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2000-3978(IT)I

ENTRE :

GHISLAINE A. CÔTÉ,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 26 juillet 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Avocat de l'appelante :                        Me Robert Vaillancourt

Représentant de l'intimée :                   Philippe Dupuis (stagiaire en droit)

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenue pour l'année d'imposition 1999 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.


Date: 20010921

Dossier: 2000-3978(IT)I

ENTRE :

GHISLAINE A. CÔTÉ,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rip

[1]      L'appelante en appelle de la cotisation du ministre du Revenu national ( « Ministre » ) pour l'année d'imposition 1999. La question en litige consiste à déterminer si le Ministre a correctement calculé pour l'année d'imposition 1999, un impôt payable conformément à l'article 180.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu ( « Loi » ).

[2]      Les faits ne sont pas en question. Madame Côté a été employée par son ancien employeur depuis 1976. L'appelante a été mise en arrêt de travail le 28 avril 1995 suite à des troubles médicaux. Elle a subi plusieurs interventions médicales. Le 25 juin 1997 un de ses médecins lui remet un certificat de retour au travail pour le 26 juin 1997.

[3]      Avant le retour au travail de l'appelante, son ancien employeur a requis qu'elle se soumette aux examens de deux médecins retenus par l'employeur et ces médecins ont conclu que madame Côté n'était pas apte à retourner au travail. L'appelante a déposé un grief devant son syndicat et une demande qu'elle soit réintégrée au travail. Après un arbitrage médical, l'ancien employeur a réintégré l'appelante dans son poste avec tous ses droits et privilèges, rétroactivement au 4 juillet 1997.

[4]      Après avoir travaillé pendant environ un mois, l'appelante en est venue à une entente avec son employeur à l'effet qu'elle démissionnerait et que l'employeur lui payerait un montant forfaitaire de 63 201,21 $. Ce montant était reçu à titre de rémunération de son emploi dans l'année 1999. Du montant de 63 201,21 $, 17 785,32 $ se rapportent à l'année 1997 et 39 043,37 $ sont relatifs à l'année 1998.

[5]      Dans sa déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1999, l'appelante a inclus comme revenu net avant rajustement le montant de 99 741,86 $. (Son « revenu total » était de 106 937,01 $.) Ce dernier montant inclus tout les montants fournis par son ancien employeur. Elle a inclus le montant qu'elle a reçu comme pension de sécurité de la vieillesse, c'est-à-dire la somme de 4 959,51 $, dans le calcul de son revenu total mais elle a déduit comme remboursement des prestations de programmes sociaux, le montant de 4 959,51 $ de son revenu net avant rajustement (99 741,86 $) pour déterminer son revenu net pour l'année 1999.

[6]      En cotisant l'appelante pour l'année d'imposition 1999, le Ministre a calculé un impôt de « récupération » des prestations de la sécurité de la vieillesse étant donné que le revenu net avant rajustement dépasse la somme de 53 215 $, conformément à l'article 180.2 de la Loi. Le procureur de l'appelante explique dans l'avis d'appel que « le revenu de 1999 n'est pas, en réalité, 106 937,00 $ mais 50 108,82 $ après déduction de la somme de 56 228 $ (représentent l'étalement de salaire en 1997 de 17 785,52 $ et l'étalement de salaire en 1998 de 39 043,37 $).[1] La somme de 50 108,82 $ est inférieure au plafond de 53 215 $ pour l'année d'imposition 1999".

[7]      Dans son avis d'appel l'appelante dit que l'action de la part des fonctionnaires de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « ADRC » ) est « injuste, inéquitable et faite sans droit » . Son procureur ne s'appuie sur aucune décision jurisprudentielle. Il se fonde surtout sur les règles générales d'interprétation de la Loi comme elles sont énoncées dans l'ouvrage du professeur P.-A. Côté.[2] En se basant sur les arrêts récents de la Cour suprême du Canada, cet auteur résume la doctrine contemporaine d'interprétation des lois fiscales de la manière suivante :

           Dans l'affaire Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [ [1994] 3 R.C.S. 3 ] le juge Gonthier, au nom de la Cour, a énoncé les principes qui devraient gouverner aujourd'hui l'interprétation de la législation fiscale. Ces principes se ramènent à trois propositions : 1) « [l]'interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d'interprétation » ; 2) le choix entre le sens large et le sens étroit des textes doit être guidé non par des présomptions favorables au fisc ou au contribuable, mais par référence au but qui sous-tend la disposition à interpréter; 3) « [s]eul un doute raisonnable et non dissipé par le recours aux règles ordinaires d'interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable » .

