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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-347(IT)G

ENTRE :

NOVA SCOTIA POWER INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue le 10 avril et le 6 septembre 2001 à Ottawa (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocats de l'appelante :             Me Warren Mitchell, c.r.

                                                Me Douglas H. Mathew

                                                Me Michael W. Colborne

Avocat de l'intimée :                   Me Ernest Wheeler

DÉCISION SUR LES QUESTIONS

          La présente requête a été entendue afin que la Cour se prononce sur les questions suivantes :

d)          Les questions à être décidées sont de savoir si, au cours de la période allant jusqu'en 1992, année où elle s'est dessaisie de ses éléments d'actif,

(1)         « La Nova Scotia Power Corporation a-t-elle exercé ses principales activités productrices de revenus en tant que mandataire de Sa Majesté la Reine, de sorte que l'article 2 de la Loi de l'impôt sur le revenu (y compris les dispositions accessoires telles que l'article 21 de la Loi) ne s'y appliquait pas?

(2)         Dans la négative, la Nova Scotia Power Corporation était-elle mandataire de Sa Majesté la Reine à l'égard de la propriété des éléments d'actif utilisés au sein de son entreprise, de sorte que l'article 21 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'appliquait pas aux biens amortissables acquis par la société? »

          Après avoir entendu la preuve présentée et les allégations des avocats;

          La Cour décide qu'il faut répondre par « non » à la partie de chaque question qui précède les mots « de sorte que [...] » .

Si les parties désirent présenter des observations quant aux dépens, elles devraient communiquer avec la Cour.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de janvier 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date : 20020125

Dossier : 2001-347(IT)G

ENTRE :

NOVA SCOTIA POWER INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1]      Les parties ont convenu de présenter les questions suivantes à la Cour canadienne de l'impôt afin qu'elles soient tranchées en vertu de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

d)          Les questions à être décidées sont de savoir si, au cours de la période allant jusqu'en 1992, année où elle s'est dessaisie de ses éléments d'actif,

(1)         « La Nova Scotia Power Corporation a-t-elle exercé ses principales activités productrices de revenus en tant que mandataire de Sa Majesté la Reine, de sorte que l'article 2 de la Loi de l'impôt sur le revenu (y compris les dispositions accessoires telles que l'article 21 de la Loi) ne s'y appliquait pas?

(2)         Dans la négative, la Nova Scotia Power Corporation était-elle mandataire de Sa Majesté la Reine à l'égard de la propriété des éléments d'actif utilisés au sein de son entreprise, de sorte que l'article 21 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'appliquait pas aux biens amortissables acquis par la société? »

[2]      Les parties se sont entendues au sujet d'un exposé des faits et d'un grand nombre de documents, dont certains pourraient être mentionnés dans les présents motifs. La Nova Scotia Power Inc. est appelée l' « appelante » et Sa Majesté la Reine est appelée l' « intimée » par les parties. Bien que la présente instance constitue un renvoi et non un appel, j'en ferai de même.

[3]      L'exposé conjoint des faits se lit comme suit :

                   [TRADUCTION]

1.          Avant 1967, un système de production et de distribution d'électricité s'est développé en Nouvelle-Écosse, en vertu duquel les régions urbaines étaient desservies par des sociétés privées, soit la Eastern Light & Power Company Limited et la Nova Scotia Light and Power Company Limited, tandis que les régions rurales étaient desservies par la Nova Scotia Power Commission (Commission de l'électricité) (la « Commission » ). Une copie de la loi intitulée Power Commission Act (Loi sur la Commission de l'électricité), R.S.N.S. 1967, c. 233, se trouve à l'onglet 1 des documents conjoints.

2.          En 1967, la Commission a acquis les actions de la Eastern Light & Power Company Limited. En 1972, elle a acquis 99,65 p. 100 des actions ordinaires et environ 98 p. 100 des actions privilégiées de la Nova Scotia Light & Power Company Limited. Le solde des actions a été acquis par la suite.

3.          En 1973, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a adopté des modifications à la Power Commission Act ayant pour effet de modifier le titre de cette loi à celui de Power Corporation Act (Loi sur la Société de l'électricité), d'assurer la continuité de la Commission par la Nova Scotia Power Corporation (Société de l'électricité de la Nouvelle-Écosse) (la « société » ), et de faire plusieurs autres modifications à la loi. Les modifications apportées à la Power Commission Act, S.N.S. 1973, c. 47, se trouvent à l'onglet 2 des documents conjoints. Une copie de la version révisée de la Power Corporation Act, R.S.N.S. 1989, c. 351, se trouve à l'onglet 3 des documents conjoints.

4.          Après l'adoption de la Power Corporation Act, presque toute l'électricité en Nouvelle-Écosse était produite et distribuée par la société, dont la totalité du capital-actions appartenait à la province.

5.          Entre 1973 et 1992, la société a contracté des emprunts importants, dont quelques-uns ont servi à l'acquisition de biens amortissables utilisés dans la production et la distribution de l'électricité. Les emprunts en cause étaient attestés par des obligations ou des obligations d'épargne non garanties émises par la société et garanties par la province. Les documents types pour chaque genre d'emprunt se trouvent aux onglets 12 et 13 respectivement des documents conjoints.

6.          À chaque année, la société faisait état de ses activités financières dans ses états financiers. Les états financiers comparatifs de la société se trouvent à l'onglet 6 des documents conjoints et illustrent les opérations financières de 1980 à 1993 inclusivement.

7.          Aucun impôt n'était exigible sur le revenu imposable de la société en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et la société n'a produit aucune déclaration de revenus. Par conséquent, elle n'a déduit aucun montant au titre de la déduction pour amortissement en vertu de l'alinéa 20(1)a) de la Loi ou à titre d'intérêt en vertu des alinéas 20(1)c), d), e), ou e.1) de la Loi.

8.          En 1992, la province a adopté la loi intitulée Nova Scotia Privatization Act (Loi sur la privatisation de la Nouvelle-Écosse), S.N.S., c. 8, dont une copie se trouve à l'onglet 4 des documents conjoints, en vertu de laquelle la Nova Scotia Power Incorporated (l' « appelante » ) a acheté les éléments d'actif et l'entreprise précédemment utilisés par la société dans la production et la distribution de l'électricité. Par suite de l'application du paragraphe 85(5.1) de la Loi, le coût en capital des biens amortissables acquis par l'appelante équivalait au coût en capital de ces biens dans le cas de la société.

9.          Dans ses déclarations de revenus initiales pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, l'appelante a réclamé une déduction pour amortissement en vertu de l'alinéa 20(1)a) de la Loi, au motif qu'une partie des frais d'intérêt relativement aux montants empruntés par la société et utilisés par celle-ci pour acquérir des biens amortissables était incluse à juste titre dans le coût en capital des biens acquis par l'appelante.

10.        Le 29 mai 1998, la société a produit des déclarations de revenus des sociétés selon le formulaire T2 pour les années d'imposition se terminant du 31 mars 1980 au 31 mars 1993 inclusivement. Dans ces déclarations de revenus, la société a fait le choix, conformément aux paragraphes 21(1) et 21(3) de la Loi, d'ajouter les intérêts payés relativement aux montants empruntés pour acquérir des biens amortissables au montant de 995 260 716 $ au coût en capital de ces biens. (Les copies des déclarations de revenus, y compris les choix, se trouvent à l'onglet 5 des documents conjoints).

11.        Toujours en mai 1998, l'appelante a produit des annexes révisées pour la déduction pour amortissement pour ses années d'imposition 1994, 1995 et 1996, réclamant des déductions pour amortissement supplémentaires de 46 092 405 $, 41 774 007 $ et 21 574 289 $ respectivement, au motif que le montant des intérêts indiqué dans lesdits choix était inclus à juste titre dans le coût en capital des biens.

12.        Au moyen d'avis de nouvelle cotisation datés du 31 mai 1999, le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, au motif notamment que, lors du calcul de la fraction non amortie du coût en capital des biens amortissables de l'appelante, il fallait établir le coût en capital des biens acquis de la société sans inclure les montants des intérêts relativement aux montants empruntés par la société et utilisés par celle-ci pour acquérir ces biens.

13.        Les nouvelles cotisations établies par le ministre étaient notamment fondées sur l'hypothèse selon laquelle, au cours de la période à l'égard de laquelle la société cherchait à faire appliquer les paragraphes 21(1) et 21(3) de la Loi, la société était mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la Nouvelle-Écosse, de sorte que la Loi ne s'appliquait pas à la société en vertu de l'article 17 de la Loi d'interprétation (Canada).

14.        Par voie de lettre datée du 8 juin 1999, l'appelante a demandé la détermination d'une perte conformément au paragraphe 152(1.1) de la Loi. Un avis de détermination de perte a été envoyé le 2 juillet 1999. Par voie d'avis d'opposition déposés le 13 juillet 1999, l'appelante s'est opposée aux avis de détermination de perte pour les années 1994, 1995 et 1996.

_________________________________________

1            La question de la part des montants empruntés ayant servi à acquérir des biens amortissables est une question distincte que les parties ne demandent pas à la Cour de trancher.

[4]      La pertinence des questions énoncées dans l'exposé de cause apparaît de la façon suivante. On soutient que si la Nova Scotia Power Corporation (la « NSPC » ) exerçait ses activités productrices de revenus en tant que mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la Nouvelle-Écosse, la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'y appliquait pas, en vertu de l'article 17 de la Loi d'interprétation. Selon l'appelante, si l'on répondait par l'affirmative à l'une ou l'autre des questions, il en résulterait que les paragraphes 21(1) et 21(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne s'appliquaient pas; ainsi, les choix que l'appelante a faits ou prétendu faire ne pouvaient être valablement faits en vertu de ces paragraphes. Selon l'appelante, si la NSPC n'était pas mandataire de Sa Majesté la Reine à l'égard des questions énoncées dans l'exposé de cause, son exemption fiscale découlait de l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, non pas parce qu'elle était mandataire[1] de la Couronne, mais plutôt en raison de son statut de société dont 90 p. 100 des actions appartenaient à Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Nouvelle-Écosse. Dans un tel cas, l'article 17 de la Loi d'interprétation n'a pas pour effet de rendre inopérante la Loi de l'impôt sur le revenu à l'égard de la NSPC, et celle-ci demeure une société assujettie à la Loi de l'impôt sur le revenu et apte à produire des déclarations de revenus (tardivement, en fait), à calculer son revenu et à faire les choix en vertu des paragraphes 21(1) et 21(3). Voilà, à tout le moins, les arguments présentés. On ne me demande pas de me prononcer sur la question de savoir si le régime global était efficace ou si tous les éléments nécessaires à sa réussite ont leur effet prévu.

