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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3119(IT)G

ENTRE :

PETER WOO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Peter Woo 2000-3561(GST)G le 16 octobre 2001, à Victoria (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelant :                 Me George Jones

Avocate de l'intimée :                 Me Karen Truscott

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 23 juin 1999 et porte le numéro 04404, est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

          Un seul mémoire de frais est alloué à l'intimée.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 18e jour de janvier 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3561(GST)G

ENTRE :

PETER WOO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Peter Woo 2000-3119(IT)G le 16 octobre 2001, à Victoria (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelant :                 Me George Jones

Avocate de l'intimée :                 Me Karen Truscott

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 23 juin 1999 et porte le numéro 32950, est rejeté conformément aux motifs du jugement ci-joints.

          Un seul mémoire de frais est alloué à l'intimée.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 18e jour de janvier 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2003.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 20020118

Dossiers: 2000-3119(IT)G

2000-3561(GST)G

ENTRE :

PETER WOO,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]      Par voie d'avis de cotisation no 32950 en date du 23 juin 1999, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi à l'égard de l'appelant une cotisation de taxe sur les produits et services ( « TPS » ) lui fixant 80 907 $ de taxe nette perçue mais non versée par JPT Enterprises Ltd. ( « JPT » ), avec pénalités et intérêts y afférents. Le ministre a établi cette cotisation en se fondant sur le fait que l'appelant était un administrateur de JPT durant toute la période pertinente et encourait donc une responsabilité au titre de la taxe impayée, en vertu du paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ).

[2]      Le 23 juin 1999, le ministre a établi à l'égard de l'appelant une cotisation d'impôt sur le revenu lui fixant 4 936,10 $ d'impôt fédéral retenu à la source mais non remis par JPT, avec pénalités et intérêts y afférents. Le ministre a établi cette cotisation en se fondant sur le fait que l'appelant était un administrateur de JPT durant toute la période pertinente et avait donc une responsabilité au titre de l'impôt impayé, en vertu du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « LIR » ).

[3]      Les avocats des parties ont accepté que les deux appels soient entendus sur preuve commune.

[4]      Peter Woo a témoigné qu'il habite à Victoria (Colombie-Britannique) et qu'il exerce un emploi pour la British Columbia Ferry Corporation depuis 32 ans. Il a commencé à travailler comme aide de cuisine, mais est maintenant un capitaine en second responsable d'un équipage affecté au chargement, au déchargement et à la conduite d'un bateau. Il a quitté l'école après la 10e année, mais a fréquenté le Camosun College en 1986, puis en 1992, année au cours de laquelle il a obtenu sa carte de qualification en navigation côtière. En 1997, il a obtenu un certificat de capitaine, voyage local. À un moment donné dans sa carrière, il a été capitaine du traversier de l'île de Thetis, mais, actuellement, il fait fonction de commandant en second à bord du Spirit de l'île de Vancouver, un supertraversier moderne (à ne pas confondre avec ce que l'on appelle les traversiers rapides). L'appelant a déclaré que la société - JPT - a acheté et exploité un restaurant appelé Coffee Mac's, situé sur le chemin Gorge à Esquimalt. Sa mère avait travaillé dans cette entreprise pendant 22 ans et son frère - Jerry - y avait exercé un emploi pendant 15 ans. Lorsque le café avait été mis en vente, sa mère et son frère avaient proposé qu'il participe à l'achat de l'entreprise, l'idée étant que la famille Woo en poursuive l'exploitation. L'appelant a accepté de participer au projet et a pris des dispositions pour hypothéquer sa résidence principale - à concurrence de 175 000 $ - afin de financer l'achat, et Jerry Woo s'est arrangé pour qu'une avocate exerçant à Sooke (C.-B.) s'occupe des détails juridiques. La JPT a été constituée; l'appelant détenait 49 p. 100 des actions émises, et Jerry Woo en détenait le reste. L'appellation JPT se fondait sur la première lettre de chacun des prénoms Jerry, Peter et Theresa, l'épouse de Jerry. L'appelant a déclaré qu'il était au courant que Jerry - détenant 51 p. 100 des actions - avait une voix prépondérante. Il a dit que, par suite d'un tirage au sort au bureau de leur avocate, il est devenu secrétaire de la société, et Jerry a pris le poste de président. Il a déclaré qu'il ne savait pas à ce stade qu'il était également devenu un administrateur de JPT, car il n'y avait eu aucune discussion là-dessus ni aucune explication sur le rôle, les fonctions ou la responsabilité d'un administrateur de la société, et il a dit qu'il a appris qu'il était un administrateur de JPT seulement deux mois avant la cessation des activités de la société, survenue à la fin d'octobre 1996. Il a déclaré que, en procédant à l'achat de l'entreprise, il était devenu au courant d'un problème concernant l'obtention du titre afférent au terrain sur lequel étaient situés l'immeuble et l'entreprise, mais qu'il avait cru comprendre que JPT - de quelque manière - se trouvait à acheter l'entreprise séparément. Il a dit que son horaire à BC Ferries était basé sur certaines périodes de travail et que - selon la période - il pouvait conduire sa mère au travail et passer alors deux heures à travailler au restaurant - comme cuisinier - avant de se rendre à son propre travail. Il a déclaré qu'il ne participait pas à l'embauchage ou au congédiement de personnel et qu'il n'établissait pas les chèques de paye ou autres, mais qu'il était tenu de les signer, car lui et son frère étaient signataires autorisés relativement au compte bancaire et les deux signatures étaient nécessaires. À un moment donné, l'épouse de Jerry Woo - Theresa - avait été ajoutée comme signataire autorisée. Le personnel du restaurant était composé de Jerry Woo et de sa mère, qui étaient épaulés par deux aides de cuisine, une serveuse en chef et sept simples serveurs. La comptabilité était tenue par Theresa Woo et un certain Brent Wilson. L'appelant a expliqué que le restaurant Coffee Mac's était une entreprise bien établie et bien connue, ouverte 24 heures sur 24 et extrêmement populaire auprès des habitants du grand Victoria. Il a déclaré que, aux premières étapes de sa participation à l'entreprise en tant qu'actionnaire de JPT, il conduisait sa mère au travail et allait alors au bureau de JPT - dans l'immeuble abritant le restaurant - pour tenter d'accéder à l'ordinateur en vue d'obtenir de l'information sur les affaires financières de l'entreprise. De plus, il s'enquérait de l'état des affaires relatives à l'exploitation du restaurant auprès de son frère et de Brent Wilson. Il parlait en outre à Theresa et demandait un imprimé d'ordinateur concernant les ventes et les dépenses quotidiennes. Cette demande et diverses demandes de renseignements avaient amené Theresa à réagir - avec colère - en disant à l'appelant que sa présence au bureau de JPT constituait un envahissement de son espace à elle. Elle lui avait enjoint de ne pas chercher à ouvrir de fichiers dans l'ordinateur et l'avait informé qu'on avait récemment établi un diagnostic selon lequel elle était atteinte de la sclérose en plaques et que ses constantes demandes d'information financière faisaient empirer la maladie. Dans une tentative pour régler ce problème, l'appelant et son frère étaient allés voir l'avocate de la société, mais aucun progrès n'avait été réalisé à cet égard. L'appelant a déclaré que, une fois, un fournisseur avait exigé d'être payé comptant avant de livrer un certain produit. En conséquence, l'appelant avait parlé à son frère, qui lui avait expliqué que, quoique JPT eût sauté un versement, la question avait, depuis, été tirée au clair et qu'il n'y avait aucun problème véritable. L'appelant a dit qu'il avait confiance en son frère et qu'il s'en était alors rapporté à la parole de son frère comme il l'a fait tout au long de leur relation d'affaires. Il a déclaré qu'il n'avait pas envisagé de démissionner de la société, car il n'avait jamais été au courant d'un problème concernant la TPS ou une autre question financière. Quand il avait réorganisé son horaire de travail pour consacrer plus de temps à l'entreprise - comme cuisinier -, il s'était heurté à une hostilité accrue de la part de sa belle-soeur. À un moment donné, Jerry Woo avait organisé une rencontre avec l'ancien propriétaire pour essayer de déterminer si l'entreprise pourrait simplement être rétrocédée, étant entendu que le stock restant de nourriture et de matériel pourrait être laissé sur place et pourrait être utilisé de manière à amortir l'arriéré de loyer d'un mois. Le prix total d'achat avait été de 250 000 $, et la moitié - 125 000 $ - était encore impayée lorsque les activités ont cessé. Jerry Woo a déménagé en Alberta, et l'appelant a déclaré qu'il a par la suite entendu dire que son frère avait demandé la protection de la loi sur les faillites et avait reçu une libération. Lorsque l'appelant a parlé à son frère environ un mois avant l'audition de cet appel - en vue de le faire témoigner -, Jerry Woo a répondu qu'il était occupé à conduire un camion en Alberta et qu'il n'irait pas à Victoria pour témoigner. L'appelant a dit que, après le 31 octobre 1996, il avait reçu un appel téléphonique d'un fonctionnaire de la direction provinciale des normes d'emploi au sujet de salaires qui n'avaient pas été versés à des employés. Il avait alors été informé que, en sa qualité d'administrateur de JPT, il était personnellement responsable de cette dette. En conséquence, il s'est arrangé pour payer les salaires dus en effectuant des versements selon un calendrier établi avec le fonctionnaire. Il a déclaré que, mise à part toute responsabilité juridique, il avait adopté cette ligne de conduite parce qu'il se sentait moralement obligé de veiller à ce que les travailleurs soient payés intégralement. Pour ce qui est des hypothèses de fait formulées dans la réponse modifiée à l'avis d'appel 2000-3561(GST)G - au paragraphe 6 -, l'appelant a dit qu'il ne travaillait pas régulièrement dans les locaux de l'entreprise -contrairement à ce qu'indique l'alinéa 6f) - et qu'il y travaillait au maximum deux heures par jour, et ce, seulement si son poste de travail à BC Ferries le permettait. Il a fait remarquer que l'hypothèque de premier rang sur sa résidence représentait une charge flottante de 140 000 $. De plus, il avait obtenu un prêt - de 50 000 $ - garanti par une hypothèque de second rang et il devait en outre 15 000 $ sur une ligne de crédit personnelle, tous ces éléments se rapportant à sa participation dans JPT. L'appelant n'a pas admis l'hypothèse qui est énoncée à l'alinéa 6i) et selon laquelle il était au courant durant toute la période pertinente que la société était financièrement en difficulté. En fait, il a souligné qu'il n'avait été au courant de problèmes financiers que juste avant la fin des activités, survenue le 31 octobre 1996. Il accepte les hypothèses de fait suivantes, énoncées aux alinéas 6k) à 6o) :

