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Date: 19980916

Dossier: 97-1661(IT)I

ENTRE :

BENOÎT NADEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DE JUGEMENT

(Rendus oralement à Montréal (Québec), le 24 août 1998 et subséquemment révisés à Ottawa (Ontario) le 16 septembre 1998.).

Le juge Lamarre, C.C.I.:

[1]           L'appelant interjette appel des cotisations émises pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 par lesquelles le ministre du Revenu national ("ministre") lui a refusé des pertes de location s'élevant à 7 482 $, 5 903 $ et 8 593 $ pour chacune de ces années respectivement.

[2]           Pour établir ces cotisations, le ministre s'est appuyé sur les faits énoncés au paragraphe 15 de la réponse à l'avis d'appel qui se lisent comme suit :

a)          le 30 juin 1989, l'appelant a fait l'acquisition d'une propriété sise au 9061 et 9063 rue Bellerive à Montréal pour la somme de 208 000 $;

b)          pour acquitter l'achat de l'immeuble, l'appelant a obtenu une hypothèque de 173 400 $, au taux de 11 3/4 %;

c)          lors de l'acquisition de la propriété par l'appelant l'immeuble comprenait trois logements loués qui totalisaient un revenu mensuel de 790 $;

d)          pendant les années en litige deux logements étaient loués et l'appelant résidait dans le logement principal;

e)          l'exploitation de l'immeuble a généré constamment des pertes de location et lesdites pertes de location tiennent compte d'une partie personnelle de 33,33 % :

            i)                 1991 - 17 214 $

            ii)                  1992 - 7 482 $

            iii)                 1993 - 5 903 $

            iv)                 1994 - 8 593 $;

f)           le revenu brut de location de l'immeuble (deux logements loués) s'établissait comme suit au cours des années suivantes :

            i)                 1991 - 9 300 $

            ii)                  1992 - 9 630 $

            iii)                 1993 - 9 840 $

            iv)                 1994 -6 740 $;

g)          le revenu brut annuel de location de l'immeuble fut toujours déficitaire face aux frais fixes correspondants pendant les années en litige :

ANNÉE D'IMPOSITION     1992     1993     1994   

REVENUS BRUTS                  9 630     9 840     6 740

FRAIS FIXES                        18 972    16 813    15 942

PORTION PERSONNELLE    6 324     5 604     5 314

DÉFICIT                                  3 018     1 369     3 888

h)          l'appelant n'a pas démontré qu'il avait pris des mesures concrètes afin d'améliorer la situation à l'égard des pertes locatives se rapportant à la propriété de la rue Bellerive à Montréal;

i)           l'appelant n'avait aucun espoir de tirer un profit, à l'égard de l'immeuble de la rue Bellerive à Montréal, au cours des années d'imposition 1992, 1993 et 1994;

j)           les dépenses de location réclamées annuellement à l'égard de l'immeuble de la rue Bellerive à Montréal n'ont pas été engagées par l'appelant en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien.

[3]         La représentante de l'appelant a admis les alinéas a), b) et f) et a nié tous les autres faits énoncés. L'appelant, de même que madame Élisabeth Roy, agent des appels pour Revenu Canada, ont témoigné.

[4]         Selon l'acte de vente par lequel l'appelant achetait la propriété en question en date du trente juin 1989, les trois logements de l'immeuble étaient loués et rapportaient ensemble des revenus mensuels de 790 $ par mois, soit 9 480 $ par année si ces trois logements étaient loués au cours de toute l'année; ceci confirme donc les faits énoncés à l'alinéa 15 c) de la réponse à l'avis d'appel, qui avaient d'abord été niés.

[5]         Au moment d'acheter la propriété, l'appelant travaillait depuis plusieurs années comme technicien d'opération pour une usine de pétrochimie à Varennes. Son salaire provenant de cet emploi s'élevait, en 1989, à 70 172 $. Il était de 34 562 $ en 1981. En 1994, l'appelant recevait 77 917 $ et travaillait en moyenne 42 heures par semaine.

[6]         L'appelant a acheté l'immeuble 208 000 $ alors que le prix demandé était de 235 000 $. L'évaluation municipale donnait une valeur de 190 365 $ à l'immeuble pour le rôle d'évaluation 1987-1988.

[7]         Selon le listing des immeubles, le duplex que l'appelant achetait avait été construit en 1980 avec vue sur le fleuve et était situé près d'un parc et d'une piste cyclable. Les taxes municipales et scolaires s'élevaient à 4 000 $ et les coûts d'électricité montaient à 1 431 $ pour l'année 1988.