[5]      Ma seule tâche consiste à trancher les questions énoncées dans l'exposé de cause. Avant de tenter de répondre aux questions, je devrais préciser clairement ce qui est demandé. Je présume que les parties n'estimeraient pas utile d'obtenir simplement une réponse à la question suivante : « Jusqu'en 1992, la Nova Scotia Power Corporation était-elle mandataire de Sa Majesté la Reine? » . Le paragraphe 4(1) de la Power Corporation Act, R.S.N.S. 1989, c. 351, porte que :

                   [TRADUCTION]

            La Commission est maintenue comme personne morale et mandataire de Sa Majesté du chef de la province sous le nom de Nova Scotia Power Corporation et se compose d'un conseil d'administration formé d'un président, d'un directeur général et d'au plus douze autres administrateurs.

[6]      Les parties sont manifestement d'avis que la disposition précitée ne permet pas à elle seule de trancher la question en litige.

[7]      L'article 17 de la Loi d'interprétation se lit comme suit :

            Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet sur ses droits et prérogatives.

[8]      La Couronne soutient que l'exonération de l'impôt fédéral sur le revenu dont jouissait la NSPC jusqu'en 1992 découlait de l'article 17 de la Loi d'interprétation et non de l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, lequel se lisait comme suit en 1992 :

d)          une corporation, commission ou association dont au moins 90% des actions ou du capital appartenaient à Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province, ou à une municipalité canadienne ou une corporation filiale possédée en propriété exclusive par une semblable corporation, commission ou association, mais le présent alinéa ne s'applique pas

(i)          à une telle corporation, commission ou association si une personne autre que Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province, ou une municipalité canadienne avait, durant cette période, un droit contractuel, immédiat ou futur, sur les actions ou le capital de cette corporation, commission ou association, ou un droit d'acquérir ces actions ou ce capital, et

(ii)         à une telle corporation filiale, si une personne autre que Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province, ou une municipalité canadienne avait, durant cette période, un droit contractuel, immédiat ou futur, sur les actions ou le capital de cette filiale, ou de la corporation, commission ou association dont elle est une filiale possédée en propriété exclusive, ou un droit d'acquérir ces actions ou ce capital;

[9]      La Loi de l'impôt sur le revenu comprend d'autres dispositions particulières se rapportant à certaines sociétés d'État fédérales. Par exemple, l'article 27 exclut de l'exemption énoncée à l'alinéa 149(1)d) toute société d'État prévue par règlement, tandis que le paragraphe 124(3) interdit aux sociétés d'État fédérales prévues par règlement[2] d'effectuer une déduction en vertu du paragraphe 124(1). D'autres articles de la Loi de l'impôt sur le revenu portent sur l'assujettissement des sociétés d'État fédéralesprévues par règlement à l'impôt en vertu des parties IV.1, VI et VI.1 (articles 187.61, 190.211 et 191.4).

[10]     L'article 27 de la Loi de l'impôt sur le revenu se lit comme suit :

(1)         La présente Partie s'applique à une société de la Couronne prévue par règlement comme si tout revenu ou perte provenant

a)          d'une entreprise exploitée par la corporation à titre de mandataire de Sa Majesté, et

b)          d'un bien de Sa Majesté géré par la corporation,

était un revenu ou une perte, selon le cas, de la corporation, provenant de cette entreprise ou de ce bien.

(2)         Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, une société de la Couronne prévue par règlement et toute corporation dont elle a le contrôle sont réputées ne pas être une corporation privée, et l'alinéa 149(1)d) ne s'y applique pas.

(3)         Lorsqu'un fonds de terre de Sa Majesté a été transféré à une société de la Couronne prévue par règlement pour qu'il en soit disposé, l'acquisition du bien par la corporation et toute disposition qui en est faite sont réputées n'avoir pas eu lieu dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise par la corporation.

[11]     Fait intéressant, jusqu'en 1998, le paragraphe 27(1) renvoyait à une « société d'État prévue par règlement » . En 1998, le paragraphe 27(1) a été modifié de manière à éliminer les termes « prévue par règlement » , bien que ceux-ci soient demeurés dans les paragraphes (2) et (3).

[12]     Je ne mentionne ces renvois précis aux sociétés d'État que pour illustrer que le Parlement a jugé bon d'accorder une exemption à certaines sociétés détenues par l'État et de la refuser à d'autres. Il n'est pas certain si cela aide ou nuit à la détermination des questions posées, mais cela démontre à tout le moins que le Parlement ne s'est pas satisfait de laisser l'assujettissement ou le non-assujettissement à l'impôt des sociétés d'État reposer sur l'article 17 de la Loi d'interprétation ou sur une règle quelconque de la common law relative à la prérogative concernant l'application des lois à la Couronne. Puisque le Parlement a jugé bon de traiter expressément des sociétés d'État dans la Loi de l'impôt sur le revenu (les assujettissant ainsi implicitement, si ce n'est explicitement, à la Loi de l'impôt sur le revenu, ne serait-ce que pour les en exempter), j'aurais cru qu'on aurait soulevé l'argument selon lequel les dispositions de la Loi visant les sociétés d'État (y compris celles qui sont mandataires de Sa Majesté la Reine) l'emportent sur l'article 17 de la Loi d'interprétation. On pourrait répondre à un tel argument en soutenant que l'article 27 vise expressément les sociétés d'État fédérales prévues par règlement qui exploitent une entreprise en tant que mandataires de Sa Majesté ou qui gèrent les biens de Sa Majesté et considère les revenus ou pertes découlant de ces activités comme ceux de la société (et non de Sa Majesté). En vertu de l'alinéa 149(1)d), de tels revenus ne bénéficient pas d'une exemption. Toute autre société d'État fédérale (non prévue par règlement) qui exploite une entreprise ou détient des biens en tant que mandataire de Sa Majesté la Reine n'est pas visée par l'article 27 de la Loi de l'impôt sur le revenu et bénéficie d'une exemption en vertu de l'article 17 de la Loi d'interprétation. À l'encontre de cette antithèse, si les sociétés d'État qui exercent de telles activités en tant que mandataires de Sa Majesté ne sont pas visées par l'alinéa 149(1)d) parce qu'elles bénéficient d'une exemption en vertu de l'article 17 de la Loi d'interprétation, on pourrait se demander pourquoi il était nécessaire de les soustraire à l'application de l'alinéa 149(1)d) au moyen du paragraphe 27(2). Toutefois, la façon dont les parties ont formulé la question en vertu de l'article 173 m'empêche de traiter de ces arguments intéressants mais hypothétiques.

[13]     La question (1) peut se diviser en deux parties. Jusqu'en 1992, année où elle s'est dessaisie de ses éléments d'actif,

(i)       la NSPC a-t-elle exercé ses principales activités productrices de revenus en tant que mandataire de Sa Majesté la Reine,

(ii)       de sorte que l'article 2 de la Loi de l'impôt sur le revenu (y compris les dispositions accessoires telles que l'article 21 de la Loi de l'impôt sur le revenu) ne s'y appliquait pas?

[14]     La forme de la question n'indique pas clairement si elle est fondée sur l'hypothèse selon laquelle une réponse par l'affirmative à la partie (i) mène obligatoirement à la conclusion énoncée à la partie (ii) ou si une réponse par l'affirmative à la partie (i) exige que l'on se prononce alors sur l'exactitude de la conclusion énoncée à la partie (ii) de la question.

[15]     La question (2), qui comprend deux volets, pose le même problème. Je ne tiens pas pour acquis que les parties voulaient que je me penche sur les deux parties de chaque question. Si elles veulent savoir si une réponse par l'affirmative à la première partie d'une question mène à la conclusion énoncée dans la deuxième partie de la question, ou si une réponse par la négative à la première partie de la question annule nécessairement la deuxième partie de la question, elles devraient présenter à la Cour des observations supplémentaires et, au besoin, d'autres éléments de preuve. Compte tenu des documents qui m'ont été présentés, je ne suis pas disposé à traiter de la deuxième partie de chaque question.

[16]     Me Mitchell a reformulé les questions essentiellement de la façon suivante : « À qui appartient le revenu? » . Une telle reformulation a un certain attrait. Toutefois, à mon humble avis, elle pourrait s'avérer trop simpliste et la réponse à une question énoncée d'une telle manière ne serait pas particulièrement édifiante. J'aurais cru qu'il aurait pu être utile de se demander si l'exemption fiscale dont jouissait la NSPC découlait de l'article 17 de la Loi d'interprétation ou de l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[17]     Certaines observations devraient être faites au départ.

1.        À l'article 17 de la Loi d'interprétation fédérale, le renvoi à Sa Majesté comprend Sa Majesté du chef d'une province : Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 2 R.C.S. 225, aux pages 271 à 275, le juge en chef Dickson; Brant (R.G.) c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-528-98, 31 août 1998 ([1998] G.S.T.C. 101).

2.        La prérogative de l'exemption de la Couronne de l'application des lois existait avant l'adoption de l'article 17 de la Loi d'interprétation : Reference Re Precious Metals in Certain Lands of the Hudson's Bay Company, [1927] S.C.R. 458 à la p. 478, le juge en chef Anglin, confirmé par s.n. Re Hudson's Bay Co., [1929] 1 D.L.R. 625, s.n. Hudson's Bay Company v. Attorney General for Canada et al., [1929] 1 W.W.R. 287 (C.P.); Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. La Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61, le juge en chef Laskin, à la p. 69, citant lord du Parcq dans Province of Bombay v. Municipal Corporation of Bombay, [1947] A.C. 58 à la p. 61 :

Le principe général à appliquer en examinant si la Couronne est liée par les dispositions générales d'une loi est bien connu. Selon l'ancienne maxime juridique, aucune loi ne lie la Couronne si celle-ci n'y est expressément mentionnée [...] Mais cette règle souffre au moins une exception. La Couronne, comme on l'a souvent dit, peut être liée « par déduction nécessaire » , c'est-à-dire que, s'il appert du libellé même de la Loi que le législateur entendait lier la Couronne, le résultat est le même que si cette dernière était expressément mentionnée. [TRADUCTION] Il faut donc en déduire que la Couronne, en acquiesçant à la loi, a accepté d'être liée par ses dispositions.

3.        Il est peut-être permis de se demander si l'article 17 de la Loi d'interprétation écarte la règle de common law relative à l'immunité de la Couronne, mais si tel est le cas, ses effets ne viseraient que la partie de la règle énoncée à l'article 17. Cet article ne constitue pas un régime complet régissant tous les aspects de la règle relative à l'exemption de l'application des lois dont jouit la Couronne. Par exemple, on ne retrouve nulle part à l'article 17 la règle corollaire selon laquelle la Couronne peut exercer un droit ou réclamer un avantage conféré par la loi même si celle-ci ne prévoit pas expressément qu'elle s'applique à la Couronne ou en manifeste nécessairement l'intention : Toronto Transportation Commission v. The King, [1949] R.C.S. 510. Certains doutes ont été exprimés quant à la question de savoir si la Couronne peut se prévaloir d'une loi par laquelle elle n'était pas autrement liée sans avoir à s'acquitter des obligations prévues par cette loi : Cayzer Irvine & Co. v. Board of Trade, [1927] 1 K.B. 269 à la p. 294, le lord juge Scrutton. Au Canada, il semble que les tribunaux aient répondu par la négative à cette question : Sa Majesté du chef de la province de l'Alberta c. La Commission canadienne des transports, précité; Sparling c. Québec (Caisse de dépôt et placement du Québec), [1988] 2 R.C.S. 1015.