[TRADUCTION]

k)          la responsabilité de la société à l'égard du montant résulte de son omission de produire des déclarations de TPS ou de verser la TPS pour la période allant du 1er juillet 1995 au 31 octobre 1996;

l)           le 23 décembre 1997, une cotisation a été établie à l'égard de la société relativement à sa responsabilité au titre de la TPS nette exigible le 31 octobre 1995, le 31 janvier 1996, le 30 avril 1996, le 31 juillet 1996, le 31 octobre 1996 et le 2 décembre 1996 et au titre de pénalités et d'intérêts;

m)         un certificat de 98 202,64 $ représentant la responsabilité de la société en matière de TPS nette, de pénalités et d'intérêts a été enregistré à la Cour fédérale du Canada le 28 mai 1998, en vertu de l'article 316 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. E-13, art. 1, dans sa forme modifiée (la « Loi » );

n)          un bref d'exécution correspondant au certificat a été délivré le 14 août 1998, et il y a eu défaut d'exécution totale à cet égard le 19 août 1998;

o)          du 23 décembre 1997 au 23 juin 1999, des intérêts se sont accumulés sur la TPS non versée par la société; [...]

[5]      L'appelant n'admet pas la soi-disant hypothèse de fait formulée à l'alinéa 6p) (ce qui semble plutôt évident, sinon il ne ferait pas appel des cotisations). Voici l' « hypothèse » non pertinente prétendant transformer une conclusion de droit en un énoncé de fait, avant toute conclusion de la Cour à la fin de la présentation de l'ensemble de la preuve :

[TRADUCTION]

p)          l'appelant n'a pas, pour prévenir le manquement de la société à l'obligation de verser le montant, agi avec autant de soin, de diligence et de compétence que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[6]      Au cours du contre-interrogatoire, l'appelant a déclaré que la société devait s'appeler JP Enterprises Ltd., mais que son frère avait voulu ajouter au nom officiel la lettre T, à savoir la première lettre du prénom de l'épouse de son frère, Theresa. Mary Halgren, qui exerçait à Sooke (Colombie-Britannique), avait été l'avocate choisie pour accomplir le travail juridique nécessaire. L'appelant a répété qu'il n'avait pas été au courant qu'il était un administrateur de JPT, malgré le fait qu'il savait qu'il détenait 49 p. 100 des actions émises dans le cadre d'un arrangement par lequel la société lui servait à exploiter l'entreprise - avec son frère - sous une forme de partenariat. Il comprenait que la direction de la société était composée d'un président et d'un secrétaire. Il a déclaré qu'il signait divers documents aux endroits appropriés, mais qu'il n'était pas au courant de ses obligations comme secrétaire. Il signait aussi d'autres documents qui lui étaient présentés, mais il ne se souvient pas de la nature de ces documents. Seuls lui et son frère étaient présents durant la réunion avec leur avocate. Ultérieurement, lorsqu'ils exploitaient le restaurant - par l'intermédiaire de JPT -, il se voyait attribuer ses périodes de travail à BC Ferries suffisamment à l'avance pour pouvoir travailler le matin dans l'entreprise pendant deux heures par jour, ce qui représentait entre 10 et 15 heures par semaine. D'autres fois, ses affectations à BC Ferries étaient telles qu'il ne pouvait travailler au restaurant durant une rotation particulière. L'appelant a déclaré qu'il recevait un salaire horaire pour son travail au restaurant, mais qu'il n'avait jamais reçu une part de profits. Bien que Theresa Woo n'ait jamais été un administrateur ou actionnaire de JPT, elle faisait de la tenue de comptes, s'occupait de la relève des équipes et des affectations pour les vacances concernant les serveurs et dirigeait en fait l'avant du restaurant, tandis que son époux - Jerry Woo - était responsable de la cuisine. Pour exploiter le restaurant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, il fallait une équipe de 15 personnes au total. Tandis que Theresa passait simplement des écritures relatives aux ventes et dépôts quotidiens, Brent Wilson, qui était l'aide-comptable de la société, accomplissait le travail de comptabilité nécessaire à l'aide d'un ordinateur. L'appelant a dit qu'il avait fait tomber en panne l'ordinateur en essayant de récupérer de l'information financière sur les affaires de l'entreprise et qu'il avait demandé que Theresa lui fournisse des détails sur les ventes quotidiennes. Il voulait être au courant des encaissements - et des décaissements - pour toujours savoir comment allait l'entreprise. L'appelant a expliqué que, lorsqu'il interrogeait Jerry et Theresa Woo au sujet de l'état de l'entreprise, ils refusaient de lui parler de ce qui le préoccupait. En conséquence, il s'adressait à Brent Wilson, lui posait des questions sur la santé financière du restaurant et se faisait répondre que tout allait bien. Il a déclaré qu'il n'était pas un homme d'affaires et qu'il voulait qu'on lui assure que JPT était rentable, car il était incapable de comprendre l'information contenue dans divers états ou dans divers imprimés d'ordinateur. Il n'a jamais vu d'états financiers ou de déclarations de revenus de JPT, bien qu'il ait été au courant que ces documents étaient établis par un comptable externe - un certain Brian - qu'il n'avait jamais rencontré. À un moment donné, l'appelant a déclaré que Theresa avait organisé une réunion pour que des discussions sur l'exploitation de l'entreprise se tiennent au bureau de leur avocate à Sooke. À son avis, Theresa Woo ne faisait pas assez d'effort au sein de l'entreprise et, malgré le fait qu'il ne voulait pas participer à la gestion quotidienne de l'entreprise, il voulait apporter une certaine contribution à l'exploitation courante du restaurant. Il se préoccupait de ce qu'il y avait trop de personnes qui jouaient un rôle dans la tenue des livres et registres de JPT. Il a relaté un incident concernant une décision de Theresa de commander des nappes, des porte-serviette et des décorations murales pour le restaurant. Il n'était pas d'accord sur cette dépense et avait exprimé son opinion à Theresa, ce qui avait causé une rupture totale des communications entre eux. De plus, Jerry Woo et Theresa avaient décidé d'installer un juke-box et un nouveau four à pizza sans le consulter. Ultérieurement, ils lui avaient expliqué que le juke-box avait été installé dans leur local dans le cadre d'un arrangement de partage de profits avec le propriétaire et que cela était bon pour les affaires. Vu cette atmosphère entre les membres de la famille, l'appelant avait contacté l'ancien propriétaire, qui détenait une hypothèque sur l'entreprise en garantie du solde impayé, mais l'appelant n'avait pu obtenir une décharge de responsabilité. Ce qui empirait les choses, c'était que Jerry Woo et Theresa Woo n'avaient pas de fonds pour lui racheter sa part dans l'entreprise. Il a expliqué que, tout au long de la période pertinente, sa participation à l'exploitation quotidienne du restaurant s'était limitée à signer les chèques de paye, mais qu'il n'effectuait pas de calculs à cet égard et qu'il ne comprenait pas la méthode d'établissement de la paye, sauf qu'il était au courant qu'un logiciel appelé Simply Accounting était utilisé à cette fin. Au sujet de la TPS, l'appelant a déclaré qu'il ne savait pas comment JPT s'occupait de cette question et qu'il ignorait tout des rouages du système de TPS qui s'appliquait à l'entreprise ou à quoi que ce soit. Toutefois, il savait que son frère avait travaillé à cet endroit pendant 13 ans et avait beaucoup d'expérience concernant tous les aspects de l'entreprise. L'appelant a reconnu qu'il avait également signé des chèques à l'ordre de fournisseurs, mais il a déclaré qu'il ne s'était jamais entretenu avec des agents ou représentants, sauf une fois, et que, même à ce moment-là, Theresa lui avait dit que sa présence était une entrave à la réunion qu'elle était sur le point d'avoir avec un fournisseur. L'appelant se rappelait avoir pris de l'argent dans la caisse pour payer une commande de coca-cola parce que le livreur l'avait informé que le compte était en souffrance. Après cet incident, Jerry Woo avait clarifié la question en reconnaissant que l'on avait sauté quelques versements, tout en assurant à l'appelant que, depuis, la trésorerie s'était améliorée. L'appelant savait que, une fois, Jerry Woo avait emprunté de l'argent à la banque - sur une ligne de crédit personnelle - pour payer certains comptes fournisseurs. L'appelant a déclaré que, lorsqu'il avait pu voir les rapports sur les ventes quotidiennes - pendant que Theresa était absente du bureau -, les montants lui avaient semblé cohérents, et ce, tout au long de la période d'exploitation.