[8]      Pour chacune de ces trois propositions, le procureur de l'appelante nous réfère aux extraits suivants aux pages 623-26 :

[...] Il me paraît néanmoins possible de dégager de la jurisprudence actuelle de la Cour suprême deux principes. Premièrement, le fait que le sens littéral soit clair, c'est-à-dire exempt d'ambiguïtés ou d'imprécisions, ne constitue pas un motif valable d'ignorer les objectifs de la disposition : ceux-ci doivent toujours être envisagés, à titre d'éléments contextuels. Deuxièmement, dans l'établissement du sens de la règle fiscale, les arguments tirés des objectifs d'une disposition pourront jouir d'un poids déterminant lorsque le sens littéral est obscur; par contre, leur poids pourra être sensiblement réduit en présence d'un texte dont le sens littéral, analysé à la lumière du contexte, paraît clair (plain).

[...]

[...] Si l'on doit choisir entre le sens étroit et le sens large d'une disposition fiscale, on ne doit pas se demander lequel des sens favorise le fisc ou le contribuable, mais plutôt lequel assure le mieux la réalisation des objectifs de la disposition.

[...]

[...] L'interprétation d'une disposition d'exemption ou de déduction doit être faite en cherchant à lui donner son plein sens, en accord avec les objectifs recherchés par le législateur. Si cette recherche du sens au moyen des principes usuels d'interprétation laisse subsister un doute sérieux, la disposition d'exemption ou de déduction, tout comme la disposition d'imposition, sera interprétée en faveur du contribuable.

[9]      En se basant principalement sur les extraits reproduits ci-dessus, le procureur de l'appelante conclut, sans, en fait, interpréter les articles 110.2 et 180.2 de la Loi, qu'il serait inéquitable de faire payer à l'appelante l'impôt en question.

[10]     L'interprétation de l'article 180.2 était considéré par le juge Marceau de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Swantje v. La Reine.[3] Monsieur Swantje était le bénéficiaire d'une pension d'origine allemande qui était exonérée de l'impôt en vertu de l'Accord Canada-Allemagne de 1981 en matière d'impôt. La pension a été incluse dans le revenu de l'intimé en vertu des alinéas 56(1)a) et 81(1)a) de la Loi, mais en été déduite conformément à l'alinéa 110(1)f) de la Loi lors du calcul du revenu imposable. L'exemption prévue par le traité, par conséquent a été respectée. La pension canadienne était cependant assujettie aux termes de l'article 180.2 de la Loi.[4]

[11]     Il serait opportun d'analyser les articles pertinents de la manière suggérée par le professeur Côté. En fait, la propre interprétation de l'article 180.2 était considérée par le juge Marceau, dans la décision de la Cour d'appel fédérale Swantje au paragraphe 9 :

La méthode qu'il convient d'utiliser doit être fonctionnelle, et le système doit être considéré dans son ensemble, en tenant compte de l'intention du législateur, ainsi que de l'objet et de l'esprit de la loi et de son effet réel (voir l'arrêt Stubart Investments Limited c. La Reine, 84 DTC 6305 (C.S.C.)).[5]

[12]     Quel est le sens littéral de l'expression « le montant qui représenterait le revenu du contribuable en vertu de la partie I » dans son contexte?

[13]     La définition de l'expression « revenu modifié » fait référence au « montant qui représenterait le revenu [...] en vertu de la partie I » et non pas au « revenu imposable » du particulier. Il y a une distinction importante entre « le revenu imposable » et « le revenu modifié » . La juge Lamarre Proulx observe dans Poulin c. M.R.N.,[6] que « revenu » et « revenu imposable » sont des notions différentes et sont régies par des dispositions législatives spécifiques. Cependant, la section B selon laquelle se calcule le « revenu » du contribuable et la section C selon laquelle se calcule son « revenu imposable » se trouvent, toutes les deux, dans la partie I de la Loi. Il s'agit de savoir si la référence au « montant qui représenterait le revenu du contribuable en vertu de la partie I » , dans la définition de « revenu modifié » , est une légère imprécision du législateur ou si c'est une référence précise au « revenu » tel que déterminé à la section B de la partie I de la Loi. Il est clair que c'est cette deuxième affirmation qui est correcte en droit.

