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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-2233(IT)G

ENTRE :

COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 1er, 2, 3 et 4 mai 2001, à Calgary (Alberta), par

l'honorable juge M. A. Mogan

Comparutions

Avocats de l'appelante :    Me Al Meghji et Me Gerald A. Grenon

Avocats de l'intimée :        Me J. E. (Ted) Fulcher et Me Rhonda Nahorniak

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1993 est admis, avec frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que les trois prêts décrits ci-dessous font partie de la « déduction pour placements » de l'appelante conformément à l'alinéa 181.2(4)b) de la Loi :

1.        un prêt de 100 millions de dollars consenti le 30 novembre 1993 à Royal Bank Export Finance Company Limited ( « REFCO » );

2.        un prêt de 200 millions de dollars consenti le 1er décembre 1993 à REFCO; et

3.        un prêt de 200 millions de dollars consenti le 2 décembre 1993 à Toronto-Dominion Holdings (USA) Inc.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de juillet 2002.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020731

Dossier: 2000-2233(IT)G

ENTRE :

COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Mogan

[1]      Les activités principales de l'appelante pour toute la période pertinente sont le raffinage, la mise en marché et le transport du pétrole et de produits pétroliers. L'appelante est sujette à l'impôt spécial sur les grandes sociétés prévu par la partie I.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (que nous désignerons désormais comme étant la « Loi » ). La disposition d'imposition de la partie I.3 de la Loi se lit comme suit :

181.1(1)    Toute société doit payer, en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition, un impôt égal à 0,2 % de l'excédent éventuel de son capital imposable utilisé au Canada pour l'année sur son abattement de capital pour l'année.

Selon la définition qu'en donne l'article 181.5, l' « abattement de capital » est égal à 10 000 000 $ afin de garantir que l'impôt de la partie I.3 ne sera perçu qu'auprès des grandes sociétés. L'expression « capital imposable » est définie comme suit :

181.2(2)    Le capital imposable d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition est égal à l'excédent éventuel de son capital pour l'année sur sa déduction pour placements pour l'année.

La définition du « capital imposable » comporte un élément positif (le capital) et un élément négatif (la déduction pour placements). Chacun de ces éléments est un terme défini mais, dans le présent appel, je m'intéresse surtout à la définition de « déduction pour placements » , définition qui figure au paragraphe 181.2(4) :

181.2(4)    La déduction pour placements d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition correspond au total des montants dont chacun représente la valeur comptable à la fin de l'année d'un élément d'actif de la société qui est, selon le cas :

a)     une action d'une autre société;

b)     un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière;

c)     une obligation, un effet, une hypothèque ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière;

d)     [...]

En sont exclues les actions du capital-actions et les dettes d'une société exonérée d'une société exonérée de l'impôt en application de la présente partie, autrement qu'en vertu de l'alinéa 181.1(3)d), ainsi que les dividendes payables par une telle société.

[2]      L'année 1993 est la seule année d'imposition faisant l'objet du présent appel. Le 30 novembre, le 1er décembre et le 2 décembre 1993, l'appelante a consenti trois prêts, aux montants respectifs de 100 millions de dollars, de 200 millions de dollars et de 200 millions de dollars, à certaines sociétés qui n'étaient pas des « institutions financières » au sens de la partie I.3 de la Loi. Dans chaque cas, toutefois, la société emprunteuse était une filiale d'une banque à charte canadienne, laquelle est par définition une institution financière. Les prêts étaient structurés de manière à ce qu'ils soient couverts par la définition de l'élément négatif « déduction pour placements » et plus précisément par l'alinéa 118.2(4)b). Ainsi, les trois prêts ont servi à réduire le « capital imposable » de l'appelante et partant son impôt payable en vertu de la partie I.3.

[3]      Le total de la valeur des trois prêts mentionnés au paragraphe 2 est de 500 millions de dollars. Aux fins de l'application de la disposition générale anti-évitement (souvent désignée par les initiales « DGAÉ » ) se trouvant à l'article 245 de la Loi, le ministre du Revenu national a considéré qu'une portion de 377,8 millions de dollars du total des prêts était [traduction] « viciée » . Par conséquent, le ministre a utilisé la DGAÉ pour établir une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante au motif que (i) l'article 245 de la Loi interdisait l'inclusion d'une somme de 377,8 millions de dollars (du total de 500 millions de dollars) dans le calcul de la « déduction pour placements » de l'appelante nonobstant l'alinéa 181.2(4)b); et que (ii) l'obligation fiscale de l'appelante en vertu de la partie I.3 de la Loi pour 1993 était de 755 600 $ (c'est-à-dire 0,2 % de 377,8 millions de dollars) supérieure au montant d'impôt déclaré par l'appelante.

[4]      L'appelante a interjeté appel de la nouvelle cotisation, laquelle se fonde sur l'application de la DGAÉ. La question en litige dans le présent appel est la suivante : le ministre peut-il appliquer la DGAÉ de manière à interdire à l'appelante d'inclure le montant total de 500 millions de dollars dans le calcul de sa « déduction pour placements » au sens du paragraphe 181.2(4)? J'exposerai et analyserai plus loin dans les présents motifs le sens de la disposition pertinente de l'article 245 où se trouve la disposition générale anti-évitement.

[5]      Tel qu'il est mentionné au paragraphe 3 ci-dessus, le ministre n'a pas essayé d'interdire l'inclusion de la somme totale de 500 millions de dollars dans le calcul de la « déduction pour placements » . Le ministre n'a interdit que l'inclusion d'une somme de 377,8 millions de dollars. Au début de l'audition, l'avocat de l'intimée a confirmé que le ministre admettait qu'une somme supplémentaire de 31 millions de dollars pouvait être déduite dans le calcul de la déduction pour placements de l'appelante; cette admission prendrait effet après l'établissement de la nouvelle cotisation qui fait l'objet du présent appel. L'audition s'est ensuite poursuivie sur le fondement que le ministre tentait d'interdire l'inclusion d'une somme de 346,8 millions de dollars dans le calcul de la « déduction pour placements » de l'appelante au sens du paragraphe 181.2(4).

[6]      Dans la partie I.3 de la Loi, la définition d' « institution financière » du paragraphe 181(1) comprend « une banque ou une caisse de crédit » . Par conséquent, eu égard à la définition de « capital imposable » du paragraphe 181.2(2) et de « déduction pour placements » du paragraphe 181.2(4), un prêt consenti par une grande société à une banque ne réduirait pas le capital imposable mais un prêt à une autre société le ferait. Cette distinction est au coeur des trois prêts qui sont en litige dans le présent appel.

Les trois prêts

[7]      En septembre 1993, la Banque Royale du Canada (la « Banque Royale » ) a envoyé une offre de placement à l'appelante (pièce A-4). L'offre renvoyait à Royal Bank Export Finance Company Limited ( « REFCO » ), une filiale non bancaire de la Banque Royale exerçant des activités de financement de comptes débiteurs au moyen d'achat de comptes débiteurs. REFCO était intéressée à emprunter des sommes de certaines sociétés clientes de la Banque Royale, y compris l'appelante. L'introduction de l'offre de placement contenait le passage suivant :

[traduction]

[...] REFCO désire préapprouver des lignes de crédit avec certaines sociétés clientes de RBC, dont elle pourrait se servir après consentement mutuel.

REFCO serait prête à étudier les modalités de la ligne de crédit, telles que mentionnées dans la section qui suit. L'étude juridique McMillan Binch a fourni à REFCO et à RBC un avis sur les questions relatives à l'impôt sur le capital et une opinion sur le statut de REFCO à la lumière des dispositions spécifiques du droit fiscal canadien et ontarien. Une copie de cette opinion est jointe aux présentes. Enfin, une version préliminaire d'exemple de document qui serait fourni avant la conclusion est jointe aux présentes pour étude.

[8]      La lettre de McMillan Binch à REFCO et à la Banque Royale est datée du 9 juin 1993; elle a 20 pages et commence ainsi :

[traduction]

OBJET :            Royal Bank Export Finance Co. Ltd.

                        Questions relatives à l'impôt sur le capital           

            Vous nous avez demandé notre opinion sur certaines questions relatives à l'impôt sur le capital imposé en vertu de la Loi sur l'imposition des corporations (Ontario) (la « Loi de l'Ontario » ) et à l'impôt sur les grandes sociétés imposé en vertu de la partie I.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi fédérale » ) à l'égard des clients (les « Clients » ) de la Banque Royale du Canada (la « Banque » ) qui peuvent choisir de prêter de l'argent à Royal Bank Export Finance Co. Ltd. ( « REFCO » ) en vertu d'un contrat de prêt (le « Contrat de prêt » ) ressemblant essentiellement à l'annexe 1 ci-jointe. Tout prêt de ce genre serait cautionné sans condition par la Banque en vertu des modalités du cautionnement (le « Cautionnement » ) qui, dans une large mesure, est semblable à celui figurant à l'annexe 2 ci-jointe. [...]

Dans la lettre de McMillan Binch, les pages 4 à 15 portent sur les « questions relatives à l'Ontario » et les pages 15 à 20 sur les « questions fédérales » . Dans la section portant sur les questions fédérales, McMillan Binch exprime l'opinion que REFCO n'est pas une « institution financière » au sens du paragraphe 181(1) de la Loi.

[9]      D'autres discussions ont eu lieu entre l'appelante et la Banque Royale ou REFCO en octobre et novembre 1993, et de la correspondance a été échangée au cours de la même période, tel qu'il appert des pièces R-10 et R-11; ces discussions et cette correspondance ont donné lieu à deux prêts consentis par l'appelante à REFCO, un d'un montant de 100 millions de dollars le 30 novembre 1993, et un de 200 millions de dollars le 1er décembre 1993. La lettre d'entente de prêt du 30 novembre 1993 au montant de 100 millions de dollars (pièce A-5) porte l'en-tête de l'appelante et, comme le contrat est relativement bref, je le citerai au complet.

[traduction]

Royal Bank Export Finance Co. Ltd.