[8]         Pour acquérir cet immeuble, l'appelant a investi 38 000 $ personnellement et a emprunté 173 400 $ auprès du Trust La Laurentienne du Canada à un taux de 11,75 %. L'appelant dit avoir consulté deux autres institutions financières avant de signer cet emprunt.

[9]         Selon ses prévisions, l'appelant pensait rentabiliser l'immeuble en augmentant graduellement les revenus de loyer de cinq pour cent par année ce qui, selon lui, était conservateur compte tenu qu'il avait subi, lui personnellement, des hausses de loyer variant autour de huit à quinze pour cent dans les années antérieures.

[10]       Il prévoyait des dépenses d'entretien d'environ 2 000 $ par année puisque l'immeuble était relativement neuf. Il prévoyait également une très faible hausse des taxes foncières.

[11]       Quant à la dépense d'intérêt, il prévoyait qu'elle passerait de 19 434 $ en 1990 à 10 005 $ en 1994. Pour ce faire, il prévoyait rembourser le capital d'emprunt à raison de 6 000 $ à 8 000 $ par année et escomptait une diminution des taux d'intérêt dans les années futures.

[12]       Avec ces prévisions, l'appelant pensait faire un profit en 1994. En réalité, l'appelant n'a remboursé aucun montant sur son capital d'emprunt au cours des années en litige autrement que par ses versements réguliers. La preuve a toutefois révélé qu'il avait investi 12 350 $ dans son REER au total, au cours des années en litige.

[13]       Quant au taux d'intérêt, l'appelant a renouvelé son hypothèque en 1991 en payant une pénalité d'environ 6 500 $ pour baisser le taux d'intérêt à 8,5 %. En 1993, il a renouvelé son hypothèque pour baisser le taux d'intérêt à 5,75 %.

[14]       Les dépenses d'intérêt, en ne tenant pas compte de la portion personnelle, étaient donc de 17 412 $ en 1991, (plus élevées à cause de la pénalité), 9 398 $ en 1992, 7 885 $ en 1993 et 7 267 $ en 1994. Ces dépenses d'intérêt ont augmenté à 13 548 $ en 1995 et passé à 11 537 $ en 1996. En 1997, l'appelant a pu renégocier une hypothèque à 3,8 % et les intérêts se sont élevés au cours de cette même année à 6 921 $.

[15]       Quant aux dépenses d'entretien, elles ont été plus élevées que prévu et ont oscillé entre 3 500 $ et 4 000 $ par année. L'appelant a dit qu'il a dû changer des comptoirs, toilettes, refaire la céramique, etc.

[16]       Pour ce qui est des revenus de loyers, l'appelant n'a pu les augmenter de cinq pour cent annuellement. Entre 1990 et 1993, les revenus sont passés de 7 020 $ à 9 840 $. En 1994, ils ont baissé à 6 740 $.

[17]       L'appelant explique ceci par l'exode de la population vers la banlieue et par l'offre et la demande. De plus en 1994, le loyer du haut, qui rapportait le plus, a été vacant pendant neuf mois. Bien que l'appelant ait été avisé que le locataire quittait les lieux le 1er janvier 1994 en payant deux mois de loyer, l'appelant n'a pu trouver de locataire avant le mois de novembre 1994.

[18]       L'appelant n'a pas jugé bon de mettre des annonces dans les journaux car, selon lui, cela n'était pas un moyen efficace; il s'est contenté de mettre des annonces dans des dépanneurs et autres commerces, en plus d'une affiche à la fenêtre du logement.

[19]       L'appelant a lui-même habité le logement du rez-de-chaussée jusqu'au 1er janvier 1995. Il profitait également du garage, de la salle de lavage et de la salle de lecture au sous-sol.

[20]       L'appelant a tenté de vendre sans succès l'immeuble en question en 1992 alors qu'il a réalisé que cela prendrait du temps avant qu'il puisse réaliser un profit. Il a fini par vendre l'immeuble à perte en 1998.

[21]       De 1989 à 1996, l'appelant n'a fait que des pertes qui sont passées de 15 101 $ en 1990 à 4 436 $ en 1996. En 1997, il a fait un profit de 848 $, ce profit ne tenant pas compte toutefois de l'allocation du coût en capital.

[22]       À partir de 1995, les revenus de loyer ont monté sensiblement puisque l'appelant a loué les trois logements.

[23]       L'avocat de l'intimée invoque que l'appelant n'avait aucun espoir de profit au cours des années en litige et en conséquence, il n'existait aucune source de revenus pouvant donner droit à des pertes.