          À mon avis, l'article 17 de la Loi d'interprétation ne rend pas inopérante la totalité des règles relatives à l'immunité de la Couronne.

4.        La question de savoir si l'article 17 de la Loi d'interprétation et l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu sont des dispositions qui s'excluent mutuellement est une question d'interprétation. Il est possible que certaines sociétés visées à l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu possèdent aussi les attributs d'un mandataire de Sa Majesté la Reine qui leur permettraient d'être exemptées de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu en vertu de l'article 17 de la Loi d'interprétation. À ce stade-ci, il n'est pas nécessaire de décider si, advenant que l'article 17 de la Loi d'interprétation s'applique à la NSPC, celle-ci pourrait également se prévaloir de l'exemption prévue à l'alinéa 149(1)d) en se fondant sur l'un des deux arguments possibles suivant :

(i)       L'alinéa 149(1)d) et les articles connexes de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoient un régime complet régissant les sociétés d'État, que celles-ci soient ou non mandataires de Sa Majesté la Reine; par conséquent, la Loi de l'impôt sur le revenu s'applique de façon expresse ou implicite à toutes les sociétés d'État.

(ii)       Même si la NSPC est mandataire de Sa Majesté la Reine dans la mesure nécessaire pour que l'article 17 de la Loi d'interprétation s'y applique, elle peut néanmoins se prévaloir des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu en se fondant sur le corollaire à la règle de l'immunité de la Couronne énoncé au paragraphe 3 ci-haut, selon lequel aucune loi ne lie la Couronne, sauf dans la mesure qui y est mentionnée ou prévue, mais que la Couronne peut s'en prévaloir.

          Il n'est pas nécessaire que je tranche ces questions dans le cadre du présent renvoi.

5.        Le seul fait qu'une société est décrite dans sa loi constitutive comme « un mandataire de Sa Majesté la Reine » ne signifie pas qu'elle est mandataire à toutes fins : British Columbia Power Corporation Ltd. v. Attorney-General of British Columbia and British Columbia Electric Co. Ltd., 34 D.L.R. (2d) 25.

6.        Il existe une distinction entre un « mandataire de Sa Majesté » et un « mandataire de Sa Majesté à toutes fins » : R. c. Eldorado Nucléaire Ltée; R. c. Uranium Canada Ltée, [1983] 2 R.C.S. 551, 4 D.L.R. (4th) 193.

7.        Le seul fait qu'une société est détenue en propriété exclusive par un actionnaire n'en fait pas un mandataire de son actionnaire : Denison Mines Ltd. c. M.R.N., [1971] C.F. 295, [1971] C.T.C. 640 (C.F. 1e inst.).

8.        Lorsque le Parlement a traité d'une situation particulière avec une certaine précision, il existe au moins une présomption prima facie selon laquelle la disposition précise s'applique de préférence à la disposition plus générale : Munich Reinsurance Co. (Division Canada) c. La Reine, C.A.F., no A-282-00, 27 novembre 2001 (2002 D.T.C. 6701). Si elle était pertinente dans le cas du présent renvoi, il faudrait poser la question suivante : quelle est la disposition précise et quelle est la disposition générale?

          Là encore, l'application d'une telle règle de droit n'est pas nécessairement pertinente à la question posée dans l'exposé de cause. Toutefois, je la mentionne, ainsi que certains autres points énoncés ci-haut, parce que je suis d'avis qu'elle représente un aspect d'un problème plus vaste soulevé par le présent renvoi. J'aborderai la question telle qu'elle m'a été posée; cependant, je suis loin d'être convaincu qu'elle puisse offrir une solution complète au problème que les parties cherchent à résoudre.

[18]     On ne peut traiter comme pure question de droit, détachée de ce que les parties ont fait en réalité, la question de savoir si une société est mandataire de Sa Majesté la Reine à toutes fins de sorte que son revenu soit gagné et que ses biens soient détenus au nom de la Couronne. Tel est le cas qu'il soit question de sociétés d'État ou de sociétés détenues par des particuliers. Dans l'arrêt Denison Mines, précité, le juge Cattanach a déclaré ce qui suit, aux pages 320 à 322 (C.T.C. : aux pages 600 à 662) :

            En résumé, l'appelante estime que l'entreprise de la Con-Ell était en réalité celle de l'appelante et, à l'opposé, le Ministre s'appuie sur l'arrêt Salomon (Salomon c. A. Salomon & Co. Ltd. [1897] A.C. 22) selon lequel il y a deux entités juridiques distinctes et les pertes de l'une ne sont pas les pertes de l'autre.

            Il est bien établi que le simple fait pour une personne de détenir toutes les actions d'une compagnie ne fait pas de l'entreprise exploitée par cette compagnie l'entreprise de l'actionnaire et ne fait pas de cette compagnie le mandataire de l'actionnaire pour exploiter cette entreprise. Cependant il est concevable qu'il puisse exister une entente entre l'actionnaire et la compagnie qui fasse de celle-ci le mandataire de l'actionnaire dans le but de diriger l'entreprise et faire ainsi de cette entreprise celle de l'actionnaire. Il importe peu que l'actionnaire soit lui-même une compagnie à responsabilité limitée.

            La question est donc la suivante : en l'espèce, existe-t-il une telle entente? Le fondement du mandat est une relation contractuelle soit expresse soit implicite. En l'espèce, il n'y a pas eu de convention expresse et la question de savoir si on peut implicitement conclure qu'il y en a une est une question de fait fondée sur les circonstances de chaque cas particulier.

            Le procureur de l'appelante a invoqué avec vigueur l'arrêt Smith Stone and Knight Ltd. c. Birmingham [1939] 4 All E.R. 116. Dans cette affaire, la compagnie demanderesse était la seule actionnaire d'une filiale. Les locaux que la filiale occupait ont été expropriés par la défenderesse. La compagnie mère a demandé une indemnité pour perturbation des affaires au motif que l'entreprise de la filiale était celle de la compagnie mère. On s'est opposé à la demande en invoquant que seule la filiale était en droit de la présenter puisqu'il s'agissait d'une entité différente.

            Le juge Atkinson a passé en revue la jurisprudence et en a tiré six éléments importants pour trancher la question suivante : Qui dirigeait réellement l'entreprise? Les voici :

1.          Les bénéfices étaient-ils considérés comme les bénéfices de la compagnie mère? En l'espèce, il n'y avait pas de bénéfices, c'étaient des pertes.

2.          Les personnes qui dirigeaient l'entreprise étaient-elles nommées par la compagnie mère?

3.          La compagnie mère était-elle le cerveau dirigeant de l'initiative commerciale?

4.          La compagnie mère dirigeait-elle l'initiative, décidait-elle de ce qui devait être fait et du capital à consacrer à l'initiative?

5.          La compagnie mère réalisait-elle les bénéfices grâce à sa compétence et ses directives? En l'espèce, les pertes ont-elles été subies en raison des directives de l'appelante? et

6.          La compagnie mère exerçait-elle une direction effective et continue?

            D'après la preuve présentée en l'espèce, on doit répondre par l'affirmative à ces six questions mais, à mon avis, ce n'est pas concluant. Les éléments soulignés par le juge Atkinson ne sont que des indications utiles pour trancher la question. Il peut exister d'autres facteurs qui mènent à une conclusion différente.

            Le juge Atkinson déclarait plus loin à la page 121 :

[TRADUCTION] ... En fait, si jamais on pouvait dire qu'une compagnie est le mandataire, l'employé ou l'instrument ... d'une autre, je crois que la compagnie [filiale] était en l'espèce une entité juridique car elle n'était rien d'autre. Rien n'empêchait la demanderesse de déclarer à tout moment : « Nous exploiterons cette entreprise en notre propre nom » . (Les guillemets sont de moi.)

            En l'espèce, l'unique motif de la construction de la Con-Ell en corporation s'appuyait sur l'opinion juridique selon laquelle l'appelante contreviendrait aux conditions du contrat de fiducie si elle dirigeait l'entreprise de logements en son propre nom. C'est un principe du mandat qu'une personne ne peut faire par un mandataire ce qu'elle ne peut faire elle-même.

            En l'espèce, la Con-Ell agissait en son nom propre. Elle a contracté avec l'entrepreneur en construction. Elle a obtenu des prêts bancaires. Parce que la filiale n'avait pas d'antécédents fournissant des garanties, la banque a insisté pour que l'appelante se porte caution de la filiale, mais c'est la Con-Ell qui a contracté la dette comme débiteur principal et l'appelante a agi uniquement comme caution et également comme caution de la Con-Ell auprès de la Société centrale d'hypothèques et de logement avec laquelle la Con-Ell a contracté directement. L'appelante n'a donc pas considéré la Con-Ell comme son mandataire et la Con-Ell n'a pas prétendu agir au nom d'un mandant dont elle n'a pas dévoilé le nom ou autrement.

            La Con-Ell dirigeait une entreprise et il est important de se souvenir que les compagnies à responsabilité limitée qui exploitent des entreprises sont des personnes imposables distinctement et que les bénéfices de leurs entreprises respectives sont des bénéfices imposables séparément, peu importe que l'une soit la filiale de l'autre. Toute tentative pour contourner ce principe doit s'appuyer sur des faits clairs et non équivoques conduisant à la conclusion irréfutable qu'une entité juridique agit comme mandataire d'une autre et que l'entité juridique dirige réellement l'entreprise de l'autre et non la sienne.

            Pour les motifs que j'ai exprimés, les faits de l'espèce ne justifient pas, à mon avis, une telle conclusion.

[19]     Fait intéressant, le juge Cattanach a conclu que la filiale satisfaisait à toutes les conditions énumérées par lord Atkinson et a tout de même décidé qu'elle n'était pas mandataire de la société mère.

[20]     Si l'on écarte pour l'instant le fait que le paragraphe 4(1) de la Power Corporation Act porte que la NSPC est mandataire de Sa Majesté la Reine, les faits en l'espèce permettent-ils de conclure que la NSPC exploitait une entreprise et détenait des biens en tant que mandataire de Sa Majesté la Reine? L'avocat de l'appelante a souligné certains facteurs qui, selon lui, sont incompatibles avec une telle conclusion :

a)        La Power Corporation Act traitait la NSPC comme une entité distincte : elle avait le pouvoir d'acquérir des biens (alinéa 7(1)a)), d'emprunter de son propre clef (paragraphes 8(1) et (2)), de conclure des contrats (paragraphe 29(1)) et de se servir des profits comme l'entendait le conseil d'administration (paragraphe 29(2)).

b)       Le conseil d'administration exploitait la NSPC comme il l'entendait et non sous la direction de la province.

c)        La NSPC n'était pas présentée comme un mandataire de Sa Majesté la Reine. La province garantissait les dettes de la NSPC, mais ceci ne signifie pas en soi que la NSPC était mandataire de la Couronne.