Siège social

10e étage, South Tower

Royal Bank Plaza

Toronto (Ontario)

M5J 2J5

À l'attention du directeur général

OBJET : lettre d'entente de prêt

Messieurs,

La présente confirme la transaction conclue entre Royal Bank Export Finance Co. Ltd. (l' « Emprunteur » ) et Compagnie pétrolière Impériale limitée (le « Prêteur » ) aux modalités suivantes :

1.      Montant :                                              100 000 000,00 $ CA

2.      Date de valeur du prêt :                         30 novembre 1993

3.      Remboursement et date de valeur :        L'Emprunteur remboursera au Prêteur un montant de 100 000 000,00 $ CA plus un intérêt à un taux de 3,93125 % par année, calculé quotidiennement et remboursable à terme sur la base d'une année de 365 jours, pour une période de 35 jours, équivalant à un montant total dû de 100 376 969,18 $, la date de valeur du remboursement étant le 4 janvier 1994.

4.      Lieu de remboursement :                       L'Emprunteur créditera son paiement au compte de la Compagnie Pétrolière Impériale Limitée 110-454-6, no de transit 6382 à la Banque Royale, 111, avenue St. Clair ouest, Toronto (Ontario) M4V 1N5.

La présente entente doit être interprétée suivant les lois de la province de l'Ontario et du Canada y applicables et est régie par celles-ci. Les parties ne peuvent céder ni transférer nuls de leurs droits ni obligations en vertu des présentes sans le consentement écrit préalable de l'autre partie.

À l'exception de son obligation de rembourser le prêt aux modalités prévues dans la présente Entente, l'Emprunteur n'est aucunement responsable des pertes, des prêts, des dommages ni des dépenses engagés par le Prêteur dans la conclusion de la présente Entente. L'Emprunteur ne fait aucune déclaration relative aux incidences fiscales sur le Prêteur de la conclusion de la présente Entente; le Prêteur a obtenu une opinion juridique et fiscale indépendante sur lesdites incidences.

Veuillez confirmer votre acceptation des modalités qui précèdent en signant la copie ci-jointe de la présente lettre dans l'espace prévu ci-dessous et la retourner au soussigné.

Veuillez agréer l'expression de notre considération distinguée,

COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

Signataire :        « Ken Bowman »

Nom/Titre :        Ken Bowman, directeur, Financement de la compagnie

Nous avons pris connaissance des modalités de la présente Entente et les avons acceptées le 30e jour de novembre 1993.

ROYAL BANK EXPORT FINANCE CO. LTD.

Signataire :         « B. Schroder »

Nom/Titre        B. Schroder, président du conseil

Signataire :         « B.C. Galloway »

Nom/Titre :        B.C. Galloway, administrateur

[10]     La lettre d'entente de prêt du 1er décembre 1993 au montant de 200 millions de dollars conclue entre l'appelante et REFCO fait également partie de la pièce A-5. Son libellé est le même que celui de la lettre du 30 novembre 1993 précitée, mais le montant du prêt est de 200 millions de dollars et le taux d'intérêt est légèrement inférieur, à 3,8875 %. Les deux prêts à REFCO étaient cautionnés par la Banque Royale. La pièce R-8 est une copie certifiée conforme du cautionnement par la Banque Royale du prêt de 100 millions de dollars du 30 novembre. La pièce R-9 est une copie certifiée conforme du cautionnement par la Banque Royale du prêt de 200 millions de dollars du 1er décembre.

[11]     Un troisième prêt a été conclu entre l'appelante et Toronto-Dominion Securities Inc., une filiale à part entière de la Banque Toronto-Dominion (la « Banque TD » ). Les pièces R-16 et R-17 sont des lettres préliminaires datées du 18 et du 24 août 1993 destinées à l'appelante et portant sur le [traduction] « programme de prêt à une filiale de décembre 1993 » de la Banque. La pièce R-18 est une lettre plus précise, datée du 1er novembre 1993, envoyée par Karen Taylor de Toronto-Dominion Securities Inc. à Mme Marnie Lowe au Service de trésorerie de l'appelante. La pièce R-18 débute comme suit.

[traduction]

Suite à nos discussions, j'ai l'avantage de vous offrir plus de renseignements au soutien de votre avis à l'effet que Compagnie Pétrolière Impériale Limitée pourrait être en mesure de réduire l'impôt sur le capital à la fin de l'année en consentant à un prêt bien documenté. Le prêt se qualifierait comme placement admissible, et aurait donc pour conséquence une déduction pour placements qui réduirait le capital imposable de Compagnie Pétrolière Impériale Limitée. Le prêt serait considéré comme un placement admissible à la fois aux fins de l'impôt fédéral sur les grandes sociétés et de l'impôt provincial sur le capital, donnant lieu à une économie pouvant aller à 65 points de base avant impôt.

Il importe de remarquer qu'il n'y aura pas d'exigence de période minimale de détention, mais nous recommandons tout de même une période de 30 jours. La solution proposée offrirait à Compagnie Pétrolière Impériale Limitée beaucoup plus de flexibilité que la détention de titres du gouvernement, dont la période minimale de détention est de 120 jours. Il s'agit également d'un concept prudent de planification de l'impôt sur le capital, ce qui est confirmé par une opinion fiscale favorable émise par McCarthy Tétrault.

[12]     La pièce A-6 (faisant également partie de la pièce R-18) est une lettre de McCarthy Tétrault à Toronto-Dominion Securities Inc. datée du 29 octobre 1993, qui débute comme suit :

[traduction]

            L'objet de la présente lettre est de faire part de notre opinion sur la question de l'inclusion de certains prêts consentis par certains prêteurs à Toronto-Dominion Holdings (USA), Inc. ( « TD Holdings » ) dans le calcul des déductions pour placements du prêteur en vertu de l'alinéa 181.2(4)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi » ) et de l'alinéa 62(1)c) de la Loi sur l'imposition des corporations (Ontario) (la « Loi de l'Ontario » ). Notre opinion n'est formulée qu'à votre intention et ne vise nulle autre personne; nul autre ne devrait se fier à la présente opinion.

À la page 4, McCarthy Tétrault exprime l'opinion qu'un prêt à TD Holdings se qualifierait comme déduction pour placements en vertu de la Loi,sous réserve de la possible application de la disposition générale anti-évitement de l'article 245.

[13]     La pièce A-7 est l'entente de prêt conclue entre TD Holdings, à titre d'emprunteur, l'appelante, à titre de prêteur, et la Banque TD, à titre de caution, imposant à l'appelante l'obligation de prêter 200 millions de dollars à TD Holdings le 2 décembre 1993. Cette entente de prêt diffère des prêts à REFCO car le cautionnement de la Banque TD est intégré à l'entente, alors que les cautionnements fournis à l'appelante par la Banque Royale étaient consignés dans des documents distincts entre les deux parties. Puisque l'entente de prêt est relativement brève, je la citerai en entier :


[traduction]

ENTENTE DE PRÊT

ENTRE :

TORONTO-DOMINION HOLDINGS (USA), INC.

(L' « EMPRUNTEUR » )

ET

LA BANQUE TORONTO-DOMINION

( « TD » )

ET

COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

(LE « PRÊTEUR » )

ATTENDU QUE le Prêteur entend prêter à l'Emprunteur et l'Emprunteur emprunter du Prêteur la somme de 200 000 000 $ CA aux modalités énoncées ci-dessous;

À CES MOTIFS, LA PRÉSENTE ENTENTE CONSIGNE QUE, en contrepartie de la somme de deux dollars en monnaie légale du Canada payée par chacune des parties à l'autre à la signature des présentes, dont la réception et la suffisance est reconnue par les présentes, les parties conviennent de ce qui suit :

(1)         Le 2 décembre 1993, le Prêteur prêtera la somme de 200 000 000 $ CA à l'Emprunteur, somme portant intérêt au taux des bons du Trésor canadiens pour une période de 33 jours.

(2)         Le 2 décembre 1993, le Prêteur versera les sommes à l'Emprunteur par chèque visé ou traite bancaire remis à la caisse de titres de la Banque Toronto-Dominion pour le compte de l'Emprunteur, ou par virement télégraphique à la Banque Toronto-Dominion, siège social, Centre international, numéro de compte 0360-01-2166714.

(3)         Le total du montant du capital et de l'intérêt accumulé est exigible et payable par l'Emprunteur le 4 janvier 1994. Si le paiement n'est pas effectué, l'intérêt continuera de s'accumuler sur le montant impayé au taux des bons du Trésor du Canada jusqu'à ce que le paiement total soit effectué. Les intérêts sont payables après défaut et jugement.

(4)         Dans la présente Entente, « taux des bons du Trésor du Canada » s'entend du taux (exprimé en pourcentage annuel) que l'Emprunteur juge être le cours vendeur des bons du Trésor du Canada sur un mois listé sur l'écran 3190 de Telerate à environ 10 h le 2 décembre 1993. L'Emprunteur communiquera au Prêteur le taux des bons du Trésor du Canada qu'il a déterminé dès que cela est possible.

(5)         Le paiement par l'Emprunteur de la dette, prévu aux présentes, est de rang inférieur au paiement par l'Emprunteur du capital et de l'intérêt (y compris l'intérêt sur les sommes échues) et aux primes éventuelles sur toute autre dette de l'Emprunteur, à l'exception des dettes ayant le même rang de par leurs termes mêmes.

(6)         TD cautionne sans condition le paiement du capital et de l'intérêt payable par l'Emprunteur en vertu de la présente Entente au moment où il deviendra exigible et payable. La responsabilité de TD en vertu de la caution a le même rang que ses responsabilités à l'égard des dépôts.

(7)         Le Prêt ne peut être cédé qu'avec le consentement de l'Emprunteur, lequel peut être refusé pour tout motif; si un tel consentement est donné, il doit l'être par écrit et l'acte de transfert doit être signé par le Prêteur, l'Emprunteur, le Cessionnaire du Prêt et la Caution.

(8)         Le Prêteur déclare à l'Emprunteur qu'il n'est pas une banque accordant un crédit en vertu d'une entente de prêt dans le cours normal des activités du Prêteur au sens de la division 881(c)(3)(A) de l'Internal Revenue Code of 1986 des États-Unis d'Amérique, dans sa forme modifiée.

(9)         La présente Entente est régie par les lois de la province de l'Ontario.