[7]      L'avocat de l'appelant faisait valoir que le critère courant en matière de diligence raisonnable combinait des éléments subjectifs et des éléments objectifs et il soutenait que la preuve avait clairement démontré que l'appelant était une personne - inexpérimentée en affaires - qui n'avait jamais auparavant été un entrepreneur. En fait, l'appelant avait accepté d'aider son frère et sa belle-soeur à acheter une entreprise qu'ils connaissaient bien et qui avait employé le frère de l'appelant pendant 15 ans et la mère de l'appelant pendant 22 ans. L'avocat soutenait que, bien que l'appelant ait été régulièrement présent au restaurant lorsque son horaire de travail le permettait, il n'était là qu'à temps partiel - comme cuisinier - et sa participation aux affaires financières se limitait à signer des chèques de paye établis par d'autres personnes. Quoique l'appelant ait été naïf, l'avocat a fait remarquer que la preuve établissait que l'appelant n'avait pas fait fi de la situation tout simplement, mais qu'on l'avait repoussé ou qu'on lui avait assuré que tout allait bien chaque fois qu'il avait cherché à obtenir de l'information financière. L'avocat a fait référence au témoignage de l'appelant selon lequel aucune explication n'avait été fournie concernant les responsabilités ou obligations d'un administrateur lorsque la JPT avait été constituée et selon lequel l'appelant ignorait - jusqu'à ce que des problèmes se posent - qu'il était un administrateur de JPT, malgré le fait qu'il savait qu'il détenait le poste de secrétaire. L'avocat soutenait que la preuve démontrait l'inexactitude de l'hypothèse du ministre figurant à l'alinéa 6i) de la réponse modifiée à l'avis d'appel, car l'appelant n'avait jamais été au courant de difficultés financières de la société, sauf en ce qui a trait à l'incident relatif au fournisseur de coca-cola. Eu égard aux faits particuliers des présents appels, l'avocat demandait que soient annulées les cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[8]      L'avocate de l'intimée a fait référence à la jurisprudence pertinente comme étant extrêmement axée sur les faits et elle a concédé qu'il s'agit souvent de particuliers qui se sont retrouvés dans une position difficile à cause d'un regrettable manque de soin. L'avocate a renvoyé au témoignage de l'appelant et a dit qu'il n'était pas suffisant pour permettre de conclure que l'appelant avait fait les demandes de renseignements appropriées pour s'assurer que le mécanisme de versement de la TPS et de l'impôt sur le revenu était en place et qu'il était appliqué par les personnes embauchées à cette fin. Globalement, l'avocate soutenait que l'appelant avait amplement de raisons pour avoir des soupçons et que, en tant qu'administrateur interne, il aurait dû prendre certaines précautions pour protéger ses intérêts personnels conformément à ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait fait dans ces circonstances. L'avocate soutenait que les faits des présents appels n'étayaient pas le point de vue selon lequel l'appelant pouvait raisonnablement avoir confiance en la capacité de Jerry Woo - son frère et collègue administrateur - de gérer les affaires financières de JPT et qu'il n'était pas suffisant de présumer qu'une personne chargée d'établir les chèques de paye s'occupait par ailleurs de bien répondre aux exigences concernant les retenues à la source et la TPS, notamment lorsque l'appelant est devenu conscient qu'il était tenu à l'écart de l'information particulière qu'il cherchait régulièrement à obtenir.

[9]      Bien que ces deux appels soient entendus sur preuve commune, je traiterai principalement à ce stade-ci de l'appel relatif à la cotisation de TPS.

[10]     Les dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d'accise sont les suivantes :

323(1) Responsabilité des administrateurs - Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

323(3) Diligence - L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[11]     La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (97 DTC 5407), traite beaucoup de la question de la responsabilité personnelle d'administrateurs à l'égard de retenues à la source, au titre de l'impôt sur le revenu, non versées par une société. Le libellé de la disposition en cause de la LIR - à savoir le paragraphe 227.1(3) - est semblable au libellé du paragraphe 323(3) de la Loi applicable dans le présent appel. Dans ses motifs, le juge d'appel Robertson a examiné l'historique législatif et le cadre des dispositions relatives à la responsabilité personnelle d'administrateurs, ainsi que la norme de soin ou de prudence illustrée par la jurisprudence dans ce domaine. Aux paragraphes 40 à 45 inclusivement (DTC : aux pages 5416 et suivantes), le juge d'appel Robertson disait :

Le moment convient bien pour résumer mes conclusions au sujet du paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » .

V. ANALYSE

Il existe un nombre considérable de décisions qui portent sur l'article 227.1de la Loi. Une façon de saisir l'ampleur du droit existant consiste à classer les décisions pertinentes par catégories. En fait, cette tâche a déjà été accomplie en grande partie par quelques-uns des commentateurs : voir, p. ex. Moskowitz, précité, aux pages 556 à 566; voir aussi R. L. Campbell, « Director's Liability for Unremitted Employee Deductions » (1993), 14 Adv. Q. 453.