[21]     Certains des facteurs ci-haut ont été jugés pertinents dans l'arrêt Metropolitan Meat Industry Board v. Sheedy, [1927] A.C. 899 (C.J.), lequel sera examiné plus loin.

[22]     L'avocat de l'intimée se fonde essentiellement sur deux observations générales :

a)        La NSPC était mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la Nouvelle-Écosse afin d'exploiter son entreprise de production et de distribution d'électricité;

b)       La NSPC ayant déclaré au ministre du Revenu national qu'elle était mandataire de Sa Majesté du chef de la Nouvelle-Écosse, elle est préclue de nier la véracité de cette déclaration au ministre du Revenu national.

[23]     Je traiterai tout d'abord de la deuxième prétention. D'après l'intimée, la préclusion prend naissance de la manière suivante.

[24]     Les paragraphes 27 et 28 des observations de l'intimée se lisent comme suit (notes en bas de page omises) :

            [TRADUCTION]

27.        En outre, la NSPC est préclue de nier au ministre du Revenu national qu'elle était mandataire de Sa Majesté du chef de la Nouvelle-Écosse au cours de la période allant de 1973 à 1992.

a)          Une déclaration a été faite à cet effet.

b)          Malgré certaines réserves au départ, le ministre du Revenu national a accepté la déclaration et s'est fondé sur celle-ci.

c)          En conséquence, le ministre du Revenu national a subi un préjudice. Le préjudice immédiat et matériel était la perte d'un certain montant au titre de l'impôt des sociétés exigible de la NSPL. Le préjudice moins matériel est l'impossibilité d'examiner et peut-être de vérifier les déclarations de revenus des sociétés de la NSPC alors que les années en cause étaient relativement récentes et les dossiers aisément disponibles.

28.        Bien que la déclaration faite en 1973 fût celle de la NSPC et qu'il soit donc possible que l'appelante, la NSPI, ne puisse être préclue de nier la véracité de la déclaration, la NSPI, ayant essentiellement hérité du coût en capital des biens de la NSPC, ne peut être dans une position plus favorable à l'égard de ce coût en capital que celle dans laquelle se trouverait la NSPC elle-même.

[25]     Les paragraphes 9, 10 et 11 des observations de l'intimée se lisent comme suit (notes en bas de page omises) :


            [TRADUCTION]

9.          Au départ, la NSPC ne détenait pas toutes les actions de sa filiale, la Nova Scotia Power and Light Company Limited ( « NSPL » ). Par conséquent, en 1973, la NPSL n'aurait pas été exemptée de l'impôt fédéral sur le revenu en vertu de l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'elle n'était pas une « filiale à cent pour cent » de la NSPC.

10.        La NSPC a déclaré à Revenu Canada que la NSPL était exemptée de l'impôt fédéral sur le revenu parce que la NSPC avait acquis les actions « pour le compte du gouvernement » . La NSPC s'est fondée de façon expresse sur la « disposition sur le mandat » qui venait d'être adoptée dans la Power Commission Act.

11.        Revenu Canada a accepté la déclaration de la NSPC selon laquelle la NSPL était détenue par la NSPC en tant que mandataire du gouvernement provincial et a permis à la NSPL d'éviter l'assujettissement à l'impôt en 1973.

[26]     La déclaration se trouve dans une lettre du 8 mai 1973 envoyée par la NSPC au ministère du Revenu national. La lettre se lit comme suit :

[TRADUCTION]

M. H.K. Hingston

Chef de la vérification

Ministère du revenu national (Impôt)

1557, rue Hollis

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Cher M. Hingston,

Impôt sur le revenu - Nova Scotia Light and Power Company, Limited

Je vous remercie de l'accueil chaleureux que vous avez réservé à MM. Gurnham et Spencer et à moi-même mardi passé. Je suis d'avis que nous avons eu une discussion utile sur la question.

Comme vous me l'avez demandé, je joins aux présentes des copies de lettres de notre avocat datées du 30 avril 1973 et du 3 mai 1973 et traitant de la question du statut de la Power Corporation en tant que mandataire de la province de la Nouvelle-Écosse.

Dans la lettre de Me Mann du 3 mai 1973, vous remarquerez le renvoi au paragraphe 4(1) de la Power Corporation Act. La Power Commission Act a été modifiée lors de la session de 1973 de l'assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, et puisque je doute que la modification ait déjà été imprimée, je joins aux présentes une copie du projet de loi 54 qui a reçu la sanction royale et a été promulgué le 29 mars 1973.

Toujours en ce qui concerne l'avis de Me Mann, j'aimerais confirmer que la décision d'acquérir les actions de la Nova Scotia Light and Power Company, Limited a été prise par le gouvernement de la Nouvelle-Écosse; on a demandé à la Nova Scotia Power Commission, comme on l'appelait alors, de présenter une offre et d'acquérir les actions pour le compte du gouvernement.

Au cours d'une réunion précédente entre les membres de votre bureau et M. H.E. Spencer, celui-ci a examiné l'assujettissement à l'impôt des revenus de la Nova Scotia Light and Power Company, Limited au cours des 19 premiers jours de 1972. Il a présenté certains motifs à l'appui de son point de vue selon lequel l'impôt ne s'appliquait pas au cours de cette période; comme vous vous en souviendrez, il a passé en revue ces motifs lors de notre réunion du 1er mai 1973. Pour faire suite aux observations de M. Spencer, je joins aux présentes des copies de lettres envoyées par la Compagnie de fiducie Canada Permanent et la Compagnie Montréal Trust datées du 16 avril 1973 et du 1er mai 1973 et certifiant le nombre d'actions de la Nova Scotia Light and Power Company, Limited détenues par ces sociétés le 31 décembre 1971.

N'hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez besoin de renseignements supplémentaires.

Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur, l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

Le vice-président aux finances,

[signé]

R.C. Fraser, c.a.

[27]     Deux lettres envoyées à la NSPC par le cabinet d'avocats MacKeigan, Cox, Downie & Mitchell, datées du 30 avril 1973 et du 3 mai 1973, ont été jointes à la lettre précitée :

[TRADUCTION]

                                                            Le 30 avril 1973

M. R.C. Fraser

Vice-président aux finances

Nova Scotia Power Corporation

C.P. 910

Halifax (Nouvelle-Écosse)

            Objet : Acquisition des actions de la Nova Scotia Light

                        and Power Company, Limited par la Nova Scotia

                        Power Corporation                                           

Monsieur,

            Pour donner suite aux lettres que nous avons échangéesquant à la question susmentionnée, nous aimerions vous faire part de notre avis selon lequel la société est mandataire de la province de la Nouvelle-Écosse et les actions de la Nova Scotia Light and Power Company, Limited sont détenues par la société à ce titre.

            Par conséquent, nous soutenons qu'en vertu de l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu, la Nova Scotia Light and Power Company, Limited est exemptée de l'impôt sur le revenu et ce, à compter de la date à laquelle la société a acquis 90 p. 100 des actions de la Nova Scotia Light.

            Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur, l'assurance de nos sentiments les meilleurs.

                        MacKEIGAN, COX, DOWNIE & MITCHELL

                                                [signé]

                                                D. McD. Mann.

[TRADUCTION]

                                                            Le 3 mai 1973

M. R.C. Fraser

Vice-président aux finances

Nova Scotia Power Corporation

C.P. 910

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Objet : Acquisition des actions de la Nova Scotia Light

            and Power Company, Limited par la Nova Scotia

Power Corporation                                           

Monsieur,

            Pour donner suite à ma lettre du 30 avril dernier concernant notre avis selon lequel la société est mandataire de la province de la Nouvelle-Écosse, nous tenons à mentionner plus particulièrement le paragraphe 4(1) du chapitre 233 des Lois révisées de la Nouvelle-Écosse, 1967, tel que modifié, lequel porte que : « La continuité de la Commission est assurée par la Nova Scotia Power Corporation, constituée en personne morale et mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la province [...]. »

            En vertu de la common law, la question de savoir si un organisme gouvernemental, une commission, ou tout autre organisme était une création de la Couronne ou un mandataire de la Couronne dépendait largement du degré de contrôle exercé par Sa Majesté sur l'organisme.

            Le contrôle exercé par la province sur la société est complet. Par exemple, le conseil d'administration, notamment le président et le directeur général, est nommé par le gouverneur en conseil. Le gouverneur en conseil doit autoriser l'émission d'obligations ou de valeurs mobilières par la société. Les contrats municipaux et industriels prévoyant une capacité de transformation installée initiale qui excède 500 kVA doivent être autorisés par le gouverneur en conseil.

            La société a pour objectif général de développer, pour la Nouvelle-Écosse, l'utilisation maximale de l'électricité de façon économique et efficace. À cette fin, le gouvernement de la province de la Nouvelle-Écosse a décidé de présenter une offre visant les actions de la Nova Scotia Light and Power Company, Limited. La société a ensuite acquis les actions pour le compte de la province.

            Par conséquent, il est manifeste que la société détient les actions de la Nova Scotia Light and Power Company, Limited en tant que mandataire de la province de la Nouvelle-Écosse.

            Nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur, l'assurance de nos sentiments les meilleurs.

                        MacKEIGAN, COX, DOWNIE & MITCHELL

                                                [signé]

                                                D. McD. Mann.

[28]     À mon avis, de telles observations ne donnent pas lieu à une préclusion. Dans l'affaire S. Goldstein c. La Reine, C.C.I., no 94-840(IT)I, 1er mars 1995, [1995] 2 C.T.C. 2036, on a discuté en quelque détail de la question de la préclusion aux pages 10 à 12 (C.T.C. : aux pages 2045 et 2046) :

Je passe maintenant à la question de la préclusion.

            Il existe une jurisprudence volumineuse sur la question de la préclusion dans les affaires fiscales, et il ne serait pas utile de passer une fois de plus les divers cas en revue. Je tenterai toutefois d'énoncer les principes tels que je les comprends, du moins dans la mesure où ils sont pertinents. La préclusion se présente sous diverses formes - préclusion du fait du comportement, préclusion de chose jugée et préclusion du fait d'acte formaliste. Dans certains cas, il est fait référence à une notion d' « equitable estoppel » (préclusion en equity), expression qui n'est pas nécessairement exacte[3]. Canadian Pacific Railway Co. v. King [1931] A.C. 414, à la p. 429. Cf. Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd. (1946) [1947] 1 K.B. 130. Qu'il suffise de dire que le seul type de préclusion qui nous intéresse ici est la préclusion du fait du comportement. Dans l'arrêt Canadian Superior Oil Ltd. c. Paddon-Hughes Development Co. Ltd. [1970] R.C.S. 932, pp. 939-940, le juge Martland énonce comme suit les facteurs donnant lieu à une préclusion :

Les facteurs essentiels pour fonder une fin de non-recevoir sont, je pense, les suivants :

            (1)         Une affirmation, ou une conduite y équivalant, qui a pour but d'inciter la personne à qui elle est faite à adopter une certaine ligne de conduite.

            (2)         Une action ou une omission résultant de l'affirmation, en paroles ou en actes, de la part de la personne à qui l'affirmation est faite.

