué qu’Advance n’exigeait pas de l’appelante qu’elle consigne ses heures pour les raisons suivantes : (1) dans le secteur des assurances, les experts en sinistres sont censés faire leur travail avec peu ou pas du tout de supervision; (2) l’appelante avait les compétences requises pour effectuer ce travail et Advance était satisfaite de son rendement; (3) Advance recevait [TRADUCTION] « un montant fixe » pour le travail d’experte en sinistres que l’appelante effectuait par téléphone.

 

Hypothèse n) : L’appelante a admis cette hypothèse, mais a indiqué que le montant était raisonnable pour ce type de travail. Une estimatrice de dommages possédant la même expérience que l’appelante et travaillant pour Aviva, Rhyannon Martin, a mentionné dans son témoignage que son salaire mensuel était actuellement de 4 100 $. Mme Stalmans a indiqué qu’Economical versait aux estimateurs de dommages travaillant à l’interne un salaire variant entre 48 000 $ et 52 000 $ par année, ou entre 4 000 $ et 4 300 $ par mois, auquel s’ajoutent les avantages. L’appelante a produit des factures (pièce A‑11) montrant qu’Economical avait versé à Advance 4 000 $ par mois pour ses services, ainsi qu’une déclaration signée par Mme Stalmans indiquant que [TRADUCTION] « ... le travail était proportionné au temps consacré à l’estimation et au montant que nous payions pour le service » et qu’elle reconnaissait qu’elle payait [TRADUCTION] « un petit supplément pour le service, mais les choses se passent habituellement ainsi dans le cas d’un contrat de courte durée ». En ce qui concerne la structure de rémunération, la preuve démontrait que les estimateurs de dommages reçoivent habituellement un salaire, alors que les experts en sinistres facturent généralement leurs heures ou leur travail à une société de règlement de sinistres, laquelle facture ensuite les heures, auquel cas l’expert en sinistres recevra probablement une commission et non un salaire. Il appert qu’Advance a employé neuf experts en sinistres au cours des ans et que ceux‑ci étaient généralement payés par commission. Certaines de ces personnes ont travaillé en même temps que l’appelante. Selon le témoignage de M. Porter, l’appelante et un certain M. Boyle recevaient un salaire. Deux autres experts en sinistres ont également reçu un salaire, mais seulement pendant une période de trois à six mois, ce salaire devant les aider à démarrer leur travail. Ils ont ensuite été payés par commission. En outre, Liz Brownrigg, la personne qui, selon M. Porter, a été embauchée pour remplacer l’appelante, reçoit une commission pour son travail d’experte en sinistres à temps partiel. Il ressort également de la preuve que M. Porter a discuté avec une experte en sinistres sans aucun lien avec lui, Rhyannon Martin, de la possibilité de travailler pour Advance dans un poste semblable à celui de l’appelante. Mme Martin a indiqué dans son témoignage qu’elle avait discuté avec M. Porter de la possibilité de travailler pour Advance trois jours par semaine aux bureaux de Wilson Beck Insurance, à un salaire mensuel de 3 000 $. Ce témoignage était corroboré par une déclaration signée par Bob Ball, premier vice‑président de Wilson Beck (pièce A‑15). Mme Martin a indiqué dans son témoignage que M. Porter lui avait dit qu’il lui offrirait un contrat de deux ou de trois ans, de sorte qu’elle pourrait continuer à travailler directement pour Advance si le contrat avec Wilson Beck prenait fin. Les modalités de l’emploi auprès d’Advance elle‑même et le salaire payé par celle‑ci n’ont cependant jamais été discutés et cette proposition n’est finalement pas allée plus loin.

 

Hypothèse q) : Contestant cette hypothèse, l’appelante a soutenu que son fils allait à la garderie trois jours par semaine en moyenne d’août 2002 à mars 2003 – soit pendant la durée du contrat avec Economical – et un jour par semaine de mars 2003 à juillet 2003 – soit pendant qu’elle travaillait directement pour Advance. En ce qui concerne la première période, l’appelante a produit une lettre signée par Sandra Meyer (pièce A‑5), dans laquelle celle‑ci écrit qu’elle s’est occupée du fils de l’appelante trois jours par semaine en moyenne d’août 2002 à mars 2003. Des copies de reçus (pièce A‑3) montrant les sommes payées à Mme Meyer pour les mois de juillet 2002 à décembre 2002 ont également été produites. L’appelante a dit que les reçus pour les mois de janvier et de février 2003 étaient manquants. Elle a toutefois produit une copie du sommaire de sa déclaration de revenus de 2003, qui indiquait qu’elle avait déclaré des frais de garde d’enfants de 627 $. En ce qui concerne la période de travail consécutive à son départ d’Economical, l’appelante a indiqué que sa belle‑mère s’occupait de son fils tous les mercredis de mars 2003 à juillet 2003. Une déclaration non datée signée par Brenda Porter, dans laquelle celle‑ci mentionne qu’elle prenait soin de son petit‑fils tous les mercredis pendant cette période, a été produite sous la cote A‑6. Une agente des décisions de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), Colleen Hendrickson, a toutefois affirmé dans son témoignage que l’appelante lui avait dit, au cours d’une conversation téléphonique, que Brenda Porter s’occupait de son fils [TRADUCTION] « peut‑être deux ou trois fois par mois » (transcription, à la page 211).