À titre d'exemple, dans certains cas, la question pertinente sera de savoir si une personne était, dans les faits ou en droit, un administrateur à l'époque pertinente aux fins d'imposer une responsabilité personnelle ou si cette personne avait cessé d'exercer ses fonctions au moyen d'une démission valide. Dans d'autres cas, comme ceux qui concernent une faillite et une mise sous séquestre, la question centrale sera un contrôle de droit. Dans d'autres cas encore, notamment les situations dans lesquelles un administrateur dominant est en mesure de limiter l'influence exercée par les autres sur les affaires de la société, il s'agira d'un contrôle de fait. J'entends m'attarder à la catégorie de décisions relative à la distinction entre les administrateurs internes et les administrateurs externes puisqu'il s'agit de la jurisprudence qui est la plus pertinente dans le cadre du présent appel.

Je tiens tout d'abord à souligner qu'en adoptant cette démarche analytique, je ne donne pas à entendre que la responsabilité est simplement fonction du fait qu'une personne est considérée comme un administrateur interne par opposition à un administrateur externe. Cette qualification constitue plutôt simplement le point de départ de mon analyse. Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable. Pour ces personnes, ce sera une opération ardue de soutenir avec conviction que, malgré leur participation quotidienne à la gestion de l'entreprise, elles n'avaient aucun sens des affaires, au point que ce facteur devrait l'emporter sur la présomption qu'elles étaient au courant des exigences de versement et d'un problème à cet égard, ou auraient dû l'être. Bref, les administrateurs internes auront un obstacle important à vaincre quand ils soutiendront que l'élément subjectif de la norme de prudence devrait primer l'aspect objectif de la norme.

Dans certaines affaires, il est facile de voir pourquoi les administrateurs internes ont été tenus responsables. C'est vrai pour l'affaire Barnett, précitée, qui est la première affaire dans laquelle la défense de diligence raisonnable a été examinée. Dans cette affaire, le contribuable, à titre d'administrateur et d'unique actionnaire de la société, avait retenu les services d'un contrôleur. Quand celui-ci a avisé le contribuable que la société était à court d'argent, le contribuable lui a répondu que les principaux fournisseurs devraient être payés en premier. Dans les circonstances, la Cour de l'impôt a rejeté l'appel interjeté par le contribuable contre la cotisation du ministre qui tenait le contribuable personnellement responsable des retenues à la source qui avaient été faites mais n'avaient pas été versées. Il est également compréhensible que des administrateurs internes aient été tenus responsables dans les affaires suivantes : Quantz (C.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2276 (C.C.I.); et Beutler (O.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2414 (C.C.I.).

[12]     Dans un récent jugement - Cassels c. Sa Majesté la Reine, 1999-2627(GST)G -, j'ai traité de l'appel d'un homme d'affaires expérimenté qui contrôlait divers commerces de détail et qui, du fait qu'il avait été un administrateur des sociétés en cause, s'était vu imposer une cotisation au titre de sa responsabilité personnelle en tant qu'administrateur. Dans cette affaire, j'ai conclu qu'il y avait eu deux différentes séries de faits au cours de la période pertinente : une série de faits concernant une période durant laquelle il y avait eu une tentative raisonnable pour se conformer à une loi nouvelle et complexe relative à la TPS et une série de faits concernant une période durant laquelle le contribuable avait délibérément choisi de faire en sorte que des sommes perçues au titre de la TPS soient utilisées pour payer des dettes envers des fournisseurs. Pour la première partie de la cotisation, j'ai conclu que le contribuable avait rempli son devoir d'administrateur conformément à ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait fait dans des circonstances comparables, car la Loi n'exigeait pas la perfection, et un administrateur n'était pas tenu de servir de garant pour veiller à ce que tous les déficits dans l'exploitation d'une entreprise soient comblés sur la base de la responsabilité personnelle.

[13]     Dans l'affaire Cassels, précitée, j'ai en outre formulé les observations suivantes :

Il importe de se rappeler la différence qui existe entre la responsabilité des administrateurs par suite du défaut de verser les retenues à la source au titre de l'impôt sur le revenu, des cotisations d'assurance-emploi et des cotisations au Régime de pensions du Canada, d'une part, et d'autre part leur responsabilité en cas de défaut de versement des montants de TPS payables au moment de la production de la déclaration pour la période visée. Bien que les retenues à la source soient un concept théorique, ainsi que l'explique le juge Robertson de la Cour d'appel dans l'affaire Soper, précitée, et que les employeurs ne mettent pas réellement les fonds en question de côté chaque fois qu'un chèque de paie est émis, les dispositions réglementaires dont est assortie la Loi de l'impôt sur le revenu prévoient à tout le moins que les fonds retenus doivent être versés au plus tard le quinzième jour du mois suivant la fin du mois où les retenues ont été effectuées. Par conséquent, il est facile de concevoir que l'employeur éprouve de graves difficultés financières lorsque les fonds en question, qui appartiennent aux employés et sont détenus dans le cadre d'une fiducie en faveur de Sa Majesté du chef du Canada, ne peuvent être versés au receveur général. Sauf dans le cas où le défaut serait attribuable à un problème temporaire touchant l'organisation financière d'une entreprise et pouvant être corrigé dans un délai raisonnable, les ennuis éprouvés par l'entité vont augmenter progressivement et l'arriéré va s'accumuler. Dans un tel cas, les administrateurs de la société prendront conscience - du moins le devraient-ils - assez rapidement qu'il existe un problème, et que ce problème n'est pas hypothétique mais bien réel. Ils sauront, ou du moins le devraient-ils, que des mesures doivent être prises pour éviter tout autre défaut de versement des montants payables au titre des retenues à la source; après tout, cet argent n'appartient pas à la société et ne doit pas être employé dans le cadre des efforts déployés à seule fin de maintenir à flot une entreprise en difficulté, sans se préoccuper de l'obligation de payer les retenues en question.[...]

[14]     Dans l'affaire Alexander Bruce Cameron c. Sa Majesté la Reine, 2001 CAF 208 (2001 DTC 5405), la Cour d'appel fédéraletraitait d'un appel concernant un avocat qui avait été un administrateur d'une société. Aux paragraphes 6 et 7 de ses motifs, le juge d'appel Linden - s'exprimant pour la Cour - décrivait comme suit le rôle de cet appelant :

6.          Certes, l'appelant est un avocat, mais sa principale fonction en tant qu'administrateur de la société consistait à contribuer à réunir des capitaux au moyen d'un appel public à l'épargne. Il n'était pas une personne de terrain qui s'occupait des activités quotidiennes de la société, mais il s'intéressait plutôt aux grandes orientations de celle-ci. Il n'était pas un fondé de pouvoir et avait peu d'influence sur la gestion. Il était donc plus un administrateur externe qu'un administrateur interne. Bien qu'ils ne diminuent en rien l'obligation que la loi lui impose - ce qu'il a d'ailleurs lui-même reconnu -, ces faits constituent des éléments pertinents pour déterminer s'il s'est comporté d'une manière raisonnablement prudente.

7.          Examinons de plus près sa conduite. Au début de son mandat, et à de nombreuses reprises par la suite, l'appelant s'est, parce qu'il était au courant de certains problèmes, fréquemment informé auprès de la direction pour savoir où en étaient les remises de retenues d'impôt. On lui a toujours assuré que tout était en règle. Il a commis l'imprudence de se fier à ses fausses assurances. En fait, les remises n'étaient pas en règle contrairement à ce que la direction affirmait.

[15]     Aux paragraphes 8 et suivants, le juge d'appel Linden traitait des circonstances particulières entourant l'omission en matière de versements, ainsi que des mesures prises pour régler le problème. Il disait :

8.          En septembre 1994, des preuves documentaires ont été produites pour démontrer que la direction n'avait pas dit la vérité et que des remises antérieures étaient en souffrance et que les remises courantes n'avaient pas encore été faites. À ce document étaient joints le rapport d'un vérificateur, des états financiers provisoires et une lettre en date du 19 septembre 1994 dans laquelle Revenu Canada réclamait une somme de 205 000 $ en arriérés.