            (3)         Un préjudice causé à cette personne en conséquence de cette action ou omission.

            La préclusion n'est plus simplement une règle de preuve. C'est une règle de droit positif[4]. Lord Denning en parle comme d'un « principe de justice et d'équité » [5].

            On dit parfois que la préclusion n'est pas recevable contre la Couronne. Cette affirmation n'est pas exacte et semble provenir d'une mauvaise application de terme préclusion. Le principe de la préclusion lie la Couronne, tout comme d'autres principes de droit. La préclusion du fait du comportement, telle qu'elle s'applique à la Couronne, comprend des déclarations de faits de fonctionnaires de la Couronne sur lesquelles le sujet s'est fondé et en fonction desquelles il a agi, à son détriment[6]. La doctrine n'a aucune application lorsqu'une interprétation particulière d'une loi a été communiquée à un sujet par un fonctionnaire de l'État, que le sujet s'est fondé sur cette interprétation à son détriment et que le gouvernement a ensuite retiré ou modifié l'interprétation. Dans un tel cas, un contribuable cherche parfois à invoquer la doctrine de la préclusion. Ce n'est pas approprié, non pas parce que ces déclarations donnent lieu à une préclusion qui ne lie pas la Couronne, mais plutôt parce qu'aucune préclusion ne peut se poser lorsque de telles déclarations ne sont pas conformes au droit. Bien que la préclusion soit maintenant un principe de droit positif, elle prend son origine dans le droit de la preuve et, en tant que telle, se rapporte aux déclarations de faits. Elle n'a aucun rôle à jouer lorsque des questions d'interprétation du droit sont en cause, car la préclusion ne peut déroger au droit[7].

            La question de l'interprétation de l'alinéa 146(1)c) est une question de droit, et je dois la trancher conformément au droit tel que je le comprends. Je ne saurais éviter cette obligation parce que le ministère du Revenu national peut avoir adopté antérieurement une interprétation différente de celle qu'il avance maintenant. La question n'est pas de savoir si la Couronne est liée par une interprétation antérieure sur laquelle un contribuable s'est fondé. Il est plus exact de dire que les tribunaux, qui sont tenus de trancher les litiges conformément au droit, ne sont pas liés par des déclarations, opinions ou aveux relatifs au droit de la part des parties[8].

            L'application de la règle dans l'affaire Maritime Electric et les nombreuses autres affaires à cet effet peut avoir, dans des cas particuliers, des conséquences malheureuses pour un contribuable qui, de bonne foi, se fonde sur une interprétation ministérielle qui est par la suite modifiée. Néanmoins, il n'est pas dans l'intérêt de la justice que les tribunaux soient entravés par des interprétations erronées du droit de la part de fonctionnaires de l'État[9].

[29]     La déclaration en cause est essentiellement une conclusion de droit fondée sur l'avis d'un cabinet d'avocats. Un tel avis ou une telle conclusion de droit doit certes être tenu en estime, mais ne peut lier les tribunaux. Les avocats font régulièrement des déclarations aux autorités fiscales et, ce faisant, peuvent exprimer des conclusions de droit. Le fait que les autorités fiscales puissent accorder le résultat fiscal demandé par les avocats, qu'elles partagent ou non le raisonnement juridique sur lequel sont fondées les observations des avocats, ne peut donner lieu à une préclusion.

[30]     J'aborde maintenant la première observation de l'intimée. Les faits sur lesquels se fonde l'intimée sont énoncés aux paragraphes 13 à 20 de ses observations écrites (notes en bas de page omises) :

            [TRADUCTION]

13.        Outre la « disposition sur le mandat » , la Power Corporation Act accordait le contrôle de jure des activités de la NSPC au gouvernement provincial, en exigeant l'autorisation du gouverneur en conseil à l'égard des questions suivantes :

a)          tout emprunt important;

b)          tout contrat de fourniture d'électricité visant une capacité de transformation installée initiale qui excède 500 kilovolts-ampères.

14.        La NSPC jouissait des mêmes indemnités que la Couronne en vertu de la loi intitulée Crown Liability Act (Loi sur la responsabilité de l'État). Parmi cesindemnités, on comptait le droit de recevoir un préavis de toute procédure judiciaire, l'immunité contre les injonctions, l'immunité en matière d'exécution forcée et l'immunité de la compétence de la Cour des petites créances. La NSPC s'est prévalue de ces immunités lors de tous les litiges, sans exception. Toute procédure était engagée contre la NSPC par voie de signification au procureur général de la province plutôt qu'à la NSPC; la NSPC insistait que l'on ait recours à ce mode de signification.

15.        Les employés de la NSPC étaient couverts par la loi intitulée Superannuation Act (Loi sur les pensions de retraite) de la Nouvelle-Écosse.

16.        La NSPC était assujettie à la compétence de l'ombudsman provincial et à une vérification de la part du vérificateur général de la province.

17.        Même si le gouvernement provincial laissait habituellement à la NSPC le soin de gérer les activités de production et de distribution d'électricité, il n'existait que peu de questions liées à ces activités, sinon aucune, à l'égard desquelles le gouvernement provincial ne jouait pas à l'occasion un rôle actif. Il s'agissait notamment des questions suivantes :

a)          l'examen annuel du budget des dépenses en capital de la NSPC;

b)          l'établissement des tarifs de l'électricité;

c)          la gestion des relations publiques lors d'augmentation des tarifs de l'électricité;

d)          la négociation de contrats d'achat de houille;

e)          la décision de construire de nouvelles centrales;

f)           l'autorisation des modes d'emprunt;

g)          la décision d'exporter ou non de l'électricité;

h)          la décision relative au lieu de construction d'autres installations;

i)           la décision de fermer ou non un bureau;

j)           l'établissement de la politique en matière d'achats;

k)          l'établissement de la politique en matière de gel du recrutement et des salaires;

l)           l'établissement de la politique se rapportant à la retraite anticipée des employés;

m)         l'établissement de la politique en matière de recouvrement de créances des acheteurs au détail.

18.        Un document interne de la NSPC, préparé dans le cadre d'un exercice de planification stratégique et daté du 18 mars 1983, précisait que la NSPC avait un « double mandat » , le deuxième à titre d' « outil de l'intérêt public » . Le rapport reconnaissait la relation de mandataire du gouvernement et faisait des recommandations quant à la conciliation de cette relation avec la gestion efficace d'une entreprise commerciale. Le rapport auquel le document a été annexé a été approuvé par le conseil d'administration de la NSPC.

19.        La relation étroite entre la NSPC et le gouvernement provincial a donné lieu à des consultations très fréquentes entre le président du conseil d'administration de la NSPC et le premier ministre de la province. Il était souhaitable, voire même essentiel, que le président partage la même vision que le premier ministre à l'égard de la NSPC.

20.        Lorsque l'entreprise exploitée par la NSPC a été privatisée en 1992, la Couronne provinciale a participé à la passation de l'acte visant la cessation des « biens relatifs à l'électricité » de la NSPC à la NSPI, la société de l'électricité privatisée (l'appelante). La Couronne provinciale a également accepté de passer d'autres actes de cession à la demande de la NSPI.

[31]     J'accepte que ces faits démontrent qu'un degré de contrôle important aurait pu être exercé ou a effectivement été exercé par la province sur les activités de la NSPC. Cependant, le fait que les activités commerciales d'une société sont étroitement contrôlées par son seul actionnaire ne veut pas nécessairement dire que les activités commerciales et l'entreprise de cette société sont celles de son actionnaire : Odhams Press, Ltd. v. Cook, [1938] 4 All E.R. 545 (C.A.) à la p. 551 (sir Wilfrid Greene M.R.), conf. par [1940] 3 All E.R. 15 (C.L.); Denison Mines, précité.

[32]     Il existe une distinction importante entre le contrôle des activités commerciales d'une société par son actionnaire et le fait que les activités commerciales, l'entreprise et les biens d'une société appartiennent à son actionnaire.

[33]     À mon avis, les faits n'appuient pas la conclusion selon laquelle les activités commerciales, le revenu, l'entreprise et les biens de la NSPC appartenaient à la province de la Nouvelle-Écosse. Une telle conclusion nécessiterait l'assimilation de la société à la province. À mon sens, on ne peut justifier une telle conclusion en l'espèce. La Power Corporation Act traitait la NSPC comme si celle-ci détenait ses propres biens, exploitait sa propre entreprise et détenait ses propres biens indépendamment de la province. En vertu de l'article 7, elle avait, sauf indication contraire, tous les pouvoirs d'une société constituée en vertu de la loi intitulée Companies Act (Loi sur les sociétés par actions). Aux termes de l'article 8, la NSPC pouvait contracter des emprunts en son nom propre et émettre des obligations avec l'autorisation du gouverneur en conseil. Celui-ci pouvait prêter de l'argent à la société et garantir ses dettes. Cette disposition serait vide de sens si la société était un mandataire ou un préposé de la Couronne quant à ses biens et ses activités commerciales. En vertu de l'article 10, le conseil d'administration avait les pouvoirs habituels du conseil d'administration d'une société.

[34]     Ce qui précède est incompatible avec l'hypothèse selon laquelle la NSPC était mandataire de Sa Majesté à l'égard de son entreprise et de ses biens.

[35]     Toutefois, certaines dispositions sont plutôt incompatibles avec l'hypothèse selon laquelle la NSPC n'est pas mandataire de la Couronne à l'égard de son entreprise et de ses biens. Il s'agit notamment du fait que les employés sont considérés comme fonctionnaires aux fins de la loi intitulée Public Service Superannuation Act (Loi sur les pensions de retraite de la fonction publique) (article 5), les pouvoirs d'expropriation de la société prévus à l'article 9 et l'application de la loi intitulée Proceedings against the Crown Act (Loi sur les instances introduites contre la Couronne) en vertu de l'article 15. Il faut soupeser tous ces facteurs et leur accorder l'importance qu'ils méritent vu l'économie de la Power Corporation Act.

[36]     À mon avis, les facteurs énoncés dans la loi elle-même qui appuient la conclusion selon laquelle la NSPC est une société indépendante et non un mandataire de la Couronne à l'égard de son entreprise et de la propriété de ses biens l'emportent sur les facteurs qui indiquent la conclusion contraire.

[37]     Ma deuxième et dernière enquête vise à déterminer si le paragraphe 4(1) de la Power Corporation Act, lequel décrit la NSPC comme mandataire de Sa Majesté la Reine, a pour effet de faire des activités commerciales, des biens et de l'entreprise de la NSPC les activités commerciales, les biens et l'entreprise de Sa Majesté la Reine.

[38]     Dans l'arrêt B.C. Power Corp., précité, le juge en chef DesBrisay de la Colombie-Britannique a précisé ce qui suit, aux pages 28 et 29 :

[TRADUCTION]

La loi en cause ne prétend pas faire davantage que désigner Sa Majesté comme le seul actionnaire de la société appelante; elle ne confère pas à Sa Majesté les biens ou les fonds appartenant à l'appelante et ne fait pas de celle-ci un mandataire de Sa Majesté. Il n'y a aucun doute que tous les biens de la société appelante lui appartiennent et que telle était l'intention de la loi. Les fonds à verser ne sont pas des fonds publics. Ses préposés ne sont pas des fonctionnaires; il ne s'agit pas d'un ministère et ses biens ne sont pas des biens de la Couronne.

