Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-186(IT)I

ENTRE :

BRAD CORCORAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 8 octobre 1997, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Avocat de l'appelant :                 Me Paul Bleiwas

Avocate de l'intimée :                 Me Annette Evans

JUGEMENT

          Les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992 et 1993 sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire les montants de 10 560 $ pour l'année 1992 et de 12 737 $ pour l'année 1993 à titre de pertes d'entreprise.

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est rejeté.

          L'appelant n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada,

ce 20e jour d'octobre 1997.

           « D. Hamlyn »            

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2003.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date: 19971216

Dossier: 97-186(IT)I

ENTRE :

BRAD CORCORAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l'audience

à Toronto (Ontario), le 8 octobre 1997.)

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]      La présente affaire concerne Brad Corcoran et Sa Majesté la Reine, et les appels portent sur les années d'imposition 1992, 1993 et 1994.

[2]      Dans le calcul de son revenu des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant a déduit les montants de 10 560 $, 12 737 $ et 5 961,29 $ respectivement à titre de pertes d'entreprise.

[3]      Dans la nouvelle cotisation établie à l'égard de l'appelant pour les années d'imposition1992, 1993 et 1994, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé la déduction des pertes d'entreprise.

[4]      Dans cette nouvelle cotisation, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes : durant les périodes pertinentes des années d'imposition 1992, 1993 et 1994, l'appelant travaillait à temps plein pour Annan Bird Litographers Ltd., mais les pertes d'entreprise dont la déduction a été refusée se rapportaient à une présumée entreprise de course automobile. De plus, pour la période du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1994, l'appelant a déclaré un revenu brut tiré d'une présumée entreprise de course automobile ainsi que des dépenses et des pertes dont le détail est fourni dans un document annexé à la réponse. Cette annexe est incorporée aux présents motifs, mais je n'entends pas la reproduire.

[5]      En outre, le ministre a tenu pour acquis que l'appelant avait effectué ou engagé les dépenses dont il a réclamé la déduction non pas en vue de tirer un revenu, mais dans le cadre d'une activité de loisir. Les dépenses en cause étaient des frais personnels ou des frais de subsistance. En dernier lieu, l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de tirer un profit de la présumée entreprise au cours des années d'imposition 1992, 1993 et 1994.

QUESTION EN LITIGE

[6]      La Cour doit déterminer si l'appelant a le droit de déduire les dépenses dont il a réclamé la déduction relativement à la présumée entreprise dans les années d'imposition1992, 1993 et 1994.

EXPOSÉ DES FAITS

[7]      Dans les documents relatifs à l'appel que l'appelant a fait parvenir à la Cour et dont il a essentiellement confirmé le contenu aujourd'hui à l'audience, il est précisé notamment ce qui suit :

          [TRADUCTION]

1.          L'appelant est résident canadien et il habite 49, 35e Rue, Etobicoke (Ontario), M8W 3K3.

2.          L'appelant est coureur automobile professionnel et il participe à des courses professionnelles en Ontario, plus particulièrement à la piste de course Mosport International Speedway. Il est l'unique propriétaire et pilote de la voiture de course.

3.          L'appelant tire une partie de ses revenus comme coureur automobile professionnel de la publicité, c.-à-d. qu'il appose sur sa voiture de course les logos et les marques de commerce de certaines entreprises (les « commanditaires » ) qui lui versent en retour des honoraires de publicité. À l'heure actuelle, le principal commanditaire de l'appelant est Slick 50, une société qui vend des produits pour les moteurs.

4.          L'appelant reçoit également des prix en argent lorsqu'il se classe parmi les meilleurs dans les courses professionnelles.

[8]      Il est en outre précisé ce qui suit dans le document relatif à l'appel (et l'appelant a confirmé les faits à l'audience) :

[TRADUCTION]

5.          Pendant toutes les périodes pertinentes, l'appelant s'attendait à voir augmenter le revenu net qu'il tirait de la course professionnelle avec l'expérience.

6.          Plus particulièrement, l'appelant s'attendait à tirer davantage de revenus de la publicité et des commandites à mesure qu'il s'améliorerait comme coureur automobile.