(10)       La présente Entente peut être signée en différents exemplaires, par télécopie ou autrement.

EN FOI DE QUOI, les parties aux présentes ont signé la présente Entente ce 29e jour de novembre 1993.

                                    TORONTO-DOMINION HOLDINGS (USA), INC.

                                    Signataire : ______ « Signature » ______________

                                    Signataire : ______ « Signature » ______________

                                   


BANQUE TORONTO-DOMINION

                                    Signataire : ______ « Signature » ______________

                                    COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LIMITÉE

                                    Signataire : ______ « Signature » ______________

[14]     Les trois prêts étaient exigibles et payables le mardi 4 janvier 1994, qui était le premier jour ouvrable de 1994. Par conséquent, leur période était respectivement de 35 jours, 34 jours et 33 jours. Il est facile de conclure des pièces précitées que l'appelante, en consentant les deux prêts à REFCO et le prêt à TD Holdings, était mue au moins en partie par un désir de réduire son obligation fiscale en vertu de la partie I.3 de la Loi. L'appelante prétend toutefois que les trois prêts doivent être considérés dans le contexte de son programme de gestion d'encaisse dans le cours duquel elle suit des lignes directrices de placement précises.

Gestion de l'encaisse de l'appelante

[15]     Le seul témoin de l'appelante a été Ronald Stanley Matthews, qui s'est présenté comme directeur des opérations d'encaisse de Compagnie Pétrolière Impériale Limitée. M. Matthews a été directeur des opérations d'encaisse chez Texaco Canada de 1981 à 1989, il est devenu employé de l'appelante lorsque l'Impériale a acheté Texaco Canada en février 1989. M. Matthews a longuement témoigné. Son témoignage oral représente 170 pages de transcriptions. Il a identifié 16 pièces de l'appelante (A-1 à A-16) et 19 pièces de l'intimée (R-1 à R-19). Les paragraphes 16 à 31 résument la preuve de M. Matthews sur les opérations de gestion de l'encaisse dans la structure sociale de l'appelante.

[16]     Le groupe des opérations d'encaisse gère les flux de trésorerie de l'appelante afin d'assurer qu'elle dispose de fonds suffisants, que ce soit par ses recettes d'affaires ou par l'arrivée à terme de placements, pour couvrir ses dépenses d'exploitation quotidiennes. En 1990 et 1991, l'appelante disposait d'une encaisse relativement limitée car elle avait à peu près utilisé toutes ses réserves de liquidités pour acheter Texaco Canada en 1989. En 1993, toutefois, l'appelante avait accumulé une encaisse d'environ 1,5 milliard de dollars (en d'autres mots, 1 500 millions de dollars). Il incombait à M. Matthews et à son groupe d'opérations d'encaisse (environ cinq personnes) d'investir ces fonds de manière à ce que l'encaisse soit toujours suffisante pour couvrir les frais d'exploitation.

[17]     La pièce A-1 (qui comprend environ 40 pages) est un sommaire des prévisions quotidiennes d'encaisse préparé en novembre 1993 et couvrant 90 jours, jusqu'à la fin de janvier 1994. Pour chaque jour ouvrable d'un mois, l'appelante tente de prévoir (90 jours à l'avance) les encaissements et les décaissements de quatre unités opérationnelles : Treasurers, L'Impériale, East et ERCL/West. M. Matthews a décrit « ERCL/West » comme représentant les activités en amont, c'est-à-dire la production de pétrole brut, et « East » comme représentant les activités en aval, c'est-à-dire le raffinage et la mise en marché. Le groupe de gestion de l'encaisse communique avec les différentes unités opérationnelles afin de connaître leurs besoins de liquidités et, plus particulièrement, les décaissements d'importance à venir, tels que la paie, les acomptes provisionnels, les dividendes, et ainsi de suite. En prenant connaissance de la première page de la pièce A-1, M. Matthews a été en mesure d'affirmer que, le 9 novembre 1993 (le 7e jour ouvrable du mois), l'appelante prévoyait que les encaissements dépasseraient les décaissements de 25,8 millions de dollars.

[18]     La troisième page de la pièce A-1 est la prévision d'encaisse (faite au début novembre 1993) pour janvier 1994. Cette page montre que l'appelante prévoyait au début novembre une chute de l'encaisse de 114,8 millions de dollars le 4 janvier 1994. Cette date est importante, car c'est celle à laquelle les trois importants prêts qui nous intéressent devenaient exigibles et payables. La pièce A-2 est un sommaire des prévisions d'encaisse quotidiennes préparé début janvier 1994 pour une période de 90 jours s'étalant du 1er janvier au 31 mars 1994. La pièce A-2 indique une chute d'encaisse réelle de 175,2 millions de dollars le 4 janvier (le premier jour ouvrable du mois).

[19]     La pièce A-3 est constituée des directives de placement suivies par le groupe de gestion de l'encaisse de l'appelante. Les trois lignes directrices principales, en ordre de priorité, sont (i) la sécurité du capital; (ii) la liquidité; et (iii) l'optimisation du rendement du capital investi. La sécurité du capital importe plus que le rendement de l'investissement car le groupe de gestion de l'encaisse n'est pas un centre de profits mais un centre de coûts. Il vise à préserver l'excédent de liquidités. L'appelante le considère comme faisant partie du coût d'exploitation de l'entreprise. M. Matthews a affirmé :


[traduction]

Faire de l'argent avec l'argent ne fait pas partie de notre mandat. Notre mandat est de préserver le capital, et nous gagnons de l'intérêt sur celui-ci, mais cet intérêt sert à préserver le capital afin que nous puissions le réinvestir dans les activités.

                                                                                        Transcription pages 32-33

Il a également affirmé que la liquidité était plus importante que le rendement de l'investissement.

[traduction]

Cela signifie assurer la disponibilité des fonds pour couvrir les obligations de décaissement de la compagnie, assurer la disponibilité des fonds nécessaires à la paie, au versement des dividendes, et à l'achat des produits et des services dont nous avons besoin pour exercer nos activités.

[...]

Les placements sur le marché monétaire respectent tous les exigences de liquidité et de sécurité du capital; les bons du Trésor canadiens sont les placements les plus liquides et les plus sûrs sur le marché, les acceptations bancaires les suivent de près lorsqu'elles sont conclues avec des banques très bien cotées.

                                                                                                Transcription page 33

Pendant l'interrogatoire principal, M. Matthews a donné les réponses suivantes relativement à la liquidité d'un placement spécifique :

[traduction]

Q.         Lorsque vous concluez qu'un placement donné satisfait aux critères de liquidité, est-ce que vous tenez compte du reste du portefeuille ou vous ne tenez compte que de ce placement?

R.          Nous tenons compte du placement, nous tenons compte de tout le portefeuille et nous regardons ce que les prévisions d'encaisse disent sur nos besoins de liquidité.

Q.         D'accord. En quoi le reste du portefeuille est-il pertinent lorsque vous déterminez si le placement est acceptable en ce qui a trait à la liquidité?

R.          À n'importe quel moment, nous avons une bonne idée de nos besoins en liquidités, et, selon l'importance du portefeuille, nous pouvons disposer d'une certaine flexibilité sur ce que nous pouvons faire et combien nous avons en liquide.

            En 1993, la valeur du portefeuille tournait autour de 1,5 milliard de dollars, et nous avions environ 800 millions de dollars en bons du Trésor. La liquidité était donc importante, nous pouvions donc nous permettre d'acheter un autre placement à court terme qui ne soit pas aussi liquide que des bons du Trésor.

                                                                                               Transcription page 34

[20]     Les directives de placement de la pièce A-3 sont à la fois des règles et une politique. Le groupe de gestion de l'encaisse investit dans le respect de ces directives. Si un placement proposé ne respecte pas les directives, le groupe doit obtenir une approbation écrite avant l'acquisition. La pièce A-3 comporte une section intitulée [traduction] « Catégories d'émetteurs et limites » . Les trois catégories les plus importantes sont les gouvernements canadiens (fédéral et provinciaux), les titres bancaires et le papier commercial. Il n'y a aucune limite aux sommes que l'appelante peut placer dans des bons du Trésor fédéraux ou des obligations du Canada. Pour les émetteurs garantis par le gouvernement fédéral, la limite recommandée de l'appelante suit le tableau suivant :

Émetteur

Titre en circulation autorisé

Limite recommandée

Société pour l'expansion des exportations

            150 millions $

            30 millions $

Banque de développement du Canada

            200 millions $

            40 millions $

Société canadienne d'hypothèques et de logement

            300 millions $

            60 million $

Commission canadienne du blé

            1,9 milliard $

            380 millions $

Société du crédit agricole

            300 millions $

            60 millions $

Toutes les limites recommandées contenues dans la table ci-dessus représentent exactement 20 % des titres en circulation autorisés pour un émetteur donné. Les limites applicables aux gouvernements provinciaux et aux émetteurs garantis par les gouvernements provinciaux vont de 40 millions de dollars à 60 millions de dollars. Les limites et les cotes des cinq grandes banques à charte étaient les suivantes :


           Cote

Limite

Banque de Montréal

            R 1 Mid

            150 millions $

Banque de Nouvelle-Écosse

            R 1 Mid

            150 millions $

Banque Canadienne Impériale de Commerce

            R 1 Mid

            150 million $

Banque Royale du Canada

            R 1 Mid

            150 million $

Banque Toronto Dominion

            R 1 Mid

            150 million $

Pour pouvoir consentir les trois importants prêts (deux à REFCO et un à TD Holdings) considérés par l'appelante comme du « papier de banque » , le groupe de gestion de l'encaisse a demandé et obtenu l'autorisation écrite du vice-président et trésorier car les deux prêts les plus importants, de 200 millions de dollars chacun, dépassaient la limite de 150 millions de dollars imposée aux placements dans chaque banque.

[21]     Puisque l'appelante ne dispose pas des effectifs ni de l'expertise nécessaires à l'établissement d'une étude de crédit des banques et des émetteurs assimilés, elle s'est fiée au Dominion Bond Rating Service ( « DBRS » ), qui est une société réputée de cotation de la dette à court terme des émetteurs canadiens. La cote « R 1 Mid » attribuée aux cinq principales banques vient de DBRS. De même, l'appelante se fie sur DBRS afin qu'elle cote le papier commercial de chaque émetteur et établisse une limite au montant que l'appelante peut placer dans le papier commercial qu'il émet.

