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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20011026

Dossier: 2000-810(IT)I

ENTRE :

NARGESS GIAHINEJAD,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Représentant de l'appelante : Peter Khanna

Avocat de l'intimée : Me James Rhodes

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MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Toronto (Ontario), le 30 juillet 2001.)

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]          Lorsque l'appelante a produit sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1997, elle a déclaré une perte au titre d'un placement d'entreprise d'un montant de 53 150 $ et a déduit une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise (ainsi que cette expression est définie à l'article 38 de la Loi de l'impôt sur le revenu) d'un montant d'environ 39 800 $. La déduction de la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise a été rejetée par le ministre du Revenu national, qui agissait par l'entremise de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (Revenu Canada) lors de l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante pour l'année d'imposition 1997. L'appelante a interjeté appel à l'encontre de la nouvelle cotisation.

[2]      La perte au titre d'un placement d'entreprise est définie à l'alinéa 39(1)c) de la Loi. De façon générale, il s'agit d'une disposition qui permet à une personne qui investit de l'argent dans une société privée sous contrôle canadien (exploitant activement une entreprise) de le déduire si l'argent investi dans cette société est perdu, soit en raison du défaut de la société de rembourser un prêt, soit parce que la société est devenue insolvable et une actionnaire incapable de recouvrer le capital investi dans les actions. Un certain nombre de conditions sont précisées à      l'alinéa 39(1)c) qui définit une perte au titre d'un placement d'entreprise. L'une des conditions est que, si l'argent est avancé à une société privée sous contrôle canadien, il doit s'agir d'une société exploitant une petite entreprise, ce qui signifie en général qu'elle exploite activement une entreprise. Il existe d'autres conditions qui ne sont pas pertinentes en l'espèce.

[3]      Selon le témoignage de l'appelante, son époux est devenu actionnaire d'une société dont la dénomination sociale est le 1222396 Ontario Inc., exploitant son entreprise sous le nom de « Mom's Grill House » et qui détenait apparemment un compte auprès de la Banque Royale du Canada, 5001 rue Yonge, North York, Ontario. L'appelante a déclaré que son époux était un actionnaire de 1222396 Ontario Inc. (la « compagnie à dénomination numérique » ) et, comme la compagnie avait besoin d'argent, son époux se tournait vers elle pour obtenir les montants nécessaires.

[4]      L'appelante elle-même est une agente immobilière accréditée travaillant à Richmond Hill, une municipalité située directement au nord de Toronto. Elle a déclaré qu'elle a fait parvenir à huit occasions, en 1997, des chèques à la compagnie à dénomination numérique à la demande de son époux. La pièce A-1 consiste en une série de relevés bancaires mensuels de la compagnie à dénomination numérique provenant de la succursale de la Banque Royale à North York. Il y a cinq pages, y compris les relevés bancaires pour les périodes du 31 juillet au 29 août, du mois de septembre, du 30 septembre au 31 octobre, du mois de novembre et du 28 novembre au 31 décembre. Ces relevés bancaires indiquent de nombreux dépôts et retraits, mais également huit dépôts importants que quelqu'un a encerclés. Ces dépôts encerclés s'élèvent à 53 150 $, ce qui constitue le montant que l'appelante a déclaré à titre de perte au titre d'un placement d'entreprise.

[5]      La pièce A-2 consiste en une série de huit copies conformes de chèques provenant d'un carnet de chèques datés du 9 et du 15 juillet, du 6, du 11 et du 25 août, du 1er octobre, du 1er et du 28 décembre 1997. Ces copies de chèques indiquent précisément les mêmes montants que les huit dépôts encerclés sur la pièce A-1, et les chèques portent la même date que les dépôts ou ont été libellés un ou deux jours avant les dépôts. L'appelante a examiné les doubles de chèques avec soin et a déclaré qu'ils ont tous été remplis par elle et que c'est elle qui les a signés. Je conclus que l'appelante constituait un témoin crédible et je n'ai aucune raison de ne pas la croire lorsqu'elle déclare qu'il s'agit de doubles de chèques qu'elle a remplis à la demande de son époux et qu'elle les lui a remis. Je suis convaincu qu'elle a émis les chèques au montant total de 53 150 $ payable à Mom's Grill House, le nom d'entreprise de la compagnie à dénomination numérique.