[9]      La thèse fondamentale de l'appelant est également exposée dans le document relatif à l'appel. Il soutient qu'il a engagé les dépenses se rapportant à l'entreprise de course automobile professionnelle à seule fin de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. L'appelant affirme que, pendant toutes les périodes pertinentes, il avait une attente raisonnable de tirer un profit de l'entreprise de course automobile professionnelle et que, en fait, il a réalisé un profit dans l'année d'imposition 1995.

JURISPRUDENCE

[10]     La Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) ne définit pas le terme « entreprise » ; elle indique seulement que le terme « entreprise » vise notamment les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit. Règle générale, le terme « entreprise » désigne une activité industrielle, commerciale ou financière quelconque. Pour qu'une entreprise puisse exister, il faut qu'elle soit exploitée. Le terme « entreprise » suppose la présence d'une activité commerciale quelconque. Le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien dans une année d'imposition correspond au profit réalisé dans l'année en cause.

[11]     Par « bénéfice » , on entend le bénéfice net, soit les recettes moins les dépenses engagées en vue de tirer un revenu. Pour que des dépenses puissent être déduites, il faut qu'elles soient raisonnables, qu'elles ne soient pas factices, qu'elles ne représentent pas des frais personnels, qu'elles aient été engagées en vue de tirer un revenu et que leur déduction ne soit pas prohibée par la loi. Le but, soit l'attente raisonnable de profit, permet de déterminer si le revenu d'une source particulière est un revenu d'entreprise. L'attente raisonnable de profit est essentielle à la notion d'entreprise et permet de faire la distinction entre une entreprise et un passe-temps. La détermination d'une attente raisonnable de profit est une conclusion de fait.

[12]     Venons-en maintenant au critère de l'attente raisonnable de profit, que l'avocat a invoqué et qui a été examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Tonn c. Sa Majesté la Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001). De façon générale, le juge Linden reprochait aux tribunaux d'appliquer le critère de façon trop stricte et aux juges de substituer leur propre appréciation commerciale à celle des contribuables. À ce propos, il déclarait ceci aux pages 95 et 96 (DTC : à la page 6009) :

[...] Si l'examen de la bonne foi du contribuable est nettement justifié dans certains cas, le régime fiscal ne devrait pas décourager ou pénaliser les contribuables qui ont pris des décisions honnêtes, mais erronées.

[...]

[...] Ainsi, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de savoir si une perte d'entreprise a été engagée dans un but personnel ou dans un but non lié à l'entreprise, le critère devrait être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable, dont le sens des affaires a peut-être fait défaut.

[13]     La Cour d'appel s'est aussi prononcée sur cette question dans une autre affaire, laquelle a également été citée à la Cour par l'avocat, soit l'arrêt Mastri et le Procureur général du Canada. J'ai cet arrêt devant moi et il porte le numéro de greffe A-650-96. Il s'agit également d'une décision de la Cour d'appel fédérale. Le juge Robertson déclare, après avoir examiné l'arrêt Tonn, aux pages 7 et 8 du texte imprimé :

[...] Il n'est tout simplement pas raisonnable d'affirmer que la Cour avait l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. Le renvoi au critère de l'arrêt Moldowan étant appliqué « avec modération » n'est pas destiné à devenir une règle de droit, mais à être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression « avec modération » visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables.

[14]     Ces principes ayant été établis, j'en viens aux autres décisions qui ont été citées à la Cour à l'audience.

[15]     La première décision citée, je crois, est celle qui a été rendue dans l'affaire Huband v. M.N.R., 74 DTC 1039. Dans cette affaire, l'appelant, qui était employé comme agent de commerce par le ministère de l'Industrie et du Commerce, avait commencé à faire de la course automobile dans ses loisirs en 1965. À partir de cette année-là et jusqu'en 1968, il a acheté et revendu des voitures de plus en plus grosses et puissantes et il a participé à des courses automobiles plus rigoureuses et plus exigeantes chaque année. En 1969, il a gagné 500 $ comme coureur automobile, mais il a déclaré une perte nette de 3 600 $. L'année suivante, il a gagné 800 $, mais il a subi une perte de 8 000 $. Le ministre a refusé la déduction de ces montants au motif que l'appelant n'exploitait pas une entreprise de course automobile relativement à laquelle il avait une attente raisonnable de profit et, bien entendu, le contribuable s'est opposé à la cotisation. Et il a été décidé dans cette affaire que l'appelant avait le droit de déduire les pertes subies en 1969 et en 1970.