[22]     La pièce A-3 contient aussi une section intitulée [traduction] « Garde » . Tous les titres ont été achetés sur le mode paiement contre documents et ont été gardés par le mandataire de l'appelante à la Banque Royale. L'appelante recevait un rapport mensuel de la Banque Royale, lequel montrait quotidiennement les titres détenus. Le rapport montrait toutes les rentrées et les sorties. M. Matthews a affirmé qu'il y avait beaucoup d'activité chaque jour.

[23]     La pièce R-1 est importante. Elle occupe six classeurs, chacun contenant environ 240 pages. Les six classeurs contiennent ensemble les copies des rapports quotidiens préparés par le groupe de gestion de l'encaisse de l'appelante à la fin de chaque jour ouvrable de l'année civile 1993. Chaque rapport quotidien compte environ sept pages et renferme un sommaire d'une page intitulé [traduction] « Rapport sur les fonds nets pour (date) » et un rapport contenant les détails du portefeuille (environ six pages) énumérant tous les placements à court terme détenus par l'appelante à la clôture des activités dudit jour. Les classeurs (chacun contenant les rapports quotidiens de deux mois) sont disposés en ordre chronologique. Le premier classeur contient les rapports quotidiens de janvier et février 1993, le second les rapports de mars et avril, etc.

[24]     Le sixième classeur de la pièce R-1 contient les rapports quotidiens de novembre et décembre 1993. Le premier rapport quotidien de ce classeur est celui du 30 novembre 1993, la date à laquelle l'appelante a consenti son premier prêt (100 millions de dollars) à REFCO. Cf. pièce A-5. J'utiliserai cette date (le 30 novembre 1993) pour décrire la manière dont les rapports quotidiens sont présentés afin de communiquer tous les renseignements pertinents sur l'encaisse disponible de l'appelante. Le rapport sur les fonds nets du 30 novembre 1993 montre des liquidités disponibles de 1,485 milliard de dollars, dont 1,472 milliard de dollars investis dans des titres à court terme. Selon le rapport présentant les détails du portefeuille pour le 30 novembre 1993, l'appelante détenait environ 170 titres à court terme à la clôture des activités à ladite date, représentant un capital investi total de 1,472 milliard de dollars. Les 170 titres arrivaient à terme à différentes dates sur une période de six mois s'étalant du 1er décembre 1993 au 2 juin 1994.

[25]     Il y a tant d'activités chaque jour dans la gestion de l'encaisse de l'appelante que je décrirai les 13 colonnes du rapport présentant les détails du portefeuille afin de montrer de quelle manière les renseignements pertinents sont présentés en un coup d'oeil relativement à chacun des titres à court terme détenus par l'appelante à la clôture des activités pour chaque jour.

Colonne 1 :      date d'échéance montrant en premier les titres qui viendront à échéance le jour suivant, puis les jours subséquents (pour environ six mois);

Colonne 2 :      numéro de référence du portefeuille, un numéro unique assigné à chaque titre dont les deux premiers chiffres indiquent l'année à laquelle le titre a été acquis;

Colonne 3 :      émetteur, un symbole propre à l'emprunteur;

Colonne 4 :      type de titre, un symbole indiquant le type de titre, par exemple TB = bon du Trésor (treasury bill); TD = dépôt à terme (term deposit); CP = papier commercial (commercial paper); BA = acceptation bancaire (Bankers' acceptance);

Colonne 5 :      base, l'endroit où le titre est gardé à la Banque Royale;

Colonne 6 :      rendement, exprimé en pourcentage annuel;

Colonne 7 :      date de valeur, la date de l'achat;

Colonne 8 :      monnaie, toute en dollars canadiens;

Colonne 9 :      prix d'achat, non le prix d'achat réel mais un nombre du type 100 000 ou 99 773 indiquant si le titre a été acheté à sa valeur au pair comme dépôt à terme ou à escompte comme un bon du Trésor ou un papier commercial;

Colonne 10 :    intérêt, le montant qui sera gagné sur chaque titre à court terme;

Colonne 11 :    valeur à l'échéance, ce que l'appelante recevra lorsque le titre à court terme arrivera à échéance (capital placé de la colonne 13 plus intérêt gagné de la colonne 10);

Colonne 12 :    courtier, le nom du courtier par l'intermédiaire duquel le titre a été acheté;

Colonne 13 :    capital, le montant sur lequel l'intérêt est gagné. Il s'agit ici du prix d'achat réel car c'est le montant véritablement payé par l'appelante pour acquérir le titre à court terme.

[26]     Le groupe de gestion de l'encaisse utilise un rapport présentant les détails à jour du portefeuille à chaque journée donnée afin de savoir combien de titres à court terme viendront à échéance ce jour, le jour suivant ou les quelques jours suivants. Par exemple, le rapport sur les détails du portefeuille pour le 30 novembre 1993 montre 27 titres à court terme qui viendront à échéance le 1er décembre 1993, pour une valeur à échéance totale (capital placé plus intérêt gagné) de 306 millions de dollars. De ce montant total, l'appelante a prêté 200 millions de dollars à REFCO. Toutefois, elle devait déterminer également à la lumière du sommaire de prévisions de l'encaisse quotidienne (comme celui des pièces A-1 et A-2) quels seraient ses besoins d'encaisse dans les quelques premiers jours de décembre 1993.

[27]     Le rapport quotidien présentant les détails du portefeuille est un outil important pour le groupe de gestion de l'encaisse de l'appelante, car ce groupe agit chaque jour sur les marchés monétaires. M. Matthews a expliqué que l'échéance d'un titre normal va de une journée à 45 jours. Il a donné les réponses suivantes au cours de son interrogatoire principal :

[traduction]

Q.         Quelles sont les plus longues échéances dans lesquelles vous investiriez vos surplus d'encaisse à court terme?

R.          Selon nos directives de placement du portefeuille, nous avons la possibilité d'investir dans des titres ayant une échéance aussi longue que deux ans lorsqu'il s'agit d'un produit du gouvernement fédéral, mais, en réalité le financement va de un jour à un an. D'un point de vue pratique, étant donné que nous parlons de gestion d'encaisse à court terme, la réalité est que nous dépassons rarement six mois. Les échéances habituelles vont de une journée à 45 jours.

Q.         D'accord. Est-ce que vous investissez, à quelle fréquence investissez-vous pour des périodes de, disons un mois?

R.          À peu près à tous les jours. Nous agissons sur les marchés de placement tous les jours. Il se passe rarement un jour sans que nous agissions sur les marchés, et, selon nos besoins en liquidité à ce moment, nous pouvons investir dans à peu près n'importe quelle échéance allant de une journée à un an; mais comme je l'ai dit, en pratique, c'est beaucoup plus court que ça. Normalement, ça va de un jour à 45 jours.

[...]

Q.         Maintenant, dans quels types de placements investiriez-vous dans des échéances de six mois ou plus?

R.          Normalement, plus l'échéance est longue, plus nous nous inquiétons de la sécurité du capital et de la liquidité; donc normalement, plus l'échéance est longue, plus il est probable que ce sera des titres du gouvernement que nous achèterons, parce que ce sont ceux qui donnent le plus de sécurité et le plus de liquidités. Un titre du gouvernement peut instantanément...

Q.         Et ça c'est comme, vous parlez d'un bon du Trésor?

R.          Comme un bon du Trésor.

                                                                                        Transcription pages 20-21

[28]     En contre-interrogatoire, M. Matthews a affirmé que les titres à court terme peuvent se décrire comme étant des titres du gouvernement, des titres bancaires et du papier commercial. À l'égard de la sécurité du capital, un titre gouvernemental comme un bon du Trésor serait plus sûr qu'un titre bancaire comme une acceptation bancaire; ces deux types de titres sont plus sûrs qu'un papier commercial. La sécurité d'un placement se mesure souvent par son rendement, car un bon du Trésor donnera généralement un rendement plus faible qu'une acceptation bancaire, puisqu'il offre une meilleure sécurité du capital. À l'inverse, un placement assorti d'un risque plus élevé rapportera généralement un rendement plus élevé. La différence entre le rendement de deux titres peut généralement être décrite en termes de « points de base » , lesquels représentent un centième de point de pourcentage. À modalités égales, le rendement d'une acceptation bancaire sera de 10 à 15 points de base plus élevé que celui d'un bon du Trésor. Papier commercial est le terme utilisé pour décrire un prêt à court terme non garanti consenti à une société. Toutes modalités étant égales par ailleurs, le rendement du papier commercial sera de 15 à 20 points de base plus élevé que celui d'un bon du Trésor. (Transcription pages 109-113.)

[29]     L'appelante a souvent évoqué l'écart de rendement entre les bons du Trésor et les acceptations bancaires pour profiter de ce qu'elle appelle [traduction] « des occasions d'échange » . En contre-interrogatoire, M. Matthews a décrit les occasions d'échange comme suit :

[traduction]

            Sur le marché, nous avions, vous pourriez regarder les occasions de placement sur un horizon de trois mois et l'écart entre les acceptations bancaires et les bons du Trésor du Canada, et il serait à peu près de 10 points de base.

            Plus l'échéance est longue, plus nous apprécions la liquidité des bons du Trésor et cet écart est un écart normal. Nous n'étions pas prêts à prendre les 10 points de base de plus de l'acceptation bancaire et nous avons acheté les bons, donc nous avons renoncé à 10 points de base. Lorsque ces bons sont devenus des bons de 30 jours, après 60 jours, il restait à ces bons 30 jours avant leur échéance.

            L'écart entre les bons et les acceptations bancaires sur les échéances de 30 jours s'était dramatiquement accru. Nous pouvions faire un bénéfice en vendant les bons, réinvestir les fonds pour la même période de 30 jours dans les acceptations bancaires, et le rendement total pour la société pour la période totale de 90 jours dépassait le taux des acceptations bancaires; donc, pour 60 jours, nous avions le risque des bons du Trésor, pour 30 jours, nous avions le risque bancaire, et pour le rendement de 90 jours, nous avions un meilleur taux de rendement que nous aurions eu si nous n'avions investi que dans les acceptations bancaires. Il y avait une certaine anomalie dans les marchés monétaires à court terme.