[6]      Je suis également convaincu, à la lecture de la pièce A-1, que l'époux de l'appelante a déposé ces chèques dans le compte de la Banque Royale de la compagnie à dénomination numérique. Bien que l'époux n'ait pas témoigné, le lien entre la signature des chèques par l'appelante ainsi que les dates de ces chèques et les dates des dépôts est trop étroit pour ne constituer qu'une simple coïncidence. Je suis convaincu que les chèques ont été déposés. S'il ne s'agit simplement que de prouver que l'appelante a avancé ou prêté le montant de 53 150 $ à la compagnie à dénomination numérique, je suis convaincu que l'appelante a prouvé l'avoir fait. Elle a avancé l'argent au moyen de huit chèques qui ont été déposés dans le compte de la compagnie à dénomination numérique. Toutefois, d'autres conditions doivent être remplies pour que l'appelante obtienne gain de cause dans son appel.

[7]      L'appelante doit prouver que la compagnie à dénomination numérique constituait une société privée sous contrôle canadien, ce qui signifie que plus de la moitié des actions avec droit de vote étaient la propriété de personnes résidant au Canada et que la compagnie exploitait activement une entreprise au Canada. Elle doit également prouver que la compagnie est devenue insolvable en 1997 ou qu'elle ne pouvait raisonnablement s'attendre de recouvrer son prêt en 1997. Aucun de ces faits n'a été prouvé.

[8]      En ce qui concerne le fait que l'appelante n'a pu recouvrer les prêts en 1997, selon la preuve qui m'a été présentée, je ne pourrais en aucun cas conclure que ces créances, dues à l'appelante par la compagnie à dénomination numérique, constituaient des créances irrécouvrables en 1997. Même le 1er décembre 1997, l'appelante a émis un chèque de 1 830 $ à la compagnie qui a été déposé le 4 décembre. Puis, encore une fois, le 28 décembre, elle a émis un chèque plus important de 2 975 $ qui a été déposé le 29 décembre 1997. Elle investissait toujours l'argent dans la compagnie au cours du dernier mois de l'année et, en fait, au cours des trois ou quatre derniers jours de l'année. Je ne peux conclure, par conséquent, que la compagnie était insolvable ou incapable de rembourser les prêts alors que l'appelante lui prêtait toujours de l'argent à la fin de l'année. Pour ce motif uniquement, l'appel de l'appelante ne peut être admis.

[9]      En outre, il manque également des éléments de preuve permettant de savoir ce que la compagnie accomplissait et si elle était sous contrôle canadien. L'appelante a déclaré qu'elle savait que son époux était un actionnaire de la compagnie, mais qu'elle ne savait pas s'il y avait d'autres actionnaires et, le cas échéant, de qui il s'agissait. Si son époux possédait moins de la moitié des actions avec droit de vote et si le reste était détenu par des personnes qui ne résidaient pas au Canada, alors il ne s'agirait pas d'une société privée sous contrôle canadien. De plus, l'appelante a mentionné une certaine boulangerie qui était exploitée sous le nom de Focaccia Bakery, mais elle n'a pas indiqué s'il s'agissait d'une entreprise exploitée activement en 1997 et en 1998. Rien dans la preuve n'indique qu'il s'agissait d'une société privée sous contrôle canadien exploitant activement une entreprise au Canada en 1997. Il s'agit là d'un vice de forme important en l'espèce.