 

Hypothèse r) : L’appelante nie qu’elle ignorait le nombre d’heures qu’elle avait travaillées pour Advance. Elle a commencé à prendre note de ses heures de travail chez Economical, mais on lui a dit d’arrêter après plusieurs mois. Elle a déclaré qu’elle travaillait 21,5 heures par semaine pour Economical, ce qui a été corroboré par Mme Stalmans. L’appelante ne consignait pas ses heures chez Advance, mais elle a indiqué qu’elle travaillait au moins 14 heures par semaine. Elle effectuait son travail les mercredis, lorsque sa belle‑mère gardait son fils, et aussi pendant que ce dernier dormait et après le retour de son mari du travail. M. Porter a produit un bordereau (pièce A‑14) d’Advance qui indiquait que l’appelante s’était occupée de 11 dossiers en 2003, lorsqu’elle travaillait directement pour Advance. Il a témoigné qu’elle s’était aussi occupée d’autres dossiers qui n’étaient pas mentionnés dans ce bordereau. Ce document ne précisait pas à quel moment l’appelante s’était occupée de ces 11 dossiers ou combien de temps elle avait consacré à chacun, mais M. Porter a indiqué que chaque dossier nécessitait au moins trois heures de travail et que, dans la plupart des cas, le travail était plus long. Par ailleurs, la preuve concernant les avantages de l’appelante en matière de vacances était contradictoire. L’employeur n’a pas indiqué clairement si l’appelante avait droit ou non à une paye de vacances ou à des vacances payées. Selon la preuve, l’appelante a pris deux ou trois semaines de congés payés en mars 2003, ce qui semble indiquer qu’elle avait droit à des vacances payées. M. Porter a toutefois écrit, dans le questionnaire du payeur, que l’appelante n’avait pas de vacances payées et que ses vacances étaient probablement incluses dans son salaire. Il a prétendu lors de son témoignage qu’il avait probablement mal compris le sens de « vacances payées » et de « paye de vacances ».

 

Hypothèse t) : L’appelante a admis que sa paye était restée la même après son départ d’Economical à la fin de février 2003, même si elle travaillait moins d’heures chez Advance. Elle a cependant indiqué que cela était dû au fait qu’elle ne travaillait plus comme estimatrice de dommages – dont le travail consistait à faire des estimations pour une seule société d’assurances (Economical) – mais comme experte en sinistres – elle devait alors faire des estimations pour plus d’une société. Elle a fait valoir que le salaire d’un expert en sinistres est plus élevé. Mme Stalmans a indiqué dans son témoignage que les estimateurs de dommages reçoivent généralement un salaire et que celui‑ci est inférieur à celui des experts en sinistres, qui facturent leur travail à un taux horaire. Une estimatrice de dommages expérimentée au service d’Aviva, Rhyannon Martin, a indiqué dans son témoignage qu’une mutation d’un poste d’estimateur de dommages à un poste d’expert en sinistres serait considérée comme une [TRADUCTION] « mutation latérale » lorsqu’un employé souhaite avoir plus de souplesse quant à son horaire et à son lieu de travail. Elle ignorait quel poste était le mieux rémunéré. Elle a mentionné que les entreprises d’expertise en sinistres demandent habituellement entre 65 et 85 $ l’heure, plus les dépenses, mais elle n’était pas certaine du salaire versé par ces entreprises à leurs experts.

 

Hypothèse u) :       L’appelante a reconnu que le relevé d’emploi (pièce A‑7) indiquait que son dernier jour de travail était le 15 juillet 2003, mais elle a admis, lors de son contre-interrogatoire, qu’elle n’avait pas travaillé jusqu’à cette date, puisque son deuxième fils était né ce jour‑là. Elle a déclaré que son dernier jour de travail avait dû être le 14 juillet 2003. Or, l’agente des appels de RPC/AE, Carmen Vivash, a indiqué dans son témoignage que l’appelante lui avait dit qu’elle avait fini de travailler le jeudi ou le vendredi de la semaine précédente. L’agente des décisions, Mme Hendrickson, a témoigné que M. Porter lui avait dit que l’emploi de l’appelante avait pris fin en mai ou en juin 2003. Selon elle, M. Porter lui a dit que le relevé d’emploi indiquait que le dernier jour de travail était le 15 juillet 2003, peut‑être parce que l’appelante était en vacances ou peut‑être parce que son dernier jour de travail était postérieur à mai ou à juin 2003.