                                                                                   Transcription pages 120-121

[30]     Le groupe de gestion de l'encaisse a produit des rapports de « gérance » pour chaque trimestre de chaque année civile. Les pièces R-2, R-3, R-4 et R-5 sont les rapports de gérance de 1993 du groupe, en ordre chronologique. La pièce R-2, qui se rapporte au premier trimestre de 1993, contient, à la page 2, le passage suivant :

[traduction]

À la fin mars, le portefeuille de l'Impériale était placé comme suit :

                                    Bons du Trésor              81 %

                                    Titres bancaires                         16 %

                                    Papier commercial                     3 %

L'échéance la plus longue des placements qui n'étaient pas des bons du Trésor était de trois semaines.

Au cours du trimestre, nous avons continué à chercher des occasions d' « échange » lorsque les bons du Trésor sont devenus un titre d'un mois. Sur ce fondement, nous avons vendu pour un total de 100 millions de dollars et augmenté notre revenu de placement d'environ 24 000 $.

Un passage semblable figure dans les rapports concernant le deuxième et le troisième trimestres (pièces R-3 et R-4). Les pièces R-3 et R-4 montrent que l'appelante a utilisé « des occasions d'échange » pour gagner 27 000 $ au deuxième trimestre et 23 000 $ au troisième trimestre de 1993. Si l'on consolide les renseignements fournis par les quatre pièces, l'excédent d'encaisse de l'appelante a été investi comme suit à la fin de chaque trimestre de 1993 :


31 mars

30 juin

30 septembre

31 décembre

Bons du Trésor

81 %

73 %

68 %

56 %

Titres bancaires

16 %

24 %

23 %

32 %

Papier commercial

3 %

3 %

9 %

12 %

Le tableau qui précède montre que, à la fin de chaque trimestre de 1993, l'appelante a pris plus de son encaisse disponible placée dans des bons du Trésor et l'a placée dans des titres bancaires et des papiers commerciaux.

[31]     Le quatrième rapport trimestriel de 1993 (pièce R-5) contient le passage suivant :

[traduction]

L'évaluation que nous avions faite, qui prévoyait que les taux des placements à court terme continueraient de tomber, coïncidait aussi avec notre stratégie d'optimisation du rendement après impôt obtenu par la Compagnie relativement à l'impôt sur le capital. À cet égard, nous avons souscrit (avant le 2 septembre 93 - la règle de 120 jours) des placements qui étaient admissibles à des fins de réduction d'impôt sur le capital, et cela rejoignait nos prévisions de taux d'intérêt. Au cours du dernier trimestre, nous avons relevé et acquis d'autres placements à court terme (sociétés de portefeuilles bancaires) qui se qualifieraient également comme abri contre l'impôt sur le capital.

Ainsi, au 31 décembre, toute l'encaisse, à l'exception d'environ 55 millions de dollars, était placée dans des placements à l'abri de l'impôt. Des économies d'impôt sur le capital d'environ 4,3 millions de dollars ont résulté de ces mesures.

Au 31 décembre, le portefeuille de l'Impériale était placé comme suit :

                                    Bons du Trésor              56 %

                                    Titres bancaires                         32 %

                                    Papier commercial                     12 %

L'échéance la plus longue des placements qui n'étaient pas des bons du Trésor était de un mois. Le pourcentage anormalement élevé des placements dans les banques et dans le papier commercial est dû aux placements mentionnés ci-dessus.

Les rapports de gérance trimestriels de 1993 (pièces R-2 à R-5) confirment que, à mesure que l'année civile avançait de janvier à décembre, l'appelante a ajusté ses placements dans les titres à court terme et, ce faisant, était motivée, au moins en partie, par un désir de réduire son obligation fiscale en vertu de la partie I.3 de la Loi et son obligation relative à l'impôt sur le capital en vertu de la loi de l'Ontario.

Preuve de l'intimée

[32]     L'intimée a fait comparaître trois témoins : Karen Taylor, Abhoy Vaidya et Gordon A. Sick. En 1993, Karen Taylor était employée par Toronto-Dominion Securities Inc., une filiale de la Banque TD. Dans une lettre datée du 24 août 1993 destinée à l'appelante (pièce R-17), Mme Taylor renvoyait à « notre programme de prêts à notre filiale pour décembre 1993 » , qu'elle a décrit dans son témoignage oral comme suit :

          [traduction]

R.          Le programme de prêts à notre filiale était un programme qui visait les sociétés clientes qui disposeraient probablement de liquidités à la fin de leur exercice, lesquelles pourraient être placées dans ce programme ou dans d'autres placements commerciaux avant la fin de leur exercice, et sur lesquelles elles gagneraient un taux d'intérêt commercial. Le programme que nous offrions présentait l'avantage supplémentaire que sa structure était favorable en ce qui a trait à l'impôt sur le capital et ferait épargner de l'impôt sur le capital, vous savez, selon les endroits où les entreprises du client sont réparties au Canada, l'avantage diffère, mais - c'est vraiment un programme qui a été conçu pour donner aux sociétés disposant de beaucoup d'encaisse un taux commercial sur les prêts faits à une filiale de la Banque TD, cautionnés par la Banque, pour leur unité.

Q.         Quel était votre rôle relativement au programme lui-même, et pendant quelles périodes?

R.          J'assumais la responsabilité de la mise en marché du programme pour TD Securities. J'imagine que la première année c'est moi qui dirigeais le programme, apparemment ça aurait été l'année fiscale comprenant le 31 décembre 1993 et j'en ai abandonné le contrôle, ça aurait été, probablement, l'exercice de décembre 94, ou peut-être 95, je ne m'en rappelle pas exactement.

Q.         Comment cherchiez-vous des clients?

R.          Eh bien, nous utilisions diverses publications qui nous aidaient à cerner les sociétés dont nous croyions qu'elles auraient une encaisse positive nette à la fin de leur exercice sur le fondement, encore une fois, des renseignements publics auxquels nous avons accès, et alors nous essayions de faire des « appels à l'improviste » , dans certains cas, nous avions déjà des relations avec ces sociétés et nous prenions contact avec le chef des finances et nous envoyions une lettre d'information qui comprenait généralement une courte lettre décrivant le produit et qui, s'ils étaient intéressés, inclurait également une copie de la règle fiscale formulée par le cabinet McCarthy.

Q.         Les « appels à l'improviste » auxquels vous faites référence, combien en avez-vous faits à l'automne 93?

R.          Je ne sais pas si je pourrais vous donner un chiffre. C'était probablement plus que 20, mais moins que 40.

                                                                                    Transcription pages 246-247

[33]     Mme Taylor a expliqué qu'il y avait une relation existante entre la Banque TD et l'appelante et que son premier contact avec l'appelante n'était donc pas un « appel à l'improviste » . Elle a affirmé que l'envergure du programme de prêts à la filiale de la Banque TD en décembre 1993 était probablement de 600 à 800 millions de dollars.

[34]     En 1993, Abhoy Vaidya était employé au service de financement des sociétés de la Banque Royale. Il faisait la liaison entre la Banque Royale et l'appelante relativement aux deux prêts à REFCO. Ses lettres du 15 octobre et du 19 novembre 1993 à l'appelante (pièces R-10 et R-11) confirment que les deux prêts seraient consentis le 30 novembre et le 1er décembre 1993. Dans son témoignage oral, plus de sept ans après les prêts en question, il ne se rappelait pas très bien des opérations pertinentes. Je peux très bien comprendre son manque de mémoire, étant donné les nombreuses opérations bancaires qu'il doit avoir effectuées dans les années qui ont suivi.

[35]     M. Gordon Sick a déposé comme témoin expert pour l'intimée. Il détient les diplômes universitaires suivants :


B.Sc. (mathématique, mention très honorable),

                   Université de Calgary, 1971

M.Sc. (mathématique), Université de Toronto, 1972

M.Sc. (administration des affaires), Finances

                   Université de Colombie-Britannique, 1977

          Ph.D. (administration des affaires), Finances

                    Université de Colombie-Britannique, 1981

Au moment de l'audition du présent appel, M. Sick était professeur de finance à l'Université de Calgary. L'intimée a présenté à la Cour M. Sick comme un expert dans le financement à court terme sur le marché monétaire et les instruments financiers connexes. L'appelante a reconnu que M. Sick est un expert dans ledit domaine. Son rapport écrit, daté du 2 avril 2001, a été déposé en preuve et constitue la pièce R-20.

[36]     L'opinion de M. Sick a été sollicitée sur une question mentionnée aux pages 1 et 2 de son rapport (pièce R-20). Comme la question est longue et, à mon avis, bizarrement énoncée, je la résumerai mais en conserverai les termes essentiels :

Sur le fondement de votre examen des documents suivants :

                        (suit une liste de 17 documents)

quelle était la probabilité que Compagnie Pétrolière Impériale Limitée consente les trois prêts pertinents (les deux prêts à REFCO et le prêt à TD Holdings) si ces prêts n'avaient pas réduit l'impôt prévu par la partie I.3?

                                                                    

M. Sick a répondu à cette question en exprimant l'opinion que Compagnie Pétrolière Impériale Limitée n'aurait consenti aucun de ces trois prêts s'ils n'avaient eu pour effet de réduire son impôt en vertu de la partie I.3. Je commenterai sur la preuve déposée par M. Sick plus tard dans les présents motifs.


Analyse

[37]     Comme il est mentionné au paragraphe 4 ci-dessus, la question fondamentale du présent appel est de déterminer si le ministre peut utiliser la disposition générale anti-évitement (DGAÉ) afin d'interdire à l'appelante d'inclure les trois importants prêts (deux à REFCO et un à TD Holdings) dans le calcul de sa « déduction pour placements » en vertu de l'alinéa 181.2(4)b) de la Loi. Le total de ces trois importants prêts est de 500 millions de dollars, mais le ministre a admis qu'une somme de 153,2 millions de dollars de ce total peut être incluse dans la déduction pour placements de l'appelante en vertu de l'alinéa 181.2(4)b). Par conséquent, le montant en litige est le solde de 346,8 millions de dollars que le ministre a exclu de l'application de l'alinéa 181.2(4)b) par le mécanisme de la DGAÉ.