[10]     Mis à part l'omission complète de l'appelante de démontrer que la créance est devenue irrécouvrable en 1997, j'aurais exigé que viennent témoigner certaines personnes qui ont une connaissance directe de ce que faisait la compagnie, du genre d'entreprise qui était exploitée, de la période où la compagnie a exploité l'entreprise, de l'identité des actionnaires, du genre d'actions qui ont été émises et du genre d'actions que les personnes détenaient. Rien dans la preuve n'indique cela.

[11]     Je n'ai aucune hésitation à rejeter l'appel au seul motif que rien dans la preuve n'indique que la compagnie était incapable de rembourser les prêts en 1997. En conséquence, l'appel est rejeté. Je laisse en suspens, toutefois, la question de savoir si l'appelante a le droit de déduire une perte au titre d'un placement d'entreprise en 1998. Elle a déclaré que la Banque Royale a saisi tous les biens de la compagnie à dénomination numérique en septembre 1998 puisque la compagnie a cessé d'exploiter son entreprise. Je conseille vivement à l'appelante d'aller de l'avant avec cette question elle-même, puisque j'ai conclu qu'elle a avancé l'argent à la compagnie de son époux et que ce dernier possédait des actions dans la compagnie.

[12]     La compagnie à dénomination numérique n'avait pas à faire faillite afin que le critère de la perte au titre d'un placement d'entreprise soit respecté. Je ferais remarquer à l'appelante que, si le prêt est devenu une créance irrécouvrable en septembre 1998, au moment où la banque a saisi les biens de cette compagnie à dénomination numérique, alors il est toujours possible pour cette année qu'une nouvelle cotisation soit établie à son égard par Revenu Canada parce qu'elle n'était pas tenue de produire sa déclaration de revenus de 1998 avant avril 1999. Sa cotisation de 1998 n'a probablement été établie qu'à l'été 1999, il n'y a que deux ans. En raison de la période normale de nouvelle cotisation de trois ans, cela lui laisserait jusqu'à la fin du printemps ou au début de l'été 2002 pour le faire. Par conséquent, l'appelante dispose réellement d'une autre année ou de presque une année pour convaincre Revenu Canada qu'elle a non seulement investi l'argent, mais que la créance est devenue irrécouvrable en 1998. Elle peut être en mesure de persuader Revenu Canada, particulièrement si elle amène son époux afin de prouver ce qu'accomplissait la compagnie ainsi que l'identité des actionnaires.

[13]     Il me semble que, si l'appelante se rend dans les bureaux deRevenu Canada et qu'elle démontre que l'argent a été perdu, que la compagnie constituait une société privée sous contrôle canadien et qu'elle exploitait activement une entreprise, Revenu Canada pourrait lui permettre de produire de nouveau sa déclaration de revenus de 1998 ou pourrait établir une nouvelle cotisation s'il est convaincu que toutes les conditions permettant de prouver une perte au titre d'un placement d'entreprise en 1998 sont remplies. Je laisse le choix à l'appelante. L'appel de 1997 ne peut être admis, mais tout est possible pour 1998 si l'appelante suit la bonne direction et remplit les conditions nécessaires. Je ne formule pas la conclusion selon laquelle l'appelante a droit à une mesure de redressement, mais, en raison du montant important en jeu, une contribuable devrait entreprendre des démarches minutieuses afin de tenter de convaincre Revenu Canada que sa situation justifie une mesure de redressement.


[14]     Je formule un dernier commentaire. L'appelante a déclaré que la banque ne pouvait lui fournir de documents. Les banques sont tenues de conserver des documents, particulièrement pour des transactions aussi récentes que 1997 et 1998. Elles peuvent imposer des frais de service pour les photocopies des chèques originaux, mais, si l'appelante a vraiment subi une perte au titre d'un placement d'entreprise de 39 000 $, il peut valoir la peine de payer des frais de services bancaires pour le recouvrement des chèques pertinents. La décision à ce sujet revient à l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2001.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de mars 2003.

Mario Lagacé, réviseur

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