 

Analyse

 

[9]     L’alinéa 5(2)i) de la Loi prévoit expressément que l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance n’est pas un emploi assurable. Cependant, lorsque les parties sont liées et sont donc réputées avoir un lien de dépendance, comme c’est le cas en l’espèce, le ministre peut néanmoins, suivant l’alinéa 5(3)b) de la Loi, considérer qu’elles n’ont pas de lien de dépendance s’il est convaincu qu’elles auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance. Dans les premiers arrêts[1] portant sur cette question, la Cour d’appel fédérale a statué que la décision du ministre ne pouvait être modifiée que s’il pouvait être démontré qu’en rendant sa décision, le ministre avait irrégulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire, parce qu’il : a) avait agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites, b) n’avait pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes ou c) avait tenu compte d’un facteur non pertinent.

 

[10]    Ainsi, la Cour ne pouvait pas simplement substituer sa décision à celle du ministre, sauf s’il était démontré que celui‑ci avait commis une erreur de droit en commettant au moins l’un des actes décrits aux éléments a), b) ou c) ci‑dessus. Si, toutefois, l’appelant pouvait la convaincre que le ministre avait commis au moins l’un de ces actes, la Cour devait rendre une décision de novo, en vertu de ce qui constitue maintenant l’alinéa 5(3)b) [auparavant le sous‑alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l’assurance‑chômage], substituant ainsi sa propre décision, fondée sur tous les faits qui lui avaient été présentés, à celle du ministre.

 

[11]    On a souvent parlé de cette procédure comme de l’enquête en deux étapes. L’arrêt Légaré c. Canada, [1999] A.C.F. no 878, rendu en 1999, a jeté des doutes sur la validité de cette enquête et, du même coup, sur la méthode devant être utilisée par la Cour. Mes collègues, le juge Archambault, dans la décision Bélanger c. Canada, [2005] A.C.I. no 16, et le juge Bowie, dans la décision Birkland c. Canada, [2005] A.C.I. no 195, ont récemment analysé le rôle de la Cour à la lumière de l’arrêt Légaré et d’un certain nombre d’arrêts rendus par la suite par la Cour d’appel fédérale[2]. Le juge Bowie a fait un excellent résumé, à mon avis, de l’état actuel du droit aux paragraphes 3 et suivants de son jugement :

 

[3]        La Cour d’appel fédérale a réexaminé la question en 1999 dans l’arrêt Légaré c. Canada [voir la note 4 ci‑dessous]. Le juge Marceau, qui s’exprimait également au nom des juges Desjardins et Noël, a dit ce qui suit au paragraphe 4 :

 

  Note 4 : [1999] A.C.F. no 878.

 

4.  La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L’expression utilisée introduit une sorte d’élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu’il s’agit sans doute d’un pouvoir dont l’exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n’est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l’impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

 

À la suite de ce jugement, on a débattu de la question de savoir s’il représentait un changement d’orientation de la jurisprudence ou s’il s’agissait simplement d’une interprétation du droit qui avait été établi auparavant. Le premier point de vue a été adopté dans certains arrêts de la Cour d’appel fédérale [voir la note 5 ci‑dessous] et le dernier, dans d’autres [voir la note 6 ci‑dessous]. D’autres arrêts encore sont compatibles avec l’un et l’autre des points de vue [voir la note 7 ci‑dessous]. Mon collègue, le juge Archambault, a récemment analysé la question en profondeur dans la décision Bélanger c. M.R.N. [voir la note 8 ci‑dessous]. Je n’ai rien à ajouter au débat, mais je dois souligner que le juge Marceau lui‑même semblait être d’avis que l’arrêt Légaré avait infirmé les décisions rendues auparavant lorsque, dix mois plus tard, il a, dans l’arrêt Pérusse, écrit les deux paragraphes qui suivent, auxquels le juge Décary, qui avait rendu le jugement dans l’affaire Ferme Émile Richard, a souscrit :

 

  Note 5 : Pérusse c. Canada, [2000] A.C.F. no 310; Valente c. Canada, 2003 CAF 132; Massignani c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 172, et Denis c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 26.