9.          L'appelant, Cameron, et les autres administrateurs ont alors décidé de retenir les services d'un expert-comptable, M. McArthur, pour qu'il corrige et vérifie ces questions. M. McArthur avait déjà rédigé un rapport au sujet de la situation financière de la société en tant qu'administrateur et directeur des finances de la société. De plus, un comptable en management accrédité, M. Solomon, a été engagé. Il était expressément chargé de s'assurer que la société respectait ses obligations en matière de paiement des retenues d'impôt. Il semble que ces démarches ont porté fruit, qu'on a repris les choses en mains et que les retenues ont été faites conformément à la loi.

10.        De plus, dans le cadre de ces mesures d'assainissement, une cession a eu lieu le 28 septembre 1994 entre la société et Revenu Canada. Aux termes de cette entente, le produit d'une assurance-incendie souscrite auprès de la compagnie d'assurances Zurich a été cédé à Revenu Canada jusqu'à concurrence de 215 000 $ en contrepartie de l'engagement du cessionnaire de ne prendre aucune mesure pour recouvrer la créance, c'est-à-dire de conserver le « statu quo » .

11.        Le conseil d'administration a pris une autre mesure le 23 mars 1995 en décidant d'affecter des sommes d'argent au paiement des sommes dues en arriéré en tant que seconde source éventuelle de paiement. Sur les sommes réunies à la suite de l'appel public à l'épargne, 213 000 $ ont été affectées [sic] au remboursement de la Société d'exploitation des possibilités offertes par l'Alberta et à la remise des retenues à la source en arriéré. Aucune de ces sommes ne devait être déboursée sans l'autorisation écrite d'un des administrateurs externes, au nombre desquels se trouvait M. Cameron.

12.        Toutefois, lors de cette assemblée, les administrateurs ont également appris que la société devait également un arriéré de 25 000 $ au titre des retenues à la source courantes. Le conseil a ordonné que cet arriéré soit acquitté sans délai et les administrateurs ont convenu de se réunir à nouveau le 12 avril 1995.

13.        C'est lors de l'assemblée du 12 avril 1995 que l'appelant et d'autres administrateurs ont appris que les 25 000 $ en question n'avaient pas été payés comme prévu. Un chèque avait été émis, mais avait été retourné avec la mention « sans provision » . Un autre chèque au montant de 38 703,09 $ a par la suite été émis le 4 mai 1995. Chose étonnant [sic], lors de l'assemblée du 12 avril 1995, on a dit aux administrateurs que les retenues à la source étaient des retenues courantes.

14.        Lors de la même assemblée du 12 avril, l'appelant a appris que la direction n'avait pas suivi la directive du conseil de retenir la somme de 213 000 $ du produit de l'appel public à l'épargne pour l'affecter au paiement des retenues et que, sur cette somme, 113 000 $ avaient été dépensés sans le consentement de l'un ou l'autre des administrateurs externes. Cette situation a provoqué la démission de M. McArthur du conseil. Comme on peut le comprendre, l'appelant s'est mis en colère, a décidé de démissionner ce soir-là et a effectivement remis sa démission le 6 juin 1995.

15.        Ces faits non contredits démontrent que l'appelant ne s'est pas croisé les bras. Il a fait tout ce qu'on pouvait raisonnablement s'attendre de lui pour protéger les intérêts de Revenu Canada. Il n'a peut-être pas été aussi attentif, sceptique et affirmatif qu'il aurait pu l'être, surtout en laissant la direction l'induire en erreur, mais il est difficile de concevoir ce qu'il pouvait faire de plus dans les circonstances pour se conformer à l'obligation qui lui incombait en tant qu'administrateur d'être raisonnablement prudent dans les circonstances.

[16]     En accueillant l'appel et en annulant la cotisation pour le motif que l'appelant avait fait preuve de la diligence raisonnable exigée de lui - dans les circonstances - en vertu du paragraphe 227.1(3) de la LIR, la Cour a manifestement conclu que l'appelant avait agi raisonnablement. Comme le juge d'appel Linden le disait au paragraphe 4 de ses motifs, « bien que les administrateurs soient tenus de prendre des mesures concrètes, il suffit que ces mesures soient raisonnables et concrètes. Il n'est pas nécessaire qu'elles soient à toute épreuve. »

[17]     Dans l'affaire Whitehouse c. La Reine, C.C.I., nos 98-2659(IT)I et 98-2660(GST)I, 23 novembre 1999 (2000 DTC 1541), le juge Rip - de la Cour canadienne de l'impôt - a entendu l'appel d'une dame qui avait aidé à constituer une société - et qui, dans le processus, en était devenue une administratrice - pour faire en sorte que son fils ait un emploi. Avant cela, elle n'avait jamais été administratrice d'une société et n'avait aucune idée de ce qu'étaient les responsabilités d'un administrateur en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe d'accise. Toutefois, elle était au courant qu'une société devait effectuer des retenues à la source et en remettre le montant et qu'une société devait payer de la TPS. Aux paragraphes 17 et suivants de ses motifs, le juge Rip disait :

17.        Il est parfaitement évident que Mme Whitehouse était un « administrateur externe » . Les affaires de la société étaient menées par M. Brodmann, et je doute qu'il aurait toléré quelque intervention que ce soit de la part de Mme Whitehouse, qui n'avait aucune expérience dans l'entreprise, en dépit du fait qu'elle était directrice des ressources humaines et qu'il lui incombait, notamment, d'administrer les avantages des 350 employés de son employeur.

18.        Mme Whitehouse savait très peu de choses de l'entreprise de M. Brodmann et elle ne croyait pas nécessaire de s'informer. Elle considérait qu'elle et M. Brodmann étaient des amis et, à tort ou à raison, elle se fiait suffisamment au prétendu savoir-faire et aux relations de ce dernier pour lui confier les rennes de la société. Elle avait mis toute sa confiance en M. Brodmann et elle savait que des retenues à la source ainsi que la TPS devaient être remises régulièrement. Elle n'a jamais demandé si les paiements nécessaires étaient faits. Elle était satisfaite de la réponse que tout allait bien lorsqu'elle posait une question générale.

19.        La question de savoir si un administrateur a satisfait à la norme de prudence aux fins des paragraphes 227.1(3) et 323(3) est d'abord et avant tout une question de fait qui doit être tranchée à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur en cause. Une attitude entièrement passive de la part d'un administrateur n'aidera peut-être pas la cause de ce dernier à l'égard d'une cotisation, mais, à moins qu'il n'y ait des motifs de s'interroger, l'administrateur est autorisé à s'appuyer sur les personnes qui s'occupent de la gestion quotidienne pour effectuer le paiement des obligations prévues dans la loi. L'administrateur externe qui sait ou se doute ou devrait savoir que quelque chose cloche doit prendre des mesures concrètes pour tenter de remédier à la situation. L'administrateur d'une compagnie qui ne s'est jamais soucié de s'acquitter de son obligation de prévenir le manquement de la compagnie de remettre les retenues à la source et de payer la TPS, comme le requièrent l'article 227.1 de la LIR et l'article 323 de la LTA respectivement, et est demeuré complètement indifférent et passif à l'égard de son obligation, sera responsable du fait d'autrui relativement aux paiements qui doivent être faits par la compagnie.

20.        Les deux avocats ont analysé également les motifs prononcés dans l'affaire Hevenor v. Canada. Dans cette affaire, un contribuable âgé était devenu l'unique administrateur de la société de son fils pour rendre service à ce dernier. Il ne comprenait pas parfaitement la portée de ses responsabilités et obligations en tant qu'administrateur d'une société et ne participait ni aux décisions, ni à l'exploitation de la compagnie. Si on lui avait montré les états financiers, il ne les aurait pas compris. Son degré de prudence en tant qu'administrateur était limité par son manque d'habileté, et son appel de la cotisation interjeté conformément à l'article 323 de la LIR a été admis.