[24]       C'est à l'appelant que revient le fardeau de prouver objectivement qu'il avait un espoir raisonnable de réaliser un profit au cours des années en litige et que l'activité de location constituait une entreprise. Les facteurs servant à prouver « qu'une activité est objectivement raisonnable » ont été proposés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan c. La Reine [1978] 1 R.C.S. 480 et repris par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Enno Tonn c. La Reine [1996] 2 C.F. 73.

[25]       On retrouve entre autres les facteurs suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital.

[26]       Ces critères doivent être appliqués avec modération en cas d'absence d'éléments personnels. Ici, je suis d'avis que l'appelant a tiré en partie un bénéfice personnel de son investissement.

[27]       Si l'on analyse ces différents critères, on constate que l'immeuble n'a généré que des pertes tout au long de la détention par l'appelant de l'immeuble, à l'exception de l'année 1997 où un léger profit, qui ne tenait pas compte de l'allocation du coût en capital, a été réalisé. L'immeuble a été vendu à perte par la suite, soit en 1998.

[28]       Le fait pour l'appelant de ne pas rembourser de capital limitait grandement sa capacité de rentabiliser l'activité de location. À ce sujet, je ferai référence à l'affaire Zahid Mohammad c. La Reine, [1998] C.F.165, où le juge Robertson disait ce qui suit à la page 173:

            Il arrive souvent que des contribuables achètent un immeuble résidentiel à des fins de location en finançant la totalité du coût d'acquisition. La situation-type est celle d'un contribuable qui occupe à plein temps un emploi tout à fait indépendant. Trop fréquemment, le montant des intérêts annuels payables sur le prêt dépasse de beaucoup les revenus de location auxquels on pouvait raisonnablement s'attendre. Cela est vrai, même en faisant abstraction des baisses imprévues du marché locatif ou de la survenance d'autres événements qui ont des répercussions négatives sur la rentabilité de l'activité locative, par exemple, les frais d'entretien et de réparation et des dépenses autres qu'en capital. Dans bon nombre de cas, la composante intérêts est si importante qu'une perte locative est enregistrée, avant même que d'autres dépenses locatives autorisées soient prises en compte dans l'état des résultats. Les faits sont tels qu'il n'est pas nécessaire d'avoir l'expérience d'un analyste du marché immobilier pour comprendre qu'un bénéfice ne peut être réalisé tant que les frais d'intérêts ne sont pas réduits en remboursant le principal du prêt. Autrement dit, il y a des cas où le contribuable n'est pas en mesure de respecter à première vue la doctrine de l'expectative raisonnable de profit. Il ne s'agit pas de cas où l'on demande à la Cour de l'impôt de faire des conjectures sur le sens des affaires d'un contribuable dont l'entreprise commerciale ou l'investissement se révèle moins rentable que prévu. Ce sont plutôt des cas où, dès le départ, les contribuables savent qu'ils subiront une perte et qu'ils devront compter sur d'autres sources de revenus pour payer la dette relative à l'immeuble en location.

[29]       Il s'agit, selon moi, d'un cas où les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute.

[30]       Compte tenu de la preuve, je suis d'avis que l'appelant n'a pas démontré objectivement que l'activité constituait une entreprise. En effet, dès le départ, les revenus de loyer ne laissaient pas présager la réalisation d'un profit si, en plus des taxes foncières et scolaires, les frais d'assurance et de chauffage, on devait ajouter des dépenses d'intérêt aussi élevées.

[31]       L'appelant misait sur des facteurs hors de son contrôle pour rentabiliser l'immeuble, soit la baisse importante de taux d'intérêt, lesquels pouvaient varier sans cesse; la non-augmentation des taxes foncières, lesquelles, dans les faits, ont augmenté sensiblement; une augmentation de salaire au cours des années, qui a été moins élevée que prévu; et une hausse des revenus de loyers qui ne s'est pas concrétisée.

[32]       En faisant le choix d'investir ses économies dans un REER plutôt que dans la réduction du capital d'emprunt, l'appelant ne peut prétendre objectivement qu'il espérait réaliser un profit de cet immeuble; en effet, il comptait sur d'autres facteurs beaucoup trop risqués, hors de son contrôle, pour rentabiliser son activité de location.

[33]     En conséquence, l'appelant ne peut prétendre qu'il exploitait une entreprise de location au cours des années en litige, pouvant donner droit à la déduction de ces pertes de location. Les appels sont donc rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, le 16 septembre, 1998.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.


No DU DOSSIER DE LA COUR :       97-1661(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :               Benoît Nadeau et La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 24 août 1998

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                    le 16 septembre 1998

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) : Virginie Falardeau (représentante)

Pour l'intimé(e) :     Me Aziz Saheb-Ettaba               

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                   Nom :          

                   Étude :                  

Pour l'intimé(e) :                        Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

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