 

  Note 6 : Candor Enterprises Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2000 IIJCan 16690 (C.A.F.); Quigley Electric Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 461, et Théberge c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 123.

 

  Note 7 : Gagnon c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 292, et Staltari c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 448.

 

  Note 8 : [2005] A.C.I. no 16.

 

13.            Il est clair, en lisant les motifs de la décision, que pour le président du tribunal l’objet de son enquête était de savoir si le ministre avait « judicieusement », selon l’expression consacrée, exercé la discrétion que la Loi lui accorde de « reconnaître la non‑exclusion » d’un contrat entre personnes liées. Il lui fallait donc examiner si la décision avait été prise de bonne foi, sur la base de faits pertinents révélés par une enquête sérieuse, et non sous l’influence indue de considérations étrangères. Ainsi, dès le départ, à la page 3 de ses motifs, le juge écrit :

 

La détermination dont fait l’objet le présent appel résulte du pouvoir discrétionnaire prévu par les dispositions de l’article 3(2)(c) de la Loi qui se lit comme suit :

            [...]

L’appelante devait relever, par prépondérance de la preuve, le fardeau de preuve à l’effet que l’intimé n’avait pas, lors de l’évaluation du dossier, respecté les règles de l’art relatives à la discrétion ministérielle, une réponse négative ayant pour effet d’empêcher toute intervention de ce tribunal.

 

Et finalement sa conclusion, à la page 16 :

 

            Pour ce qui est de l’appel, je ne puis y faire droit étant donné que l’appelante n’a pas fait la preuve que l’intimé avait mal exercé sa discrétion.

 

14.           En fait, le juge agissait dans le sens que plusieurs décisions antérieures pouvaient paraître prescrire. Mais cette Cour, dans une décision récente, s’est employée à rejeter cette approche, et je me permets de citer ce que j’écrivais alors à cet égard dans les motifs soumis au nom de la Cour [...]

 

Le juge Marceau a ensuite cité le paragraphe 4 des motifs qu’il a prononcés dans l’arrêt Légaré.

 

4.        Il est suffisant, à cette étape‑ci, de décrire simplement ce qu’est, à mon avis, l’état actuel du droit. Je me fonde principalement à cet égard sur le paragraphe 4 de l’arrêt Légaré (reproduit ci‑dessus) et sur l’extrait suivant du jugement rendu par le juge en chef Richard, auquel ont souscrit les juges Létourneau et Noël, dans l’affaire Denis c. Canada [voir la note 9 ci‑dessous] :

 

  Note 9 : Précité, au paragraphe 5.

 

5. Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt dans un appel d’une détermination du ministre sur les dispositions d’exclusion contenues aux paragraphes 5(2) et (3) de la Loi est de s’enquérir de tous les faits auprès des parties et les témoins appelés pour la première fois à s’expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre paraît toujours raisonnable. Toutefois, le juge ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus (voir Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2000 A.C.F. no 310, 10 mars 2000).

 

Si je comprends bien ces arrêts, le rôle de la Cour canadienne de l’impôt consiste à mener un procès au cours duquel les deux parties peuvent produire des éléments de preuve concernant les modalités aux termes desquelles l’appelant était employé, les modalités aux termes desquelles des personnes sans lien de dépendance, effectuant le même travail que l’appelant, étaient employées par le même employeur et les conditions d’emploi prévalant dans l’industrie pour le même genre de travail, au même moment et au même endroit. Des éléments de preuve relatifs à la relation existant entre l’appelant et l’employeur peuvent évidemment être produits également [voir la note 10 ci‑dessous]. À la lumière de tous ces éléments de preuve et de l’opinion du juge sur la crédibilité des témoins, la Cour doit ensuite déterminer si le ministre aurait pu raisonnablement, en ayant connaissance de l’ensemble de cette preuve, ne pas conclure que l’employeur et une personne avec laquelle il n’avait pas de lien de dépendance auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable [voir la note 11 ci‑dessous]. Si je comprends bien, c’est là le degré de retenue judiciaire accordé à l’avis du ministre du fait de l’emploi, par le législateur, de l’expression « […] si le ministre du Revenu national est convaincu […] » à l’alinéa 5(3)b) [voir la note 12 ci‑dessous].