            À mon avis, les termes « mandataire de Sa Majesté la Reine » au paragraphe 6(1) ne peuvent être interprétés de manière à faire de la société appelante un mandataire de la Couronne, sauf dans les cas où elle exerce une fonction, exécute un ordre ou agit pour le compte de Sa Majesté, ou dans les cas où elle détient ou gère des fonds publics ou des biens de Sa Majesté. À mon sens, il est clair que la société n'agit pas comme mandataire de la Couronne lorsqu'elle exécute les directives de l'Assemblée législative. Voir Minister of Finance of British Columbia v. The King, [1935] 3 D.L.R. 316 aux pp. 322 et 323, [1935] S.C.R. 278 aux pp. 285 et 286, où le juge Davis, qui rendait le jugement de la Cour, a déclaré ce qui suit :

            L'énoncé classique de la distinction entre un ministre agissant comme préposé de la Couronne et un ministre agissant comme simple mandataire de l'Assemblée législative pour accomplir un acte quelconque revient à sir George Jessel, alors qu'il était avocat, dans l'affaire The Queen v. Lords Com'rs of the Treasury ((1872), L.R. 7 Q.B. 387, aux pp. 389 et 390) : -

            « Si la législature a désigné les lords du Trésor comme mandataires pour qu'ils accomplissent un acte quelconque, une ordonnance de mandamus peut être prononcée contre eux en tant que simples particuliers désignés pour accomplir cet acte; cependant, en l'espèce, l'argent se trouve entre les mains de la Couronne ou des lords du Trésor en tant que ministres de la Couronne; en aucun cas la Couronne ne peut-elle être poursuivie, ni même au moyen d'un bref de droit. Si la Cour rendait une ordonnance de mandamus, elle porterait atteinte à la distribution de fonds publics, puisque les requérants ne démontrent pas que l'argent se trouvant entre les mains des lords du Trésor doit être distribué d'une manière spécifique » .

            En l'espèce, un fonds particulier a été établi par l'Assemblée législative et créé par la mise en réserve d'une partie des droits versés par les personnes enregistrant des documents en vertu de la loi intitulée Land Registry Act (Loi sur l'enregistrement des droits immobiliers), de manière à ce qu'un fonds soit disponible pour indemniser les personnes ayant enregistré leurs documents qui se sont vus privés de leur bien-fonds ou d'un droit qui s'y rattache en raison d'une fraude commise par autrui lors de l'enregistrement de documents en vertu de la loi. Le fonds ne comprend pas des fonds publics de la Couronne; le ministre des Finances de la province a été désigné par l'Assemblée législative pour prélever sur ce fonds les indemnités destinées aux personnes ayant à tort été privées de leur bien-fonds par la suite d'enregistrements frauduleux, sur preuve par certificat du tribunal de certaines conditions prévues par la loi. À notre avis, là où une telle mesure est indiquée, une ordonnance de mandamus peut être prononcée contre le ministre pour le contraindre à prélever une indemnité sur le fonds.


[39]     Le juge Sheppard a déclaré ce qui suit, aux pages 30 et 31 :

[TRADUCTION]

            Quant aux ordonnances en matière d'interrogatoires au préalable, la Electric Company allègue qu'elle est mandataire de la Couronne et qu'elle bénéficie du droit de prérogative de la Couronne à l'immunité contre l'interrogatoire au préalable; c'est-à-dire qu'elle est devenue « préposée de la Couronne de manière à être visée par la prérogative » : Metropolitan Meat Industry Bd. v. Sheedy, [1927] A.C. 899, le vicomte Haldane à la p. 905. À cette fin, la compagnie se fonde sur le paragraphe 6(1) de la loi, lequel porte que : « La société est mandataire de Sa Majesté la Reine du chef de la province » . L'article n'énonce pas les opérations à l'égard desquelles la relation de mandataire existe ni les pouvoirs du mandataire dans le cadre de ces opérations : la société soutient qu'en vertu du paragraphe 6(1), elle a été désignée mandataire de la Couronne « à toutes fins et avec le pouvoir d'agir uniquement en tant que mandataire » .

            Une telle interprétation se heurte à certaines difficultés. Elle ajoute des mots qui n'apparaissait pas à l'article et, quoi qu'il en soit, la relation de mandataire ainsi définie ne confère pas nécessairement l'immunité au mandataire. Dans Yeats v. Central Mtge & Housing Corp., [1950] 3 D.L.R. 801 aux pp. 802 et 803, [1950] S.C.R. 513 à la p. 515, le juge Kerwin a déclaré ce qui suit :

            Alors qu'en vertu du paragraphe (1) de l'article 5 de la Loi, la société est à toutes fins mandataire de Sa Majesté et ne peut exercer qu'à ce titre les pouvoirs que lui confère la Loi, le paragraphe (2) porte que la société peut, pour le compte de Sa Majesté, conclure des contrats au nom de Sa Majesté ou en son nom propre. Puisqu'il est convenu que les contrats en cause ont été conclus au nom de la société, celle-ci peut donc, en vertu du paragraphe (4), ester en justice relativement à tout droit ainsi acquis ou toute obligation ainsi contractée.

Voir aussi Yellowknife Transportation Co. v. Reid & Moar & Crown Assets Disposal Corp. (1954), 14 W.W.R. 342, le juge Boyd McBride. Par conséquent, que la Electric Company soit ou non devenue, en vertu de la loi en cause, un mandataire jouissant de la prérogative, l'immunité doit être « établie selon l'interprétation réelle de la loi » , Quebec Liquor Com'n v. Moore, [1924] D.L.R. 901 à la p. 910, [1924] S.C.R. 540 à la p. 551, le juge Duff, c'est-à-dire selon la loi dans son ensemble et non selon le paragraphe 6(1) uniquement. Au moment d'interpréter la loi, il faut tenir compte des critères appliqués pour déterminer s'il existe ou non une relation de mandataire accordant la prérogative de la Couronne et l'immunité contre l'interrogatoire au préalable.

[40]     À la p. 35, il a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

            Pour conclure, on peut décrire la Electric Company avec précision dans les mots du lord juge Denning, tel que celui-ci s'est exprimé dans l'affaire Tamlin v. Hannaford, [1950] 1 K.B., à la p. 24 :

Les pouvoirs sont considérables; cependant, nous ne pouvons toujours pas considérer la société comme son mandataire, pas plus qu'une société est le mandataire des actionnaires ou même de l'actionnaire unique. Aux yeux de la loi, la société est son propre maître et est aussi responsable que toute autre personne ou société. Il ne s'agit pas de la Couronne, et la société ne possède aucune immunité ni aucun privilège de la Couronne. Ses préposés ne sont pas des fonctionnaires et ses biens n'appartiennent pas à la Couronne. Elle est liée par les lois du Parlement de la même façon que tout autre sujet du Roi. Évidemment, la société est une autorité publique dont les objectifs sont certes des objectifs publics; toutefois, elle n'est pas un ministère et ses pouvoirs ne relèvent pas de la compétence du gouvernement.

Il s'ensuit que la loi en cause ne fait pas de la Electric Company un mandataire de la Couronne doté du droit de prérogative de la Couronne de manière à bénéficier de l'immunité contre l'interrogatoire au préalable; par conséquent, l'appel interjeté à l'encontre des deux ordonnances en matière d'interrogatoires au préalable devrait être rejeté.

[41]     Dans l'arrêt R. c. Eldorado Nucléaire, précité, le juge Dickson a précisé ce qui suit, aux pages 565 et 566 (D.L.R. : aux pages 205 et 206) :

            La loi déclare expressément qu'Uranium Canada et Eldorado sont « mandataire[s] de Sa Majesté » . Uranium Canada doit son statut de mandataire de l'État au par. 10(4) de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique qui se lit ainsi :

            Une compagnie est, à toutes ses fins, mandataire de Sa Majesté, et elle ne peut exercer qu'à ce titre les pouvoirs dont elle est investie.

Eldorado doit son statut de mandataire à l'art. 3 de la Loi sur le fonctionnement des compagnies de l'État, S.R.C. 1970, chap. G-7, qui dispose :

            Chaque compagnie est, à toutes ses fins, mandataire de Sa Majesté, et elle ne peut exercer ses pouvoirs qu'en cette qualité.

Le fait que ces dispositions législatives font de chaque compagnie intimée un mandataire de l'État « à toutes ses fins » ne signifie pas cependant que ces compagnies agissent en qualité de mandataires de l'État dans tout ce qu'elles font.

            La loi crée des organismes comme Uranium Canada et Eldorado à des fins précises. Lorsqu'un mandataire de l'État agit conformément aux fins publiques qu'il est autorisé légalement à poursuivre, il a le droit de se prévaloir de l'immunité de l'État à l'encontre de l'application des lois parce qu'il agit pour le compte de l'État. Cependant, lorsque le mandataire outrepasse les fins de l'État, il agit personnellement et non pour le compte de l'État, et il ne peut invoquer l'immunité dont bénéficie le mandataire de l'État. Cela découle du fait que l'art. 16 de la Loi d'interprétation s'applique à l'avantage de l'État et non à l'avantage du mandataire personnellement. Seul l'État, par l'intermédiaire de ses mandataires et pour ses propres fins, ne peut être poursuivi en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

[42]     Aux pages 567 et 568 (D.L.R. : aux pages 206 et 207), il a déclaré ce qui suit :

Lorsque la Cour d'appel de l'Ontario a été saisie de la présente affaire, cette Cour n'avait pas encore rendu l'arrêt Radio-Canada de 1983. La Cour d'appel a fait la distinction avec sa propre décision dans cette affaire en disant que la Loi sur la radiodiffusion fait de la Société Radio-Canada un mandataire de l'État « pour tous les objets de la présent loi » , alors que la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique et la Loi sur le fonctionnement des compagnies de l'État font de chacune des intimées en l'espèce un mandataire de l'État « à toutes ses fins » . La Cour d'appel estimait que ces derniers mots sont plus larges que ceux qu'emploie la Loi sur la radiodiffusion et que, en vertu des dispositions législatives en question ici [TRADUCTION] « le statut de mandataire ne comporte aucune limite » .