[38]     La disposition générale anti-évitement est prévue à l'article 245 de la Loi. Voici les dispositions pertinentes :

245(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« attribut fiscal » - « attribut fiscal » S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l'impôt ou l'autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » - « avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

« opération » - « opération » Sont assimilés à une opération une convention, un mécanisme ou un événement.

245(2) En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

245(3) L'opération d'évitement s'entend :

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b)     soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables - l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

245(4) Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble - compte non tenu du présent article - n'est pas visée par le paragraphe (2).

245(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2), dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d'une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d'une opération d'évitement :

a)    toute déduction dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l'impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

[...]

d)    les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l'application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

[39]     De récentes décisions de la Cour d'appel fédérale nous éclairent sur l'interprétation à donner à la DGAÉ et sur son application. Plus particulièrement, je renvoie aux décisions OSFC Holdings Ltd. c. Canada (C.A.), [2002] 2 C.F. 288 (2001 D.T.C. 5471) et Water's Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. La Reine, (jugement rendu le 9 juillet 2002). Dans Water's Edge, le juge Noël, exprimant l'avis unanime de la Cour, affirme au paragraphe 32 :

[32]       Pour appliquer l'article 245, il faut répondre à chacune des trois questions suivantes :

1.          Les opérations du 20 décembre 1991 ont-elles procuré un avantage fiscal aux appelants?

2.          Dans l'affirmative, est-il raisonnable de considérer que les opérations ont principalement été effectuées pour un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal?

3.          Dans la négative, est-ce que les opérations ont entraîné, directement ou indirectement, un abus dans l'application des dispositions de la Loi ou de la Loi dans son ensemble, abstraction faite de l'article 245?

Lorsqu'il a énoncé les trois questions qui précèdent, le juge Noël (et les deux autres juges qui ont entendu la cause Water's Edge) avaient eu l'avantage d'avoir lu la décision de leurs confrères dans OSFC Holdings. Je me propose d'examiner l'application de l'article 245 aux faits de l'espèce en tentant de répondre à ces trois questions.

[40]     Les trois importants prêts sont à toutes fins pratiques identiques. Aucun des avocats n'a soutenu que la DGAÉ pourrait s'appliquer à un prêt et non aux deux autres, ou vice versa. Tous les arguments présentés se fondent sur le principe que la DGAÉ s'applique aux trois prêts ou à aucun. Pour faciliter le raisonnement, je choisirai un prêt qui les représentera tous trois, et ma décision à l'égard de ce prêt s'appliquera aux deux autres. Je choisirai le deuxième prêt à REFCO, consenti le 1er décembre 1993, au montant de 200 millions de dollars, parce qu'il s'agit du plus important des deux prêts à REFCO et que l'appelante a prêté des sommes plus élevées à REFCO qu'à TD Holdings. Je tenterai de répondre aux trois questions de Water's Edge en les appliquant au deuxième prêt à REFCO.

Question 1. Le second prêt à REFCO (200 millions de dollars) du 1er décembre 1993 a-t-il procuré un avantage fiscal à l'appelante?

[41]     Le terme « avantage fiscal » est défini au paragraphe 245(1) comme suit :

« avantage fiscal » - « avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

Les mots de la définition pertinents au présent appel sont « réduction... d'impôt... payable en application de la présente loi » . La disposition d'assujettissement à l'impôt prévue par la partie I.3 de la Loi (paragraphe 181.1(1)) prévoit un impôt de 0,2 % du montant de l'excédent éventuel :

(a)       du capital imposable de l'appelante utilisé au Canada pour 1993

sur

(b)      l'abattement de capital de l'appelante pour 1993.

Le paragraphe 181.5(1) définit l'expression « abattement de capital » à 10 millions de dollars, disposition qui vise à assurer que seules les grandes sociétés seront imposées en vertu de la partie I.3. Il ressort de la preuve et des plaidoiries qu'il ne fait aucun doute que le « capital imposable utilisé par l'appelante au Canada pour 1993 » dépasse 10 millions de dollars, que l'appelante était en 1993 une grande société aux fins de l'application de la partie I.3 et que l'appelante paierait des impôts en vertu de la partie I.3 pour 1993, quelles que soient les conclusions du présent appel.

[42]     La définition de « capital imposable » du paragraphe 181.2(2) est citée au paragraphe 1 ci-dessus, et il convient de la répéter :

181.2(2)    Le capital imposable d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition est égal à l'excédent éventuel de son capital pour l'année sur sa déduction pour placements pour l'année.

L'élément positif de cette définition est le « capital » ; l'élément négatif est la « déduction pour placements » . Tout montant pouvant être inclus par l'appelante dans sa « déduction pour placements » pour 1993 réduit le « capital imposable » de l'appelante et donc l'impôt payable en application de la partie I.3. Le seul élément du paragraphe 181.2(4) qui pourrait justifier l'inclusion du deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) dans la « déduction pour placements » de l'appelante est l'alinéa b) : « un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière » . Personne n'a prétendu ni même laissé entendre dans le présent appel que REFCO était une institution financière. Le deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) peut donc être inclus dans la « déduction pour placements » de l'appelante pour 1993, car il s'agissait d'un prêt ou d'une avance à une autre société. Je conclus sans hésitation que le deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) a procuré un « avantage fiscal » à l'appelante car il a réduit l'impôt payable en vertu de la Loi. La première question doit recevoir une réponse affirmative.

Question 2. Est-il raisonnable de considérer que le second prêt à REFCO (200 millions de dollars) a été principalement effectué pour un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal?

[43]     À l'égard de la deuxième question, le juge Rothstein, dans OSFC Holdings, affirme ce qui suit :

[46]       Le membre de phrase « il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour » au paragraphe 245(3) indique que le critère de l'objet principal est un critère objectif. Par conséquent, l'accent sera mis sur les faits et les circonstances pertinentes et non sur les déclarations d'intention. Il est également évident que l'objet principal doit être déterminé au moment où les opérations en question ont été effectuées. Il ne s'agit pas d'une évaluation rétrospective, qui tiendrait compte de faits et de circonstances survenus après que les opérations ont été effectués.

[...]

[58]       En guise d'observation finale, je soulignerai que l'objet principal d'une opération sera déterminé sur la base des faits de chaque espèce. En particulier, une comparaison du montant de l'avantage fiscal estimatif et du montant estimatif du revenu commercial peut ne pas être déterminante, surtout lorsque ces estimations sont proches. De plus, la nature de cet aspect commercial de l'opération doit être examinée attentivement. On ne peut tout simplement pas statuer que l'objet commercial n'est pas l'objet principal parce que l'avantage fiscal est important. »

La preuve tend à me convaincre que le deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) ne peut être raisonnablement considéré comme ayant été effectué principalement pour un objet autre que l'obtention d'un avantage fiscal. Je vais exprimer cette conclusion de manière positive. Je conclus que l'objet principal du deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) était d'obtenir un avantage fiscal. La preuve à l'appui de cette conclusion est importante.

[44]     J'ai été favorablement impressionné par la franchise de M. Matthews en interrogatoire principal et en contre-interrogatoire. Il a décrit comment, avant le 1er septembre de n'importe quelle année, le groupe de gestion de l'encaisse achetait des bons du Trésor d'une échéance de plus de 120 jours afin qu'ils soient détenus à la fin de l'année civile et au début de l'année suivante. Le but était de réduire l'impôt sur le capital payable en vertu de la partie III de la Loi sur l'imposition des corporations de l'Ontario. En vertu de la loi ontarienne, les titres à court terme tels que les bons du Trésor doivent être détenus pendant une période minimale de 120 jours. De même, M. Matthews a décrit comment le groupe de gestion de l'encaisse achetait divers titres à court terme dont l'échéance se situe à la fin novembre ou au début décembre, afin que le produit en espèces ainsi rendu disponible à ce moment puisse servir à souscrire du papier commercial à court terme qui se qualifierait comme déduction pour placements en vertu de l'alinéa 181.2(4)b).

[45]     La correspondance échangée entre le groupe de gestion de l'encaisse de l'appelante et la Banque Royale (M. Vaidya) ou la Banque TD (Mme Taylor), et la note de service interne de l'appelante, indiquent clairement que la réduction de l'impôt en vertu de la partie I.3 de la Loi a motivé au moins en partie l'octroi des deux prêts à REFCO et du prêt à TD Holdings. Je renvoie aux pièces A-4, A-12, A-16, R-12, R-13, R-14, R-18 et R-19.

[46]     Deux autres groupes de pièces constituent selon moi une preuve concluante que l'objet principal du deuxième prêt à REFCO était d'obtenir un avantage fiscal. Le premier est composé des deux lettres émises par deux importantes études juridiques torontoises exprimant une opinion favorable à la question de savoir s'il était possible de réduire l'impôt en consentant un prêt important à REFCO (ou, dans l'autre cas, à TD Holdings). La pièce A-4 comprend une lettre de 20 pages de McMillan Binch (adressée à REFCO et à la Banque Royale), laquelle est citée au paragraphe 8 ci-dessus. La pièce A-6 est une lettre de 11 pages de McCarthy Tétrault (adressée à Toronto-Dominion Securities Inc.), laquelle est citée au paragraphe 12 ci-dessus.

[47]     Le second groupe de pièces est formé des rapports trimestriels de gérance de l'appelante (pièces R-2, R-3, R-4 et R-5) pour les quatre trimestres de 1993. Ces rapports ont été rédigés par le groupe de gestion de l'encaisse et signés par M. Matthews. Le paragraphe 31 ci-dessus contient une citation de la pièce R-5, qui est le rapport préparé pour le quatrième trimestre de 1993. La pièce R-5 contient le passage suivant :

[traduction]

... Au cours du dernier trimestre, nous avons relevé et acquis d'autres placements à court terme (sociétés de portefeuilles bancaires) qui se qualifieraient également comme abri contre l'impôt sur le capital.