 

  Note 10 : Voir l’alinéa 5(3)a) de la Loi ainsi que les articles 251 et 252 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

  Note 11 : Certains appels concernent la décision du ministre selon laquelle l’emploi était régi par un contrat de travail semblable à celui qu’auraient conclu deux personnes sans lien de dépendance, afin que l’emploi soit jugé non assurable, parce que l’employeur et l’employé, ou l’un d’eux, ne souhaitent pas participer au régime d’assurance‑emploi. Je ne traiterai pas de ces cas, car des considérations différentes peuvent s’y appliquer : voir C & B Woodcraft Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CCI 477, aux paragraphes 9 à 13, et Actech Electrical Limited c. M.R.N., 2004 CCI 572, au paragraphe 17, où deux points de vue différents sur le régime prévu par la loi ont été exprimés de manière incidente.

  Note 12 : Cette formulation du critère ne tient pas compte de la possibilité que l’on conclue que le ministre a agi de mauvaise foi ou pour un motif illégitime. Cette question n’a pas été abordée dans les affaires postérieures à Jencan et à Bayside, et il ne fait aucun doute qu’il est préférable d’attendre qu’une telle affaire surgisse pour la trancher.

 

J’approuve ce résumé du juge Bowie concernant le rôle joué actuellement par la Cour dans des appels semblables.

 

[12]    Le rôle de la Cour canadienne de l’impôt dans des instances relatives à l’assurance‑emploi, qui a été décrit dans les arrêts Légaré et Pérusse, a récemment été confirmé par le juge Létourneau dans l’arrêt Livreur Plus Inc. c. Canada, [2004] A.C.F. no 267, aux paragraphes 12, 13 et 14 :

 

12.       Tel que déjà mentionné, le ministre suppose, au soutien de sa décision, l’existence d’un certain nombre de faits recueillis par voie d’enquête auprès des travailleurs et de l’entreprise qu’on estime être l’employeur. Ces faits sont présumés avérés. Il incombe à celui qui s’oppose à la décision du ministre de les réfuter.

 

13.       Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt, saisi d’un appel de la décision du ministre, consiste à vérifier l’existence et l’exactitude de ces faits ainsi que l’appréciation que le ministre ou ses officiers en ont fait et, au terme de cet exercice, à décider, sous l’éclairage nouveau, si la décision du ministre paraît toujours raisonnable : Légaré c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.F. no 878; Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 310; Massignani c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2003 C.A.F. 172; Bélanger c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2003 C.A.F. 455. De fait, certains faits matériels invoqués par le ministre peuvent être réfutés ou leur appréciation peut ne pas résister à l’examen judiciaire de sorte que, à cause de leur importance, le caractère, en apparence, raisonnable de la décision du ministre s’en trouve anéanti ou sérieusement miné.

 

14.       Dans l’exercice de ce rôle, le juge doit accorder une certaine déférence au ministre en ce qui a trait à l’appréciation initiale de ce dernier et il ne peut pas, purement et simplement, en l’absence de faits nouveaux ou d’une preuve que les faits connus ont été mal perçus ou appréciés, substituer sa propre opinion B celle du ministre : Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), supra, paragraphe 15.

 

[13]    En résumé, le rôle de la Cour consiste à vérifier l’existence et l’exactitude des faits sur lesquels le ministre se fonde, à examiner tous les faits mis en preuve devant elle, notamment tout nouveau fait, et à décider ensuite si la décision du ministre paraît toujours « raisonnable » à la lumière des conclusions de fait tirées par la Cour. Elle doit accorder une certaine déférence au ministre dans le cadre de cet exercice.

 

[14]    À la lumière de ces observations sur l’état actuel du droit, j’examinerai maintenant les faits en cause dans le présent appel.

 

[15]    Je traiterai d’abord de la deuxième question, laquelle consiste à savoir si la période est composée de deux périodes d’emploi distinctes – la première correspondant à l’emploi de l’appelante auprès d’Economical (de juillet 2002 à février 2003) et la deuxième, à son emploi auprès d’Advance (de mars 2003 à juillet 2003). L’appelante n’a pas invoqué ce point directement, mais l’intervenante a fait valoir que le ministre ne pouvait pas nier que la première période d’emploi de sept mois auprès d’Economical était un emploi assurable, puisque les fonctionnaires de l’ARC [TRADUCTION] « ... ont reconnu sans difficulté le travail effectué dans le cadre du contrat qu’Advance avait avec Economical » (observations écrites de l’intervenante, à la page 4 (non numérotée)).