            Avec égards, je ne suis pas d'accord. La disposition de la Loi sur la radiodiffusion qui fait de la Société Radio-Canada un mandataire de l'État emploie les mots « les objets de la présente loi » parce que c'est la Loi sur la radiodiffusion qui crée la Société et lui attribue ses objets et ses pouvoirs (par. 34(1) et art. 39). Par contre, Uranium Canada et Eldorado ne sont pas créées par la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique ou la Loi sur le fonctionnement des compagnies de l'État, mais sont dotées de la personnalité morale en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes, et tirent leurs objets et pouvoirs de cette loi et de leurs lettres patentes. Dans ces circonstances, il serait inopportun que la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique ou la Loi sur le fonctionnement des compagnies de l'État emploient l'expression « les objets de la présente loi » dans les dispositions attributives du statut de mandataire de l'État. C'est pourquoi je ne puis accepter que la différence dans la formulation ait l'importance que lui a attribuée la Cour d'appel de l'Ontario. À mon avis, toute limite que l'expression « les objets de la présente loi » peut imposer au statut de mandataire de la Société Radio-Canada est également imposée au statut de mandataire d'Uranium Canada et d'Eldorado par l'expression « ses fins » . Ainsi, l'arrêt Radio-Canada de 1983 fait ressortir la même chose qu'en l'espèce : un mandataire de l'État ne peut bénéficier de l'immunité prévue à l'art. 16 de la Loi d'interprétation que lorsqu'il agit conformément aux fins de l'État qu'il est autorisé à poursuivre.

[43]     Aux pages 573 à 575 (D.L.R. : aux pages 211 et 212), il a précisé ce qui suit :

            À l'instar d'Uranium Canada, les objets d'Eldorado lui permettent de passer des accords relatifs à la vente et à la fourniture d'uranium. Je fais cependant remarquer que, contrairement à Uranium Canada, Eldorado n'est pas tenue, en vertu de ses objets, d'agir seulement avec l'approbation du Ministre ou du gouverneur en conseil. Quels que soient les rapports de fait qui puissent exister entre Eldorado Nucléaire et le gouvernement, les dispositions qui prévoient les objets de la compagnie et les lois pertinentes lui permettent de fonctionner sans directives du gouvernement.

            L'autonomie d'Eldorado porte-t-elle atteinte de quelque façon à son droit de revendiquer l'immunité de l'État? En common law, la question de savoir si une personne est un mandataire ou un préposé de l'État dépend du degré de contrôle que l'État, par ses ministres, peut exercer sur l'exécution de ses fonctions. Plus ce contrôle est sévère, plus la personne est susceptible d'être reconnue comme mandataire de l'État. Lorsqu'une personne, physique ou morale, exerce un pouvoir discrétionnaire important non assujetti au contrôle ministériel, la common law lui refuse le statut de mandataire de l'État. Il ne s'agit pas de savoir à quel point la personne est autonome en fait, mais de savoir quelle mesure d'autonomie elle peut revendiquer en raison des conditions de sa nomination et de la nature de ses fonctions : Bank voor Handel en Scheepvaart N.V. v. Administrator of Hungarian Property, [1954] A.C. 584, aux pp. 616 et 617; voir également l'ouvrage de Hogg, Liability of the Crown, 1971, à la p. 207. Bien qu'Uranium Canada pourrait facilement satisfaire au critère de mandataire de l'État de la common law, puisque ses actes doivent être approuvés par le gouverneur en conseil, il m'apparaît évident que la common law ne reconnaîtrait pas à Eldorado le statut de mandataire de l'État puisqu'elle ne répond pas au critère du contrôle de droit. Cependant, je ne crois pas que cela prive Eldorado du droit à l'immunité de l'État lorsqu'elle agit conformément à ses fins.

            La common law ne dit pas que les personnes assujetties au contrôle de droit ont droit à l'immunité de l'État, mais plutôt que l'immunité s'applique aux personnes qui agissent pour le compte de l'État. Dans l'arrêt Metropolitan Meat Industry Board v. Sheedy, [1927] A.C. 899, le Conseil privé a conclu que le conseil en question n'était pas un mandataire de l'État parce que [TRADUCTION] « il n'y a rien dans la Loi qui fasse une distinction entre les mesures administratives prises par eux et les siennes [celles du Ministre] » (p. 905). L'affaire Sheedy ne portait pas sur l'immunité de l'État; il s'agissait plutôt de savoir si le privilège de l'État pouvait être invoqué dans le cas d'une liquidation. Néanmoins, il ressort de cet arrêt que le critère du contrôle de droit s'applique uniquement en l'absence de termes précis qui indiquent que l'organisme agit pour le compte de l'État ou en sa qualité de mandataire de l'État. Voir également l'arrêt Tamlin v. Hannaford, [1950] 1 K.B. 18 (C.A.). On peut facilement faire la distinction avec l'arrêt British Columbia Power Corp. v. Attorney-General of British Columbia (1962) 34 D.L.R. (2d) 25. Dans cet arrêt, on a décidé que la désignation de mandataire de l'État contenue dans la loi en question n'était pas concluante parce que cette loi ne précisait pas [TRADUCTION] « à toutes ses fins » . La cour à la majorité a conclu que la loi en question ne faisait de la société d'énergie un mandataire qu'à certaines fins qui ne comprenaient pas la question en litige dans cet appel.

[44]     À la page 575 (D.L.R. : à la page 213), il a précisé ce qui suit :

On a conclu que la désignation de « mandataire à toutes ses fins » était déterminante; il n'y a pas eu d'enquête quant à l'autonomie réelle de Polymer. À mon avis, cet arrêt établit clairement que, lorsqu'une loi fait mention de l'État et qu'un organisme précis est déclaré expressément mandataire de l'État à toutes fins que ce soit, la loi s'applique également au mandataire. Cela s'applique à l'interprétation de l'art. 16 de la Loi d'interprétation.

[45]     Certaines affaires précitées traitent de la question de savoir si le fait qu'une société soit décrite comme étant mandataire de Sa Majesté lui conférait tous les attributs associés à la Couronne, tels que l'immunité contre l'interrogatoire au préalable. Cependant, la question s'est également présentée dans d'autres contextes. Par exemple, dans l'affaire Metropolitan Meat Industry Board, précitée, la question à trancher était celle de savoir si une dette envers la Metropolitan Meat Industry Board était une dette envers la Couronne, de sorte que le conseil pouvait revendiquer un droit de priorité par rapport aux autres créanciers chirographaires. L'affaire a été citée et approuvée par le juge Sheppard et le juge Dickson. Le vicomte Haldane, s'exprimant au nom du Comité judiciaire, a mentionné l'arrêt Coomber v. Justices of Berks. (1883), 9 App. Cas. 61, dans lequel le principe de l'immunité du souverain et des préposés de la Couronne agissant à son service a une fois de plus été énoncé. Le passage suivant du jugement de lord Haldane, aux pages 904 à 906, illustre la distinction dont il faut tenir compte en l'espèce.

[TRADUCTION]

            Comme l'exemption était donc attribuée à la nature de la prérogative, il est évident qu'il fallait examiner soigneusement chaque affaire afin de déterminer si elle était réellement visée par le principe ainsi énoncé. Dans Fox v. Government of Newfoundland, [1898] A.C. 667, une telle question a été portée devant le Comité judiciaire. Il a été statué que les soldes inscrits dans les registres d'une banque et portés au crédit des divers conseils scolaires locaux dans la colonie n'étaient pas des dettes qui bénéficiaient de la priorité accordée à des dettes dues à la Couronne ou au gouvernement à titre de revenus de la colonie. Il en était ainsi parce que les divers conseils scolaires n'étaient pas de simples mandataires du gouvernement à l'égard de la distribution des sommes qui leur avaient été confiées, mais devaient plutôt exercer, sous réserve que ce soit à des fins d'éducation générale, un pouvoir discrétionnaire illimité quant à l'usage fait de ces sommes. En d'autres mots, ils n'étaient pas considérés comme étant exclusivement au service du souverain au sens du principe, mais plutôt comme étant à leur propre service. L'affaire Gilbert v. Trinity House, (1886) 17 Q.B.D. 795, illustre davantage cet aspect de la question.

            Dans la loi sur laquelle nous nous penchons, nous estimons qu'il n'est pas sans conséquence de souligner qu'aux termes de l'ancienne loi de 1902, les autorités locales investies des pouvoirs révisés par la loi de 1915 n'étaient certainement pas des préposés de la Couronne en vertu des lois qui existaient à l'époque. Nous souscrivons au point de vue du savant juge du tribunal d'instance inférieure selon lequel le conseil appelant constitué par la loi de 1915 n'est également pas un préposé de la Couronne de manière à être visé par la prérogative. Il s'agit d'un organisme doté de ses propres pouvoirs discrétionnaires. Même si un ministre de la Couronne a le pouvoir de s'immiscer dans ses affaires, la loi ne prévoit rien qui puisse rendre les actes administratifs ceux du ministre plutôt que ceux du conseil. Le fait que celui-ci ait été constitué en personne morale est sans importance. Il est également vrai que le gouverneur nomme les membres du conseil et peut mettre un veto à certaines de ses mesures. Cependant, de telles dispositions, même prises globalement, ne l'emportent pas sur le fait que la loi de 1915 confère au conseil appelant des pouvoirs étendus qu'il peut exercer à sa propre discrétion et sans consulter les représentants directs de la Couronne, notamment pour acquérir un bien-fonds, construire des abattoirs et des installations, vendre du bétail et de la viande, soit pour son propre compte soit pour le compte d'autrui, et louer ses biens. De plus, le conseil ne verse pas ses rentrées de fonds dans les recettes générales de l'État et les frais qu'il perçoit sont déposés dans son propre fonds. Vu ces circonstances, nous sommes d'avis qu'il ne faut pas conclure que le
conseil appelant agit principalement, voire du tout, comme préposé de la Couronne et au service de celle-ci.

(Je souligne.)

[46]     Le même principe a été énoncé dans Fox v. Government of Newfoundland, [1898] A.C. 667.

[47]     D'après les principes énoncés dans ces affaires, je conclus que les termes « mandataire de Sa Majesté la Reine » ne font pas de la NSPC un mandataire à toutes fins ni un mandataire de Sa Majesté la Reine de sorte qu'elle détienne ses revenus, son entreprise et ses biens pour le compte de Sa Majesté la Reine. Il importe de souligner que, même dans les affaires où la description utilisée est celle de « mandataire à toutes fins » , l'assimilation de la société à la Couronne n'est pas complète.

[48]     Les distinctions établies dans certaines affaires susmentionnées ont tendance à être plutôt subtiles. On y retrouve des expressions telles que « mandataire de Sa Majesté » , « mandataire de Sa Majesté à toutes fins » , « mandataire de Sa Majesté à toutes fins de la loi » et « mandataire de Sa Majesté à toutes ses fins » . En général, les tribunaux ont fait correspondre à l'expression « mandataire de Sa Majesté » une relation de mandataire plus restreinte que celle visée par les expressions plus longues. Il en ressort cependant que les tribunaux se sont montrés réticents à conférer aux sociétés et conseils détenus ou contrôlés par la Couronne les privilèges et immunités dont jouit la Couronne au seul motif que ces entités sont désignées comme mandataires de Sa Majesté la Reine.

[49]     Dans le recueil de jurisprudence de Me Mitchell, celui-ci a reproduit certaines lois de la Nouvelle-Écosse dans lesquelles il était précisé que les biens et entreprises des entités créées par la Couronne provinciale étaient détenus pour le compte de la Couronne. Il s'agit des dispositions suivantes :

Legal Aid Act(Loi sur l'aide juridique), R.S.N.S. 1989, c. 252, art. 13

            [TRADUCTION]

            13         Les biens meubles et immeubles acquis, détenus ou reçus par la Commission et les profits tirés de ces biens appartiennent à Sa Majesté du chef de la province.