21.        À plus d'un égard, Mme Whitehouse se retrouve dans la même situation que M. Hevenor : tous deux sont devenus administrateurs pour rendre service à leur enfant, tous deux ont participé au financement de l'entreprise en cause, ni l'un ni l'autre n'a pris part aux activités quotidiennes de l'entreprise, ni l'une ni l'autre compagnie ne paraissait tenir de réunions des actionnaires ou des administrateurs, ni l'un ni l'autre parent ne savait que l'entreprise était au bord de la crise financière, et ni l'un ni l'autre parent ne connaissait les obligations et les responsabilités d'un administrateur. Par contre, Mme Whitehouse savait que des retenues à la source devaient être payées régulièrement et que la TPS était payable.

22.        Je ne peux accepter la prétention de l'intimée selon laquelle Mme Whitehouse était « plus à l'aise dans le monde des affaires » que M. Hevenor pouvait sembler l'être, et qu'elle « était plus apte à comprendre les affaires commerciales » que lui. La prétendue expérience des affaires de Mme Whitehouse découlait de son travail dans une compagnie. Elle était administratrice des avantages des employés, et non pas femme d'affaires prenant des décisions. Elle se contentait d'exécuter le travail qui lui était confié. Elle m'a donné l'impression d'être une employée qui était probablement appréciée pour ce qu'elle faisait, sans plus. Mme Whitehouse n'était pas une personne qui prenait des décisions ou qui élaborait les politiques de son employeur.

23.        L'ignorance de Mme Whitehouse n'était pas délibérée, ni n'était-elle le résultat d'une négligence volontaire. L'appelante est une mère qui, comme M. Hevenor, voulait ce qu'il y avait de mieux pour son fils et comptait sur une personne qu'elle respectait pour exploiter une entreprise qui, l'espérait-elle, allait rembourser les dettes prises en charge et profiter à son fils. Elle a agi comme la plupart des mères agiraient dans des circonstances semblables. Il n'y a aucune preuve que le manque d'expérience de Mme Whitehouse en tant qu'administratrice et son ignorance des responsabilités et obligations d'un administrateur auraient pu être compensés par son expérience à titre d'employée d'une autre compagnie. Je ne peux conclure que sa situation est à ce point différente de celle de M. Hevenor.

24.        Les appels sont admis et les cotisations sont annulées. [...]

[18]     L'avocat de l'appelant a fait référence à une affaire - Steven Andreeff c. M.R.N., 89-2985(IT) - dans laquelle il avait agi comme avocat et dans laquelle j'avais été le juge présidant. Le jugement a été rendu le 19 octobre 1990, et l'appel tenait à la question de la responsabilité selon le paragraphe 227.1(3) de la LIR et concernait un jeune homme qui avait été administrateur dans une société contrôlée par son père. Aux pages 7 et suivantes, j'ai écrit :

            Dire qu'un administrateur est censé être fidèle aux obligations qu'imposent les lois applicables et la common law est un principe élémentaire. Cependant, une obligation n'est absolue que si elle est précisée pour les besoins d'une loi particulière et le texte du paragraphe 227.1(3) permet une exonération dans certains cas. Il m'est difficile de comprendre qu'un administrateur soit tenu d'accomplir un acte non défini quand, en vérité, et en considérant la situation rétrospectivement, cet acte n'aurait été rien de plus qu'un geste sans conséquence, quoique avisé, qui pourrait être mentionné au cours d'un appel pour se disculper. Pour qu'il soit nécessaire de prévenir un manquement, il faut qu'il y ait un fait ou une circonstance observable qui amène une personne raisonnablement prudente à conclure que le fonctionnement de la société en question présente une difficulté qui pourrait l'empêcher de remettre au fisc les retenues à la source des employés. Il se pourrait que la société ait été établie depuis peu, qu'elle bénéficie d'un financement limité et qu'elle se soit lancée dans une entreprise risquée avec peu de ressources d'autofinancement au début de son existence. Il pourrait s'agir de l'aggravation d'une économie particulière ou générale qui devrait amener un administrateur à s'inquiéter de la capacité générale de la société de faire face à ses obligations, y compris les obligations envers Revenu Canada. L'administrateur en question peut, parce qu'il se trouve près des activités de l'entreprise, se trouver confronté à une preuve incontestable que quelque chose ne va pas, et un aveuglement volontaire n'aidera pas à se soustraire à une obligation. L'administrateur peut aussi posséder une telle compétence et de telles connaissances dans le domaine des affaires qu'il est impensable qu'il n'ait pas pris conscience des faits et ne se soit pas mis sur ses gardes. Souvent, les affaires qui nous sont soumises reposent sur des conclusions concernant la crédibilité des contribuables et les protestations de ces derniers quant à leur degré de passivité et d'ignorance des affaires de la société sont rejetées. Il faut selon moi veiller à faire une distinction entre ce qui n'a pas été prouvé dans une affaire particulière et ce qui, dans d'autres circonstances, peut l'être.

            Dans l'affaire qui nous intéresse ici, à l'époque où la société manquait à ses obligations, l'appelant était un simple journalier de 22 ans vivant séparément de son père qui travaillait dans le domaine de l'abattage de bois depuis plus de 20 ans et qui était l'âme dirigeante de la société. L'appelant travaillait dans des endroits isolés et, toutes les deux semaines, il recevait régulièrement un chèque de paye ordinaire; le bois coupé était expédié et le travail qui se déroulait au milieu de la forêt n'était pas troublé par les mines assombries des banquiers de Port Alberni. Nick Andreeff n'a pas fait part de ses soucis à son fils et, aux yeux de l'appelant, la marge de crédit de 400 000 $ qui existait depuis 1982 permettait à la société de poursuivre les activités d'abattage et de persister dans la même voie qu'elle suivait depuis sa constitution en 1964. Le comptable, Donald Keith, était au service de la société depuis 1974 et avait manifestement été capable de s'occuper des livres et registres et des comptes fournisseurs depuis cette époque. Il n'y avait à mon avis aucun motif pour qu'une sonnerie d'alarme retentisse, compte tenu de la situation depuis toujours éloignée de l'appelant et de la nature de ses tâches en tant que journalier (loin du bureau de la société), du temps depuis lequel l'entreprise fonctionnait et des sept années d'association de l'appelant avec cette dernière à titre d'employé. Quand le chèque de paye de l'appelant fut refusé faute de fonds et que celui-ci dut plus tard présenter une demande au syndic de la faillite, la sonnerie d'alarme retentissait bruyamment. Aujourd'hui, l'appelant est âgé de 29 ans, il s'est marié, a cinq enfants et travaille toujours dans le domaine de l'abattage de bois par l'intermédiaire d'une société à responsabilité limitée qu'il a constituée sur l'avis de son comptable. Il n'est plus le même qu'en 1983. Compte tenu de toutes les circonstances, qu'aurait dû faire l'appelant en 1983 pour prévenir une situation dont il ne connaissait pas l'existence, une situation que, raisonnablement, il n'aurait pas dû non plus soupçonner et pour laquelle, de toute façon, s'il avait su ce qui se passait, il n'aurait rien pu faire d'autre pour la prévenir que de démissionner comme administrateur? Rien. Selon toute évaluation raisonnable des faits que l'appelant était en mesure de percevoir, il n'y avait aucun risque manifeste. Il n'y avait donc aucun besoin de réagir.

            Ces affaires qui mettent en cause l'obligation d'un administrateur sont semblables à des flocons de neige; la chose serait des mieux accueillies, mais il est difficile de prévoir qu'il surviendra quelque déclaration frappante qui empêchera que des conclusions précises, reposant sur des faits, constituent la norme.

[19]     La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Soper, précitée, a apporté des précisions sur ce problème difficile et a fait état d'indices pertinents et de lignes directrices à prendre en compte dans les affaires concernant la responsabilité d'un administrateur. À mon avis, l'aspect le plus important de cette décision tient à l'élaboration du concept d'administrateur « externe » et « interne » - dans les motifs du juge d'appel Robertson - et à la reconnaissance de la pratique commerciale concrète relative aux retenues à la source, qui sont, dans la grande majorité des cas, effectuées non pas au moyen d'un compte bancaire distinct, mais selon une notion théorique en vertu de laquelle l'argent est versé dans le délai imparti.