Ainsi, au 31 décembre, toute l'encaisse, à l'exception d'environ 55 millions de dollars, était placée dans des placements à l'abri de l'impôt. Des économies d'impôt sur le capital d'environ 4,3 millions de dollars ont résulté de ces mesures.

Le taux d'imposition sur le capital de la province de l'Ontario semble être de 50 % supérieur à celui du gouvernement fédéral en application de la partie I.3 de la Loi. Donc, si l'appelante économisait 4,3 millions de dollars en impôt, comme l'indique le passage cité ci-dessus, les économies les plus importantes seraient réalisées sous le régime de la législation provinciale (si l'on suppose que les autres provinces où l'appelante exerce ses activités imposent le capital au même taux que l'Ontario).

[48]     Aux paragraphes 35 et 36 ci-dessus, j'ai présenté le témoin expert de l'intimée, M. Gordon Sick, lequel a exprimé l'opinion que l'appelante n'aurait pas consenti le deuxième prêt à REFCO (ni aucun des deux autres) s'il n'avait eu pour effet de réduire l'impôt applicable en vertu de la partie I.3. La preuve présentée par M. Sick se rapporte à la deuxième question, le critère de l'objet principal. Je ne suis pas enclin à donner beaucoup de poids à la preuve de M. Sick pour deux raisons. Premièrement, toute l'expérience de M. Sick depuis son premier diplôme universitaire en 1971 est universitaire. Il n'a jamais eu à gérer une importante réserve d'encaisse (comme l'encaisse de 1,5 milliard de dollars de l'appelante), ni à tenter de concilier les entrées d'encaisse aux exigences de sorties d'encaisse d'une grande société verticalement intégrée comme l'appelante. Dans certains champs d'expertise (l'évaluation de biens immeubles ou meubles, par exemple), l'expérience acquise sur le marché est plus importante que les connaissances théoriques. En revanche, dans d'autres champs d'expertise (tels que la résistance à la traction d'une poutre d'acier), les connaissances théoriques sont plus importantes que l'expérience en construction. Je suis de l'avis que l'expérience acquise sur le marché, et non les concepts théoriques, nous aide le plus à répondre à la question posée à M. Sick.

[49]     Deuxièmement, dans OSFC Holdings, le juge Rothstein a écrit, au paragraphe 58, que « l'objet principal d'une opération sera déterminé sur la base des faits de chaque espèce » . Je dispose d'une preuve substantielle sur laquelle je puis conclure, et je conclus, que l'objet principal du second prêt à REFCO était d'obtenir un avantage fiscal. Je n'ai besoin de l'opinion d'aucun témoin expert pour m'aider à répondre à la deuxième question.

Question 3. Le deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) a-t-il entraîné un abus dans l'application des dispositions de la Loi ou de la Loi dans son ensemble, abstraction faite de l'article 245?

[50]     Aucune des circonstances qui font l'objet du présent appel ne me porte à conclure à un abus dans l'application des dispositions de la Loi ou de la Loi dans son ensemble, abstraction faite de l'article 245. Par conséquent, pour les motifs énoncés ci-dessous, j'admettrai l'appel.

[51]     Dans OSFC Holdings, la Cour d'appel fédérale a fait siennes certaines opinions du professeur Vern Krishna exprimées dans son livre Tax Avoidance: The General Anti-Avoidance Rule (Toronto: Carswell, 1990). Le juge Rothstein affirme, au paragraphe 61 de ses motifs :

[61]       Dans l'ouvrage Tax Avoidance : The General Anti-Avoidance Rule, supra, le professeur Krishna affirme à la page 51 :

[traduction] Ce qui constitue un « abus » (misuse) dans l'application des dispositions de la Loi dépend de l'objet et de l'esprit de la disposition même qui est en cause. Ce qui constitue un « abus » (abuse) dans l'application de la Loi lue dans son ensemble, est une question plus large qui nécessite l'examen des liens entre les dispositions pertinentes en contexte.

Je pense qu'il s'agit là d'une façon commode d'aborder chaque critère. Par conséquent, en l'espèce, pour les besoins de l'analyse de la question d'abus (misuse), les opérations d'évitement seront analysées compte tenu du paragraphe 18(13) et de sa politique sous-jacente. L'analyse de la question d'abus (abuse) comportera un examen des opérations d'évitement dans un contexte plus large, compte tenu des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu lue dans son ensemble, et de la politique qui les sous-tend.

[52]     Le juge Rothstein a énoncé d'autres commentaires utiles sur la « règle des deux abus (misuse et abuse) » aux paragraphes 69 et 70 de ses motifs dans OSFC Holdings    :

[69]       Il est également nécessaire de garder à l'esprit le contexte dans lequel est effectuée l'analyse relative à l'abus. L'opération d'évitement a respecté la lettre des dispositions applicables de la Loi. Néanmoins, l'avantage fiscal sera refusé s'il y a eu abus. Il n'est pas question d'essayer de deviner l'intention du Parlement en utilisant une analyse téléologique lorsque les mots utilisés dans une loi sont ambigus. Il s'agit plutôt d'invoquer une politique générale pour déroger aux mots que le législateur a utilisés. J'estime donc que pour refuser un avantage fiscal, alors que la Loi a été rigoureusement respectée, pour le motif que l'opération d'évitement constitue un abus, il faut que la politique générale pertinente soit claire et non ambiguë. La Cour fera preuve de prudence en se déchargeant de la tâche inhabituelle qui lui est imposée par le paragraphe 245(4). Elle doit être certaine que, même si les mots utilisés par le législateur autorisent l'opération d'évitement, la politique générale qui sous-tend les dispositions pertinentes ou la Loi lue dans son ensemble est suffisamment claire pour permettre à la Cour de conclure sans danger que l'application de la disposition ou des dispositions par le contribuable constituait un abus.

[70]       En réponse à l'argument selon lequel une telle approche rendra difficile l'application de la RGAÉ, je dirais que dès lors que la politique générale est claire, son application ne sera pas difficile. Si la politique générale est ambiguë, son application devrait être difficile. C'est ainsi parce que le paragraphe 245(4) ne peut être considéré comme une abdication par le Parlement de son rôle de législateur en faveur d'un jugement subjectif de la Cour ou de juges en particulier. En édictant le paragraphe 245(4), le législateur a imposé à la Cour le fardeau de déterminer la politique générale du Parlement, comme motif de refus d'un avantage fiscal découlant d'une opération qui est par ailleurs conforme aux exigences de la Loi. Si le Parlement n'a pas fait preuve de clarté et d'absence d'ambiguïté à l'égard de la politique générale qu'il envisageait, la Cour ne saurait décider qu'il y a eu abus, et le respect de la Loi doit l'emporter.

[53]     Dans l'analyse relative à l'abus, je me dois d'étudier l'objet et l'esprit (la politique sous-jacente) du paragraphe 181.2(4) de la Loi qui définit la « déduction pour placements » . Bien que les dispositions pertinentes du paragraphe 181.2(4) aient été citées au paragraphe 1 ci-dessus, je les citerai à nouveau pour faciliter la lecture :

181.2(4)    La déduction pour placements d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition correspond au total des montants dont chacun représente la valeur comptable à la fin de l'année d'un élément d'actif de la société qui est, selon le cas :

a)     une action d'une autre société;

b)     un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière;

c)     une obligation, un effet, une hypothèque ou un titre semblable d'une autre société, sauf une institution financière;

d)     [...]

En sont exclues les actions du capital-actions et les dettes d'une société exonérée de l'impôt en application de la présente partie, autrement qu'en vertu de l'alinéa 181.1(3)d), ainsi que les dividendes payables par une telle société.

[54]     Nous devons rappeler que la « déduction pour placements » est l'élément négatif de l'expression « capital imposable » définie au paragraphe 181.2(2). En d'autres mots, toute somme incluse dans la déduction pour placements réduit le capital imposable. L'impôt sur les grandes sociétés de la partie I.3 de la Loi a été créé par le budget fédéral de 1989. Les documents budgétaires indiquent que l'impôt de la partie I.3 a été adopté afin d'assurer que les sociétés paient des impôts fédéraux pour contribuer à la politique de réduction du déficit du gouvernement. Ces documents indiquent également que l'objet de la « déduction pour placements » du paragraphe 181.2(4) est d'éviter la double imposition dans le cas où le capital d'une société n'est pas utilisé directement par elle mais investi dans une autre société. Voir Documents budgétaires, ministère des Finances, 27 avril 1989, aux pages 40, 41 et 42. En vertu de l'alinéa 181.2(4)b), une société pourra inclure un prêt ou une avance à une autre société dans sa déduction pour placements à condition que l'autre société qui reçoit le prêt ou l'avance ne soit pas exemptée de la partie I.3. Rien n'indique que REFCO soit exemptée de l'impôt de la partie I.3.

[55]     Je conclus que l'objet et l'esprit (ou la politique) de la déduction pour placements étaient d'éviter la double imposition du capital. Il convient de constater que toute la partie I.3 est une anomalie dans l'économie de la Loi de l'impôt sur le revenu car elle impose le capital et non le revenu. Bien que le taux d'imposition soit relativement bas (0,2 %), le montant de capital sur lequel s'impose ce taux peut être très élevé, comme c'est le cas en l'espèce.

[56]     Le deuxième prêt à REFCO faisait partie des activités courantes de gestion de l'encaisse de l'appelante. M. Matthews a affirmé que, à quelques exceptions, l'appelante était active tous les jours sur le marché monétaire. La pièce R-1 confirme l'affirmation de M. Matthews. Les rapports quotidiens consolidés qui forment la pièce R-1 et les résumés de prévisions d'encaisse des pièces A-1 et A-2 montrent que le groupe de gestion de l'encaisse effectue chaque jour des opérations très compliquées d'équilibrage de l'encaisse reçue des activités commerciales de l'appelante et de l'arrivée à échéance de titres à court terme et des sorties d'encaisse nécessaires aux activités tout en réinvestissant les sommes restantes dans d'autres titres à court terme. L'intimée a argué que les trois importants prêts étaient des [traduction] « opérations transitoires » , mais tous les titres du portefeuille de l'appelante étaient des placements à court terme. M. Matthews a affirmé que la plupart des titres étaient détenus pour moins de 45 jours. En plus de recevoir et de déployer d'importants montants en espèces à tous les jours, le groupe de gestion de l'encaisse contrôle continuellement son portefeuille de titres à court terme afin de déceler les « occasions d'échange » , comme il appert des explications de M. Matthews citées au paragraphe 29 ci-dessus.