[16]     Au fil des années, l'appelant Huband avait consacré plus de 80 p. 100 de son salaire à l'acquisition de voitures et de matériel pour participer à des courses automobiles professionnelles. Par conséquent, on ne pouvait affirmer qu'il s'agissait uniquement d'une activité sportive ou d'un passe-temps, peu importe le plaisir qu'il pouvait en retirer.

[17]     Au surplus, la Commission de révision de l'impôt a fait observer dans cette affaire que la course automobile, contrairement à la plupart des entreprises, comportait un degré élevé de risque, et qu'il fallait dès lors s'attendre à ce qu'il y ait de lourdes pertes.

[18]     On a ensuite cité l'affaire Cook v. M.N.R., 85 DTC 167. Dans les notes liminaires de cette décision, il est précisé que le contribuable occupait un emploi à temps plein et qu'il participait à des rallyes. Il a déduit du revenu tiré de son emploi les pertes résultant de l'entreprise de course automobile. Le ministre a rejeté la déduction des pertes au motif que les dépenses se rapportant aux activités de course automobile étaient des frais personnels ou des frais de subsistance et qu'elles ne constituaient pas des dépenses d'entreprise.

[19]     Le contribuable a interjeté appel de cette décision devant notre cour, et l'appel a été admis. La Cour a conclu que les activités de course automobile du contribuable constituaient une entreprise relativement à laquelle il avait une attente raisonnable de profit. Le contribuable commençait à réaliser un maigre profit comme coureur automobile, après avoir essuyé des pertes pendant plusieurs années. La nature de l'activité était telle qu'il avait consacré tout son temps, pendant les premières années, à acquérir de l'expérience et à trouver des commanditaires, ce qui lui permettrait de réaliser un profit ultérieurement.

[20]     Enfin, l'affaire qui a été citée à la Cour par la Couronne est l'affaire Dan Brown et Sa Majesté la Reine (numéro de dossier 95-1723(IT)I). Cette affaire ressemble aux autres qui ont été citées. Elle a été tranchée par le juge Sarchuk, de notre cour. Dans cette affaire, l'appelant cherchait à déduire, dans plusieurs années d'imposition, certains montants à titre de pertes d'entreprise résultant d'une entreprise de course de voitures et de motoneiges.

[21]     J'ai lu attentivement la décision pour déterminer si elle s'appliquait à l'affaire en cause, et j'ai conclu qu'elle s'y appliquait dans une certaine mesure. J'estime toutefois important de citer les conclusions qui suivent du juge Sarchuk (aux pages 4 et 5) :

La question en l'espèce est de savoir si l'appelant exploitait son entreprise de course en vue de réaliser un profit ou avec l'espoir raisonnable d'en tirer un profit au cours des années d'imposition en question. J'aimerais avant tout signaler que je ne suis pas convaincu qu'au cours de ces années, l'entreprise de l'appelant se consacrait à deux activités de course complémentaires et que, par conséquent, les années 1990 à 1992 inclusivement peuvent être qualifiées d'années de démarrage pour l'entreprise de course de voitures de série qu'il exploite à l'heure actuelle. La preuve montre on ne peut plus clairement qu'en 1990, l'appelant a limité les activités de son entreprise à la course de motoneiges; en fait, c'est ce qui est allégué dans son avis d'appel.    En outre, les analyses que l'appelant a effectuées en 1988 et en 1989 portaient principalement sur la rentabilité potentielle de la course de motoneiges et reposaient sur sa conviction qu'il était possible de participer à un certain nombre de courses de motoneiges de haut calibre offrant des gains financiers plus intéressants.