 

[16]    Il y a plusieurs facteurs qui semblent indiquer au premier abord qu’il pourrait n’y avoir qu’une seule période d’emploi en l’espèce. En premier lieu, tous les documents indiquent que la période d’emploi s’est étendue du 24 juillet 2002 au 15 juillet 2003. Il ne fait aucun doute, malgré la preuve contradictoire concernant le 15 juillet 2003, date de la cessation d’emploi, que l’appelante a travaillé pour Advance de juillet 2002 à l’été 2003. La demande de prestations remplie par l’appelante elle‑même, les relevés d’emploi (le relevé original et le relevé modifié) remplis par le comptable d’Advance, les questionnaires remplis par l’appelante et par David Porter et l’avis d’appel lui‑même semblent indiquer une seule période d’emploi. Cela ne veut pas nécessairement dire, cependant, qu’il ne peut pas y avoir deux périodes d’emploi distinctes dans les faits. Je pense qu’il n’est pas rare qu’un employé reste au service de la même entreprise, mais occupe un nouveau poste auquel se rattachent des modalités différentes qui lui sont propres.

 

[17]    En deuxième lieu, le fait que l’appelante n’a pas prétendu que deux périodes d’emploi distinctes existaient (cette prétention n’apparaît que dans les observations écrites de l’intervenante) ne m’empêche pas de conclure à l’existence de deux contrats, la Cour étant habilitée à se prononcer sur une telle question.

 

[18]    En troisième lieu, pendant les sept mois durant lesquels elle a travaillé pour Economical, l’appelante s’est aussi occupée de quelques dossiers d’Advance qui n’avaient aucun rapport avec Economical (témoignage de David Porter, aux pages 137 et 138 de la transcription). Toutefois, je ne pense pas qu’il soit déraisonnable de conclure que le premier contrat exigeait que l’appelante travaille 21,5 heures en tant qu’estimatrice de dommages pour Economical et qu’elle s’occupe de certains dossiers d’Advance au besoin.

 

[19]    Il n’est pas contesté que l’appelante et Advance sont « liées » au sens de l’article 251 de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’employeur de l’appelante, Advance, appartient en totalité au mari de l’appelante et, de ce fait, l’appelante et Advance sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance. Il ressortait clairement de la preuve que, pendant que l’appelante était au service d’Economical, elle travaillait environ 21,5 heures ou trois jours par semaine et que le travail qu’elle effectuait pour Economical était réel et authentique et relevait le plus souvent de son champ d’expertise. Le témoignage de l’appelante a été entièrement corroboré par sa surveillante/gestionnaire chez Economical, Janet Stalmans, qui supervisait son travail. Mme Stalmans a indiqué dans son témoignage qu’elle était satisfaite des compétences de l’appelante, du volume de travail qu’elle effectuait, de la qualité de ce travail et de la somme d’argent qu’Economical devait verser à Advance pour ses services. La preuve et les documents produits par l’appelante démontrent également que le fils de celle‑ci allait à la garderie trois jours par semaine pendant qu’elle travaillait pour Economical. En outre, c’est Economical qui a librement choisi l’appelante parmi plusieurs candidats compétents proposés par Advance. De plus, lorsqu’elle est retournée travailler directement pour Advance, l’appelante effectuait un travail complètement différent de celui qu’elle faisait pour Economical. La période pendant laquelle elle a travaillé pour Economical, pour le compte d’Advance, soulève peu de controverses. J’estime, par conséquent, qu’il s’agit d’une période d’emploi distincte. En ce qui concerne cette période, je suis d’avis que, même si l’appelante et Advance étaient liées au sens de l’article 251, il n’est pas déraisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, que les parties auraient conclu entre elles un contrat de travail à peu près semblable si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance. Je pense qu’il est très révélateur en l’espèce que la preuve indique que, si Economical avait choisi une autre personne sur la liste, celle‑ci aurait eu exactement les mêmes modalités d’emploi et la même rétribution aux termes de l’entente conclue avec Advance que l’appelante.

 

[20]    La deuxième période d’emploi – lorsque l’appelante est retournée travailler directement pour Advance – est beaucoup plus litigieuse.

 