[20]     Dans l'affaire Tremblay et McLeod, C.C.I., nos 95-1812 (GST)I, 95-1813 (IT)I, 95-1811(GST)I et 95-3349 (IT)I, ([1996] G.S.T.C. 28), M. Tremblay et M. McLeod s'étaient vu imposer des cotisations au titre de l'omission de certaines sociétés de verser de l'impôt sur le revenu et de la TPS, pour le motif qu'ils en avaient été administrateurs. M. Tremblay avait commencé à prendre part aux activités en cause parce qu'il avait besoin d'un emploi et du fait qu'il avait une certaine expertise en matière de franchisage qui devait être mise à profit dans les contacts auprès d'investisseurs potentiels. Il estimait qu'il avait été un administrateur seulement pour une fin limitée, à savoir une réorganisation d'actionnariat. Il n'avait jamais vu de certificat d'actions témoignant de sa participation de 25 p. 100 et il n'avait aucun contrôle sur les comptes de l'une quelconque des trois sociétés. Il était au courant que les sociétés exploitaient des salons de coiffure depuis un certain temps, et on lui avait présenté une personne qui remplissait le rôle de contrôleur et gestionnaire des opérations financières des sociétés apparentées. Le coappelant - M. McLeod - avait installé dans les diverses boutiques un système informatique permettant d'enregistrer les ventes et de calculer la taxe appropriée. Malheureusement, le contrôleur a délibérément choisi de ne pas faire de versements à Revenu Canada et de conserver l'argent pour ses propres fins. Dans cette affaire, j'ai rendu une conclusion en faveur de M. Tremblay parce qu'il n'avait aucune raison de penser que la TPS n'était pas versée et qu'il avait le droit de compter sur le fait que le contrôleur s'acquitterait de sa tâche dans le contexte d'une entreprise bien établie et dotée du système comptable approprié à cette fin particulière. Il n'avait toutefois pas la capacité d'évaluer - indépendamment -l'efficacité du système. Dans le cas de M. McLeod, bien qu'il y ait eu d'autres aspects de responsabilité concernant une autre société, je ne l'ai pas tenu pour responsable non plus, principalement parce qu'il avait installé dans les divers salons de coiffure un système informatique permettant d'enregistrer les ventes sur la base de chaque point de vente et parce que - tout comme M. Tremblay - il n'était pas signataire autorisé et s'était fié à de l'information du contrôleur qui était trompeuse. J'ai fait remarquer dans cette affaire qu'il est très difficile de prévenir un détournement de fonds délibéré de la part d'une personne - dans une société - qui a accès au compte bancaire, notamment lorsque cette personne est chargée d'effectuer les versements appropriés, comme l'exige la législation pertinente.

[21]     La récente jurisprudence a établi qu'il faut examiner les circonstances propres à l'administrateur en cause, en gardant à l'esprit que la norme de soin ou de prudence comporte un aspect objectif - qui tient à la notion de personne raisonnable - et un aspect subjectif, compte tenu de tous les éléments de preuve concernant le particulier en cause et son intelligence, son instruction, son savoir, son expérience des affaires et sa connaissance du monde. En l'espèce, l'appelant est quelqu'un qui a une très bonne formation, qui est compétent et dont les diplômes impressionnants lui permettent d'être capitaine à bord d'une catégorie particulière de bateau ou commandant en second à bord d'un supertraversier pouvant transporter plus de 2 500 personnes et près de 450 véhicules par voyage. L'appelant est employé par BC Ferries depuis 32 ans et a gravi les échelons, après avoir commencé comme aide de cuisine, alors qu'il n'avait qu'une 10e année. De nombreux jugements étayent le point de vue selon lequel la naïveté ne doit pas nécessairement être un empêchement à la disculpation dans les affaires relatives à la responsabilité d'un administrateur. Il me semble toutefois que, si une personne est dans l'ensemble tellement candide, peu soupçonneuse, enfantine et ingénue et tellement laxiste à l'égard de l'obtention des renseignements financiers ordinaires concernant la société dont elle fait partie intégrante, il est extrêmement difficile de conclure que cette personne a rempli le devoir de diligence approprié. Peter Woo s'est lancé dans l'entreprise commerciale pour aider sa famille. Cela assurait un emploi continu à son frère et à sa mère et lui permettait de prendre part à une entreprise bien établie tout en sachant que les membres de sa famille avaient contribué à ce succès continu pendant 15 et 22 ans respectivement. L'appelant a admis que, lors de la réunion tenue au bureau de l'avocate concernant la constitution de JPT, il ne comprenait pas la nature des documents qu'il signait, sauf qu'il comprenait qu'il était nommé secrétaire. Il a témoigné qu'il n'avait su qu'il était un administrateur de JPT que lorsqu'il avait reçu un appel d'un fonctionnaire de la direction des normes d'emploi concernant des salaires non versés aux employés du restaurant. Précédemment, il avait cherché à obtenir de l'information sur la situation financière et il avait essayé d'utiliser l'ordinateur à cette fin, mais il n'y était pas parvenu, à cause de son manque de connaissances. Lorsqu'il a demandé certaines informations à Theresa Woo - une des personnes jouant le rôle d'aide-comptable -, cette dernière l'a constamment repoussé et, lorsqu'il a interrogé Brent Wilson - l'autre aide-comptable - sur la santé financière de l'entreprise en général, ce dernier lui a assuré que tout allait bien. L'appelant a bel et bien eu régulièrement accès à certains imprimés d'ordinateur, mais il a concédé qu'il était incapable de les comprendre vraiment. Il était généralement au courant des dépôts quotidiens et trouvait que les montants en étaient plutôt constants, de sorte qu'il ne craignait pas un fléchissement soudain du revenu total généré. Il était devenu au courant que son frère avait dû emprunter de l'argent sur une ligne de crédit personnelle pour injecter des fonds supplémentaires dans l'entreprise. À un autre moment, il s'était heurté au refus d'un livreur de déposer des caisses de coca-cola à moins qu'un compte précédent ne soit réglé intégralement. En conséquence, l'appelant avait pris de l'argent dans la caisse et avait acquitté la dette. Ultérieurement, lorsqu'il avait interrogé Jerry Woo à ce sujet, ce dernier lui avait assuré que c'était simplement attribuable au fait que les rentrées de fonds avaient diminué pendant une brève période et que la situation ne se répéterait pas. Du début à la fin, l'appelant a été frustré dans ses tentatives pour obtenir le genre d'information financière dont il estimait avoir besoin, puisqu'il était toujours au courant qu'il détenait une participation de 49 p. 100 dans JPT et qu'il était membre de la direction de JPT, société exploitant une entreprise dans laquelle il avait beaucoup investi en accordant une grosse hypothèque sur sa résidence principale. Le problème d'accès à l'information pertinente prenait son origine dans l'incapacité de l'appelant à communiquer avec son frère et sa belle-soeur, et, comme l'appelant n'arrivait pas à leur faire face dans des situations cruciales, il souhaitait simplement que tout soit en règle concernant les opérations financières de l'entreprise et espérait que toutes les dettes étaient acquittées en temps opportun. Il a admis qu'il ne savait absolument rien de la TPS et de la manière dont elle était perçue et versée. Il n'avait jamais vu d'états financiers de JPT ou de déclarations de revenus de la société établis par un comptable externe, probablement parce qu'il n'avait jamais réclamé ces documents, et il est clair sur la foi de la preuve que son frère et sa belle-soeur n'allaient pas donner spontanément ce genre d'information. Il n'a pas cherché à consulter le comptable de la société - dont il savait seulement que c'était un certain Brian -, quoiqu'il ait su où se trouvait le bureau de cette personne. Consacrer quelques instants à parler avec l'aide-comptable Brent Wilson ou avec le comptable chargé d'établir les états financiers et les déclarations de revenus de la société aurait permis à l'appelant de déterminer l'ampleur des passifs, y compris les sommes dues au receveur général au titre de la TPS et / ou de retenues d'impôt à la source. Le montant de la TPS due - à cause de l'omission de JPT de produire des déclarations de TPS ou de verser de la TPS - s'élève à 80 907 $ pour la période allant du 1er juillet 1995 au 31 octobre 1996. Il est évident que cette grosse dette accumulée doit se rapporter à des ventes totalisant plus de 1,1 million de dollars, car le taux de la taxe est de 7 p. 100, mais il ne faut pas oublier que, sans la production de la déclaration appropriée, il est impossible de réclamer les crédits appropriés de taxe sur les intrants. La cotisation du ministre se fonde sur la TPS nette exigible le 31 octobre 1995, le 31 janvier 1996, le 30 avril 1996, le 31 juillet 1996, le 31 octobre 1996 et le 31 décembre 1996. JPT a négligé de se conformer aux exigences en matière de déclaration - et de versement - pour l'ensemble de ces périodes.