Liquor Control Act(Loi sur les alcools), R.S.N.S. 1989, c. 260, art. 18

            [TRADUCTION]

            18         Les biens meubles et immeubles et les montants acquis, administrés, détenus ou reçus par la Commission et les profits tirés de l'application de la présente loi appartiennent à Sa Majesté du chef de la province; les dépenses, les dettes et les obligations engagées par la Commission relativement à l'application de la présente loi sont acquittées par la Commission à même les sommes obtenues par la Commission en vertu de la présente Loi.

Nova Scotia Hospital Act(Loi sur les hôpitaux de la Nouvelle-Écosse), R.S.N.S. 1989, c. 313, art. 4

            [TRADUCTION]

            4           L'hôpital et lesbiens meubles et immeubles détenus relativement à l'hôpital sont dévolus à Sa Majesté du chef de la province.

Research Foundation Corporation Act(Loi sur la Société de la Fondation de recherches), R.S.N.S. 1989, c. 400, art. 4 et 21

            [TRADUCTION]

            4           La Fondation de recherches de la Nouvelle-Écosse, constituée en pressure morale par le chapitre 270 des Lois révisées de 1967, est maintenue comme personne morale et mandataire de Sa Majesté du chef de la province sous le nom de Société de la Fondation de recherches de la Nouvelle-Écosse.

            21         Les biens meubles et immeubles acquis, détenus ou reçus par la Fondation et les profits tirés de ceux-ci appartiennent à Sa Majesté du chef de la province.


Schooner Bluenose Foundation Act (Loi sur la Fondation du schooner Bluenose), R.S.N.S. 1989, c. 414, art. 16

            [TRADUCTION]

            16         Les biens meubles et immeubles acquis, détenus ou reçus par la Fondation et les profits tirés de l'administration de ses affaires appartiennent à Sa Majesté du chef de la province.

Gaming Control Act(Loi sur les jeux de hasard), Acts of 1994-95, c. 4, art. 9

            [TRADUCTION]

            9           La Société est, pour l'application de la présente loi, mandataire de Sa Majesté du chef de la province et elle ne peut exercer qu'à ce titre les pouvoirs dont elle est investie.

            41         La Régie est, pour l'application de la présente loi, mandataire de Sa Majesté du chef de la province, et elle ne peut exercer qu'à ce titre les pouvoirs dont elle est investie.

[50]     Il ressort des exemples précités que, lorsque l'Assemblée législative voulait créer des organismes qui réalisaient leurs objets et détenaient leurs biens en tant que mandataires de Sa Majesté dans la mesure alléguée par l'intimée en l'espèce, elle était capable de s'exprimer à cette fin. Il serait quelque peu ambitieux de conclure qu'une société est assimilée à la Couronne de sorte que son identité distincte s'est fondue dans celle de la Couronne et qu'elle est devenue l'alter ego de la Couronne provinciale lorsqu'elle exploite l'entreprise à l'égard de laquelle elle a été créée. Une société d'État a notamment pour but de réaliser ses objets indépendamment du gouvernement. Pour conclure que la société est l'alter ego de la Couronne en ce qui concerne son entreprise et ses biens, il faudrait une preuve incontestable de l'assimilation de facto de la société, ou de son entreprise et ses biens, à la Couronne du chef de la Nouvelle-Écosse, ainsi qu'un fondement juridique clair soutenant une assimilation de jure à la Couronne, par exemple sous forme de dispositions légales particulières semblables à celles précitées. À mon avis, il n'existe ni l'un ni l'autre des éléments requis.

[51]     J'ai conclu que la NSPC, avant la vente de ses éléments d'actif en 1992, n'exploitait pas son entreprise comme mandataire de Sa Majesté la Reine et n'était pas mandataire de Sa Majesté la Reine à l'égard des biens utilisés dans son entreprise.

[52]     J'aimerais apporter un dernier commentaire, non pas au sujet du fond mais en ce qui a trait à la procédure. La question a été portée devant la Cour dans le cadre d'un renvoi en vertu de l'article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'article 173 permet au ministre et à un contribuable de faire trancher par la Cour une question de droit, de fait ou de droit et de fait sur laquelle ils se sont entendus. La « Cour se prononce » sur la question à trancher. Si l'on ne s'en tient qu'au libellé de cette disposition, la Cour n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de se prononcer sur la question. Néanmoins, malgré l'emploi du terme impératif « shall » dans le texte anglais de la loi, je crois que la Cour aurait le pouvoir de refuser de trancher la question dans des circonstances appropriées, par exemple si la question était ambiguë ou fondée sur un principe erroné ou impossible du point de vue juridique, ou si les faits établis ou admis étaient insuffisants pour que la question puisse être tranchée. Toutefois, le pouvoir de la Cour en vertu de cet article pourrait être un peu plus restreint qu'en vertu de l'article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), en vertu duquel la Cour peut refuser de trancher une question si elle estime que celle-ci ne peut être tranchée convenablement à titre de question préliminaire. (Voir, par exemple, Spencer c. La Reine, 7 août, 2001-811(IT)G; 2001 CarswellNat. 1955).

[53]     L'article 173 est rarement utilisé. À ma connaissance, il n'a été invoqué que dans trois autres affaires : M.R.N. c. Jay Kay Publications Ltd., [1972] C.F. 1025, 72 D.T.C. 6381, inf. par [1972] C.F. 1045, 72 D.T.C. 6453; Canada c. O'Neill Motors Ltd., C.C.I., no 94-820(IT)G, 9 novembre 1995, 96 D.T.C. 1486, conf. par [1998] 4 C.F. 180, 98 D.T.C. 6424; et Canada c. Chevron Canada Resources Ltd., C.C.I., no 92-862(IT)G, 4 mars 1997, 97 D.T.C. 1173, inf. par [1999] 1 C.F. 349, 98 D.T.C. 6570.

[54]     Si j'avais été saisi de la question dans le cadre d'un appel ordinaire à l'encontre d'une cotisation, je ne me serais pas senti astreint à accepter la question formulée par les parties. La Cour a tant le pouvoir que le devoir de formuler les questions en litige (L.I.U.N.A. Local 527 Members' Training Trust Fund c. Le ministre du Revenu national, C.C.I., no 91-1111(IT), 31 juillet 1992, [1992] 2 C.T.C. 2410).

[55]     Mes motifs démontreront que j'ai trouvé les questions formulées par les parties plus restrictives que je ne l'aurais voulu. J'aurais préféré être saisi de l'affaire dans le cadre d'un appel ordinaire en vertu duquel l'appelante aurait contesté le refus du ministre d'accorder une déduction pour amortissement à l'égard de l'intérêt accumulé. Dans une telle affaire comprenant diverses questions complexes, je me serais senti plus libre de définir les questions comme elles me seraient apparues. L'article 173 a pour objet de permettre au ministre et à un contribuable de porter à tout moment devant le tribunal, que ce soit avant ou après qu'une cotisation ait été établie, à l'étape de l'opposition, ou après qu'un appel ait été interjeté, une question dont le règlement pourrait permettre de trancher essentiellement une question en litige. À ce titre, il exerce une fonction extrêmement utile dans les cas appropriés afin de réduire la durée des instances ou d'éviter de longues procédures d'appel, et je ne voudrais donc pas en décourager le recours. Je crains cependant que les réponses que j'ai données en l'espèce laissent quelques questions non réglées. Néanmoins, dans les limites que la forme de la question m'a imposées, je me suis efforcé de répondre aux questions dans la mesure du possible.

[56]     J'aimerais conclure en remerciant tous les avocats pour la rigueur et l'excellence de leurs présentations.

[57]     Il faut répondre par « non » à la partie de chaque question énoncée dans l'exposé de cause qui précède les mots « de sorte que [...] » .

[58]     Si les parties désirent présenter des observations quant aux dépens, elles devraient communiquer avec la Cour.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de janvier 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de mars 2003.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           Les expressions « préposé de la Couronne » (ou de Sa Majesté) ou « mandataire de la Couronne » (ou de Sa Majesté) semblent être employées d'une façon plus ou moins interchangeable. L'expression « création de la Couronne » a été employée dans certaines affaires plus anciennes, mais est désormais en défaveur, ayant été fortement critiquée par le Comité judiciaire du Conseil privé dans International Railway Co. v. Niagara Parks Commission, [1941] 2 All E.R. 456.

[2]           Anciennement les sociétés visées à l'annexe D de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[3]            Canadian Pacific Railway Co. v. The King, [1931] A.C. 414, à la p. 429. Cf. Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd. (1946), [1947] 1 K.B. 130.

[4]            Halsbury's Laws of England, 4e éd., vol. 16, page 840, paragraphe 951.

[5]            Moorgate Mercantile Co. Ltd. v. Twitchings, [1976] 1 B.R. 225, à la p. 241.

[6]            Robertson v. Minister of Pensions, [1949] 1 K.B. 227; The Queen v. Langille, [1977] C.T.C. 144, 77 D.T.C. 5086. Les cas antérieurs ont été examinés à fond par le juge Cameron dans Woon v. M.N.R., [1950] C.T.C. 263, 50 D.T.C. 871.

[7]            Maritime Electric Co. v. General Dairies Ltd., [1937] A.C. 610; M.R.N. c. Inland Industries Ltd., [1972] C.T.C. 27, 72 D.T.C. 6013 (C.S.C.); Stickel c. M.R.N., [1972] C.T.C. 210, 72 D.T.C. 6178 (C.F. 1re inst.); [1973] C.T.C. 202, 73 D.T.C. 5178 (C.A.F.); [1974] C.T.C. 416, 74 D.T.C. 6268 (C.S.C.); Granger c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1986] 3 C.F. 70, 29 D.L.R. (4th) 501; [1986] 1 R.C.S. 141, 91 N.R. 63.

[8]            C.(G.) c. V.-F.(T.), [1987] 2 R.C.S. 244, 9 R.F.L. (3d) 263, aux pages 257 et 258 (R.C.S.); Custom Glass Ltd. v. M.N.R., [1967] C.T.C. 289, 67 D.T.C. 5207 (C. de l'É.), à la page 294 (D.T.C. 5210); L.I.U.N.A. Local 527 Members' Training Trust Fund v. Canada, [1992] 2 C.T.C. 2410, 92 D.T.C. 2365 (C.C.I.), à la page 2415 (D.T.C. 2369).

[9]            Je laisse entièrement de côté la question des décisions anticipées, qui représentent une partie importante et nécessaire de l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le ministère du Revenu national considère qu'il est lié par ces décisions. Autant que je sache, aucune décision anticipée qui avait été communiquée à un contribuable et sur laquelle ce dernier s'était fondé n'a jamais été répudiée par le ministre, à l'encontre du contribuable à qui la décision avait été communiquée. Le système s'effondrerait si le ministre agissait de la sorte.

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