[21]    À la fin du contrat conclu entre Advance et Economical, l’appelante est retournée travailler pour Advance. Ses fonctions consistaient principalement à effectuer des estimations par téléphone, à exécuter certaines tâches administratives et, à l’occasion, à remplacer la réceptionniste. Elle n’était pas tenue de consigner ses heures, ni pendant qu’elle travaillait chez Economical ni pendant son emploi chez Advance, et M. Porter a expliqué pourquoi [voir mes commentaires concernant l’hypothèse m)]. Même si l’appelante ne consignait pas ses heures, Mme Stalmans était en mesure de vérifier qu’elle effectuait le travail qui lui était assigné à la satisfaction d’Economical. Il n’y avait cependant aucun tiers indépendant qui vérifiait que son travail était réellement fait chez Advance. M. Porter a produit un bordereau (ou registre des dossiers) d’Advance, indiquant que l’appelante s’était occupée d’au moins 11 dossiers. Il a mentionné dans son témoignage que l’appelante s’était occupée également de quelques autres dossiers. Ce registre n’indiquait pas cependant quand l’appelante avait travaillé à un dossier particulier et combien de temps elle lui avait consacré. M. Porter a ajouté dans son témoignage qu’il fallait au moins trois heures pour terminer le travail à faire relativement à un dossier. Aussi, si l’on suppose, en se fondant sur le témoignage de M. Porter, que l’appelante s’est occupée de 16 dossiers et que chaque dossier a exigé sept heures de travail, elle a donc travaillé pendant 112 heures au total de mars 2003 à juillet 2003, soit l’équivalent de sept heures par semaine, ce qui correspond à la moitié des heures qu’elle prétendait avoir travaillées pour Advance. Sur la base du témoignage de M. Porter, ces estimations sont généreuses. Ainsi, si l’appelante a travaillé le nombre d’heures qu’elle le dit, c’est‑à‑dire 14 heures par semaine, c’est donc dire qu’elle a passé environ la moitié du temps à travailler comme experte en sinistres et l’autre moitié, à effectuer des tâches administratives et à remplacer la réceptionniste. Même si son nombre d’heures de travail est passé de 21,5 à 14 heures par semaine lorsqu’elle est retournée travailler pour Advance en mars 2003, elle a continué à recevoir le même salaire de 3 000 $ par mois. L’appelante et M. Porter ont prétendu que ce salaire, qui équivaut à 35 $ l’heure, était conforme aux normes de l’industrie pour les estimateurs de dommages possédant la formation et l’expérience de l’appelante. Cette prétention a été corroborée par la preuve de deux témoins (Mme Stalmans et Mme Martin), des estimatrices de dommages expérimentées. Cela explique la rétribution que l’appelante recevait pendant qu’elle travaillait pour Economical, mais soulève des questions relativement à la période de mars 2003 à juillet 2003 durant laquelle elle était au service d’Advance. Pendant cette période, l’appelante travaillait 14 heures par semaine, ou 7,5 heures de moins qu’à l’époque où elle travaillait pour Economical, tout en recevant le même salaire de 3 000 $ par mois, ce qui équivaut à une augmentation de salaire d’environ 19 $ l’heure, ou 54 p. 100. L’appelante et M. Porter ont expliqué que cela était dû au fait que l’appelante n’était plus estimatrice de dommages, mais experte en sinistres, et que le salaire rattaché à ce poste était beaucoup plus élevé dans l’industrie. Il est vrai que, selon certains tiers, les experts en sinistres gagnent parfois plus que les estimateurs de dommages, mais la preuve n’étayait pas un écart aussi important. Quoi qu’il en soit, je n’admets tout simplement pas, en l’absence de quelque chose de plus concret, le fait que les experts en sinistres reçoivent un salaire environ 54 p. 100 plus élevé que les estimateurs de dommages pour faire un travail identique ou semblable. Ma conclusion est étayée en l’espèce par le fait que, pendant qu’elle était au service d’Advance, l’appelante travaillait comme experte en sinistres, effectuait du travail administratif et remplaçait la réceptionniste. De plus, la preuve indiquait que les estimateurs de dommages reçoivent généralement un salaire, alors que les experts en sinistres sont habituellement payés par commission. Même si elle est passée d’estimatrice de dommages pour Economical à experte en sinistres pour Advance, l’appelante a continué de recevoir un salaire. Même si des tiers ont témoigné que M. Porter avait discuté avec Rhyannon Martin, une estimatrice de dommages à laquelle il n’était pas lié, de la possibilité de conclure un contrat de travail semblable à celui conclu avec l’appelante, la preuve ne permettait pas d’en savoir plus sur le nombre d’heures, la rétribution et les conditions de travail qui auraient pu exister entre Advance et Mme Martin si le sous‑contrat de celle‑ci avec Wilson Beck avait pris fin. Par conséquent, la décision du ministre, selon laquelle un employeur comme Advance n’aurait pas consenti une hausse salariale aussi importante si les parties n’avaient pas eu de lien de dépendance, était raisonnable.

 

[22]    M. Porter a mentionné dans son témoignage qu’Advance avait suffisamment de travail pour occuper l’appelante une fois le contrat avec Economical terminé. Or, Advance n’a embauché personne pour remplacer l’appelante lorsque celle‑ci est partie en juillet 2003, jusqu’à ce que Liz Brownrigg ne soit engagée au mois de novembre suivant. On doit se demander si Advance avait effectivement suffisamment de travail pour garder l’appelante à son service après que son emploi auprès d’Economical eut pris fin.