[14]     Quel est l'objectif des articles 110.2 et 180.2 de la Loi? A propos de l'objectif de l'article 180.2 de la Loi, le juge Marceau écrit dans la décision Swantje, précitée, comme suit au paragraphe 9 :

[...] l'effet combiné de la partie I.2 de la Loi et de l'alinéa 60w) de la Loi est de forcer les contribuables qui en ont moins besoin, parce qu'ils ont un revenu plus élevé, à restituer les prestations sociales qu'ils ont reçues. [je souligne]

[15]     Normalement, le revenu de madame Côté était peu élevé. Le versement du montant forfaitaire par son employeur en 1999, qui compensait pour un revenu très faible en 1997 et 1998, avait comme effet de créer une anomalie dans l'influx du revenu de l'appelante. Ainsi, pourrait-on prétendre qu'il serait contraire à l'objet de la législation d'appliquer l'article 180.2 à madame Côté. De plus, l'objectif de l'article 110.2 est, notamment, d'éliminer des anomalies dans l'influx de revenu d'un contribuable et d'étaler un montant forfaitaire sur les années auxquelles cette somme se rattache. Cependant, l'objectif de l'article 180.2 est d'établir un plafond aux montants des prestations sociales dont l'appelante puisse bénéficier pour une année d'imposition. Considérant que la pension de la vieillesse est surtout fondée sur la nécessité, la formule prévue à la partie I.2 se base sur le montant effectivement reçu par madame Côté en 1999, et non pas sur le montant notionnel qui inclus la déduction prévue à l'article 110.2.     

[16]     Est-ce que la présomption résiduelle en faveur du contribuable s'applique en l'espèce? En considérant la présomption résiduelle en faveur du contribuable, le professeur Côté écrit comme suit aux pages 627-28 :

Le doute dont le contribuable peut bénéficier doit être « raisonnable » : la loi fiscale doit être « raisonnablement claire » . Ne serait pas raisonnable un doute que l'interprète n'a pas essayé de dissiper grâce aux règles ordinaires d'interprétation : le premier devoir de l'interprète est de rechercher le sens et ce n'est qu'à défaut de pouvoir arriver à un résultat raisonnablement certain que l'on peut choisir de retenir celui, de plusieurs sens possibles, qui favorise le contribuable. La présomption de l'interprétation favorable au contribuable se présente donc aujourd'hui comme une présomption simple, à caractère subsidiaire.

[17]     Le procureur de l'appelante n'a pas essayé de dissiper, grâce aux règles ordinaires d'interprétation, le doute, si un tel existe, sur l'interprétation de la définition de « revenu modifié » . Ainsi, il est peu probable que la présomption résiduelle en faveur du contribuable soit applicable en l'espèce.

[18]     Je dois conclure que l'expression « le montant qui représenterait le revenu du contribuable en vertu de la partie I » à l'article 180.2 se réfère a « revenu » tel que déterminé par la section B de la partie I de la Loi. La déduction prévue à l'article 110.2 ne devrait pas être prise en considération en calculant son « revenu modifié » . L'article 110.2 parle de « revenu imposable » . L'appel est donc rejeté et madame Côté devra payer un impôt totalisant la somme de 4 959,51 $ conformément à l'article 180.2 de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de septembre 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :       2000-3978(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Ghislaine A. Côté c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 26 juillet 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge Gerald J. Rip

DATE DU JUGEMENT :                    le 21 septembre 2001

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :                    Me Robert Vaillancourt

Pour l'intimé(e) :                        Philippe Dupuis (stagiaire en droit)

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                   Nom :           Me Robert Vaillancourt

                   Étude :                   3381 Jean-Brillant, Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :                        Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada



[1]           L'article 110.2 permet un particulier de déduire un montant « dans le calcul du revenu imposable » pour une année d'imposition.

[2]           Interprétation des lois, 3e ed, Montréal, Thémis, 1999 à la page 620.

[3]           94 DTC 6633.

[4]           A été modifié, mais les principes généraux existent encore.

[5]           [1994] 2 C.T.C. 382 conf. par [1996] 1 R.C.S. 73 (C.A.F.).

[6]           [1998] 3 C.T.C. 2820.

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