[22]     Le juge Sarchuk conclut ensuite ce qui suit :

Sa participation à des courses de voitures de série dans les années d'imposition en cause était à mon avis une continuation du passe-temps qu'il avait pratiqué lui-même à titre de pilote et continuait de pratiquer à titre de propriétaire d'automobiles.   

[23]     Après avoir conclu que l'affaire comportait un élément personnel incontestable relativement à ce que je suppose être la partie de l'affaire se rapportant à la course de motoneiges, il déclare ensuite ceci aux pages 6 et 7 :

[...] je suis convaincu que, si l'appelant a pu se convaincre que sa recherche d'un profit dans le domaine de la course de motoneiges était raisonnable et susceptible de réussir, cette conclusion n'était pas réaliste, et l'attente de tirer un profit était déraisonnable.

ANALYSE

[24]     Pour en revenir à l'affaire qui nous occupe, quels sont les faits établis? Il y a un appelant qui a lancé une entreprise de course automobile en 1990. Il a passé quelque temps en Floride pour s'entraîner. Il a eu quelques succès en 1992 et 1993. Il n'a participé à aucune course en 1994, et il a eu de bonnes courses en 1995 et en 1996 en ce sens qu'il a retiré un certain profit. Par ailleurs, s'appuyant sur ses activités de l'année en cours, il prévoit réaliser un profit à la fin de l'année d'imposition 1997. Hormis l'année d'imposition 1992, il a subi des pertes dans chacune des années 1990 à 1994.

[25]     Son revenu provient de deux sources : les montants gagnés aux courses, d'une part, et les commandites, d'autre part. Or, selon la preuve produite, je conclus que les deux sont indissociables. Qui plus est, la plupart des dépenses engagées par l'appelant se rapportent à l'entretien de la voiture et à la publicité de ses activités. L'appelant n'a jamais cessé de soutenir qu'il avait une attente raisonnable de tirer un profit de son entreprise de course automobile.

[26]     Un examen des profits et pertes des années 1990 à 1997 nous incite à conclure que l'appelant dit vrai lorsqu'il affirme qu'il exploitait une entreprise. En effet, si on examine l'année 1994 en particulier, on arrive à la conclusion qu'il a interrompu ses activités de course automobile faute de revenu. Qui plus est, il consacre beaucoup de temps à son activité, pour laquelle il s'est entraîné, et il continue de faire de la course automobile en vue de tirer un revenu de cette activité.

[27]     Je conclus, en m'appuyant sur son témoignage, que, bien qu'il y ait eu des pertes dans les années de démarrage, l'appelant a essayé de limiter ses dépenses, et qu'il prend ses décisions, en ce qui a trait à la course automobile, en fonction de la possibilité de tirer un revenu de cette activité.

CONCLUSION

[28]     La participation de l'appelant à cette activité dans les années d'imposition 1992 et 1993 n'était pas uniquement un passe-temps. Bien qu'il y eût un élément de satisfaction personnelle, l'activité était exploitée comme une entreprise. L'appelant n'a participé à aucune course en 1994, ce qui m'incite à conclure qu'il n'exploitait pas une entreprise de course d'autos-série, vu que le revenu d'entreprise provenait aussi bien des courses remportées que des commandites. Et en 1994, il ne pouvait être assuré de cette source de revenu. Cependant, la perspective subjective d'une attente raisonnable de revenu a été reportée objectivement sur les années ultérieures [1995 et 1996], ainsi que le confirme la manière dont l'appelant exploitait son entreprise et les profits réalisés ultérieurement.

DÉCISION

[29]     En l'espèce, les appels visant les années 1992 et 1993 sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations, en tenant compte du fait que, pendant ces deux années, l'appelant exploitait une entreprise et avait une attente raisonnable de profit.

[30]     Pour l'année d'imposition 1994, l'appel est rejeté, car je ne peux conclure qu'il exploitait son entreprise et, dès lors, il n'avait pas une attente raisonnable de profit.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de décembre 1997.

           « D. Hamlyn »            

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2003.

Philippe Ducharme, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.