[57]     Le deuxième prêt à REFCO respecte les trois directives fondamentales de placement contenues à la pièce A-3 : (i) la sécurité du capital était assurée car le prêt était cautionné par la Banque Royale; (ii) le montant prêté était liquide, car l'échéance n'était pas de plus de 35 jours; et (iii) le taux d'intérêt était raisonnable car il était négocié en fonction d'une norme objective. L'intimée prétend que le taux d'intérêt prévu pour le deuxième prêt à REFCO devrait être réduit à un pourcentage moins élevé afin de tenir compte des frais (132 000 $) payés par l'appelante à la Banque Royale et le taux de rendement après impôt plus faible qui en résulte. Toutefois, l'appelante s'attendait à ce que le deuxième prêt à REFCO soit inclus dans sa déduction pour placements aux fins de l'impôt sur le capital payable en vertu de la partie I.3 de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi sur l'imposition des corporations de l'Ontario. Ainsi, les frais (132 000 $) payés à la Banque Royale seraient d'un point de vue commercial compensés par la réduction de l'impôt sur le capital attendue. J'estime que le taux d'intérêt gagné sur le deuxième prêt à REFCO était raisonnable eu égard à toutes les circonstances. L'appelante a reçu un intérêt effectif au montant de 724 246,58 $ le 4 janvier 1994 lorsque le deuxième prêt à REFCO fut remboursé. Cf. pièce R-1, Rapport quotidien pour le 31 décembre 1993.

[58]     Le groupe de gestion de l'encaisse de l'appelante a continué de fonctionner quotidiennement de la même manière pendant toute la période pertinente. Tenant compte de la disposition prévoyant la « déduction pour placements » du paragraphe 181.2(4) et de la politique sous-jacente, ainsi que de la disposition semblable de la Loi sur l'imposition des corporations de l'Ontario, l'appelante a orienté ses activités vers l'acquisition de titres à court terme dans les cinq derniers mois de chaque année civile. Afin de réduire l'impôt sur le capital payable à la province de l'Ontario, l'appelante achetait chaque mois d'août une portion plus élevée de bons du Trésor ayant une échéance de plus de 120 jours afin qu'ils soient détenus à la fin de l'année le 31 décembre. Afin de réduire l'impôt sur le capital payable en vertu de la partie I.3, l'appelante achetait à la fin novembre et au début décembre une portion plus importante de papier commercial, dont l'échéance devait être courte (moins de 45 jours) afin de respecter les directives de l'appelante relativement à la liquidité.

[59]     Lorsque je dis que l'appelante s'orientait vers l'acquisition de titres à court terme dans les cinq derniers mois de chaque année civile, je veux dire qu'elle plaçait une partie plus importante des liquidités disponibles dans les titres bancaires et les papiers commerciaux, au lieu de les placer dans les bons du Trésor. Je citerai ici à nouveau le tableau figurant au paragraphe 30 ci-dessus, lequel montre la répartition du placement des liquidités de l'appelante à chaque trimestre de 1993.

31 mars

30 juin

30 septembre

31 décembre

Bons du Trésor

81 %

73 %

68 %

56 %

Titres bancaires

16 %

24 %

23 %

32 %

Papier commercial

3 %

3 %

9 %

12 %

L'appelante n'a pas créé une « filiale à l'abri de l'impôt » ni participé à une nouvelle société afin de réaliser son objectif de réduire l'impôt payable sur le capital. Elle n'a fait que suivre l'invitation de l'alinéa 181.2(4)b) en souscrivant plus de titres à court terme d'un type et moins d'un autre type. À cet égard, je considère que l'admission du ministre quant à la somme de 153,2 millions de dollars va à l'encontre de l'application de la DGAÉ.

[60]     L'admission du ministre relative à la somme de 122,2 millions de dollars est expliquée à l'alinéa 6(t) de la réponse modifiée à l'avis d'appel. L'avocat de l'intimée a concédé au début de l'audition une somme additionnelle de 31 millions de dollars. J'utiliserai la somme des deux montants pour expliquer l'admission du ministre. De la somme totale de 500 millions de dollars prêtée à REFCO et à TD Holdings, le ministre a supposé que pas plus de 153,2 millions de dollars provenaient de l'actif de l'appelante admissible comme « déduction pour placements » en vertu du paragraphe 181.2(4). Le ministre suppose également qu'au moins 346,8 millions de dollars provenaient d'actif de l'appelante qui n'étaient pas admissible à la « déduction pour placements » en vertu du paragraphe 181.2(4). Je considère que le ministre est allé plus loin et a supposé que les espèces obtenues de l'arrivée à échéance ou de la vente des éléments d'actif (titres à court terme) seraient placées à nouveau, dollar pour dollar, dans exactement le même type d'actif.

[61]     Lorsqu'elle étudie des activités de gestion d'encaisse aussi perfectionnées que celles de l'appelante, comment une personne extérieure (comme le ministre) peut-elle prédire avec une certaine précision comment les espèces reçues un jour donné seront utilisées? Qu'en est-il de l'encaisse reçue des activités commerciales et des besoins d'encaisse pour les activités commerciales lorsque le ministre établit le montant de l'admission à précisément 153,2 millions de dollars? J'estime que l'admission du ministre a été faite de bonne foi relativement à l'application de la DGAÉ, mais que cette admission montre non seulement la difficulté de décider où un possible évitement fiscal débute et où il se termine, mais elle tend également à confirmer la possibilité qu'il n'y ait eu aucun évitement fiscal. Je conclus que le deuxième prêt à REFCO n'a pas entraîné un abus (misuse) dans l'application des dispositions de la Loi.

[62]     L'analyse de l'abus (abuse) me force à étudier une éventuelle opération d'évitement dans un contexte plus large visant les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu lue dans son ensemble et la politique sous-jacente. Les faits particuliers qui font l'objet du présent appel rendent l'analyse de l'abus relativement simple car la partie I.3 de la Loi (qui impose le capital) s'apparente à une loi d'imposition distincte interprétée dans le contexte beaucoup plus large de la Loi de l'impôt sur le revenu. La politique motivant la « déduction pour placements » du paragraphe 181.2(4) a déjà été décrite aux paragraphes 54 et 55 ci-dessus. Son but est d'éviter la double imposition du capital.

[63]     Le paragraphe 181.2(3) définit le capital d'une société, et voici les éléments pertinents de cette disposition :

181.2(3)    Le capital d'une société, sauf une institution financière, pour une année d'imposition correspond à l'excédent éventuel du total des éléments suivants :

a)     le capital-actions de la société (ou, si elle est constituée sans capital-actions, l'apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d'apport et tout autre surplus à la fin de l'année;

b)     [...]

c)     les prêts et les avances qui lui ont été consentis à la fin de l'année,

d)     ses dettes à la fin de l'année sous forme d'obligations, de créances hypothécaires, d'effets, d'acceptations bancaires ou de titres semblables,

e)     [...]

Le capital est l'élément positif dans la définition de « capital imposable » du paragraphe 181.2(2). Par conséquent, tout montant qui augmente le « capital » en vertu du paragraphe 181.2(3) augmente le capital imposable en vertu du paragraphe 181.2(2). Plus précisément, le deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) fait partie du capital de REFCO en vertu de l'alinéa 181.2(3)c), sous réserve de la disposition relative à la fin de l'année.

[64]     L'alinéa 181.2(4)b), qui définit la « déduction pour placements » , et l'alinéa 181.2(3)c), qui définit le « capital » , fonctionnent ensemble afin d'empêcher la double imposition du capital. L'alinéa 181.2(4)b) prévoit que le montant suivant augmente la déduction pour placements et diminue le « capital imposable » :

b)     un prêt ou une avance consenti à une autre société, sauf une institution financière;

L'alinéa 181.2(3)c) prévoit que le montant suivant augmente le capital et le « capital imposable » :

c)     les prêts et les avances qui lui ont été consentis à la fin de l'année,

[65]     L'appelante a utilisé le deuxième prêt à REFCO (200 millions de dollars) afin d'augmenter sa déduction pour placements et donc de diminuer son capital imposable. À l'autre extrémité de l'opération, l'alinéa 181.2(3)c) impose à REFCO d'inclure la même somme de 200 millions de dollars dans son capital et augmente ainsi son capital imposable. Le capital imposable de l'appelante a été réduit de 200 millions de dollars par l'effet du deuxième prêt à REFCO, mais le capital imposable de REFCO a été augmenté de 200 millions de dollars par la même opération.

[66]     Le ministre a utilisé la DGAÉ dans la cotisation qui fait l'objet du présent appel, car l'appelante aurait autrement droit à une déduction pour placements de 346,8 millions de dollars, le montant en litige. Il n'y a aucune preuve à l'effet que REFCO (ni TD Holdings) ne sont pas imposables en vertu de la partie I.3. Le ministre n'aurait pas eu à utiliser la DGAÉ s'il pouvait être prouvé que REFCO (ou TD Holdings) étaient exonérées de l'impôt de la partie I.3 en conformité avec la dernière phrase du paragraphe 181.2(4). L'appelante peut avoir diminué son impôt payable en vertu de la partie I.3 à l'aide du deuxième prêt à REFCO, mais il appert que l'obligation fiscale de REFCO en vertu de la partie I.3 augmenterait du même montant, sous réserve de la disposition relative à la fin de l'année.


[67]     Si je considère la partie I.3 dans son ensemble, je conclus qu'il n'y a pas eu abus (abuse) des dispositions de la Loi. Bien au contraire, si la DGAÉ est appliquée aux trois importants prêts (deux à REFCO et un à TD Holdings), il y a risque de double imposition car l'appelante se verrait refuser une déduction pour placements de 346,8 millions de dollars alors qu'il semble que le capital de REFCO et de TD Holdings serait, si on les additionne, augmenté du même montant. Le présent appel est admis avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de juillet 2002.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2003.

Mario Lagacé, réviseur

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