[22]     L'appelant était sur place, comme employé, entre 10 et 15 heures par semaine. Il était signataire autorisé relativement au compte bancaire avec son frère, quoique Theresa Woo soit également devenue signataire autorisée ultérieurement. Il fallait deux signatures sur les chèques de JPT. L'appelant était un des fondateurs de la société et en détenait 49 p. 100 des actions, à savoir une part qui, comme il le comprenait facilement, était assujettie à la participation majoritaire de son frère, qui détenait le reste des actions. Pour ce qui est de la gestion de l'entreprise, l'appelant restait totalement passif - au point où il pourrait être qualifié d'irresponsable - concernant son propre investissement, qui était important, et concernant le risque y afférent, qui, l'a-t-il découvert plus tard, comportait un autre aspect, à savoir une responsabilité pour autrui à l'égard de certaines dettes de la société, y compris en matière de salaires non versés à des employés. Dans l'affaire Cameron, précitée, le juge d'appel Linden a conclu que l'appelant était plus un administrateur externe qu'un administrateur interne. Dans les présents appels, la preuve étaye le point de vue selon lequel Peter Woo était plus un administrateur interne qu'un administrateur externe. Comme il n'y a pas de moyen terme, je conclus qu'il était un administrateur interne, bien que je sache pertinemment que la responsabilité ne dépend pas seulement de cette classification. Jerry Woo - le frère et collègue administrateur de l'appelant - a agi de concert avec Theresa Woo - la belle-soeur de l'appelant. Ils ont fait en sorte que l'appelant reste dans le noir et, au besoin, ils lui ont débité un boniment. Contrairement à ce qu'il en était dans l'affaire Cameron, Peter Woo était bel et bien signataire autorisé relativement au compte bancaire et il signait régulièrement les chèques de paye. On n'a pas traité expressément de la question de savoir si cela incluait les paiements faits au receveur général, mais, pendant une partie de la période pertinente, seuls l'appelant et Jerry Woo étaient signataires autorisés relativement au compte bancaire; ultérieurement, Theresa Woo est également devenue signataire autorisée, mais il fallait encore que deux personnes signent les chèques. Il est raisonnable de conclure que l'appelant signait des chèques à l'ordre du receveur général au titre de versements d'impôt sur le revenu, car l'arriéré total dans cette catégorie était inférieur à 5 000 $ - sans compter les pénalités et les intérêts. Il est à noter que JPT a exploité l'entreprise - avec un personnel composé d'environ 15 personnes - de novembre 1993 jusqu'à la fermeture de l'entreprise le 31 octobre 1996 et qu'un manquement prolongé aurait représenté une somme beaucoup plus importante. L'appelant était en outre payé - à un taux horaire - pour ses services de cuisinier et avait indiqué ces revenus dans ses déclarations de revenus pour les années pertinentes. Je traite de cet aspect de la question pour souligner que, bien que l'appelant ait été au courant de certaines exigences concernant le versement de salaires aux employés, y compris lui-même, il restait convaincu qu'un progiciel comptable, utilisé par Theresa et /ou l'autre aide-comptable, permettait de répondre à toutes les exigences en matière de paye, y compris concernant les retenues à la source. Toutefois, l'appelant savait également qu'on lui interdisait l'accès à de l'information financière sur l'exploitation du restaurant, y compris au sujet du paiement des créanciers. Il essayait de faire des recherches dans le bureau lorsque Theresa Woo n'était pas sur place. Malheureusement, il ne savait pas vraiment ce qu'il cherchait et il n'était pas adéquatement préparé pour interpréter les documents qu'on lui a remis plus tard, c'est-à-dire seulement après qu'il eut maintes fois réclamé des imprimés d'ordinateur périodiques concernant les fonds perçus et les fonds versés. À mon avis, non seulement il avait amplement de raisons d'avoir des soupçons, mais ces soupçons s'étaient accrus au point où l'on avait tenté de régler le problème par voie de médiation lors d'une réunion au bureau de l'avocate à Sooke. Si Peter Woo n'avait pas été le frère de l'un et le fils de l'autre - il cherchait à aider des membres de la famille qui avaient travaillé à ce restaurant pendant 40 ans au total -, on peut raisonnablement conclure qu'il n'aurait pas toléré un tel traitement et qu'il aurait obtenu des avis juridiques et comptables pour parvenir à déterminer l'état effectif des affaires relatives à l'exploitation de l'entreprise. Toutefois, il a choisi de maintenir la paix au sein de la famille et a continué d'espérer que tout aille pour le mieux. Il a accepté des assurances désinvoltes en réponse à des demandes de renseignements formulées d'un ton pensif et en termes des plus généraux. Il voulait vraiment croire que tout était correct. À mon avis, ce n'est pas là s'acquitter du devoir imposé à un administrateur en vertu des libellés semblables des deux lois concernant respectivement les deux présents appels. C'est une chose que de se consacrer aux intérêts primordiaux d'une famille, et je félicite l'appelant à cet égard. C'en est toutefois une autre que de faire preuve d'une ingénuité extrême en acceptant des assurances dans des circonstances où la raison fondamentale de la demande de renseignements n'a jamais été adéquatement abordée. De plus, le fait que l'appelant ait constamment négligé des questions financières importantes et omis de prendre des mesures raisonnables et constructives pour s'informer quant à la capacité de JPT de répondre aux exigences ordinaires relatives aux retenues à la source et à la TPS - pour prévenir un manquement de la part de la société à l'obligation de verser des sommes dues - révèle une naïveté considérable, voire démesurée. La situation en l'espèce diffère de la situation dans laquelle l'intervention d'un tiers - par exemple un séquestre ou un directeur de banque - a empêché un administrateur de se conformer à l'exigence de verser des sommes dues au receveur général. Dans les présents appels, la preuve révèle que l'appelant a joué un rôle pendant une période importante en tant qu'employé et actionnaire de la société dont il était propriétaire avec son frère. Contrairement à ce qu'il en était dans d'autres affaires citées en l'espèce, l'appelant n'avait pas été induit en erreur quant à savoir si des paiements avaient été effectués, et d'autres personnes n'avaient pas agi contrairement à une ligne de conduite convenue concernant les versements à faire conformément à un mécanisme établi, conçu à cette fin. Outre tout ce qui s'était passé auparavant, l'appelant était dans l'entreprise de restauration depuis assez longtemps pour que, lorsque le livreur de coca-cola a exigé d'être payé comptant pour déposer le produit, cela alerte l'appelant, et, si l'appelant avait à ce stade posé les questions qui s'imposaient, cela aurait pu empêcher que l'on manque à l'obligation de remettre des retenues à la source, ce qui, d'après la preuve, n'a été le cas que durant les deux ou trois derniers mois avant que, le 31 octobre 1996, l'entreprise cesse son activité.

[23]     Ce n'est pas un heureux dénouement pour l'appelant. L'appelant est un homme bon et honnête qui s'est retrouvé dans une situation épouvantable. Parce qu'il est un résident local qui a un poste sûr et bien rémunéré et qui a (pour l'instant) un portefeuille mieux garni, c'est vers lui que le ministre se tourne pour être payé, en vertu de l'obligation solidaire imposée par la législation pertinente.

[24]     Eu égard à l'ensemble de la preuve et en appliquant la jurisprudence pertinente, je ne suis pas convaincu que l'appelant a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[25]     En conséquence de la conclusion ci-devant, les deux appels sont par les présentes rejetés, et un seul mémoire de frais est alloué à l'intimée.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 18e jour de janvier 2002.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juillet 2003.

Mario Lagacé, réviseur

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