 

[23]    L’intimé a fortement insisté sur les contradictions entre les heures réellement travaillées et les heures que l’appelante prétendait avoir travaillées. La demande de prestations et le relevé d’emploi original indiquaient que l’appelante avait travaillé 40 heures par semaine, alors que, selon les questionnaires du travailleur et du payeur produits plusieurs mois plus tard, elle avait travaillé 21,5 heures par semaine. Lors de conversations téléphoniques subséquentes avec deux fonctionnaires de l’ARC, l’appelante a déclaré qu’elle avait travaillé 21,5 heures par semaine pendant les sept premiers mois et 14 heures par semaine par la suite. L’appelante et M. Porter ont attribué les différences initiales à des erreurs commises par l’appelante et par le teneur de livres d’Advance et au fait que les heures mentionnées constituaient simplement [TRADUCTION] « une estimation modeste », étant donné que les heures travaillées par l’appelante n’avaient pas été consignées en bonne et due forme. Le fait qu’Advance n’a présenté à l’ARC aucun document prouvant le travail effectué par l’appelante, en dépit de plusieurs demandes en ce sens de Carmen Vivash, jette davantage de doutes sur la crédibilité. Aucune preuve détaillée n’a jamais été produite pour démontrer comment le nouveau nombre d’heures mentionné dans le relevé d’emploi modifié (pièce A‑8) avait été calculé. Le teneur de livres qui a rempli le RE n’a pas témoigné. Je ne dispose de rien de plus que le ministre. Une preuve claire de ce travail n’a été présentée ni aux fonctionnaires de l’ARC ni à la Cour.

 

[24]    La preuve concernant les dates du début et de la fin des périodes d’emploi était également contradictoire. De plus, M. Porter n’a pas décrit clairement les avantages de l’appelante en matière de vacances, ni quand, le cas échéant, celle‑ci a pris des vacances. Les tiers qui ont témoigné ont laissé entendre que les estimateurs de dommages et les experts en sinistres possédant l’expérience de l’appelante jouissaient d’une autonomie considérable. Il semble que leurs employeurs soient beaucoup plus préoccupés par le volume de travail qu’ils peuvent accomplir et par la qualité de ce travail que par le nombre précis d’heures travaillées. Pourtant, en l’espèce, Advance a produit très peu d’éléments de preuve étayant la quantité de travail réellement effectuée par l’appelante. Il n’est pas évident ici qu’Advance était préoccupée par la quantité de travail effectuée. Il semble peu probable qu’un employeur engage un employé avec lequel il n’a pas de lien et lui verse un salaire sans établir un système permettant de suivre la quantité de travail effectuée. Autrement, comment un employeur déterminerait‑il si un tel arrangement est rentable? En outre, il semble raisonnable qu’un employeur connaisse les détails des vacances d’un employé.

 

[25]    En conséquence, pour tous ces motifs, je suis convaincue que la conclusion du ministre, selon laquelle l’appelante n’occupait pas un emploi assurable de mars 2003 au 15 juillet 2003, est raisonnable. Les faits relatifs à cette période ne me permettent pas de tirer une conclusion différente de celle du ministre.

 

[26]    L’appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée au motif qu’il y a deux périodes d’emploi distinctes auprès d’Advance : une première période allant du 24 juillet 2002 à février 2003, pendant laquelle l’appelante occupait un emploi assurable, et une deuxième période allant de mars 2003 au 15 juillet 2003, pendant laquelle l’emploi de l’appelante n’était pas assurable.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de juin 2005.

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2007.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

RÉFÉRENCE :

2005CCI364

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2004-2972(EI)

 

INTITULÉ :

Kristin A. Porter c.

Le ministre du Revenu national et

Advance Claims Service Ltd.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 4 et 5 novembre 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 juin 2005

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

 

Avocat de l’intimé :

Me Pavanjit Mahil

 

Représentant de l’intervenante :

C. David Porter

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pour l’appelante :

 

Nom :

 

 

Cabinet :

 

 

Pour l’intimé :

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Tignish Auto Parts c. Canada (M.R.N.), [1994] A.C.F. no 1130 (C.A.F.); La Ferme Émile Richard et Fils Inc. v. M.N.R. (1995), 178 N.R. 361; Canada (P.G.) c. Jencan, [1997] A.C.F. no 876 (C.A.F.), et Bayside Drive-In Ltd. c. Canada (M.R.N.), [1997] A.C.F. no 1019 (C.A.F.).

[2] Pérusse c. Canada, [2000] A.C.F. no 310.

 Valente c. Canada, 2003 CAF 132.

 Massignani c. Canada, [2003] A.C.F. no  542.

 Denis c. Canada, 2004 CAF 26.

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